CHAPITRE DOUZE
Le lendemain de la réception, Qwilleran conduisit Riker à l’aéroport sous un ciel menaçant.
— Nous allons avoir la pluie réclamée par les fermiers et redoutée par les touristes, dit-il.
— J’espère que mon avion s’envolera avant l’orage, dit Riker, non que je sois pressé de retourner au Fluxion. Je vivrais volontiers ici. Pourquoi n’achèteriez-vous pas le Picayune, je viendrais vous le diriger.
— Parlez-vous sérieusement ?
— Bien sûr. Ce serait un défi à gagner.
— Il nous faudrait renvoyer Benjamin Franklin et dépenser dix millions de dollars pour moderniser le journal... Que pensez-vous de Melinda ?
— C’est une remarquable jeune femme. Porte-t-elle des lentilles de contact vertes et ses longs cils sont-ils artificiels ?
— Tout est absolument authentique, je m’en suis assuré.
— Vous savez, Qwill, les femmes vont courir après votre fortune, maintenant. Vous feriez mieux d’épouser une fille comme Melinda et vous ranger. Elle est de bonne famille, elle a une profession et elle a une haute opinion de vous.
— Vous êtes bien prodigue de conseils, ce matin, Arch, dit Qwilleran qui n’aimait pas qu’on lui dise ce qu’il devait faire.
— Très bien, en voilà un dernier : pourquoi n’allez-vous pas tranquillement à la chasse en oubliant cette femme de chambre ? En vous entêtant, vous risquez d’attraper une balle dans la tête, comme cette fille sur son tracteur.
Un moment plus tard, en regardant l’avion de Riker gagner de l’altitude, Qwilleran se rappela que son ami avait toujours cherché à décourager ses investigations, sans le moindre résultat, du reste. Cette fois, sa propre intuition lui disait d’attendre que la situation évolue, avant de s’adresser au chef de la police. Tout ce qu’il avait pour l’instant était une preuve circonstancielle, des spéculations, une moustache sensible et un chat curieux.
Avant de retourner chez lui, il acheta un pull-over en cachemire rose chez Lanspeak où il demanda un paquet-cadeau. Chez Jim Diamant, le bijoutier, il choisit un collier en or et le déposa à la clinique où une plaque en cuivre indiquait :
Dr Halifax GOODWINTER M.D.
Dr Melinda GOODWINTER M.D.
En approchant de la Résidence K, il aperçut d’abord un véhicule de la police, puis un embarras de voitures et un rassemblement de curieux dans la rue. À l’église, la cloche sonnait le glas, tandis qu’une procession se formait derrière le cercueil de Tiffany Trotter. Soudain, la pluie se mit à tomber, violemment, comme avec colère.
Qwilleran alla à son bureau écrire une lettre de condoléances à Steve Trotter, avec une offre d’instituer une bourse scolaire annuelle à la mémoire de Tiffany. Pendant qu’il écrivait, le téléphone se mit à sonner. Tous ses invités de la veille l’appelèrent pour le remercier. Junior n’avait jamais fait un aussi bon dîner. Mildred le félicita pour tout, mais déclara qu’Alexander était un prétentieux. Amanda annonça qu’elle avait la gueule de bois.
— Ah ! c’était une sacrée soirée, dit-elle. J’ai bien bu et bien mangé. J’espère que je n’ai pas commis d’impair, hier soir.
— Vous avez été un modèle d’à-propos, Amanda.
— Bon sang ! c’est le dernier compliment à me faire ! Je laisse ça à mes cousins.
— Je viens de conduire Arch à l’aéroport. Il a beaucoup apprécié votre compagnie.
— C’est mon type d’homme. Vous devriez l’inviter plus souvent.
Quand Melinda téléphona pour le remercier du collier, elle se plaignit que sa ligne avait été constamment occupée.
— Tous nos invités m’ont appelé, sauf Pénélope, dit-il.
— Penny ne vous téléphonera pas. Elle vous écrira un mot de remerciements sur une carte gravée, avec enveloppe scellée à la cire. Arch est-il parti avant la pluie ?
— Oui et il m’a donné quelques conseils de dernière minute, a) vous épouser, b) oublier le mystère Daisy Mull. Je compte suivre au moins une de ses suggestions.
