CHAPITRE XVI
 
Les souterrains du château

 

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MICK leva sa lampe électrique pour éclairer ses compagnons. Un à un, ils glissèrent dans le tunnel obscur, sans prononcer un mot tant l’émotion leur serrait la gorge. Dagobert et Friquet descendirent à leur tour ; moins courageuse, la pie se percha au bord de l’excavation en poussant des cris aigus.

Les enfants restèrent un moment immobiles pour reprendre haleine et s’orienter.

« C’est sûrement le passage souterrain qui conduit à la vieille chapelle », déclara François.

Ils étaient tous obligés de se courber, à l’exception de Dagobert, car le plafond était très bas. Sans trop s’éloigner de Claude, le chien flairait de tous côtés.

« Venez, dit François d’une voix un peu tremblante. Suivons ce tunnel ; nous verrons bien où il nous conduira. Ma parole, c’est tout à fait palpitant ! »

Ils se mirent en marche ; ils n’avançaient pas vite à cause des obstacles qui les retardaient sans les arrêter. Ça et là, le toit s’était écroulé ; il fallait contourner les éboulements ; ou bien ils butaient sur de grosses racines saillantes.

« Il n’y a pas d’arbres sur la colline, remarqua Daniel étonné. Pourquoi ces racines ?

— Elle était sans doute boisée autrefois, il y a des siècles », répliqua François qui espérait, contre tout espoir, que rien ne les empêcherait d’arriver au but. « Qu’est-ce que c’est que ça, à mes pieds ? Deux plumes ? Comment se trouvent-elles ici ? »

Impossible de répondre à cette question. Oui, deux plumes noires dont le temps n’avait pas terni l’éclat. Quel mystère ! Des oiseaux avaient-ils trouvé le moyen de pénétrer dans ce souterrain ? Soudain Michel partit d’un éclat de rire et tous sursautèrent.

« Que nous sommes bêtes ! Ces plumes appartiennent à Zoé ; elles ont dû tomber de son aile blessée quand Friquet la poursuivait.

— Bien sûr. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? » s’écria François.

Ils continuèrent leur route. Soudain François, qui marchait en tête, fit une nouvelle halte. Un bourdonnement étrange résonnait, accompagné d’une vibration qui donnait mal à la tête.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Annie effrayée. Ce bruit ne me plaît pas du tout. »

Les autres n’étaient guère plus rassurés qu’Annie. Ce vrombissement les assourdissait. Ils se bouchèrent les oreilles, mais ils avaient toujours la sensation que la terre tremblait autour d’eux.

« Je n’aime pas ce que je ne comprends pas, déclara Annie. Je crois que je vais m’en retourner. »

Le vacarme cessa et tous poussèrent un soupir d’aise, mais leur soulagement fut de courte durée. Ces sons inexplicables reprenaient de plus belle. À la surprise générale, Claude s’esclaffa.

« Ce n’est rien. Ce sont les foreuses que nous entendons. Elles sont juste au-dessus de notre tête. Les ouvriers ont fini de déjeuner. Courage, tout le monde ! »

Les autres rirent de leur frayeur, mais Annie ne parvenait pas à apaiser les battements de son cœur ; sa main qui tenait la lampe électrique tremblait encore.

« Il n’y a pas beaucoup d’air ici, dit-elle. J’espère que nous arriverons bientôt aux caves.

— Elles ne sont sûrement pas très loin, répondit François. Ce tunnel est presque droit, comme nous le pensions. Quand il fait un coude, c’est que les hommes qui l’ont construit étaient obligés de contourner des racines d’arbres qui leur barraient le chemin. En tout cas, puisque nous entendons si nettement les foreuses, nous ne sommes pas loin de l’emplacement du château. »

Ils en étaient encore plus près qu’ils ne le croyaient. Soudain la lampe électrique de François éclaira une grande porte qui gisait sur le sol… la porte qui, jadis, fermait les caves ! Le couloir s’arrêtait là ; les enfants étaient à l’entrée d’un vaste souterrain où régnait un silence solennel ; les rayons des lampes électriques en dissipaient à peine les ombres.

