V. Des embûches.

 

1 Romulus s’étant approché des murs de Fidènes, après avoir embusqué une partie de ses troupes, simula une retraite, et attira ainsi à sa poursuite les Fidénates jusqu’au lieu où étaient cachés les siens. Ceux-ci, voyant leurs ennemis en désordre et sans méfiance, fondirent sur eux de toutes parts, et les taillèrent en pièces.

2 Le consul Q. Fabius Maximus, envoyé au secours des Sutriens contre les Étrusques, attira sur lui toutes les forces de l’ennemi, et bientôt, feignant d’avoir peur et de prendre la fuite, il gagna des hauteurs, d’où il retomba sur les Étrusques, qui montaient pêle-mêle derrière lui ; et non seulement il fut vainqueur, mais encore il s’empara de leur camp.

3 Sempronius Gracchus, ayant à combattre les Celtibériens, feignit de les redouter, et se tint dans son camp. Il fit ensuite sortir ses troupes légères, qui, après avoir harcelé les ennemis, lâchèrent pied tout à coup, et réussirent à les éloigner de leurs retranchements. Alors Sempronius, les voyant accourir confusément, prit l’offensive, et les battit à tel point, que leur camp tomba en son pouvoir.

4 Le consul Metellus, faisant la guerre en Sicile contre Hasdrubal, et observant l’armée ennemie avec d’autant plus de soin qu’elle était très nombreuse et renforcée de cent trente éléphants, affecta de la crainte, tint ses troupes renfermées dans Panorme, et fit creuser un large fossé en avant de la place ; puis, voyant arriver cette armée, avec les éléphants à la première ligne, il ordonna à ses hastati d’aller lancer des flèches contre ces animaux, et de se réfugier aussitôt dans le retranchement. Irrités de cette bravade, ceux qui conduisaient les éléphants les firent descendre jusque dans le fossé même[68], et, quand ils s’y furent engagés, une partie de ces animaux fut accablée d’une grêle de traits, et les autres, se retournant contre les Carthaginois, mirent le désordre dans leur armée. Alors Metellus, qui n’attendait que l’occasion, s’élança avec toutes ses troupes, attaqua en flanc les ennemis, les tailla en pièces, et les prit avec leurs éléphants.

5 Tomyris, reine des Scythes, combattant contre Cyrus, roi de Perse, sans résultat décisif, l’attira, par une fuite simulée, dans un défilé bien connu des Scythes ; là, se retournant tout à coup, et secondée par la nature du lieu, elle remporta la victoire.

6 Les Égyptiens couvrirent d’herbes aquatiques certains marais voisins d’une plaine où ils devaient combattre ; et, l’action engagée, ils attirèrent, par une feinte retraite, les ennemis dans le piège. Ceux-ci, s’élançant avec trop d’ardeur sur un terrain qu’ils ne connaissaient pas, s’enfoncèrent dans la vase, et furent enveloppés.

7 Viriathe, qui de brigand était devenu chef des Celtibériens, feignant de lâcher pied devant la cavalerie romaine, l’amena jusque dans des fondrières et des ravins ; et, tandis qu’il s’échappait lui-même par des chemins solides qu’il connaissait, les Romains, auxquels les lieux étaient inconnus, s’embourbèrent et furent taillés en pièces.

8 Fulvius, commandant une armée romaine contre les Celtibériens, établit son camp à proximité du leur, et ordonna à sa cavalerie de s’avancer jusque sous les retranchements de ces barbares, de les harceler, et de se replier par une retraite simulée. Il renouvela cette provocation pendant quelques jours, et s’aperçut que les Celtibériens, en poursuivant avec ardeur sa cavalerie, laissaient leur camp sans défense. Alors, ayant donné l’ordre à une partie de ses troupes d’exécuter encore la même manœuvre, lui-même, avec ses troupes légères, alla, sans être aperçu[69], prendre position derrière les ennemis ; et, quand ceux-ci furent sortis comme à l’ordinaire, il accourut soudainement, abattit les palissades abandonnées, et se rendit maître du camp.

