La promptitude est l’essence même de la guerre. Tirez parti du manque de préparation de l’ennemi ; empruntez des itinéraires imprévus et frappez-le là où il ne s’est pas prémuni.

 

L’art de la guerre, Les neuf sortes de terrain,

Sun Tzu, général de l’Empire du Milieu entre l’an 400 et 320 av. J. -C.

Chapitre 9

À Castelnaud-la-Chapelle, en l’an de grâce MCCCLII, entre le printemps et l’été{34}.

Une épaisse brume de beau temps s’élevait de la rivière Dourdonne, aux pieds du château de Castelnaud.

Dans le silence blafard du premier croissant de lune, du haut d’un créneau, entre deux merlons, une sentinelle apostée se pencha pour observer la progression de ce qu’elle prit pour un rongeur, s’étonnant qu’un rat aussi gros parvienne à s’écheveler si haut, sur une paroi aussi lisse.

Mais était-ce un rat, ou un renard en quête de quelques glands ? Curieux. À l’approche du solstice de printemps, les buissons chenus qui s’accrochaient aux murs de la fortification n’avaient pas encore de glands. D’ailleurs, les renards ne grimpent pas aux arbres et ils dédaignent les végétaux pour s’attaquer aux volailles et lapins des basses-cours.

Le guetteur perçut derechef un bruissement de feuillage. Il sourit. Un écureuil, bien sûr ! Le rongeur progressait. Il était diablement accort. La robe d’un écureuil n’est pourtant point noire, s’étonna-t-il. Le sergent de garde sur cette partie du chemin de ronde avait beau écarquiller les yeux, il n’y voyait goutte.

Il ne savait pas ou n’imaginait pas que toutes les couleurs sont noires, la nuit. Ou grises, par temps de lune ronde. La lune n’était ni noire ni ronde. Seulement le maigre croissant d’une lune montante, masqué de temps à autre par quelques nuages qui s’effilochaient dans le ciel.

Le temps serait beau, ce jour d’hui. Après le déluge de la veille ! Le nouveau baron de Beynac avait voulu les impressionner en tirant des feux du haut de son donjon. Quel spectacle ! Quelle fin grandiose quand les nuages avaient crevé ! Quelle déconfiture ! La foule immense qui chantait et dansait, en bas, dans la plaine du Capeyrou, s’était dispersée en piaillant comme des poules chassées par un renard, justement !

Le sergent d’armes en jubilait encore. Tant que les gens de la rive dextre occuperaient leur temps à jouter et à festoyer, ils ne songeraient pas à investir leur place forte de Castelnaud. Elle était d’ailleurs inexpugnable, se gobergea-t-il.

 

Du haut des créneaux, la garnison du château avait surveillé le grand tournoiement qui s’était achevé la veille, sur la rive dextre de la rivière. Quoi de plus normal que de réunir à cette occasion autant de chevaliers, d’écuyers, de valets d’armes, de manants, vilains, archers ou arbalétriers ? Une véritable armée. Réunie pour des joutes à plaisance. À n’en point douter ! Leur maître n’avait-il pas été convié par un chevaucheur avant de décliner l’invitation de son cousin ?

Les poursuivants d’armes avaient huché à gueule bec le nom des jouteurs, accréditant l’aspect ludique de ce magnifique tournoi. Plus de mil gens, presque autant de chevaux en avaient foulé le sol jonché de crottins, de bouses de vache ou de crottes de mouton ! Un spectacle magnifique, suivi de loin par ceux d’ici.

 

L’homme d’apostage se redressa, fit quelques pas sur le chemin de ronde, chapel de fer sur le chef, lancegaye en main, épée au côté. À part quelques gardes apostés comme lui, le château dormait d’un sommeil profond.

Il ne sortirait de sa torpeur que vers prime, lorsqu’on raviverait les feux dans la cheminée des cuisines, qu’on remplirait les calels de cire et de suif dans la salle des gardes. Tous les serviteurs reprendraient leurs corvées journalières. Le vidangeur viderait la fosse d’aisance, embaumant l’air d’effluves de merdouille.

À cette pensée, une légère envie d’oriner lui vint. Il avait la chance de disposer, à vingt pas, d’une bretèche qui faisait office de commodités. Bah, cela pourrait attendre qu’il soit relevé de son tour de garde. À la bonne heure ! soupira-t-il en baillant à se décrocher la mâchoire.

 

Ici une chouatte chuinta ; plus bas, des grenouilles croassèrent. Le jour ne tarderait pas à se lever. On ne craindrait rien cette nuit, se disait-il, lorsqu’un cri étouffé lui parvint. Curieux pour un écureuil…

Il revint sur ses pas. À pas lents. Il avait vraiment envie de dormir. Il se jetterait tout vêtu sur sa couche et tomberait tout de gob dans les bras de Morphée. Il paillarderait une servante plus tard, lorsqu’il aurait bien dormi et repris des forces en trempant ses tranchoirs de pain noir dans une bonne soupe aux choux et au lard. Humm !

