CHAPITRE XVII
 
Emprisonnés dans le souterrain

 

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LES six enfants marchaient aussi rapidement que le leur permettaient les obstacles ; le bruit des foreuses leur arrivait toujours. D’une minute à l’autre les ouvriers perceraient le toit ; M. Henning qui, sans doute, surveillait anxieusement les travaux, découvrirait le souterrain. Quand ils arrivèrent à l’endroit où ils avaient .pénétré dans le tunnel, le trou creusé par les deux garçons était obstrué par une grande masse de sable et de cailloux. François fut consterné.

« Le terrier s’est effondré, dit-il d’une voix tremblante. Que faire ? Nous n’avons aucun outil.

— Nous nous servirons de nos mains », déclara Michel.

Il se mit à l’ouvrage. Mais la terre qu’il rejetait était immédiatement remplacée par d’autre. François arrêta son frère.

« Ne continue pas, Michel, tu pourrais provoquer un éboulement. Nous serions tous enterrés vivants. C’est terrible ! Il faut que nous retournions dans les caves et que nous demandions aux ouvriers de nous aider à remonter. Flûte ! M. Henning connaîtra notre secret.

— Je ne crois pas que les hommes y seront encore, répondit Michel en regardant sa montre. Ils s’en vont à cinq heures, c’est-à-dire dans quelques minutes. Nous nous sommes attardés très longtemps dans le souterrain. Mme Bonnard doit se demander ce que nous sommes devenus.

— Les foreuses se sont arrêtées, annonça Annie. Je n’entends plus de bruit.

— Dans ce cas, il est inutile de retourner dans le souterrain, décida François. Les ouvriers seront partis avant que nous arrivions. La situation est grave. J’aurais dû le prévoir… N’importe quel idiot sait que l’entrée d’une galerie doit être consolidée.

— Nous pouvons toujours retourner dans les caves et attendre l’arrivée des hommes demain matin, dit Claude avec un optimisme de commande.

— Comment savons-nous qu’ils reviendront demain ? dit Michel. M. Henning a pu les payer et les renvoyer aujourd’hui s’il juge qu’il n’a plus besoin d’eux.

— Ne fais pas le prophète de malheur ! » s’écria Claude qui craignait que les jumeaux ne fussent pris de panique.

Les Daniels avaient pâli, mais ils pensaient surtout à l’affolement de leur mère s’ils ne rentraient pas ; son chagrin les inquiétait plus que les dangers qu’ils couraient eux-mêmes.

Dagobert attendait patiemment près de Claude. Enfin, fatigué de ces longues tergiversations qu’il ne comprenait pas, il s’éloigna… mais dans la direction opposée au souterrain.

« Dagobert, où vas-tu ? » cria Claude.

Il tourna la tête et la regarda comme pour lui dire qu’il en avait assez d’être sous terre ; d’ailleurs il voulait savoir où, de ce côté, conduisait le tunnel.

« François, regarde Dagobert ! Il veut que nous le suivions, s’écria Claude. Nous n’avons exploré qu’une branche du passage. Et l’autre ? Pourquoi l’avons-nous oubliée ?

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Les foreuses se sont arrêtées, annonça Annie

— Je ne sais pas. J’avais peur que ce soit une sorte d’impasse, dit François. J’en ai encore peur. Personne ne sait par où on peut entrer dans la chapelle, n’est-ce pas, les jumeaux ?

— Non, répondirent-ils ensemble. Nous n’avons jamais entendu dire qu’on l’ait découvert.

— Nous pouvons toujours essayer », dit Claude d’une voix déjà lointaine, car elle avait rejoint Dagobert. « Dépêchons-nous, je suffoque ici. »

Les autres lui emboîtèrent le pas. Friquet gambadait derrière eux, ravi de cette expédition pittoresque. Le tunnel maintenant descendait presque en ligne droite. Ça et là le plafond un peu affaissé obligeait les enfants à se plier en deux. Il était si bas à un certain endroit que tous les six durent marcher à quatre pattes. Annie n’aimait pas du tout ce genre de locomotion.

Le tunnel prit brusquement fin. Les trois garçons et les trois filles se trouvèrent dans une petite cave maçonnée qui avait environ deux mètres carrés. Michel regarda anxieusement le plafond haut d’un mètre cinquante. Était-il en moellons ? Dans ce cas, ils étaient pris au piège ; ils ne pourraient pas y percer une ouverture.

Par bonheur, ses craintes étaient vaines ; il aperçut avec soulagement au-dessus de sa tête un grand carré de bois enchâssé dans la maçonnerie.

« On dirait une trappe, remarqua François en l’examinant à la clarté de la lampe. Nous sommes probablement juste sous la vieille chapelle. Michel, si nous poussions en même temps, toi, Daniel et moi, nous pourrions peut-être la relever. »

Ils unirent leurs efforts ; Claude se joignit à eux ; ils réussirent à déplacer la trappe de quelques centimètres ; ce n’était pas suffisant pour leur livrer passage.

« Je comprends pourquoi nous n’y arrivons pas, dit Daniel, le visage empourpré. Le sol de la vieille chapelle est encombré de sacs de céréales et d’engrais chimiques. Ils sont très lourds ; nous ne pourrons jamais remuer cette trappe si deux ou trois sacs sont dessus.