9 Une armée de Falisques, plus nombreuse que la nôtre, étant venue camper sur nos frontières, Cn. Fulvius fit mettre le feu par ses soldats à des maisons éloignées de son camp, dans l’espoir que les Falisques, attribuant à quelques-uns des leurs cette dévastation, se disperseraient pour aller au pillage.

10 Alexandre, roi d’Épire, étant en guerre avec les Illyriens, plaça des troupes en embuscade ; puis ayant fait prendre à quelques soldats le costume des ennemis, il leur donna l’ordre de commettre des ravages sur le territoire même de l’Épire. Dès que les Illyriens les aperçurent, ils se répandirent de tous côtés pour faire du butin, avec d’autant plus de sécurité, qu’ils prenaient pour leurs éclaireurs ceux qu’ils voyaient en avant. Ainsi attirés sur le lieu de l’embuscade, ils furent taillés en pièces et mis en fuite.

11 Leptine, commandant l’armée des Syracusains contre les Carthaginois, fit aussi ravager son propre pays, et brûler des maisons de campagnes et quelques châteaux. Les Carthaginois, croyant que c’était l’œuvre des leurs, sortirent du camp pour les soutenir, et tombèrent dans une embuscade, où ils trouvèrent, leur défaite.

12 Maharbal, envoyé de Carthage contre les Africains révoltés, et connaissant le goût passionné de ce peuple pour le vin, mélangea une grande quantité de cette boisson avec du suc de mandragore, plante qui tient le milieu entre le poison et les narcotiques ; et après un léger engagement avec l’ennemi, il se replia à dessein : puis, au milieu de la nuit, laissant dans son camp quelques bagages et tout le vin mélangé, il feignit de s’enfuir. Les barbares s’emparent de son camp, se livrent à la joie, boivent avidement ce vin pernicieux, et bientôt, étendus à terre comme s’ils étaient morts, ils sont, au retour de Maharbal, tous pris ou massacrés.

13 Hannibal, sachant que son camp et celui des Romains étaient dans un lieu où le bois manquait, abandonna de nombreux troupeaux de bœufs dans ses retranchements, au milieu de ce pays désert. Les Romains s’emparèrent de ce butin, et, se trouvant dans une grande disette de bois, se gorgèrent de viande mal cuite. Tandis qu’ils se croyaient en sûreté, et qu’ils étaient incommodés par cette viande à demi crue, Hannibal ramena son armée pendant la nuit, et leur fit beaucoup de mal.

14 En Espagne, Tiberius Gracchus, informé que l’ennemi, ne pouvant se procurer des vivres, était dans la détresse, abandonna son camp, où il laissa en abondance des provisions de toute espèce. Les ennemis s’en emparent, se gorgent de la nourriture qu’ils trouvent ; et, tandis qu’ils souffrent de cet excès, Tiberius revient avec son armée, les surprend et les taille en pièces.

15 Les habitants de Chio, faisant la guerre à ceux d’Érythrée, leur enlevèrent un éclaireur sur une éminence, le tuèrent, et revêtirent de ses habits un de leurs propres soldats. Celui-ci, par les signaux qu’il fît du même lieu aux Érythréens, les attira dans une embuscade.

16 Les Arabes, sachant que l’on connaissait leur habitude d’annoncer l’arrivée de l’ennemi, le jour avec de la fumée, et la nuit avec du feu, donnèrent l’ordre d’entretenir continuellement ces signaux, et de ne les interrompre, au contraire, qu’à l’approche des ennemis. Ceux-ci croyant, d’après l’absence des feux, que les Arabes ignoraient leur arrivée, s’avancèrent avec plus de précipitation, et furent défaits.

17 Alexandre, roi de Macédoine, voyant que les ennemis étaient campés dans un bois situé sur une hauteur, partagea ses troupes en deux corps, ordonna à celui qu’il laissait au camp d’allumer autant de feux qu’à l’ordinaire, pour faire croire à la présence de l’armée entière ; et, conduisant lui-même l’autre corps par des chemins détournés, il alla fondre d’un lieu plus élevé sur l’ennemi, et le débusqua.

