Que fait le Roi au début de l’année 1676 ? Mais que vouliez-vous qu’il fît ? La guerre : en Hollande encore, toujours en Hollande. Des plénipotentiaires se réunissent déjà à Nimègue, en février, mais il leur faudra des mois de palabres avant de commencer d’aborder la véritable discussion sur les conditions de paix. Et pendant tout ce temps, la guerre qui ne s’éteint pas. Elle ne s’éteindra pas avant deux ans, permettant ainsi à l’ingénieux Colbert de créer la « Caisse des emprunts », une sorte de caisse d’épargne qui procurera de l’argent frais à un taux tout à fait raisonnable.

1676 : Louis XIV a trente-huit ans. Il règne depuis vingt-cinq ans et gouverne depuis quinze, depuis la mort de Mazarin, c’est-à-dire l’année même de la mort du Grand Dauphin. Trente-cinq étés pour Athénaïs alors que l’aîné vivant – de ses enfants adultérins a vu le jour depuis six ans déjà. Il est aux mains d’une gouvernante qui n’est autre que Françoise d’Aubigné, veuve Scarron et récente marquise de Maintenon. En 1676, cette dernière avoue quarante printemps... ce qui laisse rire la Palatine à gorge déployée, elle qui sait trouver pour la Maintenon – sa bête noire – les qualificatifs les plus cinglants. Cela va en effet de « la vieille ratatinée » à « la vieille guenippe » ou encore « la vieille gueuse » voire « la vieille ordure » ou « la vieille ripopée » et parfois plus éloquemment « la vieille ».

Cette année-là, encore, le 15 janvier précisément, Claude Rouvroy, un vieux duc et pair de soixante-dix ans, marié (en secondes noces) à la jeune Charlotte de l’Aubespine, fête le premier anniversaire de son fils Louis : un enfant « malingre mais tendineux, minuscule mais brandi ». Et ce petit Louis est vidame de Chartres. Il sera bientôt duc de Saint-Simon. Gringalet, peut-être, mais dressé sur ses ergots, Saint-Simon était appelé à ne mourir qu’à quatre-vingts ans, « n’ayant guère connu qu’une maladie accidentelle en plus de la petite vérole obligatoire ».

Jamais notre mémorialiste n’égratignera Athénaïs alors qu’il prendra souvent – lui aussi – le malin plaisir d’étriller « la vieille » sans aucun ménagement : « L’abjection et la détresse où elle avait si longtemps vécu lui avaient rétréci l’esprit et avili le coeur et les sentiments. Elle pensait et sentait si fort en petit, en toutes choses, qu’elle était toujours en effet moins que Mme Scarron et qu’en tout et partout elle se retrouvait telle. Rien n’était si rebutant que cette bassesse jointe à une situation si radieuse... »

Quand l’on songe que c’est Athénaïs elle-même qui avait introduit la veuve du poète dans le personnel occulte de la Maison royale ! Pour veiller à l’éducation de la précieuse descendance du Roi. À une époque où il fallait encore que cette descendance fût gardée secrète, eu égard aux coups de sang de M. de Montespan. Il avait donc été nécessaire d’engager une personne digne de confiance, intelligente, cultivée, et d’un dévouement à toute épreuve, à la limite de la servilité. Ce qu’Athénaïs appréciait surtout en Mme Scarron c’était sa discrétion, son effacement et sa pauvreté. Et elle fera sa fortune, en l’engageant ; elle la portera au premier plan, elle introduira le loup dans la bergerie. Lors de la naissance du deuxième enfant de Louis et d’Athénaïs, la gouvernante obtiendra une maison, un bel hôtel, route de Vaugirard, où personne n’était autorisé à entrer, où la couvée semi-royale pouvait se développer en cachette... bien que personne n’ignorât son existence. À Vaugirard, la petite-fille d’historien et veuve de poète accomplissait toutes les tâches, jusqu’à celles du tapissier. On la vit parfois sur les échelles, le marteau en main, le clou entre les dents. Il ne fallait pas d’intrus. Si l’on demandait aux nourrices :

— Qui est la mère ?

Elles répondaient :

— La dame qui les soigne, son affection en dit assez.

— Et le père ?

— Oh ! Il se cache ; il faut que ce soit au moins un président !

Lorsque les enfants furent légitimés (en 1673), on sut officiellement que ce président était un roi. Aussi la gouvernante fut-elle appelée à la cour où Athénaïs lui fit attribuer un appartement, dans le château de Versailles. En 1674, elle obtiendra pour elle le domaine de Maintenon.

