Il se produisit à Versailles, à la fin de l’année 1680, un événement fort divertissant. C’est en lisant une lettre adressée par le père Quesnel{38} à son ami Antoine Arnauld{39} que nous en aurons le détail :

« Mme de Montespan a deux ours qui vont et viennent comme bon leur semble. Ils ont passé une nuit dans un magnifique appartement que l’on a fait à Mlle de Fontanges. Les peintres, en sortant le soir, n’avaient pas songé à fermer les portes ; ceux qui ont soin de cet appartement avaient eu autant de négligence que les peintres ; ainsi, les ours, trouvant les portes ouvertes, entrèrent, et, toute la nuit, gâtèrent tout. Le lendemain, on dit que les ours avaient vengé leur maîtresse ! Ceux qui devaient fermer l’appartement furent grondés, mais de telle sorte qu’ils résolurent bien de fermer la porte de bonne heure. Cependant, comme on parlait fort des dégâts des ours, quantité de gens allèrent dans l’appartement voir tout ce désordre. MM. Despréaux et Racine y allèrent aussi vers le soir, et, entrant de chambre en chambre, enfoncés ou dans leur curiosité ou dans leur douce conversation, ils ne prirent pas garde qu’on fermait les premières chambres ; de sorte que, quand ils voulurent sortir, ils ne le purent. Ils crièrent par les fenêtres, mais on ne les entendait point. Et les deux poètes firent bivouac où les deux ours l’avaient fait la nuit précédente, et eurent le loisir de songer ou à leur poésie ou à leur histoire future... »

Naturellement, les historiographes se sont bien gardés d’écrire le plus petit mot de cet épisode burlesque qui les avait ridiculisés.

En saccageant et en souillant l’appartement de la Fontanges, les ours d’Athénaïs vengeaient leur maîtresse, rapporte Quesnel. Il est vrai que pendant quelque temps, Marie-Angélique de Scoraille de Roussille de Fontanges – dix-neuf ans en 1680 – a sérieusement menacé l’empire de Mme de Montespan. « Elle est d’une beauté singulière ; elle paraît à la tribune de la chapelle comme une divinité, Mme de Montespan de l’autre côté, autre divinité. » Les sermons de Bossuet n’ont donc servi de rien. Le Roi continue d’adorer les déesses.

En avril 1679, Athénaïs avait été nommée chef du conseil et surintendante de la Maison de la Reine. En même temps, elle avait été autorisée à prendre le rang de duchesse... Un an plus tard, la belle Angélique était duchesse elle aussi, et avec 20 000 écus de pension. « Duchesse sans constitution régulière de duché, sans même un brevet », note Mme de Sévigné. Le Roi, sans doute, voulait la consoler : elle venait de mettre au monde une fille qui n’avait pas eu le temps de vivre. La jeune maman ne s’en remettra pas, d’ailleurs. Elle avait été « blessée dans le service » ! Et elle languira, dépérira, s’étiolera, traînera sa douleur de couvent en abbaye, de nonne en converse... Le Roi, qui a horreur des souffrances des autres, des gémissements et des larmes, se détachera d’elle. Et puis, détail horrible, elle est « incommodée d’une perte de sang très opiniâtre et très désobligeante ». Les uns prétendent qu’il s’agit d’une « rupture d’intestins », les autres, on l’a vu, murmurent que les poisons ne sont peut-être pas étrangers à l’affaire.

Elle se repose quelques jours en l’abbaye de Chelles, sa soeur vient d’y être nommée abbesse. On raconte, à ce propos, que la cérémonie du sacre fut grandiose, si belle qu’une femme se serait écriée :

N’est-ce pas ici le paradis ?

Ah non, Madame, lui aurait répondu un mécréant, il n’y aurait pas tant d’évêques !

À Chelles, nouvelle hémorragie. On la transporte à Port-Royal. Le samedi 28 juin, à 1 heure de relevé, elle y meurt. Le Roi était venu la visiter la veille. Il avait, ce jour-là, confié au duc de Noailles :

Si vous pouvez éviter de faire ouvrir le corps, je crois que c’est le meilleur parti.

