Et Charles débarqua nu..
Le général Aupick est nommé commandant de l’École d’application d’état-major à Paris en mars 1841. Sa brillante promotion ne rend pas totalement heureux cet officier de cinquante-deux ans. Les frasques de son beau-fils, Charles Baudelaire, lui gâchent l’existence. Charles, qui a réussi son baccalauréat en août 1839, traîne depuis au Quartier latin. Il affiche son dandysme, se complaît dans les lieux interlopes, accumule les dettes. À vingt ans – il est né en avril 1821 – , il refuse d’envisager d’autre avenir que celui de poète. Une incongruité pour le général Aupick qui parvient, non sans difficulté, à convaincre sa femme, Caroline, la mère de Charles, de l’éloigner « des pavés glissants » de la capitale. En trois mois, l’affaire est entendue. Charles partira faire un voyage aux Indes. Histoire de lui « remettre les idées en place ». Départ de Bordeaux pour Calcutta, le 9 juin 1841, sur le Paquebot des Mers du Sud, commandé par le capitaine Saliz.
Un voyage aux Seychelles, à Maurice, à Ceylan ou en Inde, c’est tout au plus, aujourd’hui, une quinzaine d’heures d’avion. En 1841, se rendre à Calcutta relève de l’aventure. Il faut déjà cinq jours de diligence pour aller de Paris à Bordeaux. Et, selon les caprices du vent, deux mois et demi de mer, au moins, pour les trois-mâts de la marine marchande et les rares passagers qu’ils embarquent. Le tout dans des conditions de vie difficiles : exiguïté et promiscuité des cabines, pullulement des cafards et des punaises, nourriture souvent avariée, eau saumâtre. Des conditions rendues carrément périlleuses par l’absence de toute prévision météorologique.
Le jeune Charles est triste de devoir quitter Paris. Ce voyage est pour lui une punition injustifiée. Mais, à quelque chose, malheur est bon. Il n’aura plus à supporter les récriminations quotidiennes de son beau-père. Et il y a également l’attrait de l’inconnu. Aussi part-il sans le moindre enthousiasme mais sans véritable déplaisir non plus.
Pour preuve le billet qu’il envoie à sa mère au moment de monter à bord : « Je veux que tu sois contente en pensant que je suis content. Car c’est vrai. Ou à peu près… » Le Paquebot des Mers du Sud appareille en fin d’après-midi, le 9 juin 1841. Le grand voyage commence.
Charles se montre odieux. Aucun de ses compagnons de voyage – ils sont une douzaine – ne trouve grâce à ses yeux. Il les provoque et cherche à les scandaliser. Le capitaine Saliz résume la situation dans une lettre qu’il enverra au général Aupick lors d’une escale : « Il est trop tard pour espérer foire revenir votre beau-fils sur sa détermination de ne se livrer à aucune autre occupation que la littérature… Je dois vous dire aussi… que ses notions et ses expressions tranchantes sur tous les liens sociaux sont contraires aux idées que nous étions habitués à respecter depuis l’enfance, et pénibles et entendre de la bouche d’un jeune homme de vingt ans… »
Baudelaire s’isole. Après une très courte escale aux îles du Cap-Vert pour se ravitailler en eau, le Paquebot des Mers du Sud cingle vers l’équateur. La chaleur est de plus en plus lourde. Pour se distraire, le capitaine Saliz abat d’un coup de carabine un albatros qui survole le bateau. L’oiseau blessé tombe sur le pont. Ses grandes ailes pendantes lui donnent un air pataud. Les matelots l’agacent avec des bâtons, des drisses, l’un essaie de lui enfourner son brûle-gueule dans le bec. Charles lui fonce dessus, le roue de coups. Le capitaine Saliz a du mal à séparer les deux hommes. Des années après, dans L’Albatros, le grand oiseau blessé lui inspirera quelques-uns de ses plus beaux vers :
Souvent, pour s’amuser, les hommes
d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux îles mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers…
Ce voyage, même s’il l’exaspère, marque profondément le jeune Charles. Il lui permet de découvrir la mer. Lui, le Parisien, l’homme des ambiances troubles, malsaines, se révélera comme le poète de la mer. Il la décrira, bien plus tard, dans Les Fleurs du mal ou dans Le Spleen de Paris, il la racontera dans tous ses états.
Calme dans Le Beau Navire :
Quand tu vas balayant l’air de ta jupe
large,
Tu fais l’effet dun beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux et lent.
Déchaînée dans Moesta et Errabunta :
Quel démon a doté la mer, rauque
chanteuse
Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublime de berceuse ?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs !
