Selon Arsène Houssaye, au moment de quitter Versailles, Athénaïs aurait jeté un triste regard d’adieu « au lit qui avait endormi l’orgueil de Louis XIV ». Elle aurait aussi sangloté :

— Il faut donc quitter ce pays-ci pour jamais !

Ce à quoi Mme de Maintenon aurait répondu :

— Vous lui faites bien de l’honneur de le regretter.

Surprenante Maintenon, qui est aussi capable d’expliquer aux jeunes élèves de son école de Saint-Cyr qu’elle n’est pour rien dans tout ce qui est arrivé et qu’elle ne comprend pas pourquoi Mme de Montespan lui en veut tant !

« Mme de Montespan et moi, nous avons été les plus grandes amies du monde ; elle me goûtait fort, et moi, simple comme j’étais, je donnais dans cette amitié. C’était une femme de beaucoup d’esprit et pleine de charmes ; elle me parlait avec une grande confiance et me disait tout ce qu’elle pensait. Nous voilà cependant brouillées sans que nous ayons eu dessein de rompre. Il n’y a pas eu assurément de faute de mon côté, et si cependant quelqu’un a sujet de se plaindre, c’est elle, car elle peut dire avec vérité : « C’est moi qui suis cause de son élévation, c’est moi qui l’ai fait connaître et goûter au Roi, puis elle devint la favorite et je suis chassée. » D’un autre côté, ai-je eu tort d’avoir accepté l’amitié du Roi aux conditions que j’ai acceptées ? Ai-je eu tort de lui avoir donné de bons conseils et d’avoir tâché, autant que j’ai pu, de rompre ses commerces ? Mais revenons à ce que j’ai voulu dire d’abord. Si, en aimant Mme de Montespan comme je l’aimais, j’étais entrée d’une mauvaise manière dans ses intrigues ; si je lui avais donné de mauvais conseils ou selon Dieu, ou selon le monde ; si, au lieu de la porter tant que je pouvais à rompre ses liens, je lui avais enseigné le moyen de conserver l’amitié du Roi, n’aurait-elle pas à présent entre les mains de quoi me perdre, si elle voulait se venger ? » Un joli sophisme et un bel exemple de félonie !

Mars 1691, Athénaïs se retire au couvent des filles de Saint-Joseph, à Paris : une belle maison, sise rue Saint-Dominique, dans la paroisse de Saint-Sulpice, qui pousse ses jardins jusqu’au fleuve, une maison qu’elle alimentait et dans laquelle on élevait très chrétiennement des orphelines pauvres jusqu’à ce qu’elles atteignent l’âge de vingt ans. Alors, si par hasard elles ne se faisaient pas religieuses, elles pouvaient se marier. En tout cas, nonnes ou épousées, elles savaient broder : essentiellement des ornements d’église que Saint-Simon trouvait « superbes » et Mme de Caylus « parfaitement beaux ». Aujourd’hui, on ne brode plus, rue Saint-Dominique, puisque depuis 1804 le couvent est affecté à des bureaux du ministère de la Guerre.

Mars 1691. Athénaïs est au couvent, le Roi à la guerre. Il est de nouveau en campagne. Il est en Hainaut, il assiège Mons. Mons va capituler, et Louvois ordonnera de ravager et d’incendier tout le pays. Il n’y avait pas que les sorcières que Louvois aimait à brûler ! Il était réputé pour sa cruauté. Aujourd’hui encore, d’ailleurs, on se souvient de lui dans le Palatinat !

Athénaïs est au couvent, mais pour l’instant elle fait en sorte que l’on n’oublie pas encore ni son rang ni sa fortune. Elle se maintient. Elle use de son titre, de ses droits, de ses préséances. Ne va-t-elle pas jusqu’à se constituer une petite cour à Saint-Joseph ? « Toute la France y venait, écrit Saint-Simon. Elle parlait à chacun comme une reine. Partout chez elle un air de grandeur répandu... Elle recevait mais ne faisait jamais de visite, pas même à Monsieur, ni à Madame, ni à la Grande Mademoiselle, ni à l’hôtel de Condé. »

Jamais de visite ? Si, elle en fit une : une émouvante. Une visite aux carmélites. Elle avait demandé à y rencontrer soeur Louise de la Miséricorde. Elle pleura, paraît-il, en retrouvant Mlle de La Vallière, sa rivale d’autrefois, celle avec qui elle avait partagé le carrosse royal, celle qu’elle avait jalousée, haïe sans doute, celle qu’elle avait évincée.

— Vous pleurez, lui dit soeur Louise de la Miséricorde, moi, je ne pleure plus.

— Vous ne pleurez plus ! Ah, moi, je pleurerai toujours{52} !

L’une s’était déjà réfugiée en Dieu, rédigeait même des traités mystiques ; l’autre frémissait encore de sa ruine et ne détempêtait pas.

M. de Chateaubriand, parlant des colères de Mme de Montespan répudiée, lui opposera la noble et touchante figure d’une femme aimée et abandonnée de François Ier. Quand le Roi lui fit demander les joyaux chargés des devises qui avaient consacré les beaux jours de leur passion, elle ne s’emporta pas, non, elle ne cria pas ; au contraire, raconte Brantôme{53}, elle renvoya calmement le tout « fondu et converti en lingot ».

— Portez cela au Roi, dit-elle à l’émissaire. Puisqu’il lui a plu de me révoquer ce qu’il m’avait donné si libéralement, je le lui rends et lui renvoie en lingot d’or. Quant aux devises, je les ai si bien empreintes en ma pensée et les y tiens si chères, que je n’ai pu permettre que personne en disposât et en jouît... »

Dupé, le roi François !