18 Memnon de Rhodes, dont la principale force était dans la cavalerie, ayant affaire à des troupes qui se tenaient sur les hauteurs, et qu’il voulait attirer dans la plaine, envoya dans leur camp plusieurs de ses soldats, chargés de jouer le rôle de transfuges, et de faire croire que son armée était en proie à une si forte sédition, qu’il en désertait à chaque instant une partie. Pour accréditer ce mensonge, Memnon fit établir çà et là, sous les yeux de l’ennemi, quelques petits forts qui semblaient être l’ouvrage des prétendus déserteurs, pour leur servir de retraite. Dans cette confiance, les ennemis, abandonnant les collines, descendent en rase campagne, et, tandis qu’ils s’attaquent aux forts, Memnon les enveloppe avec sa cavalerie.

19 Arybas, roi des Molosses, ayant à soutenir une guerre contre Ardys, roi d’Illyrie, qui avait une armée plus forte que la sienne, envoya dans une province d’Étolie, voisine de ses États, ceux de ses sujets qui ne pouvaient se défendre, et répandit le bruit qu’il abandonnait aux Étoliens ses villes et toutes ses possessions ; puis, se mettant à la tête de ceux qui étaient capables de porter les armes, il plaça des embuscades sur les montagnes et dans des lieux de difficile accès. Les Illyriens, craignant que les richesses des Molosses ne tombassent au pouvoir des Étoliens, accoururent au pillage avec précipitation et en désordre ; et quand Arybas les vit dispersés et en pleine sécurité, il sortit d’embuscade, tomba sur eux, et les mit en déroute.

20 T. Labienus, lieutenant de C. César, désirant livrer bataille aux Gaulois avant l’arrivée des Germains, qu’il savait devoir venir à leur secours, feignit de se défier de ses forces ; et, après avoir assis son camp près d’un fleuve[70], sur la rive opposée à celle que l’ennemi occupait, il donna l’ordre du départ pour le lendemain. Les Gaulois, croyant qu’il fuyait, se mirent en devoir de franchir le fleuve ; mais, au moment même où ils luttaient contre les difficultés du passage, l’armée de Labienus fit volte-face, et les tailla en pièces.

21 Hannibal, s’étant aperçu que Fulvius, général romain, avait mal fortifié son camp, et agissait souvent avec peu de prudence, envoya dès la pointe du jour, au moment où d’épais brouillards obscurcissaient le temps, quelques cavaliers se montrer aux sentinelles qui gardaient nos retranchements. Aussitôt Fulvius fit sortir son armée. Hannibal, venant par un autre côté, s’empara du camp, et de là tombant sur les derrières des Romains, il leur tua huit mille des meilleurs soldats, et leur général lui-même.

22 L’armée romaine ayant été partagée entre Fabius le dictateur, et Minutius, maître de la cavalerie, le premier sachant attendre les occasions, l’autre ne respirant que le combat, Hannibal s’établit dans une plaine qui séparait les deux camps ; et, après avoir caché une partie de son infanterie dans des anfractuosités de rochers, il voulut provoquer l’ennemi en envoyant des troupes occuper une éminence voisine. Minutius sortit de ses retranchements pour les charger ; alors, celles qui avaient été embusquées par Hannibal, s’élançant tout à coup, auraient détruit l’armée de Minutius, si Fabius, qui s’était aperçu du danger, ne fût arrivé à son secours[71].

23 Hannibal, étant campé près de la Trebia, qui séparait son camp de celui du consul Sempronius Longus, mit en embuscade Magon, avec des troupes d’élite, par un froid très vif ; puis, afin d’attirer au combat le confiant Sempronius, il envoya des cavaliers numides voltiger près du camp romain, avec ordre de lâcher pied dès notre première charge, et de revenir par des gués qu’ils connaissaient. Le consul s’élança témérairement à leur poursuite ; et ses soldats, encore à jeun, furent, dans cette saison rigoureuse, saisis par le froid en passant la rivière. Bientôt, quand ils furent engourdis, et épuisés de faim, Hannibal dirigea sur eux ses troupes, qui avaient pris à dessein leur repas, et s’étaient frottées d’huile auprès du feu. Magon, de son côté, fidèle aux ordres qu’il avait reçus, prit les ennemis en queue et en fit un grand carnage.