Éternelle dans « Déjà », des Petits Poèmes en prose :
« Je ne pouvais… me détacher de cette mer si monstrueusement séduisante, de cette mer si infiniment variée dans son effrayante simplicité, et qui semble contenir en elle et représenter par ses jeux, ses allures, ses colères et ses sourires, les humeurs, les agonies et les extases… »
Mais les jeux cruels de cette mer allaient décider du devenir de son voyage. Après une seconde escale au Cap pour se ravitailler, fin juillet, le Paquebot des Mers du Sud franchit le cap de Bonne-Espérance – le canal de Suez n’est pas encore percé – , entre dans l’océan Indien. Le 8 août, il est pris dans une violente dépression. « La pire que j’ai connue », dira le capitaine Saliz. Trois jours durant, des déferlantes de plusieurs mètres s’abattront sur le navire. L’un des trois mâts s’effondre, endommageant la dunette. Deux grandes voiles se déchirent. Le naufrage n’est pas loin. Dans ces circonstances, Charles ne manque pas de courage. Alors que les autres passagers sont enfermés, terrorisés, dans leurs cabines, lui aide les matelots à tendre une toile goudronnée afin d’éviter que l’eau n’envahisse les soutes. Le capitaine le reconnaîtra dans une lettre au général Aupick : « Nous pûmes presque toucher la mort du bout des doigts, sans qu’il [Baudelaire] s’en fût démoralisé pas plus que nous ».
La tempête calmée, le Paquebot des Mers du Sud se retrouve en triste état. Il est dans l’impossibilité de manœuvrer. Un navire américain, le Thomas Perkins,, vint à son aide, le 14 août, lui fournissant voiles et bonnettes. Mais plus question de Calcutta dans l’immédiat. Il faut rejoindre le port le plus proche pour faire procéder aux réparations : c’est Port-Louis, la capitale de l’ancienne île de France, ex-joyau de la Compagnie des Indes, devenue île Maurice depuis son annexion par les Anglais en 1810. Port-Louis, que jamais Le Paquebot des Mers du Sud n’aurait dû rallier sans cette fortune de mer et qu’il atteint le matin du 1er septembre 1841, près de trois mois après avoir quitté la France.
Baudelaire est-il heureux de toucher terre, d’arriver à Maurice ? Même si le spleen ne l’a guère quitté depuis Bordeaux, l’île le séduit :
« C’était, écrira-t-il dans les Petits Poèmes en prose, une terre magnifique, éblouissante. Il semblait que les musiques de la vie s’en détachaient en un vague murmure, et que de ces côtes, riches en verdure de toute sorte, s’exhalait, jusqu’à plusieurs lieues, une délicieuse odeur de fleurs et de fruits. »
On n’arrive plus à Maurice par bateau, mais par avion à l’aéroport de Plaisance, à l’extrême sud de l’île. Qu’importe : cent soixante ans après, c’est toujours le même choc. L’approche est magnifique : la mer prend des nuances turquoise, le vert tendre des champs de canne à sucre tranche avec celui plus profond des ravines, avec le noir basalte des mornes. Et, le pied posé sur le sol, ce ne sont que les couleurs vives des flamboyants, des bougainvillées, des trochetias, que les odeurs suaves ou fortes des tamariniers, des manguiers, des pamplemoussiers. Avec, le long des plages de sable blanc, les forêts de filaos et les silhouettes dégingandées des cocotiers. Un éden où Bernardin de Saint-Pierre avait déjà placé l’idylle vertueuse de Paul et Virginie. Un lieu à part que Charles Baudelaire résumera dans deux vers célèbres de L’Invitation au voyage :
Là, tout n’est qu’ordre et beauté
luxe, calme et volupté.
Le contraire de ce que fut pourtant son débarquement à Port-Louis. Le port n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Point de quai digne de ce nom. Dès l’entrée de la rade, passé le fort George, qui domine toujours la mer de ses solides murailles, les navires mouillaient plus ou moins loin du rivage ; des chaloupes conduisaient à terre marchandises et passagers. C’est ce que fit le Paquebot des Mers du Sud. Charles Baudelaire, en descendant l’échelle de coupée pour prendre place dans une chaloupe, fit tomber à la mer les deux livres qu’il portait avec lui. Deux romans de Balzac, son auteur préféré, disent les historiens locaux, L’Enfant maudit et La Peau de chagrin. Il se jeta à l’eau pour les récupérer. Trempé, il ôta ses vêtements et ses chaussures. Et c’est nu ou presque qu’il débarqua à Port-Louis, sur une petite plage devenue aujourd’hui le front de mer. Face au marché qui, lui, étend toujours ses charpentes de fer et d’ébène et qui reste l’âme de la capitale, avec ses rumeurs, ses cancans, ses petites et grandes histoires de la vie mauricienne.