— Cela me laisse une petite chance !
Au déjeuner, il offrit son cadeau à Mrs. Cobb.
— Oh ! Mr. Qwilleran ! Le rose est ma couleur favorite et je n’ai jamais porté de cachemire. Vous n’auriez pas dû ! Vos amis ont-ils aimé le dîner, hier soir ?
— Votre repas restera historique, assura-t-il, et quand vous verrez Mrs. Fulgrove, dites-lui que tout le monde a admiré son écriture.
— En préparant les cartes, elle m’a raconté quelque chose... Je ne sais pas si je dois le répéter...
— Je vous écoute.
— Eh ! bien, elle travaille trois fois par semaine chez les Goodwinter et elle a entendu Miss Goodwinter se disputer avec son frère. Tous les deux criaient très fort. Elle dit que c’était d’autant plus effrayant qu’ils sont toujours si aimables et courtois l’un envers l’autre.
— Sait-elle la raison de cette discussion ?
— Non, elle n’a pu entendre. Elle était dans la cuisine et eux à l’étage.
À ce moment une musique bruyante éclata dans la maison.
— Je constate que notre étoile est encore là, dit Qwilleran.
— Il a presque fini, mais sa facture va être considérable, je le crains.
— Ne vous inquiétez pas. C’est au frais de la succession et je ferai déduire cinq petits déjeuners, huit déjeuners, sept litres de café, une caisse de bière et une visite à l’oto-rhino. Je crois que mes tympans sont gravement endommagés.
— Oh ! Mr. Qwilleran, vous devez plaisanter !
Il plut sans arrêt pendant quarante-huit heures et les rues pavées de Pickax furent inondées. Au centre de la ville, la rue principale, avec son style architecturale particulier ressemblait à une parodie du Grand Canal. À contrecœur, Qwilleran resta à la maison.
Le troisième jour, la pluie cessa et les murs humides de la Résidence K brillèrent comme des diamants, sous le soleil. Une brise sécha les rues. Les oiseaux chantaient, les Siamois se roulaient sur le sol de la véranda et lustraient leur fourrure sous les chauds rayons de soleil.
Peu après le petit déjeuner, un visiteur inattendu se présenta à la porte de service. Mrs. Cobb se hâta vers la bibliothèque où se tenait Qwilleran.
— Steve Trotter désire vous voir. Il paraît avoir beaucoup bu.
Qwilleran abandonna la lecture de son journal et se dirigea vers la cuisine où le peintre, en jeans et t-shirt, se tenait contre la porte, le visage rouge et les paupières gonflées.
Qwilleran tira deux chaises :
— Venez vous asseoir, Steve. Voulez-vous une tasse de café ?
Mrs. Cobb remplit rapidement deux tasses qu’elle posa sur la table.
— J’veux pas d’café, dit Steve, en regardant Qwilleran avec colère. J’ai r’çu vot’ lettre.
— Il est difficile d’exprimer le chagrin que j’éprouve à propos de cet horrible crime, dit Qwilleran. Je n’ai rencontré Tiffany que deux fois, mais...
— Cessez vos simagrées. Tout est de vot’e faute, dit le peintre.
— Je vous demande pardon ?
— Vous l’avez mêlée à cette affaire. Si vous n’aviez pas parlé de cette histoire de Daisy, rien ne serait arrivé.
— Attendez une minute, dit Qwilleran, d’un ton calme, mais ferme, vous avez entendu une conversation privée avec une visiteuse et vous êtes allée à la maison la raconter à votre femme, n’est-ce pas ? C’est elle qui a eu l’idée de venir m’en parler. De plus, la police soupçonne qu’un touriste est passé devant la ferme et...
— Il n’y a pas de touriste et vous le savez.
— Je n’ai pas la moindre idée de ce que vous insinuez, Steve.
— La lettre que vous m’avez adressée pour essayer de m’acheter... Ça ne prend pas.
— Que voulez-vous dire ?
— Vous voulez distribuer vo’t argent à des gosses. Bon sang ! Et qu’allez-vous faire pour moi ? Pourquoi ne payez-vous pas les funérailles ?
