Généralement, celui qui occupe le terrain le premier et attend l’ennemi est en position de force ; celui qui arrive sur les lieux plus tard et se précipite au combat, est déjà affaibli.

 

L’art de la guerre, Des points faibles et des points forts d’une armée en campagne, Sun Tzu, général de l’empire du Milieu entre l’an 400 et 320 av. J. -C.

Chapitre 1

À Commarque, vingt-deux ans plus tard, en l’an de grâce MCCCLXX{2}, au treizième jour du mois de septembre, peu de temps avant que messire Bertrand Du Guesclin ne soit élevé à la dignité de connétable de France.

Le jour des ides de septembre, vers l’heure des matines, l’air était doux. Sec, mais doux. Un léger vent d’autan soufflait depuis une semaine sur la comté du Pierregord.

Saisi par un mauvais pressentiment, j’avais tiré du lit mes deux écuyers, Onfroi de Salignac et Guilbaud de Rouffignac, sans ménagement, bien avant le lever du jour. Puis, vêtu d’un simple surcot et d’un mantel à mes armes, j’avais scellé moi-même Ténèbres, mon destrier noir, produit d’un croisement entre le splendide étalon arabe que m’avait offert la princesse Échive de Lusignan et une robuste jument normande. Nous avions quitté le château de Rouffillac tôt le matin, et chevauché tantôt au pas, tantôt à brides avalées vers le village fortifié de Commarque.

Lorsque nous parvînmes aux approches de la vallée de la Beune, nous aperçûmes au loin la forteresse dont le donjon avait été rehausté quinze ans plus tôt.

La bannière, coupé d’argent à deux chiens braques de sable passant et contrepassant l’un sur l’autre, et d’azur à trois lys d’argent des Brachet de Born, claquait au vent. Onfroi de Salignac, l’un de mes plus fidèles écuyers, mon ami et compain d’armes, l’arborait sur la hampe de sa lance, maintenue droit sur l’arçon. Il la tenait fermement en main dans son gantelet de fer.

Les fougères et les feuilles des châtaigniers brunissaient, celles des hêtres, des charmes et des chênes qui bordaient notre route résistaient encore vigoureusement aux premiers coups de vent des approches de l’automne.

Quelques vieux manants, paysans ou bergers qui vaquaient à leurs travaux d’automne, nous saluèrent au passage en décoiffant leur chapeau de paille ou leur bonnet de laine. Ce témoignage de leur reconnaissance, en souvenir des terribles épreuves que nous avions vécues ensemble entre le printemps et l’automne 1348, me toucha droit au cœur, qu’à la parfin je ne devais pas avoir aussi dur que je me plaisais à le croire.

 

Sur la sente qui menait à travers pechs et combes à la barbacane de la forteresse, nous avancions au pas. Une drolette surgit au milieu du chemin. Je levai la main dextre et fermai les doigts sur les brides de Ténèbres de l’autre, pour m’approcher d’elle.

Elle était belle, une douzaine d’années peut-être. Blonde, les cheveux dénoués, des yeux vert émeraude sur un visage qui ne manquait pas de charme. Elle me fit aussitôt penser à ma sœur Isabeau de Guirande que j’avais entrevue dans ce songe incroyable, dans une grotte de cette vallée, en ce glacial hiver de l’an de grâce 1345{3}. Sans avoir encore eu l’heur de l’accoler.

« Puisse… puisse, vô-vô-vôtre Grâce me pa-pardonner, messire ! » babilla-t-elle, blèze, les joues aussi rouges que des peneaux l’été, en me tendant un panier à bout de bras.

Arrivé à sa hauteur, je sautai à terre : elle me présentait un modeste panier d’osier couvert d’une pièce de couleur. Sans dire un autre mot, un tendre mais timide sourire sur les lèvres, quelques perles d’émeuvement sur le front, elle souleva le tissu et m’offrit six œufs. Six œufs dont la coquille avait cette belle couleur jaune du grain que nos poules picorent à longueur de journée en nos basses-cours. Dieu, qu’elle ressemblait à ma gente fée aux alumelles ! J’en fus profondément troublé ; tant de souvenirs d’un passé lointain rejaillissaient si soudainement !

« Qu’ai-je fait pour mériter pareille offrande, gente damoiselle ? lui demandai-je en lui rendant son sourire.

« Pardonnez grande hardiesse d’une petite fétote comme moi, messire Brachet de Born ! Mais, s’il est vrai que les temps sont durs pour de pauvres vilains comme nous, mes parents vous bénissent tous les jours. Onques, ils n’oublieront ce que vous avez fait pour eux.

— Comment diantre le sais-tu ? Tu es bien jeunesse pour avoir connu ces temps de malheur ?

— Sept ans ? Mais, mais j’aurai bientôt douze ans, votre Grâce !

— Tu te méprends, je parlais d’une époque où tu n’étais point née…

— Ah, oui ! Trop jeune pour l’avoir connue cette époque, certes. Et trop âgée pour ne point avoir ouï tous vos bienfaits.

