Lorsque l’ennemi fournit une occasion, saisissez-la sans délai. Devancez-le en vous emparant d’une chose à laquelle il attache du prix et passez à l’action à une date fixée secrètement.

L’art de la guerre, Les neuf sortes de terrain,

Sun Tzu, général de l’Empire du Milieu entre l’an 400 et 320 av. J. -C.

Chapitre 11

À Roc-Amadour, en l’an de grâce MCCCLIII{42}, au mois de mai.

La procession de Saint-Sacerdoce eut lieu, comme chaque année, le lundi de la Pentecôte. Une foule colorée venue des villes consulaires de Sarlat, du Mont-de-Domme, de Carlux et d’autres bourgades de la comté, de Montignac, de Calviac, de Carsac, de Salignac, s’était pressée vers Temniac pour remercier la Vierge de l’avoir délivrée du Mal qui rend noir.

 

Quelques jours plus tard, nous confiâmes nos enfants à la garde de Guillaume de Lebestourac qui avait déserté sa nouvelle maison forte de Reygniac sous le prétexte de respirer l’air frais de la reverdie en notre manoir de Braulen. En vérité, je m’étais laissé dire qu’il avait engrossé sa ribaude d’Anaïs et l’avait renvoyée chez ses parents, le temps qu’elle mît bas.

Invité à se joindre à nous, il déclara qu’un tel pèlerinage n’était plus de son âge. Il craignait qu’une nouvelle crise de goutte ne ralentisse notre cheminement. Ma mie lui proposa bien lapplication de sangsues, des lavements et des infusions de thym et de romarin, rien ne put infléchir sa décision. Il nous affirma quen vérité il se portait comme un charme et saurait veiller sur nos rejetons avec Michel de Ferregaye pendant les deux ou trois jours de notre absence.

Il envisageait dapprendre lart de la poterie à Jeanne, lart équestre et le maniement de lépée courte épointée et à tranchants rabattus à notre aîné, Hugues. Il convenait, en effet de laisser le cheval à bascule et lépée de bois, les poupées et les chiffons pour les pétiots.

Marguerite eut beau lui expliquer quils étaient encore bien petits, il rétorqua que la valeur, si elle nattendait pas le nombre des années, se forgeait dès la prime enfance. Surprenante affirmation de la part dun homme qui navait pas de descendance. Enfin, pas encore.

À la parfin, mon épouse se rallia à son avis en affirmant quun chevalier qui mavait adoubé ne pouvait que faire preuve de discernement dans léducation de nos enfants que je négligeais par trop.

Jappris, bien plus tard, que mon bon chevalier Guillaume avait déjà effectué le pèlerinage de Roc-Amadour quelques années plus tôt, pour rendre grâce à la Vierge de lavoir délivré des tourments de la chair et de lesprit que lui avait infligée son épouse. En mettant sur le chemin dune union affligeante un routier de passage.

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La veille de la Saint-Jean Baptiste, à laube, vêtus de bure, ceints de lécharpe des pèlerins, les pieds nus chaussés de simples sandales de cuir, une sportelle cousue à nos chapeaux, nous nous mîmes en marche pour franchir les six lieues qui nous séparaient de lautel de la Vierge, niché dans la chapelle Notre-Dame de Roc-Amadour, haut lieu bien connu de la chrétienté, sur le chemin de la route pour Saint-Jacques de Compostelle.

En ce temps-là, bien que nous portions la sportelle qui valait sauf alant et venant pour les pèlerins, nous courions à tout moment le risque dêtre capturés et rançonnés par les soudoyers de lune de ces viles compagnies de routier sans foi ni loi qui sévissaient sur les chemins sous le commandement de quelque capitaine, chevalier ou non, mais toujours brigand. Et qui monnayaient chèrement la vie et la liberté de ceux qui, quelle que soit leur condition, avaient limprudence de saventurer à proximité du Pas du Raysse, de sinistre réputation : pucelles enlevées et réduites à lesclavage de leurs désirs bestiaux, marchands rançonnés, pauvres hommes occis sils nétaient pas en mesure de bailler le prix de leur vie ou refusaient de se joindre à leurs bandes.

Or donc, les routes étaient peu sûres. Il était de notoriété publique quils se livraient à des commerces de toutes sortes entre Français et Anglais par lentremise des misérables qui tenaient ouvertement échoppes en le fort dAillac.

 

En ces temps de guerre et de disettes récurrentes, il en était toujours daucuns plus prompts à profiter grassement du malheur des autres quà nous aider à bouter les Godons hors le royaume.

Aussi, pour notre sauvegarde, avais-je décidé, contre lavis de Marguerite, que René le Passeur, promu depuis peu capitaine de mes archers, ouvrirait la route à cheval, accompagné par trois serments et trois archers montés. La douzaine darchers que je soldais était de ceux qui sétaient distingués lors de lattaque de lavant-garde anglaise et gasconne en notre village fortifié de Commarque, quatre ans plus tôt et lan dernier, lors du concours de tir à larc qui avait mis fin au grand tournoiement.

