CHAPITRE VII

Le lit à sec du cours d'eau s'enfonçait dans les collines pour aller se perdre dans les ombres de cette fin d'après-midi. L'endroit était aride et désolé, hanté la nuit par les coyotes et, parfois, dans la journée, par les Indiens.

Jack Priest but à longs traits, puis abaissa son bidon et s'essuya la bouche du revers de sa main.

— C'est ça que tu appelles le San Pablo ? demanda-t-il.

Lee leva les yeux de la carte déchirée qu'il était en train d'étudier.

— J'y perds mon latin, grogna-t-il.

— Pour moi, c'est un des bras du Rio Salto.

Hunter secoua la tête.

— C'est trop à l'ouest pour avoir un rapport quelconque avec le Rio Salto. Il paraît que le San Pablo traverse le Montecillo de Tierra.

— Il nous faut donc découvrir ce Montecillo.

Lee désigna du doigt les collines sur lesquelles déjà tombait la nuit.

— Tu ne crois pas que ce soit ça ?

Jack s'assit et tira son tabac de la poche de sa chemise.

— À mon avis, ce sont les Broken Hills. D'ailleurs, je n'ai jamais entendu parler de ce Montecillo de Tierra, ni ici ni nulle part ailleurs.

— C'est pourtant le seul indice que nous possédions pour trouver l'emplacement de la mission Santa Catarina.

Jack roula une cigarette et passa sa langue le long de la feuille de papier. Puis il lança sa blague à son compagnon.

— Il y a trois jours que nous sommes en train de rôder dans cet enfer, et nous n'avons rien vu qui ressemble, de près ou de loin, au San Pablo. Où as-tu péché ce renseignement ?

Il alluma sa cigarette tout en observant attentivement le visage de Hunter.

— C'est le père Ignacio qui me l'a fourni.

— Mais il a été incapable de te dire où il se trouve exactement.

— Quelque part au nord de la Magdalena.

— Seigneur Dieu ! Tout ce sacré territoire de l'Arizona se trouve au nord de la Magdalena.

— Le fait est que nous ne savons pas si les ruines de Santa Catarina sont au sud ou au nord de la frontière.

Il jeta un rapide coup d'œil à Jack avant de poursuivre.

— On te recherche, dans l'Arizona ?

— Pas plus que toi. Mais qu'est-ce qui te fait croire qu'il existe encore des ruines de Santa Catarina ?

— On prétend que les murs avaient trois pieds d'épaisseur. À l'ouest de la chapelle, se trouvait un patio entouré de galeries et de nombreuses pièces : boutiques, salles de classe pour les Indiens, greniers et réserves, cellules des pères et chambres pour les gens de passage. Tu n'as jamais vu la mission de Tumacacori, le long du Santa Cruz ?

— De loin seulement.

— D'accord. Je suppose que tu devais filer à fond de train en direction de la frontière, à ce moment-là. Quoi qu'il en soit, les bâtiments sont construits sur une solide assise de rochers enfoncés de six pieds dans le sol, les murs ont cinq pieds et demi d'épaisseur à la base et trois et demi au sommet, exactement comme ceux de San Miguel.

— Et alors ?

— Tu connais l'âge de San Miguel, et tu peux aisément calculer celui de Tumacacori, qui a été abandonné par les pères il y a plus de quarante ans. San Miguel, de son côté, est resté inoccupé pendant à peu près le même laps de temps, et il donne tout de même l'impression de pouvoir encore durer quelques centaines d'années.

— Où veux-tu en venir ?

Lee se pencha un peu et tapota le genou de Jack.

— Autrefois, les pères construisaient leurs bâtiments pour durer. Santa Catarina était moins importante que les deux autres, mais elle était évidemment bâtie avec le même soin. Tu commences à saisir ?

Jack fit un signe de tête affirmatif.

— Tu veux dire que les bâtiments n'ont pu s'écraser avec la même facilité qu'une hutte et être emportés par les pluies. Je comprends parfaitement. Il faut donc que nous découvrions les ruines de Santa Catarina quelque part à proximité de la frontière. Mais peut-être se trouvent-elles dans quelque cañon solitaire et oublié.

— Non. Les pères choisissaient, pour construire leurs missions, un emplacement où ils avaient de l'eau et du bois, de préférence à proximité de tribus indiennes paisibles et susceptibles d'être converties.

— Tu as raison. Mais où diable nous faut-il chercher ?

Lee se mit à replier sa carte.

