POSTFACE

Avant même que la Russie fût organisée en État (IXe siècle), sa situation sur la voie « des Varègues aux Grecs » explique la double influence qu’elle a subie : celle des Varègues (Vikings qui naviguaient sur le Dniepr et traversaient la mer Noire) et celle de Byzance. Les Varègues commencèrent à s’installer en masse dans les régions habitées par les Slaves vers le IXe siècle, apportant leur savoir-faire en matière de navigation, de commerce et d’art militaire ; la Russie en a également hérité les principes fondamentaux de législation. Quant à Byzance, son rôle est essentiel dans les domaines de la religion, du commerce, de la peinture et de l’architecture.

Ce fut Vladimir Ier le Saint qui christianisa le pays. Une célèbre légende médiévale raconte comment, résolu à renoncer au paganisme, il envoya ses émissaires observer les différentes religions du Livre et lui rapporter leurs impressions. Ceux-ci, conquis par la beauté proprement divine du rite grec, déterminèrent le choix de leur prince. On peut affirmer avec autant de certitude que Vladimir, ce génie politique hors pair, comprit le rôle unificateur de la religion chrétienne. En 988, il se fit baptiser à Constantinople en même temps qu’il épousait la sœur des empereurs Basile II le Bulgaroctone et Constantin VIII. Dès son retour à Kiev, Vladimir Ier imposa la christianisation à tous ses sujets, quels que fussent leur appartenance ethnique et le paganisme qu’ils professaient, et continua de répandre le christianisme sous la forme grecque. Malgré la conversion générale du pays, les survivances païennes demeuraient étonnamment puissantes en Russie (on en rencontre encore des traces aujourd’hui !).

Un autre aspect passionnant de la vie dans la Russie médiévale est la législation élaborée par Iaroslav le Sage (1019-1054), fils de Vladimir Ier et grand-père de Vladimir II Monomaque. Le Code de Iaroslav, intitulé Rousskaïa Pravda (« Le Droit russe »), fixe un système détaillé et précis d’amendes destinées au Trésor, et de compensations en argent destinées à la victime ou à ses proches. Ce système s’applique à tous les forfaits possibles, du menu larcin au meurtre. Le Code de Iaroslav frappe par sa modernité : ainsi, cette clause stipulant que chaque accusation doit être étayée par sept témoignages sous serment (le parjure étant sévèrement puni) ; ou encore cette autre exigeant que le plaignant comparaisse avec l’accusé devant douze « citoyens » (hommes libres) qui expriment leur point de vue sur l’affaire avant que le jugement soit rendu par le Tribunal du prince.

Les condamnations tiennent compte, d’une part, de la gravité du forfait, d’autre part, du statut social de la victime, toujours selon le code des lois hérité des Varègues. Ainsi chacun a-t-il sa valeur pécuniaire, son wergeld. Le meurtre d’un boyard, par exemple, se solde par une compensation de quatre-vingts grivnas, mais celui d’un serf, de cinq grivnas, plus une amende de douze grivnas versée au Trésor. Par ailleurs, un membre de la famille de la victime a le droit de provoquer en combat singulier le meurtrier et de le mettre à mort. Excepté cette vengeance « légitime », la peine de mort en tant que telle n’existe pas dans le Code de Iaroslav, et les délits les plus graves sont punis par le servage à vie.

L’exercice de la justice est entièrement soumis au Tribunal du prince (à l’exception des affaires relevant de l’autorité de l’Église) ; c’est devant cette autorité suprême judiciaire qu’on doit porter tout crime ou délit. Le plaignant le fait à des dates fixes, le plus souvent avant Noël, avant Pâques ou vers le 1er septembre – la Saint-Siméon, début traditionnel de la nouvelle année. Le Tribunal se compose essentiellement de trois types de fonctionnaires : les virniki1, les scribes et les droujinniks qui y sont rattachés par ordre du souverain. Outre ces derniers, le Tribunal s’appuie sur l’armée princière et peut solliciter son intervention à tout moment. Sa force principale est constituée par les Varlets2, « jeunes guerriers » qui perçoivent un salaire et vivent au palais. Pour les besoins d’une campagne militaire ou lors des périodes de tension, le prince complète son armée en recrutant des droujinniks dans tous les milieux sociaux. En temps de paix, les Varlets, également appelés « les bras du prince », sont chargés de collecter les impôts, de servir de gardes à leur souverain, de protéger certains convois marchands et, bien sûr, d’effectuer différentes missions pour le compte du Tribunal. Les hauts fonctionnaires de celui-ci appartiennent à l’aristocratie : les boyards. Ils sont souvent, mais pas nécessairement, d’origine varègue. Cette catégorie de la population comprend les riches propriétaires terriens issus de la noblesse locale, mais aussi les chefs militaires, compagnons d’armes et amis du prince. Par opposition à la droujina des Varlets, les boyards les plus puissants constituent la droujina des Anciens.

