31.

Le lendemain vendredi 23 décembre, à quatre heures du matin, Du Halde vint frapper à la porte des appartements de la reine chez qui Henri III avait passé la nuit. Le roi avait demandé qu’on le réveille à cette heure, mais en vérité il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Il s’habilla seul, à la lumière d’une chandelle, et se rendit dans son cabinet neuf où son valet de chambre était revenu. L’attendaient Roger de Bellegarde, François de Montpezat, François de Montigny et Alphonse d’Ornano qui avaient préparé des lanternes. D’un regard, Henri III interrogea Montpezat qui montra la clef que Larchant lui avait remise. Satisfait, il lui fit signe de faire ce qui avait été décidé, puis il demanda à Du Halde de prendre une lanterne et de le suivre.

Son valet de chambre n’était pas dans la conspiration et le souverain ne voulait pas qu’il y soit impliqué si l’affaire tournait mal. Ils se rendirent dans la salle des gardes située dans le prolongement de la pièce où se tiendrait le conseil. Nicolas de Larchant s’y trouvait déjà avec quatre de ses archers en qui il avait la plus totale confiance. Le roi les salua en s’approchant de la cheminée. Derrière un lambris ouvrait un petit escalier de pierre noyé dans la muraille, qui communiquait avec les cellules de capucins du troisième étage. Henri III le prit avec son valet de chambre. En haut, une des cellules était vide et le roi y fit entrer Du Halde en lui expliquant qu’il serait enfermé là une partie de la matinée, et qu’il lui expliquerait ensuite pourquoi. Le fidèle serviteur avait tant l’habitude des extravagances de son maître qu’il ne posa aucune question, bien qu’il se doutât de la conspiration.

Ensuite le roi alla frapper aux portes des autres cellules. En sortirent, les uns après les autres, une dizaine de capucins.

Si Du Halde les avait vus, il aurait trouvé que ces moines avaient de drôles d’allures. Tous grands et vigoureux, en bottes et non en sandales, ils ne portaient pas de chapelet mais une longue dague dans son fourreau. Ils descendirent en silence par le même escalier.

C’était neuf des gentilshommes ordinaires congédiés par le duc de Guise que Montpezat avait fait revenir depuis deux semaines. Quelques-uns étaient entrés dans le château habillés en capucins, mais la plupart étaient passés par une fenêtre avec une échelle de corde lancée depuis la chambre du roi dans les fossés. Ils vivaient là, isolés, dans l’attente de la grande entreprise et Montpezat lui-même leur portait nourriture et boisson.

À l’autre extrémité du troisième étage, Nicolas Poulain, pas plus que les autres personnes qui logeaient là, n’avait entendu le moindre bruit.

Le roi et les ordinaires, cette fois suivis de Larchant, revinrent dans le cabinet. François de Montpezat était de retour avec une douzaine de quarante-cinq qui attendaient aux écuries, de l’autre côté de la galerie des Cerfs. Guise n’avait pas pensé un seul instant que cette clef qu’il avait remise à Larchant allait être la cause de sa mort.

La trentaine d’hommes ainsi réunis était fort à l’étroit dans le cabinet et Montpezat les plaça en cercle autour du roi.

Gentilhomme de la chambre du roi après la mort de son père, déjà au service d’Henri III, François de Montpezat, baron de Laugnac, avait d’abord été le favori de Joyeuse avant de se lier à Épernon qui lui avait demandé de recruter quarante-cinq gentilshommes de son pays pour protéger le roi. C’était un jeune homme cruel – ce n’était pas pour rien qu’on le surnommait l’homme de proie –, ambitieux et pressé. Joyeuse et Épernon étaient ses modèles. Tous deux avaient été gentilshommes de la chambre à dix-sept ans, lui à seize. Il avait maintenant vingt-deux ans, et à cet âge les deux archimignons étaient déjà duc et pair. Il briguait les mêmes honneurs et était prêt à tout pour les obtenir. Les barons de Laugnac, se répétait-il, étaient d’aussi bonne noblesse que les obscurs La Valette1 et le duché d’Épernon avait été une simple baronnie. Mais pour passer de baron à duc, il savait qu’il devrait rendre un service considérable à Henri III.

Quand le roi lui avait fait part de sa décision de tuer le duc de Guise, Montpezat avait compris que la chance lui faisait signe. Il avait assuré Henri III qu’il s’occuperait de tout.

— Mes amis, commença Henri III d’une voix basse mais solennelle, vous avez éprouvé les effets de mes bonnes grâces, ne m’ayant jamais demandé aucune chose dont vous ayez été refusés. Vous êtes mes obligés par-dessus toute ma noblesse. Maintenant je veux être le vôtre en une urgente occasion où il y va de mon honneur, de mon état et de ma vie.