— Pour le moment, le plus urgent est de trouver de l'eau.

— Il y a une source à environ trois milles au nord-est.

— À Parada ? dit Lee en se levant. Il y a aussi une auberge, si je ne me trompe.

— Tu devrais le savoir, répondit Jack en se dirigeant vers les chevaux. Tu connais bien le vieux Policarpo Maravillas !

— Qui ne le connaît ? C'est le plus fieffé menteur et le plus bel ivrogne de tout le Sonora.

Jack sauta en selle.

— C'est vrai, répondit-il. Mais ce vieux filou dit parfois la vérité ; seulement, dans ces cas-là, personne ne le croit.

Lee roula une autre cigarette tout en s'approchant de son cheval.

— Tu crois que Policarpo pourrait savoir où se trouve le San Pablo ?

— Ce n'est pas impossible.

— Hum ! Seulement, il ne faut pas que les gens du coin se doutent que nous cherchons quelque chose d'important. Tu sais qu'en grattant la peau de n'importe lequel de ces paisanos11 tu trouves un bandit.

— Tu pourrais acheter l'âme de Policarpo pour une caisse de baconora12, c'est vrai, reconnut Jack. Si toutefois il a une âme.

Lee sauta en selle et leva les yeux vers les collines sombres qui, peut-être, abritaient le secret de Santa Catarina.

— Et sa petite-fille ? demanda-t-il. La vendrait-il aussi pour une caisse d'eau-de-vie ?

— Rosa ? dit Jack en riant. Elle vaut plus que ça, amigo.

Il faisait nuit depuis longtemps lorsque les premières lumières de Parada apparurent dans les ténèbres. Les deux cavaliers activèrent leur allure. Lee tira sa carabine du fourreau et se mit à la charger.

— Si tu veux entrer à Parada sans un fusil à la main, dit-il, tu peux passer devant. Mais n'attends pas que je te couvre, parce que j'en aurai assez de veiller sur ma propre sécurité.

Jack Priest se saisit également de sa carabine, et les deux hommes se dirigèrent vers l'unique rue de la localité. Mais elle était absolument déserte, à cette heure du soir. Cependant, devant une des maisons, quatre chevaux étaient attachés à la barrière.

— Nous voici arrivés chez Maravillas, dit Jack.

— Oui. Et il semble qu'il ait des clients, ce soir.

— Ou des gars qui sont en affaire avec lui, répondit Jack en arrêtant son cheval.

Lee parcourut la rue du regard.

— Cet endroit ne me plaît pas beaucoup, grogna-t-il.

— Nous pouvons faire demi-tour, si tu veux.

— Je ne pense pas qu'ils s'attaquent à deux gringos bien armés, encore moins à deux individus d'aussi mauvaise mine.

— Parle pour toi.

— Alors, on y va ?

— Pourquoi pas ?

Ils avancèrent jusqu'à la barrière et mirent pied à terre. Parada passait depuis longtemps pour un repaire de chacals. Il n'y avait pas beaucoup de police dans la région nord du Sonora, mais à Parada il n'y en avait pas du tout. Lee attacha son cheval, tout en regardant Jack du coin de l'œil. Il avait toujours joué au loup solitaire et avait confiance en lui et en son revolver. Aussi n'éprouvait-il aucune inquiétude à pénétrer chez Maravillas avec Jack Priest à ses côtés. Les voyous qui infestaient des endroits comme Parada réfléchiraient à deux fois avant de s'en prendre à deux Yankees décidés. Le seul point qui le tracassait un peu, c'était que Priest avait l'air de connaître un peu trop bien Policarpo Maravillas.

Plus d'une fois, depuis qu'ils avaient quitté San Miguel, Jack avait paru éprouver quelques doutes au sujet de la somme de renseignements que possédait son compagnon. Apparemment, il avait accepté tout ce que Lee avait bien voulu lui raconter, en particulier quand ce dernier avait déclaré tenir ses renseignements du père Ignacio, mais il n'était pas du tout certain qu'il fût dupe.

Lee était toujours en possession de l'Histoire des Missions du père Guiterrez, ainsi que du document qui parlait de la Vierge de San Miguel, mais Jack paraissait l'ignorer. Pourtant, si on supposait qu'il était au courant et avait délibérément entraîné Hunter chez Policarpo Maravillas avec qui il se serait mis d'accord pour entrer en possession de ces documents ? Ces quatre chevaux attachés devant la porte intriguaient Lee. C'étaient de bonnes montures, pourvues d'excellentes selles, et qui venaient certainement d'arriver après avoir été menées bon train, car elles étaient encore couvertes d'écume. On pouvait se demander si leurs propriétaires n'étaient pas des complices de Policarpo, qui connaissait tous les gredins de la région et dont l'auberge était un refuge – payant, bien entendu – pour tous les hors-la-loi qui hantaient les abords de la frontière. Si Jack s'était ligué avec eux, Lee ne quitterait jamais Parada vivant.