24 [72]Comme le lac de Thrasymène était séparé du pied d’une montagne par un chemin étroit qui conduisait dans le plat pays, Hannibal, simulant une retraite, franchit le passage et alla camper dans cette plaine ; ensuite il embusqua des troupes, pendant la nuit, sur une colline qui dominait le défilé, et sur les côtés du chemin ; et, au point du jour, profitant d’un brouillard qui le cachait, il rangea en bataille le reste de son armée. Flaminius, qui croyait l’ennemi en fuite, se mit à le poursuivre, s’engagea dans le défilé, et n’aperçut le piège qu’au moment où, attaqué à la fois de front, en flanc et par derrière, il périt avec toute son armée.

25 Le même Hannibal, ayant en tête le dictateur Junius, donna l’ordre à six cents cavaliers de se partager en plusieurs petites troupes, et d’aller, à la faveur de la nuit, alternativement et sans interruption, se présenter autour du camp de l’ennemi. Ainsi harcelés pendant la nuit entière, les Romains gardèrent leurs retranchements sans quitter leurs armes, battus par une pluie continuelle ; et quand, accablés de fatigue, ils eurent reçu de Junius l’ordre de se retirer, Hannibal, sortant de son camp avec des troupes fraîches, s’empara de celui du dictateur.

26 Un semblable artifice réussit à Épaminondas, général thébain, contre les Lacédémoniens, qui avaient creusé des fossés à l’isthme de Corinthe, pour défendre l’entrée du Péloponnèse. Pendant toute la nuit il inquiéta l’ennemi avec quelques troupes légères, qu’il rappela vers la pointe du jour ; et, quand les Lacédémoniens se furent aussi retirés, il fit soudainement avancer toute son armée, qui avait pris du repos, et fit irruption par les fossés mêmes, restés sans défense.

27 Hannibal, ayant rangé son armée en bataille près de Cannes, fit passer du côté des Romains six cents cavaliers numides, qui, pour inspirer moins de méfiance, livrèrent leurs épées et leurs boucliers. Ils furent placés à la dernière ligne de l’armée ; mais, aussitôt que l’action fut engagée, ils tirèrent des épées courtes, qu’ils avaient cachées sous leurs cuirasses, prirent les boucliers des morts, et tombèrent sur l’armée romaine.

28 Les Iapydes envoyèrent de même au proconsul P. Licinius des paysans qui feignirent de se rendre à lui. Ayant été reçus, et placés vers les derniers rangs, ils chargèrent en queue les Romains.

29 Scipion l’Africain, ayant devant lui deux camps ennemis, celui de Syphax et celui des Carthaginois, résolut d’attaquer pendant la nuit le premier, qui contenait beaucoup de matières combustibles, et d’y mettre le feu, dans le but de tailler en pièces les Numides à mesure que l’épouvante les ferait sortir de leur camp, et d’amener en même temps dans une embuscade disposée à cet effet, les Carthaginois, qui ne manqueraient pas d’accourir au secours de leurs alliés. Un double succès couronna son entreprise.

30 Mithridate, dont le talent de Lucullus avait souvent triomphé, voulut se défaire de celui-ci par trahison, en subornant un certain Adathante, homme d’une force extraordinaire, qui, passant comme transfuge dans le camp des Romains, devait capter sa confiance et l’assassiner. L’entreprise fut conduite avec courage, mais sans succès. Reçu dans la cavalerie de Lucullus, cet homme fut l’objet d’une secrète surveillance, parce qu’il ne fallait ni se fier tout d’abord à un transfuge, ni en empêcher d’autres de déserter comme lui. Plus tard, lorsque, s’étant signalé par des services dans de fréquentes expéditions, il eut inspiré de la confiance à Lucullus, il choisit le moment où le conseil, congédié, laissait tout le camp dans le repos, et rendait le prétoire plus solitaire. Le hasard sauva Lucullus : car le traître, qui avait ordinairement un libre accès auprès du général quand celui-ci ne dormait pas, se présenta au moment où, accablé de veilles et de travaux, il venait de céder au sommeil. Quoiqu’il insistât pour entrer, ayant, disait-il, à lui communiquer une affaire importante et pressée, les esclaves, attentifs à la santé de leur maître, lui refusèrent obstinément la porte. Alors, craignant que sa démarche n’éveillât les soupçons, il alla vers la porte du camp, où l’attendaient des chevaux tout prêts, et retourna vers Mithridate, sans avoir pu accomplir son dessein.