Et c’est le temps où, subitement, Mme de Montespan se met en tête de marier sa protégée... au duc de Brancas. Pour se débarrasser d’elle avec élégance ? Certains historiens ont embrassé cette idée, affirmant qu’elle sentait déjà poindre certain penchant du Roi pour la gouvernante de ses légitimés. Elle aurait donc songé à l’éloigner en usant d’un stratagème qui écartait d’elle tout soupçon de malveillance. Au contraire même : offrant une couronne ducale à Mme de Maintenon, elle affichait l’immensité de sa gratitude. Une chose est sûre, Athénaïs ne s’attendait nullement à essuyer un refus. Il vint pourtant et fut tout à fait catégorique : « C’est un assez malhonnête homme et fort gueux que ce M. de Villars-Brancas. Veuf de ses deux premières femmes, il ne possède d’autre mérite que son titre de duc. Il est une source de déplaisir et d’embarras où il serait imprudent de me jeter », expliqua-t-elle sans oublier d’ajouter, avec adresse : « Mais si je refuse, c’est surtout à cause de ma grande tendresse pour les princes que je ne saurais quitter. »

Et les deux dames se promirent alors de vivre en bonne amitié. En apparence d’amitié, faudrait-il dire, car si cette situation paraissait naturelle aux yeux du commun, elle ne trompa point la fine mouche qu’était Mme de Sévigné. «Je veux, ma bonne (écrit-elle alors à sa fille), vous faire voir un petit dessin de cartes qui vous surprendra : c’est que cette belle amitié de Mme de Montespan et de son amie est une véritable aversion... c’est une aigreur, c’est une antipathie, c’est du blanc, c’est du noir. Vous me demandez d’où vient cela ? C’est que l’amie est d’un orgueil qui la rend révoltée contre les ordres de l’autre. Elle veut bien être au père, mais pas à la mère ! »

Autrefois, se gausse Saint-Simon, Mme Scarron a « fort rôti le balai ». Ce qui signifie en termes choisis que ses moeurs n’ont pas toujours été irréprochables. Il est vrai que son défunt mari avait su la pervertir. Il n’était pas infirme quand il s’agissait de fournir le balai et d’attiser la braise ! Aujourd’hui, elle se confond en dévotion et ne rêve que d’une chose : la conversion du Roi. Mais elle est complexe, la Maintenon, et il est psychologiquement évident qu’au-dessous de ses sentiments religieux se dissimulaient encore quelques souvenirs de sa galanterie ancienne. Si elle ne fut pas une intrigante délibérée, elle était un peu nitouche... mais bien loin d’être une sainte !

Ainsi donc se sent-elle désormais investie d’une haute responsabilité spirituelle : celle d’être, à la cour, l’occulte représentante des volontés de l’Église. L’Église qui n’a jamais pu considérer sans horreur le triomphe de Mme de Montespan, le triomphe public dû au double adultère.

Par deux fois, déjà, Bourdaloue prêchant le carême n’avait pas hésité à rappeler au monarque qu’il existait un pouvoir supérieur au sien, des devoirs sacrés auxquels il devait se soumettre. Le jour de Pâques, en la chapelle Saint-Germain, devant toute la cour recueillie, devant Marie-Thérèse, devant le Roi, devant Athénaïs, n’avait-il pas osé cette apostrophe ? « Combien de conversions, Sire, votre exemple n’entraînerait-il pas ! Quel attrait ne serait-ce pas pour certains pécheurs découragés et tombés dans le désespoir, lorsqu’ils se diraient à eux-mêmes : voilà cet homme que nous avons vu dans les mêmes débauches que nous, le voilà converti et soumis à Dieu ! »

Quelle audace ! Mais non, Louis Bourdaloue ne craignait rien puisqu’il n’était, soupirait-il, que l’interprète de la loi divine, l’intermédiaire entre le Roi et celui qui donne au Roi lui-même « de grandes et terribles leçons ». Et, malgré le caractère divin du sacre, d’un mot lancé en chaire, il pouvait abaisser celui qui avait reçu les neuf onctions à l’huile de la Sainte Ampoule au simple rang des hommes, au triste rang des débauchés. Et le prédicateur n’avait pas laissé le choix : une seule solution, la rupture. Le scandale devait prendre fin. De son côté, en privé, Bossuet surenchérissait. À l’un, il murmura : « Sire, l’éloignement s’impose ! » Et Louis XIV fut ébranlé. À l’autre, il ordonna : « Madame, il faut cesser. » Et Athénaïs s’empourpra.