— Alors, tu n'as tout de même pas l'intention de rester planté là toute la nuit ?

Il sursauta et hocha la tête.

— Et les carabines ? dit-il. Je n'aime pas beaucoup entrer là-dedans avec une Winchester à la main. Ce n'est pas très correct.

Jack haussa les épaules et, sans mot dire, glissa son arme dans son fourreau.

— Eh bien, allons-y ! reprit Lee.

Ayant, lui aussi, rangé son arme, il se dirigea vers la lourde porte cloutée. Dès qu'il l'eut poussée, il se trouva dans l'atmosphère âcre et enfumée de la pièce où flottait aussi, cependant, une succulente odeur de cuisine. Il jeta un coup d'œil rapide autour de lui et s'avança vers le bar. Deux hommes étaient installés à l'extrémité, penchés sur deux assiettes creuses et engloutissaient leur nourriture aussi rapidement que leurs cuillères pouvaient l'écoper, s'interrompant à peine de temps à autre pour mordre goulûment dans la tortilla qu'ils tenaient de l'autre main. Un troisième était assis dans un angle, près du poêle. Celui-là n'avait pas touché à son assiette placée devant lui, et il était vautré sur la table graisseuse, ses cheveux baignant dans l'alcool répandu. Un de ses bras pendait, et sa main étreignait encore son verre vide.

Une jeune femme était debout derrière le comptoir. Elle rejeta en arrière son abondante chevelure brune et regarda le nouveau venu.

— Bonsoir, señor, dit-elle d'une voix un peu rauque.

— Bonsoir, Rosa ! Ça fait un bout de temps qu'on ne s'était pas vus, hein ?

— Señor Hunter ! s'écria-t-elle. Vous avez changé.

— Eh oui ! C'est la vie.

La jeune femme tourna alors la tête, et ses yeux s'agrandirent d'étonnement.

— Jack ! dit-elle.

Le jeune homme se pencha au-dessus du bar, et son regard glissa du joli visage un peu effronté de Rosa jusqu'à son corsage aussi bien garni que généreusement décolleté sous lequel sa poitrine arrogante était libre de toute entrave.

— Tu as maigri, Rosa ? demanda-t-il en hochant la tête.

Elle fit un pas en arrière et balança un peu ses belles hanches rondes.

— J'ai maigri ? s'écria-t-elle. Moi, Rosa Maravillas ?

— Je croyais que tu t'appelais Rosa Campos, intervint Lee.

Elle fit le geste de cracher de côté.

— Lui ? Il est en enfer !

— Qui est-ce qui l'a eu ? Ses copains, les soldats ou les Rurales ?

Un silence soudain s'était fait dans la salle. À l'extrémité du bar, les deux hommes s'étaient arrêtés de manger et considéraient les deux gringos d'un regard dépourvu d'aménité. Lee Hunter les fixa à son tour jusqu'au moment où ils détournèrent les yeux. Ils repoussèrent leurs assiettes, remplirent leurs verres et allumèrent chacun une cigarette.

— Il s'est cassé le cou, répondit Rosa d'un ton très calme en posant sur le comptoir une bouteille et deux verres.

Elle cligna de l'œil en direction de Lee et ajouta :

— C'est de la baconora. Vous voyez que je n'ai pas oublié vos goûts.

— Le cheval ou la corde ? demanda Jack en remplissant son verre.

— Que diable veux-tu dire ?

Le jeune homme ébaucha un sourire.

— Tu as dit qu'il s'était cassé le cou. Alors, je te demande s'il est tombé de cheval ou si on lui a passé une ficelle autour du cou.

— Une fiole de tequila ! dit un des Mexicains.

— Tout de suite, Ramón.

Rosa longea le bar de sa démarche onduleuse pour aller poser une autre bouteille devant le client, qui se pencha pour lui murmurer quelques mots. Elle ne répondit que par un petit signe de tête négatif et rejoignit les deux gringos.

— Le patron est là ? demanda Lee après avoir avalé son verre d'eau-de-vie.

— Oui, mais il est occupé.