31 En Espagne, Sertorius, ayant établi son camp près de Lauron, en face de celui de Pompée, et voyant qu’on ne pouvait aller au fourrage dans deux cantons, l’un voisin, l’autre éloigné des camps, voulut que ses troupes légères fissent de continuelles incursions dans le premier, et que pas un homme armé ne parût dans l’autre, jusqu’à ce que l’ennemi fût convaincu que le lieu le plus éloigné était le plus sûr. Aussitôt que les soldats de Pompée y furent allés, Sertorius, pour tendre des embûches aux fourrageurs, y envoya Octavius Grécinus, avec dix cohortes armées à la romaine, dix mille hommes de troupes légères, et deux mille cavaliers commandés par Tarquitius Priscus. Ces chefs s’acquittèrent habilement de leur mission : car, après avoir reconnu les lieux, ils embusquèrent leurs troupes, pendant la nuit, dans une forêt voisine, ayant soin de placer en première ligne les Espagnols, soldats agiles, et excellents pour les coups de main ; plus avant dans la forêt, l’infanterie armée de boucliers, et plus loin encore la cavalerie, afin que le hennissement des chevaux ne trahît pas le piège. Ils reçurent tous l’ordre de rester en repos et de garder le silence jusqu’à la troisième heure du jour. Déjà les soldats de Pompée, en pleine sécurité et chargés de provisions, songeaient à s’en retourner, et ceux, qui avaient fait le guet, séduits par cette apparente, se dispersaient pour fourrager eux-mêmes, lorsque les Espagnols, s’élançant avec l’impétuosité qui leur est naturelle, font main basse sur ces hommes épars, qui n’appréhendaient rien de semblable, et les mettent en désordre ; puis, avant qu’ils aient commencé à se défendre, l’infanterie armée de boucliers sort de la forêt, culbute et dissipe ceux qui cherchent à se rallier. La cavalerie, alors, partit à leur poursuite, et joncha de morts tout le terrain qui conduisait au camp. On eut même soin de n’en laisser échapper aucun : car le reste des cavaliers, au nombre de deux cent cinquante, prirent facilement les devants du côté du camp de Pompée, en allant à toute bride par les chemins les plus courts, et se retournèrent sur ceux qui fuyaient les premiers. Aussitôt que Pompée s’aperçut de ce qui se passait, il envoya au secours des siens une légion commandée par D. Lélius ; mais la cavalerie, faisant un mouvement vers la droite, feignit d’abord de se retirer, et revint charger en queue la légion, dont la tête était déjà aux prises avec ceux qui avaient poursuivi les fourrageurs. Pressée entre deux troupes ennemies, elle fut exterminée avec le lieutenant. Pompée avait voulu la dégager en faisant sortir du camp son armée entière ; mais Sertorius, lui faisant voir la sienne rangée sur les hauteurs, le fit renoncer au combat. Outre cette double perte, résultat du même artifice, Pompée eut la douleur de rester spectateur du massacre de ses soldats. Tel fut le premier engagement entre Sertorius et Pompée. Celui-ci, au rapport de Tite-Live, perdit dix mille six cents hommes et tous ses bagages.

32 Pompée, en Espagne, ayant dressé une embuscade, feignit, en fuyant, de craindre les ennemis, les attira vers le piège ; et, quand il vit le moment favorable, il se retourna, les attaqua de front et sur les deux flancs, les tailla en pièces, et fit même prisonnier Perpenna, leur chef.