Louis XIV ne fera jamais subir un tel affront à son ex-favorite. Tout ce qu’il a donné à Athénaïs restera à Athénaïs. À une exception près, toutefois. Après avoir quitté Versailles, la marquise, fière, renvoie à Louis Soleil tous les bijoux qu’elle tient de lui, persuadée évidemment que son amant ne supportera pas ce geste orgueilleux et qu’il s’empressera de les lui restituer. C’est ce qu’il fera, d’ailleurs, mais après avoir soustrait un magnifique collier de perles qu’il offrit à Marie-Adélaïde de Savoie, l’épouse de son petit-fils, le duc de Bourgogne, et par là même mère du futur Louis XV. Hormis la confiscation de cette parure, Louis XIV agira toujours très dignement et généreusement avec Athénaïs. Il faudra même attendre l’an 1707 pour enregistrer une diminution de la rente mensuelle (100 000 livres) qu’il continuait de lui bailler. Le Roi expliqua alors que cette réduction était due à la pénurie du Trésor. Il ne mentait pas. Athénaïs répondit :

— Les pauvres y perdront plus que moi !

Elle disait vrai. Car non seulement elle versait une rente de 500 livres à ses orphelines de Saint-Joseph, mais elle avait fondé, à Saint-Germain-en-Laye, un hospice pour les vieillards et un couvent d’ursulines. À Fontevrault, elle pourvoyait aux besoins d’un hôpital de la Sainte-Famille, à Saumur elle construisit une maison pour les oratoriens, à Oiron, elle organisa un hospice... Cette générosité saura se transmettre de grand-mère en petit-fils : le duc de Penthièvre, par exemple, que l’histoire retiendra sous le nom de « Père des pauvres », dépensera lui aussi un peu de son immense fortune d’hôpital en hospice pour le bien-être des vieillards et des malades qu’il protégeait.

Mais ne brûlons pas les étapes. Nous ne sommes qu’en 1691 et, cette année-là, le 16 juillet, on reparle de poudre !

Et cette fois, c’est Mme de Main tenon qui a droit au titre d’empoisonneuse ! Ce jour-là, en effet, Louvois est pris de malaise alors qu’il lit une dépêche devant la morganatique. Il suffoque subitement, il tousse, il pâlit, il s’allonge, il ne se relèvera pas : un quart d’heure plus tard, il est mort. Une fin un peu trop brutale, estime la princesse Palatine qui en profite pour consigner noir sur blanc son impression. «Je l’avais rencontré une demi-heure avant sa mort et je lui avais parlé. Il semblait bien portant... s’il est vrai que M. de Louvois est mort empoisonné, je ne pense pas que ce soit du fait de ses fils, quelque méchants qu’ils puissent être. Je crois plutôt que c’est un médecin qui a fait le coup pour plaire à une vieille femme que M. de Louvois a vivement contrariée et sur le compte de laquelle il a parlé trop librement alors qu’il menait Sa Majesté à Mons. Le Roi n’a pas eu l’air bien incommodé après cette mort. De longtemps je ne l’avais vu si gai. »

Athénaïs, de son côté, est triste. D’une tristesse immense. Plus les mois passeront, plus les amis seront rares à franchir les grilles de Saint-Joseph et, le jour où plus personne ne viendra, elle ne résistera pas, elle prendra la route de Versailles, elle rejoindra la cour sous le prétexte de visiter ses enfants qui – hormis Toulouse – la négligent, lui battent froid, même. Mais elle s’apercevra qu’à la cour, elle n’est plus qu’une étrangère. Mme de Caylus, l’y observant un jour, écrira : « Mme de Montespan est comme ces âmes malheureuses qui reviennent dans les lieux qu’elles ont habités pour expier leurs fautes. »

Il est vrai qu’elle est malheureuse, Athénaïs, immensément. Elle ne paraîtra même pas, en 1692, le 18 février et le 19 mars, aux mariages de Mlle de Blois et du duc du Maine. Son nom ne figure pas aux contrats.

Le mariage de Françoise-Marie de Bourbon – la petite Mlle de Blois de quinze ans – avait été annoncé par le Roi le 11 janvier précédent. Il était entendu que la fille d’Athénaïs épouserait le duc de Chartres, Philippe d’Orléans, le futur régent et ce, malgré la colère noire de la Palatine ! La mère du fiancé ne parvenait pas à se faire à l’idée que son fils allait épouser une légitimée ! « Légitimée donc bâtarde », disait-elle. Et qui plus était, une bâtarde qu’elle ne pouvait souffrir ! « Son arrogance et sa mauvaise humeur sont insupportables et sa figure parfaitement déplaisante », écrit-elle encore. Avant de poursuivre : « Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à un cul. Elle est toute bistournée ; avec cela une affreuse prononciation comme si elle avait toujours la bouche pleine de bouillie et une tête qui branle sans cesse. Voilà le plus beau cadeau que la vieille ordure nous a fait. » Celle que la princesse Palatine traitait avec tant de délicatesse de « vieille ordure », c’était, évidemment, Mme de Maintenon ! Laquelle, il est vrai, avait bien inventé cette union.

Arrogante, Mlle de Blois ? Sans aucun doute.

— Peu me chaut qu’il m’aime, disait-elle de son promis, mais je me soucie qu’il épouse ! »

Vaniteuse, même. Elle disait de son mari qu’il n’était que le neveu du Roi alors qu’elle en était la fille. Elle était, s’amuse Saint-Simon, « petite-fille de France jusque sur la chaise percée ».

Mais elle était aussi d’une indolence désespérante : assurément plus Bourbon que Mortemart ! « Elle n’aimait que son lit, c’était la plus altière et la plus paresseuse des femmes. » Elle n’avait pas hérité, non plus, le tempérament sensuel et bouillant de sa mère ! Certains chroniqueurs ont même affirmé que si « elle n’avait été point tant frigide » le Régent n’aurait pas institué le libertinage à la cour de France. Frigide ou non, elle lui donnera huit rejetons !

Le 19 février, lendemain du mariage, la Palatine ne put se maîtriser ! Comme, après la messe du Roi, Monsieur, son fils, s’approchait d’elle pour lui baiser la main ainsi qu’il faisait tous les jours, « elle lui appliqua un soufflet si sonore qu’il fut entendu de quelques pas et qui, en présence de toute la cour, couvrit de confusion ce pauvre prince, et couvrit les infinis spectateurs, dont j’étais, d’un prodigieux étonnement », écrit Saint-Simon qui, trente ans après la gifle, se réjouit encore de l’avoir entendue claquer !