Il faut découvrir, dans le journal rédigé par le secrétaire du prélat, ce que fut la réaction de la favorite : « Elle l’accabla de reproches ; elle lui dit que son propre orgueil le poussait à la faire chasser, parce qu’il voulait seul se rendre maître de l’esprit du Roi. Puis, toute cette colère s’étant un peu calmée, elle chercha à le gagner par des flatteries et des promesses, en faisant briller à ses yeux les premières dignités de l’Église et de l’État. »

On peut croire ce témoin, car Athénaïs était tout à fait capable de telles manigances. Elle était amoureuse, elle était adulée, elle régnait : autant de bonnes raisons pour défendre chèrement ses avantages acquis !

— Au jeudi de la Semaine Sainte, l’abbé Lécuyer, un humble prêtre de Versailles, ne vous a-t-il pas déjà refusé l’absolution ? Et ne fut-il pas en cela approuvé par le père Thibaut, son curé ? insista Bossuet.

Trop c’est trop. Athénaïs bondit chez son amant. Elle vocifère, elle se plaint, rien n’y fait. Car on a réussi à l’inquiéter, à le désespérer, à l’abattre. « Une séparation entière, absolue, est une disposition indispensable pour être admis à la participation des sacrements », lui avait dit l’Aigle de Meaux. Il avait su peindre, aussi, les flammes entrevues par la porte de l’enfer, cette porte qui s’ouvrait pour tous, même pour les Majestés !

Athénaïs est effondrée.

— Mais, Madame, confia-t-elle alors à la duchesse d’Uzès, quand on fait un péché, est-ce une raison pour commettre tous les autres ?

Et elle quitte Saint-Germain pour aller s’abriter, rue de Vaugirard (elle aussi), dans une petite maison qui lui appartenait.

On imagine ses cris, ses colères, ses larmes, sa prostration, toutes ces réactions qui n’échapperont pas à Mme de Maintenon, qui a dans la place une jeune femme de chambre à sa solde. Ses confidences écrites à ce sujet confirment cet espionnage : « La petite me mande que sa maîtresse est dans des rages inexprimables. Elle n’a vu personne depuis deux jours. Elle écrit du matin au soir, et, se couchant, déchire tout. Son état me fait pitié. Personne ne la plaint quoiqu’elle ait fait du bien à beaucoup de gens. Nous verrons si le Roi partira pour les Flandres sans lui dire adieu. »

Dans le même temps elle confiait encore au papier : «Je vis le Roi hier... il me semble que je lui parlai en chrétienne et en véritable amie de Mme de Montespan. » Nous savons, grâce à Mme de Sévigné, le sens qu’il faut donner à cette véritable amitié !

La maison de la rue de Vaugirard étant trop inconfortable, Athénaïs décida de se retirer à Clagny, où Louis XIV, avant de partir pour les Flandres, lui rendit deux visites. Deux visites officielles et publiques. Deux entrevues toutes froides et... un adieu. La rupture paraissait donc consommée. La calotte semblait l’emporter. Il n’y eut encore que notre précieuse Sévigné pour pressentir que l’adieu du Roi-Soleil à Athénaïs n’était qu’un au revoir. « Je ne doute point que l’amour ne soit égal à ce qu’il était et que toute la différence n’aille qu’à plus de mystère, ce qui le fera durer plus longtemps... »

Au vrai, Madeleine de Scudéry, aussi, avait flairé l’affaire. « Le Roi et Mme de Montespan se sont quittés... purement par principe de religion. On dit qu’elle retournera à la cour sans être logée au château et sans voir jamais le Roi que chez la Reine. J’en doute, ou du moins que cela puisse durer ainsi, car il y aurait danger que l’amour ne reprît le dessus. »

De son côté Bossuet exulte. Mais il ne le montre pas. La partie n’est peut-être pas définitivement gagnée, songe-t-il. Aussi le voit-on inonder le Roi (en Flandre) d’épîtres dans lesquelles il exhorte, il admoneste, il encourage, dans lesquelles il parle abondamment, trop abondamment, des larmes qu’un tel adultère lui fait verser : « Mes inquiétudes pour votre salut redoublent de jour en jour parce que je vois tous les jours de plus en plus quels sont vos périls... tant que les ministres de vos passions seront plus puissants que vos ministres d’État, vos passions troubleront l’État. »

Grand théologien mais petit psychologue, il ne comprend rien aux secrets mouvements du coeur ; pour les pénétrer il faut avoir soi-même vécu et n’avoir pas aimé que Dieu !

