CHAPITRE NEUF

 

Qwilleran et Melinda dînèrent au Vieux Moulin, un authentique moulin à eau, converti en restaurant et réservé aux esprits conservateurs qui se souciaient plus des vestiges d’Histoire que de la qualité du menu. Cependant, l’atmosphère était agréable et invitait à une conversation intime. Il commanda du champagne pour célébrer le retour de la jeune femme et quelque chose de plus inoffensif pour lui.

— Comment était Paris ? demanda-t-il.

— Plein d’Américains. La prochaine conférence aura lieu en Australie. Vous devriez venir avec moi, mon chou.

Voyage trop onéreux, pensa-t-il aussitôt. Puis il se rendit compte que ce mot n’appartenait plus à son vocabulaire. Il trouvait toujours difficile de s’ajuster à son nouveau statut financier.

— Je n’aime pas voyager seule, poursuivit Melinda, je n’aime pas davantage vivre seule, ajouta-t-elle, avec un regard appuyé.

— Ménagez ces longs cils, dit Qwilleran, nous n’avons pas encore commencé le dîner.

— Qu’est-il arrivé de passionnant pendant que j’étais au loin ?

Il lui fit part de la controverse au sujet du drapeau, à grand renfort de détails pittoresques.

— Ce Blythe m’intrigue, conclut-il, il s’exprime avec clarté et conduit fort bien les débats. Qui est-il ? Quelles sont ses origines ?

— Il est conseiller financier. Sa mère était une Goodwinter. Il a été proviseur du lycée jusqu’au scandale, il y a quelques années.

— Que s’est-il passé ?

En bon journaliste, Qwilleran était toujours intéressé par les détails croustillants.

— Il a eu une liaison avec une étudiante, mais il s’en est tiré avec une tape sur les doigts et une invitation à donner sa démission. N’importe qui à sa place aurait dû quitter la ville, mais, avec l’aplomb des Goodwinter, il est resté et il s’est même présenté comme maire et a gagné avec un véritable raz de marée électoral.

Sur l’insistance de Melinda, ils commandèrent des raviolis.

— C’est la spécialité de la maison. Ils les achètent surgelés et ils les font chauffer au four à micro-ondes, c’est le seul plat du menu que le cuisinier ne peut pas rater.

— Cette ville aurait vraiment besoin d’un bon restaurant.

— Les Lanspeak vont en ouvrir un. Ne l’avez-vous pas appris ? Ils voyagent beaucoup et apprécient la bonne cuisine, aussi ce devrait être une véritable oasis dans cet océan de hamburgers et de frites au ketchup que nous connaissons. Comment se porte le palais de Pickax ?

— Mrs Cobb est finalement revenue et j’ai commandé un divan confortable pour mon studio. Nous avons une clef pour la porte de service.

Birch Tree vient presque chaque jour faire des réparations au son de son infernale radio. Aujourd’hui, il est allé à la pêche et la maison était si tranquille que les chats marchaient sur la pointe des pattes.

— Koko jette-t-il toujours vos invitées féminines hors de la maison, à onze heures du soir ?

— C’est l’heure de son coucher. Ce chat connaît non seulement l’heure qu’il est, mais je crois qu’il sait compter. Il s’assied toujours sur la troisième marche de l’escalier.

— La troisième marche du haut ou du bas ? S’il s’assied en haut, on pourrait plutôt dire qu’il est sur la dix-huitième marche, remarqua Melinda, avec ironie.

Qwilleran parla du lustre en argent à seize branches.

— Si je décidais de donner un dîner, consentiriez-vous à être mon hôtesse ?

— Et tout ce que vous voudrez d’autre, mon chou, dit-elle, en le regardant avec impudence.

— Le rédacteur en chef du Fluxion va venir passer quelques jours ici et j’ai pensé que je pourrais inviter Pénélope et Alexander ainsi que quelques personnes de Pickax et de Mooseville. Mrs Cobb m’a offert de préparer le dîner.

— Est-elle bonne cuisinière ?