« Nous y sommes », chuchota François.

Dans l’obscurité, un écho répéta nous y sommes… sommes… sommes ».

« Cette porte doit être très ancienne », murmura Annie.

Elle l’effleura du bout du pied ; aussitôt le coin qu’elle avait touché se désagrégea, avec un étrange petit soupir.

Filant entre les jambes de Daniel, Friquet se précipita dans les caves. Il aboya comme pour dire :

« Entrez, n’ayez pas peur, je suis déjà venu ici.

— Attention, Friquet ! »s’écria Annie.

Au bruit des aboiements du caniche, la charpente des caves n’allait-elle pas s’effriter ?

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« Avançons, mais avec prudence, ordonna François. Tout doit être prêt à tomber en poudre. Le métal seul peut résister à tant de siècles. C’est étonnant que cette porte soit aussi bien conservée ; elle a l’air solide, mais je suis sûr que si quelqu’un de nous éternuait, elle disparaîtrait.

— Ne plaisante pas, François, dit Michel en faisant le tour de la porte. Un éclat de rire et tout peut-être s’effondrerait. »

Non sans appréhension, ils s’engagèrent dans les souterrains obscurs ; la clarté de leurs lampes électriques perçait à peine les ténèbres épaisses.

« Que c’est grand ! s’écria François. Je ne vois rien qui ressemble à des oubliettes.

— Tant mieux ! dirent les Daniels qui avaient peur de trouver des ossements.

— Tiens, une arcade, dit Claude en promenant à droite le rayon de sa lampe. Une belle arcade de pierre. En voici une autre. Je suppose que nous approchons d’une salle principale. Il n’y a rien à voir ici, excepté des tas de poussière. Quelle odeur de moisi !

— Suivez-moi, mais faites attention où vous mettez le pied », recommanda Michel en se dirigeant vers les arcades.

Ils les franchirent et s’arrêtèrent sur le seuil d’une galerie spacieuse.

« Ce devait être une sorte d’entrepôt, remarqua François. Le plafond est soutenu par de grosses poutres ; quelques-unes sont tombées. Heureusement, les arcades de pierre ont tenu bon. Quand on pense qu’elles sont là depuis des siècles ! Les architectes de ce temps-là faisaient du bon travail. »

Michel et les jumeaux l’écoutaient à peine. Ce qui les intéressait surtout, c’était un fouillis d’objets recouverts de toiles d’araignées. Dagobert, en passant à côté, souleva un nuage de poussière. Friquet, qui trottait derrière lui en flairant partout, éternua bruyamment.

« Tu crois qu’il y a là des choses de valeur ? » chuchota Annie.

Un écho répéta les dernières syllabes, pareil à une voix mystérieuse et inquiétante.

« Quand nous parlons bas, l’écho se prolonge plus longtemps, remarqua François. Tiens, qu’est-ce que c’est que cela ? »

Ils projetèrent le rayon de leurs lampes sur le sol où gisait un tas de métal noirci. Michel, sentit son cœur battre plus fort et poussa une exclamation.

« Une cuirasse ! Elle est toute rouillée mais il n’y manque rien ! Dire qu’elle a au moins huit siècles !… En voici une seconde… et encore une autre ! Des vieilles dont on se débarrassait en les jetant ici ou bien des neuves qu’on gardait en réserve. Voyez ce casque ! »

Il le poussa doucement du pied ; le casque roula un peu plus loin avec un cliquetis métallique.

« Est-ce qu’il a de la valeur maintenant ? demanda anxieusement Daniel.

— De la valeur ? Il vaut son pesant d’or, je suppose », répondit François d’une voix vibrante

Danièle, qui avait continué à marcher, appela à grands cris.

« François… viens voir ce coffre. Vite ! »

Ils la rejoignirent, sans se presser pour éviter les nuages de poussière fine et suffocante qui s’élevaient autour d’eux, chaque fois qu’ils faisaient un mouvement rapide. La fillette montrait an grand coffre en bois noirci par la vieillesse et cerclé de fer.

« Que peut-il contenir ? » chuchota Danièle.