Un léger battement d’ailes. Un pigeon ? S’il avait eu un arc à portée de main, il l’aurait tiré. Mais son maître, le sire Gaillard de Castelnaud de Beynac ne jugeait pas utile d’en équiper les sergents apostés. Eut-il seulement réussi à le bander ? Il avait ouï dire qu’un arc était comme une espinette : le sifflement de la flèche devait jouer juste. En décochant un trait contre un pigeon ou contre un écureuil, n’aurait-il pas joué faux ?

Et quand bien même, à plus de vingt toises de haut, l’animal se serait desrochié sur les contreforts des remparts et personne n’aurait pu s’en saisir.

Ordre formel du maître qui faisait inspecter les fondations une fois par an : on descendait les maçons à l’aide d’une corde et d’un treuil. Il y a deux ans, ils avaient découvert un éboulis.

Une bonne quinzaine de jours avait été nécessaire pour colmater la brèche.

Charpentiers et manouvriers avaient attendu plusieurs mois pour être soldés. Le sire de Castelnaud était un homme dur et sec. Il était aussi pleure-pain que son cousin, sur l’autre rive. La rumeur s’était répandue qu’il recevait pourtant de riches prébendes de ses amis godons.

Un bruit courrait aussi parmi les gens d’armes, suite à l’indiscrétion d’une servante, qu’un espion à la solde de ses ennemis s’était glissé à l’intérieur de la forteresse.

Et qu’une jeune damoiselle serait séquestrée dans une petite cellule du donjon. Quiquionques ne pouvaient en témoigner. Des rumeurs. De simples rumeurs. Il ne pouvait en être autrement.

Quoique ? Son maître était un homme chafouin qui cultivait le secret. Et la fornication, disait-on aussi. Marié à une épouse acariâtre, il rendrait souventes fois visite à des folieuses du Mont-de-Domme dont il goûterait, toujours selon la rumeur, les charmes complaisants. Des complaisances parfois contre nature. Flagellations, sévices corporels, sodomie…

 

Il chassa ces calomnies de son esprit, qu’il avait aussi borné que celui d’un âne, dans une cervelle aussi grosse que celle d’un moineau. Il devait s’interdire de telles pensées. Des pensées qui, un beau jour (un bien mauvais jour), pourraient le conduire tout droit sur l’un des deux gibets plantés sur la place du village.

À cette idée, le sergent d’armes se passa la main sur le col et sur la nuque. Il ignorait que sous peu il n’aurait pas à redouter la pendaison. Les instants qui lui restaient à vivre lui étaient chichement comptés.

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Comment un homme aussi obtus aurait-il pu imaginer que, depuis trois mois, entre minuit et matines, les puissants seigneurs fidèles aux barons du Pierregord avaient tenu conseil et avaient préparé le siège de ce méchant voisin qui les narguait depuis si longtemps sur la rive senestre de la rivière ?

Que depuis trois semaines, franchissant le gué, en amont du village des Mirandes, du côté de Saint-Vincent-de-Cosse, profitant de la période de lune noire, dans le silence de la nuit, une armée forte de centaines d’hommes de guerre avait investi la colline boisée qui dominait la citadelle de Castelnaud au nord-est. Bottes et brodequins entourés de tissu et de paille pour éviter le moindre craquement sur des branches mortes.

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Les pieds et les mains enduits de résine, la forme inconnue progressait sur les barreaux de la chanlatte qui avait été dressée quinze toises plus bas, en prenant appui sur le rocher de part et d’autre duquel s’élevaient deux puissants contreforts dressés de huit à dix coudées l’un de l’autre.

Ils renforçaient les murailles du côté est de la forteresse, là où une brèche avait été colmatée. Les murs étaient moins dodus. L’ingénieur qui en avait conçu les plans les avait jugés imprenables d’icelui côté. Aucune sape ne pouvait être tentée. Aucun trébuchet n’aurait suffisante portée pour en démanteler les défenses en tirant des boulets de l’autre rive, à une distance aussi considérable.

Et quand bien même, il aurait suffi, si les créneaux étaient affaiblis, d’y poster deux ou trois arbalétriers et quelques valets armés de seaux de poix ou d’eau bouillante pour descharpir, du haut des remparts, les plus téméraires qui auraient tenté la grimpette sur ce flanc.

Ou en tranchant les cordes des grappins, ou en les tirant comme des lapins. Façon de parler, bien sûr, car chacun sait que les lapins ne grimpent pas aux branches pour écheveler des parois aussi roides, aussi vertigineuses.

Sur le chemin de ronde, les gardes avaient, de jour ou par nuit de lune ronde, une vue grandiose sur la vallée de la Dourdonne et les cingles qui en jalonnaient la plaine : le manoir de Marqueyssac, en face, le château de Beynac à senestre, le Céou à dextre.

