II

UN CADAVRE À L’HÔTEL

« Le sage réfléchit et suspend son jugement. »

D’Arconville

La difficile mission de Dangeville fut préparée avec le dernier soin. Les conférences se succédèrent chez Le Noir au cours desquelles Sartine souvent surgissait. Il apparut rapidement qu’en dehors d’une visite à Versailles le couple russe serait accueilli à la résidence du prince Bariatinski, ministre de Catherine II à Paris, où un appartement lui serait préparé. La vieille machine policière se mit en marche. Dans le bureau de permanence s’accumulèrent bientôt les plans de l’hôtel de la rue de Grammont, proche de l’hôtel de police. À la description la plus large s’ajouta la plus resserrée. Chaque pièce, chaque détour, chaque réduit, chaque issue, les portes, les fenêtres, les caves, furent inventoriés. Des empreintes à la cire des clés furent recueillies par les domestiques, la plupart des mouches ou des informateurs. Nicolas prit conscience que le projet impliquait une organisation dont il n’avait jusque-là pas soupçonné l’ampleur.

Relayant l’action initiée par Sartine à la marine, que ce dernier suivait toujours dans une ombre propice, Vergennes avait complété le tableau de concert avec ses collègues concernés par la guerre. Cette agence dirigée par un ancien militaire avait ses propres règles. Nicolas se soucia aussitôt de cette situation féconde en difficultés. Il s’effraya de l’agitation ainsi déclenchée, convaincu qu’un secret, déjà malaisé à préserver lorsqu’il n’était détenu que par quelques-uns, s’avérait menacé dès que le grand nombre s’en mêlait. On s’agitait et on exigeait beaucoup en vue d’une action mystérieuse que chacun aurait voulu traverser. Cependant il fallait en passer par là et s’en remettre à la chance, situation que le commissaire n’appréciait guère.

Il tenta bien de centraliser ces efforts divergents. Il constata que chaque service mobilisé avait tendance à marcher sur les brisées des autres. Les rivalités alimentées par des animosités personnelles exaspéraient les inévitables conflits. Vergennes, qui disposait du service créé par Sartine, tentait d’unifier sans succès les missions des uns et des autres. Le grand nombre d’agents subalternes qu’on fut contraint d’employer compliquait aussi la préparation d’un plan délicat. Certains abusaient de leur position, ne respectant rien, obligeant ceux qui les employaient à dépenser des trésors d’énergie en vue de les contrôler, au détriment de leurs missions.

La contemplation de ce tableau indignait Nicolas. Il constatait un désordre, fouillis d’activités parfois contradictoires qui conduisaient naturellement à des querelles d’autorité. Il aurait souhaité que lui et les siens fussent les seuls à la manœuvre. Il n’en était rien. Il ressentait avec force la contradiction existant entre la nature même de l’opération projetée et la complexité de sa préparation.

Au milieu de ce tumulte, Dangeville, serein, manifestait la meilleure volonté, faisant part sans timidité des objections qui, dictées par sa pratique, lui venaient à l’esprit. Nicolas et les siens finirent par le considérer comme l’un des leurs. Au cours d’une de leurs réunions quotidiennes, le sergent Gremillon prit soudain la parole :

— Nous nous efforçons, en perdant notre temps, de trouver les voies pour permettre à notre homme de pénétrer l’Hôtel de Lévi. Pourquoi ne pas éviter ce problème ? Effaçons-le !

— Que voulez-vous dire ? demanda Nicolas, étonné.

— Que si Dangeville était déjà dans la place, le problème serait résolu.

— Certes ! Voici une séduisante proposition ! Mais par quelle magie l’y placerez-vous ?

— Permettez-moi d’observer que vous ne lisez pas suffisamment les gazettes et les affiches et que vous oubliez de consulter les bureaux de placement.

— Fichtre, dit Bourdeau en s’esclaffant. Voilà M. Gremillon plein de loisirs ! Il faut qu’on y veille ; il n’a point suffisamment de besogne ! Et sa cervelle se donne relâche !

— Que non, monsieur l’inspecteur. Riez et écoutez. J’ai seulement constaté que l’ambassade de Russie embauche des domestiques en supplément dans la perspective de l’arrivée du comte du Nord rue de Grammont. On le comprend ce pauvre ministre, il devra faire bonne figure devant son futur souverain. J’en déduis, moi, pauvre esprit, qu’avec une bonne recommandation monsieur que voilà pourrait fort bien y être engagé, à l’Hôtel de Lévi, comme frotteur par exemple. On en demande trois. C’est un emploi qui, chacun le sait, permet de circuler partout.

Pour le coup Bourdeau, admiratif, singea une révérence devant Gremillon rouge de confusion.

— Serviteur, sergent ! Que voilà une idée délurée, mais ô combien propice à nos desseins ! La raison fait découler ses grâces sur nous.

Nicolas appréciait chaque jour davantage la présence et l’intelligence de Gremillon. Bourdeau avec ses manières bougonnes avait dès l’abord adopté le sergent, le faisant profiter de son expérience. Avec Rabouine, ils formaient désormais un quatuor dont nulle fausse note ne troublait l’harmonie.

— Quelles objections contre ce projet ? Une me vient à l’esprit ; un frotteur est par définition un domestique qui travaille le matin…

— Ou lorsque les appartements intérieurs ont été abandonnés par leurs occupants, ajouta Rabouine.

— Dans ce cas, dit Dangeville muet jusque-là, il sera le premier qu’on suspectera. Aussi ne devrais-je pas disparaître après le… la substitution.

— Et ?

— Lorsqu’un tire-laine écume les chalands, il a toujours une chaîne de complices qui se repassent la marchandise et disparaissent. Il faudra des éléments intermédiaires pour transmettre le bijou à l’hôtel de police, tandis que je resterai tranquille sur place.

— Vous risquez d’être malgré tout inquiété, reprit Nicolas. Peut-être aurions-nous avantage à choisir, si cela est possible, une activité plus générale.

— On demande laquais, valets de pied, garçons de cuisine, remonteur de pendules et valets de garde-robe.

— Ah ! fit Bourdeau, voilà une fonction qui me paraît convenir. Tâche continue tout au long de la journée. Circulation dans les chambres de la résidence. De plus, on s’écarte devant le cortège du titulaire, on se bouche le nez et on détourne la tête. Et j’ajoute que l’objet peut être dissimulé dans la matière et les liquides !

— Pouah ! dit Rabouine. Cela sera fort peu ragoûtant.

— Je pense, dit Dangeville, que M. Bourdeau a raison. Reste que la résidence de Russie doit posséder des latrines et des toilettes à l’anglaise.

— Rien n’est moins certain. Les annonces réclament trois valets de garde-robe. Il y a toujours des pots et des seaux…

Nicolas secouait la tête.

— Je préfère le frotteur. Il peut dissimuler bien des choses dans son attirail. Bien ! Le choix est fait. Nous allons intervenir auprès du bureau de placement des domestiques. Nous y avons plusieurs correspondants.

Il saisit une plume et un papier, y écrivit quelques lignes, le tendit à Rabouine qui sortit pour l’expédier par quelque vas-y-dire de service avant de revenir reprendre sa place au conseil.