Et ce qui devait arriver arriva. Nos amants retombèrent dans le péché de David ! À son retour des Flandres, exalté sans doute par ses victoires, Louis XIV revit en effet avec un plaisir à peine dissimulé l’altière Athénaïs à laquelle il était censé ne plus témoigner qu’une immense amitié. A priori, l’entrevue devait être solennelle. On l’avait d’ailleurs soigneusement réglée : « Pour ne pas donner à la médisance le moindre sujet de mordre, on avait convenu que des dames respectables seraient présentes et que le Roi verrait Mme de Montespan en leur compagnie », nous confie Mme de Caylus.

Athénaïs se présente comme une jeune vierge rougissante et timide. Louis l’attend, gravement entouré de ses duègnes. Il commence de lui parler dans le style de Bossuet, mais sa maîtresse l’interrompt :

Il est inutile de faire un sermon.

Elle a compris que son temps n’est plus. « Elle qui ne pleurait jamais sut trouver, ce jour-là, l’éloquence des larmes. » Et c’est ainsi que Bourdaloue, La Chaise, Bossuet et les autres perdirent la partie.

« Insensiblement le Roi attira Mme de Montespan dans l’embrasure d’une fenêtre, a noté la curieuse Mme de Caylus, ils se parlèrent bas assez longtemps et se dirent ce qu’on a accoutumé de se dire en pareil cas.

Vous êtes fou !

Oui, répondit-il, en la dévorant des yeux, oui, je suis fou puisque je t’aime toujours !

« ... Et ils firent ensuite une profonde révérence à ces respectables matrones et... passèrent dans une chambre. »

Nul doute qu’avant de passer dans ladite chambre, la belle marquise dut relever la tête et toiser du regard du vainqueur l’assemblée des sermonneurs ébahis. Elle se vengeait là de son quart d’heure d’humiliation.

... Ils passèrent dans une chambre, sourit Mme de Caylus... et il en advint Mlle de Blois ! Celle qui, plus tard, épousera le Régent !

« Je savais bien que M. l’évêque de Meaux jouerait dans cette affaire un personnage de dupe. Il a beaucoup d’esprit mais il n’a pas celui de cour », pesta Mme de Maintenon. Et elle ajouta, grinçant des dents : « Avec tout son zèle il voulait les convertir mais il les a rapprochés ! »

Il ne lui restait plus – bien que ne s’avouant pas vaincue – qu’à s’en retourner auprès de ses petits princes. Qui avaient bien besoin de ses soins, d’ailleurs. Ils étaient alors au nombre de quatre. La première fillette était morte en 1672 parce que son sang « était pauvre et vicié » ; survivaient donc Louis-Auguste, duc du Maine, le préféré, celui à propos duquel Mme de Maintenon disait : « Rien n’est si sot d’aimer avec cet excès un enfant qui n’est pas de soi » ; Maine dont les jambes étaient étrangement atrophiées. Restaient aussi Louis-César, le comte du Vexin, dont les épaules étaient bossues ; Louise-Françoise, alias Mlle de Nantes, qui boitait bas et Louise-Marie-Anne, la petite demoiselle de Tours, qui louchait horriblement. On sait que deux autres enfants naîtront encore de cette passion effrénée : une fille prénommée Françoise-Marie, dite Mlle de Blois, celle qui fut conçue, ou presque, dans l’embrasure de la fenêtre et qui aura à sa défaveur « un parler si lent et embarrassé qu’il en écorchait les oreilles » ; et un dernier fils, Louis-Alexandre, comte de Toulouse, qui verra le jour en un temps où la rupture de ses parents semblait consommée. Lui seul parut obtenir le pardon de Dieu et échapper à la malédiction générale qui avait frappé les fruits du Roi-Soleil et de la perle des Mortemart. Toulouse, l’arrière-grand-père de Louis-Philippe, ne souffrait en effet d’aucune lésion !

Mme de Caylus a parfois écrit qu’Athénaïs ne débordait pas d’affection pour sa progéniture. Quand le premier rejeton mourut, par exemple, elle nous affirme que Mme de Maintenon en fut touchée « comme une mère tendre et beaucoup plus que la véritable ». Méfions-nous pourtant de cette mémorialiste qui n’est pas toujours encline à l’objectivité. Petite-fille d’Artémise d’Aubigné, elle cousinait donc avec la gouvernante : ceci peut expliquer cela. Car il serait injuste d’ignorer la fibre maternelle de la favorite. En juin (1675) par exemple, le jeune Vexin « qui ne vécut que pour faire voir par ses infirmités qu’il était heureux de mourir », tombe un peu plus malade qu’à son habitude. Il ne peut plus souffrir le jour. Athénaïs, elle, ne supporte pas l’obscurité. Qu’à cela ne tienne, elle va se malmener, elle ne quittera pas le chevet du petit grabataire. « Pendant six jours et six nuits je suis restée comme dans un four, sans m’en apercevoir », confia-t-elle à la duchesse de Noailles. Jusqu’à ce que la santé fragile de Louis-César, malgré les remèdes, puisse s’améliorer un tantinet. «J’ai ouï dire qu’on lui avait fait treize cautères le long de l’épine du dos », s’horrifie Mme de Caylus.

