17
La nuit portant conseil, au matin, Laurent Dubreuil sort de chez lui avec un plan d'action différent de celui de la veille... Quand son Peugeot Boxer quitte l'allée des Isards, une Mercedes C 220 argent métallisé le prend en filature. Elle est conduite par un homme d'une trentaine d'années, à la face esquimaude et au cou taurin : Matthieu Fourrier.
Laurent s'est dit que foncer à la Cité mondiale pour extorquer un chèque, comme il l'avait d'abord pensé, n'était pas forcément la meilleure stratégie, maintes personnes pouvant s'interposer avant qu'il ne parvienne jusqu'à Moran.
Une fois arrivé sur le chantier, il se met donc au travail, le cœur léger, en attendant 9 heures pour téléphoner à Magali Miller.
Et, l'instant venu, il est fier de parader.
- Il disait que je n'avais pas de preuves de ses magouilles, le beau Jean-Denis!... Prévenez-le que j'en ai!... J'ai un superbe dossier! Je le tiens à sa disposition. J'exige un chèque, dans la journée; sinon, ce soir, je le dépose chez Sud-Ouest.
- Ne quittez pas, Laurent, je lui en parle.
Farid Belkacem, qui peint la fenêtre d'une chambre à l'étage, porte un regard soucieux sur son ami qui exulte au pied du saule pleureur dénudé. T'es naïf, mon frère. C'est un serpent, Moran, tes trop grosses mains pourront jamais l'attraper.
Magali reprend la ligne.
- Laurent?
- Oui!
- M. Moran vous propose un rendez-vous à 19 heures, il lui est impossible de se libérer plus tôt.
- Mais pourquoi pas tout de suite, puisqu'il est à côté de vous?
- Vous vous trompez, je l'ai joint sur son portable; il est à Paris. Il rentre par le TGV qui arrive en fin d'après-midi.
- Peut-être qu'elle dit vrai... Bon, d'accord pour 19 heures. Il coupe la communication, et rit tel un enfant en regagnant le séjour remis à neuf.
— Je lui fous les jetons, au beau Moran!
À l'étage, Farid dodeline de la tête. T'es trop sûr de toi... Le Dieu, il préfère qu'on lui demande de l'aide.
Plusieurs fois, durant la nuit, le propos d'Hugo a tourmenté Valérie : « Rien n'a permis de le mettre directement en cause... D'autant moins qu'il jouit de hautes protections. »
À nouveau, l'idée que le substitut du procureur ait pu être mêlé aux intérêts du promoteur l'a assaillie. Si Moran a des amis haut placés, il n'est pas impossible qu'Internet en garde trace.
Après s'être libérée dans la matinée de ses tâches programmées et d'un rendez-vous chez un prospect concerné par une fusion de sociétés, depuis le retour du déjeuner, elle surfe, à la recherche d'une piste. Hugo est un garçon intègre, il ne peut pas avoir pactisé avec le diable. Elle aimerait s'en convaincre... Alors, elle explore, elle fouille, elle approfondit... Dans l'espoir de ne rien découvrir... Et, moins elle trouve, plus elle s'apaise.
Mais un peu avant 17 heures, son estomac se noue...
Un site québécois consacré aux célébrités girondines lui apprend qu'au début des années 90, Jean-Denis Moran a été durant cinq ans l'associé du politicien Jacques Collin au sein de MC Consulting, une société anonyme parisienne réalisant la transformation de locaux professionnels en logements. Rien d'étonnant à voir Moran et Collin la main dans la main! Collin a été cité dans de multiples affaires crapuleuses et a toujours réussi à passer entre les mailles du filet... Il a même eu la peau de trois ou quatre juges qui ont carrément changé de job.
Elle est passée sur Google.fr pour y frapper le nom de l'ex-ministre de l'Intérieur. Nom d'un chien! 68527 résultats! Ce requin a une notoriété internationale! Hugo a raison, Moran a des amis haut placés... Au moins un, en tout cas.
Survol des sites... Toutes les vies du châtelain de Carignan défilent : l'authentifiée, la parallèle avérée, la présomptive controversée, l'invérifiable, l'inavouable... Avec leur cortège d'engagements, alliances, mésalliances, forfanteries, compromissions, traquenards, complots, crimes... Le surnom « Vautrin » revient à chaque page.
Sa fondation du Comité ordre et action, censée servir la République, est universellement condamnée, et les pratiques effroyables qui s'y seraient rattachées suscitent l'imprécation... On évoque l'existence d'un réseau clandestin subsistant à son démantèlement officiel. Si Moran a gardé des contacts avec Collin, le tandem peut être hyper dangereux... Tu es folle! Pourquoi tu fais ça?