Il fit une légère pause en les regardant individuellement à tour de rôle, puis il haussa légèrement le ton.

— Vous savez tous les insolences et les injures que j’ai reçues du duc de Guise depuis quelques années. Son intention est de tout bouleverser pour prendre ses avantages, ma personne et disposer de ma couronne et de ma vie. J’en suis réduit à telle extrémité qu’il faut que ce matin il meure, ou que je meure. Voulez-vous me promettre de me servir et m’en venger en lui ôtant la vie?

Sourdement, tous s’y engagèrent d’une seule voix, et Sariac, l’un des quarante-cinq réputé plus brigand que gentilhomme, ajouta en frappant sa main contre la poitrine du roi.

— Cap de Diou, sire, iou bous le rendis mort!

Son engagement en gascon fit sourire les autres malgré la tension qui régnait. Henri III leur demanda alors de garder silence et vérifia qu’ils avaient tous un long poignard, en distribuant même à ceux qui n’avaient qu’une épée, expliquant qu’une rapière les gênerait. Ensuite, Montpezat montra à chacun la place qu’il occuperait. Une dizaine d’entre eux attendraient dans le cabinet vieux. Ornano resterait avec un groupe d’ordinaires dans la salle de la tour du Moulin qui communiquait avec le cabinet vieux, tandis que Montigny, Bellegarde et Montpezat demeureraient dans la chambre du roi, où Guise ne serait pas surpris de les voir puisqu’ils étaient gentilshommes de la chambre. Quand tout fut prêt, les quarante-cinq remontèrent silencieusement dans les cellules du troisième étage et les appartements du roi redevinrent totalement silencieux.



À sept heures, les secrétaires d’État arrivèrent pour le conseil. Puis ce furent le maréchal d’Aumont et le duc de Retz en compagnie de son frère le cardinal de Gondi. François d’O arriva avec M. de Rambouillet. Il pleuvait et tous étaient mouillés. Ils se rassemblèrent devant la cheminée pour se réchauffer. Dehors, Larchant avait rassemblé sa garde au grand complet, ce qui était inhabituel.

Le Balafré avait passé la nuit avec Mme de Sauves. Entre deux étreintes, la dame d’honneur de la reine l’avait conjuré de quitter Blois au plus vite. Le roi lui voulait du mal, répétait-elle. Elle le savait, ayant surpris des conversations chez la reine mère.

Guise la laissa parler. Elle aussi était abusée par Henri III et peut-être même par Catherine de Médicis, se disait-il. Il regrettait de ne pouvoir lui dire que dans quelques heures le roi de France aurait abdiqué et que, dans l’après-midi, il serait proclamé roi à sa place par les États.

Pauvre homme! S’il avait su que dans quelques heures il ne serait nullement dans la salle des États, ovationné par les députés, mais dans une cave de la tour du Moulin, froid et mort, sur le point d’être découpé en quartiers par un boucher sous le regard sévère du Grand prévôt.

Le duc rentra dans son appartement vers trois heures du matin. À sept heures, on dut le réveiller, tant il dormait profondément, épuisé par sa nuit d’amour! On lui annonça que le conseil était assemblé et n’attendait que lui. Il s’habilla à la hâte d’un costume de satin gris, trop léger en cette fin décembre, et oublia de revêtir sa jaque de mailles.

Suivi de quelques officiers, il prit la petite galerie menant de sa chambre au porche aux Bretons. Il s’arrêta à un oratoire pour une courte prière, puis sortit dans la cour.

Les gardes du roi étaient tous là. L’un d’eux s’approcha et le pria de les faire payer, ce à quoi il s’engagea avec bonhomie. Une pluie fine tombait. Il prit rapidement le grand escalier où se tenaient d’autres gardes sur chaque marche et sentit qu’on lui glissait un billet dans la main. Passant près d’un falot, il y jeta un regard :

« Partez! » était-il écrit.

Encore un avertissement inutile! sourit-il en le glissant dans une poche de son pourpoint.

Il s’arrêta à l’antichambre de la reine mère pour la saluer, mais Catherine, indisposée, ne put le recevoir. Il poursuivit donc jusqu’au deuxième étage et entra dans la salle du conseil. Tout le monde était rassemblé autour de la grande table. Il salua son frère le cardinal ainsi que l’archevêque de Lyon, puis les secrétaires d’État et M. d’Aumont qui garda un visage impavide. Il dit quelques mots aimables à Retz et à Gondi mais ignora le marquis d’O qui paraissait plongé dans un dossier.

