CHAPITRE IV

La période qui suivit, jamais Hunter ne put se la rappeler parfaitement, incapable qu'il était de séparer le rêve de la réalité. Quand il ouvrit les yeux, épuisé par la fièvre, il se trouvait dans une chambre au plafond bas et aux murs blanchis à la chaux dans lesquels étaient creusées des niches abritant des statues de saints. Un Christ d'ivoire était accroché à l'une des parois et, au-dessous, brûlait un cierge dans son support rouge. Une lampe à pétrole posée sur une petite table, éclairait faiblement la pièce.

Le jeune homme tenta vainement de s'asseoir.

— Ne bougez pas, dit une voix calme près de lui.

Il tourna la tête. Dans un coin d'ombre, assise sur une chaise, il aperçut la silhouette immobile de sœur Teresa. Elle se leva, s'approcha du lit et posa sa main fraîche sur le front du malade.

— La fièvre est tombée, reprit-elle doucement. Vous me reconnaissez, señor Hunter ?

— Oui, sœur Teresa.

Et sa voix lui parut étonnamment faible.

— Il y aura demain sept jours que vous êtes ici.

— Donc, grâce à vous, ma vie aura été prolongée d'une semaine.

— Vous êtes toujours prisonnier, mais non pas des soldats, quoique le sergent vienne de temps à autre prendre de vos nouvelles.

— Très aimable à lui, répondit Lee en esquissant une grimace.

— Vous êtes seulement prisonnier de la maladie. Et quand vous serez guéri, vous serez libre si vous donnez au père Ignacio votre parole d'agir selon ses instructions.

La mémoire revint soudain à Lee.

— Je crois avoir dit que je refusais.

La sœur sourit légèrement.

— Vous avez même dit au bon père d'aller lui-même à la recherche de ses idoles.

— Je suis un homme dur, ma sœur. Ma maladie a-t-elle été grave ?

— Oui. Et nous avons craint, un instant, de ne pouvoir vous sauver.

— Est-ce vous qui m'avez soigné ?

— Les autres religieuses et moi, à tour de rôle. Mais maintenant, vous êtes hors de danger, grâce à Dieu et à la Vierge de San Miguel.

— Je veux bien croire que Dieu est dans son paradis, ma sœur, mais je ne puis arriver à comprendre comment vous pouvez prier une statue qui n'existe peut-être même pas.

— Cette statue n'est qu'une représentation de la Sainte Vierge dont on affirme que son esprit n'a jamais quitté notre mission.

La religieuse alla monter un peu la mèche de la lampe et vint ensuite s'asseoir près du lit.

— L'Église souhaiterait que la mission de San Miguel soit restaurée, mais les superstitions des Indiens et même d'autres habitants de la région nous empêcheront toujours de retrouver notre importance d'autrefois tant que cette Vierge ne nous aura pas été restituée.

— Il est étrange que vous placiez votre confiance en un homme comme moi.

— Le Seigneur prend parfois des chemins détournés.

Lee n'avait, bien entendu, aucune réponse à opposer à un tel argument.

— Vous êtes notre premier malade depuis que nous sommes revenus à San Miguel, dit-elle en souriant. C'est un bon présage, señor. Votre ami va être content.

— Mon ami ? répéta Lee d'un air surpris.

— Mr Priest.

— Comment a-t-il pu échapper au peloton ?

Lee avait eu l'intention d'innocenter Priest à la dernière minute, et il n'avait pas eu la possibilité de le faire. Mais son compagnon avait tout de même trouvé le moyen d'obtenir un sursis de quelques jours.

— Il a appris, répondit sœur Teresa, pourquoi on vous avait conduit jusqu'ici, et il a déclaré au capitaine Morelos que lui aussi connaissait la légende de la Vierge disparue, ajoutant que vous étiez associés et que, par conséquent, il était naturel que l'amnistie qui vous était promise lui fût également accordée.

— Il a dit que nous étions associés ! ricana Lee.

La sœur hocha doucement la tête.

— Vous êtes un homme étrange, señor Hunter, dit-elle. Je me demande si vous nous montrez votre moi véritable ou bien si vous traversez la vie en jouant la comédie, cherchant ce que vous ne pouvez trouver et ce en quoi vous ne croyez pas.

— Je vous suis infiniment reconnaissant de m'avoir sauvé la vie, ma sœur ; mais n'essayez pas de me convertir. Les miracles s'adressent aux simples d'esprit.

— Tels que moi.

— Je ne voulais pas vous offenser ! répondit vivement le jeune homme.

— Je le sais, dit-elle en se levant.

Elle se dirigea vers la porte et s'arrêta un instant sur le seuil avant de sortir.

— J'aime la vie que je mène, señor Hunter, si humble soit-elle. Ma foi me donne la paix du cœur, et je n'envie pas votre croyance en la seule force physique, parce qu'un jour vous perdrez cette force-là.

La porte se referma sur elle. Le jeune homme leva les yeux vers le Christ, et il lui sembla que son visage se tordait de douleur sur la croix. Ce lieu commençait à exercer son emprise sur lui. Il porta ses regards vers les niches des saints, et cela ramena sa pensée à la Vierge de San Miguel. Un détail enfoui dans son esprit lui revenait en mémoire. Cette statue était depuis longtemps un objet de vénération pour les fidèles qui lui faisaient, disait-on, des dons généreux. Mais qui donc avait reçu le montant de ces offrandes ? Elles n'étaient pas allées à l'Église, et c'était peut-être pour cela que le père Ignacio était tellement désireux de la récupérer. Il avait dit qu'elle était pour l'Église un trésor, mais peut-être ne voulait-il pas parler de sa valeur intrinsèque.

