Cette fille, c’est celle que le Roi aime ! » chuchota – en espagnol – la Reine au creux de l’oreille de Mme de Motteville, en montrant du doigt la donzella qui se prénommait Louise, qui était duchesse de La Vallière et qui venait d’atteindre sa dix-huitième année. Cette scène, selon Mme de Motteville (à qui il fallait bien se garder de faire quelque confidence car elle s’empressait de la noter... pour Mémoires !), se tint un soir de l’été 1662.

L’indiscrète Françoise de Motteville nous affirme encore qu’elle tenta de consoler la Reine en la persuadant que tous les maris faisaient semblant d’être infidèles pour satisfaire à la mode qui le voulait ainsi, mais que Marie-Thérèse n’en crut rien !

— Je compris alors que la Reine était moins ignorante qu’on ne le pensait, conclut ironiquement notre mémorialiste.

Louise de La Vallière faisait aussi partie du gentil escadron volant des demoiselles d’honneur de Madame, la piquante Henriette – Minette ! – qui était amoureuse du Roi son beau-frère et cousin. Lequel le lui rendait bien. Et c’est cet amour, curieusement, qui sera à l’origine de la passion que Louis XIV éprouvera pour Mlle de La Vallière.

Au vrai, l’affaire est simple : pour que Louis XIV puisse se distraire dans les bras de Minette sans que la cour jase trop, il fallait trouver une sorte de « paravent ». On avait bien songé à Mlle de Chémerault ou à Mlle de Pons (dame de la Reine) mais le Roi n’avait qu’un goût très modéré pour la première, quant à la seconde, elle se déroba. Restait Louise de La Vallière... à qui on ne demanda pas de consentement ! On la croyait simple parce qu’elle était naïve, facile à conduire parce qu’elle était douce et accommodante, on ne la trouvait pas assez coquette pour craindre que le Roi s’y attache vraiment. C’est donc elle que l’on « assigna » à Louis XIV. C’est avec elle qu’il devrait détourner les soupçons, c’est elle que Louis ferait mine de mugueter pour pouvoir plus librement aimer Henriette. Et il semblait s’amuser de ce stratagème galant. Louise de La Vallière, pourquoi pas ? Puisqu’il faut la courtiser, courtisons-la ! Mais on affirme par ailleurs qu’apercevant Athénaïs, il aurait eu ce mot : «Je voudrais que ce fût elle qui m’aimât. » On mesure l’égoïsme royal de cette réflexion. Mais Louis XIV ne se doutait pas alors que, dans un futur assez proche, ce voeu allait se réaliser, et surtout que lui-même serait complètement sous le charme.

Les comploteurs (la reine mère, Olympe de Soissons [ex-Mancini] et Henriette elle-même) jugeaient que La Vallière était un peu simplette et peu jolie : erreurs. Peut-être Louise était-elle très mince et même un peu maigre, mais elle aimait à porter « des cravates habilement nouées, qui la faisaient paraître plus grasse ». Peut-être boitait-elle légèrement depuis qu’un méchant âne, alors qu’elle était fillette, lui avait meurtri la cheville, mais quand elle dansait sa légère infirmité semblait ne plus exister. Et ses yeux bleus, observés par le regard attentif de Primi Visconti, étaient d’une « douceur qui vous ravissait quand elle vous regardait ». Quant à la beauté de ses cheveux blond argenté, elle augmentait celle de son visage, renchérit Mme de Motteville. D’autre part, elle n’était certainement pas simplette. Elle aimait la simplicité, voilà tout. Elle était modeste. Et, puisque par-dessus tout cela « le son de sa voix allait au coeur » (Mme de Caylus dixit)... elle alla au coeur du Roi ! Et Louis XIV ne joua pas longtemps l’amoureux car très vite... il fut amoureux ! « Tandis qu’il ne songeait ainsi en affichant cette jolie personne qu’à donner le change au monde et à éblouir d’elle le public, le Roi s’éblouit lui-même », écrira Sainte-Beuve.