On attendait le roi et M. de Revol qui étaient dans le cabinet vieux, lui dit-on. Il frissonna et s’approcha de la cheminée pour se réchauffer. Brusquement, il sentit sa tête tourner tant il avait faim et demanda qu’on aille lui chercher son drageoir pour qu’il croque quelques amandes.

On s’exécuta pendant qu’un valet lui proposait des prunes de Brignoles pour calmer sa fringale. Il en mangea une en silence. Le roi se faisait attendre et chacun s’impatientait. Il était le seul debout, entre la table et la cheminée, non loin de la porte.

Enfin le drageoir arriva. Le duc le saisissait des mains du serviteur quand il se mit à saigner du nez. Baissant la tête, il demanda un mouchoir.

— J’ai passé une trop rude nuit avec Mme de Sauves, gloussa-t-il pour se justifier.

Chacun rit dans la salle tandis qu’il tendait son drageoir à l’assistance.

— Messieurs, qui en veut?

À cet instant M. de Revol entra, venant de la chambre du roi. Le secrétaire d’État était affreusement pâle, remarqua le cardinal de Guise qui trouvait que ce conseil sortait de l’ordinaire et ne comprenait pas pourquoi le roi n’était toujours pas là.

— Monseigneur, le roi vous demande. Il vous attend dans son cabinet vieux, balbutia Revol.

Le duc retroussa son manteau et contourna la table, tenant dans une main ses gants et dans l’autre son drageoir d’argent. L’un des gardes devant la porte de la chambre lui marcha sur un pied. Était-ce un ultime avertissement? Quoi qu’il en soit, Guise l’ignora et se retourna vers les membres du conseil.

— Adieu, messieurs, fit-il.

Il entra dans le passage. Revol ne le suivit point.



À ce point de notre histoire, il faut rappeler que le logis royal de Blois est formé de deux parties séparées par l’ancienne muraille du vieux château. En ce temps-là, les salles publiques donnaient sur la cour et les appartements privés du roi avaient leurs fenêtres sur les fossés et les jardins. La salle du conseil était donc côté cour. Ces deux parties communiquaient par de nombreux passages dans l’épais mur de soutien. Celui entre la salle du conseil et la chambre du roi contenait un escalier à vis qui permettait de passer d’un étage à l’autre2.

La salle du conseil se prolongeait à droite par la salle des gardes, et par la gauche par le cabinet vieux (qui n’existe plus). Mais depuis que le roi avait fait murer la porte entre la salle du conseil et le cabinet vieux, il était nécessaire de passer par ses appartements pour s’y rendre. Le cheminement était donc le suivant : de la salle du conseil, on allait dans la chambre du roi en prenant le passage de l’escalier à vis. Là, on avait à main droite le cabinet neuf et à main gauche un oratoire avec un couloir étroit qui conduisait au cabinet vieux.

L’oratoire communiquait aussi avec une bibliothèque, située au-dessus du cabinet aux secrets de la reine mère, et comme ce cabinet, cette bibliothèque avait une porte donnant sur l’escalier accolé à la tour du Moulin et par lequel on descendait à la galerie des Cerfs. De la tour, par un étroit passage dans le mur, il était aussi possible de se rendre dans le cabinet vieux.

Le roi s’était caché dans le cabinet neuf, à l’autre extrémité de sa chambre, tandis que les ordinaires attendaient dans le cabinet vieux, où le duc était mandé.

003

En entrant dans la chambre à coucher royale éclairée par trois fenêtres, Guise, salua froidement les trois gentilshommes qui s’y trouvaient. Debout devant l’embrasure d’une fenêtre, François de Montpezat, Roger de Bellegarde, et François de Montigny lui rendirent son salut, puis firent quelques pas dans sa direction tandis qu’il traversait la salle jusqu’à l’oratoire.

À l’extrémité de la chambre, avant de s’engager dans le petit couloir sombre qui conduisait au cabinet vieux, le duc ressentit une brusque inquiétude de les sentir ainsi dans son dos. Il s’arrêta et se frotta la barbe avec la main qui tenait ses gants dans un geste d’indécision. Puis, évacuant cette crainte, il souleva la tenture qui fermait le passage et fit un pas hésitant.

Il avait les deux mains occupées, la tenture le gênait dans ses mouvements et son épée était sous son manteau.

Soudain, une violente douleur lui déchira l’épaule. François de Montigny lui avait saisi le bras droit et l’avait frappé dans le dos avec son poignard.

— Traître! Tu en mourras! cria le capitaine des portes du Louvre.

C’était le signal. Tiré en avant, poussé, bousculé, Henri de Guise perdit l’équilibre.

Les ordinaires cachés dans le cabinet vieux se jetèrent sur lui comme des loups. D’autres, conduits par d’Ornano, arrivaient de la tour du Moulin et de la bibliothèque.