— Mais, par Saint-Bertrand, par quel sortilège as-tu pu me reconnaître ?

— N’y voyez point un sortilège, messire. Nos parents nous ont appris à lire la couleur de vos armes depuis notre plus tendre enfance ! » justifia-t-elle en désignant du menton la bannière que brandissait mon écuyer. Visiblement surprise que je n’eusse pas saisi cette évidente relation…

 

J’acceptai avec solennité son offrande et proposai deux œufs encore tièdes à chacun de mes écuyers qui n’avaient point démonté. Nous piquâmes la coque de la pointe de nos dagues pour les gober goulûment sous ses yeux. Elle nous regardait avec tendresse en passant une petite langue rose sur ses lèvres, sans plus prononcer une parole.

Elle s’inclina en soulevant sa robe de grossier lainage brun, fléchit légèrement un genou et s’écarta du chemin. Je la rappelai aussitôt pour lui tendre deux florins d’or que je venais de sortir de mon aumônière. Le sourire qui éclairait son visage d’enfant s’éteignit et, d’un geste de la main, tête basse, elle refusa ce don.

Je lui saisis alors les épaules avec douceur, posai un doigt sous son menton pour l’inviter à relever le chef et me courbai pour déposer une légère poutoune sur son front, tout en glissant les pièces dans son panier, à son insu. Un joli sourire illumina à nouveau ses yeux cristallins :

« Prenez grand soin de vous, messire Bertrand ! Que Dieu vous garde ! » lança-t-elle avant de s’enfuir en courant à travers le sous-bois.

Loin de m’amalir, j’en fus tout chaffouré : comment cet enfant émerveillable pouvait-elle savoir que je chevaucherai ce jour, à cette heure, vers mon destin ?

Le destin que j’avais préparé de longue date et qui m’amenait ce jour d’hui à veiller aux derniers préparatifs du procès qui se tiendrait à huis clos, dès le lendemain. Dans la splendide salle souterraine de l’ancienne commanderie de l’Ordre du Temple.

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Nous n’étions pas revenus en ce village fortifié de Commarque depuis le mémorable et sanglant combat qui avait opposé nos gens d’armes et nos archers paysans improvisés aux soldats d’élite des batailles anglaises et aux Gascons de la comté de Béarn{4}.

Que de souvenirs, que de fortes émotions nous assaillirent, que d’images défilèrent dans nos crânes lorsque nous franchîmes le pont-levis de la principale barbacane ! Les lieux n’avaient guère changé. Seuls, quelques aménagements avaient été apportés, ici ou là, pour rendre plus aisé le passage des hommes et des chevaux entre les différentes maisons fortes du village. Un fossé les séparait cependant toujours de la forteresse.

« Vous semblez bien songeur, messire Bertrand, remarqua Onfroi de Salignac.

— La guerre a épargné ce village depuis notre départ, mais les pierres souffrent, elles parlent. Ne les entends-tu pas gémir ? Elles nous content leur gloire passée, lorsqu’elles résistèrent victorieusement à l’assaut de nos ennemis. Il règne ce jour d’hui sur ces lieux un air d’infinie tristesse…

— La brume, messire, la brume, ce n’est que légère brume qui s’élève de cette humide vallée.

— Crois-tu, bel écuyer ? Je sens de lourds maléfices planer sur ces murs autrefois si vivants, si animés par la fougue ou l’insouciance de notre jeunesse.

— Nous étions en guerre, messire Bertrand ! Et bien des nôtres ont été occis. Peut-être est-ce l’âme de ces malheureux qui parle et que tu entends.

— Comme si ce village n’était plus peuplé que d’esprits fols, de lutins et autres farfadets, poursuivis-je sans prêter attention à la suggestion d’Onfroi de Salignac.

— Aurais-tu lu trop souventes fois le roman des chevaliers de la Table Ronde ? Nous ne sommes point en la forêt de Brocéliande ! Point de fée Mélusine ici, renchérit Guilbaud de Rouffignac en souriant de toutes ses dents qu’il avait encore bellement blanches et intactes.

 

Les murs, entre la maison des Commarque et la Maison-tour à contreforts, avaient été mieux remparés et de nouveaux mâchicoulis en pierre avaient remplacé les vieux hourds de bois que nous avions improvisés à l’époque en fichant des madriers dans les trous de boulin de la muraille, à l’est de la citadelle, entre la Maison-tour, la Chapelle Saint-Jean, et le donjon.

Mais la pierre blonde des logis était devenue plus terne, plus triste. De la mousse s’était répandue sur les façades exposées au nord. Quelques lauzes manquaient sur les toitures. Le village pleurait, lui aussi, les effets d’une guerre qui perdurait, ruinait les plus pécunieux et terrassait les plus pauvres ou les plus malchanceux.