Les lopins de terre quils cultivaient avant larrivée de la pestilence ne suffisaient plus pour subvenir aux besoins de leurs familles. Ils avaient accueilli ma proposition de les solder avec une moue résignée. Ils auraient préféré pousser la charrue et traire les vaches. Ainsi va la vie.

En sentraînant trois ou quatre heures par jour, ils avaient progressivement réussi à atteindre des cibles à une distance de cent, deux cents et trois cents pieds. La vibration de la corde, le feulement de la flèche jouèrent bientôt une musique sans fausse note à mes oreilles de troubadour. Mes vilains se prirent très vite au jeu et tirèrent grande fierté de leur précision. En fait, ils n’eurent pas à jouer de leur instrument. Le voyage se déroula sereinement dans la paix de Dieu.

Marguerite marchait en tête et fredonnait des hymnes à la gloire de la Vierge, de Dieu et des archanges :

« Ego autem in innocentia mea ingressus sum : redime me, et miserere mei. Pes meus stetit in directo : in ecclesiis benedicam te, Domine. Gloria Patri… »

Je la suivais à quelques pas, tenant Serpentin, l’âne qui portait nos effets et nos provisions, par le licol et entonnai ses louanges à pleins poumons. Des louanges profanes selon le rite décrit par Pierre de Corbeil, archevêque de la ville de Sens au début du siècle précédent pour l’office de la fête des Fous, le jour de la circoncision de Notre-Seigneur :

 

Des confins de l’Orient

En ces lieux arrivant,

Un âne beau, gras, luisant,

Portant fardeau lestement.

 

Sur les coteaux de Sichem,

Il fut nourri par Ruben.

Il passa par Jordanem

Et sauta dans Bethléem.

 

Des trésors de l’Arabie,

Des parfums d’Éthiopie,

L’Église s \est enrichie

Par la vertu d’ânerie.

 

D’un chardon, il fait ripaille,

Et c’est en vain qu’on le raille.

Si dans la grange il travaille,

Il démêle et grain et paille.

 

Bel âne, répète « Amen » :

Maintenant, ta panse est pleine.

Bel âne, répète « Amen »

Ne songe plus à ta peine{43}.

Vers onze heures, après avoir traversé la rivière Dourdonne par le bac à la hauteur de La Treyne, franchi pechs et combes par des chemins tortueux et caillouteux, nous étions rompus et affamés.

Nous fîmes halte pour prendre une forte et belle collation sur la place de l’église de Pinsac, abreuver l’âne et les chevaux, leur donner leur ration de foin et d’avoine et prendre un peu de repos. Lorsque sexte sonna au clocher de l’église, nous reprîmes la route sous une chaleur torride. Le soleil était au zénith.

Marguerite chantonnait derechef et ouvrait la marche d’un pas alerte. Moi, je me traînai lamentablement, plus habitué à chevaucher qu’à marcher, redoutai des crampes aux mollets, desserrai les courroies de mes sandales pour soulager mes pieds enflés et tuméfiés, subissais la brûlure des cloques lorsqu’elles crevaient et mettaient la peau à nu. Je n’avais point subodoré pareille torture !

Je repris cette marche forcée dont Marguerite nous imposait l’allure, tel un pantin désarticulé, tous les muscles et les articulations en souffrance.

Insensible à la beauté du paysage, entre deux maux, mon esprit vagabondait sur des terres secrètes, virevoltait, passait du coq à l’ane, sans que je parvinsse à en organiser la savante mécanique.

 

Le Dieu du Bien. Le Dieu du Mal. Les hérétiques albigeois.

Leur Livre Sacré. La confrérie des Frères et Sœurs du Libre Esprit, simple déviance d’une hérésie supposée éradiquée depuis qu’avait été brûlé vif leur dernier disciple. Le consolamentum. Les Parfaits et les Parfaites. Les Bonshommes et les Bonnes femmes. Le rite du melioramentum. Le Trésor du Temple. L’ordre de succession du trésor des hérétiques albigeois. Chimère ou réalité ? Son héritière légitime, Isabeau de Guirande. Fabuleuse dot ou magnifique chimère ? L’eau et le sang du Christ. Poison mortel ou sainte relique ?

La troisième fiole dérobée par Arnaud de la Vigerie. L’assassinat du chevalier Gilles de Sainte-Croix, commandeur pour l’Aquitaine de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Saint homme ou fornicateur ? L’énigmatique Foulques de Montfort.

L’arrivée de la pestilence en notre comté. La Santa Rosa. La propagation foudroyante de l’epydemie de Mal noir. Des populations décimées. Le rôle du Saint-Siège ? Des Hachichiyyins ? Des juifs ? Des rats ?