Saisi aux bras et aux jambes, maintenu, poignardé, Guise cria :

— Mon Dieu, je suis mort! Ayez pitié de moi! Ce sont mes péchés qui en sont cause!

Saint-Malin lui porta un coup de dague de la gorge jusqu’à la poitrine pour être certain de le meurtrir même s’il avait une cuirasse. Montpezat lui enfonça alors son épée au fond des reins.

Ce fut un moment de lutte confuse. Chaque ordinaire voulait prendre part à la boucherie, et gagner le prix du sang. Les uns frappaient à la tête, les autres au bas-ventre. Les mains en sang, Guise essayait encore de parer et à chaque blessure nouvelle, il balbutiait :

— Eh! Mes amis! Eh! Mes amis!

Atteint par Sariac d’un coup de dague, il cria en agonisant :

— Miséricorde!

Percé de dix blessures mortelles, incapable de sortir son épée immobilisée dans son manteau, les jambes serrées par deux ou trois hommes qui les lui tenaient et dont il frappait inutilement la tête avec son drageoir, le colosse eut encore la force de tenter de fuir. Il se traîna dans la chambre du roi et fit quelques pas, tirant après lui une grappe d’hommes.



Dans sa chambre du troisième étage, Nicolas Poulain terminait de s’habiller. Depuis qu’il avait prévenu le roi, le regret et l’angoisse le taraudaient.

Après avoir rapporté au roi ce que Venetianelli lui avait raconté, il l’avait supplié de le garder près de lui. Mais Henri III avait secoué la tête.

— Monsieur de Dunois, je suis votre obligé et je connais votre fidélité, avait-il dit, apparemment ému. S’il y allait de mon honneur et de ma vie, je vous voudrais près de moi. Mais en cette occasion, sachez que je ne suis pas pris au dépourvu. Je vous demande… Non, je vous ordonne de rester à l’écart. Trop de gens savent déjà que vous êtes le fils de mon ennemi, le cardinal de Bourbon, et on se méfierait de vous. De surcroît, je ne veux pas que vous souffriez de ce qui va se passer…

Depuis, Nicolas n’avait cessé de penser à ces paroles. Il avait compris que le roi préparait quelque chose. Depuis deux jours, il ne se montrait guère et il restait en conciliabules avec Ornano, O, Richelieu, d’Aumont, Montpezat, Bellegarde, Montigny et Larchant. L’enlèvement était prévu pour ce matin. Qu’allait-il se passer? Il savait à quel point il était difficile de garder un secret dans cette cour, et pourtant rien n’avait filtré. Pour sa part, il avait obéi aux ordres et strictement respecté son service auprès de la reine mère.

Il allait rejoindre la garde suisse et son valet lui tendait son épée quand il crut entendre des bruits et des cris étouffés à l’étage au-dessous. Il ouvrit la porte, prêta l’oreille et entendit très clairement :

— Miséricorde!

On tuait dans les appartements du roi! Il se précipita dans l’escalier à claire-voix de la tour du Moulin. Arrivé au deuxième étage, il fut stupéfait de n’apercevoir aucun garde, aucun Suisse. Il entra en coup de vent dans la bibliothèque. Vide!

Un affreux gémissement retentit, puis ce fut le bruit sourd d’un corps qui tombe. Le cœur battant le tambour, Poulain comprit qu’on venait de tuer le roi.

Il sortit son épée, ouvrit la porte de l’oratoire, puis entra dans la chambre royale, décidé à son dernier combat.

Il découvrit un effroyable spectacle, à peine moindre que celui d’un champ de bataille. Une vingtaine d’hommes ensanglantés, tous dagues en main, sans chapeau, parfois griffés, entouraient le lit du roi. Il y avait du sang partout. Les tapis en étaient imbibés. Il reconnut Ornano, une dague rougie au poing, Montpezat tenant son épée dans une main et son fourreau dans l’autre, et surtout plusieurs des quarante-cinq qui avaient quitté le service du roi : La Bastide, Mousivry, Saint-Malin, Saint-Gaudin, Saint-Capautel, Halfrenas, Herbelade! La tête lui tourna. Ces traîtres venaient de tuer son roi!

Il allait se précipiter sur eux quand la porte du cabinet neuf s’entrouvrit et Henri III, livide, entra.



Le roi l’oreille collée à la porte du cabinet neuf avait écouté la lutte avec anxiété. Le silence revenu, il avait entrouvert la porte, et ayant glissé sa tête, avait embrassé le spectacle et découvert le corps du duc étendu sur le tapis du lit, ensanglanté de toutes parts.

Rassuré, il était entré dans la chambre. C’est à cet instant que Poulain l’avait vu.