 

Pour renforcer les défenses du château sur le flanc est, les seigneurs de Castelnaud avaient fait construire une bretèche entre les deux contreforts. Son encorbellement surplombait les murailles et ses mâchicoulis avaient bien, à l’origine, une fonction défensive. Personne n’ayant tenté d’écheveler les murailles d’icelui côté, la fonction défensive fut abandonnée au profit d’un lieu d’aisance. Autrement dit, la bretèche servait à présent de cacatière.

Chacun jouissait ainsi de ses propres commodités, les gens de noble naissance, dans le donjon, les gardes, dans la bretèche. L’avantage de la cacatière, c’était qu’on n’avait pas besoin de la vidanger. Les excréments tombaient directement au pied de la falaise et la pluie se chargeait de les évacuer dans la rivière.

La bretèche à encorbellement était maçonnée de telle sorte qu’il était quasiment impossible de voir ce qui se passait en contrebas, sauf à avancer la tête au-dessus des mâchicoulis.

Sa fonction était de soulager les vessies et le ventre, d’oriner et de déféquer et non pas d’observer les orties. Les odeurs nauséabondes qui montaient de ce lieu de commodité par temps sec n’encourageaient d’ailleurs pas ce genre d’exploration scatologique. Quand les odeurs empestaient trop le chemin de ronde, il suffisait de rincer l’orifice en balançant quelques seaux d’eau.

Une bien grave erreur dans l’architecture castrale. Une erreur de plus dans le système de défense dont j’avais déjà, autrefois, noté les nombreuses faiblesses, côté opposé, à l’ouest, après l’entrevue houleuse que nous avions eue, Arnaud de la Vigerie et moi, avec le maître des lieux{35}.

Un morceau de bois craqua, suivi d’un cri étouffé. Le garde aposté qui parcourait mollement le chemin de ronde sortit soudainement de la torpeur qui l’envahissait. Il ne vit rien mais il s’inquiéta. Ses boyaux émirent un gazouillis annonciateur de ce qu’on appelle couramment une courante. Il lâcha un pet qui macula ses chausses, puis sur le point de déféquer, il serra les dents et les fesses, posa sa lance contre un merlon et se précipita vers la cacatière.

Il eut dû crier à l’arme. Il ne le fit pas. La ribaude avec laquelle il entretenait des relations plus bestiales que charnelles servait à la lingerie du château. Elle lui aurait vertement reproché de ne pas avoir, une fois de plus, su soulager son ventre à temps et l’aurait privé du péché de chair pendant une quinzaine si elle était bien lunée, deux si elle l’était moins.

Des pets et des coliques fréquentes souillaient ses braies et lui valaient des sermons que le pauvre homme subissait, mais supportait d’autant plus difficilement qu’il refusait de manger moins épicé. Les épices, le seul plaisir qu’il avait dans la vie, avec la copulation !

 

Il descendit les marches qui menaient aux commodités, les mains plaquées sur le cul pour comprimer des fesses qui avaient grande hâte de se relâcher pour éjecter le liquide gluant qui grouillait dans ses boyaux. Il défit boucle et ceinturon, arracha les aiguillettes, affala ses chausses et baissa le cul en posant les avant-bras sur les accoudoirs de pierre qui siégeaient de part et d’autre du trou béant.

Il émit un gémissement de plaisir lorsqu’il vida ses tripes, respira à pleins poumons l’odeur nauséabonde et, à l’instant où il allait expirer un soupir de soulagement, il n’eut pas le temps de jouir de sa délivrance. Il expira, tout court.

Un objet pointu avait pénétré son intimité rectale et traversé sans difficulté ses boyaux jusqu’à atteindre la gorge. Les yeux lui sortirent des globes. Mais personne n’était là pour le voir. Le sang inonda sa bouche et sa bedaine aurait eu quelques pouces de moins, que son corps serait passé par le trou de la cacatière.

Promptement retiré, le passedoux qui l’avait empalé le piqua de toutes parts jusqu’à parvenir à repousser le corps pour dégager l’accès.

La silhouette noire eut bien du mal à franchir les mâchicoulis. Mais, en jouant des pieds, des mains et de son passedoux, elle parvint à se hisser à l’intérieur.

Une torchère éclairait les quelques marches qui menaient au chemin de ronde. Incommodée, la flamme eut un haut-le-cœur au passage de l’ombre inconnue, tant l’odeur qui émanait de sa personne était d’une puanteur repoussante.

 

La relève surgit au moment où l’ombre noire prenait pied sur la dernière marche de l’escalier. On l’interpella :

« Holà, du guet ! C’est toi Auguste ? »

Le garde s’était approché.

« Oh, mais tu pues comme une charogne ! Si tu penses paillarder la JaJa dans cet état ! » ricana-t-il en calant sa lance contre un merlon et en s’approchant du baquet qui attendait une main complaisante pour le vider dans la fosse à merdouille. Il en balança le contenu sur celui qu’il prenait pour son compain et qui lui faisait face.

La violence du jet arracha le foulard que l’ombre noire portait autour de la tête, dévoilant une longue chevelure qui prit des reflets cuivrés à la lumière lointaine et falote de la torchère.