— Nous aurions pu également, poursuivit Bourdeau songeur, remplacer le vrai bijou par sa réplique.

— Et la raison de ce subterfuge ?

— Procurer du temps, avant que le changement soit éventé.

— Nous n’avons guère le temps. Une commande au Petit Dunkerque13 est hors de question. Nous ne possédons pas le modèle exact de la broche, sinon un mauvais croquis qui n’est pas à l’échelle.

— Autre chose, hasarda Dangeville. Un voleur d’habitude s’attache à tout prendre qui soit de valeur. Si seule la broche disparaît, quelle que soit sa valeur, il y aura soupçon redoublé…

— Que cela dissimule autre chose, compléta Nicolas. La remarque est juste. Il faudra dérober d’autres bijoux, mais cela complique l’action et… la restitution. La broche de l’impératrice est connue et par conséquent chacun peut supposer que le voleur en était informé et appâté. Maintenons nos épures au plus simple : frotteur, et qu’il disparaisse aussitôt. Nous ferons tout pour entraver une éventuelle poursuite. Un embarras de voitures par exemple. Il faudra d’ailleurs procéder à quelques changements dans les apparences. Dangeville, nous vous mettrons dans les mains d’un de nos grimeurs les plus habiles. Il vous transformera à un point que nul ne pourra faire le lien entre le frotteur et vous.

Nicolas venait de trancher. Il sentait confusément que l’affaire était si délicate qu’il convenait d’en rester aux trames les plus élémentaires. Le diable nichant dans les détails, toute modification multiplierait les risques de faire échouer l’opération.

— Donc, poursuivons la préparation. Que Dangeville soit à ce point connaisseur de l’Hôtel de Lévi, qu’il puisse s’y diriger les yeux fermés. Qu’on songe à lui fournir les outils nécessaires pour forcer un meuble ou une cassette. Enfin des rossignols si les clés forgées à partir des empreintes ne fonctionnaient pas.

— Il demeure, Nicolas, à déterminer la date à laquelle nous procéderons. Oui, n’oublions pas que le but de la manœuvre est de te permettre d’aborder le prince et de t’insinuer au plus tôt dans ses bonnes grâces, tout reconnaissant qu’il sera de retrouver la broche de la grande-duchesse.

— Tu as raison, Pierre. Malheureusement ce choix est limité. J’en ai longtemps parlé avec Vergennes et Séqueville. Le 20 mai, le tsarévitch doit être présenté au roi à Versailles. Le retour à Paris constitue le moment propice pour me permettre de joindre mon canot à la croisière russe ! Je sais aussi que le couple impérial s’est fait marquer une loge au Théâtre français tout au long de son séjour dans notre capitale. Quand iront-ils ? Une seule certitude : le prince a déjà porté son choix sur deux pièces, Le Mercure galant et La Partie de chasse d’Henri IV, avec représentation dans l’après-dîner du lundi 27 mai. Reste qu’il y a les choses fixes et les événements inattendus… Nous sommes à la merci du moindre revirement.

La réunion prit fin sur cette constatation sceptique sous laquelle perçait l’inquiétude de Nicolas. Il demeurait au fond de lui atterré. Comment en était-il arrivé là ? Policier, il ne savait que trop ce que cette charge impliquait, et notamment des actes que l’honnête homme en lui condamnait. Il sentait bien qu’un intérêt supérieur justifiait son action tout en conduisant souvent à poursuivre le mal par des voies diverses et biaisées, pour ne pas dire scélérates. Il en éprouvait une lourdeur d’âme, un dégoût que la seule pensée du service du roi contrebalançait sans en dissiper le poignant. Il s’en voulait enfin d’entraîner dans cette aventure ses adjoints et plus particulièrement Dangeville à qui, emporté par un sentiment louable et généreux, il avait, sur son honneur, beaucoup promis.

Mercredi 22 mai 1782

Nicolas faisait le point des préparatifs. Il en était satisfait tout en appréhendant qu’un grain de sable vînt gripper un mécanisme bien huilé. Gagnant le Grand Châtelet, il se détourna jusqu’au fleuve et rêva, accoudé à un parapet. La journée était claire. Un printemps radieux succédait à un hiver très doux qui s’était aggravé fin février. La Seine, comme en 1740, année demeurée dans la mémoire comme chargée de calamités, avait été prise par les glaces. Le dégel survenu, la débâcle avait renversé l’estacade construite entre l’île Louviers et le pont de l’île Saint-Louis, entraînant force bateaux chargés de grains, bois, charbon et de toutes sortes de marchandises. Son impétuosité avait brisé deux moulins et un puisard. On craignit que les ponts fussent ébranlés au point que le prévôt, en accord avec le lieutenant général de police, avait ordonné à tous leurs habitants de déménager sur-le-champ.

Louis devait arriver dans la journée et l’hôtel de Noblecourt bruissait d’une agitation inaccoutumée. Le vieux magistrat offrait un grand souper en l’honneur du lieutenant aux carabiniers de Monsieur. Y seraient conviés le docteur Semacgus, M. de La Borde et l’amiral d’Arranet. Aimée était malheureusement de quartier chez Madame Élisabeth et Bourdeau pris par une célébration familiale. Awa et Poitevin feraient le service sous le regard vigilant de Marion. Catherine avait, le matin même, chassé Nicolas de son office à coups de torchon, soucieuse de conserver le secret du menu concocté pour le petit.

Il trouva Bourdeau soucieux tenant à la main un mot de M. Le Noir qu’il tendit au commissaire.

— Les ennuis commencent.

Nicolas lut le message à haute voix.

Pour Nicolas Le Floch ou, en son absence, pour l’inspecteur Bourdeau

Le comte de Rovski, officier aux gardes de l’impératrice de Russie, arrivé depuis peu de Pétersbourg et descendu à l’hôtel de Vauban, rue de Richelieu, a été trouvé ce matin égorgé dans sa chambre. Il était à Paris pour faire sa cour au Grand-Duc. Le constat a été fait par M. Sirebeau, commissaire de police du quartier du Louvre. Le secret ayant été gardé jusqu’à présent, il convient de vous porter au plus tôt sur place, avant que l’ambassade de Russie ne prenne connaissance de la chose.

Signé Le Noir

— Voilà qui ne va pas arranger nos affaires. Il faut agir sans désemparer.

— Au grand galop ! Fais appeler une voiture.

— C’est fait et, pour gagner du temps, Sanson et Semacgus sont en voie d’être prévenus. Je vais aussi ordonner le charroi…

— Pour Sanson, as-tu bien précisé sa nouvelle adresse au faubourg Saint-Martin, rue Neuve Saint-Nicolas, dans la partie aujourd’hui appelée Neuve Saint-Jean14 ?

— Quelle science ! Je tire mon tricorne et salue bien bas !

— Je n’ai cessé, dit Nicolas, l’air faraud, de parfaire ma connaissance de la ville. On ne peut tenir Turgot, Vaugondez ou un autre dans la poche.

— En parlant de cartes. La fréquentation des géographes a-t-elle profité à notre ami Naganda ?

— Il adresse avec une régularité louable des exemplaires d’une précision extrême qui font l’admiration du roi. Il m’en parle avec délice à l’occasion.

— Te rends-tu compte que tu parles de tes rencontres avec Sa Majesté comme tu le ferais du suisse de Saint-Eustache ?