Les Douze Maisons. Les douze signes du zodiaque, selon Montfort. Le gonfanon haussant des chevaliers templiers. Az-samt 31.47. À quoi correspondait cette mesure de l’azimut d’un lieu sur terre ou sur mer ? La mort du chevalier Alonzo de Peralda. Devais-je franchir les monts Pyrénées pour connaître la science des navigateurs barbaresques ? À qui d’autre pouvais-je m’en ouvrir ? À monseigneur Elie de Salignac ? Certainement pas !

Sustine et abstine. Ce mot de passe, dont seule Isabeau de Guirande connaissait la réplique. Une réponse qui ouvrait ses prétentions dans l’ordre de succession du trésor d’hérétiques albigeois. La Montagne sacrée.

Une dot sous forme de lettres à changer sur les trésoriers du Temple de Salomon ? Un ordre dissout, ses commandeurs, la plupart de ses chevaliers, de ses frères, arrêtés, torturés pour avoir, selon la légende, honoré le Baphomet et pratiqué la sodomie. Le grand maître brûlé vif sur le bûcher de l’île aux Juifs, sept ans plus tard. Le silence complaisant du pape Clément. L’accomplissement de la malédiction prononcée par Jacques de Molay. Les efforts infructueux de Philippe, quatrième du nom et de ses descendants, pour mettre la main sur le trésor du Temple.

Trois ou six nefs frappées de la croix de gueules pattée, appareillant du port de La Rochelle pour une destination inconnue.

Vers l’Écosse ? Vers la mer Baltique ? Vers le siège de l’Ordre de Sainte-Marie des Allemands, pour se placer sous la protection des chevaliers teutoniques ?

Sustine et abstine… J’avais entendu cette élocution latine à deux reprises. La dernière fois, de la bouche de la baronne Éléonore de Guirande. Mais, la première fois ? Oui, bien sûr ! Avant de rendre son âme à Dieu, le père Louis-Jean d’Aigrefeuille, dans un souffle in articulo mortis, avait pris le courage de me chuchoter ces quelques mots à l’oreille :

« Messire Bertrand, il ne me reste que peu de temps. Inutile d’appeler à mon secours. Les mires ne peuvent plus rien pour mon enveloppe charnelle. Il est trop tard. Le bon Dieu m’ouvre les bras et me sourit.

« Lorsque vous serez rendu en Avignon, voyez mon frère Guillaume. Dites-lui simplement : « sustine et abstine » ; il vous répondra : « mors ultima ratio ». Il saura que vous venez de ma part. C’est un homme puissant. Très écouté de notre Saint-Père… un futur cardinal. Si vous êtes un jour dans le besoin, il vous viendra toujours en aide… pour moi. »{44}

Cette fois, je connaissais le mot de passe complet. Que ne m’en étais-je souvenu plus tôt ! Je levai les yeux au ciel, d’une niceté immaculée. Pas un nuage. Un bleu d’azur.

Le résultat de ce défaut de vigilance ne tarda pas. Dans ces cas, il convient de regarder où l’on pose le pied. Nous descendions une sente fortement pentue. Mon pied, justement, heurta un de ces rochers qui affleuraient ici et là. Je trébuchai, lâchai un cri et m’étalai de tout mon long sur la pierraille.

J’écartai les bras, baisant le sol comme un séminariste devant l’autel, lorsqu’il est élevé à la prêtrise, et, faisant fi de la douleur violente qui m’envahissait, rendit grâce à la Terre d’avoir rappelé à ma mémoire ces trois mots. Mors ultima ratio. Un autre fragment de l’énigme était résolu. J’en étais intimement convaincu.

Je tentai de me relever. En vain. Marguerite se précipita vers moi, le visage inquiet, héla un des sergents qui fermaient la marche. Ils m’aidèrent à me mettre debout. Je dus serrer les dents pour ne pas hucher à gueule bec. Une foulure ou une cassure et deux ou trois côtes fêlées, diagnostiqua-t-elle.

 

« Messire mon mari, vous feriez bien de vous laisser hisser sur Serpentin. Vous ne pouvez plus marcher de conserve. Vous ralentiriez notre voyage et la nuit tombera dans trois ou quatre heures.

— Que nenni, Mag’rite. J’accomplirai ce pèlerinage à pied et offrirai mes souffrances au Seigneur !

— Messire Bertrand, êtes-vous sûr ? me demanda un des archers qui avait démonté, prêt à me hisser sur son cheval.

— Bon, cela suffit, à la parfin ! Qui est le maître en ces lieux ?

— L’évêque du Quercy. Et il vous enjoint obéissance, se rebuffa ma douce mie.

— Je ne reçois d’ordre que de Dieu !

— Vous péchez encore par orgueil, mon bel ami, et en serez divinement châtié si vous continuez à blasphémer. Votre devise n’est-elle pas « in pace colomba, in bello leones » ? Elle vous sied à merveille et le lion que vous êtes n’est point en guerre ici, alors soyez colombe, me suggéra-t-elle.

