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Rapport de la SS sur le complot, 26
juillet 1944
En moins d’une semaine, la commission spéciale de la Police de Sécurité chargée d’enquêter sur le complot contre Hitler fut à même de présenter cette reconstitution minutieuse des événements précédant et suivant immédiatement la tentative d’assassinat.
Direction centrale de la sûreté du Reich{2} — IV — Commission spéciale pour le 20 juillet 1944
Berlin, 26 juillet 1944
Rapport sur le complot du 20 juillet 1944 contre le Führer
Le 20 juillet 1944, autour de 12 h 50, une explosion s’est produite à la Wolfsschanze{3}, Zone réservée A, baraques des visiteurs, au cours d’un briefing. Le Führer s’en est tiré avec des blessures superficielles, quoique dans le voisinage immédiat du centre de l’explosion. [...]
Juste après que le complot a été connu, le Reichsführer SS a nommé une commission spéciale de Direction centrale de la sûreté du Reich pour enquêter sur l’attentat. L’enquête a commencé le même jour.
Le Reichsführer SS a observé, en précisant les circonstances, que l’auteur de l’attentat était vraisemblablement Graf von Stauffenberg, colonel, chef d’état- major au cabinet du commandant de l’armée de réserve. Présent au briefing, il s’était ensuite retiré sans prévenir avant l’explosion. Juste après, il a pris l’avion pour Berlin.
Le lieu précis de la tentative d’assassinat est la salle de conférence où se déroulaient les briefings quotidiens, environ 12 mètres de long sur 4,5 de large. Au centre de la pièce, se dresse une grande table de cartes ; à gauche, un bureau et un radiophonographe. La pièce et tout le mobilier fortement endommagés. A droite de l’entrée, un trou de 67 cm dans le sol. Dans un rayon plus large, sol enfoncé et carbonisé. Points d’impact de fragments métalliques non détectables, mais éclats de bois et fragments de cuir impactés dans les murs en panneaux fibreux.
Le cratère de la bombe indique que l’explosion s’est produite au-dessus de la surface du sol. Les fragments reconstitués de la section droite des trois sections de la table indiquent clairement la direction de l’onde de pression. Elle est indiquée sur les photographies et les croquis.
L’onde de pression inférieure de la détonation s’est propagée par les cavités sous le sol à tous les baraquements et a causé des dégâts mineurs à la structure de brique et de ciment des bâtiments, en particulier du fait d’une déformation vers le haut du sol. L’onde de pression supérieure a largement détruit la salle de conférence et a trouvé une issue par la fenêtre et la porte ainsi que par une cloison. Le passage au crible des gravats a permis de découvrir d’infimes fragments de cuir et de métal, manifestement d’une serviette ; de morceaux de tôle et de deux ressorts à compression de percuteurs de fusée à retardement chimicomécanique anglaise ; ainsi qu’une partie de tenailles en fer plates. D’autres matériaux découverts n’ont pas de lien évident avec les explosifs.
Sur la route conduisant de la sortie sud à l’aéroport, une unité de recherche technique a découvert : une masse d’explosifs de 975 grammes, avec deux chambres d’amorçage de 20 grammes chacune et un percuteur de fusée à retardement chimicomécanique anglaise, lié à une amorce de détonateur anglais et réglé sur un retard de trente minutes. L’explosif était enveloppé dans du papier d’emballage marron.
Rapport médical : blessures et contusions exclusivement attribuées à l’effet de souffle. De plus, blessures considérables. Dans plusieurs blessures, des fragments de bois, de paille et, vraisemblablement, de cuir déchiqueté. Des photographies aux rayons X ne révèlent que deux petits éclats de métal, vraisemblablement de la fermeture d’une serviette.
Des témoins ont reconnu dans les fragments de cuir découverts des restes de la serviette de Stauffenberg. De petits bouts d’igniteurs découverts sur le lieu de l’explosion viennent de deux igniteurs du même type que les deux percuteurs de fusée à retardement chimicomécanique anglaise retrouvés sur la route. Comme deux ressorts à compression de ce type de fusée à retardement ont été retrouvés sur les lieux de l’explosion, la charge explosive devait contenir deux igniteurs de ce type. L’explosif employé pour l’attentat était donc vraisemblablement à tous égards de même nature que celui qui a été retrouvé. D’après le rapport de l’expert en explosifs, l’ampleur des dégâts à l’endroit de l’explosion correspond au pouvoir potentiel de l’explosif qui a été découvert.