Le fou rire prit Nicolas jusqu’à l’apparition du père Marie venu lui indiquer qu’un fiacre les attendait sous le porche.

Le trajet fut bref jusqu’à l’hôtel de Vauban. M. Sirebeau, prévenu par Le Noir de leur venue, les attendait avec l’air un peu pincé de quelqu’un qui aurait tiré les marrons du feu pour d’autres.

— Je peux me flatter d’être chanceux de transmettre cette affaire au plus distingué de mes confrères.

— Surtout, mon cher, n’y voyez pas malice ; je n’y suis pour rien. Nous ne décidons pas de ces choses-là. En revanche, votre aide me sera précieuse.

— Elle sera limitée, mes connaissances sont courtes. J’en ferai le résumé et vous demanderai la permission de rejoindre mes bureaux. D’autres affaires m’attendent.

— Comme il vous plaira. Je vous écoute.

Il les entraîna dans un petit salon pourvu d’une bibliothèque, d’un guéridon et de trois fauteuils recouverts de cuir de Cordoue.

— Lachère, l’hôtelier, m’a fait chercher ce matin.

— À quelle heure ?

— J’allais vous le préciser. À dix heures. Son valet…

— Le sien ?

— Certes. Le valet du voyageur. Il lui montait son chocolat le matin vers neuf heures. Il a gratté l’huis sans obtenir de réponse. Il s’est pourtant décidé à ouvrir la porte. Malheureusement, elle était fermée à clé. Il est descendu avertir Lachère. Ils ont bien hésité sur la marche à suivre, supposant que M. de Rovski était rentré fort tard comme cela avait été le cas à plusieurs reprises depuis son arrivée à Paris. L’attente se prolongeant, l’hôte décida de faire forcer la porte par un serrurier et m’envoyer quérir.

— Eh, quoi ! Il ne disposait pas du passe habituel ?

— Apparemment non. Bref, il faut dire que ces gens-là sont toujours inquiets quand il s’agit de riches étrangers. J’ai fait prévenir monseigneur qui a intimé de ne rien faire sinon le constat d’usage et, surtout, de ne rien déranger et d’attendre votre venue.

Nicolas ouvrit les bras, tout sourire.

— Me voici ! Je vous rends à vos travaux.

Le commissaire s’inclina sans un mot et sortit sans saluer.

— Je crains que tu ne te sois fait un nouvel ami !

— Oh ! Depuis vingt ans j’ai l’habitude. Il y a les bons et les autres. Au moins celui-là ne dissimule pas son sentiment ! Cours me chercher ce Lachère.

— Tu ne veux pas voir le…

— Plus tard. Il ne faut pas laisser refroidir le souvenir. Si tu laisses filer le temps, la mémoire n’a que trop tendance à battre la campagne.

Bourdeau revint suivi d’un petit magot engoncé dans un habit grenat, poudré à frimas, son triple menton noyé dans une cravate de batiste serrée à l’excès. Il semblait ne pas tenir en place et sautillait d’un pied sur l’autre. Il avait d’évidence beaucoup de choses à dire. Sachant par expérience que le flot entraîne quelquefois des pépites, Nicolas considéra le nouveau venu d’un air engageant sans dire mot.

— Serviteur, monsieur l’inspecteur, serviteur.

— Commissaire, grommela Bourdeau.

— Ah ! Commissaire. Voilà qui est mieux. Une maison si réputée le mérite bien. Quelle affaire ! Tout est là, avec ces jeunes étrangers. Paris, Paris, le miroir aux alouettes. Sont-ils niais ! À peine arrivée, une foule de quémandeurs se précipite sur eux. Quelle voracité ! Les filles, monsieur, les filles, une engeance, elles se collent comme des sangsues. Bienheureux encore si ces malchanceux n’en viennent pas heurter à la boutique de Saint-Cosme pour pallier les malédictions d’un coup de pied de Vénus. En ai-je vu ! En ai-je vu ! Celui-là par exemple. Un bien beau jeune homme. Et quelle stature ! Il s’est aussitôt, oui, aussitôt, à peine arrivé, entiché d’une drôlesse qui lui fut présentée par je ne sais quelle revendeuse à la toilette, ou bien proposée ou gagnée au jeu, passion à laquelle, fort affriandé, il me parut sacrifier sans relâche. Les visites se succédaient dans son… Mais vous devez le savoir…

Il fit un clin d’œil.

— … Il y a belle lurette que je fais ce métier dans lequel j’ai succédé à mon digne père. J’ai commencé fort jeune. Vos hommes, messieurs, sont toujours là. Ah ! Ah ! Zic, zac, ils écument et espionnent. J’étais enfant encore sous M. Berryer, lieutenant général de police, avant que paraissent ces…

Il fit une sorte de génuflexion.

— … hommes dignes, de vieux Romains, le grand Sartine et l’honnête Le Noir qui ont rétabli l’honneur de leurs gens. Bref, ce M. Berryer était assez enclin à la paillardise. Il était pourtant parvenu, le malheureux, à l’âge inévitable de l’impuissance. Hé ! Hé ! Il aimait continuer à tisonner les restes d’un feu mal éteint. Il disposait de mouches préposées à la surveillance des mauvaises mœurs et, chaque matin à sa toilette, il se délectait en se faisant lire par un valet les rapports circonstanciés de la nuit. Pourquoi donc vous ai-je rappelé cela ?

Il réfléchit un moment, le menton dans la main.

— Oui ! Je pense que le laquais engagé a dû vous rapporter les allées et venues du jeune monsieur et que, tout en me faisant jaser, vous en savez autant que moi. Sinon La Jeunesse vous chantera des couplets avec refrain, oui, oui !

— La Jeunesse ?

— Le valet engagé par M. de Rovski.

— Où se trouve-t-il pour l’heure ?

— Je l’ai placé de faction au premier étage après que votre confrère a mis des scellés sur la porte de l’appartement de M. de Rovski. Cet établissement est honorable et tient à préserver sa réputation. Point de bruit, point de scandale, il faut écarter les curieux. Pour le reste, je vous en préviens, le spectacle est affreux, j’en frémis encore !

— Le spectacle d’un égorgement est toujours affreux, dit Bourdeau.

— Que dites-vous là ? Un égorgement ? Vous voilà loin du compte. De quoi parlez-vous ? Ce n’est point cela que j’ai eu le malheur de découvrir… mais je vous laisse le constater vous-même. Égorgé ! Hé ! La chose est plaisante en vérité. Allez donc le voir votre égorgement.

Et sans que les policiers, interdits par cette volée verbale, aient eu le temps de pousser plus loin, le petit poussah pirouetta avec légèreté et, multipliant les courbettes en toutes les directions, disparut.

 

Nicolas et Bourdeau gagnèrent l’étage et trouvèrent, assis sur un tabouret, un homme dont l’apparence ne justifiait en rien le surnom. Grand, maigre, le cheveu jaune et rare, il dormait, ronflant la tête baissée. L’inspecteur tapa du pied sur le sol.

— Que voilà une belle surveillance ! Mais, attends… cet homme… je le connais. Je crois bien ne pas me tromper.

— Tiendrais-tu, par hasard, un bureau de placement pour les domestiques à usage des nobles étrangers ?