33 Le même, faisant la guerre en Arménie contre Mithridate, dont la cavalerie était plus nombreuse et meilleure que la sienne, plaça, pendant la nuit, trois mille fantassins armés à la légère, et cinq cents cavaliers, dans une vallée couverte de bois, et située entre les deux camps ; puis, à la pointe du jour, il fit avancer sa cavalerie vers les avant-postes ennemis, avec ordre, lorsqu’elle serait tout entière aux prises avec celle de Mithridate, de se retirer peu à peu, sans quitter les rangs, jusqu’à ce que les troupes embusquées fussent à portée de tomber sur les derrières de l’ennemi. L’événement ayant rempli son attente, la cavalerie, qui semblait fuir, tourna bride ; et les ennemis, enveloppés et frappés d’épouvante, furent taillés en pièces : leur chevaux mêmes tombèrent sous les coups d’épée que venaient leur porter les fantassins. Ce combat fit perdre au roi la confiance qu’il avait en sa cavalerie.

34 Crassus, dans la guerre des esclaves fugitifs s’était retranché près du mont Cathena, dans deux camps fort rapprochés de celui de l’ennemi. Après avoir fait passer, pendant la nuit, ses troupes du plus grand dans le plus petit, laissant dans le premier sa tente prétorienne, pour donner le change à l’ennemi, il conduisit lui-même toute son armée au pied de la montagne, où il prit position. Il partagea en deux corps sa cavalerie, et chargea L. Quinctius d’en opposer une partie à Spartacus, pour le tenir en échec, puis de provoquer, avec le reste, les Gaulois et les Germains, commandés par Castus et Gannicus, afin de les attirer, par une fuite simulée, jusqu’à l’endroit où il se tenait lui-même avec son armée rangée en bataille. Aussitôt qu’elle se vit chargée par les barbares, la cavalerie se retira vers les deux ailes, et tout à coup l’infanterie romaine, mise à découvert, s’élança en poussant de grands cris. Tite-Live rapporte que trente-cinq mille combattants périrent avec leurs chefs dans cette journée, et que l’on reprit cinq aigles romaines, vingt-six enseignes et beaucoup de butin, parmi lequel se trouvaient cinq faisceaux avec leurs haches.

35 En Syrie, C. Cassius, s’avançant contre les Parthes, ne présenta sur son front de bataille que sa cavalerie, derrière laquelle il cacha l’infanterie dans les inégalités du terrain ; ensuite, faisant lâcher pied à sa cavalerie, qui s’écoula par des chemins qu’elle connaissait, il attira les Parthes dans le piège, et les tailla en pièces.

36 Ventidius, ayant affaire aux Parthes et à Labienus, que leurs victoires avaient enhardis, feignit de les craindre, en tenant son armée inactive ; et, les ayant par là déterminés à l’attaquer, il les attira dans des lieux désavantageux, tomba sur eux inopinément, et les battit à tel point, qu’ils abandonnèrent Labienus et sortirent de la province.

37 Le même, n’ayant qu’une petite armée à opposer au Parthe Pharnastane[73], et voyant que celui-ci se fiait de plus en plus sur le grand nombre de ses soldats, embusqua dans une vallée couverte, à côté de son camp, dix-huit cohortes, derrière lesquelles il rangea sa cavalerie ; ensuite, quelques hommes lancés contre les Parthes ayant à dessein pris la fuite, ceux-ci les poursuivirent en désordre, et dépassèrent le lieu de l’embuscade : aussitôt l’armée de Ventidius, se jetant sur leur flanc, les mit en déroute, et Pharnastane resta parmi les morts.

38 Le camp de C. César et celui d’Afranius occupaient deux côtés opposés d’une plaine, et chacun de ces chefs avait grand intérêt à s’emparer de hauteurs voisines dont l’accès était défendu par des rochers escarpés. César mit ses troupes en marche comme pour opérer une retraite sur Ilerda, ce que le manque de vivres pouvait faire supposer ; puis, après un court chemin, il fît un léger détour, et se dirigea brusquement vers les hauteurs afin de s’en rendre maître. À cette vue, les troupes d’Afranius, aussi en peine que si leur camp eût été pris, coururent en désordre vers ces mêmes montagnes. César, qui avait prévu ce mouvement, profita de leur confusion pour les attaquer de front avec de l’infanterie qu’il avait envoyée en avant, tandis que sa cavalerie les chargeait par derrière.

