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L’attentat

       Claus Schenk Graf von Stauffenberg était issu d’une famille aristocratique de Souabe. Né en 1907, ce dernier d’une fratrie de trois grandit sous l’influence du catholicisme  – bien que sa famille ne fut pas pratiquante  – et du mouvement de la jeunesse. Il fut particulièrement attiré par les idées du poète Stefan George, que portait aux nues un cercle de jeunes admirateurs sensibles étrangement captivés par son vague mysticisme culturel néoconservateur, qui fuyait l’existence stérile de la bourgeoisie pour former une nouvelle élite faite d’esthétisme aristocratique, de piété et de virilité. Comme nombre de jeunes officiers, Stauffenberg avait d’abord été séduit par certains aspects du nazisme, notamment par l’insistance sur la valeur de forces armées puissantes et sur la politique extérieure contre le traité de Versailles. En revanche, il rejetait son antisémitisme racial et s’était montré de plus en plus critique à l’égard de Hitler et de son bellicisme. Lorsqu’il avait servi en Pologne, cependant, il n’avait pas caché son mépris pour les Polonais et avait approuvé la colonisation du pays tout en s’enthousiasmant pour la victoire de l’Allemagne. Il se réjouit davantage encore après les succès stupéfiants de la campagne de l’ouest et laissa entendre qu’il avait changé d’avis sur Hitler.

Il n’en était pas moins consterné par la barbarie du régime. Et à la fin du printemps 1942, lorsqu’il se retourna définitivement contre Hitler, ce fut sous l’influence de rapports de témoins incontestables des massacres des Juifs ukrainiens par les SS. Découvrant ces carnages, Stauffenberg en conclut qu’il fallait éliminer Hitler. Comme le firent valoir quelques-uns de ses détracteurs, c’est un peu tardivement qu’il finit par se laisser convaincre de rejoindre les conjurés. Alors qu’il servait en Afrique du Nord, dans la 10e division de panzers, il fut grièvement blessé en avril 1943 et perdit l’œil droit, la main droite et deux doigts de la main gauche. Peu après sa sortie de l’hôpital, en août, alors qu’il parlait à Friedrich Olbricht d’un nouveau poste de chef d’état-major au bureau général de la guerre de Berlin, on lui demanda timidement de rallier la résistance. Sa réponse ne faisait guère de doute. Il en était déjà arrivé à la conclusion que la seule solution était de tuer Hitler.

Début septembre, Stauffenberg avait été présenté aux principaux animateurs de l’opposition. Pour autant qu’on puisse le déduire, son attitude politique, à compter du jour où il rejoignit la résistance, n’avait pas grand-chose à voir, sinon rien, avec celle des nationaux conservateurs il avait presque du dédain pour les vues de Gœrdeler  – et était désormais plus proche de celles du « cercle de Kreisau ». À la différence de Tresckow, cependant, Stauffenberg était un homme d’action, un organisateur plus qu’un théoricien. Au cours de l’automne 1943, les deux hommes réfléchirent à la meilleure manière d’assassiner Hitler et à la question, distincte, mais liée, d’organiser le coup d’État qui devait suivre. Pour prendre le contrôle de l’État, ils en arrivèrent à l’idée de remanier un plan opérationnel, connu sous le nom de code de « Walkyrie », déjà mis au point par Olbricht et approuvé par Hitler, en vue de mobiliser l’armée de réserve en Allemagne dans l’éventualité de graves troubles intérieurs. Le plan refondu commençait par dénoncer non pas les « subversifs » antinazis, mais les putschistes au sein même du parti nazi : une « clique sans scrupules de chefs du parti non combattants » qui « a essayé d’exploiter la situation pour donner un coup de poignard dans le dos au front profondément engagé et de s’emparer du pouvoir à des fins intéressées ». Aussi était-il nécessaire de proclamer la loi martiale. Le but de « Walkyrie » avait été de protéger le régime : il s’agissait maintenant d’une stratégie pour l’éliminer.

Le déclenchement de « Walkyrie » posait deux problèmes. Le premier était que l’ordre devait venir du chef de l’armée de réserve. Il s’agissait du général Erich Fromm, né en 1888 dans une famille protestante avec de fortes traditions militaires. Grand, de tempérament réservé, il était très attaché à l’armée dans laquelle il voyait le garant du statut de puissance mondiale de l’Allemagne. Sans être un farouche partisan de Hitler, Fromm était soucieux de ménager la chèvre et le chou et ne voulait pas s’engager. Prudent, il désirait ne se fermer aucune option et soutiendrait la partie qui l’emporterait : le régime ou les putschistes (une stratégie qui devait se retourner contre lui). L’autre problème était toujours celui de l’accès à Hitler. Tresckow en était arrivé à la conclusion que seule une tentative d’assassinat au QG du Führer pourrait contourner l’obstacle de l’imprévisibilité de son emploi du temps et des mesures de sécurité très strictes qui l’entouraient. La difficulté était de trouver un homme prêt à perpétrer l’attentat et qui eût des raisons d’être dans le proche entourage de Hitler à son QG.