— Non, en revanche je suis savant du fond et du tréfonds de cette ville. Je te présente Jacques Veyrat, alias Piquadieu, souteneur, escroc et voleur. Réfugié en 1758 dans l’Enclos du Temple, avec donc l’immunité et l’asile. Enfin… un temps. À la suite d’une embûche par moi tramée, il est pris de corps en 1759.

— Tu causes comme une archive du Grand Châtelet.

— C’est le fait de mon grand âge ! Le susdit avait par ses activités une connaissance approfondie du monde galant, de la cocange et des filous de tout acabit. Sartine, à la réflexion devant cette riche expérience, considéra que l’élément était prometteur. Du coup il a été engagé comme mouche émérite. Il n’y avait pas à hésiter, c’était cela ou les galères, ou pire même. Je ne l’ai point croisé depuis. Pour qui travaille-t-il désormais ? Tu vas admirer sa surprise.

— Avant que tu ne l’éveilles, pourquoi le nommait-on Piquadieu ?

— Ah ! Il pillait les troncs des églises !

Il claqua des mains. L’homme s’ébroua comme une vieille haridelle surprise par le canon. Il se frotta les yeux, considéra l’inspecteur, sa ganache s’affaissa et il se leva titubant.

— Diable ! Monsieur Bourdeau ! Si je m’attendais.

— Quoi ? Que jamais on ne se reverrait ? Tu es mon obligé, ne l’oublie pas. Pour qui travailles-tu désormais ?

— C’est un honneur pour vous de voir votre ouvrage et je vous suis reconnaissant de m’avoir remis sur la voie droite.

— Oui, oui, joue-moi du flageolet ! Au fait, si tu veux bien.

— Je suis trop vieux pour ce jeu-là. Je me suis recarré dans la valetaille pour étranger. Avec ma science… Je suis assez heureux de leur procurer ce qu’ils souhaitent.

— Je n’en doute pas, le bon apôtre ! Allons, on ne quitte jamais ce clapier-là ! Tu voudrais me faire accroire que tu ne retournes rien de ce que tu glanes et apprends ?

— Point, foi d’honnête homme.

— Ou alors tu t’es mis à ton compte, reprenant le cours de tes filouteries. Il y a récidive… Nous verrons cela. Empresse-toi de nous conter ce que tu sais, sinon… Ton client a été tué. Je t’écoute.

L’homme bougonna et se mit en mesure de vider son sac.

— Le jeune monsieur est arrivé à Paris il y a peu. Il avait gagné la France par voie de mer jusqu’en Hollande et ensuite, ayant changé de paquebot, avait débarqué à Calais. M. Lachère, dont j’ai la confiance, m’a fait appeler pour me présenter. Je convenais, j’ai aussitôt pris mon service.

— En quoi consistait-il ? demanda Nicolas, silencieux jusque-là.

— L’habituel. Je réveillais le maître, lui portais son chocolat, l’aidais à sa toilette, le rasais, le coiffais, lui passais ses habits, tenais son linge et répondais aux requêtes qu’il voulait bien me faire.

— Quelles étaient-elles ? De quelle nature ?

— Celles habituelles d’un jeune étranger ébloui par les plaisirs de la ville. Le jeu, les filles et les achats dans les boutiques, tailleurs, bijoutiers, et j’en passe.

— Et bien sûr tu organisais ta prise comme entregent dans tout cela ?

— Bast ! Il faut bien amasser son magot pour les vieux jours. Je ne suis plus jeune.

— Et quels étaient les goûts de M. de Rovski ?

— Des poulettes, brunes et dodues, de préférence. Des caillettes, quoi ! C’était des exigences incessantes. Il aimait le nombre et exigeait la fraîcheur, ne pouvant souffrir une haleine infectée. Je devais y veiller ainsi qu’à la santé de la fille. L’amour, disait-il, ne veut pas que son dard plonge dans la fange.

— Comme cela est élégamment exprimé ! Un vrai poète !

— Il ne s’attachait point et elles non plus… Comment dire ? L’importance de son tribut, loin de combler ces dernières, les éprouvait et, bien que sensibles à la générosité de l’homme, elles renonçaient toujours à une deuxième entrevue.

— Je vois, reprit Bourdeau. Et cet escadron galant, comment le lui procurais-tu ? Chez tes anciennes connaissances ?

La Jeunesse éclata d’un rire grinçant.

— Elles sont bien trop vieilles et passées de mode. Aujourd’hui elles boucanent sur les rives du fleuve, comblant les gagne-deniers. Non, je passais par une mère de la place. Pas les nouvelles, sans conscience et seulement intéressées du revenant-bon, mais d’une sérieuse à la réputation sans faille et sur laquelle on puisse compter.

— Et le nom de ce parangon ?

— Oh ! Sûr que vous la connaissez. Son négoce est varié. C’est la Paulet, dont la maison est sise à l’enseigne du Dauphin couronné, faubourg Saint-Honoré.

Nicolas ne fut pas surpris d’apprendre ce qu’il savait parfaitement. La Paulet, sous le manteau de la devineresse, dissimulait la tenancière d’un tripot, certes élégant, mais aussi l’organisatrice de jeux clandestins et la maquerelle qu’elle demeurait depuis toujours. Restait que ses activités étaient mesurées, prudentes, favorisées par l’habitude d’une vie consacrée tout entière à la galanterie. Elle avançait, à peine masquée, jusqu’aux frontières incertaines et mal délimitées de l’interdit, assurée de l’impunité que lui procurait sa longue familiarité avec la police et, en particulier, avec le commissaire Le Floch. Il est vrai que, dans la balance, les services rendus pesaient lourd.

— Et donc, c’est elle qui fournissait les victimes de cet Hercule ?

— Qui, à ce que j’ai cru comprendre un soir, l’abus du vin l’avait quelque peu submergé, aurait prodigué ses qualités d’étalon à la grande impératrice de Russie. Ainsi la Paulet s’efforçait de répondre à la demande, tout en rechignant ne pouvoir longtemps pourvoir à une répétition si particulière.

— Soit ! Passons à l’événement présent. Qu’as-tu à nous en dire ?

— Peu de choses. Hier soir j’ai habillé le jeune homme. Il devait souper je ne sais où.

— L’as-tu attendu ? Qu’as-tu fait ?

— Je n’avais pas à le faire, il m’avait donné soirée libre.

Nicolas nota l’imperceptible crispation du visage ridé de Veyrat. Bourdeau s’en aperçut aussi. Tous deux eurent le sentiment que la question l’avait gêné et que le témoin était en train de leur celer quelque chose.

— J’ai mangé dans une auberge cul-de-sac des Provençaux et j’ai regagné ma soupente rue Basse-des-Ursins en l’île.

Nicolas n’appréciait guère qu’on donnât autant de détails qui n’avaient pas été demandés.

— Non sans avoir, au préalable, rapporté l’emploi du temps de ce riche étranger à qui de droit. N’est-ce pas ?

Veyrat accusa le coup et regarda Bourdeau avec effarement.

— Bon ! Si tu refuses de jaser, je demanderai à l’intéressé que tu sais de me communiquer un certain registre…

Ce fut le coup de grâce.