Le duc du Maine, que l’on surnommera d’abord « le petit mignon » et qui deviendra plus tard « le gambillart », n’était pas très fringant lui non plus. « Ce prince était né droit et bien fait et le fut jusqu’à l’âge de trois ans, que les grosses dents lui percèrent, en lui causant des convulsions si terribles qu’une de ses jambes se retira beaucoup plus que l’autre. On essaya en vain tous les remèdes de la Faculté de Paris, après lesquels on le mena à Anvers pour le faire voir à un homme dont on vantait le savoir et les remèdes ; mais comme on ne voulut pas que M. du Maine fût connu pour ce qu’il était, Mme de Maintenon fit ce voyage sous le nom supposé d’une femme de condition du Poitou qui menait son fils à cet empirique, dont les remèdes étaient apparemment bien violents puisqu’ils allongèrent cette malheureuse jambe beaucoup plus que l’autre, sans la fortifier ; et les douleurs extrêmes que M. du Maine souffrit ne servirent qu’à lui faire traîner, comme nous voyons. Malgré ce mauvais succès, il ne laissa pas de faire encore deux voyages à Barèges, aussi inutilement que le reste. » (Mme de Caylus.)

Et pendant que Mme de Maintenon voyage à Barèges avec l’enfant boiteux, Athénaïs se rend pompeusement à Bourbon. Sa seule manière de voyager proclamait en effet sa royauté recouvrée. Mme de Sévigné qui parcourait (quelle chance !) la même route dans son « grand carrosse » en est le meilleur témoin : « Nous suivons les pas de Mme de Montespan ; nous nous faisons conter partout ce qu’elle dit, ce qu’elle fait, ce qu’elle mange, ce qu’elle dort. Elle est avec la petite Thianges, dans un carrosse à six chevaux. Elle a un carrosse derrière, attelé de même, avec six femmes : elle a deux fourgons, six mulets et dix ou douze hommes à cheval, sans ses officiers ; son train est de quarante-cinq personnes. Elle trouve sa chambre et son lit tout prêts, elle se couche en arrivant, et mange très bien... On vient lui demander des charités pour les églises et pour les pauvres ; elle donne partout beaucoup d’argent et de fort bonne grâce. Elle a tous les jours du monde un courrier de l’armée... »

Tous les jours un courrier de l’armée ! C’est-à-dire un message quotidien du Roi, au pis aller un pli qui apporte de ses nouvelles, puisque Sa Majesté était alors en campagne. C’est peu dire que Louis XIV est toujours sous le charme !

En juillet, Athénaïs est de retour à Versailles.

16 juillet 1676, 6 heures du soir. À Paris, un tombereau roule lentement vers la place de Grève. Sur cette place, noire de monde, un échafaud. Sur l’échafaud, le bourreau Guillaume. Le tombereau arrive. À son bord, une condamnée de quarante-six ans. On la descend. Guillaume lui bande les yeux. Du revers de sa manche il s’essuie le front où perle la sueur. « La condamnée tenait la tête fort droite, le bourreau la lui avala d’un seul coup qui trancha si net qu’elle fut un moment sur le tronc sans tomber. Je fus même un instant en peine, poursuit l’abbé Pirot à qui nous devons cette relation, croyant qu’il avait manqué son coup et qu’il faudrait frapper une seconde fois. »

— Monsieur, dit le bourreau, n’est-ce pas un beau coup ?

Et, débouchant une bouteille, il engloutit une bonne rasade de vin.

Le corps, ensuite, fut porté sur le bûcher. Les flammes le consumèrent, puis les cendres furent dispersées.

Ces cendres étaient celles de la marquise de Brinvilliers qui avait empoisonné père, frères et soeur.

« Toute cette cendre au vent, nous la respirerons anticipe Mme de Sévigné (incorrigible curieuse, venue assister à l’exécution, du haut de la fenêtre de l’une des maisons du pont Notre-Dame) et par la communication des petits esprits il nous prendra bien quelque humeur empoisonnante dont nous serons tous étonnés ! »

Elle ne croyait pas si bien dire.

Étonné, on ne manquera pas de l’être !