— Te semble-t-il qu’il soit mort, Loignac? demanda le roi.

— Je crois que oui, sire, répondit Montpezat. Je viens de lui donner un petit coup dans la poitrine avec le fourreau de mon épée et il s’est affaissé.

Il souleva la tête du duc et ajouta :

— Regardez, sire, il a la couleur de la mort.

Alors seulement Henri découvrit le fils du cardinal de Bourbon devant la porte de l’oratoire, épée en main, le visage décomposé par ce qu’il venait de voir.

— Monsieur Poulain! Vous étiez avec eux? s’étonna-t-il.

— N… Non… J’ai entendu du bruit, sire, j’ai… accouru de ma chambre… J’ai cru que c’était vous, balbutia-t-il tandis que les conjurés le regardaient, goguenards.

Ses jambes flagellaient. Il se fût écroulé, vaincu par l’émotion, si Alphonse d’Ornano ne l’avait pris amicalement par l’épaule.

En le voyant ainsi, le roi eut un petit sourire bienveillant.

— Je voulais vous éviter ce spectacle, dit-il.

Il ne s’intéressa plus à Poulain et s’approcha du cadavre de son ennemi. Il le contempla longuement avant de dire :

— Mon Dieu qu’il est grand! Il paraît plus grand encore mort que vivant!

Puis il se tourna vers ses fidèles.

— Merci mes amis, mais tout n’est pas terminé… Poulain, puisque vous êtes là, passez par l’escalier de derrière et allez prévenir Richelieu. Il sait ce qu’il doit faire. Vous reviendrez ensuite au plus vite.



Dans la salle du conseil, le cardinal de Guise avait entendu du bruit, puis reconnu la voix de son frère. À ses premiers cris et ceux des assassins, il s’était levé, affolé, en lançant :

— Voilà mon frère qu’on tue!

Voulant sortir chercher de l’aide, il en fut empêché par le maréchal d’Aumont qui tira son épée.

— Qu’homme ne bouge, s’il ne veut mourir! cria-t-il.

En même temps, le marquis d’O s’était levé et avait ouvert la porte à Larchant et à ses archers qui envahirent la salle, prévenant tout mouvement d’hostilité. On le devine, ce n’était pas pour se plaindre de ne pas recevoir leurs gages que les gardes avaient été si nombreux à l’arrivée du duc, ce prétexte n’avait été qu’une ruse de plus du roi pour éteindre la méfiance du Lorrain.

L’assistance étant maîtrisée, le roi entra entouré d’Alphonse d’Ornano et de Montpezat, et à leurs visages soulagés chacun devina que le duc de Guise était mort.

— Messieurs, j’ai fait justice en prévenant le dessein que M. de Guise avait contre moi, déclara solennellement Henri III. J’avais oublié l’offense reçue le jour où je fus contraint de m’enfuir de Paris, mais j’avais des preuves qu’il menaçait mon pouvoir, ma vie et mon État. Je me suis résolu à cette action que j’ai longuement débattue en moi-même, souhaitant de ne pas souiller mes mains de son sang. Dieu est venu à mon secours et m’a inspiré. Je vais maintenant aller à l’église pour le remercier.

Il conclut par ces fermes mots :

— Je veux désormais que le peuple me parle en sujet, et non en roi!

Excepté le cardinal de Guise et l’archevêque de Lyon, tous les membres du conseil approuvèrent en hochant la tête. Chez le peuple des Francs, le pouvoir de rendre la justice appartenait au roi qui le déléguait aux magistrats, mais il pouvait toujours l’exercer directement. Henri III n’avait donc commis aucune action déshonorante en livrant celui qui voulait le défaire aux coups de ses gentilshommes. De surcroît, il avait fait preuve d’énergie et d’habileté.

Le cardinal de Guise et l’archevêque de Lyon se laissèrent emmener sans résistance par Larchant. Bellegarde était déjà en route avec une troupe d’archers pour arrêter le duc de Nemours.

Sur un signe du roi, François d’O sortit. Le marquis ne s’était pas compromis dans l’assassinat, car comme Crillon et Aumont, il avait jugé que l’exécution du duc de Guise n’était pas la tâche d’un gentilhomme, en revanche, il avait maintenant à prendre une part importante de la besogne. Les forces du roi étaient bien faibles en comparaison de celles des Lorrains. Il faudrait du temps pour rassembler les gardes françaises qui logeaient en ville et dans les environs. Or, la mort du duc, sitôt qu’elle se saurait, allait immanquablement provoquer une vague de haine envers le roi. Comme les guisards étaient en force dans le château et dans la ville, le roi devait les prendre de vitesse s’il ne voulait pas subir leur vengeance.