Stauffenberg, qui avait donné un nouvel élan aux ardeurs fléchissantes de l’opposition, voulait frapper contre Hitler à la mi-novembre. Mais qui s’en chargerait ? Approché par Stauffenberg en octobre 1943, le colonel Stieff refusa. Il fallut différer la tentative. Le colonel Joachim Meichssner de l’état-major opérationnel de la Wehrmacht fut à son tour sollicité au printemps 1944, mais refusa lui aussi. Entre-temps, Stauffenberg avait été présenté au capitaine Axel Freiherr von dem Bussche, auquel son courage sur le terrain avait valu, entre autres décorations, la Croix de fer de première classe. La vue du massacre de plusieurs milliers de Juifs en Ukraine, au mois d’octobre 1942, l’avait marqué durablement et ouvert à l’idée de se débarrasser de Hitler et de son régime. Sollicité par Stauffenberg, il se dit prêt à sacrifier sa vie en lançant une grenade dégoupillée sur le Führer lorsqu’il visiterait une exposition de nouveaux uniformes.

La malchance continua de poursuivre ces plans. En décembre 1943, une exposition de ce genre dut être annulée lorsque le train qui transportait les uniformes fut touché par un raid aérien et son contenu détruit. Avant qu’on pût le rappeler pour une nouvelle tentative, Bussche fut grièvement blessé sur le front est en janvier 1944 et perdit une jambe. Stauffenberg dut chercher quelqu’un d’autre pour accomplir ses plans.

Le lieutenant Ewald Heinrich von Kleist, fils d’un propriétaire foncier prussien hostile à Hitler depuis longtemps, se dit alors prêt à le remplacer. Tout fut organisé en vue de la visite d’une autre exposition d’uniformes par Hitler, à la mi-février. Mais l’exposition fut une fois encore annulée.

Une autre opportunité se présenta lorsque le Rittmeister (capitaine de cavalerie) Eberhard von Breitenbuch, ordonnance du feld-maréchal Busch (successeur de Kluge au poste de commandant en chef du groupe d’armées centre) et déjà initié aux plans pour éliminer Hitler, eut l’occasion d’accompagner Busch lors d’un briefing militaire au Berghe, le 11 mars 1944. Breitenbuch était hésitant à l’idée d’employer une bombe, mais s’était dit prêt à tirer une balle dans la tête du dictateur. Son Browning était dans la poche de son pantalon. Il était prêt à tirer dès qu’il serait auprès de Hitler : mais cette fois-ci, les ordonnances ne furent pas autorisées à participer au briefing. Une fois encore, la chance fut du côté de Hitler.

Stauffenberg lui-même commença à se décourager, d’autant que les Alliés s’étaient solidement implantés sur le sol français. La Gestapo avait eu vent de l’opposition : l’arrestation d’un certain nombre de chefs de file du mouvement souligna que le danger s’accroissait. Ne valait-il pas mieux attendre maintenant l’inévitable défaite ? Un attentat réussi contre Hitler serait-il autre chose qu’un geste largement gratuit ? Tresckow répondit qu’il était vital que le coup d’État ait lieu, que le monde extérieur sache qu’il existait un mouvement allemand de résistance prêt à sacrifier la vie de ses membres pour renverser un régime aussi épouvantable.

Une dernière occasion se présenta. Le 1er juillet 1944, Stauffenberg, qui avait été promu colonel, fut nommé chef d’état-major de Fromm, en fait son adjoint. Cela lui offrit ce qui avait manqué jusqu’ici : l’accès à Hitler lors des briefings militaires consacrés à l’armée intérieure. Il n’avait plus besoin de chercher quelqu’un pour accomplir l’assassinat. Il pourrait le faire lui-même. Il apparut plus clairement que jamais que c’était la seule solution lorsque Stieff repoussa une seconde fois la sollicitation de Stauffenberg pour tuer Hitler lors de l’exposition d’uniformes, qui finit par se tenir au château de Klessheim, près de Salzbourg, le 7 juillet.