Est-ce ce bain forcé en rade de Port-Louis, est-ce la vision de ce bourg perdu du bout du monde, est-ce ce ciel trop bleu et cette végétation trop verte ? Baudelaire, en tout cas, a pris sa décision, il ne continuera pas son voyage jusqu’à Calcutta. Il n’obéira pas au général Aupick. Il le dit au capitaine Saliz. Ce qu’il veut, c’est rentrer à Paris. Au plus vite. Mais vite est un mot inconnu en ce milieu du XIXe siècle dans l’océan Indien. Il attendra à Maurice que le Paquebot des Mers du Sud soit remis en état pour le conduire à Saint-Denis, sur l’île Bourbon (la Réunion) ! avant de poursuivre sa route vers les Indes. Les départs pour la France y sont plus fréquents qu’à Port-Louis.
Le jeune Charles s’installe dans un hôtel de la grande rue – sur le site actuel de la State Bank – qui mène au palais du gouverneur, devenu depuis celui de l’Assemblée nationale.
Le Charles Baudelaire de vingt ans qui a débarqué par hasard à Port-Louis est beau. Son visage, dont un portrait de Deroy nous a gardé les traits, avait quelque chose d’angélique. Comme l’écrira Théodore de Banville, le sourcil est pur, allongé et couvre une paupière chaude, vivement colorée ; l’œil est long, noir, profond, le nez gracieux et ironique ; la bouche arquée et affinée, la silhouette agréable et élancée.
Charles attendra dix-huit jours à Maurice le départ du Paquebot des Mers du Sud Les paysages, les odeurs, les couleurs, les rencontres et les amours exotiques allaient façonner, marquer à vie ce poète en devenir.
Loin du boudoir
maternel
Quelles influences peuvent
avoir les voyages, le dépaysement sur un artiste, un
écrivain ? Baudelaire répondit à cette question, en 1855, à
l’occasion de l’Exposition universelle, dans un texte publié par La
Revue contemporaine. Il ne fait aucun doute qu’il relate là son
expérience mauricienne :
« … Si je prends un homme intelligent, et si je le transporte
dans une contrée lointaine, je suis sûr que les étonnements du
débarquement sont grands ; si l’accoutumance est plus ou moins
longue, plus ou moins laborieuse, la sympathie sera tôt ou tard si
vive, si pénétrante, qu’elle créera en lui un monde nouveau
d’idées… qui l’accompagnera, sous la forme de souvenirs, jusqu’à la
mort.
« Ces formes de bâtiments, qui contrarieraient d’abord son
œil…, ces végétaux inquiétants pour sa mémoire chargée de souvenirs
natals, ces femmes et ces hommes dont les muscles ne vibrent pas
suivant l’allure classique de son pays, dont la démarche n’est pas
cadencée selon le rythme accoutumé, ces odeurs qui ne sont plus
celles du boudoir maternel, ces fleurs mystérieuses dont la couleur
profonde entre dans l’œil despotiquement, pendant que leur forme
taquine le regard, ces fruits dont le goût trompe et déplace les
sens… tout ce monde d’harmonies nouvelles entrera lentement en lui,
le pénétrera patiemment comme la vapeur d’une étuve
aromatisée… »
La créole enchanteresse
Le Paquebot des Mers du Sud mouille en rade de Port-Louis, le 1er septembre 1841. Une escale forcée sur la route des Indes pour réparer les dégâts d’une tempête que le trois-mâts a dû affronter dans l’océan Indien. À son bord le jeune Charles Baudelaire, vingt ans, que son beau-père, le général Aupick, a décidé d’éloigner de Paris où il mène une vie de bohème et accumule les dettes, rejusant d’envisager d’autre métier que celui d’écrivain. Baudelaire informe le capitaine Saliz qu’il ne continuera pas le voyage avec lui. Ce qu’il veut, c’est rentrer à Paris le plus vite possible. Il devra tout de même attendre à Maurice que le Paquebot des Mers du Sud soit remis en état. En reprenant sa route vers Calcutta, le capitaine Saliz le laissera à Saint-Denis, sur l’île Bourbon (la Réunion), où les passages pour la France sont plus nombreux qu’à Port-Louis.