 

La cloche de la chapelle sonnait laudes, lorsque je mis pied à terre et tendis la bride de mon destrier au valet d’écurie qui s’était avancé pour s’en saisir. Mon destrier hennit, frappa et griffa le sol pierreux de ses sabots antérieurs. Chassant de mon esprit le mauvais pressentiment qui m’avait saisi tout à trac, je lui caressai l’encolure, flattais ses naseaux pour l’apazimer et me permis même une claque sur la croupe.

Mes deux écuyers avaient appartenu autrefois aux maisons des chevaliers Mirepoix de la Tour et Gaucelme de Biran, qui résidaient en ce village. Ce jour d’hui, fervêtus d’un grand harnois plain, ils eurent plus de difficulté que moi à démonter, et l’on dut venir à leur secours pour qu’ils ne chutassent pas sur le cul dans un bruit colossal de plates de fer tordues ou disloquées.

En me dirigeant d’un pas déterminé vers l’entrée de la crypte, j’imaginais déjà les dix-sept candélabres à cinq branches (que Michel de Ferregaye, mon féal capitaine d’armes, m’avait dit avoir fait disposer entre les gisants de pierre) projeter sur les fresques peintes sur les murs une lumière jaune et orange. Elle animerait les magnifiques statuettes en autant de témoins silencieux de la sentence de mort qui serait bientôt prononcée par mon tribunal.

Une sentence à l’encontre du plus grand criminel que la terre ait connu : l’un de ceux tout au moins qui, par son comportement concupiscent, était à l’origine de cette epydemie foudroyante de Mal noir qui avait décimé, depuis l’an de disgrâce 1348, près de la moitié des feux de l’Occident chrétien. Du Sud au Nord, d’Ouest en Est, des terres d’Espagne à la lointaine Écosse. Du royaume de France aux marches du Saint Empire romain germanique. Au-delà même des fleuves Danube et Volga.

Pour avoir chevauché au cours des vingt dernières années par-delà la plupart des villes et des campagnes des provinces de France et d’ailleurs, du Poitou au duché de Bourgogne, de l’île de France à la comté d’Alsace et sur les terres d’Empire, du royaume de Bavière au marquisat de Provence, jusqu’aux plus lointaines régions de la Germanie, m’être rendu dans les principautés d’Italie transalpine et aussi, bien malgré moi, en la cité de Londres, j’avais été, des recrudescences de cette terrible maladie, le témoin consterné mais impuissant.

 

Des familles entières de ces baronnies, comtés, duchés, royaumes, avaient été anéanties par la pestilence, par les famines et les disettes qui avaient suivi ce terrible fléau.

Et quand ce n’était pas par la terrible epydemie du Mal qui rend noir, les viles compagnies de routiers qui se vendaient aux plus offrants se payaient sur l’habitant dès qu’elles n’étaient plus soldées par l’un ou l’autre des camps.

Qui n’avait pas entendu relater par quelques troubadours les méfaits de l’archiprêtre Arnaud de Cervolles qui était de la famille des Talleyrand ? Ainsi surnommé depuis qu’il avait été révoqué de sa charge par l’archevêque de Bordeaux. Et les exactions du « roi des Compagnies », le sanguinaire Seguin de Badefol, chevalier de Gascogne et descendant d’illustres familles ? Icelui avait très tôt quitté son château sis sur une montagne de roc, sur la rivière Dourdonne, pour courir l’aventure avec l’un de ses compains d’armes, le capitaine Aymerigot Marchés.

Partout où elles passaient, leurs bandes étaient composées du ramassis de la lie du temps, de chevaliers brigands, de soudoyers privés de ressources lors des trêves. Parfois fortes de plus de cinq mil hommes, elles avaient chevauché en Limousin, en Berry, en Auvergne, dans le Lyonnais, en terres de Provence, jusque dans le comtat venaissin, semant la terreur, ici chez les bourgeois des villes qu’ils assiégeaient, là dans nos campagnes. Si les paysans, les bergers, les vignerons étaient surpris avant d’avoir eu le temps de se réfugier dans les bois, ils les pourvoyaient sans attendre, amenant blés et farine, pain tout cuit, avoine pour les chevaux et la litière, bons vins, bœufs, moutons, brebis, tout gras, poulaille et volaille pour éviter que leur femme ne soit violentée ou enlevée, leur masure incendiée, leurs champs et leurs vignobles ravagés.

Jusqu’à ce que messire Bertrand Du Guesclin ne les conduisît, sur ordre de notre sire, le roi de France, au-delà des monts Pyrénées, pour les éloigner du royaume en les plaçant au service du roi d’Aragon qui guerroyait contre un certain Pedro de Castille. À la parfin, les Grandes compagnies furent descharpies dans les batailles et déconfites par la dissenterie et autres coliques. Et leur roi, Seguin de Badefol, mourut empoisonné à la propre table du roi de Navarre, Charles dit le Mauvais, à qui il avait eu l’outrecuidance de venir réclamer terres et châteaux, fiefs et bénéfices en guise des soldes promises après la bataille de Cocherel, lorsqu’il s’était attiré ses services contre la France. Puisse Dieu ne pas avoir pitié d’eux !