Que Stauffenberg jouât le rôle de l’assassin créait cependant une nouvelle difficulté : sa présence était en même temps nécessaire à Berlin pour organiser le coup d’État depuis le siège de l’armée de réserve. Ce double rôle ne faisait qu’augmenter les risques d’échec. C’était loin d’être idéal, mais la chose était à tenter.

Le 6 juillet, en sa qualité de chef d’état-major de Fromm, Stauffenberg assista pour la première fois à des briefings de deux heures au Berghof. Il avait des explosifs avec lui. Mais il semble qu’aucune occasion appropriée ne se soit présentée. En tout état de cause, il ne fit alors aucune tentative. Impatient d’agir, Stauffenberg résolut d’essayer lors de sa prochaine visite au Berghof, cinq jours plus tard. Mais l’absence de Himmler, que les conjurés voulaient éliminer en même temps que Hitler, le dissuada. Une fois encore, il ne se passa rien. Le 15 juillet, de retour au QG de Hitler alors rapatrié en Prusse-Orientale, que l’on appelait la « Tanière du Loup », Stauffenberg était bien décidé à agir. De nouveau, rien. Probablement, semble-t-il, n’avait-il pu installer l’explosif à temps pour le premier des trois briefings de l’après-midi. Pendant le deuxième court briefing, il téléphona à Berlin pour s’assurer qu’il devait bien tenter l’opération en l’absence de Himmler. Et au cours du troisième briefing, il devait lui-même intervenir, ce qui le privait de toute possibilité d’amorcer la bombe et de réaliser l’attentat. Cette fois-ci, Olbricht avait même donné l’ordre de l’opération « Walkyrie », qu’il fallut ensuite présenter comme un exercice d’alarme. L’erreur ne pouvait être répétée. La prochaine fois, l’ordre ne pourrait être donné avant la tentative d’assassinat. Il faudrait attendre la confirmation par Stauffenberg que Hitler était bien mort. Après avoir manqué l’occasion du 15 – c’était la troisième fois qu’il avait pris de tels risques, en vain –, Stauffenberg se prépara à ce qui serait sa dernière tentative, ainsi qu’il le confia aux conjurés réunis dans sa maison berlinoise du Wannsee, dans la soirée du 16 juillet. L’attentat aurait lieu lors de sa prochaine visite à la « Tanière », au briefing prévu pour le 20 juillet.

Deux heures après avoir quitté Berlin, Stauffenberg et son aide de camp, le lieutenant Werner von Haeften, atterrirent à Rastenburg le 20 juillet à 10 h 15. Stauffenberg fut aussitôt conduit à la « Tanière », à quelque six kilomètres de là. Haeften accompagna le général de division Stieff, qui avait pris le même avion, au commandement suprême de l’armée de terre, avant de regagner le QG de Hitler. Ail h 30, Stauffenberg participa à un pré- briefing dirigé par Wilhelm Keitel, le commandant suprême des forces armées, qui dura trois quarts d’heure. Le temps pressait puisque le briefing de Hitler devait avoir lieu une demi-heure plus tôt que d’habitude, à 12 h 30 : le Führer attendait en effet la visite de Mussolini dans l’après-midi.

Sitôt terminée la réunion avec Keitel, Stauffenberg demanda où il pouvait se rafraîchir et changer de chemise. Il faisait chaud et sa demande n’avait rien de bien remarquable. Mais il devait faire vite. Haeften, qui portait la serviette contenant la bombe, le rejoignit dans le couloir. Une fois dans les toilettes, ils s’empressèrent de placer les détonateurs à retardement sur les deux engins explosifs qu’ils avaient apportés, d’un kilo chacun, avant de les remettre dans la serviette de Stauffenberg. Celui-ci régla la première charge. Passé un quart d’heure, la bombe pourrait partir à tout moment, compte tenu de la chaleur et du manque d’air, et au plus tard une demi-heure après. À l’extérieur, Keitel s’impatientait. À cet instant précis, un coup de fil arriva du général Erich Fellgiebel, chef des communications au commandement suprême de la Wehrmacht et chargé, dans le complot, de bloquer toutes les communications autour du QG à la suite de l’attentat. C’est l’aide de camp de Keitel, le commandant Ernst John von Freyend qui prit l’appel. Fellgiebel voulait parler à Stauffenberg et demanda à ce qu’il le rappelât. Le temps manquait. Freyend envoya l’adjudant-chef Werner Vogel prévenir Stauffenberg du message et le prier de se dépêcher. Vogel surprit Stauffenberg et Haeften en pleine activité. Invité à se hâter, Stauffenberg répondit brusquement qu’il arrivait. Sur ce, Freyend lui cria de venir tout de suite. Vogel attendait devant la porte. Stauffenberg referma précipitamment sa serviette. Il n’eut aucune possibilité d’amorcer le deuxième engin explosif que Haeften et lui avaient apporté. Haeften le fourra dans sa sacoche avec divers papiers. Ce fut un moment décisif. Si ce second engin, même dépourvu de sa charge, avait été placé dans la serviette de Stauffenberg avec le premier, il serait parti avec l’explosion, dont l’effet eût été plus que doublé. Dans ce cas, il n’y aurait très certainement eu aucun survivant.