Un mois plus tard, le 19 mars, on célébrait le second mariage, celui du duc du Maine, fils aîné d’Athénaïs et chéri de Mme de Maintenon, avec Anne-Louise de Bourbon, la petite-fille du Grand Condé.

Maine était bien le préféré de la veuve Scarron. Elle avait pour lui, dit Saint-Simon, un « faible de nourrice ». Sans doute parce qu’il était intelligent et spirituel, peut-être aussi parce qu’il était très faible de corps. On sait qu’il était pied-bot. Faible de corps, certes, mais guère plus vigoureux d’âme. Peu d’autorité, beaucoup de timidité, à la limite de la lâcheté ! En revanche, côté ruse, il était passé maître. Il excellait en « marches profondes » et en « faussetés exquises ». En somme, il était bien le « fils » de la Maintenon !

« De l’esprit, il en avait, se délecte Saint-Simon, qui parle en connaisseur. Il en avait, je ne dirai pas comme un ange, mais comme un démon. »

À vingt-deux ans, il épousa donc la petite-fille du Grand Condé. Vraiment une petite fille, Anne-Louise, car comme tous les Condé elle était minuscule par la taille. On la surnommait « la petite poupée de France ». D’une grande intelligence, en revanche, mais aussi légèrement déséquilibrée : une humeur très capricieuse, des scènes violentes que subissait Maine en tremblant, des colères à tout rompre, parce qu’elle ne supportait pas que sa belle-soeur, Mlle de Blois, soit plus plumée qu’elle au regard de l’étiquette, qu’elle n’acceptait que difficilement de lui céder le pas en l’appelant « Madame » ! Céder le pas, comment l’éviter, impossible ! Mais au lieu de lui donner du solennel « passez, Madame », la nerveuse duchesse du Maine chuchotera un irrespectueux : « passez, mignonne ! »

« On ne s’aime pas, écrit Mme de Sévigné, on se disputaille souvent, on appelle cela éplucher des écrevisses. »

Et pendant tout ce temps-là, Athénaïs promenait ses loisirs et ses inquiétudes à Bourbon, à Fontevrault, aux terres d’Antin... « Elle fut, dit Saint-Simon, des années à pouvoir se rendre à elle-même. Mais à la fin Dieu la toucha. »

Il la toucha par l’intermédiaire du père Pierre François de La Tour, le supérieur général de l’Oratoire. Que le Roi n’aimait guère parce qu’il le soupçonnait de jansénisme. Si Louis XIV ne l’apprécie pas, Athénaïs est enthousiasmée : sans doute parce qu’elle a trouvé en lui un confident, l’ami de Dieu à qui ouvrir son âme.

Mais le père de La Tour n’y alla pas de main morte !

Il a fait vestir Montespan
Et d’étamine et de bure...

chansonnait-on à la cour.

Et Saint-Simon d’ajouter : « Sa table qu’elle avait aimée avec excès devint la plus frugale, ses jeûnes fort multipliés... ses macérations étaient continuelles ; ses chemises et ses draps étaient de toile jaune la plus dure et la plus grossière, mais cachée sous des draps et une chemise ordinaires. Elle portait sans cesse des bracelets, des jarretières et une ceinture à pointes de fer, qui lui faisaient souvent des plaies ; et sa langue, autrefois si à craindre, avait aussi sa pénitence. »

L’oratorien n’y alla pas non plus par quatre chemins. Coucher sur un lit de paille d’avoine comme les paysannes, se mortifier avec des jarretières dont les pointes rappelaient la Couronne du Christ ne suffisait pas pour gagner le paradis. Non, pour obtenir l’indulgence du Tout-Puissant, il fallait aussi qu’Athénaïs fît le plus douloureux des actes de contrition : qu’elle s’humiliât en demandant pardon à son Gascon, qu’elle lui écrivît une lettre de soumission, qu’elle le suppliât de lui rouvrir sa porte et qu’elle lui promît de vivre sous son toit, humble et repentante comme la dernière de ses servantes. Elle accepta.

« À qui a connu Mme de Montespan, c’était le sacrifice le plus héroïque », constate Saint-Simon.

Il refusa.

« Elle eut le mérite sans essayer l’épreuve. » Le marquis de Montespan, en effet, fit savoir à la favorite déchue qu’il ne voulait ni la recevoir, ni lui prescrire rien, « ni ouïr parler d’elle de sa vie ». Et il aurait pu ajouter, se souvenant du funèbre simulacre d’obsèques en son château, que pour lui, elle était déjà morte et enterrée !

Le marquis aurait pu, malgré tout, tirer une croix sur son honneur et accepter que l’infidèle revînt au château, car il était criblé de dettes (comme à son habitude !) alors qu’Athénaïs valait encore mille louis d’or le mois ! Sa passion pour le jeu n’était pas faite pour atténuer son endettement chronique. Souvent, à Versailles, assis à la même table que son fils unique, il perdait en effet beaucoup et volontiers. Mais il lui arrivait aussi de jouer pour se distraire. Avec les princesses – filles de sa femme par exemple. « C’était s’esbaudit la Palatine, une très drôle de chose de le voir avec son fils d’Antin jouer avec Mme d’Orléans{54} et Mme la duchesse de Bourbon{55}. Il donnait alors très respectueusement et avec des baisements de main les cartes à ces princesses qui passaient pour ses enfants. Il trouvait lui-même cela plaisant. Il se retournait pour en rire. »

En 1701, le marquis de Montespan regagne sa Gascogne... qu’il ne quittera plus. Il y décline, sans doute victime d’une longue et douloureuse maladie comme on dit aujourd’hui très hypocritement. Il coule ses derniers jours en son château de Saint-Elix, près de Toulouse. Plus de trois mois de souffrances, selon le marquis d’Antin, son fils, qui n’arrive à Saint-Elix que pour le dernier soupir et la lecture du testament{56}. C’est le 23 octobre 1701 que M. de Montespan l’avait dicté à maître Faulquier son notaire. Naturellement, il faisait de son fils son légataire universel.