Le chauffeur qui a conduit Stauffenberg à l’aéroport l’a vu jeter un objet par la fenêtre dans le coin de la découverte, et le chauffeur a fait une déclaration écrite sous serment. La complicité de Stauffenberg a donc été objectivement établie.
En qualité de chef d’état-major relevant du colonel général Fromm, Stauffenberg a participé à diverses reprises aux briefings du QG du Führer. La situation locale lui était donc connue. Il a atterri à l’aéroport de Rastenburg le 20 juillet 1944 à 10 h 15. Le général de division Stieff, chef du département organisation du haut commandement de l’armée de terre, et le lieutenant von Haeften, aide de camp de Stauffenberg, sont arrivés en même temps. Stauffenberg s’est rendu directement à la Wolfsschanze, Stieff aux quartiers du haut- commandement de l’armée de terre, von Haeften d’abord avec Stieff est allé plus tard retrouver Stauffenberg à la Wolfsschanze.
Stauffenberg a pris un petit déjeuner au mess des officiers avec le commandant, avant d’être appelé à la discussion prévue avec le général Buhle. Le général von Thadden, chef d’état-major au commandement du district militaire 1, Königsberg, a également participé à la réunion.
Après quoi Buhle, von Thadden et Stauffenberg se sont rendus à une conférence avec le feld-maréchal Keitel.
Pendant tout ce temps, Stauffenberg a gardé sa serviette avec lui. Quand toutes les personnes mentionnées ont été prêtes à quitter le bunker de Keitel pour le briefing à 12 h 30, Stauffenberg s’est éclipsé un moment avec sa serviette dans la pièce à côté, si bien que les autres messieurs ont dû l’attendre. Vraisemblablement il en a profité pour enfoncer les fusées à retardement, sans doute en s’aidant des tenailles ; étant privé de sa main droite et de deux doigts à la main gauche, il lui eût été difficile d’enfoncer les fusées à retardement sans un tel outil. Dans la salle de conférence, il a été indiqué au Führer que Stauffenberg avait été convié au briefing, et le Führer l’a salué. Après quoi, Stauffenberg est allé à la table des cartes, glissant sa serviette sous la table, à la droite du colonel Brandt. Après un court instant, il a quitté la salle de briefing ainsi que la Zone réservée A.
Stauffenberg, qui aurait dû donner des renseignements lors du briefing, s’était éclipsé dès avant l’explosion. Le général Buhle l’a recherché. Après la détonation, l’opérateur du téléphone, le sergent Adam, a rapporté qu’il avait vu Stauffenberg se retirer peu après le début du briefing. Probablement est-il l’auteur de l’explosion, a dit le sergent.
Des autres enquêtes et interrogatoires sont apparus les éléments suivants : vers midi, le général Fellgiebel, commissaire général pour le système des transmissions, s’est présenté au bureau de l’officier de transmission des forces armées au QG du Führer (lieutenant-colonel Sander) afin de discuter avec lui de plusieurs affaires officielles. Fellgiebel et Sander ont commencé par se rendre ensemble chez le lieutenant-colonel Waizenegger de l’état-major du général Jodl, en raison de diverses questions de radio. Puis Fellgiebel et Sander ont regagné le bureau du second au bunker 88.
Vers 14 h 30, ils ont remarqué que le feld-maréchal Keitel, accompagné de Stauffenberg et d’autres, se rendait au briefing.
Pour s’assurer que Stauffenberg se rendrait chez le général Fellgiebel après le briefing, Sander a téléphoné au sergent Adam de prier Stauffenberg de se rendre au bunker 88 après le briefing.
Peu après, le lieutenant Haeften s’est présenté au bureau de Sander et a demandé à Fellgiebel de l’aider à obtenir une voiture, car le colonel Stauffenberg devait repartir immédiatement. Aussi Sander a-t-il appelé le poste de commandement pour demander un véhicule. À ce moment-là, le poste a demandé de rappeler à Stauffenberg qu’il était attendu à déjeuner par le commandant, le lieutenant-colonel Streve, en présence également du général von Thadden.