Le briefing avait lieu, comme d’habitude, dans la baraque en bois protégée par la haute clôture du périmètre étroitement surveillé de la « Tanière du Loup ». Il avait déjà commencé lorsque Stauffenberg y fut introduit. Assis au centre de la table, au plus près de la porte, face aux fenêtres, Hitler écoutait le général de division Adolf Heusinger, chef des opérations au QG de l’état-major général, décrire la dégradation rapide de la situation sur le front est. D’un air absent, Hitler serra la main de Stauffenberg, lorsque Keitel le lui présenta, puis en revint au rapport de Heusinger. Stauffenberg avait demandé une place le plus près possible du Führer. Sa déficience auditive ainsi que la nécessité d’avoir ses documents à portée de main quand il parlerait de la création d’un certain nombre de divisions à partir de l’armée de réserve afin d’aider à bloquer la percée soviétique en Pologne et en Prusse-Orientale lui fournissaient un bon prétexte. On lui trouva une place à la droite de Hitler, en bout de table. Freyend, qui avait porté la serviette de Stauffenberg dans la pièce, la déposa sous la table, devant le pied droit massif.

À peine était-il arrivé que Stauffenberg invoquât un prétexte pour se retirer. Son manège ne devait pas attirer particulièrement l’attention. Au cours des conférences quotidiennes, les allées et venues étaient nombreuses. Les appels téléphoniques importants ou l’obligation de s’absenter momentanément n’étaient pas rares. Stauffenberg laissa son képi et sa ceinture derrière lui pour faire croire qu’il reviendrait. Sitôt dehors, il pria Freyend de lui obtenir la communication avec le général Fellgiebel. Mais dès que Freyend eut regagné le briefing, Stauffenberg raccrocha et se précipita au bâtiment des aides de camp de la Wehrmacht, où il retrouva Haeften et Fellgiebel. Le lieutenant Ludolf Gerhard Sander, officier de communications dans le service de Fellgiebel, était également présent. Entre-temps, l’absence de Stauffenberg au briefing avait été remarquée ; on avait eu besoin de lui pour préciser un point au cours de l’exposé de Heusinger. Mais personne ne se doutait de rien. Au centre des aides de camp, Stauffenberg et Haeften prenaient en toute hâte leurs dispositions concernant la voiture qui devait les ramener à toute vitesse au terrain d’aviation lorsqu’on entendit une explosion assourdissante du côté des baraques. Fellgiebel lança à Stauffenberg un regard alarmé. Celui-ci haussa les épaules. Sander ne semblait pas surpris. Autour du complexe, il arrivait souvent que des animaux sauvages fissent sauter des mines. Il était à peu près 12 h 45.

Stauffenberg et Haeften partirent pour le terrain d’aviation dans leur voiture avec chauffeur aussi rapidement qu’il était possible sans éveiller les soupçons. Quand Stauffenberg parvint à circonvenir les gardes du périmètre intérieur, l’alerte n’avait pas encore été donnée. En revanche, il eut le plus grand mal à sortir du périmètre extérieur. La sirène d’alarme avait alors retenti. Il lui fallut téléphoner à un officier, le Rittmeister Leonhard von Mollendorf, qui le connaissait et qui voulut bien autoriser son passage. Une fois dehors, la voiture fonça en direction de l’aéroport en négociant les tournants sur les chapeaux de roues. Sur la route, Haeften jeta un paquet contenant le second explosif. Le chauffeur les déposa à une centaine de mètres de l’avion qui les attendait et rentra aussitôt. À 13 h 15, ils étaient en route pour Berlin, fermement convaincus que nul n’avait pu survivre à l’explosion, que Hitler était mort. La bombe eût-elle été placée dans un bunker de béton, au lieu de ces cabanes de bois où se tenaient régulièrement les conférences en début d’après-midi, ils auraient eu raison.

