CHAPITRE XV
Le passage secret
« COMMENT obtenir l’autorisation de creuser ? demanda Annie. Nous donnera-t-on la permission ?
— Pourquoi nous interdirait-on ? M. Henning a entrepris ses fouilles à un endroit déterminé, fît observer François. Nous voulons, nous, creuser ici ; c’est assez loin de l’emplacement du château.
— Essayons sans rien demander à personne ; nous verrons bien si quelqu’un proteste, dit Claude. Si c’est M. Bonnard, nous le mettrons au courant de nos projets. Il nous laissera probablement continuer.
Quoi qu’il arrive, il ne faut pas que M. Henning se doute que nous sommes sur le point de faire une découverte sensationnelle.
— Que dirons-nous s’il nous interroge ? dit Annie.
— Nous répondrons par des plaisanteries, dit Michel. Les jumeaux, avez-vous beaucoup de travail ce matin ? Pouvez-vous nous procurer des pioches ?
— Vous prendrez les nôtres et les vieilles dont papa ne se sert plus, dit Daniel, Nous voudrions bien vous aider mais nous sommes déjà en retard.
— Nous non plus, nous ne pouvons pas rester, déclara Annie. Nous avons promis à Mme Bonnard d’écosser des petits pois pour le déjeuner ; nous devons aussi cueillir des framboises. Est-ce que tu peux commencer les fouilles avec Michel, François ?
— Oui, dit François. Ce sera un peu plus lent, mais nous arriverons quand même. Cet après-midi, si les jumeaux sont libres, ils nous donneront un coup de main.
— Nous nous dépêcherons de terminer notre travail ce matin, crièrent Daniel et Danièle. Dans cinq minutes, nous vous apportons les pioches. »
Ils s’en allèrent en courant. Friquet sur leurs talons. Claude et Annie descendirent la colline plus lentement, enchantées par la tournure que prenaient les événements. Quel bonheur si l’on retrouvait le passage secret qui reliait la chapelle et les caves du vieux château ! Dagobert gambadait et agitait la queue. Il partageait toujours les joies et les chagrins de Claude.
Danièle apporta deux grandes pioches et deux plus petites. Les outils étaient lourds ; elle avait presque perdu la respiration.
« Brave fille… ou brave garçon ? » demanda Michel en prenant les pioches. « Voyons, tu es Danièle-fille, n’est-ce pas ? Tu n’as pas de cicatrice à la main. »
Danièle se mit à rire et courut rejoindre son frère pour accomplir leurs tâches habituelles. François la suivit du regard.
« Ce sont de chic camarades, remarqua-t-il. Ils valent cent Junior ! Ils sont si courageux et si dévoués ; le petit Américain ne pense qu’à ennuyer les gens. Allons-y, Michel. Que la terre est dure ! Dommage que nous ne puissions pas emprunter une des foreuses louées par M. Henning. »
Ils se mirent à creuser. Bientôt en nage, ils se débarrassèrent de leurs pull-overs sans éprouver de soulagement appréciable. L’arrivée d’Annie qui apportait une cruche de citronnade et des brioches fut saluée par des cris de joie.
« Vous avez déjà fait un grand trou ! s’écria-t-elle. Vous croyez que le tunnel est très bas dans le sol ?
— J’espère que non », répondit Michel après avoir bu quelques gorgées de citronnade. « Que c’est frais et bon, Annie. Nous suivons le terrier. Espérons que nous atteindrons le but avant d’être trop fatigués.
— Tiens, voilà Junior », dit brusquement Annie.
En effet, le jeune Américain, enhardi par l’absence de Dagobert et de Friquet, les rejoignait. Il s’arrêta à quelques mètres.
« Que faites-vous ? Pourquoi creusez-vous sur notre colline ?
— Va te promener, riposta Michel. Ce n’est pas ta colline. Nous avons le droit de creuser, tout comme ton père et toi.
— Vous nous singez ! cria Junior. Mon papa va se tordre de rire quand je le lui raconterai.
— Rira bien qui rira le dernier ! cria Michel. Va-t’en ! »
Junior les regarda un moment, très intrigué ; puis il s’éloigna, sans doute pour avertir son père. Annie retourna à la ferme, amusée par cet incident.
« M. Henning ignore l’existence du passage secret ; il croira que nous sommes fous, dit François en riant. Cela nous est bien égal ! Il sera furieux quand il découvrira ce que nous faisons mais ne le saura que lorsque nous serons dans les caves. »
Mick se mit à rire en s’épongeait le front.
« J’espère que nous arriverons bientôt au bout de ce terrier. Pourvu qu’il conduise au tunnel Je ne tiens pas à recommencer plusieurs fois ce travail de terrassier. Le sol est trop dur.