Le 15 novembre de la même année, il avait ajouté un codicille : «Je demande qu’après que mon âme aura fait séparation d’avec mon corps, celui-ci soit inhumé sans pompe en l’église paroissiale Notre-Dame La Dalbade où Madame ma mère et mademoiselle ma fille ont déjà été ensevelies. »

Presque au terme de ce document, une déclaration stupéfiante. M. de Montespan affirme en effet qu’il a « toujours eu une confiance entière en la charité de Mme la marquise son épouse et particulièrement alors qu’il est atteint d’une maladie qui lui en fait craindre les suites ». Aussi, « il la supplie de vouloir faire prier Dieu après son décès pour le même repos et soulagement de son âme, ce qu’il espère, et se promet de sa bonté et amitié, et, par cette raison, la nomme et la choisit présentement, la prie de vouloir être son exécutrice testamentaire... ».

Un peu plus loin, il parle encore de « l’amitié et de la tendresse très sincères qu’il a toujours conservées pour elle ».

On croit rêver ! Un grand retour d’affection ? Jean Lemoine, l’inventeur du testament, pense benoîtement que M. de Montespan, sentant sa fin prochaine, a enfin compris « la bonté de cette femme qui fut la sienne ». Peu vraisemblable. Non, il est plus prosaïque, peut-être, mais plus réaliste de croire que Montespan n’était plus très sain d’esprit lorsqu’il commit ce paragraphe.

Et il mourut : « Le premier jour de décembre 1701, est décédé haut et puissant seigneur messire Louis-Henry de Gondrin, seigneur duc d’Epernon, marquis de Montespan, marquis de Gondrin, marquis d’Antin, marquis de Neubye... et autres places, âgé de soixante et un ans ou environ. » Il mourut, et, le 1er décembre 1701, son fils héritait... toutes ses dettes, c’est-à-dire 400 000 livres !

Athénaïs prit le deuil en apprenant le décès de son mari, mais elle ne reçut aucune condoléance !

Elle était alors chez sa soeur l’abbesse de Fontevrault. Un service funèbre fut même célébré à l’abbaye que dirigeait Gabrielle de Rochechouart.

Dès 1702, Antin vendait Saint-Elix, le château de son père. Il craignait les créanciers. Il craignait surtout pour sa réputation de courtisan : de courtisan-valet, de courtisan couard. « Chez lui, diagnostique Saint-Simon, la servitude était tournée en caractère. » Un trait de personnalité qu’il n’avait manifestement pas hérité de sa mère ! Laquelle ne manquait jamais une occasion de rappeler au Roi son existence, de lui faire connaître ses desiderata. Ainsi, en 1700, quand elle envisage d’acquérir le château d’Oiron (situé dans les actuelles Deux-Sèvres, entre Thouars et Loudun) avec les baronnies de Curzay et Moncontour, pour y construire un hôpital des pauvres, elle s’adresse tout simplement à son ex-amant, qui lui fera verser 100 000 livres. Le tiers du prix d’achat.

Donc, Athénaïs achète Oiron : au duc de La Feuillade, un homme « solidement malhonnête », perdu de dettes et de vices.

Le château lui sied, mais elle ne l’habitera, décide-t-elle, que lorsque lui sera annexé l’hospice souhaité.

Elle avait déjà fondé, à Fontevrault, un établissement destiné à héberger une centaine d’indigents des deux sexes, une maison placée sous le vocable de la Sainte Famille. Fontevrault était dirigée par sa soeur « la grande abbesse »,

Marie-Madeleine, une femme, on l’a vu, qui cumulait intelligence et beauté. Elle ne manquait pas de charme, à cinquante-huit ans encore. Mais à cet âge-là, c’est-à-dire en 1704, elle tombe soudain très malade : « Une extrême lassitude accompagnée d’une mélancolie douce l’avait envahie. » Le 7 août, elle fut prise de fièvre. Le 11, son esprit se mit à battre la campagne ; le 13, elle s’installa doucement dans le coma et le 15 août, jour où la Vierge s’éleva gracieusement dans les nues, elle s’éteignit. Elle mourut, raconte sa nièce qui veillait au chevet, « avec une douceur qui tenait plus de l’extase et du ravissement que d’une séparation douloureuse ».

Le 15 août 1704, Athénaïs était à Paris. Elle ne sut la triste nouvelle que le 18. Elle pleura beaucoup cette soeur qu’elle chérissait et ses neveux, le duc et la duchesse de Lesdiguières (gendre et fille de feu le duc de Vivonne) la consolèrent « du mieux qu’ils purent », se souvient la vieille marquise d’Uxelles.

Louis XIV fut informé de cette disparition, le même soir, à son petit souper.

— Je la regrette extrêmement, déclara-t-il.

C’était vrai. On sait qu’il appréciait beaucoup Marie-Madeleine de Mortemart.

Cet été-là (1704) Athénaïs fera transférer son hospice de Fontevrault à Oiron où les travaux étaient suffisamment avancés (trois grands corps de logis, quatre pavillons, une chapelle) pour que l’établissement fût opérationnel. Elle dotait cette maison de 110 000 livres. Cent pauvres allaient y être nourris, entretenus et y mourraient paisiblement.

Cet été-là (août 1704) dans le cadre d’une guerre de Succession d’Espagne qui n’en finit pas, les maréchaux Camille de Tallard et Ferdinand de Marsin, sans oublier l’allié, Maximilien II de Bavière, connaissaient à Hôchstaedt (en Bavière, précisément !) une cuisante défaite. Là où, un an plus tôt, le duc de Villars avait fait des prouesses, on assiste à la débâcle des 64 000 Franco-Bavarois (35 000 fantassins, 29 000 cavaliers) ! Une sévère correction infligée par de brillants duettistes qui avaient noms Malborough et le prince Eugène.

Cet été-là Louis XIV a perdu la Bavière. Donc l’Allemagne.

Cet été-là Louis XIV ne parvient pas à s’emparer de Gibraltar.

Cet été-là, le budget de la guerre se chiffre à 100 000 000 de livres !

Les bâtiments d’Oiron avaient coûté... 40 000 livres !