— Eh bien, elle prépare d’excellents rôtis, une succulente timbale de macaronis et le meilleur gâteau à la noix de coco que j’aie jamais mangé.

— Chéri, vous ne pouvez servir une timbale de macaronis à une table éclairée par un lustre à seize branches. Vous devrez prévoir quelque chose d’élégant comme des escargots. Il vous faudra un maître d’hôtel pour servir les cocktails dans le solarium. Deux serveurs feront le service dans la salle à manger... tandis qu’un trio à cordes jouera de la musique, derrière les palmiers.

— J’espère que vous n’êtes pas sérieuse, dit Qwilleran.

— Bien sûr que si ! Il n’est plus temps d’envoyer des invitations sur des bristols gravés, aussi devrez-vous téléphoner à tout le monde, bien que ce soit un peu cavalier.

— Qui s’apercevra de la différence ?

— Pénélope, dit Melinda, sans hésiter. Pénélope mange toujours de la crème glacée avec une fourchette. Socialement, elle représente une résurgence de l’époque edwardienne. Mon arrière-grand-mère possédait seize livres sur l’étiquette. En ce temps-là, les gens ne s’inquiétaient pas de perdre du poids et ne s’intéressaient pas aux sentiments des autres, ils voulaient savoir s’ils devaient manger la purée avec un couteau.

Elle refusa le dessert et termina la bouteille de champagne, mais Qwilleran commanda une Crème glacée à la française, une pâtisserie en forme de boule, posée au milieu d’une crème au chocolat. De quelque façon qu’il essayât d’attaquer la croûte impénétrable, la boule roulait dans la crème et menaçait de sauter par terre. Après chaque gorgée de champagne, Melinda devenait plus prolixe sur l’organisation de la réception :

— Pour impressionner votre rédacteur en chef, nous devrions servir un repas de spécialités locales, en commençant par une terrine de faisan et un consommé au cresson. Il y a une petite fontaine secrète à Ittibittiwassee, accessible seulement en canoë, où l’on peut trouver du véritable cresson de rivière. Faites-vous du canoë ?

— Seulement contraint et forcé.

— Nous pourrions aussi faire des croquettes de saumon, comme plat de poisson.

Elle but une autre gorgée de champagne.

— Comme plat principal, je verrais bien de l’agneau à la bûcheronne avec de petites pommes de terre rôties et des champignons. Il fait trop sec pour espérer trouver des morilles.

Elle but encore un peu.

— Enfin, des asperges à la vinaigrette...

— N’oubliez pas le dessert. De préférence, une crème glacée à la française.

— Que diriez-vous d’un plat de mûres sauvages ? Il faudrait prévoir deux ou trois vins. Mais je pourrais en voler dans la cave de papa.

— J’espère que l’on recrutera le maître d’hôtel et les serveurs parmi les indigènes, dit Qwilleran.

— Cela pose un problème. Mais nous pourrons engager les acteurs bénévoles du Thespian de Pickax. Larry Lanspeak joue le rôle principal dans Jeeves. Il fera un maître d'hôtel parfait.

— Vous ne parlez pas du propriétaire du grand magasin, je suppose ?

— Mais si ! Il adorera jouer ce rôle. Les deux jumeaux Fitch sont en vacances de l’Université de Yale et ils pourront porter leurs costumes du Prince étudiant et jouer les valets de pied au naturel. Nous organiserons une répétition générale, bien entendu et je suis sûre qu’ils tiendront leur rôle avec un visage impassible. Pénélope en aura une attaque.

Qwilleran ne croyait pas un mot de tout cela, mais il entrait dans ce jeu né du champagne.

— Où trouverons-nous le trio de musique à cordes ?

— Mon père parle toujours de trois musiciens qui jouaient des valses de Strauss derrière les palmiers à l’hôtel de Pickax, avant la guerre.

— Ils doivent être tous morts maintenant.

— Pas nécessairement. Les gens vivent vieux dans le Comté de Moose.

En sortant du restaurant, il déclara :

— Votre scénario a été très amusant. Je souhaiterais seulement pouvoir le mettre en pratique.