Avec un geste de colère, il balaya de la table la tasse qui alla se briser sur le sol. Mrs. Cobb sortit prestement et revint presque immédiatement avec Birch Tree.
— Okay, Stevie, mon garçon, dit Birch, avec un sourire qui découvrait ses grandes dents carrées, rentre à la maison et va te coucher.
Il fit lever le jeune homme et le poussa vers la porte. En regardant par la fenêtre, Qwilleran vit le camion du jeune peintre garé sur les rhododendrons.
— Il ne peut conduire dans cet état, dit-il.
— Je vais prendre le volant de son camion. Suivez-moi et vous me ramènerez, dit Birch, avec autorité. La ferme de Terence n’est qu’à trois kilomètres. Maintenant vous saurez d’où vient la mauvaise odeur, quand le vent souffle du sud-ouest, Bah... Ah !... Ah !... Ah !
Après avoir déposé Steve dans sa caravane, Hirch se rendit à la ferme pour s’entretenir avec ses beaux-parents. Puis les deux hommes revinrent en ville dans le cabriolet vert. Qwilleran s’émerveilla de la compétence et de l’assurance de cet homme pour faire face à une situation délicate.
— Belle journée, dit Birch. Nous avions besoin de pluie, mais trop c’est trop Bah... Ah !... Ah !... Ah !
— Je vais pouvoir sortir ma bicyclette cet après-midi, dit Qwilleran.
— Quant à moi, je partirai de bonne heure pour aller à la pêche. Un gros saumon rose se promène à quelques milles de Purple Point.
— Avez-vous un bateau ?
— Bien sûr, un croiseur de quarante pieds, bien équipé avec pilotage automatique, capteur de poissons, vous devriez vous en payer un.
— Capteur de poissons ? Qu’est-ce que cela ?
— Eh bien il y a un sonar qui enregistre les bruits. Il balaie le fond du lac et vous indique où sont les poissons et en quelle quantité. C’est la pèche de première classe !
À midi, Birch s’était éclipsé avec sa radio portative et ses outils. Qwilleran put savourer son déjeuner en paix.
— C’est agréable d’avoir les portes réparées, dit Mrs. Cobb. Cela valait la peine d’endurer certains inconvénients.
Qwilleran acquiesça :
— Koko ne pourra plus faire irruption dans ma chambre à six heures du matin. Il s’imagine que tout le monde doit se lever aux aurores.
La gouvernante servit le déjeuner dans le petit salon garni de chintz jaune et vert.
— C’est la meilleure timbale de macaronis au gratin que j’aie jamais mangé, déclara Qwilleran.
— J’ai trouvé du véritable cheddar dans une petite boutique, derrière la poste.
Après un moment, elle ajouta :
— J’ai aussi remarqué une vente promotionnelle de bicyclettes à dix vitesses, avec vingt pour cent d’escompte.
— Lorsqu’ils feront une bicyclette à l’épreuve des chiens, je serai peut-être intéressé, grogna Qwilleran.
Plus tard, cet après-midi là, à l’heure du courrier Koko lui apporta la carte de remerciements de Pénélope sur laquelle on sentait une légère, mais insistance trace de Magie Féline.
— Qu’est-ce que Steve essayait de nous dire, Koko ? Qui a tué Tiffany Trotter et pourquoi ? Et qu’est-il vraiment arrivé à Daisy Mull ? Perdons-nous notre temps à chercher des réponses à ces questions ?
Le chat était assis très droit. Il se balançait légèrement en concentrant son regard bleu sur le front de Qwilleran. Soudain, celui-ci s’avisa que Koko n’avait jamais vu les fresques de l’appartement de Daisy. Il saisit le chat et le porta au garage. Koko ne se débattit pas, mais semblait se concentrer avec anticipation.
D’abord, Qwilleran permit au chat d’examiner les voitures, la bicyclette et les ustensiles de jardin. Il valait toujours mieux lui laisser prendre son temps et suivre ses propres inclinations. Il finit par trouver l’escalier et le gravit rapidement. Il renifla l’appartement fraîchement repeint, sans plaisir apparent, puis il traversa le palier et pénétra dans la jungle de pâquerettes.