— Vous faites erreur, ma Mie ! J’ai modifié incontinent et céans ma devise. Elle sera : « pro Dei, pro Rege » ! C’est peut-être regrettable, mais c’est ainsi !

— Pour Dieu et pour le Roi ? Je vois en ce surprenant changement plus d’adresse dialectique que de noblesse de votre part ! Vous pourrez ainsi justifier tous vos actes selon vos changements d’humeur. Je croyais qu’autrefois vous ne teniez à rien en ce monde mais vous confesse ce jour d’hui mon erreur. Vous voulez tout : Dieu et le Roi !

— Pour les servir, ma Mie, pour les servir ! rétorquai-je mollement, en grimaçant et en me tenant les côtes.

— Par Saint-Christophe, serions-nous tombés dans quelque embuscade, demanda René le Passeur, sautant de cheval, la main sur la poignée de son épée, prêt à desforer.

— Non, René, not’maître a seulement chu sur un caillou. Il délire. Le sang échauffé a bouilli, a pénétré sa cervelle et l’a détruite, ironisa Marguerite.

— Mais l’blessé respire encore, s’étonna René, le bec fendu d’un large sourire.

— Les restes de la vie à l’approche de la mort ! Rien de plus. Il cessera bientôt de respirer, bouche ouverte, béant sur de rares chicots jaunis par une trop rare pratique du frottement des gencives et un trop fort appétit pour les viandes », se gaussa-t-elle en bombant la poitrine et en cambrant les reins.

J’eusse dû rugir, mais ne pus que lâcher un juron et un éclat de rire qui me brisa la spondille plus sûrement que le rocher sur lequel j’avais trébuché m’avait brisé les côtes.

Je regrettai que Clic et Clac, mes deux dogues, ne nous aient pas accompagnés. Ils auraient soigné mes navrures à grands coups de langue chaude et râpeuse. Ma mie en avait décidé autrement : un pèlerinage s’accomplissait sans jappement. Nos seules pensées devaient être dirigées vers Dieu et la Vierge Marie, avait-elle tranché.

 

Je réussis à poursuivre notre voyage et à escalader la sente qui surplombait la vallée de l’Ouysse. Les pieds bardés de linge, les cloques crevées, les côtes jusqu’alors fêlées, assurément brisées à présent.

L’air était chaud. Nous franchîmes à grand arroi de peines un col où trônait une croix occitane gravée de la coquille de Saint-Jacques de Compostelle, laissant à notre dextre la vallée de l’Ouysse pour descendre vers les gorges de l’Alzou où l’incroyable cité fortifiée était agrippée à la falaise du causse.

Son élévation, d’une hardiesse invraisemblable, était un véritable défi à la vertigine pour tous ceux qui avaient contribué à sa construction. Dans le modeste sanctuaire primitivement dédié à la Vierge depuis des temps immémoriaux, la cité mariale de Roc-Amadour était connue pour abriter, entre autres trésors, le corps de saint Amadour, découvert intact en l’an de grâce 1166, devant rentrée de la chapelle miraculeuse. Une ancienne et belle croyance, toujours vivace, affirmait que la cloche sonnait à chaque fois quun marin, en grande détresse, priait la Vierge de Roc-Amadour de venir à son secours.

 

Ce bon René se tenait à mes côtés, prêt à parer à la moindre défaillance de son maître. Mes narines baignaient dans les relents de sa suance rouquine, plus ou moins forts au gré de notre cheminement. Pas un souffle dair. Pas de légère brise.

Marguerite nen était pas incommodée. Elle trottinait dun pas alerte, chantant à tue-tête des hymnes à la gloire du Seigneur. Un quart de lieu plus avant. Je tentai daugmenter lallure. Peine perdue.

Avec grand soulagement lorsque nous atteignîmes les bords de lAlzou, je plongeai mes membres fourbus dans leau fraîche de la rivière et faillis bien mendormir sous le gazouillis des oiseaux et le bruissement de leau sur les pierres. René me tira sans ménagement de ma torpeur et je dus me résigner à me hisser sur le dos de Serpentin, entre deux bissacs, pour gravir la sente qui menait, tout en haut, à la Voie Sainte par la porte du Figuier.

Javais fière allure ainsi pour remonter la GrandRue en cet équipage, porté par un âne que je chevauchais à la façon dune femme montant une haquenée ou un baudet !

 

Lhôpital Saint-Jean accueillait les gens du Voyage. Je my rendis sans tarder, sans prendre le temps dadmirer la vue splendide sur les gorges, la cité religieuse et le château qui baignaient dans la lumière dorée du soleil couchant. Je meffondrai tout habillé dans un grand baquet fumant qui fleurait bon la crasse de ceux qui my avaient précédé.

Une heure plus tard, je renonçai à lidée de mallonger incontinent sur lune des paillasses à sept ou huit places mises à notre disposition, en raison de mon « fort appétit pour les viandes ».