— Jamais trop occupé pour recevoir Jack Priest, intervint Jack.

Les deux inconnus posèrent sur lui un regard dur.

— Allons, Rosa, sois gentille, et va dire à ton grand-père que nous avons besoin de le voir.

La jeune femme fit demi-tour et disparut par une petite porte derrière le bar. Jack remplit à nouveau les verres.

— Je ne tiens pas à m'attarder trop longtemps, murmura-t-il à l'oreille de Lee, car ces deux lascars ne me disent rien qui vaille, et comme le vieux Policarpo est un ami, je ne veux pas faire du grabuge chez lui.

Rosa reparut dans l'encadrement de la porte et leur fit un petit signe de tête. Lee contourna le bar en passant devant les deux Mexicains. Jack le suivit, poussa doucement la jeune femme devant lui jusque dans le corridor et referma la porte d'un coup de pied.

— Je te suis, amigo, dit-il en s'adressant à Lee.

La fille se mit à glousser, tandis que Jack l'enlaçait et la pressait contre lui.

— La dernière porte au fond, señor Hunter, dit-elle.

Lee frappa légèrement et entendit aussitôt une voix familière qui l'invitait à entrer. Dès qu'il eut ouvert la porte, il crut suffoquer en affrontant l'atmosphère surchauffée et enfumée de la pièce. Policarpo Maravillas était assis à une table, à proximité du poêle, et un homme aux épaules lourdes était en face de lui, à califourchon sur une chaise. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et fixa sur Lee le regard pénétrant de son œil unique.

— Où est Jack ? demanda Policarpo.

Lee fit un signe en direction de la porte.

— Il est en train de passer un petit moment agréable avec Rosa dans le corridor.

Policarpo éclata de rire.

— Ah ! Ce sacré Jack ! s'écria-t-il. Toujours le même.

Le borgne se leva.

— Je vais manger un morceau, annonça-t-il d'une voix pâteuse.

— C'est parfait, Candido. Le casse-croûte est pour moi, mais tu paies la boisson.

L'homme quitta la pièce, laissant flotter derrière lui une odeur âcre de sueur.

— Assieds-toi, dit Policarpo. Il y a un certain temps qu'on ne t'avait pas vu dans les parages.

Lee prit place sur une chaise et regarda son hôte. Il l'avait rencontré maintes fois, mais la majesté de ce visage ne manquait jamais d'exercer sur lui une sorte de fascination, avec son front haut, ses sourcils bien dessinés, sa grande moustache et surtout ses yeux étrangement vifs et brillants.

Le Mexicain lui tendit une boîte de cigares.

— De quel côté te diriges-tu en ce moment ? demanda-t-il. Vers le nord, ou vers le sud ? As-tu livré ces fusils aux Opatas ?

Lee secoua la tête. Il était inutile de mentir à Maravillas. Il choisit un cigare et l'alluma, pendant que son hôte remplissait les verres.

— Tu dois savoir que Morelos m'a coincé, dit-il.

— Oui, et j'avais bien peur de ne jamais te revoir.

— J'ai payé, en quelque sorte, ma sortie de prison.

Policarpo avala d'un trait l'eau-de-vie qu'il venait de verser dans son verre, et il le remplit à nouveau sans perdre une seconde.

— Ah oui ? dit-il. Mais tu voyages en étrange compagnie, amigo.

— Jusqu'à la frontière seulement.

Les grands yeux sombres du Mexicain se rivèrent aux siens.

— Avec Jack Priest ? On prétend qu'il te suivait, quand tu te dirigeais vers San Miguel, il n'y a pas si longtemps.

Il haussa les épaules et ajouta :

— Mais c'est ton affaire, après tout.

Lee but une gorgée d'eau-de-vie sans répondre. On entendit dans le corridor le rire nerveux de Rosa, puis un bruit de pas, et la porte s'ouvrit devant Jack Priest.

— Bonjour, amigo, dit-il. Comment vas-tu ?

Policarpo sourit.

— Salut, Jack. Ça fait plaisir de te revoir. En tout cas, c'est ce qu'a l'air de penser Rosa, hein ?

Jack prit place devant la table, se remplit un verre et puisa sans façon dans la boîte de cigares.

— Qui sont les deux types qui sont au bar ? demanda-t-il.

— Des gars avec qui je traite des affaires, répondit Policarpo avec un haussement d'épaules.

— De quel côté se dirigent-ils ?

— Vers le nord, je crois.