Elle vient d'enregistrer ses trouvailles sur le disque dur de Patouche.
Je ne vais pas me dégonfler maintenant... Ce serait peut-être plus prudent que je me fasse une copie sur CD de la totalité du dossier... Je te dis que ça peut être hyper dangereux ! Fais gaffe !... Oh, arrête de flipper.
Tout en opérant, la « menace » d'Hugo à propos de son ciel lui revient : « Fais attention, le tien est en train de singulièrement se couvrir. » Vautrin a cassé des juges... Combien en a-t-il compromis?... Attends, tout à l'heure, j'ai vu un truc dans ce goût-là... Elle retourne sur Google...
En mars 99, le journal L'Humanité relate la disparition inexpliquée du palais de justice de Lille de six tomes de pièces du dossier d'instruction d'une affaire d'atteinte à l'inviolabilité du domicile et au secret des correspondances, par personne dépositaire de l'autorité publique, où le nom de Jacques Collin apparaissait clairement... Le juge Rampelberg a été dessaisi... et on dirait que l'instruction n'a jamais été poursuivie... Mars 99, Hugo était justement substitut à Lille, à l'époque, c'était son premier poste... Il a dû entendre parler de cette histoire... Débutant. Gascon, comme Collin... Hugo se détestait exilé à Lille. Il m'a dit qu'il avait bénéficié d'un coup de pouce pour être nommé à Bordeaux... Disparition inexpliquée de pièces... Un fier service rendu à Collin ! Tu dérailles... « Je te préviens, ton ciel est en train de singulièrement se couvrir. » Arrêêêête !!! Tu joues à te faire peur, merde!
Elle envoie toutes ses données vers Patouche et grave l'ensemble du « Cas Dubreuil et annexes » sur le CD qu'elle s'apprête à garder dans son sac à main.
À 17h55, en arrivant avec son acheteur inespéré nanti d'une mallette de fort calibre, Antoine Gavelier, septuagénaire rigolard, ventru et déplumé, ne passe pas inaperçu aux rares occupants du lieu : essentiellement Bertrand Ducos, le chef de caisse, qui, assisté de ses adjoints, boucle les comptes de la journée. En principe, après fermeture du guichet, aucun client n'est admis dans la banque, et le bonhomme Gavelier se confond en remerciements, flatté d'être l'objet d'une exception.
Le bureau - avec de vraies cloisons et une vraie intimité - de Marc Léglise étant libre, Valérie reçoit ses visiteurs sur les terres de son plus fervent opposant.
Cheveux châtains et drus impeccablement coiffés, larges lunettes à monture épaisse et verres légèrement fumés, costume deux-pièces tombant à la perfection, Richard Ridouet, le candidat acheteur, est un homme courtois d'une quarantaine d'années, à la carrure d'athlète et au regard franc qui ne fuit jamais les yeux de son interlocuteur. D'entrée, Valérie a éprouvé de la sympathie pour ce malheureux pigeon dont elle sait depuis la veille qu'il va acquérir chèrement une entreprise surannée... Et naturellement, son « empathie pathologique », dirait Hugo, la porte à le plaindre. Mère Teresa ! Je ne vais tout de même pas déboulonner mon propre client! Ce pauvre Gavelier est si heureux de se débarrasser de sa vieillerie.
C'est avec ce dilemme en tête qu'elle a écouté le buandier exposer le plan de financement très particulier proposé par son acheteur... Mais cela n'est pas pour surprendre Valérie, malgré sa faible ancienneté dans la profession; des stratégies financières tarabiscotées, elle en a déjà vu pratiquer quelques-unes chez Geoffroy-Dornan, banque d'affaires oblige.
Celle de Richard Ridouet implique qu'il rencontre un cadre supérieur de l'établissement pour déposer immédiatement le chargement d'or et de bons de caisse dont il est porteur.
En découvrant le contenu de la petite valise, Valérie a eu le souffle coupé. Elle a feuilleté les bons et a fait miroiter les pièces sous blisters. Quelle sensation étrange. L'impression de palper une richesse.
- Vous croyez que c'est prudent de transporter ça?
Ridouet a souri en la fixant, les yeux dans les yeux.
- Comment voulez-vous que je le transporte?
Elle a reconnu qu'effectivement, la Brink's ne se justifiait peut-être pas pour un volume, somme toute, modeste. Ils ont ri.