Athénaïs a donc beaucoup investi dans ce qui sera sa dernière réalisation. Sans toutefois s’être ruinée pour le bienêtre de ses patients pauvres. Jamais elle ne connaîtra le dénuement. À preuve, l’inventaire de ses biens, au château d’Oiron, sur lequel figurent de très riches pièces : sa chambre était royale. Un grand lit de chêne tendu de velours noir brodé d’or et d’argent, dix fauteuils de bois doré, une table de marbre majestueuse, douze tapisseries figurant les douze sibylles et, partout, le portrait du Roi ! Dans l’antichambre, trois portraits en miniature, aux murs de la chambre même, quatre grands portraits du Roi-Soleil accrochés là un peu comme des trophées de chasse !

Dans les autres pièces du château on pouvait encore admirer un tableau figurant la famille royale, un autre le roi d’Espagne, un autre le duc et la duchesse de Bourgogne, une tapisserie de Beauvais représentant la prise de Condé par le Roi, un buste de Louis Soleil en argent... sans oublier les portraits de ses soeurs et ceux de ses enfants. À noter qu’il y avait beaucoup plus de Toulouse que de Maine !

Pas de portrait de Mme de Maintenon, évidemment ! Mme de Maintenon qui avait passé un peu de son enfance au château de Mursay près de Niort, c’est-à-dire à une vingtaine de lieues d’Oiron !

Dernier tableau, un portrait, qui est toujours conservé aujourd’hui, celui de la propriétaire des lieux : Athénaïs elle-même, peinte par Pierre Mignard dit le Romain. Elle est représentée en Madeleine, gracieusement étendue sur une natte de jonc. La tête repose sur la main droite, dans la main gauche, un livre ouvert. Elle est ici, dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa beauté. Une chose, cependant, choqua les religieuses de l’hospice : elles trouvèrent que la pécheresse, bien que repentie, avait encore une gorge trop découverte et... Athénaïs dut « prendre le voile » ! Entendez par là que les bonnes soeurs d’Oiron ont tout simplement peint un tulle bleu sur les seins qu’elles estimaient trop dénudés !

En poursuivant la lecture de notre inventaire, côté bibliothèque, on ne trouvera que des ouvrages édifiants : une vie de Jésus, un traité de l’immortalité de l’âme, des livres d’offices... la théologie et la piété régnaient donc en souveraines dans les rayonnages de Mme de Montespan. Peu de grandes reliures, en revanche, mais cela ne surprendra guère les spécialistes qui n’ignorent pas que Quentin-Bauchart, dans son répertoire des Femmes bibliophiles, n’a recensé que six ouvrages aux armes de la marquise. C’est dire qu’en vente publique de tels exemplaires ont pu atteindre des sommes incroyables ! Quelques ouvrages médicaux enfin, tel un Recueil des remèdes faciles ou une Pharmacopée universelle. Des titres qui nous montreront qu’une fois de plus Saint-Simon a raison, lui qui raconte que Mme de Montespan était toujours très inquiète quant à sa santé et très tourmentée même « des affres de la mort ».

Il est vrai que la disparition de sa soeur, la dame de Fontevrault, l’avait fortement impressionnée. « Elle pensait incessamment à la mort et en avait des frayeurs si terribles qu’elle gageait des femmes qui n’avaient d’autre emploi que la veiller toutes les nuits. Elle dormait ses rideaux ouverts, avec force bougies toujours allumées et, toutes les fois qu’elle se réveillait, elle voulait trouver les veilleuses, ou parlant ou jouant, ou mangeant, de peur qu’elles ne s’endormissent. »

C’était immanquable ! Ces quelques lignes, qui sont signées de l’inévitable Saint-Simon, ont été exploitées à l’excès par les détracteurs de Mme de Montespan. À l’occasion de mon enquête menée autour des faits et gestes de la marquise, je suis tombé en arrêt, un jour, sur une page écrite par un auteur dont je tairai le nom. Tant elle est ridicule. On lit Saint-Simon, on l’exploite, on l’emphase, on l’ampoule... et voici le résultat : «On la dirait vraiment livrée aux Erinnyes, poursuivie par un fourmillement de spectres. Sept ou huit personnes de compagnie ont pour fonction de ne pas la quitter, de ne l’abandonner à elle-même, ni le jour, ni la nuit. Si elle essaie de coucher dans une alcôve, l’ombre s’anime, le silence lui parle. Quelles faces effrayantes se penchent alors vers elle dans l’obscurité ? La figure immonde et asymétrique de Guibourg, le museau de Lesage, le masque sibyllin de Catherine Deshayes ou celui de la Trianon ? Quels vagissements suprêmes la réveillent en sursaut ? Quelles griffes s’étendent vers elle, accrochent ses draps, lui donnent la sensation insupportable et terrifiante d’une présence diabolique, la hantise du Très-Bas, auquel la lie toujours son pacte d’autrefois ? – Des flambeaux ! des flambeaux ! le cri affolé du meurtrier shakespearien se retrouve sur ses lèvres. On écarte les rideaux ; on ne les refermera plus. Des candélabres chargés de bougies inondent la chambre de lumière. Les dames d’honneur se relaient auprès de la couche de l’ancienne favorite. Elles ont pour tâche de la garder contre l’invisible, de la préserver de la solitude et de l’obscurité. Plus de repos pour elles ! À toute heure de la nuit elles doivent être dans la chambre de Mme de Montespan. Si la marquise finit par s’endormir il faut qu’en se réveillant elle trouve toutes ses compagnes actives dans la pièce illuminée. Ceci n’est pas la fin d’une pénitente qui s’abîme en la miséricorde de Dieu, c’est l’agonie d’une criminelle qu’étrangle la peur de l’enfer... » Ridicule, n’est-il pas ? Ridicule aussi cet autre auteur qui affirme (sans doute y était-il ?) que, « s’il tonnait, Mme de Montespan faisait placer sur son sein une jeune fille pour que l’innocence de cet enfant la préservât des traits vengeurs de la mort ».

Athénaïs craint la mort, Athénaïs vieillit. À la cour, la princesse Palatine n’a pas manqué de mettre l’accent sur ce vieillissement : « Son visage est recouvert de petites rides si rapprochées les unes des autres que c’en est étonnant ; ses beaux cheveux sont blancs comme neige et toute la figure est rouge ! »

Faux, s’insurge Saint-Simon. « Elle fut belle comme le jour jusqu’au dernier moment sans être malade, mais elle croyait toujours l’être et aller mourir. »

Au début de l’année 1707, un malaise l’inquiéta plus gravement encore. Plus que jamais elle eut le pressentiment de sa fin prochaine, aussi elle doubla ses aumônes, paya toutes ses pensions avec deux ans d’avance, mit au clair toutes ses affaires.