Il s’en faudra de deux semaines pour que commence la première longue liaison officielle de Louis XIV.

Juillet 1661 : un violent orage, des rafales de pluie. Le Roi-Soleil qui se découvre, qui pose son chapeau sur la tête de Louise (la cour qui s’étonne, Henriette qui fait grise mine !) et qui la reconduit au Palais, jusqu’à l’appartement des demoiselles d’honneur lequel, malheureusement, n’offre aucune intimité. On y entre comme dans un moulin !... Quelques soirs plus tard, le comte de Saint-Aignan, la cinquantaine, confident fidèle du jeune roi de vingt-deux ans, acceptera de prêter sa chambre... « la résistance fut courte et la victoire fut prompte ».

Il ne se passera pas longtemps avant que Saint-Aignan ne soit nommé gouverneur de Touraine.

Quatre enfants naîtront de ces amours. Les deux premiers, des garçons, disparaîtront en bas âge. Les deux derniers seront légitimés : une fille, Marie-Anne de Bourbon, venue au monde en 1666, nommée Mlle de Blois, qui deviendra princesse de Conti et mourra l’année de la découverte des ruines de Pompéi, c’est-à-dire en 1739 ; et un fils, né en 1667, titré duc de Vermandois, fait amiral à deux ans et enterré à seize ! On a beaucoup raconté d’histoires autour du premier accouchement de Louise de La Vallière. Il devait être gardé secret, on en a su tous les détails : un petit pavillon d’un étage, l’hôtel de Brion près du Palais-Royal, à l’endroit même où s’élève aujourd’hui la Comédie-Française ; un médecin accoucheur à la mode répondant au nom de Boucher ; les premières douleurs dans la matinée du mardi 18 décembre (1663) ; le Roi retenu à une partie de chasse ; Colbert lui-même qui veille à ce que tout se passe bien, qui a été chargé de trouver une bonne nourrice, à Saint-Leu, où l’enfant – un garçon – sera baptisé, prénommé Charles et déclaré « fils de M. de Lincour et de demoiselle de Beux ».

Car le Roi aime mais le Roi ne veut pas de scandale. Il se montrera bien peu préoccupé de la douleur de la jeune femme à qui l’on arrachera un rejeton clandestin à peine entrevu. Il est vrai qu’à cette époque une dame de qualité se devait d’expédier sa progéniture en nourrice dans les plus brefs délais. Il eût été du dernier plébéien de s’extasier devant le poupon. Louis se montrera d’autant moins préoccupé des douleurs de la mère qu’il la priera même de paraître en public afin que cessent les ragots qui commencent à courir et laissent à entendre qu’un bâtard royal est sur le point de voir le jour. Mlle de La Vallière paraîtra donc à l’occasion de la messe de minuit célébrée en la chapelle des Quinze-Vingts. Elle était « pâle et fort changée ». Personne ne fut dupe.

En cette même fin d’année 1663, Athénaïs accouchait elle aussi d’une fille{10} : une petite Montespan qui, à l’instar de Charles, le premier enfant de Louise de La Vallière, n’atteindra pas l’âge adulte.

Car l’amour régnait encore, en ce temps-là, dans l’appartement de la rue de Taranne, malgré les difficultés pécuniaires que l’on sait. Le marquis, gentilhomme qui savait être courtois, était très épris de son épouse. Il savait bien lui faire oublier ses colères de Gascon, aussi sonores que vite apaisées. Mme du Noyer dira de lui qu’il était « honnête et poli. Le meilleur seigneur qu’on puisse voir sur la terre ». Un défaut, cependant, si toutefois c’en est un : sa rancune était tenace. Mais elle ne visait pas encore sa femme puisque Athénaïs lui était, pour l’instant, demeurée fidèle.