Tandis que cette conversation téléphonique se poursuivait, Stauffenberg avait jeté un coup d’œil dans la pièce et s’était présenté au général Fellgiebel, se déclarant d’ores et déjà disponible pour leur discussion. Fellgiebel et Stauffenberg sont alors sortis devant le bunker et ont discuté des fortifications à l’est. Sander les a rejoints pour dire qu’une voiture arrivait, ajoutant que Stauffenberg était attendu à déjeuner chez le commandant. Sur ce, Stauffenberg a dit au lieutenant-colonel Sander qu’il devait retourner une fois de plus au briefing, puis se rendrait au déjeuner. Il a aussi fait observer qu’il avait une voiture à sa disposition. Sander en avait informé le QG en conséquence et était retourné devant le bunker quand la détonation s’est produite. À ce moment-là, Sander a observé une très grande nervosité chez Stauffenberg. Alors que Fellgiebel, perplexe, demandait de quoi il retournait, Sander a déclaré, sans vraiment réfléchir, qu’il arrivait que quelqu’un tire un coup de fusil ou qu’une mine saute.
Sur ce, Stauffenberg a dit qu’il ne retournait pas au briefing, mais qu’il allait plutôt déjeuner avec le lieutenant-colonel Streve. Il est parti en voiture avec von Haeften, en fait en direction de l’aéroport.
Le poste de garde n° 1 a partiellement remarqué ce qui se passait dans les baraquements des visiteurs, si bien que le lieutenant de service a ordonné la fermeture des barrières. En conséquence, Stauffenberg a été arrêté par la garde. Il a déclaré au commandant de la garde qu’il devait se rendre d’urgence à l’aéroport. Comme son laissez-passer était en ordre et qu’il était de plus connu du commandant de la garde, ce dernier l’a laissé partir ; d’autant que l’alarme générale n’avait pas encore été sonnée ; elle ne l’a été qu’une minute trente plus tard. Au poste de garde extérieur sud, Stauffenberg a été de nouveau arrêté. Il s’est rendu chez le chef de la garde, le sergent Kolbe, auquel il a déclaré qu’il devait à tout prix se rendre tout de suite à l’aéroport. Loin d’être convaincu, Kolbe a indiqué les barrières fermées. Puis Kolbe a téléphoné au QG, à la demande de Stauffenberg, et s’est mis en contact avec l’officier adjoint, le capitaine de cavalerie von Môllendorf, en l’absence du commandant, qui était sur les lieux de l’explosion. Stauffenberg a déclaré à Môllendorf qu’il avait reçu du commandant l’autorisation de quitter la zone de sécurité, et qu’il devait quoi qu’il en soit décoller à 13 h 15. L’adjoint, qui ne savait pas pourquoi l’alarme avait retenti, mais savait que le colonel Stauffenberg était autorisé à se trouver à la Wolfsschanze a consenti, sur la foi de ce que lui a dit Stauffenberg, au départ du colonel et a confirmé son accord par téléphone au sergent Kolbe.
Dans cette situation, il faut prendre en considération que :
— L’alarme retentit assez souvent.
— Les papiers de Stauffenberg étaient en ordre.
— Stauffenberg étant connu comme un combattant gravement handicapé et un officier d’excellente réputation, von Môllendorf n’avait a priori aucune raison de se méfier.
Stauffenberg a aussi franchi le poste de garde sud et s’est envolé à 13 h 15 de l’aéroport de Rastenburg pour Berlin-Rangsdorf. L’enquête sur l’origine de l’appareil a établi qu’il a été mis à la disposition de Stauffenberg sur ordre du général Wagner, intendant général de l’armée de terre, en accord avec la lre antenne de liaison aérienne, Berlin, depuis l’aéroport de Lötzen. En tout état de cause, l’appareil devait se rendre à Berlin.
À la lumière du rapport ci-dessus, on peut considérer que les circonstances de la tentative d’assassinat, ainsi que de l’arrivée et du départ de l’auteur, ont été objectivement établies.
On ne saurait en conclure que les mesures de sécurité en place pour se prémunir contre de telles tentatives aient été en l’occurrence mises en échec ; car la possibilité n’avait pas été prise en compte qu’un officier de l’état-major général convoqué à un briefing se livre à un crime pareil.
L’incident exige toutefois qu’on s’interroge sur les mesures de sécurité futures à prendre pour la protection du Führer en toutes circonstances. En conséquence, des propositions relatives aux mesures de sécurité seront soumises séparément, comme convenu avec la Direction de la sûreté du Reich.