Valérie appelle le poste de Michel Rey... Personne... Elle a écarté d'emblée Alexis Barrois, et se rabat donc sur Robert Puymireau; elle sait qu'il met un point d'honneur à être le dernier à quitter la place... Elle lui énonce le cas... Cinq minutes plus tard, avec force affabilités levantines, le directeur reçoit le trio porteur d'or qu'il fait asseoir dans la partie salon Art déco de son bureau où, parmi les placages de bois précieux, les moulures géométriques, les spirales et les motifs floraux stylisés aux reliefs marqués, trône un authentique vase créé par René Lalique pour le célèbre paquebot Normandie.
Ses mains grassouillettes s'enveloppant l'une l'autre - en parfaite adéquation avec l'ameublement -, le maître de céans a offert un apéritif que ses hôtes ont volontiers accepté. Valérie, qui a proposé de faire le service, a amusé ces messieurs en prenant un Vittel.
Richard Ridouet est un homme organisé : du couvercle de sa mallette rigide qui ne quitte pas ses genoux, il a sorti un volumineux dossier orange.
- Je sais que les 400 000 euros de crédit que je demande ne sont pas une petite somme, pour les obtenir, il faut montrer patte blanche... J'ai l'habitude de ce genre de transactions. J'achète des entreprises en perte de vitesse, je les remets sur les rails et je les revends... Vous avez là tous les éléments prouvant et ma solvabilité, et le sérieux de mon projet... Je suis un investisseur professionnel, mon dernier avertissement d'impôts sur le revenu vous prouvera que mes affaires sont rondement menées.
Coup d'œil oblique approbateur de Puymireau sur le document soumis à son appréciation.
- Je vis à La Rochelle. Jusqu'à présent, ma zone d'action était la région Charente-Poitou. Je veux m'étendre; Bordeaux m'intéresse. J'offre à M. Gavelier le moyen de jouir d'une retraite bien méritée.
Valérie n'y tient plus...
- Vous avez remarqué que le matériel de blanchisserie que vous allez acquérir n'est plus de première jeunesse...
Le vendeur fait les gros yeux.
- Mais, mais... il a toujours été parfaitement entretenu. C'est de la technique allemande; rien à voir avec les trucs italiens qu'ils font maintenant. C'est la Rolls du genre, ça peut tenir encore vingt ans.
Ridouet sourit.
- Cette question ne pose pas de problème particulier. J'ai pris contact avec un fabricant belge qui s'associera à mon entreprise : j'amène les locaux et le personnel compétent, il fournit l'équipement permettant de servir les grands hôtels en haute qualité, à prix sans concurrence, dans la demi-journée.
- Dans la demi-journée!
Gavelier a failli s'étrangler.
- Le mémoire que j'ai rédigé vous détaille mes dispositions.
Il remet l'épaisse chemise orange à Valérie.
- Je prends la totalité du risque financier à ma charge, la banque n'étant là que pour faire les fonds.
Puymireau sirote son porto.
- Expliquez-moi cela, cher monsieur.
- Le prix d'achat est de 460 000 euros... J'apporterai 60 000 par virement bancaire et, contre crédit du solde, j'offre en garantie 300 000 en bons de caisse anonymes du Crédit régional du Sud-Ouest à échéance de deux ans, reçus en héritage de ma grand-mère paternelle.
Puymireau se masse les mains.
- Anonymes et non déclarés au fisc, je suppose..
- Cela va de soi.
Rires complices des trois hommes. Un fraudeur de plus! Ridouet vient de dégringoler dans l'estime de Valérie. Il a sorti une dizaine de feuillets et les tend à Puymireau qui, gourmand, les reçoit comme avec dévotion.
- Vous comprendrez aisément, monsieur le directeur, que je ne tienne pas à être identifié en donnant ces bons clandestins à nantir par leur émetteur...
- Naturellement.
- Je vous les laisse donc en garantie, vous pouvez les garder, j'ai une totale confiance.
Puymireau se rengorge.
- Je suis touché, monsieur Ridouet... D'où connaissez-vous notre établissement?
- Sa réputation n'est plus à faire... Je vous situe parmi les grands.
- Je vous remercie... Au téléphone, Mlle Lataste m'a parlé d'or...
Il fait mine de pouffer dans sa barbe de façon à préparer l'auditoire au trait d'esprit - à ses yeux - qu'il va décocher...
- Mlle Lataste « parle toujours d'or »; aussi est-elle très écoutée dans notre maison.
Seul Gavelier s'est esclaffé, pour bien montrer qu'il avait compris le jeu de mots. Ses partenaires en négoce se sont contentés de sourire; il croit bon d'insister.