La fidélité : une qualité assez rare d’ailleurs, dans une société où, pour emprunter l’expression de Louville, « tant de femmes monument des moeurs à l’escarpolette » ; et Mme de Caylus ajoutera même : « A l’origine son caractère était naturellement éloigné de la galanterie et porté à la vertu. »

À l’origine...

Au lendemain de ses relevailles – plus paisibles que celles de La Vallière – Athénaïs, le 19 février, assiste à la prise de voile de sa soeur cadette, Marie-Madeleine, en l’abbaye de Notre-Dame-au-Bois. Anne d’Autriche, qui se ressentait déjà du mal qui lui rongeait le sein, et la reine Marie-Thérèse, enceinte pour la troisième fois, y assistaient aussi.

En avril, on la retrouve sous d’autres voûtes, celles de Saint-Sulpice, en qualité de marraine d’un jeune Maure à l’âme duquel la cour semblait s’intéresser. L’inévitable Loret était là pour nous consigner cet événement avec les pauvres vers qui sont les siens :

La marraine fut cette belle
Qui contient tant d’appas en elle,
La marquise de Montespan...
Que depuis quelque temps la cour
Met au nombre de ses miracles...

L’abbé Bossuet était là, également, dont la voix commençait de retentir loin de l’évêché de Condom.

Paradoxalement, à l’heure où Athénaïs tenait le Maure sur les fonts, M. de Montespan son mari combattait les Barbaresques !

 Souhaitant se signaler au service du Roi, il avait en effet décidé, avec son beau-frère Vivonne, gonfalonier de l’Eglise et général des galères, de se placer sous les ordres du duc de Beaufort pour s’en aller batailler (dans le cadre de la campagne destinée à soutenir les princes allemands contre les Turcs du Grand Vizir) sur les côtes algériennes. Il s’y battit bravement certes, mais son attitude courageuse lui coûta... 18 000 livres... pour frais d’équipage ! Il n’était pas rare que tel ou tel gentilhomme se ruinât, en temps de guerre, au service de Sa Majesté : frais de chevaux de monture et de bât, dépenses afférentes au campement, tout était à sa charge. Sans oublier les valets qu’il fallait vêtir et nourrir puisqu’ils n’avaient pas le droit au « pain du Roi » et encore moins à l’uniforme. Ajoutez à cela les mortes-saisons, quelques hivers passés à la cour dans le luxe et le jeu, et le courtisan – suprême adresse du monarque – se retrouvait bientôt « ruiné jusqu’à l’os », à genoux devant la cassette royale, dépendant, n’ayant plus aucune possibilité, plus aucune envie de fronder. Asservi. Exception confirmant la règle, M. de Montespan qui, bien que sans le sou, demeurera toujours impertinent.

L’année 1664 avait donc commencé par des histoires de Maures, elle s’achèvera, pour reprendre une expression du duc de La Force, par la naissance d’une Mauresque : le troisième enfant du Roi et de la reine Marie-Thérèse. Au début du mois de novembre, la future mère se trouve mal. Des contractions prématurées puisque l’enfant qu’elle porte ne doit naître que vers « la Noël ». Les médecins sont perplexes. Chose rare à l’époque. Enfin ils se décident. Ils estiment qu’une saignée ne nuira pas. On la saigne, elle accouche. Le 16 novembre, Marie-Thérèse met au monde « une petite Marie-Anne, velue, qui a l’air d’une Mauresque ». Un enfant monstrueux qui n’a qu’un souffle de vie. Et la mère aussi est au plus mal. La première mourra quelques semaines plus tard, la seconde, à l’agonie, obtiendra du Roi la promesse qu’il oublie La Vallière et qu’il la marie. Mais dès que la Reine sera hors de danger, Louis n’hésitera pas à se parjurer !