On l’ouvrit cependant. Six médecins se pencheront alors sur les entrailles d’Angélique et le commissaire Delamarre-Diafoirus rédigera un impérissable « fatal procès-verbal d’ouverture » : « Hydropisie de la poitrine contenant plus de trois pintes d’eau avec beaucoup de matières purulentes dans les lobes droits du poumon... Le coeur est un peu flétri... le foie d’une grandeur démesurée... la matrice et la vessie très saines et très naturelles... La cause de la mort de la dame doit être attribuée à la pourriture totale des lobes droits du poumon, qui s’est faite ensuite de l’altération et intempérie chaude et sèche de son foie qui, ayant fait une grande quantité de sang bilieux et âcre, lui avait causé les pertes qui ont précédé. »

Mort naturelle donc, n’en déplaise à la Palatine qui soutiendra toujours que Mlle de Fontanges – sa fille d’honneur – avait été expédiée ad patres par l’ingestion d’un bol de lait apporté par un domestique stipendié par Athénaïs. « Il courut beaucoup de bruits sur cette mort, au désavantage de Mme de Montespan, note de son côté Mme de Caylus, mais je suis convaincue qu’ils étaient sans fondement ! »

1681 : Mlle de Fontanges est morte : elle avait à peine vingt ans. Athénaïs est devenue quadragénaire. Mme de Maintenon est dans sa quarante-septième année. Et c’est à quarante-sept ans qu’elle succombe : elle devient la maîtresse du Roi. « Cette dame de Maintenon, ou de maintenant, passe tous les soirs depuis huit heures jusqu’à dix heures avec Sa Majesté », observe Mme de Sévigné. 1681 : le corps d’Athénaïs commence de s’alourdir : neuf maternités et trop de sucreries. Et ce corps, le Roi le connaît trop bien, aussi va-t-il lui préférer celui de la veuve « mystérieuse et réservée ». Quant à la reine Marie-Thérèse – qui vit ses deux dernières années – elle est plus effacée, plus terne que jamais. Elle se permettra simplement cette réflexion, en apprenant qu’Athénaïs vient d’être nommée surintendante de sa maison en place de l’empoisonneuse Olympe de Soissons-Mancini :

— Mon destin est donc d’être servie par toutes les maîtresses du Roi !

Cette année-là verra aussi l’insolent Lauzun recouvrer sa liberté. Il avait connu onze années de Pignerol, cette citadelle où croupissait Foucquet (trop insolent, lui aussi). Onze années durant lesquelles il avait été privé de toute nouvelle, d’encre, de papier, réduit à lui-même dans un donjon où le jour n’arrivait que par la cheminée. Onze années durant lesquelles la Grande Mademoiselle, flétrie, lui était demeurée fidèle. « Sans aucun mérite, chuchotaient les mauvaises langues de Versailles, car vraiment personne n’aurait pu en vouloir à sa vieille vertu ! »

La captivité du bouillant Lauzun s’achève d’étrange manière. Le 12 avril, le Roi-Soleil charge un sous-lieutenant de sa 1re compagnie de mousquetaires d’aller le chercher à Pignerol et de le conduire à Bourbon-l’Archambault où il doit rencontrer Mme de Montespan. Elle fréquentait déjà Bourbon. Elle y viendra plus souvent, ensuite. Elle y mourra, même.

On pourrait croire que l’entrevue Montespan-Lauzun fut une partie de bras de fer. Ces deux forts caractères ne s’étaient pas affrontés depuis plus d’une décennie et l’histoire a toujours prétendu qu’Athénaïs était un peu responsable de l’emprisonnement de « l’insolent petit homme ». Un tête-à-tête au cours duquel la favorite ne serait pas allée par quatre chemins :

— Monsieur, votre liberté à condition que vous renonciez à la donation que Mademoiselle veut vous faire, du comté d’Eu, du duché d’Aumale et de la principauté de Bombes. Votre liberté si vous cédez ces terres à mon fils, le duc du Maine.

Il faut convenir que pour le jeune Louis-Auguste, petit duc du Maine de onze ans, c’eût été un bon départ dans la vie. Mais Lauzun refusa. Avec indignation. Et il fut enfermé au château de Chalon-sur-Saône. Quelques mois plus tard, il finira pourtant par céder. Il renoncera aux biens immenses que Mlle de Montpensier lui avait donnés en vue de leur mariage.

Cette version de l’histoire, au vu de quelques documents restés inédits jusqu’à ce jour, ne semble plus crédible. Elle est celle des détracteurs d’Athénaïs. Autrefois, ils l’allongeaient nue sur les autels malsains de Guibourg, aujourd’hui ils en font un rapace. Une très belle lettre que la maison Charavay-Castaing nous a autorisé à publier prouve que leur jugement est erroné. Cette lettre est datée de Saint-Germain, le 11 janvier 1683 ; à cette époque le marquis n’est pas encore de retour à la cour, mais il est autorisé à séjourner, à son gré, dans quelques villes de province : soit à Nevers, soit à Amboise ou à Tours ou encore à Bourges.