- Vous savez, Ridouet, ici, vous avez des perles de banquiers !
Puymireau est en verve, il surenchérit en se donnant l'image de la modestie.
- Pour des perles de clients.
Et de glousser.
On dirait une vieille maquerelle. Je ne suis pas faite pour ces ambiances, Léglise doit avoir raison.
Ridouet a sorti de son attaché-case un blister renfermant dix pièces d'or.
- J'offre, comme garantie complémentaire, 200 000 euros en pièces de 20 dollars or US. Vu que cela représente plus de 500 unités et que le tout pèse environ 18 kilos, je me suis contenté de vous amener un échantillon de 100 exemplaires...
Il sort neuf autres blisters semblables au premier... Le directeur les reçoit, un à un, comme de saintes reliques.
- Je vous apporterai le solde, si nous tombons d'accord sur les conditions de prêt.
Gavelier frétille.
- Mais vous tomberez d'accord, vous tomberez d'accord. N'est-ce pas, monsieur Puymireau?
- Je crois la chose imaginable... 500 pièces comme celles-ci, disiez-vous...
Il regarde l'or briller entre ses doigts replets, avec une concupiscence contemplative. Gavelier s'est penché vers lui, habité par une fascination identique.
Ils sont odieux! Ils sont ridicules! Regarde-les!
- Ces pièces me viennent, elles aussi, de ma grand-mère, qui m'aimait beaucoup...
- Cela me semble évident.
- Étant donné qu'elles ont, pareillement, échappé aux convoitises fiscales, il convient de les traiter avec une égale discrétion.
Puymireau réprimande, la bouche en cul-de-poule.
- Monsieur Ridouet, une perle de banquier sait être aussi secret qu'une huître.
Les trois hommes éclatent d'un même rire.
- Trois larrons! Trois tricheurs! Ils me révoltent! À quoi reconnaît-on les vraies et les fausses?
La question de Valérie, énoncée d'un ton espiègle, jette un froid, les mâles la toisent une fraction de seconde, le temps que Puymireau s'en tire par la pirouette du roué qui propose de jouer à un jeu.
- Nous allons rassurer Mlle Lataste et réclamer l'avis d'un expert. Sait-on jamais... Demandez à Bertrand Ducos de monter.
Valérie s'écarte pour appeler le chef de caisse. En narrant une précédente tentative de vente à un couple, ratée, selon lui, à cause des tergiversations du banquier face à ses candidats acquéreurs, Gavelier explique qu'il compte voir le client sérieux qu'il présente obtenir un accord dès demain.
- J'ai jusqu'ici trop traînassé avec des rigolos désargentés... C'est pas tous les jours qu'on a le pigeon idéal à plumer! Je suppose que vous avez fait le calcul, monsieur Puymireau... M. Ridouet vous amène 500 000 euros de garanties directement monnayables sur le marché pour 400 000 de crédit, vous ne courez aucun risque.
Le banquier sourit.
- Je l'avais remarqué... et apprécié... Ah! voilà l'homme qui va tranquilliser notre chère Mlle Lataste. Entrez, Bertrand, entrez.
Présentations faites, l'expert se met à l'œuvre.
La tâche, exécutée avec le plus grand soin, amuse ostensiblement le propriétaire des devises qui rayonne en regardant Ducos opérer.
Le chevronné cambiste, à la chevelure immaculée, qui compte plus de trente ans au service de la BGD, a vu passer entre ses mains des tonnes de métal précieux coté sur toutes les Bourses du monde... La froideur de son œil clair ne témoigne d'aucune sympathie particulière pour le sujet de sa dissection.
Le silence s'est fait... Dans cette fausse paix dépourvue de sérénité qui s'étire à en devenir douloureuse, chacun attend son verdict... Les cent pièces sont jaugées et jugées une à une, selon les lois de son code monétaire dont, dans la maison, il est le seul à connaître les articles et les alinéas.
Le jugement tombe enfin, libérateur.
- Pas de problème, elles sont authentiques.
Richard Ridouet reprend les dix blisters et les range soigneusement dans sa mallette.
- Eh bien, maintenant, il ne me reste plus qu'à recueillir votre accord de principe et, le cas échéant, à convenir d'un taux.
- Je peux me retirer?
- Bien sûr, Bertrand... Mon cher monsieur, mon accord de principe, vous l'avez...
Gavelier exulte.