Sa question lui fut renvoyée par tous les échos.

Dagobert vint renifler le coffre qui, à son grand étonnement, se désagrégea. Les côtés et le grand couvercle s’effritèrent. Les ferrures tombèrent sur le sol avec un bruit sourd. C’était étrange de voir un meuble massif disparaître ainsi aux regards.

« Comme par enchantement », pensa Annie.

Le contenu du coffre était maintenant visible ; il brillait à la clarté des lampes, masse mouvante qui, n’ayant plus rien pour la retenir, se déplaçait et glissait en faisant entendre un tintement harmonieux.

Stupéfaits, bouche bée, les enfants osaient à peine en croire leurs yeux. Annie saisit brusquement le bras de François.

« François, qu’est-ce que c’est ? De l’or ? »

Michel se pencha pour ramasser une pièce qui avait roulé à ses pieds.

« Oui, de l’or. Cela ne fait aucun doute. C’est un métal qui ne se ternit pas. Le baron de Francville cachait ici sa fortune. La châtelaine n’a pas eu le temps de la prendre avant de s’enfuir avec sa famille ; personne n’a pu s’en emparer puisque les murs du château se sont écroulés par-dessus. Le trésor est resté intact pendant des siècles.

— Il nous attendait, dit Claude. Les jumeaux, votre père et votre mère n’auront plus à s’inquiéter. Il y a là de quoi racheter les champs vendus par votre aïeul et payer tous les tracteurs dont vous aurez besoin. Ce n’est peut-être d’ailleurs qu’un commencement, François, je vois un autre coffre tout pareil au premier, mais plus petit ; il est en très mauvais état. Regardons ce qu’il renferme. Encore de l’or, j’espère. »

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Le contenu du second coffre était tout différent, sans être pour cela moins précieux. Un de ses côtés était tombé et des objets roulaient par terre.

« Des bagues ! s’écria Annie en ramassant deux anneaux dans la poussière.

— Une ceinture d’or ! dit Claude. Ces chaînes ternies doivent être des colliers car elles sont serties de pierres bleues. C’est là sans doute que Zoé a ramassé la bague.

— J’ai fait aussi une trouvaille ! cria Daniel à l’autre bout du souterrain. Des poignards et des épées à la garde ciselée. »

Plusieurs râteliers d’armes étaient fixés aux murs, quelques-uns de travers, car les clous qui les retenaient s’étaient détachés ; des épées gisaient par terre. Friquet saisit un petit poignard dans sa gueule comme il l’avait fait lorsqu’il avait pénétré avec Zoé dans le souterrain.

« Quelles belles épées ! s’écria François qui se pencha pour en prendre une. Que celle-ci est donc lourde ! Je peux à peine la tenir… Mon Dieu ! Que se passe-t-il ?… »

Un gros morceau de vieux bois tombait du plafond en manquant sa tête de quelques centimètres. En même temps, le vacarme des foreuses s’amplifiait jusqu’à devenir intolérable. François poussa un cri.

« Sortons vite d’ici» dit-il. Ces hommes perceront bientôt le toit qui pourrait tomber sur nous. Nous serions ensevelis sous les ruines. Partons tout de suite, sans perdre une minute. »

Il décrocha un poignard à un râtelier d’armes et, l’épée toujours dans la main, il courut vers le tunnel. Claude entraînait Annie. Les jumeaux venaient les derniers, car ils avaient pris le temps de ramasser une poignée de pièces d’or, une autre épée, deux colliers et deux bagues. Il voulait porter à leur mère un échantillon des trésors cachés dans le souterrain.

Ils venaient de franchir les arcades lorsque d’autres morceaux de bois dégringolèrent du plafond,

« Il faut faire arrêter les travaux, dit François essoufflé. Si le toit s’écroule complètement, beaucoup d’objets précieux seront détruits. »

Ils couraient dans le passage secret, le cœur battant, en proie à l’émotion la plus vive de leur vie. Dagobert les précédait, heureux à l’idée de se retrouver en plein air et de revoir la lumière du soleil.

« Que dira maman ? répétaient les jumeaux. Que va-t-elle dire ? »