CHAPITRE X

Hatfield bondit vers le paquet de dynamite en cherchant en même temps son couteau dans sa poche. Il jura en se rappelant l'avoir prêté à Hamhock Harley qui ne le lui avait pas rendu. Son regard balaya le petit compartiment. Les couteaux ne devaient pourtant pas manquer dans une cuisine !

Sans doute y en avait-il, mais le vieux nègre, en serviteur zélé, avait dû les ranger dans quelque placard et il n'avait pas le temps d'en explorer tous les tiroirs. Ramassant la dynamite, il prit la mèche entre ses dents et se mit à ronger frénétiquement.

Un brin se rompit. Puis un autre. Une gerbe d'étincelles lui brûla le palais. Bientôt le feu lécherait l'amorce. Hatfield comprit qu'il ne pourrait couper la mèche à temps.

Saisissant alors l'engin de mort dans sa main droite, il bondit vers la porte extérieure qu'il poussa brutalement de l'épaule, atteignit le couloir du devant, ramena le bras en arrière et le lança de toutes ses forces.

Le paquet s'éleva en sifflant au-dessus d'une rame de wagons en stationnement deux voies plus loin et décrivit une longue parabole en direction de la végétation tapissant le haut du talus. Puis il explosa au milieu des airs.

Abasourdi, aveuglé par l'éblouissante flamme jaune qui faisait pâlir le soleil matinal, Hatfield fut projeté au plancher par le souffle de l'explosion tandis que tout autour de lui, crépitant sur le toit du wagon, tambourinant le long des flancs, s'abattait une grêle de pierres, de terre, d'éclats de bois et d'acier.

La voiture privée roula et tangua sur ses ressorts. Les vitres volèrent en éclats, les portières furent arrachées de leurs gonds. Un réservoir d'eau chaude éclata et la vapeur s'engouffra dans les compartiments en nuages tourbillonnants. Dans ce tumulte indescriptible perçaient les cris d'orfraie du nègre qui avait repris conscience et nageait la brasse sur le plancher de la cuisine.

Jaggers Dunn, qui se frayait à tâtons un chemin vers la sortie, non sans rugir force blasphèmes, s'empêtra dans les jambes du vieux chef et s'étala de tout son long. George en piailla de plus belle et Dunn redoubla de jurons. Quelques instants plus tard, Dunn s'avançait d'un pas pesant sur la plate-forme en tirant son cuistot par le col.

Hatfield était précisément en train de se relever. Il vit les lèvres de Dunn remuer, mais ses tympans bourdonnants ne transmirent à son cerveau qu'un jargon incohérent. Des vagues de feu dansaient devant ses yeux et il lui fallut un bon moment encore pour recouvrer l'usage de toutes ses facultés.

Des cheminots accouraient, hurlant des questions. Ils s'arrêtèrent, médusés, à la vue du cratère béant creusé dans le talus abrupt emmurant le remblai et contemplèrent, consternés, les dégâts. Deux fourgons étaient sortis des rails, un troisième était fracassé. Le wagon privé semblait avoir subi un bombardement d'artillerie. Le vieux George saignait encore de sa coupure au cuir chevelu et Jaggers avait une entaille à l'arcade, suite du heurt brutal entre son crâne et l'appui d'une fenêtre. Mises à part de légères brûlures au pilais, Hatfield était indemne.

Jaggers Dunn, calmement, apaisa les esprits et fit naître l'ordre du chaos. Il envoya les uns explorer les fourrés, confia à d'autres le soin de réparer les dommages causés à son palace roulant, envoya chercher la dépanneuse pour dégager les wagons qui avaient déraillé. Entre-temps, Hatfield, qui avait trouvé le coffre à pharmacie, avait déjà nettoyé et pansé l'entaille au crâne du moricaud. Jaggers refusa son aide et soigna lui-même sa légère coupure. Après quoi le Ranger entraîna les deux hommes à l'écart, loin des ouvriers excités qui commentaient l'événement.

— Que s'est-il passé, George ?

Le nègre effleura sa tête crépue d'une main qui tremblait encore.

— D'abord, j'entends quelqu'un qui marche dehors. Je me retourne mais le type est déjà monté. Je veux lui dire : qu'est-ce que vous fabriquez dans le wagon de Missié Dunn ? mais avant que j'aie pu ouvrir la bouche, il me donne un grand coup sur le crâne avec un énorme pistolet. Je vois des étoiles et des comètes et des manèges de chevaux de bois. Après, le ciel s'ouvre et me tombe dessus.

— Et tu te souviens de l'air qu'avait ce type ?

— Ouais. Très bien. Un petit à l'air mauvais avec des yeux de serpent et des cheveux noirs qui pendent. Presque aussi noirs que les miens, mais pas aussi brillants…

— Ses cheveux lui retombaient sur le front, comme une frange ?

— Oui missié ! Oui missié ! C'est ça ! Et il avait presque pas de bouche… juste une fente en travers de la figure. On aurait dit le diable… et peut-être bien que c'était lui !

— Tu ne crois peut-être pas si bien dire, George, déclara Hatfield d'un ton sinistre.

Puis à l'adresse de Jaggers Dunn :

« D'après le signalement que nous donne George, il devait s'agir d'un Yaqui. On dirait que la cage s'est ouverte… »

— J'en ai vu pas mal dans les environs, acquiesça Dunn, songeur.

— Que font-ils ici, le savez-vous ?

— Bûcherons… Des as, à ce qu'il paraît. Mais ce n'est pas Flint qui les emploie. Il est originaire du nord de cet État et se méfie de tout ce qui vient d'en dessous de la Frontière. Non, ces Yaquis travaillent tous pour Brush Vane, à la Cibola Timber Co.