VII. Cacher les événements fâcheux.

 

1 Dans un combat que le roi Tullus Hostilius avait livré aux Véiens, les Albains désertèrent l’armée romaine et gagnèrent les hauteurs voisines. Voyant ses troupes consternées de cet événement, le roi s’écria que les Albains agissaient par ses ordres, pour envelopper l’ennemi. Ce mot jeta l’épouvante parmi les Véiens, releva le courage des Romains, et fixa de leur côté la victoire qui leur échappait.

2 L. Sylla, voyant le maître de sa cavalerie, à la tête d’une troupe assez considérable, passer, pendant le combat, du côté de l’ennemi, déclara que c’était d’après son ordre. Par ce moyen, non seulement il dissipa la frayeur qui s’emparait de ses soldats, mais encore ; il ranima leur ardeur, par l’espérance de l’avantage qui devait résulter de ce stratagème.

3 Le même général, ayant envoyé ses auxiliaires dans un lieu où ils furent cernés par l’ennemi, et tués, craignit que cette perte ne jetât l’épouvante dans toute son armée. Il annonça que ces troupes avaient médité une trahison, et que, pour ce motif, il leur avait assigné une position désavantageuse. En faisant ainsi passer une perte évidente pour un châtiment, il donna du courage à ses soldats.

4 Scipion, averti par les ambassadeurs de Syphax qu’il ne pouvait plus se fonder sur son alliance avec leur maître, pour passer de Sicile en Afrique, craignit que son armée ne se décourageât à la nouvelle d’une rupture avec cette puissance lointaine. Il se hâta de congédier les envoyés, et de répandre le bruit que Syphax lui-même l’appelait en Afrique.

5 Q. Sertorius, à qui un barbare annonçait, pendant le combat, qu’Hirtuleius était tué, le perça d’un coup de poignard, de peur qu’il n’apprît cet événement à d’autres, et que le courage des soldats ne se ralentît.

6 Alcibiade, général athénien, vivement pressé dans un combat par des troupes d’Abydos, et voyant arriver un courrier qui paraissait triste, défendit à celui-ci d’annoncer publiquement la nouvelle qu’il apportait ; puis, l’ayant interrogé en particulier, il apprit que Pharnabaze, lieutenant du roi de Perse, attaquait sa flotte. Aussitôt il mit fin au combat, sans que ni l’ennemi ni les siens en connussent le motif, et courut, avec toute son armée, au secours de ses vaisseaux.

7 Lorsque Hannibal vint en Italie, trois mille Carpétans désertèrent son armée. Dans la crainte que d’autres ne suivissent cet exemple, il déclara que c’était lui qui les avait congédiés ; et, pour le prouver, il renvoya encore dans leurs foyers quelques soldats qui ne pouvaient rendre que de très faibles services.

8 L. Lucullus, informé que la cavalerie macédonienne qu’il avait parmi ses auxiliaires, passait du côté des ennemis par une conspiration soudaine, fit sonner la charge et envoya des escadrons à leur poursuite. Les ennemis, croyant qu’on venait les attaquer, firent une décharge de traits sur les Macédoniens transfuges ; ceux-ci, se voyant repoussés par les troupes auxquelles elles allaient se rendre, et pressés par celles qu’ils abandonnaient, furent obligés d’en venir aux mains avec les ennemis.

9 Datames, commandant l’armée des Perses en Cappadoce, contre Autophradate, apprit qu’une partie de sa cavalerie désertait à l’ennemi. Il rassembla tout ce qui lui en restait, courut après les transfuges, et, quand il les eut atteints, les loua de l’activité avec laquelle ils avaient pris les devants, et les engagea à montrer autant d’énergie en abordant l’ennemi. La honte amenant chez eux le repentir, ils abandonnèrent leur dessein, dans la croyance qu’on ne l’avait point pénétré.

10 Le consul T. Quinctius Capitolinus, voyant les Romains plier, s’écria que vers l’autre aile les ennemis étaient en déroute. Par ce mensonge il releva le courage des siens, et remporta la victoire.

11 Dans un combat contre les Étrusques, le consul Fabius, qui commandait l’aile gauche, étant blessé[81], et une partie des soldats romains, persuadés qu’il était mort, ayant commencé à lâcher pied, l’autre consul, Cn. Manlius, accourut avec quelques escadrons, criant que son collègue vivait, et que lui-même était victorieux à l’autre aile. Par cette audacieuse fermeté, il rendit le courage à son armée, et gagna la bataille.

12 Dans la guerre que Marius fit aux Cimbres et aux Teutons, ses officiers marquèrent l’emplacement du camp avec si peu de prévoyance, que l’eau était au pouvoir des barbares. Comme les soldats en demandaient : « C’est là qu’il faut en prendre, » leur dit Marius, en montrant du doigt la position de l’ennemi. Cette vive réponse suffit pour que les barbares fussent en un instant chassés de leur camp.

13 T. Labienus, après la journée de Pharsale, se réfugia à Dyrrachium avec l’armée vaincue, et là, sans dissimuler l’issue de la bataille, il tempéra le vrai par le faux, en affirmant que la fortune était égale des deux côtés, attendu que César était grièvement blessé. Cette assertion rendit la confiance au reste du parti de Pompée.

14 Pendant que les Étoliens attaquaient la flotte de nos alliés, près d’Ambracie, M. Caton, s’avançant audacieusement avec une seule barque, et sans escorte, se mit à crier et à faire des gestes, comme s’il appelait des vaisseaux romains qui le suivissent. Cette feinte assurance épouvanta les Étoliens, qui croyaient déjà voir approcher ceux auxquels les signaux semblaient s’adresser : craignant d’être défaits par une flotte romaine, ils abandonnèrent leur attaque.