Lauzun a écrit à Athénaïs pour qu’elle accélère le processus de son retour en grâce. C’est un signe : lui aurait-il accordé sa confiance si elle avait déjà tenté de le poignarder dans le dos ? Réponse de Mme de Montespan : « Je vous assure, Monsieur, que je ne m’en tiens pas à la pitié sur ce qui vous regarde et que je suis dans une attention continuelle sur tout ce qui pourrait être bon pour vous, mais les choses ne vont pas si vite que l’on voudrait ni de la manière que l’on vous les a dites... Mme de Maintenon n’a plus besoin de secours et je ne comprends pas ce que Mademoiselle a pensé quand elle vous a mandé qu’elle souhaiterait un raccommodement, car je lui fais des avances continuelles et des civilités auxquelles elle ne répond point du tout et vous devez croire que je n’aurais pas négligé une si bonne voie si j’avais trouvé occasion de m’en servir. Je crois même vous en avoir donné une marque certaine en portant Mademoiselle à lui faire toutes les amitiés qu’elle fait et s’il se peut, quelque chose de plus. Mais la cour est présentement d’une manière différente de ce que vous l’avez vue. On songe peu à céder les uns aux autres, on craint fort de perdre ses avantages en les communiquant. Cela fait que l’on vit renfermé et fort éloigné de tout commerce. Ainsi je crois qu’il s’en faut tenir à vos premières pensées, attendre tout des soins de M. Colbert qui continue à montrer pour vous les mêmes sentiments, et de la bonté du Roi... Ne cessez pas, je vous prie, de me communiquer les vues que vous aurez sur vos affaires... car, dans l’envie que j’ai de vous servir, tous les expédients me feront plaisir. J’oubliais de vous parler des soupçons que l’on veut donner sur mes desseins. Vous me connaissez trop pour vous y arrêter. Je n’ai que trop montré le peu d’attache que j’ai aux biens, et je me trouve si peu d’intérêt personnel dans tout celui que Mademoiselle a fait à M. du Maine pour pouvoir soupçonner que j’en cherche de nouveau.

Vous savez, vous, que je n’ai fait aucune démarche pour attirer ce qui est venu et je crois même que si l’on m’avait montré les choses comme elles étaient, l’affaire ne se serait pas faite car je n’aurais jamais consenti à vous ôter un bien.]e me serais contentée de la bonne volonté. Mais, comme il n’est pas temps de reparler d’une chose faite que pour en tirer le meilleur parti, je vous assure que je suis plus pressée par la reconnaissance que je n’aurais été par le désir. Vos intérêts me tiennent si fort au coeur... »

Etonnant ! Voilà donc une autre légende qui semble s’effondrer. Celle qui voulait qu’Athénaïs ait tondu la laine sur le dos du célèbre cadet de Gascogne, celle qui en faisait, ni plus ni moins, un maître-chanteur. Car cette lettre n’est évidemment pas hypocrite. Oui, les intérêts de Lauzun lui tenaient à coeur ; la preuve c’est qu’il ne tardera pas, à la demande expresse de Mme de Montespan, à être inscrit pour 285 000 livres sur l’état des dépenses secrètes, à retrouver sa pension de 6 000 livres, sans compter les arriérés, soit onze ans de Pignerol qui lui seront intégralement versés !

« Vous irez trouver Mme de Montespan, écrit le Roi-Soleil à Colbert, et après lui avoir donné la lettre que je vous envoie pour elle, vous lui expliquerez en termes honnêtes que je reçois toujours les marques de son amitié et de sa confiance avec plaisir et que je suis très fâché quand je ne saurais faire ce qu’elle désire et que je crois bien lui avoir montré assez le plaisir que j’ai à lui en faire en accordant à Lauzun ce que je viens de lui accorder. »

La véritable réhabilitation de Lauzun, cependant, n’interviendra qu’au mois de mai 1692. Mais alors quelle réhabilitation ! Louis XIV le créera duc à la considération de la reine d’Angleterre et signera le brevet après avoir notifié : « Pour satisfaire son inclination de l’élever aux dignités convenables à sa naissance et à ses services. »

Athénaïs avait donc eu pleinement raison d’expliquer à la Grande Mademoiselle, qui se désolait de la triste condition de son « mari », qu’à la cour, « il faut toujours prendre patience, tout vient l’un après l’autre ».

