CHAPITRE XV

Lee Hunter acheva de tendre les couvertures à l'entrée de la caverne que le hasard lui avait fait découvrir et où il venait de se réfugier pour la nuit. Il appuya sa carabine contre la paroi, but le peu de café qui restait dans sa gourde et se mit ensuite à défaire la vieille tapisserie qui enveloppait la Vierge. Il posa la lourde statue sur une pierre et dégagea sa robe de soie. Il devait nécessairement y avoir une ouverture par laquelle on avait introduit l'or à l'intérieur, et il lui fallait absolument la découvrir avant de regagner San Miguel. En examinant attentivement la statue, il aperçut, autour du cou, une ligne presque imperceptible, mais il essaya vainement de faire tourner la tête. Il approcha un peu la bougie qui l'éclairait et sentit sous ses doigts une légère excroissance. Écartant délicatement les cheveux, il découvrit une petite vis. Il prit dans sa sacoche le tournevis qui lui servait à démonter son revolver et, quelques instants plus tard, la tête de la statue basculait. Il la rattrapa de justesse avant qu'elle ne fût tombée au sol.

Il essuya la sueur qui perlait à son front, puis enfonça deux doigts dans l'ouverture. Il en retira d'abord un chiffon qu'il étendit sur le sol, puis renversa la statue. Il s'en échappa une pluie de pépites et de poudre d'or. Et le petit tas grossissait peu à peu sous les yeux émerveillés du jeune homme.

— Seigneur Dieu ! murmura-t-il. Enfin, je suis riche !

Il alla prendre la bouteille d'eau-de-vie et en but une longue rasade, tout en fixant la fortune qui se trouvait à ses pieds. Quand il aurait rapporté la statue à San Miguel, il serait à peu près en sécurité, et il n'éprouvait aucun remords de ce qu'il avait fait à Jack Priest. L'homme avait tué Morano de sang-froid et, si les lois du Mexique n'avaient pas changé, il n'y avait guère de chances de le voir reparaître pour lui demander des comptes.

Lee souffla la bougie, prit sa carabine et se glissa en rampant à l'extérieur de la caverne. Avec mille précautions, il parvint jusqu'à une sorte de promontoire qui lui permettait de découvrir la campagne environnante. Dans le ciel, planait un vautour solitaire et, en bas, apparaissait un léger nuage de poussière. Il tira ses jumelles de leur étui et les porta à ses yeux. Il ne pouvait distinguer les traits du cavalier, mais il reconnaissait parfaitement le cheval. Et c'était celui de Jack Priest ! Il observa encore le visage de l'homme et y distingua une tache blanche qui devait être un pansement. Ce saligaud avait le crâne aussi dur que du granit, et il avait repris connaissance avant d'avoir été découvert. Il poursuivait maintenant sa route le long des crêtes, sa carabine en travers de sa selle. Dans deux minutes, il serait à portée de fusil. Lee avança la main vers sa winchester, puis s'arrêta. Deux raisons lui interdisaient de tirer. D'une part, le bruit de la détonation serait entendu à une longue distance et, d'autre part, si les habitants de Los Santos qui s'étaient certainement lancés à la poursuite de Priest découvraient son cadavre, ils comprendraient que l'autre gringo se trouvait encore dans les parages.

Le cavalier disparut. Une heure s'écoula. Puis, à nouveau, un nuage de poussière s'éleva dans le lointain et, cette fois, apparurent deux cavaliers coiffés de grands chapeaux mexicains. Ils s'arrêtèrent sur la crête et l'un d'eux mit pied à terre pour examiner le sol. Ils étaient, de toute évidence, à la poursuite de Priest. Au bout d'une quinzaine de minutes, surgit un autre groupe de cavaliers. Ils étaient au moins vingt, et Lee put distinguer le visage de Plutarco Calvillo, derrière qui venait Casias. Quand ils eurent disparu, Lee alla faire boire son cheval avant de regagner l'abri de la grotte.

*
*  *

Étendu maintenant dans l'obscurité, les yeux grands ouverts, il songeait. Une fois qu'il aurait ramené la statue à la mission de San Miguel, il lui faudrait filer sans perdre un instant vers la frontière des États-Unis, car les adeptes du Culte de la Vierge, appuyés par les Morano, auraient tôt fait d'apprendre où se trouvait la statue. Les Morano ! Il se dressa sur son séant. Il n'y avait plus désormais que Luz Morano. Et… si la jeune fille allait croire qu'il était complice de la mort de son frère ?

Cette pensée l'obsédait et, si fatigué qu'il fût, il ne pouvait trouver le sommeil. Il alluma la bougie, passa sa main sur son front las, puis allongea la main vers le flacon d'eau-de-vie. Mais l'alcool ne semblait produire aucun effet sur lui. À la longue, cependant, ses yeux se fermèrent, et il sombra dans un sommeil agité. La bougie s'éteignit, plongeant la caverne dans une obscurité totale. Lee se retourna. Le visage de Luz Morano venait d'apparaître soudain dans son cerveau enfiévré, et les grands yeux bleus de la ravissante jeune fille le fixaient avec une lueur de chagrin. On eût dit qu'elle savait depuis le début pourquoi Lee Hunter était venu à Los Santos. Et il entendait résonner à son oreille les dernières paroles qu'elle lui avait murmurées : « Au nom du Ciel, ne commettez pas de folies ! »

Il ouvrit soudain les yeux. Il avait froid, et la lueur grisâtre de l'aube filtrait déjà entre les couvertures qu'il avait tendues à l'entrée de la grotte. Il avait donc dormi plusieurs heures. Il se leva et s'avança vers la statue aux pieds de laquelle étincelaient les pépites d'or. Il enveloppa soigneusement son trésor dans un morceau de toile, le ligatura avec une lanière de cuir et alla cacher le ballot au fond de la caverne. Puis il remplit la statue de pierres et de terre pour lui redonner sensiblement le poids qui était le sien quand elle contenait l'or. Il replaça le chiffon et revissa la tête. Puis il resta un instant pensif, en contemplation devant la Vierge de San Miguel.