— Mais nous le pouvons ! dit-elle, avec indignation. J’ai les recettes de ma mère et je mettrai les détails au point avec Mrs Cobb. Tout ce que vous aurez à faire sera de payer la note.

Ils allèrent chez Melinda pour consulter les livres d’étiquette de son arrière-grand-mère et Qwilleran rentra à la maison à une heure tardive, en fredonnant un air du Prince étudiant. En tournant la clef dans la serrure, il entendit les reproches sévères de Koko.

— Occupe-toi donc de tes affaires, dit Qwilleran, va plutôt fraterniser avec Yom Yom !

Avant d’aller se coucher, il fit le tour de la maison pour éteindre les lumières et fermer les fenêtres. Il trouva tout en ordre, sauf dans la cuisine où, de façon inexplicable, le tabouret était au centre de la pièce.

Quand Qwilleran fit part de cette manifestation à Mrs Cobb, le lendemain matin, elle lui répondit :

— Je vous ai dit qu’il se passait quelque chose de louche, à présent, vous êtes bien obligé de me croire. Bien plus, j’ai entendu quelqu’un jouer du piano, un soir, après l’extinction des lumières.

Qwilleran devait prendre la parole à un déjeuner du Club des Boosters de Pickax, à midi, ensuite il irait chercher Arch Riker à l’aéroport. Mais d’abord, il téléphona pour lancer les invitations à dîner. Tout le monde accepta avec plaisir, bien que ce fût à une date aussi proche. Pénélope elle-même répondit :

— Mon frère revient ce soir de Washington, nous serons enchantés de venir. Cravate noire ?

— Optionnelle. Melinda m’a chargé de vous dire qu’elle porterait une robe du soir.

— Parfait.

Amanda sauta de joie :

— Personne ne m’a jamais invitée à un cocktail ou un dîner depuis des lustres. Je vais sortir ma robe de la naphtaline.

À Junior Goodwinter, Qwilleran précisa :

— Ne venez pas avec votre carnet de notes. Vous êtes prié à ce dîner comme invité et non comme reporter. Oh ! essayez d’emprunter une cravate.

Avant d’aller à son déjeuner, Qwilleran acheta lui-même une cravate chez Scottie, bien qu’il trouvât le prix exorbitant.

Il n’y avait pas de casquettes à visière au déjeuner des Boosters. Tous les hommes influents de la communauté se rassemblaient dans une salle privée du Vieux Moulin pour manger des raviolis surgelés, réchauffés au micro-ondes. Parmi ceux qu’il reconnut, se trouvaient le maire Blythe, le Dr Halifax Goodwinter, le chef de la police Brodie et l’austère Mr Cooper. Le Président du club, Alexander Goodwinter étant encore à Washington et le vice-président Landspeak étant parti en Jet dans le Pacifique, ce fut Nigel Fitch qui présenta l’hôte d’honneur à l’assemblée. Celui-ci se leva pour remercier :

— Messieurs, commença-t-il, j’avais toujours cru que le Pays d’En-Bas était un lieu géographique, maintenant je me rends compte que c’est bien autre chose. Alors que nous bénéficions d’une température idéale dans tout le Comté de Moose, il fait une chaleur infernale au Pays d’En-Bas.

(Vifs applaudissements des Boosters)

« Une température agréable n’est pas la seule raison pour me féliciter d’être parmi vous. Depuis mon arrivée, je n’ai pas été asphyxié par le gaz carbonique ou renversé par un camion.

(Nouveaux applaudissements)

« Pour le côté négatif, je reconnais que j’ai dû renoncer à siffler...

(Quelques rires, sauf de la part de Cooper.)

« Ayant travaillé toute ma vie, je sens la nécessité de m’engager dans quelques entreprises. J’ai envisagé d’ouvrir une salle d’éducation physique à côté de chez Otto’s Tasty (rires) ou bien j’aurais pu m’assurer l’exploitation d’un produit contre les moustiques (gros rires)...