Cinq siècles plus tard, Ivan le Terrible parviendra à se débarrasser définitivement de la plupart des boyards devenus trop dangereux pour le pouvoir central. Pour l’heure, ils aident le prince à affermir son pouvoir. Certains d’entre eux peuvent devenir les conseillers privilégiés de leur suzerain. C’est ainsi qu’Artem, lui-même secondé par les Varlets Mitko et Vassili, assiste le jeune Vladimir II Monomaque dans la résolution de certaines affaires criminelles. Ce dernier est d’ailleurs un personnage très célèbre. Il fut un chef de guerre intrépide, excellent administrateur, habile diplomate, érudit et fin lettré. Il deviendra grand-prince de Kiev en 1113 et entrera dans l’histoire comme un des hommes d’État les plus clairvoyants et les plus équitables que son pays ait jamais connus. Son règne sera la dernière période de prospérité de la Russie de Kiev, avant que les hordes tatares ne viennent balayer ses terres, les plongeant dans la nuit de la servitude et de la barbarie pour les trois siècles suivants.

 

Quelques mots sur le thème de ce roman : élixirs et parfums. Pouchkine, dont l’œuvre incarne sans doute ce que la Russie a produit de plus beau, écrivait dans Rouslan et Ludmilla : « Ici, c’est le souffle russe, ici, cela sent la Russie ! » Gageons que cette odeur n’a rien de commun avec les fragrances envoûtantes des civilisations du parfum telles que l’Arabie, l’Inde, l’Égypte ou la Grèce antique. Mais les gigantesques marchés de l’Antiquité et les peuples riverains de la Méditerranée orientale qui avaient tant contribué à les enrichir ont laissé un important héritage dans le domaine de l’utilisation des aromates. Après l’effondrement de Rome, dernière mégapole de l’Antiquité où l’usage des aromates faisait partie intégrante de la vie sociale, les médecins arabes ont transmis, via Alexandrie, Kairouan, Palerme et Grenade, une partie de ce savoir-faire et de ce savoir-vivre au Moyen Âge occidental… Quant à la Russie d’avant l’invasion des Mongols, elle a certainement pu profiter de ses liens avec Byzance pour acquérir quelques notions de l’art de la parfumerie avec d’autres marques et symboles de luxe et de richesse. Les aventures racontées ici sont imaginaires, mais j’aimerais ajouter quelques mots sur le monde passionnant, secret et sacré, des parfums et aromates de l’Antiquité. Leur histoire se confond avec celle des voyages et des grandes découvertes, avec la naissance et la chute des empires, les épopées évoquant ambitions et convoitises, guerres et conquêtes, mais aussi échanges culturels féconds.