— Flûte ! Je n’y avais pas pensé, dit François qui sentait le cœur lui manquer. Vous connaissiez l’existence de cette trappe, vous autres ?

— Non, répondit Daniel. Ni nous ni personne. C’est peut-être bizarre, mais elle a toujours été cachée par les sacs et la poussière. Qui sait depuis quand on n’y a pas donné un coup de balai !

— Qu’allons-nous faire ? demanda Michel. Nous ne pouvons pas rester là.

— Ecoutez, j’entends du bruit ! s’écria Claude. On parle et on marche là-haut. »

Ils tendirent l’oreille. Une voix cria :

« Viens m’aider, Roger, veux-tu ! »

« C’est Maurice, dit Daniel. Il est venu chercher quelque chose dans la chapelle. Crions tous ensemble et frappons ; on finira par nous entendre. »

Un vacarme retentissant éclata aussitôt ; aux cris et aux aboiements s’ajoutait le choc des gardes d’épées et des poings sur la trappe. Puis les enfants firent silence pour écouter. La voix étonnée de Maurice leur parvint.

« Roger ! Qu’est-ce que c’est que cela ? Un combat de rats ? »

« Ils nous ont entendus, dit François d’un ton satisfait. Recommençons. Aboie de toutes tes forces, Dago. »

Dagobert ne demandait pas mieux ; il en avait assez des tunnels et des souterrains. Il fit un tel tapage que Friquet, effrayé, s’enfuit dans le couloir. Les enfants cognaient toujours sur la trappe et criaient tous ensemble. Maurice et Roger écoutaient, stupéfaits.

« On dirait que ça monte d’en bas, dit Roger. Je me demande ce que c’est. Des rats ne feraient pas tant de bruit. Cherchons. »

Les deux hommes se mirent à escalader les sacs qui remplissaient la chapelle. La chatte, effrayée, fut délogée ainsi que ses petits.

« C’est par là, Roger », dit Maurice. Se faisant un porte-voix avec ses mains, il hurla : « Qui est là ? »

Les six répondirent en même temps ; Dagobert aboya de plus belle.

« Il y a un chien », dit Roger.

Intrigué, il se grattait la tête en regardant les sacs comme si un animal vivant pouvait être enfermé dans l’un d’eux.

« Un chien ! Et des gens aussi, renchérit Maurice. Où sont-ils ? Impossible que ce soit sous ces sacs ?

— Peut-être dans cette petite cave que nous avons découverte un jour, suggéra Roger. On y descend par une vieille trappe cachée sous une dalle de pierre. Tu te le rappelles ?

— Oui », dit Maurice.

La clameur reprit, car les enfants étaient maintenant au désespoir.

« Viens vite, Roger, dit Maurice. Repoussons ces sacs. Il faut savoir ce qui se passe. »

Ils déplacèrent une dizaine de sacs et découvrirent la trappe. La dalle de pierre qui, jadis, la dissimulait, avait été enlevée quelques années plus tôt par les deux hommes ; ils l’avaient appuyée contre le mur sans prendre la peine de la remettre en place ; ils ne se doutaient pas que cette petite cave donnait accès à un souterrain oublié depuis des siècles. Par bonheur pour les enfants, seule la trappe de bois les séparait des deux ouvriers ; si la dalle avait été en place, personne n’aurait entendu leurs cris.

« Voilà la trappe, dit Roger en tapant dessus avec ses grosses bottes. Qui est en bas ? interrogea-t-il.

— Les Daniels ! » répondirent les jumeaux. Les autres crièrent aussi pendant que Dagobert aboyait frénétiquement.

« On dirait la voix des jumeaux, dit Maurice. Comment diable sont-ils descendus sans déplacer ces sacs ? »

Avec un grand effort, les deux hommes soulevèrent la trappe ; grand fut leur étonnement en apercevant en bas les six enfants et les deux chiens. Ils ne pouvaient en croire leurs yeux. Dagobert fut le premier à sortir. D’un bond il rejoignit Maurice et Robert ; la queue frétillante, il leur donna de grands coups de langue.

« Merci, Roger, merci, Maurice ! crièrent les jumeaux lorsqu’ils eurent été hissés dans la chapelle. Heureusement que vous étiez là !

— Votre maman est folle d’inquiétude, dit Roger d’un ton désapprobateur. Vous aviez dit que vous m’aideriez à ramer les pois.

— Comment êtes-vous descendus là-dedans ? » demanda Maurice en hissant les filles les unes après les autres.

François remonta le dernier ; auparavant il tendit à Roger le pauvre petit Friquet qui avait eu assez d’aventures pour une journée.

« Ce serait trop long à raconter maintenant, dit Daniel. Merci beaucoup, Maurice et Roger. Pouvez-vous remettre cette trappe en place ? Ne dites à personne que nous étions en bas ; nous vous expliquerons plus tard de quoi il s’agit Nous allons vite rassurer maman. »

Tous partirent en courant ; ils avaient faim, ils étaient fatigués, mais quel bonheur d’être sortis de ce souterrain ! Que diraient M. et Mme Bonnard quand ils verraient les trésors qu’ils rapportaient ?