Il poursuivit plus sérieusement en expliquant les objectifs de la Fondation Klingenschoen et quand il reprit sa place, sous les applaudissements, le maire Blythe lui offrit un véritable pic, emblème de la ville, en bon état de fonctionnement.

Après la réunion, le quincailler se présenta :

— J’ai cru comprendre que vous entendiez fermer votre porte de service, Mr. Qwilleran. Ce n’est pas une mauvaise idée, à la façon dont vont les choses. J’ai commandé un modèle de verrou spécial, au Pays d’En-Bas. Une merveilleuse mécanique, ce qui se fait de mieux dans le genre.

Puis le chef de la police prit Qwilleran à part :

— Vous m’avez parlé de cette fille qui a disparu, il y a cinq ans. Vous dites qu’elle a été vue pour la dernière fois le 7 juillet ?

— C’est le dernier jour où elle a travaillé, selon les rapports de son employeur.

— Cette date m’a rappelé un souvenir. J’étais assistant-shérif, à l’époque. Il y a eu un grave éboulement dans une des mines, dans la nuit du sept juillet. Je me souviens que nous l’avons entourée de cordes jusqu’à ce que soit posée une barricade. On a même laissé un homme en faction vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’ai pensé que vous aimeriez le savoir.

Un homme blond à l’air doucereux se présenta. Sam Gafner, l’agent immobilier local. Qwilleran comprit qu’il avait quelque chose à vendre, avant même qu’il n’ait ouvert la bouche.

— Seriez-vous intéressé par une bonne affaire, Mr. Q. ? Il se trouve que j’ai appris que ce restaurant où nous sommes ne va pas tarder à fermer. C’est une excellente affaire. Il faudrait seulement une bonne direction.

Les applaudissements et les compliments l’ayant mis d’excellente humeur, Qwilleran partit pour l’aéroport chercher Arch Riker. Son ami descendit de l’avion et regarda autour de lui avec étonnement :

— Est-ce là un aéroport ? J’ai cru que nous avions fait un atterrissage forcé en pleine campagne !

Qwilleran lui serra la main :

— C’est bon de vous revoir, Arch. Comment s’est passé le voyage ?

— J’ai eu l’impression d’être redevenu un pionnier de l’aviation !

Qwilleran l’entraîna vers la limousine Klingenschoen.

— J’espère que vous avez apporté votre smoking, Arch ?

Ayant rangé la valise de Riker dans le coffre, la limousine prit la longue route de l’aéroport.

— Quinze kilomètres en ligne droite, sans courbe, ni montée, croisement ou habitation, annonça Qwilleran. Pas de souci à se faire, sauf si un élan, ou un raton laveur traverse la route. Il y a beaucoup de gibier sauvage par ici. Tout le monde va à la chasse et possède un fusil. Les panneaux que vous voyez signalent les mines abandonnées.

— On dirait des maisons hantées, dit Riker, je parie que les gosses en font des lieux de rencontre pour s’amuser. Aimez-vous vraiment vivre dans ce pays sauvage ?

Attendons qu’il voie le maître d’hôtel et qu’il entende l’orchestre à cordes ! pensa Qwilleran.

— Mais oui, je m’y plais et les chats sont fous de joie de pouvoir courir dans cette grande maison. Koko grimpe les vingt et une marches de l’escalier en trois bonds.

— A-t-il appris de nouveaux tours ?

— Arch, vous n’allez pas me croire, cet animal démoniaque joue au postier. Quand le courrier arrive, il le trie et me porte les lettres qu’il considère comme importantes.

— Personne d’autre que moi ne vous croirait.

— C’est un fait que vous pourrez vérifier. Il semble reconnaître certaines odeurs. Il me porte les lettres de personnes qu’il connaît ou qui proviennent de maisons où il y a des chats ou encore qui viennent d’endroits où il a vécu.

— J’ai appris que Mrs. Cobb travaillait chez vous, dit Riker, abordant un sujet délicat.

— Nous en reparlerons à la maison, en buvant un verre. Comment se porte le Fluxion ?