Au printemps de cette année-là, Vauban mourut : le 30 mars. Il avait, quelques jours plus tôt, publié un Projet de dîme royale, un livre dans lequel il suggérait au Roi et à ses comptables de supprimer la taille, les aides, les douanes provinciales, les décimes du clergé..., etc., et de remplacer toutes ces impositions onéreuses par « un impôt proportionnel aux forces de chacun ». L’inconvénient majeur de cette idée de taxe au prorata, c’est qu’elle n’épargnait personne. Comment ? Plus de privilégiés, déjà, en 1707 ? Impensable. Tant et si mal que son idée (prématurée) fut rejetée et son livre mis au pilon. Vauban n’avait trouvé personne pour le fortifier, pour partager son point de vue égalitaire... alors il mourut. Car on a dit, en effet, que cet « échec de librairie » lui fut fatal. Mais en réalité il n’en est rien, il souffrait d’une bronchite aussi vilaine que tenace.

Printemps de l’an 1707 : Athénaïs prend la route de Bourbon-l’Archambault. « Irène se transporte à grands frais à Epidaure{57} voit Esculape et le consulte sur tous ses maux. Elle se plaint qu’elle est lasse et recrue de fatigue... Elle dit qu’elle est, le soir, sans appétit... qu’elle est sujette à des insomnies... qu’elle devient pesante, que le vin lui est nuisible et que sa vue s’affaiblit ; et elle demande quel est le moyen de guérir de cette langueur et Esculape lui répond :

— Le plus court, c’est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule{58} ! »

Mai 1707, Athénaïs arrive à Bourbon, mais... « les eaux de Bourbon seront la fontaine de la mort », écrit Arsène Houssaye qui ajoute – car au XIXe siècle le ridicule ne tuait pas avec les mêmes armes qu’aujourd’hui ! : « La mort de Mme de Montespan fut un coup de tonnerre. Il n’y a pas, dans toute la Bible, de pages plus effrayantes ! Jamais la main de Dieu ne se montra plus terrible et plus vengeresse... elle mourut un jour d’orage... elle mourut sans oser regarder son Dieu et sans oser se regarder elle-même tant elle était horrible à voir ! »

Nuit du 14 au 15 mai. Malaise, évanouissement prolongé. Les servantes sont effrayées. Affolement de la jeune maréchale de Coeuvres{59} qui a accompagné Athénaïs à Bourbon. Vite, de l’eau froide et du vinaigre ! Vite, le médecin !

Ni médecin, ni barbier, hélas, et le vinaigre qui n’en peut, mais. Vite, le vomitif ! Et l’émétique fit effet, et Mme de Montespan sortit de sa syncope.

— Comme je suis mal où je suis ! Comme je suis bien où je ne suis pas ! confia-t-elle alors à la jeune Mme de Coeuvres. Laquelle lui aurait répondu :

— Vous êtes mal même où vous n’êtes pas !

En réalité, elle est au plus mal. Mme de Coeuvres n’aurait-elle pas abusé de l’émétique ? Sans doute, car au dire de Saint-Simon, ce remède opéra soixante-trois fois !

Tous ces détails qu’a consignés le mémorialiste sont assurément très proches de la réalité, car, s’il n’était pas lui-même à Bourbon, Mme de Saint-Simon y était, elle, et elle a tout écouté, tout observé, tout transmis à son mari qu’elle chérissait. Des détails de première main, donc.

Maintenant, Athénaïs est consciente. Très fiévreuse aussi et comme « atteinte d’une maladie de langueur ». Le 17 au matin, elle s’éveilla parfaitement lucide. Elle réclama un prêtre. Elle souhaitait se confesser. Elle pria aussi ses domestiques de vouloir bien se grouper à son chevet et, quand ils y furent tous assemblés, elle demanda solennellement pardon des scandales qu’avaient pu causer ses emportements. « Tout cela, avec la plus parfaite tranquillité d’âme. » Plus d’appréhension donc, elle semblait résignée, avoir compris que « la mort n’est pas une chose aussi terrible que nous l’imaginons ; que nous la jugeons mal de loin, que c’est un spectre qui nous épouvante à une certaine distance et qui disparaît lorsqu’on vient à s’en approcher de près{60} ».

Ce même jour, 17 mai, elle avait demandé que l’on portât la nouvelle de son agonie à Antin, le fils légitime qui passait alors les beaux jours à Livry auprès de Monseigneur. Le 22, Antin arrivait à Bourbon.

Le 23, le maréchal de Villars entrait victorieux dans Stuttgart... où il ne laissera pas un bon souvenir ! Car il n’hésita pas à réclamer trois énormes contributions aux vaincus : la première pour payer la troupe, la deuxième pour payer les officiers, la troisième pour engraisser son veau{61} !

Le 24, le mal ne connut guère d’évolution.

Le 25 au soir, alors que l’imminence de la mort d’Athénaïs était parvenue à Versailles, Sa Majesté autorisa le comte de Toulouse à prendre la route de Bourbonl’Archambault. Le 26 mai, la malade reçut les derniers sacrements. Au gardien des capucins de Bourbon qui ne la quittait pas, elle murmura : « Mon père, exhortez-moi en ignorante, le plus simplement que vous pourrez. » Le capucin pria. Athénaïs parut s’endormir. Le coma.

Le 27 mai, à 3 heures du matin, elle ne respira plus. Le médecin de Bourbon constata en effet qu’aucune buée ne se formait plus sur le miroir qu’il avait approché des lèvres de la marquise. Le duc d’Antin s’agenouilla. Mme la maréchale de Coeuvres pleurait.

Le comte de Toulouse bivouaquait à Montargis lorsqu’il apprit la mort de sa mère. Il jugea inutile de brûler encore le pavé, fit demi-tour et s’en vint se recueillir à Rambouillet.