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Le lendemain matin, le jour de la Fête-Dieu, le cœur battant la chamade, nous gravîmes les deux cent seize marches qui menaient aux sept églises et aux douze chapelles, et récitâmes, à genoux sur chacune, un « Pater noster » et un « Je vous salue Marie » en souvenance de notre saint roi Louis qui avait fait ce pèlerinage deux fois au cours du siècle passé.

René le Passeur voulut gravir les marches à cheval. Nous len dissuadâmes, eu égard à la sainteté des lieux. Ne voulant nous quitter dune semelle alors que la cité était forte dune solide garnison et quaucune friponnerie nétait à craindre, il se résigna à singer nos génuflexions en grimpant les marches à la façon dun canard, un genou en avant, lautre en arrière. Puis un genou sur la marche supérieure, lautre en appui sur la marche inférieure.

À bout de souffle, jatteignis le parvis de la chapelle magnifiquement décoré de fresques représentant lAnnonciation et la Visitation.

 

Un nombre considérable de pèlerins était déjà rassemblé devant le portail flamboyant de la chapelle Notre-Dame pour recevoir les sacrements de la pénitence et de la communion qui valaient indulgence plénière à perpétuité. Jépongeai mon front avec le linge de soie que la princesse Échive de Lusignan avait fait broder par ses lingères. Discrètement. Pour que ma tendre mie ne le voie pas.

Lodeur de bouc quexsudaient nos corps, la veille, était moins forte sous nos bliauds de lin.

Durandal, lépée de Roland le Preux, était toujours enfoncée au tiers de sa lame dans le roc qui surplombait la chapelle de la Vierge. Car ce nétait point une légende. Quoique, quoiqu... la lame, la garde et le pommeau me semblaient bien conservés depuis cinq siècles, sur ce roc humide où de nombreux écoulements suintaient par de multiples anfractuosités...

Miracle de la Vierge ou main de lhomme ? Jinclinai plus volontiers pour lavidité des marchands du temple qui veillaient, à leur façon, à entretenir les légendes qui faisaient le renom de ces hauts lieux de pèlerinage.

En rétribuant, à loccasion, les talents de quelque forgeron. Peu me challait au fond et peu importait le fer. Lesprit de Roland planait sur le parvis. Nétait-ce pas lessentiel ?

 

Nous prîmes messe et communion à la basilique Saint-Sauveur en compagnie des trois jeunes gentilshommes qui, selon la légende, auraient été interpellés dans un cimetière par trois défunts qui leur auraient rappelé la brièveté de la vie et limportance du salut de leur âme...

Après loffice, Marguerite déambula dans la GrandRue, dans la rue de la Couronnerie, dans le vieux Coustalou et ailleurs, à la recherche de sportelles représentant la Vierge en majesté avec lEnfant Jésus sur le genou. Depuis peu, chaque quartier était défendu par lune des onze portes fortifiées destinées à protéger la cité, les sanctuaires et les reliques de lattaque des routiers. Et à filtrer et canaliser le flot des pèlerins. De sorte que certaines portes furent fermées et dautres, ouvertes. Ne pouvant allonger lallure, je la perdis très vite de vue.

Nous nous retrouvâmes tous dans une taverne, vers midi, pour dîner. Marguerite avait un bissac rempli de sportelles de bronze, détain, dargent et dor quelle avait lintention doffrir à sa mère, à nos enfants et à nos compains de route.

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Marguerite était agenouillée dans la petite chapelle miraculeuse. Les murs étaient couverts dex-voto, sur lesquels étaient aussi accrochés de petits bateaux déposés par des marins reconnaissants davoir été sauvés dune tempête ou dun naufrage.

Une émouvante statue de la Vierge dominait lautel. Elle était revêtue de plaques dargent et lon pouvait la penser noire, tant elle était encalminée par les fumigations quexhalaient, jour et nuit, les innombrables cierges qui lentouraient.

Après avoir consulté le Livre des miracles, je fis une longue prière ; non, courte mais sincère, et abandonnai ma dévote épouse à sa piété pour me glisser dans la sacristie à la recherche du saint homme, pour quil me remette les précieuses fioles que je lui avais confiées quatre ans et trois mois plus tôt. Dès mon retour de l’île de Chypre.

Des fioles promises à monseigneur de Salignac pour quil mevèle enfin le nom de la forteresse qui abritait Arnaud de la Vigerie en ce duché de Bretagne et le nom sous lequel il se faisait connaître. Et bien sûr, pour arracher des crocs de ce loup ma tendre Isabeau de Guirande.

Javais lintention de ne remettre que lune des deux fioles à l’évêque de Sarlat, sous un prétexte suffisamment plausible pour qu’il ne se doute pas que javais conservé lautre. Depuis lautomne dernier, javais eu le temps de préparer une explication sans faille.

Jignorais quelle ne me serait daucune utilité, car il savéra qu’une main criminelle en avait dramatiquement décidé autrement.