— J’attends seulement le moment de prendre ma retraite.

— J’aimerais vous montrer le Pickax Picayune. Il faut une loupe pour lire les manchettes. Il rend compte de toutes les réceptions mondaines et les dîners raffinés.

— Comment faites-vous pour avoir des nouvelles de l’extérieur ?

— Heureusement l’édition provinciale du Fluxion est distribuée ici et cela nous permet de rester en contact avec le reste du monde et ses réalités : guerres, désastres, assassinats, émeutes, meurtres et toutes les nouvelles intéressantes de ce genre. La radio locale WPKX nous informe des accidents de voiture, de chasse et des incendies de grange et de forêt.

Il tourna le bouton de la radio et ajouta :

— Nous venons de rater les nouvelles de six heures.

Le présentateur annonçait :

— ...est tombée d’un tracteur dans la ferme de son père, Terence Kilcally, 48 ans. Le tracteur s’est, alors, retourné dans un fossé. L’assistant du shérif a dit à notre envoyé spécial que le tracteur avait continué à avancer jusqu’au fossé où il s’est retourné. La température actuelle à Pickax est un agréable 25° ...

— On n’a pas besoin d’appareil à air conditionné à Pickax, dit Qwilleran, en montrant les imposantes demeures de Goodwinter Boulevard. Ces maisons en pierre de taille restent fraîches en été. Les murs sont épais de soixante centimètres.

Puis ils arrivèrent à la Résidence K. Après plus de vingt ans passés à éditer des nouvelles sensationnelles, Riker n’en fut pas moins impressionné par sa grandeur.

— Personne ne vit plus sur ce pied, Qwill, et vous moins que tout autre. C’est un petit Versailles ! C’est le Palais de Buckingham des Bois du Nord !

— Cessez d’écrire des manchettes, Arch et dites-moi ce que vous voulez boire.

— Je suis revenu au cocktail-Martini, mais je vais procéder moi-même au mélange. Depuis que vous ne buvez plus d’alcool, vous avez perdu la main.

Qwilleran versa un verre de jus de raisin pour lui et un dé à coudre pour Koko.

— Il me reconnaît, dit Riker, quand le chat vint se frotter à ses chevilles.

— Il sait que vous avez des chats. Comment vont ce vieux Punky et cette vieille Mibs ?

— Asseyons-nous, dit Riker, d’un air soudain très las.

Ils portèrent leurs verres dans la véranda.

— Eh bien voilà, dit-il, d’une voix frémissante. Nous avons dû les faire piquer. Ce fut une décision pénible. Rosie ne les voulait pas, la maison était mise en vente et je me suis installé à l’hôtel. Personne ne veut adopter des animaux âgés, alors j’ai demandé au véto de disposer d’eux en douceur. C’était de beaux chats à longs poils et il ne voulait pas le faire, mais je n’avais pas le choix.

Les deux hommes restèrent silencieux, tandis que Koko et Yom Yom entraient dans la pièce et se couchaient côte à côte dans un fauteuil confortable où ils se mirent à se lécher mutuellement. Finalement, Arch demanda :

— Où est Mrs. Cobb ?

— Elle est allée à une réunion de la Société d’Histoire. J’ai été surpris d’apprendre qu’elle avait vendu son magasin.

— Si vous avez été surpris, imaginez un peu ce que j’ai pu ressentir ! Rosie a fait un petit héritage et la première décision qu’elle a prise a été d’acheter cette boutique et de m’annoncer qu’elle allait vivre au-dessus du magasin, dans Zwinger Street, ce quartier mal famé !

— Qu’est-il arrivé à Rosie, Arch ? Je savais qu’elle était retournée, suivre des cours à l’Université, après le départ des enfants.

— Elle a suivi ces maudits cours et a fréquenté un groupe de jeunes qui lui ont mis en tête (les idées folles. Rosie s’est toujours bien entendue avec les jeunes. Elle est pleine de dynamisme. Mais il y a quelque chose de pathétique à voir des gens d’un certain âge essayer de retrouver leur jeunesse – spécialement chez une femme comme Rosie. Elle a un jeune amant.