Le Roi était à Marly lorsqu’il sut la nouvelle. Il allait se mettre en selle pour courre le cerf du côté de Louveciennes quand on lui apporta une lettre du duc d’Antin. Celui-ci expliquait que Mme de Montespan avait montré en mourant les sentiments les plus chrétiens et... il n’omettait pas d’ajouter qu’il demeurait « son plus fidèle sujet », « son plus dévoué serviteur ».

La réaction du Roi ? Apparemment, une complète indifférence : « Messieurs, en selle ! » Et la chasse se déroula comme à l’habitude. Cette fois, le cerf fut forcé du côté de Meudon. Mais au retour, sans être débotté, Louis XIV s’écarta de sa suite et marcha seul. On remarqua qu’il paraissait songeur. « Il prolongea sa promenade jusqu’à la nuit après avoir fait comprendre qu’aucun compagnon ne lui serait agréable. »

Et, sur les hauts de Marly, le vieux Roi solitaire aurait pu méditer : se souvenir de Marie Mancini qu’il avait tant aimée et qui menait aujourd’hui une vie désolée, et qui allait mourir séquestrée dans un couvent madrilène ; se souvenir d’Olympe, un bel amour qu’il avait disgracié à l’occasion de l’affaire des poisons, une fière autre Mancini qui s’était vengée en enfantant le prince Eugène, celui-là même qui venait d’écraser (1706) le duc d’Orléans sous les murs de Turin ! Se souvenir de La Vallière qui vivait encore en pénitence au Carmel ; de Marie-Isabelle dite la Belle de Ludre qui s’était elle aussi ensevelie dans les ténèbres du couvent ; d’Angélique de Fontanges qui était morte « blessée à son service » ; de Catherine de Gramont, jeune princesse de Monaco, qui fut « frappée dans sa beauté par toutes les laideurs de l’orgie » ; se souvenir d’Anne de Rohant, la pétillante princesse de Soubise. « Une fois à la cour, sa beauté avait fait le reste. » Elle était déjà bien malade en 1707, mais elle fut encore, selon Saint-Simon qui ne l’aimait guère, « deux années à pourrir dans l’hôtel de Guise qu’elle avait acheté avec sa vertu ».

Se souvenir d’Athénaïs...

Mme de Maintenon, le croira-t-on ? pleura. « Les larmes la gagnèrent que, faute de meilleur asile, elle fut cacher sur sa chaise percée ; Mme la duchesse de Bourgogne qui l’y poursuivit en demeura sans parole d’étonnement{62} »

« La mort de Mme de Montespan ne m’a pas mise hors d’état de vous écrire, confie-t-elle aussi à la princesse des Ursins, mais il est vrai que j’y fus fort sensible, car cette personne-là n’a pu m’être indifférente en aucun temps de ma vie. »

Si la Maintenon versa quelques larmes, elle n’intervint pas pour que l’on autorisât Toulouse et ses deux soeurs à porter le deuil. Car un ordre venu d’en haut leur avait signifié que les signes extérieurs de douleur étaient interdits ! Le duc du Maine, de son côté, « eut quelques difficultés à celer sa joie de la mort de sa mère ».

Quant à Antin, il écrira, dans ses Mémoires :

— Je ressentis toute la douleur que l’amitié la plus tendre et la plus sincère peut faire ressentir en pareille occasion et je repartis sur l’heure pour me retirer quelque temps chez moi, à Bellegarde.

Mémoire... un peu courte ! Car s’il n’assiste pas aux obsèques de sa mère – et c’est Saint-Simon encore qui nous narre l’aventure, et il tient ce récit de son épouse qui était alors bourbonnaise – c’est parce qu’il s’en alla aussitôt qu’il eut mis la main sur le testament ! Car il craignait d’être défavorisé au profit de ses demi-frères et soeurs et de la domesticité. Le testament disparu, Antin restait, ab intestat, l’unique et magnifique héritier de Mme de Montespan.

Dans son Journal, Dangeau confirme ce geste sordide du courtisan. « Le duc d’Antin se signala par un exploit qui montre à nu la beauté de son âme. La nuit de la mort de la marquise on vit un cavalier descendre de sa monture à la porte de la maison qu’elle occupait, entrer brusquement dans la chambre mortuaire, saisir une clef que la morte portait à son cou, s’emparer d’une cassette enfermée dans le tiroir d’un meuble puis repartir en toute hâte pour Paris, sans avoir proféré une seule parole. Cet inconnu n’était autre que le duc d’Antin. On n’a jamais su quel mystère recelait cette cassette... »

Antin, donc, a quitté Bourbon sans distribuer aucun ordre. Une désertion ou une fuite ? Mme de Coeuvres est alitée. Elle n’a pas supporté que l’on ait laissé entendre qu’elle était responsable, un peu, de la mort de Mme de Montespan. Elle aurait donné trop de vomitif et « les efforts provoqués par ce remède furent si grands qu’une veine rompue, pendant la violence de ces efforts, fut cause de la mort ».

Ne restent que quelques servantes chargées des derniers soins.

« Les obsèques, dit Saint-Simon pour qui les préséances n’ont aucun secret, furent à la discrétion des moindres valets. »

Mais avant les funérailles, il fallait une autopsie, il fallait embaumer, et il fallait surtout respecter les volontés de la marquise défunte : elle avait en effet souhaité que son coeur aille au couvent de La Flèche{63} ses entrailles au prieuré de Sainte-Menoux{64}, son corps enfin devait trouver l’éternel repos en l’abbaye de Saint-Germain.

Hélas, le médicastre qui procéda au « fatal procès-verbal d’ouverture » était ignare ! « Ce corps, autrefois si parfait, devint la proie de la maladresse et de l’ignorance du chirurgien de la femme Legendre, intendant de Montauban, qui était venu prendre les eaux{65}. »

Un beau sujet de tragédie que cette fin de la marquise de Montespan ! Mais il y a de la tragi-comédie aussi, notamment lorsque les chanoines de la Sainte-Chapelle et les prêtres de la paroisse de Bourbon en sont venus à se frictionner la barrette, chacun revendiquant les restes mortels de la favorite et tirant la dépouille à soi !