— C’est facile de tout savoir quand on est de la pousse. C’est vrai que j’ai point dételé. On a trop sur moi pour me lâcher…

Ce fut dit avec amertume et un mauvais sourire.

— Y a toujours des gens qui vous tiennent et vous contraignent. Je fais rapport comme vous le savez. Moi aussi, je sers le roi, tout comme vous, itou !

— Mais oui, tu as raison. La suite. Ce matin ?

— Je suis arrivé à huit heures pour préparer le chocolat et son complément.

— Complément ?

— Oui, le jeune homme m’avait confié une bouteille d’une eau-de-vie de son pays, très forte !

— Car tu l’as goûtée ?

— Pouah ! Du feu. Bref il m’ordonnait d’en panacher le chocolat. Ce réconfortatif chassait, selon lui, les brumes de la nuit. À mon avis cela tuait le ver, à coup sûr.

— Bon, nous nous dispersons. Tu prépares le chocolat à l’office, tu le bats, le fouettes, tu le coupes et…

— Je monte réveiller monsieur, qui ne répond point. Je réitère. Je gratte, je toque. Rien. Au bout d’un moment je pousse la porte qui n’était jamais fermée. Seulement pour cette fois, elle l’était. Toujours pas de réponse. Je préviens M. Lachère qui m’accompagne au premier étage et tente à nouveau de réveiller M. de Rovski. Pour le coup et à bout de ressources, il faut avoir recours au commissaire. On préfère attendre et alors seulement M. Lachère songe à son passe, qu’il conserve dans sa caisse. Point de passe ! On fait chercher l’homme de l’art et, la police survenue, la porte est enfin ouverte.

— Y avait-il une clé à l’intérieur ?

— Pas de clé.

— Aussi on peut penser, s’il y a eu meurtre, que…

— Je vous arrête, monsieur.

— Monsieur est le commissaire Le Floch.

— Ah ! J’en ai entendu parler. Oh ! Il y a bien eu meurtre, vous le constaterez pour d’évidentes raisons.

— Monsieur Veyrat…

— Je préfère La Jeunesse.

— Peu importe. Y a-t-il dès l’abord un détail qui te paraît devoir être relevé ? Un point curieux ou remarquable ?

— Je sais qu’il écrivait beaucoup. Il rangeait soigneusement les feuilles dans une cassette en lentille qu’il fermait avec une petite clé.

— En lentille ?

— Oui, du beau bois avec des cercles.

— Je suppose, murmura Nicolas, qu’il veut dire loupe de noyer.

— Et cette cassette ?

— L’horreur du spectacle ne m’a pas permis de vérifier sa présence dans l’appartement.

— Et quoi d’autre encore ?

— Les tableaux.

— Disparus.

— Oui… non… enfin des petits tableaux représentant le Seigneur, la Vierge, des saints, toujours alignés sur la commode. Et la lampe…

— Que cela est confus ! Que nous dégoises-tu là ?

— Je dis que j’ai vu ces tableaux retournés, faces contre le bois du meuble, la lampe à huile éteinte et renversée. M. Lachère en était fâché pour son tapis !

— Voilà qui est curieux, mais je n’en distingue pas la signification. Est-ce là tout ce qui t’a frappé ?

— Tout. Je le jure.

— Ne jure point, faux témoin ! lança Bourdeau en riant. Demeure ici. On t’appellera en cas de besoin.

Ils brisèrent les scellés et poussèrent la porte. Au début, ils ne distinguèrent qu’une grande pièce plongée dans la pénombre. Les volets de bois intérieurs étaient à demi poussés et seuls des rais de lumière traçaient au centre deux lignes parallèles. Les détails surgissaient peu à peu, à mesure que leurs yeux s’habituaient. À gauche, la muraille était coupée d’une cheminée de travertin surmontée d’un trumeau orné de rocailles. Devant celle-ci, deux fauteuils chargés d’habits et un guéridon avec une bouteille, deux verres et des papiers. De la porte on n’apercevait entre cette partie et l’alcôve qu’une grande table ronde couverte d’une tapisserie portant un flambeau à cinq branches avec des bougies consumées. Entre les deux croisées donnant sur la rue de Richelieu, un sofa vide trônait. Nicolas regardait chaque détail avec intensité, essayant de les inscrire dans sa mémoire. Il remarqua qu’en effet, conformément au récit de La Jeunesse, de petits tableaux de bois semblaient renversés sur l’une des deux commodes encadrant la cheminée. Des débris de verre jonchaient le sol et une coulée d’huile avait gagné le tapis central. Il semblait qu’on y eût piétiné, mais la nature du liquide ne permettait plus d’y relever des traces utilisables. Une odeur trop connue le saisit aux narines ; c’était celle, métallique et écœurante, du sang. Il hocha la tête, engageant d’un geste Bourdeau à avancer. En approchant le lit dont, jusque-là, ils n’avaient distingué que l’extrémité, un désordre de draps et de couvertures apparut. Bourdeau alla ouvrir les croisées ; un flot de lumière envahit soudain la pièce.

Lorsqu’ils approchèrent, un spectacle atroce les figea sur place. Une tête renversée en arrière les regardait, les yeux troubles. La bouche semblait ouverte dans un dernier cri. Les bras déjà rigides paraissaient repousser un invisible adversaire. Silencieux, ils contournèrent la couche par la droite et découvrirent l’horreur du drame. Le corps allongé sur le dos en travers du lit, à peine vêtu d’une chemise de nuit, n’était plus que sang et le bas du torse mélangeait sang, chairs et tissus tailladés.

— Il semble qu’on se soit acharné sur le bas du corps, dit Bourdeau, pâle comme jamais ne l’avait vu Nicolas.

Il se tenait à distance pour éviter de patauger dans la mare noirâtre qui couvrait le parquet. Nicolas se pencha sur le visage révulsé et semblait renifler.

— En effet, curieux égorgement ! En tous cas, cela évite de songer à un suicide. C’est un meurtre, et des plus cruels. Rien ne te frappe ?

Bourdeau observa à nouveau la victime, le sol, le lit.

— Tu as raison. Il n’y a aucune trace de pas, en dépit du sang répandu ! Comment est-ce possible ?

— C’est précisément ce que je me demande. Mais je crois envisager la chose… Les hypothèses ne sont pas nombreuses. L’absence de traces à droite du lit indique que l’attaque a été portée à gauche. Je pense que le meurtrier s’est jeté sur M. de Rovski, l’a immobilisé en se couchant tête-bêche sur lui, avant de porter les multiples coups nécessaires. Avec quelle arme ? Sans doute nous ne la trouverons pas.

— Et la victime dormait-elle quand elle a été surprise ?

— Si j’en juge par sa tenue, c’est plus que probable. S’est-il défendu ? Il était jeune et robuste… Mais il pouvait aussi être pris de boisson si j’en juge par l’odeur. Pour commencer, recherchons dans cette chambre ce qui pourrait nous apporter quelques lumières sur son occupant.