Qwilleran tira sur sa moustache.

— Et que pensez-vous des hommes d’un certain âge qui fréquentent des minettes ?

Riker réfléchit avant de dire :

— C’est quelque peu différent.

Qwilleran proposa d’aller dîner au Vieux Moulin.

— Ne vous attendez pas à de la grande cuisine, mais l’atmosphère est agréable et l’on y trouve une certaine intimité.

Ils s’installèrent à une table près d’une fenêtre donnant sur la roue à eau du moulin. Elle tournait à l’électricité, sans être actionnée par la rivière, mais elle émettait un bruit imitant un torrent bouillonnant.

— Tranquillité bucolique, dit Riker, en se détendant. On se demande vraiment comment on peut encore vivre dans une grande ville. Est-ce que les activités criminelles du Pays d’En-Bas, comme vous l’appelez, ne vous manquent pas ? Vous avez toujours pris plaisir à une bonne enquête.

Qwilleran baissa la voix :

— Pour vous dire la vérité, Arch, il existe une situation ici qui me donne à réfléchir. Une jeune fille a disparu de la Résidence K, il y a cinq ans et j’éprouve certaines vibrations familières.

Il parla à Riker des fresques, des notes jouées sur le vieux piano, de la découverte par Koko des bagages de Daisy dans le grenier.

— La pièce principale de l’enquête est une carte postale qui est supposée venir de Daisy, mais qui n’a pas été écrite par elle. J’ai découvert que cette jeune personne était enceinte, au moment de sa disparition et que le père de l’enfant ne voulait pas l’épouser.

— De nos jours, cela n’a pas tellement d’importance. Ma fille veut un enfant, mais pas de mari. Nous sommes une espèce en voie de disparition avec nos préjugés d’un autre monde.

— Le cas est différent, Arch. Il s’agissait d’une fille qui se trouvait du mauvais côté de la barrière et qui avait là une occasion inespérée de changer de nom et de société. Juste au moment où j’allais rencontrer sa mère pour lui poser quelques questions, elle est morte d’un mélange accidentel de barbiturique et d’alcool – ou du moins, est-ce le verdict du Coroner.

— Vous vous trouvez toujours mêlé à ce genre de choses. Dieu sait pourquoi ! Au fait, qui a joué du piano ? Ne me dites pas que c’est le chat !

— Qui sait ? J’ai entendu les premières notes des « Trois souris aveugles ». Et si ce n’est pas Koko qui jouait, nous avons un fantôme dans la maison, comme dans toutes les vieilles demeures respectables, selon Mrs. Cobb. Faites votre choix.

Ils retournèrent à la maison, peu après la tombée de la nuit. Une fenêtre éclairée indiquait que Mrs. Cobb était rentrée et regardait la télévision.

— Un dernier verre ? proposa Qwilleran.

Au même instant, ils entendirent quatre notes jouées sur le piano du salon : sol-sol-sol-mi, se détachant claires et nettes.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Riker.

— La Ve symphonie de Beethoven, répondit Qwilleran, et maintenant allez-vous me croire ?

Ils s’assirent devant la table de la cuisine et écoutèrent les nouvelles de onze heures à la radio locale.

« La question de l’annexion entre la ville et le Comté a provoqué une bataille rangée au cours d’une réunion publique, ce soir. Un surveillant communal a été agressé par un résident en colère. Clem Wharton a refusé de porter plainte contre son agresseur Herb Hackpool.

« Ce soir, le conseil municipal a voté à l’unanimité en faveur de la qualité de l’enseignement. Le président de la séance, Mr. Nimkoff a déclaré à notre envoyé spécial : « Nous avons décidé de nous prononcer en faveur de la qualité de l’enseignement. »

« Nous avons annoncé qu’une jeune femme résidant à Pickax avait trouvé la mort en tombant d’un tracteur dans la ferme de son père. Selon le rapport du coroner, Tiffany Trotter, 24 ans, a été tué d’un coup de fusil. La police enquête. »