Le hasard avait fait que ma route avait croisé la leur. Celle d’Arnaud de Cervolles lors de la bataille de Maupertuis, près la ville de Poitiers, en l’an de disgrâce 1356. Et celle de Séguin de Badefol, en l’an de grâce 1364, lorsque nous combattions dans le même camp.

 

Et pourtant, tout cela comptait peu à mes yeux, comparé aux crimes effroyables de celui que j’allais confondre incessamment devant mon tribunal. Mon tribunal de l’Ombre.

Après avoir, pour de sordides raisons, détourné à son profit les fioles présumées contenir l’eau et le sang du Christ et en avoir tiré un bénéfice considérable en faisant monter les enchères entre des partis opposés qui les convoitaient pour assouvir leur farouche volonté de pouvoir, le criminel avait répandu le Mal noir, cette épouvantable epydemie qui ravageait encore la chrétienté.

 

Mais l’affaire s’était révélée plus complexe, plus subtile et plus dangereuse que je ne l’avais cru à l’époque. D’aucuns avaient voulu ranimer une véritable guerre des religions pour assouvir leur soif de conquêtes, de pouvoir temporel et spirituel au dépris de la vie de centaines de dizaines de milliers de gens. Car la vie de victimes innocentes n’avait pas pesé plus lourd qu’une coquille d’œuf sur le trébuchet de leurs ambitions personnelles.

De cet écheveau politique, militaire et religieux d’une complexité incroyable, il m’avait fallu plus de vingt ans pour dénouer un à un la plupart des fils sataniques. Et à défaut de pouvoir faire éclater au grand jour le complot ourdi par tous les instigateurs de cette machination, j’avais réussi à tisser avec patience, telle une immense aragne, la toile du piège diabolique dans lequel je comptais bien étouffer le principal coupable et d’aucuns parmi ses complices.

Des complices de très noble et très haute naissance. Des gens de peu, qui pour se rédimer ou asseoir leurs ambitions immenses, qu’ils fussent faydits ou tout-puissants seigneurs, ne reculaient devant aucune lâcheté pour poursuivre leur quête. Une quête qui n’était point de chevalerie, mais de vilénie.

Les preuves étaient là. Les témoins déposeraient. Le clerc qui ferait office de greffier consignerait leurs déclarations. L’affaire était entendue : j’avais choisi avec grand soin le personnel judiciaire de mon tribunal, trié mes témoins sur la claie, organisé la procédure et le déroulement des interrogatoires avec l’accord implicite de l’évêque de Sarlat qui avait cependant refusé d’assister aux débats par crainte de quelques représailles.

De la nature des aveux, de la gravité des faits qui seraient estés et de la sincérité de la repentance dépendrait le châtiment qui serait infligé. La peine de mort serait certainement prononcée. Alors, passant outre aux procédures inquisitoriales des tribunaux ecclésiastiques, le jugement serait exécuté devant les juges eux-mêmes par mon féal Michel de Ferregaye, ancien capitaine d’armes de la forteresse de Beynac, que j’avais pris à mon service depuis fort longtemps.

 

Sur l’heure, il était retenu au chevet de sa mère mourante. Quelques jours plus tôt, avant de s’y rendre, il m’avait rendu compte avec moult détails de la bonne fin de l’organisation de mon tribunal, et confirmé la présence de tous les intéressés, le jour dit. À l’heure dite, Il devait nous rejoindre le surlendemain. Pour l’exécution capitale.

Car le jugement serait sans appel. Sans que le condamné puisse onques espérer une mesure de clémence de ma part, ou de grâce en le conseil du Roi. Il serait saisi par un exécuteur des basses œuvres et contraint de poser son cou sur le billot pour avoir le chef décolé par mon capitaine d’armes lui-même. La peine de mort serait administrée céans, de crainte que quelque perfide traîtrise ne lui épargne le sort que je lui avais réservé.

 

Il est vrai que l’écuyer que j’étais en l’an 1345, encore naïf, imbu de fin amor, d’idéal courtois, de récits de chevalerie, toujours en quête de son Graal personnel, était brutalement passé de l’adolescence à la maturité sous le poids des événements et des responsabilités qui l’avaient accablé trois ans plus tard, entre l’été et l’automne de l’an de disgrâce 1348.

Le simple écuyer du baron Fulbert Pons de Beynac que j’étais alors avait été adoubé sur le champ de bataille par deux vaillants chevaliers. L’un avait, làs, rendu son âme à Dieu quelques années plus tard. Mais, en étant confronté au fil des ans à la bassesse et à la vilénie d’aucuns parmi les maîtres du monde, j’avais perdu les illusions chevaleresques de ma jeunesse et tout esprit de mansuétude.