La Vie antérieure, La Chevelure, Correspondances, Parfum exotique, À une dame créole, Bien loin d’ici, La Belle Dorothée, L’Invitation au voyage, La Musique… autant de poèmes de Baudelaire qui évoquent son séjour à l’île Maurice. Et pourtant, ce séjour reste, à bien des égards, entaché de mystères. Ils sont trois. Trois seulement à avoir joué les Sherlock Holmes, à avoir essayé de savoir comment le jeune Baudelaire passa son temps sur l’île, qui il rencontra, où il vécut. Deux sont morts, Hippolyte Foucque, un agrégé de lettres réunionnais, et Jean Urruty, un érudit mauricien. Le troisième, Emmanuel Richon, un enseignant français de quarante-deux ans, marié à une Mauricienne d’origine indienne, vit à Henrietta, non loin de Vacoas, au cœur de l’île. Il est formel. « Baudelaire n’a jamais raconté son voyage, mais toute son œuvre est imprégnée de l’atmosphère, des paysages, de la façon de vivre des habitants de Maurice ; l’île est l’une des clefs de ses poèmes ; ses exégèses l’ont trop ignoré ; mais cela n’a rien de surprenant, tant aujourd’hui encore son séjour donne lieu à controverses et affabulations. »
Ce qui est sûr, c’est la durée de cette escale forcée, sous les tropiques, dix-huit jours. Le Paquebot des Mers du Sud entre en rade de Port-Louis le 1er septembre 1841 en début de matinée.
Les archives du port en font foi. La date du départ est aujourd’hui connue avec exactitude. Un exemplaire retrouvé du Cernéen, le journal de l’île Maurice, indique à la date du samedi 25 septembre 1841 : « Départ. September 19th. Frenchship Paquebot des Mers du Sud Cap. Saliz for Bourbon, Passengers : MM. Delaruelle, Mellon and Baudelaine (sic) ».
Pendant ces dix-huit jours, Baudelaire visite l’île. Port-Louis d’abord. La ville n’est, à cette époque, qu’un gros bourg d’une dizaine de milliers d’habitants. Avec ses maisons de bois à un étage, couvertes de toits à bardeaux, entourées de vérandas. Avec son marché qui vient tout juste d’être construit face au port. Un marché qui n’a guère changé depuis avec ses étals de fruits et de légumes, ses carreaux aux poissons et aux volailles, ses vendeurs de tisanes qui peuvent tout guérir, si l’on en croit le petit peuple mauricien.
En 1841, les plages et la mer n’intéressent guère. Le long des côtes, seuls prospèrent de petits villages de pêcheurs aux noms évocateurs : Tamarin, Bel-Ombre, Rivière-des-Anguilles, Poudre-d’Or, Beau-Manguier… Les grandes familles, les commerçants fortunés ont pris l’habitude de vivre à l’intérieur des terres, sur les hauteurs. Au cœur de vastes domaines voués à la culture de la canne à sucre. Ils possèdent à Port-Louis des demeures que l’on quitte le plus souvent possible pour se mettre à l’abri de la moiteur. Terre-Rouge, Pamplemousses, Moka, les accueillent à une vingtaine de kilomètres de Port-Louis. C’est là, au milieu des jardins à la végétation exubérante et des demeures coloniales où vaquent à leur tâche de nombreux serviteurs noirs – l’esclavage a été supprimé sur l’île en 1838 – que va se promener Baudelaire. Même si son séjour à Maurice l’ennuie, il ne résiste pas au charme et à l’harmonie de ces paysages.
« Parfum exotique », un poème des Fleurs du mal, traduira bien ses impressions.
Une île paresseuse où la nature donne Des arbres singuliers et des fruits savoureux ; Des hommes dont le corps est mince et vigoureux. Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne… Guidé par ton odeur vers de charmants climats Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encore toutfatigué par la vague marine Pendant que le parfum des verts tamariniers, Qui circule dans l’air et m’enfle les narines, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
C’est au hasard de ses promenades que Baudelaire, selon Foucque, Urruty ou Richon, rencontre Gustave-Adolphe Autard de Bragard. Ce riche propriétaire terrien possède un domaine et une sucrerie à Pamplemousses. Il a trente-deux ans. Il propose à Baudelaire de quitter l’hôtel et de venir s’établir chez lui. Charles accepte volontiers. D’autant plus volontiers que Gustave-Adolphe est marié à une jeune femme de vingt-trois ans, Emeline, qui se pique de poésie.
Charles Baudelaire passera la plus grande partie de son séjour entre la propriété des Autard de Bragard à Pamplemousses et la grande maison que possède le couple à Port-Louis. Celle-ci existe toujours. Elle est située au numéro 8 de la rue Georges-Guibert (ancienne rue des Tribunaux), une petite artère dallée de pavés de granit noir à deux pas des bâtiments de la Cour suprême et à une centaine de mètres de la cathédrale Saint-Louis. La maison de maître du domaine de Pamplemousses a été détruite, mais la propriété de cinq cents arpents est, elle, encore exploitée sur la route de Rouge-Terre.