 

Je navais pas averti le saint homme de ma venue. Il nétait pas dans la sacristie de la chapelle miraculeuse. Je me souvenais de lendroit où il mavait dit quil cacherait ces précieuses reliques, mais je répugnai à men saisir sans len informer, de crainte quil ne pensât quelles avaient été dérobées.

Or donc, je partis à sa recherche dans les rues de la cité sainte, interrogeai les clercs que je croisai sur mon chemin. Le vieux chevalier avait disparu. Ils me déclarèrent quil ne devait pas se trouver bien loin, certainement dans la sacristie de lune des nombreuses chapelles ou églises de la cité. En réalité, il était fort possible que je leusse croisé sans le voir, dissimulé à mes yeux dans la foule des pèlerins vêtus de bure comme lui et moi.

En désespoir de cause, lorsque sonna none, je retournai dans la sacristie de la chapelle de la Vierge. Marguerite était toujours en prières, à dix pas de lautel.

 

Je rouillai la mécanique secrète qui donnait accès à un petit tiroir caché dans le tabernacle. Elle me résista. Lhumidité ?

Plus de cinq ans déjà ! Cette fois, fourbu comme je létais après avoir sillonné les rues et parcouru des lieues et des lieues avec des côtes fêlées et une entorse au pied, mes sangs s’échauffèrent. Pourtant, je n’avais point l’humeur bileuse. Plutôt chaude, mais point bileuse à en accroire ma jeune et belle lingère préférée. Ma douce mie. Après Échive de Lusignan, me surpris-je à penser. Avant ou après ?

J’avais connu Marguerite lors d’un souper en la librairie du château de Beynac, alors que ma vie se jouait à pile ou croix. J’avais eu le temps de glisser le doigt jusqu’aux pistils de sa fleur et m’apprêtais à la déflorer de maladroite façon si des bruits incongrus ne l’avaient alertée. Elle avait rapidement rabattu les plis de sa robe et renoué ce qui restait des lacets d’un corsage que j’avais tranchés au cotel{45}.

Et j’avais dû attendre deux ans pour connaître les délicieuses jouissances du plaisir charnel, à l’heure du banvin, dans une anfractuosité de la baie de Kyrenia, en l’île d’Aphrodite{46}.

 

La mécanique secrète me résistait toujours. Je plongeai la main dans ma poche, saisis le petit cotel qui me permettait de trancher le pain et la viande, en glissai la pointe dans la fente, l’enfonçai et essayai d’en forcer l’ouverture. À la troisième tentative, la lame se brisa mais la porte bailla.

Je plongeai la main à l’intérieur. Point de fioles !

De quoi s’émouvoir, me direz-vous ? Eh bien, non. Je ne le fus point, car les fioles de Joseph Al-Hâkim, devenu frère Joseph de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, ne devaient pas s’y trouver{47}. Pensez, tant de messes étaient célébrées ! Tant de burettes remplies, bues et rangées ! La cache aurait pu être découverte. Et si l’une ou l’autre des fioles renfermait le Mal noir… alors n’importe qui aurait pu les boire ou en verser le contenu dans une burette.

Je poursuivis mon exploration à la recherche de l’écrit où le saint homme m’avait dit déposer le message qui m’indiquerait où il avait caché les fioles. D’icelle façon, il pouvait en changer remplacement à tout moment si, par prudence, il le pensait nécessaire, et j’en serais averti.

Rien.

Je farfouillai en tous sens.

Rien. Toujours rien.

La cache était vide. Désespérément vide.

Je balayai la pièce des yeux. Je n’y voyais goutte. Je pris une bougie, en affouai la mèche. La cire coula et me brûla les doigts. Je serrai les dents. Une tenture pendouillait, non loin. Je l’écartai d’un geste trop vif qui m’arracha un gémissement de douleur.

Et un cri de consternation.

Je ressortis précipitamment de la sacristie. Marguerite priait toujours, les yeux fermés. Personne ne semblait m’avoir entendu. Je repartis sur la pointe des sandales et refermai tout doucement la porte. Dans le silence des cierges et des âmes trépassées. Dans le silence des défunts.

 

Car, de défunts dont les âmes soupiraient au-dessus de nos têtes, il y en avait un de plus. Le vieux chevalier, compain d’armes de feu mon père, avait lui aussi passé les pieds outre. Passé les pieds outre est une expression impropre. Il était suspendu derrière la tapisserie, proprement sorçaint par le col à une corde fixée à un crochet, la langue sortie, les yeux révulsés.

Je dérapai sur une flaque qui ne pouvait être que d’orine. Le pauvre homme avait été étranglé. Son corps était encore tiède. Je ne connaissais rien à la physique des corps, mais me gardai bien de troubler le recueillement de mon épouse.

