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Extraits des procès
 devant le tribunal du peuple

 

Ces extraits, si brefs soient-ils, suffisent à donner une idée du ton des débats de la cour et de la façon dont le président du tribunal du peuple, Roland Freisler (1893-1945), tenta de dénigrer et d’humilier les accusés.

 

Procès du comte Yorck von Wartenburg

YORCK : Monsieur le président, j’ai déjà dit qu’au vu du cours pris par l’idéologie national-socialiste, je...

FREISLER (l’interrompant) :... n’étais pas d’accord ! Très exactement, vous avez dit : s’agissant de la question juive, l’extermination des Juifs ne vous convenait pas ; la conception nationale-socialiste de la justice ne vous convenait pas.

YORCK : L’essentiel est le lien entre toutes ces questions, la prétention de l’État à exercer un pouvoir total sur le citoyen, avec l’élimination de ses obligations religieuses et morales envers Dieu.

FREISLER : Dites-moi, où le nazisme a-t-il éliminé l’obligation morale d’un Allemand ? Le national-socialisme a rendu les obligations morales d’un Allemand, de l’homme allemand, de la femme allemande, infiniment plus saines, il les a infiniment approfondies. Je n’avais encore jamais entendu dire qu’il avait éliminé les obligations morales. Pour ce qui est de la religion, là, le nazisme est très modeste. Il dit : s’il vous plaît, faites comme bon vous semble, mais tenez-vous en à l’autre monde avec vos exigences, l’Eglise. Car les âmes, après tout, papillonneront dans l’autre monde. Ici, sur terre, notre vie présente compte. Sans quoi l’Eglise pourrait s’occuper de politique. Ce que vous dites est donc pour le moins très déformé ; ça n’a pas de sens.

YORCK : Dans mon esprit, ce n’était qu’une explication.

FREISLER : De plus, pour ce qui est de la conception nazie de la justice, je puis dire, pour avoir été au cœur de la jurisprudence depuis de longues années, que notre conception du droit a aussi été marquée par un approfondissement considérable sur un plan tant théorique que pratique. La justice de notre peuple a connu une renaissance et une intensification considérables [...]. Ce que vous avez dit demeure une énigme. Mais vous dites : je n’étais pas d’accord. Maintenant je vous pose la question : si Stauffenberg vous demandait votre parole d’honneur, et que vous entendiez une chose pareille, quel genre de pensées vous passait par la tête ? Une telle parole d’honneur peut-elle avoir la moindre valeur ?

YORCK : Je me sens liée par elle, monsieur le président.

FREISLER : C’est bien le signe que votre attitude est absolument anarchiste.

YORCK : Je ne dirais pas les choses exactement de cette façon.

FREISLER : Mais je crois que c’est une manière claire et juste de la décrire. Car c’est de l’anarchie, si tout le monde peut créer une justice de liberté d’action dans la communauté, rien qu’en disant ça. La loi générale de l’action dans notre communauté demande de combattre et de détruire toute trahison du peuple, du Führer et du Reich, en toutes circonstances. Si vous faites vous-même la loi, si vous dites, « quand je donne ma parole d’honneur, alors je ne peux pas participer », c’est un principe anarchiste que vous professez. Vous pouvez bien lui donner le nom que vous voulez [...].

 

Procès du comte Schwerin von Schwanenfeld, août 1944

FREISLER : Vous avez dû avoir une expérience particulière dans la campagne de Pologne. N’avez-vous pas été particulièrement actif en Prusse occidentale ?

SCHWERIN : En effet.

FREISLER : Autrement dit, vous avez eu le privilège de libérer votre patrie, en tant que soldat de notre Führer.

SCHWERIN : Monsieur le président, les expériences politiques que j’ai personnellement connues m’ont valu diverses difficultés. J’ai très longtemps travaillé pour le germanisme (Deutschtum) en Pologne et tout au long de cette période mon attitude envers les Polonais a oscillé. C’est un...

FREISLER : En tout état de cause, pouvez-vous blâmer le nazisme de cette oscillation ?

SCHWERIN : Je pensais aux nombreux meurtres...

FREISLER : Des meurtres ?

SCHWERIN : Au pays et à l’étranger...

FREISLER : Vous êtes vraiment une vile canaille. Vous ne sombrez pas sous cette pourriture ? Oui ou non, vous ne sombrez pas là-dessous ?

SCHWERIN : Monsieur le président !

FREISLER : Oui ou non, une réponse claire !

SCHWERIN : Non.

FREISLER : Vous ne pouvez pas tomber plus bas. Car vous n’êtes plus qu’un petit tas de misère qui n’a plus le moindre respect pour lui-même.