Marie-Anne, le poupon contrefait, mourait le 26 décembre. Quatre jours plus tôt, pour avoir fait ombrage au Roi-Soleil, l’homme de Vaux, le surintendant Foucquet, était conduit vers la forteresse piémontaise de Pignerol... pour ne plus jamais en sortir. Contrairement au marquis de Montespan, il s’était vraiment trop enrichi au service de Sa Majesté !

À la même heure, Athénaïs se brouillait avec Madame qui la priait de ne plus reparaître en ses appartements. Elle avait intrigué contre Mme de Mecklembourg qu’elle jugeait trop influente. Échec du complot, irritation d’Henriette, disgrâce d’Athénaïs. Mais, à quelque chose malheur étant bon, cette disgrâce engendrera une promotion. À l’instigation de Monsieur, et grâce au crédit du gros Vivonne, son frère, Athénaïs sera en effet choisie par le Roi, désignée en lieu et place de la comtesse de Guiche pour figurer avec deux princesses, deux duchesses et une autre dame, au nombre des nouvelles dames d’honneur de la reine Marie-Thérèse.

Un grand pas en avant !

En 1665, deux nouvelles naissances. La première, le 7 janvier, est celle de Philippe, nouveau fruit des amours du Roi et de Louise de La Vallière. Même scénario que pour le premier accouchement. Tout est ordonnancé par Colbert : l’hôtel de Brion, la discrétion, la séparation. Baptisé en l’église Saint-Eustache, le petit bâtard sera déclaré fils de François Dersy, bourgeois, et de Marie Bernard, son épouse. Tous deux demeurant rue Montorgueil. Quelques mois passeront et le jeune « Philippe Dersy » rejoindra son frère « Charles de Lincour » dans la tombe.

Décidément, les rejetons du Roi-Soleil ne jouissent pas d’une brillante santé !

Seconde naissance qui retiendra notre attention, celle du fils d’Athénaïs et de M. de Montespan (le 5 septembre) second et dernier enfant du couple qui devait s’appeler Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, qui fut d’abord marquis, puis duc d’Antin, qui vécut, celui-là, jusqu’en 1736 et dont Saint-Simon dit qu’il « a su tirer un grand parti de la honte de sa maison ».

Autant Louise de La Vallière semblait souffrir et rester marquée de ses maternités clandestines, autant Athénaïs s’épanouissait. Sa taille s’était délicatement arrondie, elle était maintenant « admirablement proportionnée au goût du Roy », affirme Primi Visconti.

C’est un personnage assez insolite que cet abbé Primi (le « Visconti » sera ajouté plus tard) qui raconte souvent des histoires qu’il n’a pas vécues puisqu’il n’arrive à la cour qu’en 1672, présenté au Roi par M. de Montausier, gouverneur du Dauphin. Un abbé aventurier qui mérite qu’on le prenne en aparté, qu’on lui consacre une petite digression, laquelle nous permettra d’ailleurs de constater que la cour du Roi-Soleil brillait par sa crédulité. Il se prétendait magicien, il était surtout fin psychologue, subtil, sagace, voire captieux car la suprême habileté de cette belle figure de sorcier résidait dans le fait qu’il faisait toujours mine de nier ses dons, ses secrets, ses pouvoirs. Une fausse candeur, un savoir-faire, de prétendues prophéties, tout cela lui avait donné ses entrées à la cour et valu 2 000 livres de pension du Roi. Une intervention de Madame fut décisive dans l’attribution de cette pension : puisque l’abbé Primi se prétendait aussi graphologue elle voulut un jour en avoir le coeur net. Elle convainquit, à force de patience, le Roi son beau-frère de lui donner un billet de son auguste main, destiné, disait-elle, à tester la perspicacité de l’abbé Primi. Jamais, songeait-elle, il n’en devinerait l’auteur mais du moins en tracerait-il le portrait.

Et Primi lut le billet, observa, étudia, analysa et finit par sourire, expliquant que l’écriture en était celle d’un vieil avare, d’un fesse-mathieu, d’un homme, enfin, incapable de ne jamais rien faire de beau ni de bon.