— Il devient sablonneux ici », dit François d’un ton de satisfaction. Soudain il poussa un cri. « Le passage secret ! Je crois que j’y suis ! La pioche a failli m’échapper des mains. »
C’était vrai ! Le terrier communiquait avec le tunnel. Les garçons se remirent à creuser fiévreusement, haletants, les cheveux sur les yeux, de grosses gouttes de sueur coulant sur leur front. Bientôt ils eurent un trou profond et large qui rejoignait une sorte de couloir souterrain. Ils s’allongèrent par terre pour mieux voir.
« Il n’est pas à un mètre cinquante de la surface, remarqua Michel. Je croyais que nous serions obligés de creuser beaucoup plus. Qu’il fait chaud !
— L’heure du déjeuner doit approcher, dit François. C’est ennuyeux d’interrompre nos travaux maintenant que nous approchons du but. Pourtant il faut bien que nous mangions. J’ai une faim de loup.
— Moi aussi. Mais si nous laissons le trou sans surveillance, ce fléau de Junior viendra peut-être et trouvera le passage, dit Michel. Tiens, voilà Claude avec son inséparable compagnon. Si elle le permet, le vieux Dago pourrait monter la garde jusqu’à notre retour. »
En apprenant la grande nouvelle, Claude poussa des cris de joie.
« Vous avez bien travaillé, dit-elle. Je ne m’étonne pas que vous soyez fatigués. Si M. Henning savait que vous avez découvert l’endroit avant lui, il arriverait au galop avec M. Durleston.
—Je n’en doute pas, approuva François d’un ton grave. C’est bien ce qui nous inquiète. Si Junior passait par là, il descendrait dans le trou. Il est déjà venu voir ce que nous faisions.
— Nous n’osons pas aller déjeuner, dit Michel. Pendant ce temps-là, quelqu’un pourrait… »
Claude l’interrompit comme si elle devinait sa pensée.
« Je laisserai Dagobert en faction, dit-elle. Il écartera les curieux, s’il y en a.
— Merci ! » s’écrièrent les garçons.
Ils remirent leurs pull-overs pour retourner à la ferme avec Claude. Ils pourraient déjeuner sans inquiétude ; le trou serait bien gardé.
« Reste là, Dagobert, ordonna Claude. Montre les dents si quelqu’un vient.
— Ouah ! ouah ! » répondit Dagobert, fier de cette mission de confiance.
Il s’installa à côté de l’excavation, prêt à la défendre au prix de sa vie. Malheur aux audacieux qui oseraient approcher !
Ils osèrent… Mais quand ils virent Dagobert bondir, les poils hérissés, et qu’ils l’entendirent gronder, Junior et son père battirent en retraite ; ils prirent le chemin de la ferme. Le pauvre M. Durleston les suivait de loin, accablé par la chaleur.
« Ces enfants sont idiots ! Ils nous imitent comme des singes. Nous creusons, il faut qu’ils fassent comme nous, dit M. Henning à son fils. Qu’espèrent-ils trouver dans la terre ? Les ruines d’un château fort ? »
Junior lança une pierre à Dagobert, puis il s’enfuit à toutes jambes en voyant le chien dévaler la pente. M. Henning lui-même pressa le pas. Dagobert ne lui inspirait pas confiance.
Dès la dernière bouchée avalée, les jumeaux, François, Michel, Claude, Annie et Friquet remontèrent sur la colline. Dago les attendait : Claude lui apportait deux beaux os et une cruche d’eau. Sans se faire prier, Dagobert entama son déjeuner. Friquet dansait autour de lui, dans l’espoir que son ami lui laisserait une petite part de ce festin.
La pie, dont l’aile était guérie, arracha un lambeau de viande à un os ; d’un grondement, Dagobert la mit en fuite. Les jumeaux s’exclamèrent à la vue du grand trou creusé par François et Michel.
« Si nous descendions maintenant ? suggérèrent-ils.
— Oui, le moment serait bien choisi, approuva François. Les ouvriers sont allés déjeuner à l’auberge du village ; ils ne sont pas encore revenus ; les Henning et M. Durleston se reposent à la ferme.
— Je passe le premier », déclara Michel.
Il pénétra dans le trou. Cramponné des deux mains au bord couvert d’herbes, il agrandit avec ses pieds l’ouverture pratiquée dans le tunnel. Puis il y engagea ses jambes et sauta. Il tomba sans se faire mal sur la terre molle ; une odeur de moisi le saisit à la gorge.
« J’y suis ! cria-t-il. Vite un peu de lumière ! Il fait noir comme dans un four. Tu as pensé aux lampes électriques, Claude ? »
Claude en avait apporté quatre.
« Attention, en voici une », dit-elle.
Elle la lança tout allumée ; Michel l’attrapa adroitement et promena son rayon autour de lui.
« Oui, je suis dans un tunnel, cria-t-il. Le passage secret sans aucun doute. C’est formidable, n’est-ce pas ? Descendez tous ; il faut que nous soyons ensemble pour explorer. Nous irons jusqu’aux caves du château. Venez, venez vite ! »