IX. Attaquer du côté où l’on n’est pas attendu.

 

1 Scipion, assiégeant Carthagène, profita du moment où la marée baissait, pour s’approcher des murailles ; et, se disant guidé par Neptune, il traversa un étang dont les eaux avaient suivi le reflux de la mer, et livra l’attaque du côté où il n’était point attendu.

2 Fabius Maximus, fils de Fabius Cunctator, arrivé devant Arpi, où Hannibal avait mis garnison, reconnut la position de la ville, et envoya, par une nuit obscure, six cents soldats chargés de franchir, à l’aide d’échelles, la partie des remparts qui était la plus forte, par conséquent la plus mal gardée, et de briser la porte. Ceux-ci, favorisés par une pluie violente, dont le bruit empêchait d’entendre celui qu’ils faisaient, exécutèrent l’ordre qu’ils avaient reçu. Alors Fabius, au signal donné, attaqua par ce même côté, et prit la ville.

3 Dans la guerre contre Jugurtha, pendant que C. Marius assiégeait, près du fleuve Mulucha, un château construit sur un rocher accessible seulement par un étroit sentier, et taillé à pic de tout autre côté comme à dessein, un Ligurien auxiliaire, simple soldat, qui s’était avancé par hasard pour chercher de l’eau, et avait, en recueillant des limaçons, gagné le sommet du rocher, vint lui annoncer que l’on pouvait gravir jusqu’au château. Marius y envoya quelques centurions avec les soldats les plus agiles et les meilleurs trompettes, ayant tous la tête découverte pour mieux voir, les pieds nus pour grimper plus aisément sur les rochers, et leurs boucliers, ainsi que leurs épées, attachés à leur dos. Guidés par le Ligurien, ils s’aident, pour monter, de courroies et de clous, parviennent au château du côté opposé à l’attaque, où pour cela même ils ne trouvent pas de résistance, et se mettent à sonner de la trompette et à faire un grand bruit, selon l’ordre qu’ils ont reçu. À ce signal Marius encourage ses troupes et presse plus vivement les assiégés. Ceux-ci étant rappelés de l’autre côté de la place par une multitude intimidée qui la croit déjà prise par derrière[102], les Romains s’élancent à leur poursuite, et s’emparent du château.

4 Le consul L. Cornélius se rendit maître de plusieurs villes de Sardaigne, en débarquant pendant la nuit ses meilleures troupes, auxquelles il ordonnait de se cacher, et d’épier le moment où il reviendrait avec ses vaisseaux ; puis, lorsqu’il était descendu à terre lui-même, et voyait les ennemis s’avancer à sa rencontre, il simulait une retraite, et les attirait au loin à sa poursuite, afin que les places, alors dégarnies, fussent livrées à l’attaque de ses troupes embusquées.

5 Périclès, général athénien, assiégeant une ville qu’une défense bien concertée mettait à l’abri de ses efforts, fit pendant la nuit sonner la charge et pousser de grands cris vers la partie des remparts qui touchait à la mer. Les ennemis, persuadés que l’on entrait de ce côté, abandonnèrent les portes ; et Périclès, les trouvant sans défense, fit par là irruption dans la ville.

6 Alcibiade, général athénien, voulant prendre la ville de Cyzique, s’en approcha pendant la nuit à l’improviste, et fit sonner la charge du côté opposé à celui qu’il allait attaquer. Les assiégés pouvaient suffire à la défense de leurs remparts ; mais, comme tous se portèrent vers le lieu où ils croyaient qu’on donnait l’assaut, Alcibiade franchit les murailles sur un point qui ne lui offrait pas de résistance.

7 Pour s’emparer du port de Sicyone, Thrasybule de Milet fit plusieurs fausses attaques par terre ; et, quand il vit que les ennemis avaient dirigé leurs forces vers le lieu où il les harcelait, il entra dans le port avec sa flotte, sans qu’on s’y attendît.

8 Philippe, assiégeant une ville maritime, fît joindre ensemble deux vaisseaux que l’on couvrit de madriers, et sur lesquels on construisit des tours hors de la vue des assiégés ; puis il livra par terre une attaque avec d’autres tours. Pendant, qu’il tenait l’ennemi en échec de ce côté des remparts, de l’autre approchaient les deux vaisseaux, et par là, ne trouvant pas de résistance, il pénétra dans la ville.

9 Périclès voulant prendre, dans le Péloponnèse, un château où l’on ne pouvait arriver que par deux chemins, coupa l’un par un fossé, et se mit à fortifier l’autre. Les assiégés, en pleine sécurité quant au premier chemin, surveillèrent seulement celui qu’ils voyaient fortifier. Alors Périclès, ayant préparé des ponts, les jeta sur le fossé, et entra dans la place du côté où l’on ne craignait pas son approche.

10 Antiochus, faisant le siège d’Éphèse, ordonna aux Rhodiens, ses auxiliaires, d’attaquer le port pendant la nuit, en poussant de grands cris. Les assiégés y accoururent en foule et en désordre, laissant le reste des fortifications sans défenseurs ; et Antiochus, donnant l’assaut d’un autre côté, s’empara de la ville.