ÉPILOGUE

Quittons donc pour jamais une ville importune

Où l’honneur a toujours guerre avecque la fortune.

Boileau

Le marquis de Ranreuil accompagna la caravane princière jusqu’à Choisy, où toute la famille royale était présente pour dire adieu aux hôtes de la France qui visiteraient Lorient et Brest avant de gagner les Flandres. Le prince Bariatinski ne marqua aucune prévention à l’égard de Nicolas et l’entretint familièrement. À l’instant du départ, le grand-duc fit signe au commissaire d’approcher et lui remit la croix de chevalier de l’ordre de Saint-André. Les raisons de cette faveur intriguèrent le récipiendaire qui, tout en se confondant en remerciements, allait décliner au prétexte que toute distinction étrangère impliquait l’autorisation du roi. Louis XVI, qui observait la scène, un sourire ironique aux lèvres, acquiesça sans un mot. Paul voulait-il, par cette attention accordée à quelqu’un qui avait bousculé ses entours, écarter tout soupçon sur lui-même dans la disparition du comte de Rovski, dans laquelle son ressentiment s’était pour une fois conjugué avec les oukases de Saint-Pétersbourg ?

 

Quelques jours plus tard, la Seine rejeta dans le filet de Saint-Cloud le corps affreusement mutilé de Nikita Paline. Il rejoignait dans la mort, et au même endroit, sa victime, Richard Harmand. L’ambassade de Russie se désintéressa de la dépouille qui fut inhumée à la fosse commune auprès de celles des deux sbires. La prétendue princesse de Kesseoren, expulsée du royaume, s’était embarquée à La Rochelle pour le nouveau monde. Quelque temps plus tard, Nicolas reçut une lettre des Amériques lui annonçant le mariage de la dame avec M. Galbraith, alias Smith.

 

Fin juin, Nicolas, qu’un détail obsédait, fit visite à la Paulet. Il se souvenait que la pythonisse, grand jeu battu, l’avait mis en garde, sans aller plus avant dans sa prédiction… Elle s’esclaffa à sa demande.

— Te v’là bien comme j’te connais, toujours martel en tête. Ça te servira à quoi d’le savoir ? Comme d’un clou à un soufflet ! Tu bats toujours la campagne allant de scribe en syllabe. Ah, non ! pas de leçon, hein ! Je cause comme je cause et j’me comprends, moi ! Bon, je vois que ça te pèse. La Paulet est bonne fille et je vas te le dire.

Elle fouilla dans son fameux jeu de tarot et choisit une lame qu’elle lui tendit.

— V’là, dit-elle, la responsable de tout.

Il lut sur la carte le mot « L’IMPÉRATRICE ».

 

Début juillet, Nicolas décida de s’éloigner un temps de Paris. Aimée d’Arranet, retenue par son service auprès de Madame Élisabeth, ne put l’accompagner. Il partit, Sémillante trottant aux portières d’une malle-poste qui emmenait Bourdeau, sa femme et leurs plus jeunes enfants dans leurs vignes du Chinonais, où l’inspecteur achèverait de se rétablir. Les étapes furent nombreuses et marquées de joyeuses agapes. Enfin la compagnie se sépara et Nicolas rejoignit Saumur où il demeura quelques jours avec Louis et rendit plusieurs visites à sa sœur Isabelle, à l’abbaye de Fontevraud. Il évoqua devant elle l’étrange dépôt du petit reliquaire par Madame Adélaïde, mais la religieuse demeura bouche close. Il gagna enfin Ranreuil, où ses gens lui firent fête.

Le lendemain de son arrivée, il gagna la côte à travers le marais, mit bas l’habit et, dans l’état de nature, comme naguère avec les galopins de son âge, il entra dans le libre océan pendant que Sémillante galopait le long du rivage, le naseau élargi, ivre de liberté. Le vent soufflait fort. Une vague plus forte saisit Nicolas, le renversa et le roula dans l’écume. Il se releva, lavé des vilenies du siècle.

La Bretesche,
octobre 2010 – octobre 2011