Lorsque la bombe avait sauté, avec une flamme bleue et jaune et une explosion à déchirer le tympan, Hitler était penché au-dessus de la table de chêne massif. Le coude sur la table, le menton dans la main, il étudiait sur une carte des positions de reconnaissance aérienne. Les fenêtres et les portes furent soufflées. Des nuages de fumée épaisse s’élevèrent en tourbillonnant. Des éclats de verre, des bouts de bois et une pluie de paperasses et de débris divers volèrent en tous sens. Le feu se mit à dévorer les ruines de la baraque détruite. Pendant un temps régna un désordre indescriptible. Au moment de l’explosion, vingt-quatre personnes se trouvaient là. Certains furent plaqués au sol ou projetés de l’autre côté de la pièce. D’autres se retrouvèrent avec les cheveux ou les habits en feu. Des formes humaines se déplaçaient en trébuchant, commotionnées, à demi aveuglées, les tympans déchirés. Au milieu des débris et de la fumée, elles cherchaient désespérément à s’extraire de la cabane. Les moins chanceux gisaient parmi les décombres, certains très grièvement blessés.

Onze des blessés les plus graves furent transportés d’urgence jusqu’à un hôpital de campagne, à un peu plus de trois kilomètres de là. Le sténographe, le Dr Heinrich Berger, exposé de plein fouet, eut les deux jambes arrachées et mourut dans l’après-midi. Le colonel Heinz Brandt, bras droit de Heusinger (et, ainsi qu’il apparut, lié à la conspiration), perdit une jambe et mourut le lendemain, de même que le général Gunther Korten, chef d’état-major de la Luftwaffe, « poignardé » par un éclat de bois. L’aide de camp de Hitler pour la Wehrmacht, le général de division Rudolf Schmundt, perdit un œil et une jambe et fut gravement brûlé au visage. Il devait finir par succomber à l’hôpital quelques semaines plus tard. Parmi les personnes présentes, Keitel et Hitler furent les seuls à ne pas être commotionnés ; et Keitel fut le seul à ne pas avoir les tympans déchirés.

Hitler s’en était remarquablement bien tiré. Il n’avait que des blessures superficielles. Après le choc initial de l’explosion, il s’assura qu’il était indemne et pouvait bouger. Puis il se dirigea vers la porte à travers les décombres tout en s’efforçant d’éteindre son pantalon en feu et en rejetant en arrière sa chevelure roussie. Comme il sortait, il se heurta à un Keitel larmoyant, qui le serra dans ses bras en s’écriant : « Mon Führer, vous êtes vivant, vous êtes vivant ! » Keitel aida Hitler à sortir des ruines. La veste de son uniforme était déchirée, son pantalon noir et ses longs sous-vêtements blancs en lambeaux. Mais il marchait sans difficulté et regagna aussitôt son bunker. Le Dr Morell fut appelé d’urgence. Hitler avait le bras droit enflé et endolori au point qu’il pouvait à peine le lever ; il avait des tuméfactions et des écorchures au bras gauche, des brûlures et des cloques aux mains et aux jambes (également pleines d’éclats de bois) ainsi que des coupures au front. Mais, en dehors de ses tympans déchirés, il n’avait pas de blessure plus grave. Lorsque, pris de panique, Linge, son valet de chambre, accourut, Hitler était calme et arborait un sourire sardonique : « Linge, quelqu’un a essayé de me tuer. »

Below, son aide de camp pour la Luftwaffe, s’en était tiré avec des blessures relativement légères. Malgré le choc et les bris de verre qui lui avaient lacéré le visage, il avait eu assez de sang-froid pour se précipiter au centre de transmissions, où il demanda que fussent bloquées toutes les communications, en dehors de celles de Hitler, de Keitel et de Jodl. En même temps, il fit appeler Himmler et Göring pour leur demander de rejoindre le bunker de Hitler où il se rendit à son tour. Hitler était assis dans son bureau, l’air visiblement soulagé, tout disposé à faire voir ses habits en lambeaux  – apparemment avec un soupçon de fierté. Déjà, il se demandait qui était derrière la tentative d’assassinat. Selon Below, il rejeta l’idée (à laquelle il semble que l’on ait cru dans un premier temps) que la bombe avait été placée par des ouvriers qui se trouvaient temporairement à son QG afin d’en renforcer l’enceinte contre les raids aériens. À ce moment-là, les soupçons s’étaient inéluctablement reportés sur Stauffenberg, qui avait disparu de la circulation. On se mit à sa recherche vers 14 heures, lorsque commença l’enquête sur la tentative d’assassinat, mais on n’avait pas encore compris que l’attentat devait être le signal d’un soulèvement général contre le régime. La rage de Hitler qui s’était toujours méfié des chefs de l’armée de terre montait de minute en minute. Sa vengeance serait terrible contre ceux qui, à l’heure de la crise, poignardaient le Reich dans le dos.