D’une manière systématique, ils dressèrent un inventaire des objets et hardes du défunt. Nicolas constata que les petits tableaux étaient en effet des représentations des saints, du Seigneur et de la Vierge. Autant il semblait que la lampe à huile, qui participait sans doute d’une forme de dévotion, avait été balayée brutalement, vu la distance où se trouvaient les débris de verre par rapport à la commode, autant les images pieuses avaient été retournées avec soin. Ce détail avait-il une signification ? Dans une sacoche de cuir il découvrit les passeports de la victime, des lettres de recommandation pour le ministre de Russie à Paris et pour diverses personnes russes de Paris, des bourses pleines de thalers et de louis ainsi que des lettres de change sur des maisons de la place.

Il examina tout ce qui faisait le trousseau d’un jeune noble : une épée, une paire de pistolets, un portrait de Catherine II entouré de diamants, des plaques et des ordres russes et polonais, un nécessaire de voyage en vermeil ciselé, une écritoire en cuir doublée de soie avec son encrier et son saupoudroir. Il découvrit avec amusement une lunette à la libertine, qui par un jeu de miroirs permettait de fixer la scène au théâtre tout en lorgnant les loges voisines, et… un jeu de baudruches de la plus fine texture. Il semblait à Nicolas être revenu au temps heureux où il dressait des inventaires après décès à l’étude de Maître Bertic, notaire à Rennes… Item une méchante commode… Item un fauteuil en cuir de Cordoue… Item, item… Et là, dans cette riche chambre d’auberge, des chemises, des caleçons, des cravates de dentelles, item des culottes, item des habits. Ah ! Un document intéressant : celui d’un passage par bateau entre Saint-Pétersbourg et Amsterdam puis d’Amsterdam à Calais. Quelques livres galants dont Thérèse philosophe et des gravures, de celles vendues sous le manteau aux étrangers de passage dans les galeries du Palais.

Bourdeau le héla. Il baissait la tête, considérant sa main.

— Vois un peu ce que j’ai ramassé dans la garde-robe qui outre cela renferme force flacons d’eau-de-vie moscovite… pleins et vides.

Il s’essuya la bouche.

— De quoi réveiller un mort ! Vois donc, est-ce un jeton ?

Il tendit la chose à Nicolas qui découvrit une petite pièce d’argent portant en son centre une devise en anglais WE ARE ONE (nous ne faisons qu’un) et AMERICAN CONGRESS, le tout orné d’une chaîne à treize maillons, chacun frappé du nom d’une colonie anglaise du Nouveau Monde. Au revers, un cadran solaire, le mot latin FUGIO (je fuis) et une devise MIND YOUR BUSINESS (faites votre travail) ainsi que la mention CONTINENTAL CURRENCY 1776. La pièce était trouée et attachée à un anneau.

— D’évidence, une monnaie des Insurgents. Il n’y a pas place au doute ! Reste qu’il est légitime de s’interroger sur la présence de cette pièce dans l’appartement d’un jeune noble, russe de surcroît !

— D’autant qu’elle paraît avoir été arrachée à une chaîne plus longue.

Nicolas continua son inventaire et trouva, plié en quatre, un petit papier : « La Gambut, brune piquante, assez bien, grande et jeune. À l’endroit voluptueux où l’on dispose l’offrande de l’amour, vaste et profond. Elle a une prédilection pour les grands hommes. Tarif à débattre. Rabais sur la nuit avec souper. »

Bourdeau, qui continuait à fureter en prenant garde de ne point déranger d’éventuels indices, poussa une exclamation de surprise. Nicolas se retourna et le vit tenant grand ouvert une sorte de carnet relié en veau.

— Par ma foi, voilà qui est étrange ! Toutes les feuilles ont été arrachées, et vivement. N’aurait-il pas été plus facile d’emporter l’objet ?

— Qui te dit que quelqu’un a cherché à l’emporter. Peut-être le mort en avait-il détruit lui-même les pages !

— Sans doute, mais il est possible que celui qui a détruit les pages souhaitait qu’on imagine précisément ce que tu viens de suggérer.

— D’abord, procédons par ordre. Où l’as-tu découvert ?

— Dans un portemanteau. Au fond, sous d’autres carnets identiques, mais dont les feuilles sont vierges.

Bourdeau avait levé l’objet à hauteur de son visage et l’exposait à la lumière qui entrait à flots dans la chambre.

— Peste, voilà qui ne laisse pas d’être intéressant !

— Et quoi, encore ?

— Un nuage de je ne sais quoi qui serait susceptible de nous interroger.

Il tendit le carnet avec précaution à Nicolas.

— Considère, reprit-il, cette couche rosâtre et ces empreintes de doigts…

Nicolas porta l’objet à ses narines.

— Et ma foi parfumée à ce qu’il semble, au lilas, au muguet ?

— Ce n’est point poudre à perruque ?

Nicolas passa son doigt et goûta du bout de la langue le produit recueilli.

— Non, c’est plus élaboré et d’une consistance différente. Hé, hé ! Il y a de la femme derrière cette poudre.

— Cependant, Nicolas, beaucoup d’hommes se maquillent et, à l’instar des femmes, se blanchissent le visage à la céruse.

— Habitude dangereuse et nocive, car, selon Semacgus, c’est un poison redoutable. Reste qu’il s’agit là de vestiges de poudre colorée et parfumée dont la nature me laisse croire qu’il s’agit d’un cosmétique féminin. Dans l’énergie prise à arracher les pages, un nuage s’est formé et s’est déposé sur la reliure. Si tu regardes mieux, tu en trouveras des traces sur le portemanteau.

Bourdeau retourna dans la garde-robe et en revint en secouant la tête.

— Tu as raison !

— D’ailleurs je n’ai trouvé nulle trace de ce type de parfumerie dans les affaires du comte. Il est donc d’une provenance extérieure. Reste à savoir laquelle. Le rose est la couleur des courtisanes ; pour les femmes de condition, c’est le rouge qui prévaut. Il faudra consulter un gantier parfumeur. Et aussi tenter de déterminer si ces pages arrachées, dont nous n’avons nul vestige, l’ont été cette nuit ou à un autre moment.

Nicolas s’approcha du cadavre. Il fit un signe de croix et, à ce que supposa Bourdeau, une brève oraison, avant de fermer les yeux de M. de Rovski. Il passa un doigt sur la joue et le considéra.

— Point de poudre de visage. Cela confirme la chose.

— Il a pu se laver.

— Je crois que nous avons fait le tour de ce qui était possible de relever ici. Nous allons maintenant approfondir notre enquête. J’ai comme l’impression que notre valet-mouche a plus à nous dire qu’il a bien voulu le faire jusqu’ici.

— M’est avis que le drôle a matachié15 son discours d’oublis et de mensonges. Il a bel et bien cherché à nous empaumer !

— Nous pouvons déjà nous flatter d’avoir réuni quelques éléments d’assurance. Primo, il y a meurtre, secundo le modus operandi est particulièrement atroce. De l’examen superficiel du cadavre, il ressort que la mort est intervenue dans la soirée plutôt que dans la nuit ; l’ouverture nous en dira davantage. Tertio, il y a des traces à peine discernables, mais qui pourraient laisser supposer que plusieurs personnes sont venues dans cette chambre. Deux indices confortent cette hypothèse, la découverte d’un jeton ou d’une pièce de monnaie sans conteste appartenant à un Insurgent. Objet détaché d’une chaîne rompue ? Certainement, mais dans quelles circonstances ? Enfin, traces de poudre de visage, appartenant d’évidence à une visiteuse.