Conséquence de cette rivalité, les obsèques furent misérables : « Un véritable combat s’était engagé entre les Capucins et le clergé séculier au moment d’entrer à l’église, la bière fut posée à terre et les portes fermées. Pour cette fois les prêtres l’auraient emporté sur les chanoines... mais l’église resta presque déserte jusqu’à la fin de la messe. »

Et Athénaïs y demeurera en dépôt jusqu’à ce qu’Antin prît une décision ! Ce texte, qui figurait dans les papiers paroissiaux de Bourbon-l’Archambault et qui est signé

« Pétillon, archiprêtre, curé de la ville d’eaux », nous montrera que le cadavre d’Athénaïs avait été ni plus ni moins déposé là... comme à la consigne ! « Aujourd’hui, 28 mai 1707, par moy, curé sous signé a esté apporté en cette église le corps de Mme Marie-Françoise de Rochechouart de Montespan, surintendante de la Reine, décédée en cette ville, le vendredy 27, après avoir reçu tous les sacrements et où elle repose jusqu’à ce qu’on en dispose autrement. »

Et un beau jour de juillet, en effet, Antin se souvint du corps de sa mère en souffrance à Bourbon-l’Archambault ! Il prit une décision : point d’inhumation à Saint-Germain comme elle l’avait désiré, non, il ne fallait pas que, morte, elle se rapprochât encore de Versailles ! La sépulture de Poitiers, dans l’église des Cordeliers où gisait déjà Diane de Grandseigne sa mère, conviendrait.

Athénaïs parvint donc à Poitiers le 3 août 1707 au soir et fut déposée, à la lueur des torches, dans « la chapelle de vermeil de l’église de céans ». Demain, on l’ensevelira sous le mausolée de marbre noir qui recouvrait le tombeau des Mortemart. Elle reposera donc au côté de sa mère, du maréchal de Vivonne, son frère, et de tant d’autres glorieux ancêtres ou parents inhumés là, dans le choeur des Cordeliers de Poitiers depuis 1595.

Une première alerte, en 1761, quand la voûte s’effondrera. Plus de peur que de mal, cette fois, la tombe d’Athénaïs ne fut pas trop meurtrie. Une deuxième, fatale, celle-là, trente ans après, le 2 septembre 1791, lorsque les révolutionnaires frappèrent. Il fallait se venger, il fallait se distraire, il fallait détruire. Il fallait du bronze pour les canons ! Le bronze des sculptures par exemple ! Il fallait du plomb pour les balles ! Pourquoi pas le plomb des cercueils ! Ainsi la tombe des Mortemart fut-elle saccagée quelques mois avant celle des rois de Saint-Denis.

Restait le marbre noir : il fut sauvé. Il voyagea jusqu’au château des Forges de Verrières, il y resta quelques décennies puis, il réintégra Poitiers. En assez piteux état, hélas. Mais, depuis 1924, à l’initiative de ce grand jésuite qu’était le père de La Croix, le mausolée sombre qui abritait la dépouille de la plus grande favorite du plus grand règne trône au centre de la cour du musée de Chièvres.

Du côté de Bourbon et de Sainte-Menoux, on racontait une histoire. Une histoire que La Baumelle, bibliothécaire du Roi, en 1771, et premier biographe de Mme de Maintenon, a consignée dans ses papiers. Une histoire horrible : le chirurgien que nous avons vu promenant un scalpel maladroit sur la chair d’Athénaïs avait déposé dans une urne les entrailles de la favorite et avait confié le récipient à un quelconque estafier pour qu’il le portât à l’abbaye de Sainte-Menoux puisque tel était le voeu de Mme de Montespan.

Las, le temps était à l’orage et le bonhomme fut probablement incommodé par l’odeur qui se dégageait de l’urne qui ne fermait sans doute pas hermétiquement. Aussi, intrigué, s’arrête-t-il sur le bord du chemin, dépose-t-il le vase à même le sol et en détache-t-il le couvercle. Horreur !

Et du bout du pied il poussa le tout dans le fossé. Quelques porcs y paissaient. On imagine la suite : les entrailles d’Athénaïs auraient donc fait le festin des cochons...

Quand cette sinistre anecdote se raconta à Versailles, Mme de Tencin gloussa :

— Des entrailles, est-ce qu’elle en avait ?

Louis XIV mourut huit ans plus tard, à Versailles, le 1er septembre 1715, « à huit heures et demie du matin, sans aucun effort, comme une chandelle qui s’éteint », écrit Dangeau.

Ce jour-là, on laissa défiler la foule devant le corps qui avait auparavant été « accommodé » par les officiers de la garde-robe. Jusqu’à huit heures du soir.

Dans quelle pièce fallait-il l’exposer pour que le Tout-Versailles, ou presque, pût, sans qu’il y ait trop de cohue, avancer à pas de tortue devant la dépouille mortelle ?

— Pourquoi pas dans la chambre contiguë à la salle du trône ? avait proposé le premier gentilhomme de la chambre.

— Pourquoi pas, oui ? Mais il faudrait y mettre un lit !

On en trouva un dans les combles du palais. On le descendit à la hâte, on y glissa le cadavre du Soleil et la procession put commencer.

Louis XIV resta là, pendant toute la journée, les mains jointes sur un crucifix, dans un lit bordé de chandeliers aux flammes vacillantes sous l’effet des courants d’air du château, sans que les prêtres qui psalmodiaient, sans que le cardinal de Rohan qui récitait le De profundis, sans que la famille royale qui faisait mine d’être effondrée et sans que Mme de Maintenon, figée dans la ruelle et enfouie sous ses mantilles noires, se fussent aperçus que cette couche était celle que le défunt avait si souvent fait grincer sous la fougue de ses étreintes amoureuses.

Il en restait d’ailleurs une trace !

Suspendu dans le haut du ciel-de-lit, il y avait en effet un portrait que l’on avait oublié de décrocher et qui figurait l’éclatante Athénaïs, la flamboyante Montespan dans toute la beauté du diable ! Athénaïs et son visage suave et malicieux, avec ses yeux moqueurs qui fixaient le roi mort.

Mais quel étonnant dernier tête-à-tête de douze heures entre ces amants qui s’étaient autant déchirés que désirés !