— Je me demande si c'est bien cela, murmura le jeune homme.

Pourquoi, après tant d'années, l'Église souhaitait-elle rentrer en possession de cette statue, et pourquoi envoyer à sa recherche un homme tel que lui ? Il y avait là quelque chose d'étrange.

La porte s'ouvrit à ce moment-là devant le père Ignacio.

— Sœur Teresa m'a dit que la fièvre était tombée, commença-t-il.

— Oui. Et je vous remercie de ce que vous avez fait pour moi, Padre.

Le religieux esquissa un geste vague de la main.

— Ce n'est rien, mon fils.

— Vous auriez pu me faire ramener en prison par les soldats, et ils n'auraient eu aucun scrupule à m'appuyer contre le mur et à me passer par les armes sans tenir compte de mon état. Pourquoi m'avez-vous donné une semaine de vie supplémentaire ?

— Vous devez vous rappeler que je vous ai demandé si vous accepteriez de vous mettre à la recherche de la Vierge disparue.

— Oui.

— Vous avez refusé.

— Je me rappelle aussi cela. C'est même la dernière chose dont je me souvienne.

— N'avez-vous pas changé d'avis ?

— Vous m'avez sauvé la vie, Padre, et j'ai une dette envers vous. Désirez-vous toujours que j'entreprenne ces recherches ?

— Bien sûr. Quoique, à franchement parler, je me demande si vous réussirez. Les adeptes du « Culte » gardent leur secret depuis des années et ne restitueront pas volontiers cette statue. Mais vous devez comprendre que, si vous vous mettez en campagne, il ne devra y avoir ni combats ni meurtres.

— Je le conçois. Mais peut-être les adeptes du « Culte » ne seront-ils pas du même avis.

Cette remarque parut horrifier le père.

— Ce sont des gens pieux, bien qu'égarés dans leur jugement. Vous ne croyez tout de même pas qu'ils iraient jusqu'à tuer pour préserver leur secret ?

— Ils l'ont déjà fait, et ils le feront encore s'ils le jugent nécessaire.

Le père, qui s'était mis à arpenter la chambre, s'arrêta devant le crucifix.

— Que désirez-vous, en retour, si vous nous rapportez la statue disparue ? demanda-t-il sans tourner la tête.

— Vous m'avez offert la grâce du gouverneur.

— Cela vous paraît-il suffisant ? reprit le religieux en se retournant.

— Supposez que j'échoue ?

— Si vous tentez honnêtement de mener cette tâche à bien, la promesse qui vous a été faite sera tenue, même en cas d'échec.

— J'ai du mal à le croire. Qui m'empêcherait de traverser la frontière et de ne jamais revenir au Mexique ?

— Vous-même, dit le père d'une voix grave.

Le jeune homme le fixa un instant droit dans les yeux.

— Vous semblez avoir une grande confiance en moi.

— Pourquoi pas ? Ce n'est certainement pas sans quelque raison que les Opatas vous ont accordé la leur.

— C'est assez insolite, vis-à-vis d'un homme qui, lui, n'a confiance en rien ni en personne, excepté en lui-même et en son revolver.

— Il y a en vous beaucoup d'amertume, mon fils. L'Église est disposée à verser cinq cents dollars en or pour rentrer en possession de cette statue.

Lee Hunter ne répondit pas.

— Disons donc mille dollars, reprit le père.

Le jeune homme leva les yeux.

— Marché conclu, dit-il.

— Il y aura cinq cents dollars pour vous, et autant pour votre camarade.

— La grâce qui lui sera accordée devrait lui suffire, Padre.

— À vous de juger, mon fils, répondit le religieux avec un haussement d'épaules. Je vais vous faire rendre vos armes.

— Il me faudra aussi un cheval.

— Nous y pourvoirons également.

— Que diriez-vous aussi d'un ou deux gardes qui veilleraient à ce que nous nous mettions réellement à la recherche de votre précieuse statue ?

— Vous avez votre conscience, mon fils, reprit le religieux en se dirigeant vers la porte.

Quand il eut quitté la chambre, Lee rejeta ses couvertures et posa le pied sur le dallage froid. Il se leva en chancelant un peu et s'exerça à faire quelques pas pour éprouver ses forces. Ses vêtements, soigneusement lavés et repassés, se trouvaient sur la commode, et ses bottes elles-mêmes avaient été nettoyées. Mais il sentait qu'il lui faudrait encore deux ou trois jours pour retrouver intégralement ses forces.

Cependant, avant de partir à la recherche de la statue, il avait une autre tâche à accomplir. La mission de San Miguel avait autrefois connu des jours pénibles et, pendant des années, les bâtiments étaient restés inoccupés et ouverts à tous les vents. Les vagabonds et les voyageurs s'y arrêtaient souvent pour y chercher abri, et Lee lui-même y avait fait halte plusieurs fois pour se cacher lorsqu'il était poursuivi. C'est ainsi qu'il avait découvert bien des choses : pièces retirées et difficiles d'accès, couloirs secrets qui permettaient aux religieux et aux religieuses de s'enfuir lors des raids indiens. Et un détail important lui revenait à présent à la mémoire.