Nicolas se frappa la tête.

— Et j’allais oublier le carnet aux pages arrachées. Nous ne pouvons d’ailleurs pas exclure que d’autres pièces manuscrites aient pu disparaître. À nous deux, monsieur Veyrat ! Et vous aussi, tenancier de cet hôtel si évasif sur ce qui se passe dans votre établissement ! Il nous faut prendre en compte qu’il s’agit d’un étranger et d’un Russe. Le comte et la comtesse du Nord approchent. La coïncidence est fâcheuse. Et je suis en mesure de t’assurer que nous risquons d’avoir bientôt sur le dos le ministre de Russie. Cela nous impose rapidité dans l’action et secret le plus absolu. Enfin, le plus longtemps possible.

— Tu veux dire qu’ils voudront nous mettre des bâtons dans les roues ?

— En tous les cas, saisissons-nous des indices utiles, car le droit d’aubaine du roi sur la succession va s’exercer rapidement. Des scellés seront mis. Les officiers des bureaux des Finances vont s’abattre comme un vol de corbeaux, en s’immisçant dans l’affaire pour la consommer en frais et en tirer le maximum pour le Trésor. Donc, enlevons le corps, faisons-le porter à la basse-geôle et mettons nous-mêmes les scellés avant que d’autres y viennent patauger. Et maintenant, sus aux témoins ! Faux ou véridiques…

Nicolas consacra quelques instants à noter dans son petit carnet noir ses observations. Bourdeau remarqua qu’il multipliait les points d’interrogation. Le charroi du Grand Châtelet était arrivé et un sergent du guet vint les avertir que tout était prêt pour enlever le corps. Il fallut d’abord trouver de la paille pour étancher le sol. Le corps, enveloppé dans une pièce de toile, fut porté dans une charrette. Les scellés furent posés. Les objets personnels saisis furent confiés au sergent, à charge pour lui de les acheminer jusqu’au bureau de permanence.

La Jeunesse se présenta et demanda à se retirer. Il lui fut répondu d’avoir à patienter, on avait encore besoin de lui pour préciser certaines de ses déclarations. Il en parut troublé et Nicolas observa ses lèvres mordues qui, dans un mouvement instinctif, dévoilaient des dents gâtées et décelaient une évidente inquiétude.

 

M. Lachère les attendait en bas de l’escalier, plein d’effroi devant l’agitation qui bouleversait son établissement. Il se précipita sur eux.

— Messieurs, messieurs, voyez le remue-ménage, considérez la fange que tout cela entraîne. Un endroit si réputé ! Je ne m’en remettrai pas.

Le petit homme sautait lourdement d’un pied sur l’autre en se tordant les mains.

— Allons, dit Nicolas d’un ton lénifiant, tout s’achève et le calme revient…

— Mais, mais, ma plus belle chambre ! La porte, les dégâts… La pension non payée.

— Il suffit, dit Bourdeau. Veuillez sans barguigner répondre aux questions que le commissaire va vous poser. Vos inquiétudes trouveront leur solution.

— Monsieur Lachère, êtes-vous assuré que la victime est sortie hier soir ?

— À dire vrai, je n’en sais rien.

— Vous n’étiez point présent ?

— Non. J’avais conduit Mme Lachère à la Comédie italienne voir une pantomime des plus plaisantes. Imaginez que…

— Point, nous n’imaginons rien. Qui, hier soir, est en mesure de nous renseigner sur le mouvement des entrées et des sorties de votre hôtel ?

Nicolas eut l’impression qu’une gêne s’installait chez son interlocuteur.

— Il faut vous dire qu’hier soir les choses étaient un peu différentes et peu conformes aux errements de la maison…

— Ce qui signifie ?

— Que l’hôtel n’est pas vraiment plein. Il est même vide. Les autorités nous ont demandé de conserver des chambres libres en vue de l’arrivée des Russes… Vous savez, le comte du Nord.

— Mais vous avez accueilli M. de Rovski ?

— Justement, parce qu’il était russe. Je n’ai pas cru devoir…

— Bon, cela est une chose, mais pour hier soir ?

— M. de Rovski disposait de deux clés, celle de sa chambre et un passe de la porte de l’hôtel que je lui avais confié. Et de plus il avait son valet.

— Il prétend que son maître lui avait donné sa soirée.

— Et comment était cette clé qui ouvre sur la rue ?

— Ornée d’une passementerie rouge et or. Moi seul connais la signification des soieries de couleur utilisées. Ainsi, de cette manière, si la clé s’égare nul n’est censé découvrir son origine.

— J’entends bien. Le problème, c’est que nous n’avons nulle part trouvé trace de cette clé. L’auriez-vous reprise par hasard lors de la découverte du corps, ce matin ?

— En aucune façon. La porte était close au verrou comme je vous l’ai dit. L’autre clé était absente et, par malheur, mon propre passe enfin, celui qui ouvre l’entrée de la rue, égaré. Oh, ma pauvre tête !

— Il faut donc en conclure que l’assassin, puisque meurtre avéré il y eut, ferma la porte et emporta avec lui les clés, c’est-à-dire celle de la chambre et celle de l’hôtel. Qu’en dites-vous ?

M. Lachère demeurait coi.

— Encore une chose. Êtes-vous assuré que le valet de votre client ait quitté l’hôtel hier soir ?

— Je n’ai aucun moyen de le savoir.

— Mais la porte de l’établissement était close…

— De l’extérieur, messieurs, de l’extérieur. On peut sortir, mais une fois repoussée la porte, on ne peut entrer.

— Je vois. Quelle curieuse situation que cette maison vide, aux chambres non occupées, à l’hôte absent, à l’accès interdit, aux clés disparues !

— Certes, certes ! D’habitude mon commis assure la permanence de nuit pour répondre à telle ou telle situation ou demande.

— Nous y voilà ! D’habitude ! L’habitude est pourvoyeuse de la camarde, parfois ! Quelle succession étrange d’événements ! Et comment se nomme-t-il, ce commis absent ? Et pour quelle raison absent ?

— Richard Harmand. Oh ! Un brave jeune homme qui loge chez son père rue de la Verrerie, au coin de celle Bar-du-Bec.

Il prit un ton dévotieux.

— Ce père est perruquier de monseigneur le duc d’Orléans. Il se nomme Pacôme et on fêtait hier soir son saint patron, faute de ne point l’avoir célébré le 14, en raison d’un accès de goutte.

— Et par conséquent ?

— Je lui avais accordé sa soirée. Mesurez que, hors M. de Rovski, mon établissement est presque fermé. Et Mme Lachère tenait tant à son spectacle que je n’ai pas cru modifier nos plans. Si j’avais su !

— Ce commis possédait donc une clé lui permettant d’ouvrir la porte de l’hôtel et aussi le passe général pour les chambres ?

— Assurément. Le contraire eût occasionné des difficultés que seule la possession de ces passes permettait d’éviter. Il a toute ma confiance. Je me repose en tout sur lui.

— L’attendez-vous aujourd’hui ?

— Il devrait être déjà là. Je m’étonne…

— Comment, le commis absent, le valet de Rovski a-t-il pu entrer ce matin. Étiez-vous présent ?