Gustave-Adolphe et sa femme Emeline feront connaître à leur hôte les quelques personnes qui, sur l’île, s’intéressent à la littérature. Elles sont rares. En 1841, on vient d’abord à Maurice faire fortune dans le commerce ou dans la culture de la canne à sucre. Le jeune couple emmène Charles dans les endroits à la mode de Port-Louis. Ils sont tout aussi rares. Le plus célèbre en ce mois de septembre, c’est la boutique de la rue de Touraine (aujourd’hui rue Virgile-Naz) où est installé un daguerréotype depuis le mois de février 1840.
Tristan Bréville, qui dirige le musée de la Photographie, rue du Vieux-Conseil, connaît bien cet épisode du séjour de Baudelaire : « Tout ce qui comptait, à l’époque, à l’île Maurice, tous les voyageurs de passage venaient se faire “daguerréotyper” ; il est certain que Baudelaire n’a pas dérogé à la coutume ; cette “photo” est aujourd’hui au fond d’un vieil album, voilà des années que je la cherche, je ne désespère pas de la retrouver. »
Charles Baudelaire gardera une profonde reconnaissance aux Autard de Bragard de l’avoir accueilli, de lui avoir évité la solitude d’un hôtel minable. Sur la route du retour, avant de s’embarquer, le 4 novembre, pour la France sur l’Alcide, de l’île Bourbon où l’a laissé le Paquebot des Mers du Sud, il enverra aux Autard de Bragard l’un de ses plus beaux poèmes : À une dame créole.
Au pays parfumé que le soleil caresse,
J’ai vu dans un retrait de tamarins ambrés6
Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse
Une dame créole aux charmes ignorés.
Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse
À dans le cou7 des airs noblement maniérés ;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse
Son sourire est tranquille et ses yeux assurés
Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la Seine ou de la vaste Loire,
Belle digne d’orner les antiques manoirs,
Vous feriez à l’abri des mousseuses8 retraites
Germer mille sonnets dans le cœur des poètes
Que vos regards9 rendraient plus soumis que vos
Noirs.
Clin d’œil du destin, ce sonnet sera le premier poème que Charles Baudelaire réussira à faire publier. Ce sera en 1845, trois ans après son retour de Maurice, dans L’Artiste sous le titre « À une créole », avec quelques corrections mineures par rapport au texte original. Emmanuel Richon précise : « Il faut, bien sûr, prendre le mot Créole au sens premier, celui d’une habitante des îles d’ascendance européenne ; on a commis beaucoup d’erreurs d’interprétation à propos de ce mot. Emeline était blanche et non métisse ou mulâtre. »
La maison de maître des Autard de Bragard, dans leur domaine de Pamplemousses, ressemblait à toutes les demeures patriciennes de l’époque. Une grande bâtisse de bois à un étage au toit en bardeaux, entourée sur trois côtés d’une varangue, une grande véranda sur laquelle donnaient toutes les pièces du rez-de-chaussée, agrémentée de fougères arborescentes, les « fandya ». Il reste quelques-unes de ces maisons dans l’île.
Le visiteur qui voudrait se replonger dans l’atmosphère de l’époque, imaginer Baudelaire déclamant des vers à Emeline Autard de Bragard ou filmant un cigare avec son mari, Gustave-Adolphe, entourés de serviteurs noirs, doivent aller à Moka se promener dans la villa Eurêka.
Cette maison restitue fidèlement ce qu’a pu ressentir Baudelaire. Là encore, l’histoire a de curieux raccourcis, les propriétaires d’Eureka étaient jusqu’à ces dernières années les Le Clézio. Jean-Marie Le Clézio y plantera le décor de son roman Le Chercheur d’or.
C’est dans La Vie antérieure que Baudelaire rapporte le mieux cette ambiance mauricienne du milieu du XIXe siècle. Il y compare les varangues à de « vastes portiques » ou à des « grottes basaltiques », nombreuses sur les montagnes (les mornes) d’origine volcanique de l’île.
J’ai longtemps habité sous de vastes
portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques…
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l’Azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeur
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
Charles Baudelaire passera dix-huit jours à Maurice et aussi dix-huit nuits. Port-Louis est l’une des escales sur la route des Indes. Les marins, les militaires sont nombreux à y faire relâche. Comme dans tous les ports, les bordels prospèrent. Noires, Indiennes, mulâtres offrent leurs charmes tarifés. Le jeune Charles va goûter à ces amours exotiques, il allait en rester profondément marqué. Dans sa vie, dans sa chair, dans son œuvre.