Madame fut outrée. Elle hésita longtemps à rapporter au Roi les conclusions de Primi mais elle parvint à se décider. Louis XIV, paraît-il, loin de froncer le sourcil, fut tout à fait ravi ! À plaisanterie, plaisanterie et demie, il avait fourni un billet calligraphié par son secrétaire, Toussaint Rose, qui savait si bien imiter son écriture ! Son honneur était donc sauf. Il lui restait à convoquer l’arrogant Italien dans son cabinet et à lui tenir ce propos :

— M. l’abbé, je n’ai que deux mots à vous dire : votre secret que je paierai avec 2 000 livres de pension, sinon... pendu !

Et Primi d’avouer qu’il avait su la chose par M. de Vendôme. ... et tous deux de rester bons amis.

Une autre anecdote, l’amusante histoire qu’il connut avec Mme de Brégy, nous montrera encore que le rôle que tenait à la cour ce Cagliostro avant l’heure n’était pas négligeable. Mme de Brégy était une charmante vieille dame de soixante ans – un âge fort respectable à cette époque – dont la santé était encore bien gaillarde puisqu’elle ne rêvait que d’une chose, devenir la favorite du Roi. Et il ne se passait pas de jour sans qu’elle harcelât Primi de demandes de prédictions. Comment l’abbé allait-il s’en sortir ? Mieux vaut lui laisser la plume pour conter l’aboutissement de cet épisode burlesque.

« Je dessinai un jour une figure de géométrie. Elle prétendait que je l’interprétasse ; importuné par ses questions, je répondis qu’elle succomberait dans un jardin ; elle voulut alors savoir si c’était à Versailles et par le Roi. Je devais ensuite spécifier si ce serait dans le labyrinthe où il y a des fontaines qui représentent des fables d’Ésope ou bien à Trianon. Je répondis que ce serait à Trianon parce que c’est un endroit écarté où il y a un petit château décoré en faïence et beaucoup d’orangers et de jolis pavillons pour se coucher. Elle questionna encore : « Et dans quelle aile de Trianon ? » Je répondis : « Dans l’aile qui donne sur une pièce d’eau. » Elle répétait : « Grands Dieux, je succomberai, je succomberai ! » Depuis lors, je fus son meilleur ami, du reste sa conversation est très agréable, elle fait des vers, écrit et parle bien. »

On a vu que Louis XIV le tenait en amitié ; il lui faisait toute confiance aussi, puisqu’il n’hésita pas, un jour, à l’utiliser à quelque fin diplomatique. Ce jour-là, Sa Majesté, étant fort courroucée contre « son frère » Charles II, demanda au mage Primi de jouer l’homme qui en savait beaucoup, et lui fit commettre de fausses indiscrétions concernant le traité conclu avec l’Angleterre en 1670{11}.

Étonnement des Anglais, plainte auprès du Roi, colère feinte de ce dernier qui affirma à l’ambassadeur de Grande-Bretagne que ce M. Primi serait embastillé. Et il le fut ! Seulement, l’ambassadeur britannique ne sut jamais à quel régime il fut soumis, ni de combien de livres il fut gratifié, à sa sortie de prison, quelques semaines plus tard.

C’est durant son séjour volontaire dans la forteresse de la porte Saint-Antoine que l’abbé Primi songea qu’il ne serait pas inélégant de se donner du... Visconti. Et c’est donc sous le nom de Primi Visconti qu’il nous laissera de savoureux Mémoires.