L’intérêt porté aux plantes aromatiques et aux senteurs fauves a pu changer de forme et d’objet au fil des siècles et d’un pays à l’autre, mais les grandes civilisations du parfum ont toujours attribué aux aromates quatre valeurs essentielles : religieuse, alimentaire, médicale et érotique. Depuis les premiers pharaons et jusqu’à Romulus Augustule, le dernier césar, c’est l’usage sacré qui prédomine chez chacun de ces peuples. Qu’il s’agisse de la fumée des encens et du parfum des âmes que respire Osiris, de l’arbre embaumé d’Éden, ou du nectar et de l’ambroisie dont se nourrissent les douze dieux de l’Olympe, c’est l’odeur divine par excellence que tous les Anciens placent au début de leur histoire. Les fragrances représentent d’abord offrandes et prières ; l’arôme des essences et le fumet des viandes sacrifiées sont réservés aux dieux, et ce n’est qu’ensuite qu’odeurs et saveurs commencent à se désacraliser grâce à un complexe cheminement social, à l’évolution de l’urbanisme et du commerce. Dans l’Égypte pharaonique, on embaumait les morts, on parfumait les lieux de pèlerinage et les salles de fêtes rituelles, mais la bonne odeur restait celle de la perfection, de la sainteté et des morts, non celle des vivants. À Jérusalem, autre grande capitale de la parfumerie antique, baumes, onguents et fumigations servaient autant au culte de Dieu qu’à des fins profanes : bains, toilette et cosmétique, aromathérapie, pharmacie, divination et, bien sûr, amour et galanterie. Le commerce et les échanges contribuèrent énormément à cette évolution ; que l’on pense, par exemple, aux « aromates incomparables » de l’« heureuse Arabie » offerts au roi Salomon par la reine de Saba ; sans parler du rôle joué par les frères sémites des Hébreux, les Mésopotamiens, dont les caravanes apportaient, depuis l’actuel Pakistan, essences précieuses et gommes odorantes. Il est vrai que tout commence, là aussi, par la fonction religieuse et les commandements de Moïse concernant les encensements et les onctions. Celui-ci reçoit des formules qui indiquent les noms et les proportions exactes des aromates, bien que les composants ne soient pas faciles à déterminer car certains termes ont plusieurs sens et traditions d’interprétation (mais il en va de même pour toutes les recettes découvertes dans les textes anciens) :

« L’Éternel parla à Moïse et dit : “Prends des meilleurs aromates, cinq cents sicles de myrrhe fluide ; la moitié, soit deux cent cinquante sicles, de cinnamome odoriférant, deux cent cinquante sicles de roseau aromatique, cinq cents sicles de cannelle, selon le sicle du sanctuaire, et un setier d’huile d’olive. Tu en feras une huile d’onction sainte comme en compose le parfumeur ; ce sera l’huile pour l’onction sainte. Tu en oindras la tente d’assignation et l’arche du témoignage. […] On n’en répandra point sur le corps d’un homme, et vous n’en ferez point de semblable, dans les mêmes proportions; elle est sainte, et vous la regarderez comme sainte. Quiconque en composera de semblable, ou en mettra sur un étranger, sera retranché de son peuple.” L’Éternel dit à Moïse : “Procure-toi des aromates : résine, gomme à onglet odorant, galbanum, des aromates, dis-je, et de l’encens pur, en parties égales. Tu en feras un parfum à brûler, comme opère le parfumeur, sans autre ingrédient que du sel, un produit pur et saint. Tu le réduiras en poudre, et tu le mettras devant le témoignage, dans la tente d’assignation, où je me rencontrerai avec toi. Ce sera pour vous une chose très sainte. Vous ne ferez point pour vous de parfum semblable, dans les mêmes proportions ; vous le tiendrez pour saint, et réservé pour l’Éternel. Quiconque fera le même pour en respirer l’odeur sera retranché de son peuple” » (Exode 30, 22-38).

C’est pour avoir transgressé cet interdit que Salomon le Sage, Salomon le parfumé, est châtié par Dieu à la fin de sa vie – pour avoir oublié le Nom sacré de l’Éternel, dit la Bible, en faisant offrandes et sacrifices aux dieux de ses épouses étrangères ; en fait, pour avoir oublié d’être à force d’avoir toujours plus – de l’or, des terres, des femmes, des chevaux, des aromates. Comme le rappelle Hugo dans Dieu, chant V, « L’Aigle » : « Il dit : Je suis. C’est tout. C’est en bas qu’on dit : J’ai ! » Pour résumer l’apport du monde sémitique dans l’histoire des parfums, ceux-ci ne sont plus réservés à l’usage des dieux et des morts mais deviennent signes de joie, de prospérité et de bonne santé. Le profane ne l’emporte pas sur le sacré, il a simplement sa juste place dans la vie de tous les jours, comme si, avant l’heure, les Hébreux avaient voulu appliquer la consigne de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu…