Lettre au mari
Voici le texte de la lettre que Baudelaire adressa à
Gustave-Adolphe Autard de Bragard pour le remercier de son
hospitalité :
« Bourbon, le 20 octobre 1841
« Mon bon monsieur Autard,
« Vous m’avez demandé quelques vers à Maurice pour votre
femme, et je ne vous ai pas oublié. Comme il est bon, décent, et
convenable que des vers adressés à une dame par un jeune homme
passent par les mains de son mari avant d’arriver à elle, c’est à
vous que je les envoie, afin que vous ne les lui montriez que si
cela vous plaît.
« Depuis que je vous ai quitté, j’ai souvent pensé à vous et à
vos excellents amis. Je n’oublierai pas certainement les bonnes
matinées que vous m’avez données, vous, Mme Autard et
M. B.
« Si je n’aimais et ne regrettais pas tant Paris, je resterais
le plus longtemps possible auprès de vous et je vous forcerais à
m’aimer et à me trouver un peu moins “baroque” que je n’en ai
l’air.
« Il est peu probable que je retourne à Maurice, à moins que
le navire sur lequel je pars sur Bordeaux [L’Alcide] n’y aille
chercher des passagers.
« Voici mon sonnet [suivait le poème À une dame
créole].
« Donc, je vais vous attendre en France.
« Mes compliments bien respectueux à Mme Autard.
« Ch. Baudelaire. »
Charles ensorcelé par les femmes de couleur
Charles Baudelaire attend à l’île Maurice que le Paquebot des Mers du Sud, endommagé par une tempête, soit remis en état, pour le conduire à Saint-Denis sur l’île Bourbon (la Réunion) où il embarquera pour la France. L’apprenti-poète a décidé de rentrer à Paris et de ne pas continuer, comme prévu, le voyage jusqu’à Calcutta. En débarquant le 1er septembre 1841 à Port-Louis, trois mois après avoir quitté Bordeaux, Baudelaire rencontre les Autard de Bragard, un couple de riches propriétaires terriens qui l’accueillent dans leur domaine de Pamplemousses et leur maison de Port-Louis. Si les paysages l’étonnent, la nonchalance et l’exubérance d’une population où Blancs, Noirs, Indiens, métisses se côtoient, le séduisent. Les femmes surtout. À vingt ans, Charles n’a qu’une expérience amoureuse limitée. Mais « ces femmes dont l’œil par sa franchise étonne », comme il l’écrit dans Parfums exotiques, vont le marquer à vie.
Aujourd’hui encore en arrivant à l’île Maurice, ce qui frappe, ce sont les couleurs. Couleurs du ciel, de la mer, des fleurs, de la végétation. Couleurs aussi des habitants, une véritable mosaïque de peuples aux origines diverses : Noirs, descendants des premiers esclaves ; mulâtres et métisses ; Vaïch, originaires du Bihar ; Tamouls du Maharashtra ou du Sri Lanka ; musulmans indo-pakistanais ; Chinois de Canton ; Blancs, héritiers des grands domaines agricoles. Couleurs encore des vêtements : même si jean et tee-shirt restent, chez les jeunes, l’uniforme incontournable, les tissus locaux aux teintes fraîches et polychromes habillent toujours nombre de Mauriciennes. Ce choc des couleurs, Charles Baudelaire l’a ressenti en débarquant à Port-Louis. D’autant plus vivement que la façon de s’habiller, à Paris, au temps de la monarchie de Juillet, n’a rien d’attrayant. Chez les hommes, la mode est aux lourds tissus gris et noirs. Les femmes portent des robes aux coloris pâles, peu soutenus. Corsets, guêpières, bas, jarretelles leur dessinent des silhouettes strictes et rigides.
Tout à l’opposé des Mauriciennes que découvre Baudelaire. Elles sont vêtues d’étoffes légères, fluides, presque transparentes. Tussors, organdis, percales, bétilles, madras, calicots, taffetas leur donnent des allures gracieuses et ondulantes. De quoi attiser la curiosité et l’envie d’un garçon de vingt ans.
« Le serpent qui danse », l’un des poèmes des Fleurs du mal, traduit bien les sentiments de Baudelaire, son émoi devant un tel spectacle.
Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante
Miroiter ta peau !…
À te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton…
Ces femmes qu’ils croisent attirent le jeune Charles. D’expérience amoureuse, il n’en a guère connu à Paris, si ce n’est avec Sarah, une petite prostituée qu’il a rencontrée sous les arcades du Palais-Royal. Une brève liaison dont il garde un désagréable souvenir. Sarah, qui n’avait rien d’une beauté – elle devait son surnom de « Louchette » à ses yeux bigles – , l’a contaminé, une blennorragie qu’il aura du mal à soigner. Sarah lui inspirera ces deux vers terribles :
Une nuit que fêtais près d’une affreuse
Juive.
Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu…
Les amours exotiques allaient le réconcilier avec la gent féminine, avec l’amour physique en tout cas. C’est sur le Paquebot des Mers du Sud, pendant la traversée, qu’il a fait ses premières expériences. Emmanuel Richon, l’un de ses biographes, en a retrouvé les traces dans un numéro de La Chronique de Paris du 13 septembre 1867, sous la forme d’un récit anonyme, paru au lendemain de la mort du poète :
« Pendant la traversée, il [Baudelaire] se signale par des allures excentriques, des relations s’établirent entre lui et une laya [nom indien pour les bonnes d’enfants], belle et ardente négresse qui avait accompagné une famille créole en France et se rapatriait. Cette liaison fut cause de scènes étranges à bord ; la négresse poursuivait Baudelaire d’une tendresse tellement ardente que, d’accord avec le capitaine, on consigna cette femme pour toute la traversée dans la cabine étroite qu’elle habitait à bord. »
Pour Emmanuel Richon, cette aventure ancra profondément dans l’esprit de Baudelaire sa préférence pour les femmes de couleur. « À moins, analyse Richon, que son désir de choquer n’ait trouvé là un exutoire ; les liaisons entre Blancs et Noirs étaient fort mal admises à l’époque dans toutes les colonies anglaises ou françaises. »
Sont-elles mieux acceptées aujourd’hui à Maurice ? Ce n’est pas sûr. Si plusieurs communautés, Noirs, Blancs, Indiens, musulmans, Chinois, parviennent à vivre ensemble, on ne se mélange guère. Chacune d’entre elles a ses règles bien établies, son mode de vie, ses usages, ses fêtes religieuses. « La magie des tropiques estompe aux yeux des visiteurs les différences et les tensions entre communautés, explique Bruno Dumazel, le président de l’Alliance française à Port-Louis, mais elles existent, même si elles reflètent davantage des réalités économiques qu’ethniques. Les affrontements sanglants de 1999 entre Noirs et Indiens, après la mort d’un chanteur reggae, en sont une illustration. »
À Maurice, en 1841, les choses sont plus simples. Il y a les Blancs ils sont sept mille à huit mille, et les autres. Les Blancs, anciens colons français, restés sur place en dépit de la conquête anglaise de 1810. Les autres, les Noirs, tout juste délivrés de l’esclavage, et les « coolies » que l’on fait venir du sud de l’Inde comme main-d’œuvre dans les champs de canne à sucre. Les Blancs possèdent tout. Les autres rien. Les Blancs ont tous les droits, les autres aucun. Et pas question d’unions entre Blancs et Noirs, Blancs et Indiens.
Baudelaire va, bien sûr, braver les tabous. Il fréquente assidûment, si l’on en croit Hippolyte Foucque ou Jean Urruty, ses deux biographes mascarins, les bordels de Port-Louis. Mais surtout, il va tomber sous le charme de Dorothée, qu’il immortalisera dans plusieurs poèmes des Fleurs du mal ou des Petits Poèmes en prose.
Qui est Dorothée ? Une jeune femme noire, grande et belle. Personne n’a pu apporter de réponse plus précise. Pour les uns, elle est une servante indienne, originaire de Malabar, qui travaillait chez les Autard de Bragard. Baudelaire l’aurait connue lors de son séjour chez ses hôtes à Pamplemousses. Pour les autres, elle est une esclave affranchie qui s’est installée dans une case, sur une plage près de Port-Louis, sur la route de Tamarin. Plus certainement, Dorothée exerce le plus vieux métier du monde. Baudelaire, dans Bien loin d’ici, l’un de ses poèmes les plus connus, décrit son émotion aux souvenirs des moments passés avec elle.
C’est la case sacrée
Où cette fille très parée,
Tranquille et toujours préparée,
D’une main éventant ses seins,
Et son coude dans les coussins,
Écoute pleurer les
bassins :
C’est la chambre de Dorothée.
La brise et l’eau chantent au loin
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée
Du haut en bas avec grand soin,
Sa peau délicate est frottée
D’huile odorante et de benjoin.
Des fleurs se pâment dans un coin.
Baudelaire en fait une description plus précise dans « La Belle Dorothée » des Petits Poèmes en prose.