L’homme était mort. Bien mort. De sa bouche ne sortait plus aucun souffle. Il n’y aurait point de suscitation. Sauf un miracle. Et le miracle ne se produisit pas. Je me signai et posai la bougie dont la cire dégoulinait le long de mes doigts sans que j’en ressentisse maintenant l’atroce brûlure.

Nous aurait-on suivis de loin pendant notre pèlerinage ? Personne ne connaissait les relations qui nous avaient unis. Personne. Je ne sentais aucune présence, aucune menace et n’entendais aucun bruit. À part moi, il n’y avait âme qui vive.

Les doigts de l’une de ses mains, décharnés et blanchis jusqu’à l’os, étaient crispés autour de la corde qui enserrait son col en une vaine tentative pour en desserrer le mortel étau.

Le vieux chevalier s’était-il donné la mort pour une raison inconnue ? S’était-il infligé l’endura à la manière des hérétiques albigeois ?

 

Sur le point de renoncer à poursuivre ces investigations macabres, un curieux détail attira mon attention : l’index de son autre main était dressé à dextre alors que les doigts étaient repliés, les ongles enfoncés dans la paume. J’examinai cette curieuse contraction musculaire à la lumière vacillante de ma bougie.

Avait-il voulu, dans un dernier sursaut de vie, désigner quelque chose ou quelqu’un ? Le doigt était roide, mais il n’y avait rien de particulier dans la direction qu’il désignait.

Je me dis que le corps avait peut-être tourné autour de la corde lors de la pendaison. Cette hypothèse semblait confirmée par le fait que le malheureux n’était pas mort immédiatement, comme cela aurait été le cas si les spondilles cervicales avaient été rompues. Si on avait mis fin à son agonie en tirant violemment son corps par les chevilles, par exemple.

 

En me signant une nouvelle fois, je fis tout doucement tourner le corps du malheureux bonhomme autour de l’axe du gibet improvisé.

Non. L’index ne désignait rien. Rien qu’un calice renversé sur le sol. Un calice richement sculpté et serti de moult pierres précieuses. Le mobile du crime ne pouvait être le vol : un larron, en quête de larcin, surpris dans la sacristie, ne se serait onques enfui en oubliant ce magnifique objet. L’assassin avait signé son crime. Il cherchait autre chose. Les fioles ? Un meurtre, oui, assurément ! Mais commis par quel assassin ?

N’étant plus à un sacrilège prêt, je l’ouvris. Il contenait, sur un morceau de parchemin, deux sceaux : celui de Pierre Tison, évêque de la cathédrale Saint-Front, à Pierreguys, et un petit sceau qui, d’après le meuble qui l’ornait, pouvait être celui d’un maître maçon ou d’un tailleur de pierres.

Ce sceau, je le reconnus incontinent. C’était le même que celui que notre tailleur de pierres avait apposé sur la clef de voûte de la Grand’salle de notre château de Rouffillac, six mois plus tôt.

Il me parut évident que le maître, dont les manouvriers avaient taillé les blocs qui avaient permis d’édifier les nouveaux ramparts et les portes de la cité sainte, était le même que celui qui avait restauré récemment la cathédrale Saint-Front. Il parachevait actuellement la consolidation des murailles de mon château.

L’espoir d’une piste, d’une piste sur le nouvel emplacement des fioles. Une bien maigre piste, toutefois. Je ne tarderais pas à être fixé.

 

Mon Dieu ! Où m’avait mené ma quête du Graal ? De quelle boîte de Pandore avais-je soulevé le couvercle, dans ce songe, par une nuit enneigée du mois de janvier de l’an de grâce 1345, pour que mon chemin soit jalonné de tant de crimes ?

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Marguerite priait encore dans la chapelle Notre-Dame. Quelques sergents d’armes m’attendaient sur le parvis. Ils trouvaient le temps des prières un peu long. Aussi blanc que le saint Suaire, je me dirigeai derechef vers ma tendre mie, posai une main sur son épaule et l’invitai à raccourcir ses oblations.

Nos hommes d’armes se signèrent et nous emboîtèrent le pas. Dans ma hâte de plier baguage et de regagner nos demeures du Pierregord, je descendis les deux cent seize marches, quatre par quatre, oubliant toute entorse et toute douleur au côté.

Nos deux écuyers devaient nous avoir rejoints au pied des marches. Ils avaient reçu mission de nous amener mon palefroi Éclair, frère de mon destrier Éclat d’Orient, et la jument haquenée de Marguerite, pour le chemin du retour, le lendemain à la première heure. Serpentin, notre âne, nous attendait docilement, les oreilles dressées et bien bâté.

Mais décuyer, il ny en avait point. La nuit tomberait bientôt. Javais grande hâte à quitter les remparts de Roc-Amadour avant que les rochers auxquels la cité était agrippée ne nous engloutissent dans une avalanche de roc, de sang et de feu. Avant que lon ne découvrît le corps du pauvre homme pendu dans la sacristie de la chapelle de la Vierge. Un autre innocent dont javais abrégé les jours en lui confiant mes fioles.