C’est toutefois la civilisation de la Grèce ancienne qui inventa l’art de la parfumerie à proprement parler. Au moment de la conquête de l’Égypte et de l’Asie jusqu’à l’Inde, vers 330 av. J.-C., arômes et épices jouent déjà un rôle irremplaçable tout au long de la vie d’une famille, même modeste. Au temps d’Aristophane, il existait à Athènes un énorme marché des essences et des plantes aromatiques, le myropôleion, où les flâneurs venaient respirer un autre air que celui des marchés aux bestiaux ou aux poissons. Certains parfums étaient même signés, comme celui fabriqué dans l’officine d’Eschine, disciple de Socrate et parfumeur de son état ! Si leurs recettes sont trop obscures ou inconnues, on connaît les prix pratiqués à Athènes au IVe siècle : le quart de litre de parfum de luxe représentait en valeur marchande plusieurs centaines de journées de travail pour un citoyen participant à l’Assemblée du peuple ou membre du Conseil. Quant aux dieux, ils se contentent de déguster ces mystérieuses substances, le nectar et l’ambroisie, et d’en oindre parfois le corps de quelque mortel qu’ils affectionnent. En fait, l’ambroisie, tantôt fragrance tantôt aliment solide, au goût et à l’odeur indicibles, n’est rien d’autre que l’immortalité : Homère et son temps l’ont inventée comme une réalité matérielle et abstraite à la fois ; c’est un élixir de vie, l’essence même du divin. Étymologiquement, le mot signifie la négation de la mort. À la différence de l’ambroisie, le nectar est toujours liquide et veut dire « l’arrêt de la mortalité » au sens étymologique ; c’est l’essence qui protège la vie des dieux, le remède par excellence. L’étonnant, c’est que ce fluide odorant est parfois conçu comme une sorte de vapeur ou de brume : au chant III de l’Iliade, Aphrodite appelle Hélène en saisissant et en secouant le « voile de nectar » de celle-ci.

À part la mythologie et la littérature, le génie des Grecs, c’est aussi d’avoir su élaborer toute une réflexion sur les parfums, ainsi que sur la nature même de nos sensations. L’école socratique cherchait non à parler de ce qu’elle savait, mais à savoir de quoi elle parlait. Après 430, date de la grande peste d’Athènes, sa philosophie des parfums et aromates prit deux directions différentes, l’une morale, l’autre scientifique ou naturaliste. Pour Socrate, le seul parfum qui compte, c’est celui de la vertu, et Platon reprend cette analyse critique dans ses dialogues et ses essais. La plupart des héritiers spirituels de Socrate se bornent eux aussi à souligner que les essences aromatiques n’ajoutent rien à la valeur d’un homme, mais que leur excès peut être dangereux comme n’importe quelle drogue. Aristote, en revanche, serait le premier à adopter une attitude scientifique face aux vapeurs en général et aux parfums en particulier. Jusqu’alors, en Égypte et au Proche-Orient, on recueillait les huiles essentielles de certains bois résineux par évaporation à travers un feutre ou une toison laineuse. Les expériences d’Aristote avec l’eau de mer, le vin et les huiles aromatiques le conduisent, entre autres, à distiller de l’eau potable et à obtenir de l’eau-de-vie et de l’alcool à partir du jus fermenté des fruits odorants. Fait capital pour l’histoire des parfums ! Les études et les considérations d’Aristote furent poursuivies par son disciple Théophraste, dont le savant Traité des odeurs reste un des principaux ouvrages sur les aromates de l’Antiquité, souvent cité et commenté par les Romains. Pourtant, ceux-ci commencèrent par négliger le savoir-faire grec pendant près de cinq cents ans : au temps de la République, ils ne s’intéressaient qu’aux techniques de la construction utile et rentable, à l’armement militaire et naval, à la mise en valeur du sol. Pour un vrai Romain, l’or et l’argent exhalent une odeur plus suave que tous les parfums du monde ! Avec la naissance de l’Empire, en 27 av. J.-C., un appétit de jouissance prodigieux pousse sénateurs, chevaliers et puissants affranchis à étaler le luxe le plus ostentatoire. Dans toutes les villes importantes de l’Italie, les herboristes, les droguistes et les parfumeurs deviennent des fournisseurs indispensables pour les banquets, les maisons de plaisir, les bains publics et privés, les théâtres, les pompes funèbres. C’est le triomphe du faste oriental sur l’austérité et la sobriété des mœurs républicaines. Pourtant, les Romains resteront dans l’histoire des parfums surtout comme ceux qui ont édifié des aqueducs et des thermes et apporté à la Ville par excellence l’eau courante et le savon...