Marguerite, selon un geste naturel, leva les bras pour rejeter ses cheveux en arrière et cambra le corps. La pointe de ses mamelles tendit le bliaud. L’homme d’armes, en prenant la relève s’attendait à tout, sauf à sentir à portée de main une proie aussi facile, certainement consentante, qui se prêterait à ses caprices lubriques. Au pire, il la violenterait pour la forcer, se dit-il.

Il scrutait ses traits, déshabillait son corps, mais ne la reconnaissait pas :

« Tiens, tiens ! C’est donc comme ça que LouLou monte la garde ! En mignardant les drolasses ! Es-tu nouvelle aux cuisines ? À la lingerie ? Je ne t’ai point encore vue ! Par les cornes de Belzébuth, que tu es belle ! Aurais-tu vidangé la fosse à merdouille ? D’où viens-tu pour dégager une telle puanteur ? »

Ce furent ses dernières paroles.

« Du trou du Diable », lui répondit Marguerite en lui plantant dans le ventre la dague que je lui avais confiée.

« Rejoins-le ! » murmura-t-elle en basculant son corps entre deux merlons où il se dérochia trente à quarante toises plus bas, après un vol que personne ne put admirer : un nuage venait de cacher le croissant de lune.

 

Marguerite avait pris le contrôle des remparts côté est. Elle balança une corde à nœud dans le vide, fixée à un grappin. Un homme s’en saisit en contrebas et commença une lente ascension. Tout était une question de rapidité avant que le chemin de ronde ne soit investi par d’autres gardes.

Aucun bruit alarmant. Les châtelains reposaient benoîtement sur leur couche douillette et les gardes apostés au nord, à l’ouest et au sud des remparts ne pouvaient crier à l’arme pour une bonne raison : en principe, ils ne pouvaient voir ce qui se passait de ce côté du chemin de ronde, sauf à s’y rendre. Une faiblesse dans le système défensif du château. Une autre. Une faiblesse majeure.

L’homme qui se hissa sur le créneau portait autour de l’épaule, non pas une, mais trois autres cordes à nœud. Il fixa à son tour les grappins et lança les cordages.

Trois autres hommes les empoignèrent, bientôt suivis de trois autres, de sorte qu’en moins d’une heure, une petite troupe de douze archers et douze valets d’armes triés sur la claie avait pris le contrôle des remparts d’icelui côté.

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Soudain, trois sonneries de cor retentirent et l’on hurla à oreilles étourdies : « À l’arme ! À l’arme ! »

De là où nous tenions, nous vîmes nos archers et nos valets d’armes faire merveille. Protégés par la courtine intérieure de l’étroit chemin de ronde, ils bousculèrent, taillèrent, transpercèrent et repoussèrent vaillamment l’assaut de tous ceux qui tentaient de les déloger. Deux des nôtres seulement furent occis et leur corps bascula, l’un sur la falaise, l’autre à l’intérieur de l’enceinte.

Six autres gens d’armes avaient gravi la paroi. Soutenus par le tir de nos archers, ils se rendirent maîtres des courtines nord et ouest. Les derniers défenseurs se replièrent en grand désordre dans le donjon où ils se claquemurèrent, solidement retranchés.

Nous occupions les remparts et contrôlions, de ce fait, le puits creusé dans la cour intérieure à quelque deux cents pas du donjon.

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L’aube pointait son col orangé à l’est, loin devant. À l’ouest, rien de nouveau. Jusqu’à ce qu’un premier coup de tonnerre retentisse, puis un second.

Deux nuages de fumée grise enveloppèrent chacun des pots à feu, suivis de deux fracas assourdissants. Les bombardes avaient tiré leur première salve contre les murs du château de Castelnaud dont la basse-cour avait été investie pendant la nuit sans coup férir : aucun garde, aucun guetteur n’était aposté sur le mur de la première enceinte qui en contrôlait l’entrée.

Les villageois, réveillés en sursaut, jaillirent de leurs logis, en chemise, pieds nus, agitèrent les bras et hurlèrent :

« Le château est assiégé ! C’est la guerre ! C’est la guerre ! Que Dieu nous protège ! Sortez vite ! »

D’autres se précipitèrent à l’intérieur pour évacuer leur famille, tandis que le tocsin sonnait à toute volée. Mieux valait prendre quelque distance si l’on ne voulait pas risquer de laisser sa peau dans la bataille qui était engagée. Un carreau d’arbalète, un coup d’épée, un boulet qui ricocherait…

Le premier boulet, tiré depuis le pech, pulvérisa les hourds qui desservaient le chemin de ronde, à l’ouest, et ébrécha le mur de la salle des arbalètes. Le second ricocha sur le fer de lance des murailles. Dévié de sa course, il fracassa le toit en lauze d’une maison du village.

Le pont-levis s’abaissa peu après dans un grincement de poulies et d’élingues. Je me tenais à trois cents pieds, mézail relevé, lance à l’arrêt, prêt à charger, à la tête d’un échelon de sergents montés, ceux qui tenteraient de le franchir. Éclat d’Orient, mon destrier de bataille, piaffait et ruait. Il avait hâte d’en découdre, lui aussi.