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Sur l’heure, un dernier doute m’assaillit : le criminel, le meurtrier était-il bien celui auquel j’avais tendu ce piège ? “ Peu me chaut, me dis-je, je ne tarderai pas à être fixé. ” Si tout se passait comme je l’avais prévu, aurais-je dû ajouter.

 

Je priai mes fidèles compains d’armes, Guilbaud et Onfroi, que je chérissais comme des frères que je n’avais pas eu l’heur d’avoir, de se rendre en la maison forte du chevalier Guillaume de Lebestourac qui m’avait fait savoir que la chambre même qui m’avait accueilli autrefois et qui avait abrité mes premières nuits d’amour avec ma gente Marguerite, leur était réservée.

Celle qui était devenue alors ma bien-aimée épouse par-devant Dieu s’en était d’autant mieux accommodée que ledit chevalier s’était rendu à la force de ses arguments : elle l’avait fort adroitement amené à délaisser les caresses contre nature de ses écuyers pour se rabauder avec les saveurs paillardes d’une personne du sexe opposé, en glissant adroitement Honorine dans sa couche. Honorine, la plus ribaude des servantes préposées aux cuisines du château, la plus prompte à s’escambiller ! Le chevalier de Lebestourac avait, deci en avant, succombé aux charmes de cette diablesse succube dont il ne cessait de se repaître, m’avait-il avoué en ce temps-là…

 

Ce fut d’un pas déterminé, bien que prudent en raison de l’escarpement particulièrement roide du terrain, que je me dirigeai vers l’entrée de la crypte sise en contrebas sous la chapelle Saint-Jean.

Deux sergents, qui arboraient sur une cotte d’un jaune pisseux passée sur un jupeau d’armer les armoiries de quelque maison qui m’était inconnue, montaient la garde, lances croisées, devant le passage. Plutôt que de m’étonner de la présence de soldats qui n’appartenaient ni aux barons de Beynac ni aux seigneurs de Commarque, j’eusse dû m’en inquiéter. Je ne le fis pas. J’eus grand tort.

« Votre épée, messire ; veuillez nous remettre votre épée : vous n’êtes pas sans savoir qu’une tradition séculaire interdit de franchir en armes un passage sous un autel consacré à la célébration de l’eucharistie, sous peine d’excommunication ! » m’intima l’un d’eux, non sans arrogance, en posant des yeux de poisson crevé sur mon mantel.

Certes, l’interdiction nous l’avions bravée à moult reprises sans que quiquionques eussent été excommuniés : une première fois bien innocemment, lorsque Marguerite, René le Passeur et moi avions rejoint le village fortifié par les voies souterraines qui reliaient les deux forteresses de Beynac et de Commarque. Une ; autre fois, en toute connaissance de cause, lorsqu’un échelon de chevaliers et d’écuyers ennemis avait tenté d’investir la place sous la conduite de Raoul d’Astignac, celui-là même qui avait eu la charge de la défendre.

Ce félon capitaine d’armes, que j’étais alors venu relever de son commandement par ordre du baron, l’avait finalement payé de sa vie. De ma main. Après avoir occis d’un coup de hache le brave chevalier Romuald Mirepoix de la Tour qui lui tournait le dos, alors qu’icelui venait de lui accorder merci après l’avoir vaincu en combat singulier.

 

Or donc, je défis de mauvaise grâce mon ceinturon et leur tendis épée et dague en les toisant de haut, l’air fendant. Leur pique se redressa aussitôt, m’autorisant l’accès.

À l’abri de leur regard indiscret, je fis jouer en tâtonnant la mécanique de la croix cléchée. Elle commandait l’ouverture de la crypte pour gagner la salle capitulaire où, j’en avais acquis la certitude, les derniers chevaliers du Temple de Salomon avaient tenu chapitre en grand secret après la dissolution de leur Ordre.

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Leur arrestation avait été ordonnée par feu le roi de France Philippe, quatrième du nom, surnommé Le Bel. Il avait rendu son âme à Dieu dans des circonstances mystérieuses en l’an 1314, la veille des nones de novembre, le 4 du mois, lors d’une chasse à courre qui avait mal fini pour lui.

Première victime de la malédiction huchée à gueule bec par le grand maître du Temple, Jacques de Molay, sur le bûcher dressé en notre capitale de Paris, sur l’île aux Juifs. Avant que les flammes ne dévorent son corps. Avant que son âme ne s’envole vers d’autres cieux.

Le pape Clément, cinquième du nom, les rois Louis le dixième, surnommé le Hutin en raison de son caractère colérique et versatile, ses frères, Philippe, cinquième du nom, dit le Long, Charles, quatrième du nom, dit le Bel comme son père, ne régnèrent guère que quelques années sur le royaume des lys et passèrent les pieds outre sans être parvenus à assurer cette descendance mâle qui, depuis le premier des Capétiens, n’avait jamais failli à l’ordre de succession du trône.

