V. De la fermeté de courage.

 

1 Les soldats de Cn. Pompée ayant menacé de piller les trésors que l’on devait porter dans son triomphe, Servilius et Glaucia l’engagèrent à les leur distribuer, pour prévenir cette révolte. Pompée déclara qu’il renoncerait au triomphe, et qu’il mourrait même plutôt que de céder à l’indiscipline. Puis, après avoir vivement réprimandé les soldats, il leur fit présenter ses faisceaux ornés de lauriers, comme pour les engager à commencer le pillage par ces objets. Ils sentirent l’odieux de leur conduite, et rentrèrent dans l’obéissance.

2 Une sédition s’étant élevée dans l’armée de C. César, au milieu du tumulte de la guerre civile, ce général licencia la légion coupable, au moment même de la plus grande effervescence, et fit frapper de la hache les chefs de la révolte. Peu de temps après les soldats licenciés, ayant sollicité auprès de lui et obtenu leur réintégration, se montrèrent dès lors irréprochables.

3 Au moment où Postumius, personnage consulaire, exhortait ses soldats, ils lui demandèrent ce qu’il exigeait d’eux : « Suivez-moi, » leur dit-il ; et, saisissant une enseigne, il s’élança le premier contre l’ennemi. Ses troupes le suivirent et remportèrent la victoire.

4 Cl. Marcellus étant tombé, sans s’y attendre, entre les mains des Gaulois, tourna avec son cheval, cherchant par où il pourrait s’échapper ; mais, se voyant investi de toutes parts, il adressa une prière aux dieux, et s’élança au milieu des ennemis, les frappa d’étonnement par son audace, tua leur chef, et remporta des dépouilles opimes, lorsqu’il avait à peine l’espoir de se sauver.

5 L. Paullus, à la bataille de Cannes, voyant l’armée perdue, refusa le cheval que lui offrait Lentulus pour fuir, et ne voulut pas survivre à ce désastre, bien qu’on ne pût le lui imputer à lui-même. Épuisé par ses blessures, et appuyé contre une pierre, il resta en cet état jusqu’à ce qu’il expirât sous les coups des ennemis.

6 Varron, son collègue, montra encore plus de résolution, en conservant sa vie après ce malheur ; et le peuple, ainsi que le sénat, lui rendit des actions de grâces pour n’avoir pas désespéré de la république. Au reste, toute sa conduite ultérieure prouva qu’il s’était conservé, non par désir de vivre, mais par amour pour la patrie : car il laissa croître sa barbe et ses cheveux, et ne se coucha plus pour prendre ses repas, il refusa même les dignités qui lui étaient conférées par le peuple, disant qu’il fallait à la république des magistrats plus heureux que lui.

7 Après le massacre de Cannes, Sempronius Tuditanus et C. Octavius, tribuns militaires, étant assiégés dans le plus petit des deux camps, conseillèrent à leurs compagnons de mettre l’épée à la main, et de s’échapper à travers les postes ennemis, déclarant que telle était leur résolution, lors même que personne n’oserait sortir avec eux. Au milieu de l’hésitation générale, douze cavaliers seulement et cinquante fantassins eurent le courage de les suivre, et parvinrent sains et saufs à Canusium.

8 En Espagne, T. Fonteius Crassus, étant allé faire du butin avec trois mille hommes, se trouva enfermé par Hasdrubal dans un poste dangereux. À l’entrée de la nuit, n’ayant fait part de son dessein qu’aux premiers rangs, il s’échappa en traversant les postes ennemis, au moment où l’on s’y attendait le moins.

9 Pendant la guerre contre les Samnites, le consul Cornélius Cossus étant surpris par l’ennemi dans un lieu où il courait du danger, le tribun P. Decius lui conseilla de faire occuper une hauteur qui était près de là, par un détachement qu’il s’offrit de commander. L’ennemi, attiré sur cet autre point, laissa échapper le consul, mais enveloppa Decius, et le tint assiégé. Celui-ci triompha encore de cette difficulté par une sortie nocturne, et revint auprès du consul sans avoir perdu un seul homme.