- Vous voyez ! Je vous l'avais dit ! Ils sont formidables à la BGD! Au Crédit régional du Sud-Ouest, vous auriez patienté une semaine ou plus. Ici, vous ne vous adressez pas à un sous-fifre, vous parlez directement avec celui qui décide.
- À quel taux?
- Disons... Le taux de l'emprunt phare... alentour de 5%.
Ridouet sourit.
- Non... Il était de 4,41 le mois dernier, et il est plutôt à la baisse... Je vous propose l'Euribor 3 mois, majoré de un point.
La bienveillance bovine de Puymireau s'étonne.
- Vous êtes quelqu'un de bien informé.
- C'est mon métier.
- Alors, vous devez savoir qu'un point, cela ne me laisse même pas de quoi payer le personnel... Trois points me paraissent plus convenables.
- Ils sont exagérés.
Et la tractation se prolonge, frôlant parfois la chicane de marchand de tapis. Valérie s'y ennuie. Puymireau va céder à 2,15 que Ridouet sera heureux d'accepter. Antoine Gavelier est soucieux. Ils ne vont pas me foutre ma vente en l'air, pour un malheureux demi pour cent d'intérêt!
Ridouet est le premier à capituler.
- D'accord pour Euribor plus 2,30, révisable une fois l'an, remboursable en cinq ans.
Les deux escrimeurs se serrent la main. Soulagement du blanchisseur qui commençait à devenir nerveux. Rictus de Valérie. T'aurais pu gagner 0,15 de rabais, t'es moins bon que tu le crois.
Puymireau emplit à nouveau les verres.
- Il va de soi que pour devenir définitif, mon accord de principe est subordonné à l'examen attentif de votre dossier.
- Je le comprends parfaitement.
Gavelier s'agite.
- Vous n'allez pas laisser traîner! Ça peut se faire quand? Je suis très pressé.
- Mlle Lataste doit pouvoir étudier la question... demain matin? Qu'en pensez-vous, Valérie?
- Je peux me libérer pour le faire.
- Parfait. Je suis certain de la qualité de mes arguments. À tel point que je fais pour mon or comme pour mes bons de caisse : je vous le confie ; je préfère ne pas me promener trop longtemps avec.
Ridouet a rouvert son attaché-case. Il en retire dix blisters convoités par les mains potelées du banquier, manifestement heureux de s'en saisir.
- Serait-ce trop vous demander, monsieur le directeur, de les mettre en lieu sûr?
- Nullement, nullement...
Le poussah se lève.
- La salle des coffres étant fermée à cette heure-ci, je vais héberger votre trésor dans mon coffre personnel. Ma secrétaire préparera le récépissé de dépôt demain.
- Aucune urgence. Dès que votre décision sera prise et l'offre préalable établie, je vous amènerai les quatre cents autres pièces.
En trottinant, chargé du précieux fardeau auquel il a joint les bons du CRSO, Puymireau s'est rendu au Karat MTD 35 C de chez Solon, bijou de sûreté artistement intégré à la bibliothèque aux reliures somptueuses.
Le blindage à l'épreuve du feu s'ouvre grâce au sésame d'une discrète combinaison électronique. Le dépôt s'effectue avec une gestuelle quasi religieuse. La porte se referme.
Amère, Valérie constate qu'il plane sur la petite assistance une sorte de soulagement. Je hais ces gens et leur façon d'être. Chacun arbore un sourire épanoui, ravi de voir une excellente affaire bien mise sur les rails. Ridouet est un charmeur mais lui aussi fraude le fisc, et Puymireau, qui fait de l'abus de biens sociaux un sport cérébral, l'accueille à bras ouverts... Tous ces mecs corrompus me sortent par les yeux ! Je ne supporte plus... Mon malheureux Dubreuil a toujours sué sang et eau pour gagner le moindre centime, on l'étrille... Celui-là achète une usine-poubelle pour blanchir le magot de sa supposée aïeule-crésus et on lui cire les pompes. Aucune morale ! Je ne suis pas faite pour ce job... Faut flanquer un coup de pied dans la fourmilière... Je n'ai plus le choix, je ressens ça comme un devoir. Et puis je me suis trop exposée pour m'en sortir indemne si je baisse les bras... Victimes de Moran. J'aurais dû les appeler, elles peuvent m'aider. Je le ferai de la maison.
Elle pense encore à cela en reconduisant un Gavelier et un Ridouet, aux mines enchantées, à la haute porte en chêne à deux larges battants claquemurant la banque sur ses secrets.
Dans la rue, une petite pluie becquette le trottoir luisant sous l'éclat des illuminations de Noël.