La première réaction de Koko fut de s’aplatir, le ventre contre le sol. Tout autour de lui sur les murs et le plafond se dressaient des formes étranges et menaçantes. On avait dit à Qwilleran que les chats ne pouvaient distinguer les couleurs, mais ils pouvaient les sentir. Lorsque Koko conclut qu’il était en sécurité, il se mit à avancer en inspectant avec précaution plusieurs taches mystérieuses sur le sol, une éraflure sur la commode et une déchirure dans le capitonnage d’une chaise. Rassuré par ces investigations, il s’étira de tout son long, avant de se lancer dans une danse autour de la pièce, comme s’il entendait de la musique dans les couleurs que Qwilleran ne pouvait apprécier qu’avec les yeux.
Puis quelque chose d’invisible alerta le chat. Il regarda rapidement à droite et à gauche, fit quelques pas, sauta en agitant les pattes, courut d’un bout à l’autre de la pièce et sauta en l’air en détendant son corps souple.
La théorie de la maison hantée, prônée par Mrs Cobb, traversa l’esprit de Qwilleran qui frissonna involontairement, avant de se rendre compte de ce qui se passait. On était en août, la saison des insectes et Koko chassait un moucheron, suivant ses circonvolutions aériennes de sauts acrobatiques. Il le chassa jusque sur le palier et revint en mâchonnant et en se léchant les babines.
— Dégoûtant ! lui dit Qwilleran écœuré, est-ce là tout ce que tu trouves à faire ?
Koko était tout excité par le succès de sa chasse et prêt à trouver une autre proie. Il sauta sur le lit et se dressa sur ses pattes de derrière en étendant une patte sur le mur. Il mesurait près de quatre-vingts centimètres, quand il se détendait de la sorte. Il caressa les graffitis en essayant d’atteindre une des initiales nichées au cœur des fleurs. Il sauta et le moucheron tomba apparemment entre le mur et le matelas. Koko glissa d’abord une patte entre l’espace, puis l’autre en salivant avec anticipation.
— C’est révoltant, dit Qwilleran, tu manges ces sales mouches dégoûtantes et tu refuses la nourriture pour chat avec ajout de vitamines et de sels minéraux ! Partons d’ici et rentrons à la maison. Tu me déçois beaucoup.
Koko resta couché derrière le lit.
— Tchoum ! Tchoum ! fit-il, en éternuant.
— Tu vois bien que c’est sale, viens !
Le chat ne répondit pas et Qwilleran éprouva la sensation familière sur sa lèvre supérieure. Une fois déjà, Koko avait tiré un papier important, tombé derrière un lit. En s’agenouillant à côté de lui, Jim s’efforça de regarder dans l’ombre. Koko avait vu quelque chose et reniflait en tendant la patte.
Qwilleran plongea la main et ramena un carnet aux pages froissées. Koko se redressa immédiatement en miaulant pour réclamer son trésor. De toute évidence, certaines pages avaient été rongées par des souris.
Tenant le carnet d’une main et le chat indigné sous son bras, Qwilleran retourna à la maison et se dirigea vers la bibliothèque. Koko protestait sur un ton furieux et Yom Yom arriva en courant du solarium, en miaulant sa sympathie. À son tour, Mrs. Cobb se présenta :
— Que se passe-t-il donc ici ?
— Donnez-lui une boîte de crabe, en récompense, voulez-vous ? Et surtout, éloignez-le de moi, pour l’amour du ciel !
— Crabe ! Crabe ! cria-t-elle, en se dirigeant vers la cuisine, immédiatement suivie par les deux chats.
Qwilleran ferma la porte de la bibliothèque et s’assit pour inspecter la trouvaille de Koko.
Il s’agissait du meilleur marché de tous les carnets, avec des pages rayées, quelques-unes écornées, toutes tachées et imprégnées d’une odeur de moisi.
— Un journal ! dit-il à haute voix, en feuilletant les pages souillées, avec dégoût.
Il distinguait des dates, mais l’écriture était illisible. Naguère, il avait connu une artiste qui écrivait en donnant à toutes ses lettres l’apparence d’un U ou d’un W. Daisy écrivait ses lettres comme des O. L’écriture cursive était une succession de cercles entrelacés. Le commentaire de son professeur de dessin était exact : l’invention calligraphique de Daisy était agréable à l’œil, mais impossible à déchiffrer.