« Elle s’avance, balançant mollement son torse si mince sur ses hanches si larges. Sa robe de soie, d’un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux et sa gorge pointue…
« Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête délicate et lui donne un air triomphant et paresseux… »
La belle Dorothée ne sera pas la seule à faire tomber le jeune Charles sous son charme. Théodore de Banville rapportera quelques anecdotes que Baudelaire lui a racontées, des années plus tard, sur son voyage. L’une d’entre elles est considérée comme vraisemblable par les biographes du poète qui se sont toujours méfiés de son imagination. « Il [Baudelaire] n’avait pas tardé à être ennuyé par l’esprit banal de ses hôtes [les Autard de Bragard] et s’en était allé vivre seul, quelques jours, sur une montagne avec une toute jeune et grande fille de couleur qui ne savait pas de français, et qui lui cuisait des ragoûts étrangement pimentés dans un grand chaudron de cuivre poli, autour duquel hurlaient et dansaient de petits négrillons nus… »
Cette jeune et grande fille est-elle une Indienne de Malabar, une Noire, une métisse ? Baudelaire n’en dira pas plus à Banville. Après sa mort, le poème « À une Malabaraise » sera inclus dans l’édition définitive des Fleurs du mal en 1868. Charles Baudelaire de son vivant s’y était opposé, trouvant le texte « trop enfantin ». Un texte qu’il avait écrit dès 1841, encore sous le coup de son voyage, et peut-être même pendant son voyage. Une ode à la femme de couleur qui aura pour toujours ses préférences.
Tes pieds sont aussi fins que tes mains et
ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle hanche ;
À l’artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que tes chairs…
Charles Baudelaire quittera Maurice le 19 septembre 1841. Il y aura passé dix-huit jours. Il débarquera à Bordeaux le 15 février 1842. Après une longue escale à l’île Bourbon.
L’épilogue de ce voyage se déroulera quelques mois plus tard. En septembre 1842, le poète erre seul dans Paris. Une affiche l’arrête devant le Théâtre du Panthéon. On y joue Le Système de mon oncle, une pièce en un acte avec couplets. Pourquoi Baudelaire entre-t-il ? Au cours d’une scène, une servante paraît. Elle ne dit que trois mots : « Madame est servie. » C’est une fille de couleur, jeune et assez belle. Baudelaire est sous le charme. Il l’attendra à la sortie. Elle s’appelle Jeanne Duval. Quels souvenirs de Maurice surgissent dans sa mémoire lorsqu’il la voit ? Quels brusques désirs l’assaillent et font revivre l’atmosphère des îles ? Quelle magie opère en lui ? Jeanne sera la seule femme à laquelle il tiendra. Sûrement parce qu’elle a la peau noire. Sûrement parce qu’elle lui rappelle ses amours exotiques. Il lui vouera un véritable culte, résumé en deux vers :
Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane.
L’île Maurice est loin. Mais son souvenir hantera Charles Baudelaire jusqu’à sa mort.
À Port-Louis, à Pamplemousses, rien ne rappelle aujourd’hui le souvenir du poète. C’est tout juste si l’Alliance française porte le nom de « Centre Charles-Baudelaire ».
Mais on n’y enseigne pas la poésie…
Deux
tempêtes
Le voyage de retour de
Baudelaire, de Maurice vers Bordeaux, sera tout aussi agité que
celui de l’aller.
Le Paquebot des Mers du Sud quitte Port-Louis poux Calcutta dans la
nuit du 18 au 19 septembre 1841. Il arrive à Saint-Denis, sur l’île
Bourbon le lendemain. Pour une escale assez longue. Il ne repartira
vers les Indes que le 19 octobre, un mois plus tard.
Que fait le jeune Charles pendant ce temps ? Il ne quittera
guère le bord et restera sur le trois-mâts ancré en rade de
Saint-Denis. Le capitaine Saliz le confirmera. Baudelaire, dans une
lettre à Leconte de Lisle, originaire de l’île Bourbon, donnera de
ce mois une version analogue mais toute personnelle :
« Je n’ai jamais mis le pied dans votre cage à moustiques, sur
votre perchoir à perroquets. J’ai vu de loin des palmes, des
palmes, des palmes, du bleu, du bleu, du bleu… »
Le jeune Charles devra tout de même descendre à terre. L’Alcide,
sur lequel il doit rentrer en France, ne lèvera l’ancre que début
novembre. De ces quinze jours passés sur l’île Bourbon, on ne sait
rien. Tout juste est-on sûr que c’est de là que Baudelaire écrit
aux Autard de Bragard pour les remercier de leur hospitalité
mauricienne. La lettre qu’il leur envoie est datée de
« Bourbon, 20 octobre ».
Le 4 novembre, l’Alcide met à la voile. Le bateau, après une escale
au Cap, est pris au large des Açores dans une tempête qui endommage
son gouvernail. C’est à vitesse réduite qu’il gagnera Bordeaux, le
15 février 1842.
Charles Baudelaire aura subi deux terribles tempêtes, l’une à
l’aller, l’autre au retour. Tout a toujours été excessif dans
l’existence du poète.