CHAPITRE XIV
 
Friquet et Zoé font de leur mieux

 

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«ÉCOUTEZ », dit François en baissant la voix et en jetant un regard autour de lui pour s’assurer que personne ne l’entendait. « Tu te rappelles, Claude, tu nous as parlé d’un passage secret qui allait du château à la vieille chapelle ? » Annie hocha la tête ; déjà elle reprenait courage. « Oui, oui, répondit Claude. Tu penses à l’histoire que le vieux M. Francville nous a racontée dans le magasin d’antiquités : la châtelaine a sauvé ses enfants la nuit de l’incendie en les conduisant à la vieille chapelle par un passage souterrain. J’avais oublié.

— Oui, Claude a raison, dit Annie. Tu crois que cette espèce de tunnel existe toujours ?

— Voilà mon idée, expliqua François. Si la châtelaine, pour mettre ses enfants en sécurité a suivi un passage souterrain, elle a dû d’abord descendre dans les caves ; c’est de là que doit partir le passage en question. Elle n’a pas pu s’échapper d’une autre façon puisque les Anglais cernaient le château. Elle a caché ses enfants dans les caves, puis, quand les murs se sont écroulés, elle les a conduits à la chapelle sans être vue par les ennemis. Cela signifie…

— Cela signifie que si nous trouvons ce souterrain, nous pourrons entrer nous-mêmes dans les caves, peut-être avant les ouvriers ! s’écria Claude d’une voix joyeuse.

— Exactement, dit François, les yeux de plus en plus brillants. Ne perdons pas la tête, ce n’est pas le moment. Restons calmes, et guettons Junior.

— Dagobert, surveille », dit Claude. Dagobert, immédiatement, s’éloigna un peu et regarda dans toutes les directions. Si quelqu’un approchait, il aboierait pour avertir ses amis.

Les enfants s’assirent à l’ombre d’une haie.

« Quel est ton plan ? demanda Michel.

— Allons à la vieille chapelle ; de là, rendons-nous tout droit à l’emplacement du château en marchant très lentement, proposa François. Quelque chose nous indiquera peut-être le passage secret ; je ne sais pas quoi… la couleur de l’herbe d’un vert un peu plus foncé, comme celle de la cuvette, ou un autre détail. En tout cas, cela ne coûte rien d’essayer. Au moindre indice, nous creuserons nous-mêmes dans l’espoir de tomber sur le passage souterrain.

— Oui, c’est une idée épatante ! s’écria Annie. Vite, courons à la chapelle ! »

Ils partirent ; Dagobert, Friquet et la pie Zoé les suivirent. La pie était la compagne inséparable de Friquet qu’elle harcelait de taquinerie. En quelques minutes, ils arrivèrent à la chapelle.

« Quand j’entre, il me semble toujours que j’entends l’orgue, déclara Annie en regardant les sacs de céréales.

— Ce n’est pas le moment de penser à l’orgue », répliqua François qui, debout sur le seuil de la porte, indiqua la colline ! « Vous voyez l’endroit où s’élevait le vieux château ? Les ouvriers y creusent déjà ; si nous y allons en suivant une ligne droite, nous serons plus ou moins au-dessus du vieux souterrain. J’imagine que les hommes qui ont construit ce tunnel ne lui ont pas fait décrire des courbes ; c’eût été un travail inutile.

— L’herbe n’est pas de couleur différente », remarqua Michel, les yeux à demi fermés pour mieux voir.

Tous les autres, un peu déçus, lui donnèrent raison.

« Nous n’avons aucune indication, dit Claude d’un ton lugubre. Nous ne pouvons que marcher jusqu’à la colline en espérant que le hasard viendra à notre aide. Nos pas, peut-être, sonneront creux.

— J’en doute, dit François, mais nous n’avons pas le choix. Venez. En route, Dagobert ! Regardez Zoé : la voilà de nouveau sur le dos de Friquet Roule-toi par terre, Friquet, pour te débarrasser d’elle.

— Crâ ! crâ !… » cria Zoé en s’envolant.

Les enfants montèrent la colline en ligne droite. Sans avoir trouvé le moindre indice, ils arrivèrent tout déçus, à l’endroit où les hommes creusaient. Junior les aperçut et les interpella.

« Les enfants n’ont pas la permission de venir ici. Filez ! Papa a acheté ce terrain.

— Menteur ! crièrent les deux Daniels. Il a le droit de creuser, c’est tout.

— Vous verrez ça ! hurla Junior. Ne me faites pas mordre par votre gros chien ; s’il m’attaque, j’appellerai papa. »

Dagobert aboya ; Junior se hâta de disparaître. Claude se mit à rire.

« Qu’il est bête ! Quelques gifles lui feraient du bien. Je parie qu’un des ouvriers lui en donnera avant ce soir. Regardez-le ! Il essaie de se servir d’une foreuse. »

Junior, certainement, ne se faisait pas aimer. Il gênait les travaux ; exaspéré, son père le fit monter dans un camion en lui donnant l’ordre de ne plus bouger. Il protesta mais, comme personne ne faisait attention à ses cris, il finit par se calmer.