La Bastille : le marquis de Péguilin – Antoine Nompar de Caumont, fantasque duc de Lauzun – y fera lui aussi un premier séjour. Son grief ? Il appréciait le lit de Catherine Charlotte de Gramont, gracieuse princesse de Monaco, sur laquelle le Roi faisait plus que jeter un regard ! Une passade royale certes, puisque Sa Majesté retrouvera bien vite les bras de Louise de La Vallière, mais une belle amourette qui dura le temps d’un été : l’été 1665. Il faut dire que Catherine de Gramont, « fraîche comme un sorbet », avait été mariée au prince de Monaco, Louis de Grimaldi, qui était, selon Saint-Simon, « un Italien glorieux et avare, gros comme un muid, ne voyant pas jusqu’à la pointe de son ventre ». Donc Bussy-Rabutin écrira : « Le Roi, tout élevé qu’il était au-dessus des autres hommes, n’était ni d’une autre humeur, ni d’un autre tempérament que les hommes du commun. Quoiqu’il aimât passionnément Mlle de La Vallière, il se sentait épris quelquefois de la beauté de quelques dames, et était bien aisé de satisfaire son envie. C’est ainsi qu’il distingua la princesse de Monaco, que Lauzun aimait. »

On ne pouvait être plus au courant de cette affaire que Bussy-Rabutin, puisqu’à cette époque il résidait lui aussi à la Bastille, pour avoir chansonné avec impertinence les amours du Roi-Soleil.

« Le marquis de Péguilin fut d’abord traité plus rudement que moi, car il n’eut point de valet pour le servir, et quoique je ne lui voulusse alors pas de mal, j’avoue que j’eus une secrète joie de son malheur.

«Je trouvai du soulagement à penser que sa faute était grande et nouvelle, qu’elle effacerait la mienne qui n’était qu’une bagatelle et déjà vieille, que cela ferait du moins diversion à la colère du Roi et que la justice de Sa Majesté, qui s’occupait après moi, ne s’attacherait plus qu’à lui. »

Bussy ne se trompait pas car il obtiendra, en effet, l’autorisation de se retirer en ses terres de Bourgogne où il composera son Histoire amoureuse des Gaules. Quant à Mme de Monaco, un caprice, elle sera vite oubliée, la taille de Louise de La Vallière s’arrondira pour la troisième fois et Athénaïs parviendra à donner à la Reine « une opinion extraordinaire de sa vertu en communiant devant elle tous les jours » ! Mieux, « elle parviendra à s’insinuer dans les bonnes grâces de La Vallière qu’elle ne quittera plus si bien qu’elle passera sa vie avec le Roi et fera son possible pour lui plaire, à quoi il n’était pas difficile de réussir avec beaucoup d’esprit, auprès de La Vallière qui en avait peu », précise La Fare.

Mais avant d’être séduit, le Roi fut ému, sensible à la délicate situation financière à laquelle la marquise était confrontée par suite des frasques de son Gascon. Et c’est pour cette raison, sans doute, qu’on le voit, en cette année 1665, faire à Athénaïs le don d’une succession tombée en déshérence, celle des plus grandes boucheries de Paris. Ce faisant, il lui assurait des revenus substantiels et lui offrait une certaine autonomie financière au regard de son mari harcelé de créanciers.

Un premier geste du Roi, un premier pas ? Athénaïs le sent, Athénaïs le sait. Reste à conquérir.

Et, pendant qu’elle était tout occupée de ses travaux d’approche, Henriette accouchait – le 18 juillet, d’une fille morte ! Elle ne vivait plus depuis dix jours déjà quand sa mère la mit au monde, renchérit Mademoiselle dans ses Mémoires, et l’on s’inquiéta fort de savoir si le baptême de cet enfant que Madame « avait perdu avant que de le posséder » pouvait être efficace ou si son âme était condamnée à errer dans les limbes.