... Il n’empêche que le jeune duc du Maine – treize ans en 1683 ! hérita une partie de l’immense patrimoine de Mlle de Montpensier et notamment le comté d’Eu et le duché d’Aumale... les deux jolis fiefs qui avaient été, jadis, promis au turbulent Lauzun.

C’est à la fin du mois de septembre de l’an 1681 qu’eurent lieu, à Bourbon-l’Archambault, les retrouvailles d’Athénaïs et de Lauzun. Fin septembre... Mme de Montespan arriva donc trop tard pour fermer les yeux de sa fille, Mlle de Tours, cinquième enfant qu’elle avait eu du roi Louis. Louise-Marie-Anne était en effet morte à Bourbon-l’Archambault, le 15 septembre 1681. Elle était à peine âgée de sept ans. On ignore le mal qui l’emporta, mais cela n’est pas surprenant. Ce qui ne manque pas d’être étonnant, c’est que l’on enregistre son décès au soir du 15 septembre et que, dès le 16 au matin, à Fontainebleau, Louis XIV écrivait cette lettre aux prieurs de Souvigny{40} : « Chers et bien amis, comme nous venons d’apprendre que notre très chère fille est décédée et que nous désirons qu’elle soit enterrée dans le tombeau de la maison de Bourbon, qui est dans l’église de votre abbaye, nous vous faisons cette lettre pour vous mander et ordonner très expressément que vous avez à recevoir sans difficulté le corps de notre dite fille et à le mettre dans le dit tombeau de la maison de Bourbon, ainsi qu’il est de notre intention, car tel est notre plaisir. »

Une constatation s’impose : puisque Mlle de Tours meurt à Bourbon (aujourd’hui dans l’Allier) le 15 septembre au soir et que le Roi est informé de ce décès dès le lendemain à Fontainebleau (Seine-et-Marne actuelle), si ces dates retenues par l’Histoire ne sont pas erronées, les coureurs de postes ont dû épuiser plus d’une monture !

Louise-Marie-Anne fut enterrée à Souvigny dans la nuit du 20 septembre. Son petit corps fut transporté dans un carrosse que suivait la noblesse du cru, les officiers de la garnison de Moulins, le marquis de Lévis, lieutenant de province et l’intendant, le chevalier André Jubert, marquis de Bizy et de Clère-Panilleuse, seigneur de Bouville, gouverneur des ville et château de Vernon, et allié à Colbert dont il avait épousé une nièce{41}. Une correspondance rédigée le 3 octobre 1681 par le ministre à M. de Bouville, intendant à Moulins – document qui concerne précisément la maladie de Mlle de Tours – nous en dira plus sur l’intimité qui existait entre les deux parents : « Avant de répondre à votre texte du 23 du mois passé, je dois vous dire que Mme de Montespan s’est beaucoup louée, à Fontainebleau, de l’assistance que vous lui avez rendue et de l’exécution prompte et ponctuelle de tout ce qu’elle a désiré de vous. Faites travailler vivement à l’exécution des ordres qu’elle vous a donnés et je pourvoirai à vous faire remettre les sommes que le Roi lui a accordées pour cette dépense{42} aussitôt que les ouvrages seront commencés et que vous m’aurez fait savoir les fonds qu’il faudra pour continuer. Vous devez sans difficulté faire arrêter par ma nièce toutes les parties des marchands qui ont fourni sur les ordres de Mme de Montespan et en m’envoyant un mémoire de ce à quoi monteront ces parties je vous ferai remettre les fonds nécessaires pour les faire payer. »

Louise-Marie-Anne, raconte Daniel de La Motte Rouge pour qui l’histoire du Bourbonnais n’a guère de secret, fut mise dans une petite caisse en plomb. Dessus, cette inscription : « Louise-Marie-Anne de Bourbon, fille de Louis le quatorzième, morte en 1681. » On enveloppa ses cheveux dans une toile cirée et on lui mit des bandelettes. Elle repose dans le deuxième caveau à côté du duc Charles Ier, mort en 1456, de sa femme, Agnès de Bourgogne, d’Anne de Beaujeu et de Suzanne, respectivement fille et petite-fille de Louis XI, et plus récemment du prince Sixte de Bourbon-Parme mort en 1934.

Bourbon-l’Archambault : Athénaïs s’y était rendue, la première fois, en 1676. Aujourd’hui, automne 1681, elle y revient, elle y reviendra souvent{43}.

