12
Ando passa rapidement au laboratoire de biologie pour rendre son ordinateur à Uchida, puis il se dirigea vers la salle de cours de pathologie. Il serrait contre lui le texte qu’il avait imprimé la veille, qu’il avait l’intention de faire lire à Miyashita.
Ce dernier, le nez baissé vers sa table, malaxait un stylo entre ses doigts. Il leva la tête en sursaut en voyant atterrir devant lui une liasse de feuillets lancée d’un bloc.
— Tiens, lis-moi ça !
Miyashita ne parut pas avoir entendu et resta les yeux fixés sur Ando d’un air ahuri.
— Qu’est-ce qui te prend tout d’un coup ? finit-il par articuler.
— Je voudrais que tu me donnes ton avis là-dessus.
Miyashita soupesa le dossier.
— Ça a l’air long.
— C’est sûr, mais tu verras, c’est une lecture captivante, tu le liras rapidement.
— Tu ne t’es pas mis à écrire un roman, tout de même ?
— Mais non, c’est un reportage de Kazuyuki Asakawa sur l’affaire qui nous préoccupe.
— Asakawa ? Tu veux dire le… ?
— Oui, lui-même.
Miyashita se mit à feuilleter le document d’un air profondément intéressé.
— S’il te plaît, reprit Ando. Lis-le et dis-moi ce que tu en penses.
Miyashita arrêta son ami au moment où il tournait les talons :
— Attends une minute.
— Qu’y a-t-il ?
— Les chiffres, c’est ton fort, non ?
Le menton appuyé sur un coude, Miyashita tapotait la table du bout de son stylo.
— Mon fort, c’est beaucoup dire… Mais quand j’étais étudiant j’aimais bien jouer avec les chiffres, ça oui.
— Hmm.
Miyashita tapotait toujours la table. Toc toc toc toc.
— Pourquoi cette question ? s’enquit Ando.
— À cause de ça. De ça, regarde, dit Miyashita en faisant glisser vers Ando le document qu’il maintenait jusque-là sous son coude et en tapotant au milieu avec son stylo.
Ando se pencha au-dessus de la feuille. Il s’agissait du document obtenu en soumettant le virus découvert dans le sang de Ryuji à l’analyse de l’auto-séquenceur des bases chimiques.
— La disposition des nucléotides du virus… Tu me l’as déjà montrée hier.
— Oui, mais ça me tracasse, tu vois, c’est tellement bizarre.
Ando prit la feuille sur la table, l’approcha de son visage, regarda à nouveau les quelques lignes ordonnées identiquement qui se répétaient par endroits, au milieu de la variété des nucléotides.
ATGGAAGAAGAATATCGTTATATTCCTCCTCCT
CAACAA ’
L’apparition répétée, à intervalles réguliers, de ces quatre bases, était à n’en pas douter un étrange phénomène.
— Présent uniquement dans le virus de Ryuji, n’est-ce pas ?
— Exactement. Seulement chez Ryuji. (Miyashita ne détachait pas son regard de celui d’Ando.) Tu ne trouves pas ça bizarre ?
— Si, bien sûr, mais…
Le tapotement du stylo s’arrêta soudain.
— Je me demande si ce n’est pas un cryptogramme.
Ando déglutit. Il ne se rappelait pas avoir fait part à Miyashita de l’épisode où il avait découvert le mot « RING » sur un bout de papier journal dans le ventre de Ryuji.
— Et si c’était un cryptogramme, qui l’aurait inséré là ?
— Ryuji.
Ando ferma les yeux. Miyashita venait de soulever un doute auquel il ne voulait même pas penser.
— Ryuji est mort. Je l’ai autopsié moi-même.
— Oui. Mais essaie quand même de déchiffrer ça, répliqua Miyashita sans se démonter.
Quel mot voulait-il qu’il découvre là-dedans ? Tout comme avec ces chiffres dans lesquels il avait découvert le mot « Ring », Ryuji voulait-il lui faire découvrir une information importante, par le biais de ces quarante-deux bases ?
Ryuji, depuis l’autre monde, avait-il inséré les mêmes mots plusieurs fois répétés dans l’échantillon prélevé de ses propres organes ?
La main d’Ando qui tenait la feuille se mit à trembler. Il lui semblait qu’il était acculé à la même impasse qu’Asakawa. Mais il avait déjà trop avancé pour pouvoir reculer. Ando lui-même, quand il avait vu cet étrange arrangement de lettres la veille, avait bien pensé, un bref instant, à l’éventualité d’un cryptogramme, mais il avait aussitôt repoussé ce mot au fond de sa conscience. Il craignait de voir le cadre scientifique de sa pensée et de ses actes se déformer de plus en plus, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus rien contrôler.
— Écoute, prends ce document et étudie tranquillement la question.
Quelle idée bizarre de la part d’un scientifique comme Miyashita de s’amuser à des jeux aussi peu scientifiques.
— Je suis sûr que tu arriveras à le déchiffrer, ajouta-t-il, en donnant à Ando une petite tape sur les fesses.