Autre mort qui fut largement commentée à la cour, cette année-là : celle du roi d’Espagne, Philippe IV, survenue le 17 septembre et dont la nouvelle ne parvint au Louvre que dix jours plus tard. La reine Marie-Thérèse, dit-on, sanglota beaucoup sur la disparition d’un père qui pourtant ne lui avait jamais témoigné qu’une maigre affection. Le monarque espagnol, qui avait produit une foule d’infants et d’infantes maladifs, voués pour la plupart à disparaître prématurément, souffrait depuis longtemps déjà du mal qui l’avait emporté : « Il n’était plus qu’une figure hiératique au teint de cire. »

Anne d’Autriche aussi, la reine mère, fut très affligée de cette disparition. Le roi d’Espagne n’était-il pas son frère ? Et elle songeait sans doute, sombrant dans la mélancolie, qu’elle n’allait pas tarder à le rejoindre outre-tombe : le cancer du sein qui la rongeait, la gangrenait, ne lui laissait plus aucun espoir. On eut beau faire appel à tous les empiriques dont on disait grand bien sur la place de Paris, le mal sournois progressait, inexorablement. On en était même venu, selon Françoise de Motteville, à lui mortifier la chair de ce sein qu’elle avait eu si fier, « à lui couper par tranches avec un rasoir ! Cette opération était étonnante à voir. Elle se faisait les matins et les soirs en présence de toute la famille royale et de toutes les personnes qui avaient l’honneur de servir cette princesse et de l’approcher familièrement ».

On eut aussi l’idée – horrible détail thérapeutique ! de nourrir ce cancer « en déposant dans les trous béants quelques morceaux de viande crue ». Quand on pansait la veuve de Louis XIII, on agitait force sachets de senteurs car les odeurs qui émanaient de cette pourriture ulcérée étaient réellement insoutenables, poursuit Mme de Motteville.

Le 20 janvier 1666, Anne d’Autriche cessa de souffrir.

Certes, Louis XIV « pleura dans son lit toute la nuit », mais « il se consolait en pensant qu’il ne lui avait jamais désobéi en rien de conséquence », et il savait peut-être déjà que disparaissait avec la reine mère la dernière barrière susceptible de le retenir sur le chemin de la galanterie ouverte. Dès lors, en effet, ses passions ne connaîtront plus de frein. Il commencera d’ailleurs par officialiser sa liaison avec Louise de La Vallière. Un événement, car depuis un demi-siècle, depuis Henri IV et ses folles amours, alors que le Louvre résonnait des colères et des lamentations de Marie de Médicis et de la marquise de Verneuil, on n’avait plus vu de favorite installée publiquement auprès de la Reine.

Mieux, le Roi-Soleil, dès la mort de sa mère, légitimera ses bâtards : à commencer par les deux derniers rejetons que lui donnera Louise, le premier, cette année même de la mort d’Anne d’Autriche (le 2 octobre), Marie-Anne de Bourbon, et le pauvre Vermandois, qui mourut en pleine adolescence. Et puis bientôt tous les fils et toutes les filles qu’il aura de la marquise de Montespan...

Mais pour le moment Athénaïs, bien installée dans l’aréopage de la reine Marie-Thérèse et dans l’amitié de Louise de La Vallière, continue, d’une manière habile, et peut-être insidieuse, de se mettre en valeur au regard du Roi. À telle enseigne qu’à la Toussaint de l’an 1666, le duc d’Enghien fera part à la reine de Pologne de... certaine inclination naissante : « Il paraît que le Roy y songe un peu, écrit-il, et pour dire la vérité, Mme de Montespan le mériterait bien car on ne peut avoir plus d’esprit ni plus de beauté qu’elle en a. »

C’est ici que l’on peut se poser une question : alors qu’Enghien estime qu’Athénaïs possède tout simplement des charmes dignes d’un Roi-Soleil, certains historiens ont affirmé qu’elle s’acharna, qu’elle était ambitieuse, habile, volontaire, qu’elle ne gagna le coeur du monarque qu’à la force du poignet, jour après jour, par une assiduité permanente qu’elle calculait, avec un cynisme à faire froid dans le dos. On n’est pas loin, déjà, de l’accuser des pires forfaits, on laisse déjà planer comme une odeur de soufre autour d’Athénaïs la blonde. On a même raconté que pour parvenir à se glisser au plus tôt dans le lit royal, elle avait officiellement sollicité sa promotion de dame d’honneur de la reine Marie-Thérèse. Cette dernière affirmation ne repose sur aucun document écrit découvert à ce jour.