Après sa promenade à bicyclette, décida-t-il, il téléphonerait à Mildred Hanstable pour lui demander de regarder ce carnet et – si possible – de le traduire. En attendant, il l’ajouta à sa collection grandissante, dans le tiroir du bureau : l’éléphant en ivoire, le bracelet en or, la carte postale et une enveloppe contenant mille dollars.
Chacun de ces objets avait été découvert par ce chat phénoménal. Cependant, toutes les découvertes de Koko avaient été accidentelles. Cette fois, il avait chassé un moucheron et l’avait fait tomber, alors que celui-ci essayait de se cacher parmi les initiales. Au fait, quelles étaient ces initiales ?
Qwilleran se précipita au garage et revint. Saisissant l’annuaire téléphonique, il parcourut deux colonnes. Seuls trois abonnés portaient les mêmes initiales. Sam Gafner, Scott Gippel et Senior Goodwinter. Si S.G. avait été l’objet de l’affection de Daisy, ce devait être Gafner, conclut-il. Scott Gippel était le conseiller municipal obèse qui avait besoin de deux chaises pour s’asseoir. Le père de Junior, avec sa toque en papier et son expression étonnée semblait peu apte à séduire une très jeune fille. Gafner, l’agent immobilier local paraissait le candidat le plus plausible. Après sa promenade à bicyclette, se répéta-t-il, il se livrerait à des recherches plus sérieuses.
C’était une belle journée pour faire de la bicyclette. Réchauffé par le soleil et caressé par une légère brise, Qwilleran se dirigea vers sa route de campagne favorite. Fraîchement arrosée par la pluie, la végétation était d’un vert éclatant. Des oiseaux noirs s’envolaient des buissons pour suivre le promeneur solitaire. Des cliquetis dans sa chaîne et dans la roue arrière s’ajoutaient au chœur des pépiements. Il se souvint des derniers mots de Mrs. Cobb, en le voyant partir :
— Soyez prudent avec ce vieil engin, Mr. Q. Vous devriez vraiment acheter une bicyclette à dix vitesses !
Tout sur Ittibittiwassee Road sentait la propreté et la fraîcheur. Le soleil et la brise avaient séché la route, mais sur les bas-côtés le fossé était rempli d’eau de pluie. Il se trouvait à près de deux mètres de la route pour permettre son élargissement. La route deviendrait, alors, une voie nationale pour desservir le complexe immobilier qui devait être construit. Dommage ! Il aimait cette tranquille petite route. Sur sa droite se dressait l’emplacement de la vieille mine Buckshot où des mineurs avaient été enterrés vivants en 1913. En passant devant les ruines, il écouta en quête des sifflements étranges qui en sortaient parfois, racontait-on. La cabane abandonnée marquant l’entrée de la mine s’était affaissée un peu plus sous les décombres.
Qwilleran étudiait ces ruines avec une telle concentration qu’il ne s’avisa de l’approche d’un camion, en sens inverse, que lorsque le bruit du moteur retentit. Il leva la tête à temps pour le voir gagner de la vitesse et tourner brusquement vers une piste sur la gauche. Le monstre meurtrier fonçait sur lui et sa vieille bicyclette. Il se cramponna au guidon et plongea en direction du fossé, mais sa roue avant heurta un rocher et il fut projeté par-dessus le guidon. Pendant un moment interminable, il eut l’impression de voler.
Lorsqu’il parvint à sortir du fossé, étourdi, trempé et couvert de sang, il tituba péniblement sur la route déserte, ne sachant pas où il était ou ce qu’il faisait là.
Toutes les routes mènent quelque part. Continue à avancer.
Quelques minutes, ou quelques heures plus lard, une voiture s’arrêta. Un homme en sortit en criant et le fit asseoir près de lui. Il se laissa aller clans cette voiture qui roulait à grande vitesse.
Que dit-il ? Je ne sais pas, je ne peux...
On le transporta sur une civière dans un grand bâtiment. Des lumières aveuglantes l’éblouissaient. Des gens bizarres parlaient, parlaient. Il était fatigué.
Le lendemain matin, il ouvrit les yeux et se retrouva dans un lit étranger, dans une chambre qu’il ne connaissait pas.