CURISTES-ROUTIERS

Ceux qu’on appelait jadis les « touristes-routiers », lorsqu’ils s’élançaient sur les routes du Tour de France, munis d’un pain de quatre livres et d’un litre de rouge, avec, au bout du chemin, l’éventualité poétique de sommeiller à la belle étoile, comme des moissonneurs bibliques, étaient des personnages pittoresques et rugueux pour qui l’aventure cycliste se réduisait à un colloque farouche avec le décor et les éléments naturels.

Il aura fallu, il y a une dizaine d’années, que la grande et nécessaire épreuve déroule ses préliminaires dans les fastes ouatés de la station thermale de Vittel pour qu’on mesure plus exactement l’ampleur et la complexité des rouages désormais mis en œuvre par la condition de coureur à bicyclette. La régularité, mais plus encore l’intégralité physique des participants et leur protection contre les penchants assez « stupéfiants » qui les habitent parfois étaient au centre des préoccupations et des controverses. Les organisateurs, dont le beau souci s’affirmait de plus en plus être la santé du Tour, avaient baptisé celui qui s’ouvrait : « le Tour de santé », ce qui n’impliquait pas forcément que la course se présentât comme une balade du même nom mais laissait présumer en filigrane que les champions, ainsi que tout homme bien portant dans Knock de Jules Romains, sont trop souvent des malades qui s’ignorent. En vérité, sans atteindre à la préciosité de la cantatrice, le coureur du Tour est devenu, au fil de trois semaines, à tout le moins, un organisme de précision, un laboratoire habité par une âme riche en détours nuancés, en exigences, voire en caprices.

L’une des innovations dans le protocole, qui allait se faire jour au départ de Vittel, ne tarda pas à nous confirmer que ce Tour promettait d’adjoindre aux après-splendeurs de la compétition les bienfaits d’une cure de désintoxication. Elle était appelée à faire date. Dorénavant les coureurs auraient le droit de se laisser glisser dans le flot des voitures suiveuses, durant une portion assez considérable du parcours, pour recevoir de la boisson de leur directeur sportif, et de préférence de l’eau minérale. Le spectacle de ces garçons, rapportant périodiquement leur emballage vide pour toucher un bidon plein, ainsi qu’un estivant tend son verre gradué aux guichets de la source, s’il ne présente pas les péripéties cascadeuses de la fameuse « chasse à la canette » d’antan, où les coureurs pillaient indifféremment les estaminets et les camions de brasseurs, en supprime les aléas ravageurs. Un formidable réfrigérateur à roulettes, destiné à réapprovisionner ceux qui désirent s’en jeter un derrière la caravane, accompagne le cortège. Il avoisine le fourgon-balai. Sans doute pour ceux qui désirent boire avec une paille.