VIII

 

En ce temps-là, messeigneurs des États-Généraux s’assemblèrent à La Haye pour juger Philippe, roi d’Espagne, comte de Flandre, de Hollande, etc., suivant les chartes et privilèges par lui consentis.

Et le greffier parla ainsi :

– Il est notoire à un chacun qu’un prince de pays est établi par Dieu souverain et chef de ses sujets pour les défendre et préserver de toutes injures, oppressions et violences, ainsi qu’un berger est ordonné pour la défense et la garde de ses brebis. Il est notoire aussi que les sujets ne sont pas créés par Dieu pour l’usage du prince, pour lui être obéissants en tout ce qu’il commande, que ce soit chose pie ou impie, juste ou injuste, ni pour le servir comme des esclaves. Mais le prince est prince pour ses sujets, sans lesquels il ne peut être, afin de gouverner selon le droit et la raison ; pour les maintenir et les aimer comme un père ses enfants, comme un pasteur ses brebis, risquant sa vie pour les défendre ; s’il ne le fait, il doit être tenu non pour un prince, mais pour un tyran. Philippe roi lança sur nous, par appels de soldats, bulles de croisade et d’excommunication, quatre armées étrangères. Quelle sera sa punition, en vertu des lois et coutumes du pays ?

– Qu’il soit déchu, répondirent Messeigneurs des États.

– Philippe a forfait à ses serments : il a oublié les services que nous lui rendîmes, les victoires que nous l’aidâmes à remporter. Voyant que nous étions riches, il nous laissa rançonner et piller par ceux du conseil d’Espagne.

– Qu’il soit déchu comme ingrat et larron, répondirent Messeigneurs des États.

– Philippe, continua le greffier, mit dans les plus puissantes villes des pays de nouveaux évêques, les dotant et bénéficiant avec les biens des plus grosses abbayes ; il introduisit, par l’aide de ceux-ci, l’Inquisition d’Espagne.

– Qu’il soit déchu comme bourreau, dissipateur du bien d’autrui, répondirent Messeigneurs des États.

– Les nobles des pays, voyant cette tyrannie, exhibèrent, l’an 1566, une requête par laquelle ils suppliaient le souverain de modérer ses rigoureux placards et notamment ceux qui concernaient l’Inquisition : il s’y refusa toujours.

– Qu’il soit déchu comme un tigre entêté dans sa cruauté, répondirent Messeigneurs des États.

Le greffier poursuivit :

– Philippe est fortement soupçonné d’avoir, par ceux de son Conseil d’Espagne, secrètement excité les brisements d’images et le sac des églises, afin de pouvoir, sous prétexte de crime et de désordre, faire marcher sur nous des armées étrangères.

– Qu’il soit déchu comme instrument de mort, répondirent Messeigneurs des États.

– À Anvers, Philippe fit massacrer les habitants, ruina les marchands flamands, et les marchands étrangers. Lui et son Conseil d’Espagne donnèrent à un certain Rhoda, vaurien renommé, par de secrètes instructions, le droit de se déclarer le chef des pillards, de récolter du butin, de se servir de son nom à lui, Philippe roi, de contrefaire ses sceaux, contre-sceaux, et de se comporter comme son gouverneur et lieutenant. Les lettres royales interceptées et qui sont entre nos mains prouvent le fait. Tout est arrivé de son consentement et après délibération du Conseil d’Espagne. Lisez ses lettres, il y loue le fait d’Anvers, reconnaît avoir reçu un signalé service, promet de le récompenser, engage Rhoda et les autres Espagnols à marcher dans cette voie glorieuse.

– Qu’il soit déchu comme larron, pillard et meurtrier, répondirent Messeigneurs des États.

– Nous ne voulons que le maintien de nos privilèges, une paix loyale et assurée, une liberté modérée, notamment touchant la religion qui concerne principalement Dieu et conscience : nous n’eûmes rien de Philippe, sinon des traités menteurs servant à semer la discorde entre les provinces, pour les subjuguer l’une après l’autre et les traiter comme les Indes, par le pillage, la confiscation, les exécutions et l’Inquisition.

– Qu’il soit déchu comme assassin préméditant meurtre de pays, répondirent Messeigneurs des États.

– Il a fait saigner les pays par le duc d’Albe et ses happe-chair, par Medina-Cœli, Requesens, les traîtres des conseils d’État et des provinces ; il recommanda une rigoureuse et sanglante sévérité à don Juan et à Alexandre Farnèse, prince de Parme (ainsi qu’on le voit par ses lettres interceptées) ; il mit au ban de l’empire Monseigneur d’Orange, paya trois assassins en attendant qu’il paye le quatrième ; fit dresser chez nous des châteaux et forteresses ; fit brûler vifs les hommes, enterrer vives les femmes et filles, hérita de leurs biens ; étrangla Montigny, de Berghes et d’autres seigneurs, nonobstant sa parole royale ; tua son fils Carlos ; empoisonna le prince d’Ascoly, à qui il fit épouser dona Eufrasia, grosse de son fait, afin d’enrichir de ses biens le bâtard à venir ; lança contre nous un édit qui nous déclarait tous traîtres, ayant perdu corps et biens, et commit ce crime, inouï dans un pays chrétien, de confondre les innocents et les coupables.

– De par toutes lois, droits et privilèges, qu’il soit déchu, répondirent Messeigneurs des États.

Et les sceaux furent brisés.

Et le soleil luisait sur terre et sur mer, dorant les épis mûrs, mûrissant le raisin, jetant sur chaque vaque des perles, parure de la fiancée de Neerlande : Liberté.

Puis, le prince d’Orange étant à Delft, fut frappé par un quatrième assassin de trois balles dans la poitrine. Et il mourut, suivant sa devise : « Tranquille parmi les cruelles ondes. »

Ses ennemis dirent de lui que pour faire pièce à Philippe roi, et n’espérant pas régner sur les Pays-Bas méridionaux et catholiques, il les avait offerts par un traité secret à Monseigneur Monsieur Sa Grande Altesse d’Anjou. Mais celui-ci n’était point né pour procréer l’enfant Belgique avec Liberté, qui n’aime point les amours extraordinaires.

Et Ulenspiegel avec Nele quitta la flotte.

Et la patrie belgique gémissait sous le joug, garrottée par les traîtres.

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
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