Un groupe d’une trentaine de cavaliers, penons et bannières déployés tenta une sortie.

Abritée derrière de hauts pavois, une compagnie d’arbalétriers, mise à notre disposition par le comte de Pierregord, était divisée en deux groupes sur deux lignes, l’un sur ma dextre, l’autre sur ma senestre. Elles se tenaient prêtes, arbalètes bandées, carreaux sur l’arbrier. Sur mon ordre, la première ligne décocha une volée de carreaux, en tir tendu.

Plusieurs chevaux furent atteints au poitrail. Ils s’effondrèrent sur les antérieurs projetant leur cavalier cul par-dessus tête ; d’autres se couchèrent et écrasèrent les jambes ou le corps de celui qui les montait. D’aucuns, transpercés par une sagette, vidèrent les arçons ou, tirant les rênes, cabrèrent leur monture et basculèrent avec elle dans le fossé sec.

Un nuage de fumée s’éleva du pech, au nord. On vit le boulet glisser sur le rempart ; on en perçut le feulement avant d’entendre le coup de tonnerre de la mise à feu.

 

Cette erreur de trajectoire nous fut profitable : le boulet décola proprement le chef d’un chevalier de la maison de Castelnaud, fracassa la poitrine d’un autre, déchira une bannière et creva le pont-levis, désarçonnant d’autres cavaliers qui churent dans le fossé.

Un deuxième tir des arbalétriers mit fin à la tentative de sortie. Quelques survivants regagnèrent en courant ou en claudiquant la poterne, abandonnant les blessés. Des chevaux et des gens d’armes jonchaient les fossés et le plancher de ce qui restait du pont-levis. D’aucuns agonisaient.

J’ordonnai à mes écuyers de se saisir des blessés avant qu’ils ne passent les pieds outre. Ils s’élancèrent incontinent sous la protection de la deuxième ligne des arbalétriers qui décochèrent leurs carreaux en direction des remparts pour en protéger la retraite.

Nous apprîmes, de la bouche de nos prisonniers, qu’évoquant un ancien édit du saint roi Louis qui faisait obligation de suivre le seigneur pendant quarante jours, dedans le fief dont les ostises sont mouvans, sous peine d’une amende de soixante sous par jour, le sire de Castelnaud, pris sans vert, avait ordonné une sortie. Moins pour tenter d’enfoncer nos lignes, que pour envoyer des chevaucheurs rallier sa bannière.

Menacés d’avoir la gorge tranchée s’ils ne bavaient pas incontinent, ils nous livrèrent les noms de moult seigneurs, de Montclar, de Grignols, d’Hautefort, de Gontaud, de Bellabre, de Chabans, de Bordas, de la Cropte, de Biron, de Périgueux, de Siorac, d’Agenais, de Cugnac, de Saint-Pompom, de Solminiac, de Ségur, de Signac de Vieilcastel, et d’autres dont nous consignâmes les noms, afin de n’en point oublier. Il est toujours bon de connaître ses ennemis.

D’aucuns nous étaient connus, mais s’ils disaient vrai, d’autres auraient renié leurs liens vassaliques pour rendre un hommage récent au prince de Galles. À moins que l’on cherchât à nous embufer en exagérant considérablement les forces adverses.

Sur l’heure, le sire de Castelnaud de Beynac était retranché dans son donjon et voulait faire accroire que vivres et eau ne feraient point défaut et permettraient de tenir un siège de longues semaines durant, en attendant l’arrivée de renforts considérables qui nous tailleraient en pièces. À toutes fins utiles, il avait aussi dépêché des pigeons voyageurs…

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La première partie de notre plan était couronnée de succès, mais la situation était bloquée.

Nous rejoignîmes au grand galop le pech qui surplombait le donjon au nord, Onfroi de Salignac, Guilbaud de Rouffignac et moi. Les sergents montés et les arbalétriers étaient restés sous le commandement du chevalier de Montfort.

Je hélai deux palefreniers. Ils accoururent. L’un prit la bride de mon cheval, l’autre m’aida à mettre pied à terre. Il fallait très rapidement détruire les hourds qui reliaient la salle supérieure du donjon et le chemin de ronde pour en forcer l’entrée.

 

Les barons et les chevaliers tenaient conseil.

Bozon de Beynac aurait préféré défoncer la poterne principale, sise côté sud. Il aurait fallu construire un beffroi, car elle était située à plusieurs toises de hauteur et le pont-levis, partiellement détruit, en gênerait considérablement le déplacement.

D’autres craignirent un enlisement du siège. Alors que l’assaut venait à peine d’être lancé, ils me reprochèrent déjà mon plan à mots couverts. Ils craignaient l’arrivée de renforts capables de nous encercler, de nous priver de nos voies de ravitaillement, de prendre nos troupes à revers et de nous interdire toute forme de retraite, sauf à engager une véritable bataille rangée à laquelle le terrain ne se prêtait pas.