Les enfants redescendirent lentement la pente de la colline, les yeux toujours fixés sur le sol. Ils refusaient d’abandonner tout espoir. Perchée sur l’épaule de Daniel, la pie poussait des cris aigus. Soudain elle remarqua que Friquet s’arrêtait pour se gratter le cou ; aussitôt elle se précipita sur lui. Le caniche était très absorbé ; c’était le moment ou jamais de lui donner un coup de bec.

Malheureusement pour elle, le chien leva la tête trop tôt ; il devina sa tactique, s’élança sur elle et l’attrapa par l’aile.

« Crâ ! crâ ! cria la pie pour appeler au secours. Crâ ! crâ !… »

Daniel courut à Friquet.

« Lâche-la, Friquet, lâche-la ! ordonna-t-il. Tu vas la blesser. »

Avant qu’il fût intervenu, la pie réussit à se libérer en assenant à Friquet un coup de bec sur le nez. Le caniche desserra les dents pour gémir ; Zoé sauta par terre et détala, l’aile pendante, incapable de s’envoler.

Friquet se lança à sa poursuite. Les jumeaux criaient en vain. Le chien avait décidé d’attraper cet oiseau effronté, dût-il recevoir plus tard une correction méritée. La pie chercha désespérément une cachette. Elle la trouva enfin : un terrier de lapin… Elle s’y enfonça et disparut aux regards.

« Elle est entrée dans ce trou, dit Michel avec un éclat de rire. C’est une maligne, cette Zoé ! Te voilà refait, mon pauvre Friquet. »

Mais non, Friquet ne s’avouait pas vaincu. Il plongea à son tour dans le terrier, sans trop de peine, car il n’était guère plus gros qu’un lapin. Jusque-là, il ne s’était jamais risqué à des explorations souterraines ; le désir d’attraper Zoé surpassait sa crainte de l’inconnu.

Les enfants restèrent ébahis. D’abord la pie… Maintenant Friquet. Les jumeaux se penchèrent pour crier :

« Reviens, Friquet ! Tu vas te perdre dans ces terriers. Reviens, Friquet, tu nous entends ? Reviens ! »

Aucun aboiement ne leur répondit.

« Ils se sont enfoncés très profondément, dit Daniel inquiet. La garenne forme un véritable labyrinthe. Papa nous a dit qu’il y avait autrefois des milliers de lapins. Friquet, reviens !

— Asseyons-nous jusqu’à leur retour, dit Annie qui était très fatiguée.

— Si tu veux, acquiesça François. Personne n’a de bonbons ?

— Si, moi », répliqua Claude en sortant de sa poche un sac froissé et d’une propreté douteuse. Qui veut des caramels ? Vous, les jumeaux ?

— Volontiers, répondirent les Daniels. Dans cinq minutes nous retournerons à la ferme. Nous avons beaucoup de travail. »

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Les enfants sucèrent leurs caramels en se demandant ce que faisaient la pie et le caniche. Enfin Dagobert dressa l’oreille et gronda, les yeux fixés sur l’entrée du terrier.

« Ils reviennent, annonça Claude. Dagobert les sent. »

Dagobert ne se trompait pas. Friquet et la pie réapparurent, tout à fait bons amis. Friquet se jeta sur les jumeaux comme s’il ne les avait pas vus depuis des années. Il déposa quelque chose à leurs pieds.

« Qu’as-tu trouvé ? dit Daniel en se penchant. Un vieil os ? »

François lui arracha presque l’objet des mains.

« Un os ? Non, ce n’est pas un os. C’est un petit poignard sculpté au manche cassé. Comme il a l’air vieux ! Friquet, où as-tu trouvé ça ?

— La pie ramène aussi quelque chose ! cria Annie en montrant Zoé. Regardez… dans son bec ! »

Danièle saisit facilement la pie qui traînait encore l’aile.

« Une bague ! dit-elle. Une bague ornée d’une pierre rouge ! »

Tous les enfants restaient stupéfaits devant ces deux objets étranges. Un vieux poignard sculpté, noirci par l’âge, une bague sertie d’une pierre rouge ! Ils ne pouvaient venir que d’un seul endroit. Claude exprima la pensée commune.

« Friquet et la pie ont pénétré dans les caves du château ! Cela ne fait pas de doute. Ce terrier correspond avec le passage qui mène aux oubliettes. Oui, ils sont allés jusque-là ! Friquet, que tu es intelligent ; tu nous as appris ce que nous voulions savoir.

— Claude a raison, dit Michel, épanoui de joie. Nous sommes renseignés grâce à Friquet et à Zoé. Nous savons que les caves du château contiennent encore des bijoux et des armes ; nous savons que le terrier débouche dans le passage secret ; c’est ainsi que le chien et la pie sont arrivés là-bas. Le terrier conduit au tunnel. Tu es de cet avis, François ?

— Tout à fait, approuva François rouge d’émotion. Quelle chance ! Bravo pour Friquet et pour Zoé ! Chère vieille pie ! Elle recommence à voleter ; elle n’est que légèrement blessée. Elle ne se doute pas du résultat de sa petite farce !

— Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Claude. Commencer à creuser ? Le passage secret n’est sûrement pas très loin… Une fois que nous y serons, nous atteindrons facilement les caves… avant M. Henning ! »

À cette idée, tous se mirent à danser de joie. Dagobert se demanda s’ils devenaient fous.