Quarante et un ans, au XVIIe siècle, c’est l’automne. Et Mme de Montespan supporte mal cette saison. Elle s’alourdit. Elle s’épaissit et se plaint de « fréquents maux de tête accompagnés de vapeurs qui la dérangent un peu et lui donnent bien de l’inquiétude ». Elle s’empâte. Selon Primi Visconti, mauvaise langue italienne qui exagère toujours un peu son propos, la favorite avait pris alors tant d’embonpoint que, l’apercevant un jour descendre de son carrosse, « il put voir une de ses jambes qui était presque aussi grosse que lui ! »

Bourbon avait alors la réputation de pouvoir guérir bien des maux. Ses eaux étaient « les plus visitées et les plus fréquentées de France ». La goutte que Gaston d’Orléans avait pu y guérir n’était pas étrangère à ce succès. En revanche, le cul-de-jatte Scarron, qui y vint par deux fois, ne quitta pas la ville en trottant comme un chat maigre ! Corneille y soigna une pneumonie, sans succès. Boileau y suivit une cure de vingt et un jours pour tenter de venir à bout d’une aphonie chronique qui le désolait : « J’ai été saigné, purgé et ne manque aucune des formalités prétendues nécessaires pour prendre des bains, écrit-il alors à son collègue et complice l’historiographe Jean Racine. La médecine que j’ai prise aujourd’hui m’a fait, à ce que l’on dit, tous les biens du monde car elle m’a fait tomber quatre ou cinq fois en faiblesse et m’a mis en un tel état qu’à peine je puis me soutenir. Il s’agit de prendre douze verrées qu’il coûte plus encore à rendre qu’à avaler et qui vous laissent tout étourdi le reste du jour sans qu’il soit possible de sommeiller un moment. »

Mais Boileau admettra quand même, au terme de sa cure, que l’effet Bourbon n’était pas totalement négatif : « J’ai donc tenté l’aventure du demi-bain (il s’agit de s’immerger jusqu’à la ceinture) avec toute l’audace imaginable, confie-t-il encore à Racine ; mes valets faisaient lire leur frayeur sur leur visage et certains s’étaient retirés pour ne pas être témoins d’une entreprise si téméraire. À vous dire vrai, cette aventure a été un peu semblable à celle des maillotins dans Don Quichotte, je veux dire qu’après bien des alarmes, il s’est trouvé qu’il n’y avait qu’à rire ; puisque non seulement ce bain ne m’a pas augmenté la fluxion de poitrine, mais qu’il me l’a même fort soulagée et que, s’il ne m’a rendu la voix, il m’a du moins, en partie, rendu la santé. »

De son côté, à Versailles, le Roi, en manque d’historiographe, se plaignait à Racine en ces termes : « Il ferait mieux de se remettre à son train de vie ordinaire, la voix lui reviendra lorsqu’il y pensera le moins. »

Selon le Roi-Soleil donc, l’extinction de voix chronique de l’auteur des Satires n’aurait été qu’une affection psychosomatique avant l’heure !

Quoiqu’elle préférât Vichy, la marquise de Sévigné vint aussi à Bourbon : « Aujourd’hui, j’ai commencé la douche, écrit-elle à sa fille. C’est une bonne répétition du purgatoire. On est toute nue dans un petit lieu, sous terre, où l’on trouve un tuyau de cette eau chaude qu’une femme vous fait aller où vous voulez. Cet état où l’on conserve à peine une feuille de figuier pour tout habillement, c’est une chose assez humiliante. J’avais voulu mes deux femmes de chambre pour voir encore quelqu’un de connaissance. Derrière le rideau se met quelqu’un qui vous soutient le courage pendant une demi-heure. »

Mme de Sévigné, Boileau, Corneille, Scarron... il est vrai que les médecins du temps recommandaient particulièrement les eaux de Bourbon aux gens de lettres parce qu’ils étaient, estimaient-ils, « prédisposés à l’apoplexie par leurs travaux sédentaires ».

Durant ses cures, Athénaïs prenait une douzaine de bains. Pour cinq sols on lui apportait de l’eau que les livreurs versaient dans une baignoire de bois qu’elle louait. Le médecin du cru, maître Gilbert Bourdier, venait régulièrement s’enquérir de sa santé et lui prescrivait un régime : abondance de pommes cuites et de pruneaux, mais peu de melon. Point de laitage ni légumes ou fruits crus qui sont trop « humides ». Le porc salé bien cuit à satiété. Gibier autorisé, gibier à plumes uniquement, tels les perdrix ou les faisans. Pas de folie pour la pâtisserie, mais pas d’interdiction formelle ! Aucune restriction sur le poisson qu’il fallait arroser d’un petit vin blanc de Saint-Pourçain... S’étonnerat-on ? Athénaïs ne maigrit pas...