 

Je laissai libre cours à un mouvement de colère. Jexplosai :

« Mais où sont donc passés ces vaunéants ? Auraient-ils été retardés en chemin par quelques folieuses en leur bordeau ? Il ny en a point tant que ça, pourtant, sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle ! Sont-ils en train de lancer les dés dans une taverne ou dy faire ripaille ?

« René ! René, mais où es-tu bon Dieu ? »

Un attroupement sétait formé devant lhôpital Saint-Jean. Jécartai les badauds.

Un cheval gisait, les naseaux dilatés, lécume aux lèvres. Le cavalier avait crevé son coursier sous lui. Quel imbécile !

Je huchai à gueule bec :

« René, par Notre-Dame Brachet, vas-tu venir à la parfin ? »

Jentendis le bruit dun cheval au galop en provenance de la porte du Figuier. Les sabots martelaient les pavés au risque de perdre un fer. Les niquedouilles, la Fête-Dieu leur aurait-elle fait perdre la tête ?

Je priai un palefrenier qui caressait lencolure du cheval à lagonie daller quérir un équarrisseur sur le champ. Il larmoya pour me dire que tous les corps de métier, à cette heure, avaient fermé boutique et quil faudrait attendre le lendemain pour mettre fin aux souffrances de lanimal.

Je mapprochai. Le fier destrier avait perdu trois fers. Ses membres antérieurs et postérieurs étaient tellement gonflés que je ne le reconnus pas de sitôt. Mais cette selle, ces arçons…

« Par le Sang-Dieu, ce nest pas possible ! mécriai-je.

Le destrier dOnfroi de Salignac ! hoquetai-je. Puis madressant à la foule qui se pressait, je rugis :

« Où sont passés mes écuyers ? Où est lécuyer qui montait ce cheval ?

— Messire mon mari, ne jurez point en ces lieux saints ! » madmonesta Marguerite, les joues aussi rouges que des peneaux, les yeux aussi noirs que de lencre de galle.

Les gens qui faisaient cercle autour du destrier, à voir ma mine desfaciée, eurent un mouvement de recul. Je levai la main et leur demandai derechef sils avaient vu le cavalier.

Des têtes se tournèrent les unes vers les autres, des moues d’ignorance se formèrent sur leur lippe, mais tous saccoisèrent. J’allais pousser un coup de gueule lorsquun damoiseau boutonneux, en robe de pèlerin, mapprit que le cheval sétait couché à l’entrée de lhostellerie, mais que son cavalier avait dû vider les arçons plus loin car personne ne le chevauchait.

René accourut enfin. Je le réprimandai vertement et lui ordonnai dabréger les souffrances du cheval.

Il desfora lépée.

Je tentai vainement décarter la foule de plus en plus nombreuse qui se pressait autour de nous. Chassez le naturel et il revient au galop, ne pus-je mempêcher de penser. Une heure plus tôt, tous ces braves pèlerins priaient, se confessaient et communiaient. Maintenant, ils jouissaient à lidée dassister au sacrifice de cet animal sur lautel de leur bestialité.

Aucun garde de la cité nayant accouru pour disperser les badauds, jordonnai à mes hommes darmes et à mes archers de le faire. Ils le firent, sans ménagement, avec une magnifique aisance, en formant un cercle autour de nous de sorte que quiquionques ne purent voir René plonger son épée dans le cœur de l’animal.

Le destrier dont on avait entendu les sabots marteler le sol perça le cercle. Guilbaud de Rouffignac sauta de cheval. Il portait en croupe le corps dun homme.

« Messire Brachet, nous avons grand malheur ! Onfroi est blessé. Il a chu de cheval à lentrée des portes et jai réussi à le hisser. Il a besoin des soins d’un mire. Il perd son sang !

— Que s’est-il passé ? Avez-vous été attaqués par les Godons ? Par des routiers ?

— Que nenni, messire, tout s’est passé à Calviac ! hoqueta le jeune écuyer, les larmes au bord des yeux, en proie à un terrible émeuvement. Nous avons livré bataille. Le chevalier Guillaume est gravement blessé ! Michel de Ferregaye poursuit les soudoyers !

— Soit, gardons notre calme ! Nous rentrons ce soir à brides avalées. Nous confierons Onfroi de Salignac aux bons soins des mires de l’hôpital. À première vue, il a perdu conscience des choses, mais ses navrures ne devraient pas mettre sa vie en danger, espérai-je après avoir examiné superficiellement le blessé que mes gens portaient sur une civière.

— Et nos enfants, messire Guilbaud ? Nos enfants ? hucha Marguerite à oreilles étourdies. Sont-ils sains et saufs ? Parle, Guilbaud ! Parle ! »

Notre écuyer fondit en larmes.

 

Le manoir de Braulen était en feu.

Notre aîné, Hugues, avait échappé à la surveillance des serviteurs.

 

Tout laissait penser qu’il avait été enlevé.