Le danger venait des mercenaires allemands, des compagnies d’Albanais et des reîtres. O se rendit chez leurs capitaines qui logeaient au château. Froidement, il leur annonça la mort de leur maître et leur offrit immédiatement dix mille écus s’ils se mettaient aux ordres du roi. Ils acceptèrent.

Ainsi l’or pris au duc de Guise servirait à mettre ses troupes au service du roi de France!



Dans un mélange d’impatience et d’inquiétude, Richelieu attendait la venue d’un émissaire qui lui dirait si tout s’était bien passé. Informé de l’entreprise quelques jours plus tôt, il avait approuvé le dessein du roi de punir le duc après toutes ses insolences et les révoltes qu’il avait manigancées. Convaincu des crimes de lèse-majesté des princes lorrains, le roi justicier n’avait pas besoin de passer par les formalités d’un tribunal.

La veille, après lui avoir annoncé quand aurait lieu l’exécution du duc de Guise, Henri III lui avait confié les tâches de police qui suivraient : le Grand prévôt de France arrêterait tous les complices de la conspiration pendant que Larchant saisirait le cardinal de Bourbon, Mme de Nemours, le duc d’Elbeuf et le fils du duc de Guise.

L’arrivée de Poulain fut pour Richelieu un soulagement, tant il craignait que le roi repousse à nouveau sa décision. Nicolas lui ayant brièvement raconté ce à quoi il avait assisté, ils sortirent et se séparèrent. Richelieu se dirigea vers les arcades où une cinquantaine de Suisses l’attendaient.

Comme la pluie redoublait, Nicolas revint en courant vers le logis royal tandis qu’une centaine de gardes du roi avec à leur tête Montigny prenaient possession de la porte du château.



Henri III était toujours dans la salle du conseil en compagnie du maréchal d’Aumont et du duc de Retz quand Poulain entra, trempé. Les secrétaires d’État, visiblement inquiets, attendaient les ordres. Plusieurs des ordinaires, pourpoints et chausses encore rouges du sang de Guise, étaient rassemblés autour de Michel de Gast, le premier lieutenant de Montpezat. Ils félicitaient bruyamment Saint-Malin, un des premiers à avoir porté un coup mortel.

— Je vous attendais, Poulain, dit le roi. Venez avec moi!

Nicolas le suivit vers sa chambre, mais Henri III prit l’escalier en limaçon pour descendre chez Catherine de Médicis.

— Je ne peux rester avec madame ma mère, monsieur Poulain, vous lui raconterez ce que vous avez vu et vous resterez à sa disposition, ordonna-t-il.

Il entra dans la chambre de Catherine de Médicis d’un pas assuré et, s’étant approché de son lit, il lui déclara devant Filippo Cavriana, son médecin :

— Le roi de Paris n’est plus, madame, je suis roi désormais.

Bien sûr, tous les serviteurs dans la chambre connaissaient déjà la nouvelle bien que Guise ne fût mort que depuis un quart d’heure, mais Catherine de Médicis voulait une confirmation de la bouche même de son fils.

— Vous avez fait mourir le duc de Guise? murmura-t-elle.

Nicolas Poulain eut l’impression qu’elle paraissait soulagée.

— Oui, madame, je l’ai fait tuer. Vous savez que j’avais les preuves qu’il agissait contre moi. Ses perfidies ne pouvaient durer, ou j’y aurais laissé la vie.

— Et sa famille?

— Je ne leur veux aucun mal, pas plus qu’à leurs biens, mais je veux être roi, et non prisonnier et esclave comme je l’ai été depuis le 13 mai.

— Dieu veuille que cette mort ne vous rende pas roi de rien…

Elle resta silencieuse un instant tandis qu’il s’inclinait près d’elle.

— C’est bien coupé, mon fils, ajouta-t-elle, mais il faut coudre. Avez-vous pris toutes vos mesures3?

— J’ai eu trois ans pour y penser, ma mère, répondit le roi en se retirant, ne voulant pas plus écouter de conseils.

Elle se releva alors de son lit et lui lança, tandis qu’il était déjà à l’escalier :

— Réconciliez-vous avec le roi de Navarre, mon fils!

Comme Nicolas Poulain restait près d’elle, elle lui demanda :

— Monsieur Poulain, vous y étiez?

— Non, madame, je suis seulement descendu de ma chambre quand j’ai entendu du bruit, mais j’ai assisté à la mort du duc de Guise.

— Il avait mérité son sort, mais je le regretterai, c’était un homme beau et brave, fit-elle. Qu’est-il advenu à son frère le cardinal?

— Je l’ignore, madame.

— Allez vous renseigner et revenez me dire.

Il s’apprêtait à partir quand elle le rappela :

— Attendez… que savez-vous sur votre père?