Il suffit de savoir qu’à cette époque Louis XIV était un bel homme de vingt-huit ans – espagnol par sa mère et italien par Marie de Médicis, sa grand-mère – et que toutes les jolies jeunes femmes de la cour, séduites, rêvaient de le séduire ! Bien que son visage fût un peu grêlé par la petite vérole, ses traits étaient réguliers, ses yeux vifs, espiègles, tendres, voluptueux, majestueux et grands, il plaisait par une élégance et une politesse exquise. Il était impressionnant aussi. Primi Visconti nous raconte, par exemple – et sans rire ! qu’il suffisait que le Roi sortît pour que la pluie cessât ! Toutes ces dames en étaient donc amoureuses.

Il suffit de savoir qu’à cette époque Athénaïs était une belle femme de vingt-six ans, une beauté achevée, qu’elle possédait un éclat extraordinaire, des cheveux blonds mousseux, foisonnants, et un rire charmant qui lui découvrait de belles dents blanches, ce qui était tout à fait rare à une époque où les plus nobles personnages, à commencer par la Reine, exhibaient en parlant des gencives ornées de chicots noirs, pourris et nauséabonds... quand ils n’étaient pas totalement édentés !

À cette époque, non seulement on ne savait pas soigner les dents mais encore, on ne se les lavait pas ! Louis XIV lui-même, le fait est connu, souffrira très jeune d’une fort mauvaise denture. Pour preuve, cette anecdote que nous rapporte Saint-Simon : Alors qu’il se plaignait, un soir, à table, de l’incommodité de n’avoir plus de bonnes dents, il fut interrompu par le cardinal d’Estrées qui lança :

— Des dents, Sire, eh ! Qui est-ce qui en a ?

« Le rare de cette réponse, souligne le mémorialiste, est qu’à son âge Estrées les avait encore blanches et fort blanches, et que sa bouche, fort grande mais agréable, était faite de façon qu’il les montrait beaucoup en parlant ; aussi le Roi se prit-il à rire de la réponse, et toute l’assistance, et lui-même qui ne s’embarrassa point du tout. »

Donc Athénaïs était belle. Mais à la beauté elle-même, qui ne suffit pas toujours pour séduire, « elle joignait cette grâce voluptueuse, cet esprit fin et piquant avec une imagination vive et folâtre{12} ». Qui plus est, « elle était extrêmement amusante et on ne s’ennuyait jamais avec elle{13} ».

Des enfantillages soudains, en effet : ne prit-elle pas plaisir, un jour, à atteler six souris à un carrosse de filigrane et à se laisser mordiller les doigts par le petit attelage récalcitrant ? Un grand talent de comédienne, aussi, doublé d’un bon sens de l’humour, quand elle raillait les courtisans{14}, quand elle se plaisait, primesautière ou mordante, à singer, devant le Roi, les simagrées et les aguicheries des dames qui minaudaient autour de lui.

Car ces dames de la cour aimaient à se lancer à l’assaut du coeur du Roi. Que la meilleure gagne ! Et la meilleure, après la romanesque amoureuse que fut Marie Mancini, après Louise de La Vallière, sa candeur, sa tendresse et ses chaudes larmes, avant la morganatique Maintenon, ce fut Athénaïs ! C’est en elle, comme l’observe Louis Bertrand, que « le Roi trouva une âme vraiment royale, une âme pareille à la sienne ». Athénaïs régnera donc sur le Roi-Soleil pendant treize ans ; les treize années qui coïncident avec l’ère la plus brillante du Grand Siècle. En réalité, c’est plus qu’une coïncidence...