10 Une action semblable a été faite, sous le consulat d’Atilius Calatinus, par un chef dont le nom nous a été diversement transmis. Les uns l’appellent Laberius, quelques autres Q. Ceditius, la plupart Calpurnius Flamma. Voyant les troupes engagées au fond d’une vallée dont toutes les hauteurs étaient occupées par l’ennemi, il demande et obtient trois cents hommes, qu’il exhorte à sauver l’armée par leur courage, et s’élance avec eux au milieu de cette vallée. Les ennemis descendent de toutes parts pour les tailler en pièces ; mais, arrêtés par un combat long et acharné, ils laissent au consul le temps de fuir avec son armée.

11 C. César, étant sur le point de combattre les Germains commandés par Arioviste, et voyant le courage de ses troupes abattu, les assembla et leur dit que, dans cette circonstance, la dixième légion seule marcherait à l’ennemi. Par là il stimula cette légion, en lui rendant le témoignage qu’elle était la plus brave, et fit craindre aux autres de lui laisser à elle seule cette glorieuse renommée.

12 Philippe ayant menacé les Lacédémoniens de les priver de tout, s’ils ne lui livraient leur ville, un des principaux citoyens s’écria : « Nous privera-t-il aussi de mourir pour notre patrie ? »

13 Léonidas, roi de Lacédémone, à qui l’on disait que les Perses formeraient un nuage par la multitude de leurs flèches, répondit : « Nous combattrons mieux à l’ombre. »

14 Dans un moment où L. Elius, préteur de la ville, rendait la justice, un pivert vint se poser sur sa tête, et les aruspices dirent que si on laissait partir cet oiseau, la victoire serait aux ennemis ; que si on le tuait, le peuple romain serait vainqueur, mais L. Elius périrait avec sa famille. Ce chef tua aussitôt l’oiseau, n’hésitant pas à se sacrifier lui-même. Notre armée triompha, et Elius mourut dans le combat, avec quatorze de ses parents. Quelques-uns pensent qu’il s’agit ici, non de L. Elius, mais de Lélius, et que ceux qui perdirent la vie appartenaient à la famille Lélia.

15. Les deux Decius, le père d’abord, et plus tard le fils, se dévouèrent pour la république pendant leur consulat. Ils s’élancèrent avec leurs chevaux au milieu des ennemis, et donnèrent, en mourant, la victoire à leur patrie.

16 P. Crassus, faisant la guerre en Asie contre Aristonicus, tomba au pouvoir de l’ennemi dans une embuscade, entre Élée et Myrina. Emmené vivant, et se voyant avec horreur prisonnier, lui consul romain, il prit le parti d’enfoncer dans l’œil d’un Thrace commis à sa garde, la baguette dont il se servait pour conduire son cheval ; le soldat, irrité par la douleur, perça de son épée Crassus, qui échappa ainsi, selon son désir, à l’opprobre des fers.

17 M. Caton, fils du Censeur, ayant été jeté à terre par une chute de son cheval, s’aperçut, quand il se fut remis en selle, que son épée avait glissé du fourreau. Craignant le déshonneur d’une telle perte, il retourne au milieu des ennemis, et, non sans recevoir quelques blessures, retrouve enfin son arme, et revient près de ses compagnons.

18 Les habitants de Pétilie, assiégés par Hannibal, et manquant de vivres, firent sortir de la ville les vieillards et les enfants ; et, réduits à vivre de cuirs qu’ils faisaient tremper et qu’ils grillaient ensuite, de feuilles d’arbres et de la chair de toute espèce d’animaux, ils soutinrent le siège pendant onze mois.

19 Ceux d’Arabriga, en Espagne, supportèrent les mêmes maux, plutôt que de livrer leur ville à Hirtuleius.

20 Lorsque Hannibal assiégeait Casilinum, les habitants furent réduits à une telle extrémité, qu’un rat y fut vendu, dit-on, cent deniers. Le vendeur mourut de faim, et l’acheteur vécut. Malgré cette famine, la ville persévéra dans sa fidélité envers les Romains.

21 Mithridate, assiégeant Cyzique, fit amener ses prisonniers au pied des remparts, dans l’espoir que les habitants, craignant pour le sort de leurs concitoyens, se décideraient à rendre la place ; mais les assiégés exhortèrent les captifs à mourir avec courage, et restèrent fidèles aux Romains.

22 Les habitants de Ségovie, dont les femmes et les enfants étaient mis à mort par Viriathe, aimèrent mieux voir égorger ce qu’ils avaient de plus cher, que de rompre leur alliance avec les Romains.

23 Les Numantins, pour ne pas se rendre, s’enfermèrent dans leurs maisons[130], et s’y laissèrent mourir de faim.