Triste punition infligée par Dieu qui offrait ainsi la couronne de France aux descendants d’Aliénor d’Aquitaine. Répudiée par son premier mari, Louis le Jeune, septième du nom, elle avait épousé le séduisant Henri Plantagenêt, deuxième du nom, deux ans après qu’il ait ceint la couronne d’Angleterre. Elle lui avait apporté, dans la corbeille de mariage, le duché d’Aquitaine dont Louis l’avait gratifiée avant de la répudier. Il y avait deux siècles de cela.

 

Profitant donc du trouble qui avait suivi la vacance du pouvoir, faute d’héritiers mâles en ligne directe, le roi Édouard d’Angleterre, troisième du nom, duc de Guyenne et vassal autrefois soumis à son suzerain légitime, le roi de France, avait revendiqué la Couronne des lys par le droit de leurs femmes qui étaient de France.

Un trop grand nombre d’icelles, à mon avis, avait été bien légèrement mené dans leur lit et dotées de riches apanages pour d’obscures raisons d’alliance entre les deux royaumes. Des alliances contre nature qui se retournaient à présent contre nous : Marguerite, Isabelle surtout, descendaient directement de notre saint roi Louis. Privilège dont Philippe, de la maison des Valois et sixième du nom, n’avait pu se prévaloir. Il n’était en vérité que le neveu de feu notre roi Philippe, dit le Bel.

Il avait cependant ceint la couronne de France et avait été oint à Saint-Denis au grand dam du roi Édouard, troisième du nom. Et pour cause ! Icelui récusait l’adage que nos légistes royaux avaient improvisé : « Les lys de France ne filent point », pour tenter d’écarter les femmes de l’ordre de succession.

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Quelque pression que j’exerçasse, le triangle de pierre de la crypte ne bougea pas d’un pouce. Tout se passait comme si la mécanique de l’ouverture s’était bloquée au fil du temps. À moins qu’on ne l’ait scellée ? Pourtant, Michel de Ferregaye m’avait assuré qu’elle fonctionnait encore à merveille quelques jours plus tôt. Étrange. C’était étrange.

Je sortis du passage, récupérai mes armes sous l’œil indifférent des sentinelles apostées, gravis l’escarpement en quête de quelque connaissance. Fi de connaissance : que des visages inconnus.

 

Près de la tour Jehan des Escars, un homme en armes beuglait des ordres. Je m’approchai de celui qui était probablement le capitaine d’armes de la place : sa cotte d’armes arborait le blason burelé d’or et de gueules de dix pièces des barons de Beynac.

Contrairement à toute attente, il m’accueillit fraîchement, et examina mon mantel et mon surcot noirs. Puis il se fendit d’un large sourire qui révéla des dents ébréchées et un peu grises qu’il ne devait pas frotter souventes fois au bâton de reuglisse.

« Messire Brachet de Born ! Ainsi c’est vous, le Chevalier noir dont les exploits sont chantés par nos troubadours ? Celui que redoute tant le prince Édouard ? Est-il vrai que vous ayez mené à moult reprises embuscades solitaires et escarmouches sanglantes qui auraient décopé plusieurs compagnies d’archers anglais ? »

Sur le point de lui demander s’il avait aussi entendu parler de la Dame blanche, je me ravisai, ne lui rendis pas son sourire, mais précisai :

« Ils n’étaient pas anglais. Ils étaient du pays de Galles. Et je n’étais point seul. Mes archers paysans maniaient aussi bien l’arc que les coutiliers anglais jouaient de la miséricorde. Il est vrai que nous fîmes grand foison de ces Têtes de bûche.

« Nous les surprenions par tout temps, tapis dans les ronces et les broçailles ou perchés dans les arbres, à l’affut dans les forêts les plus noires et les plus épaisses, dans des gorges profondes et des vallées étroites, surgissant du brouillard, de la pluie, du vent ou de la neige. Comme des fantômes, nous fondions sur nos proies, dans le silence ou en hurlant, pour les tailler, les décerveler, les décoler, les saigner, achever les blessés sans merci…

— Aaah ! Magnifique ! s’exclama-t-il. C’est prodigieux !

— Nous les acculions dans des marais, dans des sables mouvants où ils furent engloutis dans d’atroces bruits de succion, poursuivis-je, pour voir jusqu’à quel point il goberait les excès et autres invraisemblances de mon récit.

« Plus ils se débattaient, plus vite ils étaient aspirés par les entrailles de la terre et disparaissaient à tout jamais sans laisser de trace de leur passage. Que de crimes et de perfidies avons-nous commis !

— Gardez-vous d’y voir le moindre crime ou la moindre perfidie, messire Brachet, mais juste guerre. Les Godons n’ont-ils pas vendangé notre contrée en de folles chevauchées ?

