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Peter Graf Yorck von Wartenburg,
Lettres d’adieu à sa mère et à sa femme

 

Dans ces lettres touchantes, Yorck von Wartenburg (1904-1944), le plus proche collaborateur de Moltke dans le cercle de Kreisau, exprime le souci altruiste d’une meilleure Allemagne qui avait inspiré son engagement dans l’opposition à Hitler et comme Moltke, la profondeur de la foi chrétienne qui le soutient alors que son exécution approche.

 

Extrait de la lettre d’adieu à sa mère

[...] Le degré de misère intérieure par lequel les gens comme moi sont passés dans les dernières années est certainement incompréhensible à ceux qui sont complètement enveloppés dans leur foi, que je ne partage tout simplement pas. Je puis t’assurer qu’aucune pensée ambitieuse qu’aucun désir de pouvoir n’a déterminé ce que j’ai fait. Seuls ont conduit mon action mes sentiments pour mon pays, le souci de mon Allemagne telle qu’elle s’est développée depuis deux millénaires, mon effort au nom de son développement intérieur et extérieur. Ainsi puis-je me tenir la tête haute devant mes ancêtres, mon père et mes frères. Peut-être viendra un temps qui nous jugera non pas comme des canailles, mais comme des prophètes et des patriotes. Que ce merveilleux appel puisse honorer Dieu, telle est ma fervente prière.

 

À sa femme

[...] Il semble que nous soyons au terme de notre belle et riche vie humaine. Car demain, le tribunal du peuple rendra son jugement sur moi et les autres. J’entends que l’armée nous a chassés. On peut retirer l’habit, mais pas l’esprit dans lequel nous avons agi. Et dans cet esprit je me sens proche des pères, des frères et des camarades. Les voies du Dieu qui m’a conduit sur ce chemin sont impénétrables : je l’accepte humblement. J’ai agi d’un cœur pur, mû par le sentiment de culpabilité qui nous accable tous. J’espère donc avec confiance trouver en Dieu un juge miséricordieux. [...] Quittant la dernière communion, j’ai ressenti une élévation presque surnaturelle ; je voudrais croire à une proximité avec le Christ. En me retournant, j’ai le sentiment d’un appel.

[...] J’espère que ma mort sera acceptée en expiation de tous mes péchés, en sacrifice expiatoire pour tout ce que nous portons ensemble. Par le sacrifice, la distance de notre temps avec Dieu peut être modestement raccourcie. Pour ma part, je meurs pour la patrie. Bien que les apparences extérieures soient fort peu glorieuses honteuses, en vérité –, je fais ces derniers pas la tête haute ; et j’espère seulement que tu ne voies aucune arrogance ni aucune illusion dans cette attitude. Nous voulons allumer la torche de la vie ; une mer de flammes nous entoure : quel feu !