Que faisait donc Castelnaud d’Auzan ? m’inquiétai-je. Nous mirait-il trahis ? Il devait ouvrir la poterne supérieure de la courtine. Le succès de notre plan reposait sur lui. Or, de là où nous tenions, la porte restait désespérément close.

Plantant là les beaux seigneurs du Pierregord, j’avisai le maître des tonnoires qui surveillait, à l’orée du sous-bois, à deux cents pas, le chargement de ce que je pensais encore être de simples pots à feu.

 

L’homme était coiffé d’un chapeau enturbanné à la dernière mode sur un visage poupin aux joues rubicondes, à l’air jovial. Il portait un surcot court, écartelé d’or et d’azur à la comète d’argent chevelée en 1 et en 3, sur des chausses aux mêmes et des heuses de

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cuir noir retroussées sur les cuisses, une simple dague glissée dans sa ceinture.

« Maître Jean, lui demandai-je, vous serait-il possible dorienter les bouches à feu de vos engins vers la poterne qui soffre, en face de nous, au bout de la courtine ? Nous dominons la position de plusieurs toises. Vous avez déjà réussi, avec une prodigieuse précision à détruire la passerelle de la poterne ouest…

— Un coup de pot, si je puis dire. En vérité le boulet a ricoché. Mes bouches à feu ne sont pas conçues pour des tirs aussi tendus. Le projectile plombe très vite !

— Voyons, maître Jean, jai ouï dire que vous aviez été formé aux meilleures écoles qui soient : celles de messires Hugues de Cardaillac et Jean Buridan, maîtres ès arts en luniversité de la Sorbonne !

— Certes, certes, sesbouffa-t-il, la bouche en forme de cul-de-poule, mais voyez-vous, messire, le mélange de salpestre, de soufre vif et de charbon de bois doit être dosé avec une savante précision et moult précautions selon le type de canons. Car ce sont des canons ! Des bombardes, si vous voulez. Mais point des pots à feu !

« Mes bébés sont dorigine de Venise, coulés par les meilleurs maistres fondeurs de la cité des doges, et de belle facture. Pas de paille dans le fer, pas daspérités, un fut aussi doux et lisse quune peau de bébé, chuchota-t-il en glissant la main sur le fut et en caressant la bouche à feu aussi doucement que sil mignonnait une fillette.

« Mes bébés à moi.

— Je croyais quils appartenaient au baron de Beynac ?

— Pfeuuu… Ils appartiennent à qui sait sen servir ! Pensez-vous, messire Brachet, que le baron puisse en faire plus bel usage que moi ? se gaussa-t-il en fronçant les sourcils et en bombant le torse.

« Les mélanges ! Les dosages ! Ce sont les seules choses qui comptent. Du doigté, de la finesse ! Tout le reste nest que farcerie ! Nimporte qui est capable dy bouter le feu ! » renchérit-il en désignant le délicat trébuchet posé sur un trépied.

Je souris et levai les yeux : le soleil approchait du zénith. Le temps pressait. Je dus abréger le savant discours du maître des tonnoires pour le prier de tenter tout de même ce tour dadresse.

Ses joues se dégonflèrent, il me jeta un regard affligé et, pour bien me faire savoir quune telle affaire exigeait une science que je nétais apparemment pas prêt à recevoir, il prit tout son temps pour mettre en musique ses boîtes à poudre.

Sans pouvoir sempêcher de men commenter le dosage en mimant les gestes :

« Il convient, en premier lieu, de broyer les matières sur une pierre de marbre, puis de bulleter la poudre au moyen dun linge fin à laide dun tamis de crins de cheval finement tressés.

« Ensuite, lors du transport, il faut veiller à ce que le salpestre, plus lourd, ne descende pas au fond du récipient alors que le char-lion, plus léger, a une tendance naturelle à remonter à la surface.

« Le mélange de charbon, de soufre et de salpestre est dangereusement instable. Si lon ny prend garde, tout risque de vous péter à la gueule…

— Et votre bombarde, elle, ne risque-t-elle pas déclater lorsque vous y boutez le feu ? minquiétai-je.

— Voyez-vous, messire, là réside ma science des proportions : pour des bijoux de ce type, il faut respecter un certain rapport entre le poids du boulet de pierre et la charge de poudre. Pour un projectile de 300 livres, la charge est de 48 livres.

— Or donc, quel est le poids de vos boulets ? »

Lhomme était un peu dur de la feuille. Je compris bientôt pourquoi. Il me fit répéter ma question, puis :

« Ces bombardes sont prévues pour projeter des boulets de 100 livres.

— Soit 16 livres de poudre pour un boulet de ce poids, mexclamai-je, fier de ce rapide calcul, mon point fort. Ce nest pas bien sorcier !

— Que nenni, messire, ce nest pas si simple que cela. Reste à doser le mélange de salpestre, de soufre et de charbon de bois, dans des proportions dune magnifique précision.

— Mais encore ?