— Rien, madame, mais j’ai cru comprendre que M. de Larchant était parti l’arrêter.

— Mon fils n’a pas un tempérament rancunier, mais ses amis le pousseront à faire disparaître tous ceux de la Ligue. Ce sera comme à Amboise4. Ne les laissez pas recommencer.

— Ne craignez rien, madame, je saurai m’occuper de mon père.



Moins d’une heure après, ayant écouté les premiers rapports qu’on lui avait faits, Henri III se rendit à la chapelle pour entendre la messe. Il y rencontra le cardinal François Morosini, le légat du pape qui venait d’apprendre la mort de Guise. Le roi resta longtemps en sa compagnie devant l’église, à l’abri sous le porche, déclarant avoir les preuves que Guise et son frère voulaient l’enfermer dans un couvent, qu’ils soulevaient le peuple et les États contre son autorité, qu’il y avait eu plusieurs crimes de lèse-majesté qui tous méritaient la mort, mais qu’il avait été dans l’impossibilité de trouver des juges assez puissants pour cela. Le jugement avait donc été prononcé en secret, et exécuté par ses gens, comme le roi de France en avait le droit.

Le légat parut entrer dans ses raisons et l’assura que le pape y entrerait aussi pourvu qu’il prouvât sa sincérité en continuant à protéger l’Église catholique et à extirper l’hérésie.



Richelieu devait arrêter les principaux gentilshommes de Guise mais beaucoup s’étaient déjà sauvés, car la nouvelle de la mort du duc s’était répandue comme une traînée de poudre. Brissac et Boisdauphin furent pourtant pris alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la ville. Ils furent transférés au château, tandis que le Grand prévôt se rendait à l’hôtel de ville où les députés du tiers état étaient réunis. Eux aussi venaient d’apprendre la nouvelle quand Richelieu entra, ayant placé ses hommes à toutes les issues.

Devant les bourgeois terrorisés, il déclara d’une voix forte :

— Messieurs, le duc de Guise a payé ses trahisons. Je viens ici de la part du roi vous dire qu’il veut que vous continuiez vos charges mais commande à M. le prévôt des marchands et à M. de Nully de le venir trouver.

Il s’adressa à eux sèchement :

— Suivez-moi, car on lui a fait entendre que vous étiez dans la conspiration.

Sans qu’ils puissent s’y opposer, les deux hommes furent chargés de chaînes devant leurs collègues terrorisés. Personne ne broncha, mais après le départ du prévôt, un grand nombre de députés quittèrent la ville.



Quand Nicolas Poulain revint dans la salle du conseil, le roi n’y était plus, étant enfermé dans son cabinet avec M. d’Aumont, M. d’O et les secrétaires d’État. Mais il avait encore quelques gentilshommes, en particulier M. de Montigny qui gardait la porte des appartements royaux avec une dizaine d’archers. Ce fut lui qui lui donna les dernières nouvelles. Le colonel Alphonse Corse d’Ornano venait de partir pour Lyon afin de saisir le duc de Mayenne. Le jeune fils de Guise était enfermé avec sa mère et M. de Richelieu avait fait conduire Brissac et Boisdauphin dans la tour du Foix, une vieille fortification du château primitif où Catherine de Médicis avait installé son observatoire. Il n’y avait pas eu de violence, mais Bellegarde n’était pas encore revenu avec le duc de Nemours.

— Savez-vous quelque chose pour le cardinal de Bourbon?

Montigny balança un instant de la tête. Il avait observé l’attachement entre Bourbon et Poulain, qu’une fois le roi avait appelé M. de Dunois. D’autre part, il avait remarqué que le roi traitait le prévôt comme un familier, bien qu’il n’ait aucune charge de gentilhomme. Finalement, il se dit qu’il pouvait répondre sans trahir de secret.

— Larchant vient de l’enfermer dans la salle basse de la tour du Moulin.

— Le cardinal est malade, comment est-il installé?

— Je l’ignore, monsieur Poulain. Il vous faudrait demander à Larchant.



Larchant fut introuvable jusqu’à midi et les gardes de la tour du Moulin avaient ordre d’interdire l’entrée à tout visiteur, même à la reine mère.

Nicolas se rendit donc aux cuisines, car il avait faim malgré son inquiétude. Les grandes tables étaient toutes occupées, les conversations étaient joyeuses et les rires dominaient. Il se joignit à un groupe de gentilshommes et d’écuyers de la maison du roi. Qu’allait-il se passer maintenant? On allait pendre tous les prisonniers, plaisantaient les uns, ce serait un grand spectacle! Le roi allait marcher sur Paris avec les gardes françaises, assuraient d’autres. La ville serait ensuite mise au pillage trois jours, se réjouissaient-ils.