Pour revenir à la civilisation grecque, nombre de ses rites, mythes et symboles ont été nourris par cette merveilleuse invention : la déesse des amours odorantes et le dieu des aromates. Ils naissent tous deux à Chypre et au sein du monde syro-phénicien. Il est probable que, vers l’an 600 av. J.-C., la célèbre Sappho elle-même a célébré dans ses chansons les amours du jeune Phénicien Adonis (littéralement « mon seigneur ») et d’Aphrodite – Astarté, la déesse parfumée au « trône de lumière », tandis qu’elle enseignait la musique et la poésie aux jeunes femmes de Lesbos. Le mythe de la naissance et de la mort d’Adonis s’est ensuite élaboré tout au long du Ve siècle grâce à l’œuvre de plusieurs poètes grecs. Parallèlement, à Athènes, le culte conjoint d’Aphrodite et d’Adonis continuait à se développer, se manifestant à travers la célébration de fêtes de plus en plus bruyantes, sensuelles et extatiques : les Adonies. Les adoratrices du Seigneur oriental né des larmes amères de la myrrhe se composaient de courtisanes aussi bien que d’épouses légitimes des Athéniens, au grand dam de ces derniers, surtout lorsque la cité devait prendre des décisions importantes en matière militaire. « A-t-elle éclaté au grand jour la débauche de ces dames, avec cette fête d’Adonis célébrée sur les toits et que j’entendais un jour que j’étais à l’Assemblée ! s’exclame un personnage d’Aristophane. L’orateur proposait de faire voile pour la Sicile et sa femme dansait en disant : Hélas ! Hélas ! Adonis ! » (Lysistrata, v. 387-393).

En ce qui concerne les aphrodisiaques dans l’Antiquité, il faut préciser que la même substance pouvait servir d’aromate, d’épice, de condiment, de médicament, de tonique, de poison et de « parfum d’amour ». Mais la réputation de la plupart des remèdes de ce genre n’est-elle pas surtout dans l’idée qu’on se fait d’eux ? Car, à part les parfums à base de musc ou de civette, quelques labiées, le gingembre et la cannelle, qui sont avant tout des stimulants du système nerveux et des toniques cardiovasculaires, les effets érotiques que les traditions locales et l’imagination des auteurs prêtent à la plupart des plantes aromatiques relèvent de la crédulité. D’ailleurs, il n’est rien de plus subjectif que les senteurs ; on n’en saurait pas plus discuter que des goûts et des couleurs. Mais l’odeur est la mémoire de l’amour, elle prolonge l’acte trop bref d’aimer…

Pour conclure, disons que même si les parfums les plus chers, véritables produits de luxe, ont surtout été destinés aux castes sacerdotale ou royale, les gens de toutes les catégories sociales ont toujours désiré aimer, prier, faire la fête, jouir de la vie par tous les moyens – et donc, se servir des produits aromatiques. Ces derniers « mettaient du baume au cœur », au sens métaphorique, mais ils constituaient aussi une sorte de moyen d’échange immédiat, tout comme le sel, l’ambre jaune, le lapis-lazuli, etc. Enfin, c’est par les femmes, telles que la belle et savante Sappho, qu’a commencé la sécularisation des aromates. De quelque condition qu’elles fussent, les femmes ont toujours été, pour reprendre le mot de Paul Faure3, « l’aile battante et souple de la coquetterie, de la cuisine et de la magie ». De même que la reine de Saba est bien plus qu’un personnage historique, de même Marie de Béthanie, qui ne regarde pas aux trois cents deniers de parfums qu’elle répand pour le Fils de l’Homme, est bien plus qu’un symbole.

1- Littéralement, fonctionnaires du Tribunal chargés de percevoir les amendes.

2- Pour désigner cette catégorie de droujinniks du prince, on utilise en russe les termes historiques Iounnyié ou encore Otroki, les deux mots signifiant « jeunes ». Pour traduire ce terme, on a choisi le mot français varlet, diminutif de vassal, qui signifie « jeune garçon » ou « jeune guerrier » pendant tout le Moyen Âge. (Cf. Émile Littré, Pathologie verbale, ou lésions de certains mots dans le cours de l’usage.)

3- Paul Faure, Parfums et Aromates de l’Antiquité, Fayard, 1987. Je recommande ce livre, merveille d’érudition et d’art de conter, à tous ceux qui sont fascinés par les odeurs et les senteurs.