Jack se renversa un peu contre le dossier de sa chaise et tira une longue bouffée du cigare qu'il venait d'allumer.

— On peut parler ? demanda-t-il ensuite.

— Pourquoi pas ?

— Nous avons besoin de renseignements.

— À votre service, amigos.

Jack dévisagea un instant le Mexicain avant de poursuivre.

— Où se trouve le San Pablo ?

— À l'est d'ici, répondit Maravillas en vidant à nouveau son verre.

— À quelle distance ?

— Environ soixante-dix milles.

— Ce n'est pas de celui-là que je veux parler.

Policarpo le regarda d'un air intrigué, tout en remplissant son verre.

— Il est vrai qu'il y a plusieurs cours d'eau qui portent ce nom. Quel est celui que tu cherches ?

Le silence tomba dans la pièce. Policarpo leva son verre, renversa la tête en arrière et engloutit l'eau-de-vie d'un seul trait. Puis le goulot de la bouteille tinta légèrement contre le rebord du verre qu'il remplissait une fois de plus.

— Tu ne m'as pas répondu, dit-il d'une voix calme.

Lee se pencha un peu en avant et ôta son cigare de la bouche.

— Policarpo, dit-il, nous te considérons comme un ami.

— C'est bien ainsi que je l'entends.

— Tout ceci doit donc rester entre nous.

— C'est promis. Rien de ce que vous me direz ne sortira de cette pièce. Mes lèvres sont scellées.

— Si elles ne l'étaient pas, dit doucement Lee, et si quelque chose venait à transpirer par ta faute, nous prendrions des mesures pour que ce soit ta dernière indiscrétion.

Policarpo observa les yeux froids de l'homme qui lui faisait face, puis se tourna vers le visage de Priest et, en dépit de la chaleur intense qui régnait dans la pièce, il sentit un frisson lui parcourir le dos.

— Il n'est pas nécessaire de menacer, amigos. Vous pouvez faire confiance au vieux Policarpo. Buvons à notre bonne entente.

Jack remplit le verre de Lee, puis le sien, et les trois hommes restèrent un instant silencieux.

— Quel est donc ce San Pablo dont vous voulez parler ? répéta Policarpo au bout d'une minute.

— Nous sommes à la recherche des ruines de la mission Santa Catarina, répondit Lee d'un air détaché.

— Je ne connais rien de tel.

— Cet endroit existait pourtant, autrefois.

— Ce n'est qu'une légende.

— Les légendes ont toujours un fonds de vérité.

— En admettant même que cette mission ait existé, qu'y trouverez-vous ? Rien qu'un tas de pierres. Et il n'est pas bon de visiter des lieux comme celui-là. Certains sont maudits, et tous sont hantés.

— Ce ne sont pas les ruines qui nous intéressent, mais quelque chose qui pourrait bien s'y trouver encore.

Policarpo porta son verre à ses lèvres.

— Quel est donc cet objet mystérieux ? demanda-t-il.

— La Vierge de San Miguel de los Vallecillos.

Les yeux du Mexicain s'agrandirent d'une intense surprise, et il laissa échapper son verre qui vint se briser contre le rebord du foyer.

— Madre de Dios ! s'écria-t-il. Avez-vous donc perdu la raison ?

Il dévisagea tour à tour ses deux interlocuteurs et se rendit compte qu'ils parlaient sérieusement. Il se leva alors et se dirigea vers la porte en titubant légèrement. Il colla un instant l'oreille contre le panneau, puis l'entrebâilla doucement pour jeter un coup d'œil dans le corridor sombre. Ayant refermé, il revint s'asseoir et s'empara de la bouteille tandis que Jack poussait vers lui un autre verre.

— Pourquoi voulez-vous retrouver cette Vierge ? demanda-t-il.

— Ça, c'est notre affaire, répondit Jack.

— Et vous croyez qu'elle existe encore ? Qui donc vous a lancés dans cette folle équipée ?

— L'Église, dit Lee.

Policarpo ferma les yeux et hocha la tête.

— Laissez tomber cela, amigos, dit-il d'une voix calme. Pour l'amour de Dieu, abandonnez ce projet.

— Dis-nous ce que tu sais, répondit simplement Hunter.

Le vieux Mexicain ouvrit les yeux, et un air de triste résignation envahit son visage.

— Ce sera comme vous voudrez. Mais si vous persistez à accomplir cette folie, que Dieu vous vienne en aide, parce que ceux qui possèdent cette Vierge, eux, n'auront pour vous aucune pitié.