VIII. Mettre la division chez les ennemis.

 

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1 Lorsque Coriolan se vengeait, les armes à la main, de son ignominieuse condamnation, il préserva du ravage les propriétés des patriciens, tandis qu’il brûlait et dévastait celles des plébéiens, voulant par là rompre l’accord qui régnait entre les Romains.

2 Hannibal, ayant dessein de faire noter d’infamie Fabius, qui lui était supérieur en vertu, comme en talents militaires, épargna ses propriétés tout en ravageant celles des autres Romains. Mais la grandeur d’âme de Fabius mit sa fidélité à l’abri de tout soupçon : il vendit ses biens au profit de l’État.

3 Q. Fabius Maximus, étant consul pour la cinquième fois, lorsque les Gaulois, les Ombriens, les Étrusques et les Samnites réunirent leurs forces contre le peuple romain, s’avança à leur rencontre au delà de l’Apennin ; et, pendant qu’il fortifiait son camp près de Sentinum, il écrivit à Fulvius et à Postumius, qui gardaient Rome, de diriger leurs troupes sur Clusium[40]. Cet ordre exécuté, les Étrusques et les Ombriens accoururent à la défense de leur territoire ; alors, comme il ne restait plus que les Samnites et les Gaulois, Fabius et son collègue Decius les attaquèrent et les défirent.

4 Les Sabins ayant levé une grande armée, et quitté leur territoire pour se jeter sur celui de Rome, M. Curius envoya, par des chemins détournés, un détachement qui ravagea leurs terres, et incendia leurs bourgades dans plusieurs directions. Les Sabins rentrèrent chez eux pour arrêter cette dévastation ; en sorte que Curius eut le triple avantage de saccager le pays ennemi alors sans défense, de mettre en fuite une armée sans avoir livré bataille, et de la tailler en pièces après l’avoir dispersée.

5 T. Didius, ne trouvant pas son armée assez nombreuse, différait la bataille jusqu’à l’arrivée des légions qu’il attendait, lorsqu’il apprit que l’ennemi allait marcher à leur rencontre. Il convoqua l’assemblée, or donna aux soldats de se préparer au combat, et fil à dessein négliger la garde des prisonniers. Il s’en échappa quelques-uns, qui annoncèrent aux leurs que les Romains se disposaient à les attaquer. Alors, dans l’attente du combat, l’ennemi craignit de diviser ses forces, et renonça à marcher contre les légions qu’il voulait surprendre. Celles-ci arrivèrent près de Didius sans avoir été inquiétées.

6 Dans une des guerres Puniques, quelques villes, ayant dessein de passer du parti des Romains dans celui des Carthaginois, et désirant, avant de rompre avec les premiers, retirer les otages qu’elles leur avaient donnés, feignirent d’avoir querelle avec des peuples voisins, demandèrent, des Romains pour médiateurs, et, quand ceux-ci furent arrivés, elles les retinrent comme otages équivalents, et ne les rendirent qu’après avoir reçu les leurs.

7 Les Romains ayant envoyé une ambassade au roi Antiochus, qui, après la défaite des Carthaginois, avait auprès de lui Hannibal, dont il mettait les conseils à profit contre Rome ; les députés[41] eurent de fréquents entretiens avec Hannibal, dans le but de le rendre suspect au roi, à qui sa présence était agréable, et même utile, à cause de son caractère rusé et de ses talents militaires.

8 Q. Metellus, faisant la guerre contre Jugurtha, gagna les députés que ce prince lui avait envoyés, et obtint d’eux qu’ils le lui livreraient. Il arrêta le même projet avec une seconde ambassade, puis avec une troisième ; mais il ne réussit pas à s’emparer de Jugurtha, parce qu’il voulait qu’on le lui amenât vivant. Toutefois il résulta de cette machination un grand avantage : des lettres qu’il écrivait aux confidents du roi furent interceptées ; et celui-ci, ayant immolé à sa colère tous ces personnages, demeura privé de conseillers, et ne put se faire dans la suite aucun ami.

9 C. César, informé par un prisonnier qu’Afranius et Petreius devaient lever le camp la nuit suivante, résolut de les en empêcher sans fatiguer ses troupes. Il ordonna, quand la nuit fut venue, que l’on criât de plier bagage, que l’on conduisît à grand bruit les bêtes de somme le long des retranchements des ennemis, et que l’on continuât le tumulte, afin que ce départ simulé les retînt dans leur camp.

10 Scipion l’Africain, voulant surprendre des renforts et des convois qui allaient rejoindre Hannibal, envoya à leur rencontre M. Thermus, se disposant lui-même à le suivre pour l’appuyer.

11 Denys, tyran de Syracuse, informé qu’une nombreuse armée de Carthaginois devait débarquer en Sicile pour l’attaquer, fortifia plusieurs châteaux, et donna l’ordre aux troupes qu’il y laissa de les abandonner à l’approche de l’ennemi, et de s’échapper en se repliant secrètement vers Syracuse. Les Carthaginois, une fois maîtres de ces forts, se virent dans la nécessité d’y placer des garnisons ; et Denys, ayant réduit, autant qu’il le désirait, les forces de l’ennemi en les disséminant, tandis qu’en réunissant les siennes il s’était fait une armée presque aussi nombreuse que la leur, prit l’offensive et les défit.

12 Agésilas, roi de Lacédémone, allant faire la guerre à Tissapherne[42], feignit de se diriger sur la Carie, comme devant combattre avec plus de succès dans ce pays montueux[43], contre un ennemi qui lui était supérieur en cavalerie. Cette démonstration ayant fait passer Tissapherne lui-même en Carie, Agésilas fit irruption en Lydie, où était la capitale du royaume ; et, prenant au dépourvu les habitants, il s’empara des trésors du roi.