— Euh, euh… Sauf votre respect, messire, je crains ne pouvoir vous livrer tous les secrets de mon art, lenseignement de mes maîtres…

— Ceci serait-il de nature à vous délier la langue, maître ès tonnoire, lui demandai-je à la chaude, en glissant un écu dargent dans sa main.

— Euh, euh… messire, largent est de moins bon aloi que lor. Il fond plus vite. Il est plus mol. Il suffit den faire lexpérience…, gloussa-t-il, lair colombin, en examinant la pièce. Il la mordit, y grava ses dents et me la rendit avec dédain.

Par trop curieux den percer le secret, jesquissai un sourire aussi jaune que ses dents, puisai un écu dor dans mon aumônière. Son œil brilla un bref instant, mais il se remochina en fixant ostensiblement mon aumônière.

Au troisième écu, sa face rubiconde séclaira dun franc sourire :

« 66 parts et 1/10e de sel de pierre, 16 parts et 4/10e de soufre, 22 parts et 1/10e de charbon de bois, senthousiasma-t-il en joignant le geste à la parole.

« Mais, de grâce, ne le répétez à quiquionques, messire Brachet ! »

 

Une fois la boîte à poudre bien remplie, un des servants de cette nouvelle forme dartillerie inséra dans lorifice béant une bourre composée de paille et dherbes sèches fortement comprimées. Il la fit glisser à lintérieur du fut avec un bâton muni dune grosse étoupe de caslin huilé.

Deux autres servants soulevèrent le boulet en pierre polie et le firent rouler à lintérieur de la bouche à feu.

Avec dinfinies précautions, le maître des engins posa la boîte à poudre, précédemment dosée, à lautre extrémité du canon, la cala à laide dun coin en fer quil enfonça avec un martel de bois.

Il saisit un brûlot que venait de lui tendre un servant, minvita à reculer de dix pas et à plaquer les mains sur les oreilles.

Un coup de tonnerre explosa dans mon crâne. La bombarde, bien que solidement arrimée sur son affût, cula de trois pas. Un épais nuage de fumée jaillit de la bouche tel un dragon crachant le feu. Le boulet disparut, invisible.

Trois cents pieds plus loin, la courtine qui bordait lintérieur des remparts vola en éclats. Une folle angoisse me noua la gorge tout à trac. Un doute terrible massaillit : Marguerite sy tenait un instant plus tôt avec deux ou trois autres archers. Mon cœur se serra, pris dans un étau. Que navais-je porté les yeux avant quon ne tirât le projectile !

Un linge jaune fut vivement agité sur le rempart nord, face à nous. De haut en bas.

« Trop court », déclara le maître des tonnoires, impavide, en armant la deuxième bombarde.

Cette fois, il choisit une autre boîte à poudres parmi celles qui, sagement rangées sur un établi, attendaient de remplir leur office. Je remarquai que la poignée portait une marque écarlate. Je craignis le pire.

Le pire ne se produisit pas, mais le boulet pulvérisa cette fois un merlon du donjon, une coudée trop à senestre.

« Trop long ! Trop de soufre ! » commenta laconiquement le maître des engins.

Il choisit cette fois une boîte à malices dont la poignée était peinte dun jaune vif et linséra à larrière du canon, dans son logement.

« Refroidissez les futs ! » ordonna-t-il aux servants.

Ils balancèrent un seau deau.

« Jamais ainsi ! rugit-il. Bandes didiots ! Niquedouilles ! Au prochain coup, vous pourriez éclater mes bébés. Ils étaient dhumeur chaude et vous les bouez brutalement deau froide. Froid et chaud font mauvaise alchimie ! Par Sainte-Barbe, je vous l’ai déjà expliqué mil fois : laisser couler un mince filet d’eau le long du fut jusqu’à ce que leur humeur tiédisse ! Bande de vaunéants ! Je retiendrai trois deniers sur votre solde ! Non, six deniers ! Et la prochaine fois, je vous chasserai en vous bottant le cul ! »

À voir la dimension de ses pieds, la punition serait douloureuse.

Reprenant une humeur qu’il devait avoir chaude mais sèche, il conseilla aux vaunéants de suivre sa démonstration en abusant des métaphores :

« Prenez la cuiller et versez l’eau tout au long du fut, effleurez-en les lèvres avant d’y bouter le feu. Elles sont d’une extrême fragilité. Si vous saviez vous y prendre avec votre Mie, vous feriez de même. Mais vous n’êtes qu’une bande de cuistres.

« Vous brutalisez la nature, vous ne la faites pas jouir : vous la violez. Savez-vous que ce crime est puni de mort ? Le savez-vous ou êtes-vous trop nigauds ? Une bombarde est une femelle qui mérite des attouchements délicats et prolongés avant de s’escambiller.

« Être chaude et non point brûlante si vous souhaitez jouir d’un bel accouplement. Sinon elle vous pétera à la gueule. Son dernier spasme sera votre agonie lorsqu’elle vous aura desfaciés !