39 Antoine, informé de l’approche du consul Pansa, lui dressa une embuscade dans les bois qui bordent la voie Émilienne, près de Forum Gallorum[74], le surprit ainsi avec son armée, et le mit en déroute. Le consul lui-même reçut une blessure dont il mourut peu de jours après.

40 En Afrique, pendant la guerre civile, le roi Juba causa une fausse joie à Curion par une retraite simulée[75]. Celui-ci, séduit par l’espoir de vaincre, se mit à la poursuite de Sabura, lieutenant du roi, qui semblait fuir devant lui, et s’avança dans une plaine où, enveloppé par la cavalerie numide, il périt avec toute son armée.

41 Mélanthe, général athénien, provoqué à un combat singulier par Xanthus, roi de Béotie, contre lequel il soutenait la guerre, se rendit sur le champ de bataille, et quand il fut tout près de son ennemi : « Xanthus, lui dit-il, tu agis contre la justice et contre nos conventions : je suis seul, et tu amènes un second. » Tandis que le roi, étonné, se retournait pour voir qui l’accompagnait, Mélanthe le tua d’un seul coup[76].

42 Iphicrate, général athénien, étant près de la Chersonèse, et apprenant qu’Anaxibius conduisait son armée par terre, débarqua ses troupes les plus vigoureuses et les plaça en embuscade ; puis il ordonna à sa flotte de se mettre en vue et de gagner le large comme si elle portait toute son armée. Les Lacédémoniens, continuant leur marche sans crainte ni soupçon, furent attaqués en queue par les troupes de l’embuscade, qui les taillèrent en pièces.

43 Des Liburniens, s’étant assis dans la mer sur un bas-fond, et ne montrant que la tête au-dessus de l’eau, trompèrent l’ennemi sur la profondeur de cet endroit, et se rendirent maîtres d’une galère qui, lancée à leur poursuite, s’embarrassa dans le sable.

44 Alcibiade, commandant les Athéniens dans l’Hellespont contre Mindare, général lacédémonien, avait une grande armée et plus de vaisseaux que celui-ci. Après avoir déposé à terre quelques troupes pendant la nuit, et caché une partie de sa flotte derrière des promontoires, il partit lui-même avec un petit nombre de voiles, pour se faire mépriser et attaquer par les ennemis. Aussitôt qu’il les vit à sa poursuite, il se retira jusqu’à ce qu’il les eût amenés dans le piège ; puis, lorsque, fuyant à leur tour, ils eurent gagné le rivage, ils furent taillés en pièces par les troupes qu’il avait disposées à cet effet.

45 Le même, étant sur le point de livrer bataille sur mer, dressa quelques mâts sur un promontoire, et donna l’ordre aux soldats qu’il y laissait de déployer les voiles aussitôt qu’ils verraient l’action engagée. Cet artifice eut pour résultat de faire prendre la fuite à l’ennemi, qui pensa qu’une nouvelle flotte arrivait au secours d’Alcibiade.

46 Memnon de Rhodes, ayant une flotte de deux cents vaisseaux, et voulant attirer l’ennemi au combat, ordonna à ses soldats de ne dresser les mâts que d’un petit nombre de navires, qu’il fit avancer les premiers. Les ennemis, jugeant de loin du nombre des vaisseaux par celui des mâts, acceptèrent le combat, et furent enveloppés et vaincus par une flotte plus nombreuse que la leur.

47 Timothée, général athénien, étant près d’en venir aux mains avec les Lacédémoniens, dont la flotte, rangée en bataille[77], s’avançait contre lui, envoya en avant vingt de ses plus légers vaisseaux, pour harceler l’ennemi par toutes sortes de ruses et de manœuvres ; et, aussitôt qu’il s’aperçut que les mouvements de l’ennemi se ralentissaient, il aborda et défit aisément cette flotte déjà fatiguée.