PROLOGUE

Abbaye d’Obazine, en l’an de grâce MCCCLXXXI, le lendemain des nones de janvier, peu après les matines{1}.

Le vent de norois avait-il tourné ? Les arbres qui entouraient l’abbaye n’avançaient plus, ni ne reculaient. Leurs branches chaussées de blanc s’inclinaient avec majesté, se redressaient lentement, puis se touchaient en saupoudrant de légers flocons tourbillonnants le sol verglacé. Elles dansaient une étrange ronde de carole que d’aucuns auraient pu penser de joie.

 

La lune ronde disparaissait à l’ouest, éclairant encore par moments à travers le vitrail de la chapelle, d’une lumière palote, le visage des quelques moines et des frères convers qui psalmodiaient, a cappella, des chants grégoriens dans le respect de la règle de saint Benoît. Des hymnes à la gloire de Dieu et de la Vierge qu’ils invoquaient plus que jamais depuis que les terribles chevauchées anglaises, menées par un ennemi ravagé par la maladie et le désarroi, avaient repris de plus belle. En un ultime sursaut.

 

Depuis qu’il avait proprement mutilé et desfacié le vieil homme qui s’était dressé sur son chemin, le loup flairait un piège.

Il s’immobilisa. Il épiait les bruits de la forêt et en humait les odeurs, tous ses sens en alerte. Devait-il vraiment répondre à l’appel de sa mère, la louve ? Il ne l’ entendait plus hurler à la mort. Aucun gémissement, aucune plainte.

Le jeune loup hésitait. Mais… la louve ne lui avait-elle pas laissé entendre qu’il serait le roi de la meute, s’il la rejoignait un jour ? Ne deviendrait-il pas le maître des bois, des champs et des forêts, un grand et riche seigneur loup, libéré de toutes les contraintes de la nature ?

On l’honorerait, le flatterait, le servirait. Il n’aurait plus à se battre pour sa nourriture, risquer sa vie pour les autres membres de la meute.

 

Il serait le Roi.

 

Un roi assoiffé de pouvoir.