« Bon, maintenant replacez mes bébés en position. Ils ont culé. Attention, deux pouces plus à dextre. Ôtez une cale d’un pouce ; le tir était trop long. »

Les servants s’exécutèrent sans piper mot sous l’œil vigilant de maître Jean. De temps à autre, il jonglait avec des tablettes sur lesquelles étaient gravés des courbes, des degrés d’angle et bien d’autres signes cabalistiques.

L’homme n’était pas que maître ès tonnoires, il était aussi fort savant. Et poète. Il fredonnait :

 

Dergon suis, serpent venimeux,

Désirant par coups furieux

Ennemis de nous esloigner.

Jehan Le Noir, maistre canonnier,

Et Conrad, Coin, Cradinteur,

Eux ensemble maistres fondeurs,

Me firent par terme prefix

Mil IIII septante six.

 

Un autre coup de canon pulvérisa les hourds d’où jaillirent de multiples fragments de bois disloqués et ébrécha l’encadrement de la poterne.

À raison de cinq ou six salves à l’heure, ce qui avait été une massive porte de chêne bardée de gros clous de girofles ne fut bientôt plus qu’un magma informe de fers tordus, d’échardes. Un dernier coup au but l’explosa tout de gob.

« Ah, la brave bête ! Elle n’a pas eu à faire les quatre cents coups pour desrocher la porte ! » jubila le maître des tonnoires.

Dès que Marguerite agita un linge rouge, la canonnade cessa et nos gens d’armes s’engouffrèrent dans le passage. Mais rien n’était encore acquis. Que pouvaient-ils tenter contre une garnison qui comptait encore une bonne soixantaine d’hommes, solidement retranchés dans les méandres de cette forteresse ?

 

J’avais rejoint avec mes écuyers les troupes qui avaient pris position face à la barbacane commandant l’accès au donjon, à l’ouest. Au moment où l’assaut risquait de basculer du mauvais côté, le chevalier Géraud de Castelnaud d’Auzan tint parole.

Il releva la herse, ouvrit la porte à deux battants et nous permit d’investir le donjon par le bas, cette fois, dès que nous eûmes réussi à franchir le pont-levis en fort mauvais état.

Lancés au galop pour sauter les obstacles au risque de nous rompre le col et de crever nos montures, la plupart d’entre nous réussirent à pénétrer dans le poste de garde, épée desforée, sans trop de casse. Les moins heureux churent dans le fossé. On eut à déplorer quatre morts et dix blessés graves.

Trois cents gens de pied escaladèrent péniblement les obstacles et nous rejoignirent dans la grand’salle du donjon après en avoir massacré les derniers défenseurs.

Un curé sonnait none à la chapelle du village. En moins de douze heures, trois de nuit et neuf de jour, nous avions investi la place et pris possession de l’arrogant donjon de l’un de mes pires ennemis.

« Isabeau ! Isabeau, ma gente fée aux alumelles ! Nous sommes venus te déférer des chaînes de ton infâme bourreau ! » Infââââme bourrrreau ! Infââââme bourrrreau ! Les voûtes en répercutèrent l’écho autant de fois qu’il y avait d’ogives et d’arcs-boutants dans la salle des Gardes.

Dans un coin de la Grand’salle éclairée par de nombreuses torchères qui puaient le suif, le ci-devant sire de Castelnaud de Beynac, un long coutelas sous la gorge, entre le menton et le gorgerin de mailles, était plus blême qu’un navet blanchi dans la marmite du cantou. Un coutelas tenu d’une main qui ne tremblait pas. La main de celle qui était la fleur de ma vie, Marguerite.

« Or donc, vous voici rendu à merci, messire Gaillard ! tonnai-je.

— Je le crains. Mais votre Graal, votre précieuse et dévergognée sœur ne se trouve plus en notre château. Vous pouvez hucher à oreilles étourdies, fouiller toutes les pièces dans leurs moindres recoins et saccager tous les meubles, vous ne mettrez point la main dessus, cracha-t-il, en le morgant de haut.

« Elle a été dérobée à ma vigilance et conduite sous bonne escorte vers la forteresse d’un lointain seigneur, il y a plus de trois semaines !

« Son nom ! hurlai-je, son nom, ou je vous occis !

— Un puissant seigneur, dont je jure sur la Croix ignorer le nom, répondit-il d’une voix moins assurée, avant de ricaner et de surenchérir :

« Aurait-elle été plus docile que j’aurais mieux veillé sur sa blonde personne pour la fotre jusqu’aux coillons ! »

Une phrase de trop.

« Menteur ! Vous n’êtes qu’un fieffé menteur et un parjure ! »

 

Je me jetai sur lui, les mains ouvertes, les doigts écartés, fol de rage.

Je le saisis à la gorge, sous le regard effrayé de Marguerite. Elle trébucha et recula de deux pas. Deux pas seulement.

 

Le coutelas qu’elle tenait fermement en main glissa sur les mailles de mes gants de fer et trancha le col du captif

 

Mes manicles furent souillées de son sang.