— Non… Je suis arrivé peu après. Je loge dans une maison adjacente… Il devait avoir le passe de son maître.

Cela supposait, songea Nicolas, que le comte n’avait nulle intention de sortir ce soir-là.

— Cet Harmand, j’entends l’interroger dès son arrivée. Veuillez, je vous prie, le lui signifier.

— Messieurs, je suis votre serviteur.

Il salua et se retira courbé, quasi à reculons.

Nicolas réfléchit un moment et regarda Bourdeau qui hochait la tête. Il fut sur-le-champ convaincu que son adjoint et ami pensait la même chose que lui. Entre eux le phénomène était fréquent, fruit d’une connivence de deux décades.

— Je ne goûte guère cette série de coïncidences qui aboutissent à faciliter les conditions d’un assassinat.

— Et à nous compliquer la compréhension du crime. Et quant à La Jeunesse…

Dans le vestibule, ils retrouvèrent l’intéressé qui les attendait, assis sur un ployant. À leur vue, il se leva d’un bond.

— Veyrat, dit Nicolas, nous avons quelques questions à te poser. Ton ami Bourdeau et moi souhaiterions savoir où tu as soupé hier soir. Le détail de ton menu nous agréerait, tant gourmands nous sommes l’un et l’autre.

Cet exorde débité à dessein sur un ton des plus patelin surprit jusqu’à l’inspecteur, qui écarquilla les yeux. Le valet fixait Nicolas, la bouche ouverte sans répondre.

— Allons, mon ami, un petit effort ou nous serons contraints à cheminer de conserve jusqu’à ce tripot du cul-de-sac de… des Champenois.

— Oui, oui, c’est bien cela.

— Tu confirmes avoir soupé dans une taverne du cul-de-sac des Champenois ?

— Sans doute, sans doute.

— Bien ! Cela est confirmé. Notez la chose, monsieur l’inspecteur. Il y a cependant un petit problème que nous allons tenter de résoudre. Il y a trois quarts d’heure, ne nous as-tu pas affirmé avec l’aplomb d’un homme d’expérience et de sincérité que tu avais soupé cul-de-sac des Provençaux…

L’homme tenta d’interrompre le commissaire sans succès.

— J’ai confondu…

— Ta, ta, ta ! Tu n’as rien confondu du tout. La vérité c’est que les Provençaux te sont venus à l’esprit pour te sortir d’embarras. Dis-toi bien que nous avons un témoin qui t’a vu fort tard ici, dans cet hôtel où ton maître a été… égorgé.

Le piège était grossier, mais l’expérience prouvait qu’il aboutissait dans la majorité des cas à la déconfiture du témoin. Vieux cheval de retour, le Veyrat se tortillait, bâillant comme une carpe sortie de l’eau. Bourdeau lui donna le coup de grâce.

— Allons, ne fais pas ta mauvaise tête ! Elle est dans ta poche, donne-la-moi gentiment. Tu es battu à ruines et rien ne te permettra d’échapper à ce qui t’attend si, sur-le-champ, tu ne vides pas ton sac.

Cette injonction fut accompagnée d’une forte bourrade en forme d’argument encourageant. Aussitôt Veyrat mit la main dans sa poche et en sortit une clé galamment ornée d’une passementerie de soies jaunes et bleues, et baissa la tête, piteux et tremblant.

— Et l’on disait de toi jadis que tu étais un barbet retors et aux nerfs d’acier ! Fausse réputation !

— J’ai vieilli, monsieur Bourdeau. La main n’est plus là.

— Bon. Au lieu de nous lamenter sur le passage du temps, il serait bon que tu bafouilles la vérité. J’espère pour toi que tu as eu la sagesse de te maintenir à la lisière de ce meurtre.

— Écoutez-moi ! Je ne suis pour rien dans tout cela. Je vais tout vous dire. L’histoire est banale. La Paulet ne voulait plus fournir pour les raisons que je vous ai données. C’est une bonne mère. Elle a toujours veillé sur son troupeau. Elle trouvait qu’il transformait les chatières en portes cochères et empruntait par trop souvent le souterrain de la rue de la lune. Ses filles lui revenaient brisées et meurtries…

— Je reconnais bien là le langage fleuri de notre amie !

— Le comte m’a donné l’ordre de pourvoir à ses plaisirs de ma propre initiative. Il y a de cela plusieurs jours.

— Ma foi ! Le métier, tu le possèdes au bout des doigts, non ? Aucune de ses ficelles ne t’est méconnue.

— J’avais quelque peu perdu mes accointances avec le monde de la galanterie. Que pouvais-je faire ? Cependant, il n’est point malaisé par les temps qui courent de relancer ses filets. J’ai renoué avec des appareilleuses, des courtières de débauche, et quelques maquerelles de la ville. Le plus simple, c’était de recourir à des filles du voisinage dont ce n’est pas le métier habituel. On y trouve des domestiques, des couturières, des travailleuses en chambre qui dorent la pilule par accès lorsque leurs moyens périclitent. Chacun sait où les dénicher.

— Je vois que tu n’as rien perdu de ta science de ce monde-là !

— Faut bien vivre. Je cherchais quand par chance le ciel me vint en aide…

— Je vous saurais gré, monsieur, de ne point mêler le ciel à ces débordements.

Bourdeau sourit à la réaction de Nicolas.

— Bon, si ça vous arrange. Un soir j’accompagnai le comte dans un tripot de jeu où il perdit beaucoup au pharaon. Une femme de qualité s’est approchée de moi pour m’interroger sur lui. Elle en paraissait entichée au point que l’idée me vint de les apparier. Constatant son appétence et persuadé qu’elle était fille à avoir vu péter le loup, je n’hésitai point et lui en fis galamment la proposition. J’affirmai que, soucieux des plaisirs et de la santé de mon jeune maître, je ne verrais qu’intérêt à ce qu’il trouve une liaison distinguée et régulière en rapport avec sa condition et sa délicatesse. Je ne lui dissimulai aucunement la nature et la qualité des appétits animaux de M. de Rovski, conséquence d’une ardeur juvénile… Cela parut ne la point rebéquer, bien au contraire.

— Et en ménageant sans doute au passage tes intérêts propres de manière confortable ? Ce qui est pratique habituelle des maquereaux dont tu possèdes de longue main l’expérience.

— Ma foi, c’est la rançon que le vice règle à la vertu. Nous fîmes affaire et la description de cette bonne fortune convainquit le comte d’avoir trouvé la perle rare. Je repris donc contact avec la dame et une entrevue fut organisée hier soir. M. de Rovski me confia le passe. J’étais chargé d’introduire la visiteuse et de me retirer.

— Voilà une histoire fort circonstanciée qui fourmille d’affirmations, de détails précis, de zones d’ombres également. Nous allons reprendre tout cela point par point et je t’engage, avec toute l’amitié que nous te portons, à ne laisser de côté aucune information.

— Je me livre serein à votre indulgence, car pour ce coup on ne peut rien me reprocher, sinon d’avoir rapproché la dame de mon maître.

— Reste, dit Nicolas sarcastique, qu’un pompon rouge et or s’est malencontreusement transformé en pompon jaune et bleu. Devrons-nous consulter quelque faiseur de charmes pour élucider ce mystère ? Monsieur Piquadieu, je vous le demande ?