— Et massacré ou capturé nos meilleurs chevaliers lors de folles batailles rangées. Làs, depuis Crécy et Maupertuis, l’esprit de chevalerie est bien mort, messire capitaine. C’est peut-être regrettable, mais c’est ainsi ! affirmai-je en observant son visage chevalin, son nez aquilin aux narines dilatées, une bouche dont la lèvre inférieure pendouillait goulûment, ses cheveux qui filochaient sur les épaules. Il ne devait pas s’entraîner régulièrement au poteau de quintaine, à voir son ventre replet et ses doigts potelés. Il ne renonça pourtant pas à satisfaire sa curiosité :

« On dit que messire Du Guesclin, un chevalier de Bretagne, est sur le point de bouter tous les Anglais hors du royaume depuis qu’il a adopté votre science du combat, en fuyant ces terribles engagements qui ont bien failli conduire notre duché et le royaume tout entier à leur perte. L’avez-vous côtoyé ? me demanda-t-il, avide de sensations fortes.

— J’ai combattu à ses côtés à la bataille de Cocherel. Par Notre-Dame Guesclin, quelle victoire !

— Est-il aussi laid qu’on le dit ? Aussi redoutable fossoyeur de Godons que le chante la légende qui se répand ?

— Plus laid, plus monstrueux et plus vaillant encore ! Un grand capitaine comme nous n’en avons pas connu depuis des lustres. Et économe de la vie de ses soldats.

Il se dit aussi qu’il serait prochainement élevé à la dignité de connétable de France par notre roi Charles ?

On le dit, on le dit… Mais, veuillez pardonner, messire capitaine. Je ne me suis point rendu sur l’heure en ces lieux pour discourir de l’état du royaume ou de faits d’armes. Nous reprendrons ce fort intéressant échange de vue dans quelques jours. Lorsque j’aurai mené à bonne fin quelque affaire préparée de longue date », dus-je trancher pour abréger une conversation qui risquait fort de s’éterniser et qui me pesait d’autant plus qu’elle me remémorait des souvenirs sanglants et moins magnifiques qu’il s’était plu à le croire.

Je souhaitais par-dessus tout éluder les questions que je sentis venir sur “ l’affaire préparée de longue date ”.

 

L’homme se remochina lorsque je l’interrogeai sur la présence des gardes apostés à l’entrée du passage de la chapelle Saint-Jean. Il m’avoua son ignorance. Il était lui-même absent du village depuis trois jours : en effet, un message lui avait été délivré par un chevaucheur pour l’informer qu’un sien parent le réclamait à son chevet. Rendu sur place, il m’avoua qu’à sa plus grande surprise, son oncle, aussi solide qu’un vieux tronc, se portait comme un charme au printemps. De retour au village, il avait découvert la présence de ces nouveaux venus. Les portes leur avaient été ouvertes à juste titre, puisque leur sauf alant et venant, revêtu du seing et du sceau de l’évêque de Sarlat, annonçait la venue prochaine d’un nonce apostolique.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles la dalle de la crypte ne pivotait plus (les officiers de la garnison de Commarque en connaissaient à présent l’existence), il me dit les ignorer. À sa connaissance, la mécanique en permettait encore l’ouverture quand Michel de Ferregaye s’était rendu sur place. Toutefois, il avait reçu du baron de Beynac, il y avait quelques mois, l’ordre de faire maçonner une autre entrée qui se situait à mi-chemin entre la Tour-porte et la Maison à contreforts.

Il se proposa de m’y accompagner en me précisant que nous pourrions ensuite nous rendre aisément en la salle capitulaire, si telles étaient mes intentions ; les souterrains qui y conduisaient avaient été étarqués, consolidés, et des torchères en éclairaient le parcours de crainte que l’on ne s’égarât dans ce véritable labyrinthe. Je le remerciai, mais décidai de m’y rendre seul. Il ne faisait pas partie des hôtes que j’avais invités à mon tribunal.

 

Le capitaine d’armes aurait-il été écarté délibérément pendant trois jours sous un prétexte fallacieux ? De plus en plus inquiet, j’hésitai à quérir mes écuyers. J’y renonçai cependant, me disant que, à la suite d’une longue pratique, je voyais des pièges, des espions et des traîtres partout. Ce ne fut pas une erreur de jugement pour autant : quelques instants plus tard, j’allais devoir me rendre à cette triste évidence : la présence de mes écuyers ne m’aurait été d’aucun secours.

Dix pas plus loin, je sursautai en voyant deux monstres noirs se précipiter sur moi, dans de rapides battements d’aile. En fait de monstres, les chauves-souris, dérangées dans leur sommeil, m’évitèrent adroitement et disparurent, se dirigeant d’un vol erratique vers quelque recoin plus sombre.

 

La nouvelle entrée des souterrains était contrôlée par une lourde porte en chêne bardée de fer et cloutée de girofles. Deux autres sergents d’armes montaient la garde devant l’entrée. À mon approche, ils redressèrent leur lance, sans dire un mot, sans me poser une question, et les recroisèrent dès que j’eus franchi le seuil.

La faible hauteur du plafond de ce couloir surmonté d’une simple voûte en pierre m’obligea à baisser un peu le chef, mais il était assez bien éclairé. Je n’avais pas fait plus de vingt pas que je me retournai brusquement : dans un claquement sec, suivi d’un bruit de clef dans une serrure, la lourde porte qui commandait l’accès aux souterrains s’était refermée sur moi.

Cette fois, j’eus vraiment le sentiment d’être pris au piège. Je regrettai que mes dogues, Clic et Clac, ne soient pas présents à mes côtés. Ils m’avaient accompagné en moult occasions, et sauté à la gorge de bien des ennemis avant de succomber lors d’un combat qui avait tourné à mon désavantage. En me sauvant la vie. Un bien triste jour.

Je serrai la poignée de mon épée d’estoc et le pommeau de ma dague à m’en faire blanchir les phalanges. Devais-je retourner sur mes pas et tambouriner sur le battant pour en solliciter l’ouverture ? Mon cœur battait à rompre les veines-artères, la sueur perlait à mon front et coulait sous les aisselles.

Des guets-apens, j’en avais trop tendu à nos ennemis pour ne pas redouter le pire. Mais au fond, qu’avais-je à craindre ? Le mieux n’était-il pas de me rendre dans la salle capitulaire pour examiner la mise en place que j’avais ordonnée à mon capitaine d’armes ?

 

Tous les sens en alerte, je m’enfonçai dans les profondeurs du couloir. Les murs ne comportaient aucun des signes en forme d’arêtes de poisson qui nous avaient guidés autrefois, mais la lumière distillée par les torchères était suffisante pour éviter que je ne chutasse dans un cul de basse-fosse ou ne me perdisse dans le dédale des souterrains.

Sur le sol de la pièce qui jouxtait la splendide salle capitulaire abritant les réunions secrètes des chevaliers de l’Ordre du Temple, des châlits, des outres d’eau ou de vin, des jambons, des poissons séchés et de nombreuses autres victuailles étaient méticuleusement rangés sur des étagères. Des bottes de paille fraîche avaient été disposées dans un des coins de la pièce, conformément aux instructions que j’avais données à mon fidèle Michel de Ferregaye. Notre assemblée siégerait à huis clos, et il était convenu d’assurer gîte et couvert, le temps nécessaire à l’audition des témoins.

J’en fus rassuré incontinent. Toutes mes consignes avaient été respectées à la lettre. Pas un bruit. Aucun rat ni autre rongeur ne grignotait les miches de pain entassées sur plusieurs planches à mi-hauteur. Ou alors, ils étaient très discrets. Je me dirigeai vers l’étroit passage qui communiquait avec la salle capitulaire où se tiendrait tantôt mon tribunal de l’Ombre.

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Alors que je m’apprêtai à en franchir le seuil, le mantel sur l’épaule, je me figeai telle une statue de sel. Ahuri, je réprimai à grand-peine un saut en arrière, comme si un boulet tiré à dix coudées m’avait percuté en pleine poitrine.

 

Quelle ne fut pas ma stupéfaction ! Le siège que j’avais cru me réserver était occupé par une robe de bure blanche et une cape noire dont la capuche était rabattue sur le front. L’individu avait l’aspect et l’habit d’un moine de l’Ordre des Dominicains ! Et il ressemblait à s’y méprendre à un Inquisiteur général de leurs sinistres tribunaux.

Il trônait sur un majestueux faudesteuil dont le haut dossier richement sculpté d’anges et de démons dominait d’une demi-toise ceux, plus modestes, de deux assesseurs vêtus de même, qui se tenaient séants à sa dextre et à sa senestre.

Aux simples tabourets que j’avais fait installer en demi-cercle autour de la table ronde dans la splendide salle souterraine, avaient été substitués de roides sièges individuels à dosserets, plus solennels, plus imposants aussi.

Sans aucun doute possible, ce prélat entendait présider le tribunal. Avant la date prévue. À ma place ! Mon tribunal de l’Ombre !

Celui que j’avais mis vingt-deux ans à préparer avec moult difficultés et revers de fortune, parcourant tout l’Occident chrétien au hasard des batailles et des événements, sans onques perdre de vue la mission que je m’étais juré de mener à sa fin pour réunir les preuves d’une nouvelle et terrible conspiration du silence. Pour y juger devant leurs pairs les plus grands criminels que la terre ait connus.

Abasourdi, je parcourus la salle des yeux. Douze regards de loup se portèrent sur moi. La flamme des chandelles dansait une estampie endiablée dans leurs prunelles, sous les noires cagoules qui masquaient leur gueule.

Au fond, près de l’autre entrée, un officier me fixait d’un regard indifférent. Des gardes munis d’un écu et d’une guisarme se tenaient devant chacun des cénotaphes, l’épée au fourreau.