Nicolas s’inquiétait surtout pour son père. Il se promit de se jeter au pied du roi s’il était condamné à mort.

Le repas fini, il retourna dans la salle du conseil toujours pleine de monde. Vers midi, le marquis d’O entra, venant des appartements du roi. Sa Majesté tiendrait conseil dans quelques minutes et ferait part de ses décisions, annonça-t-il en donnant la liste de ceux qui étaient conviés. À son étonnement, Nicolas entendit son nom au milieu de ceux du duc de Retz, de son frère l’archevêque, de Rambouillet, de Bellegarde, de Larchant, de Montigny et de quelques autres. Après une nouvelle attente, le roi entra suivi des secrétaires d’État, de Montpezat – fier de sa nouvelle importance d’assassin – et des ordinaires qui avaient massacré le duc de Guise.

Nicolas trouva le roi changé. Son visage était toujours lisse de sentiment mais il lui parut plus dur, plus volontaire. Peu maquillé, il avait gardé ses boucles d’oreilles mais portait un habit de soie noir, comme s’il était en deuil. Depuis la mort de Guise, Poulain avait eu le temps de songer à son comportement et il avait perçu combien Henri III était aguerri dans l’art de la feinte et dans la façon de déguiser ses passions.

Ce fut M. d’Aumont qui expliqua le pourquoi de ce parlementement (on ne pouvait parler de conseil tant l’assistance était nombreuse). Le roi souhaitait connaître les avis des uns et des autres concernant les châtiments des prisonniers. D’Aumont laissa la parole à chacun, à tour de rôle. Les plus intransigeants voulaient la mort pour tous; les politiques et les secrétaires d’État plaidèrent la clémence, seul Guise étant coupable à leurs yeux. Beaucoup demandèrent des grâces individuelles pour des parents et des amis. Le baron de Luz, un neveu de l’archevêque de Lyon, demanda à genoux le pardon pour son oncle qui pourtant avait conseillé bien des rébellions contre le roi. Nicolas Poulain, interrogé, plaida pour le cardinal de Bourbon, mais il vit au bref sourire d’Henri III que celui-ci ne pousserait pas plus loin sa vengeance.

Même le fils du duc de Guise, le jeune prince de Joinville, eut la vie sauve alors que beaucoup pensaient qu’il serait exécuté. Le roi décida que les prisonniers seraient enfermés à Amboise, à Chinon et à Tours, forteresses d’où ils ne pourraient s’évader. Il annonça que pour les autres gentilshommes, et principalement Brissac et Boisdauphin, il les ferait remettre en liberté quand il le jugerait nécessaire.

Il fallait encore décider du sort du cardinal de Guise. Les députés du clergé avaient déjà demandé sa libération. Le roi resta silencieux à son sujet. À ses yeux le cardinal était mauvais et plus remuant que son frère. Un régicide ne lui avait pas fait peur, mais son procès était encore moins possible que celui de son frère.

Le conseil fini, le roi se retira dans son cabinet neuf avec O et Aumont et fit appeler M. de Richelieu.



Nicolas Poulain avait décidé de demander audience à la reine mère quand la jeune Marie de Surgères vint le chercher. Il trouva Catherine de Médicis en compagnie de Larchant.

— Monsieur Poulain, fit le capitaine des gardes, le roi m’a demandé de conduire sa mère et vous-même auprès du cardinal de Bourbon.

— Avez-vous des ordres à son sujet? demanda Poulain brusquement angoissé.

Larchant le considéra avec le sourire ironique de celui qui sait beaucoup de choses.

— Le roi m’a dit : allez assurer M. Poulain que le cardinal n’aura d’autre mal que la prison.

Catherine de Médicis hocha doucement la tête. Désormais Charles de Bourbon ne représentait plus de danger et Henri allait faire connaître la paternité du baron de Dunois. En s’appuyant sur sa canne et sur Nicolas, elle suivit le capitaine des gardes.

— Monsieur Larchant, s’enquit Poulain en chemin, sans trahir un secret, connaissez-vous les autres intentions du roi à l’égard du cardinal?

— J’ai cru comprendre que je devrai le conduire à Chinon dans quelque temps où il sera emprisonné dans le château.

Ils pénétrèrent dans la tour du Moulin par un couloir bas et étroit pratiqué dans le mur et fermé à l’autre bout par une porte. Des falots à chandelles de suif éclairaient vaguement les silhouettes de deux gardiens. Larchant leur fit signe de s’écarter et ouvrit la porte. Ils entrèrent dans une salle circulaire voûtée en nervures d’ogives de plus de trente pieds de hauteur. La lumière n’y entrait que par une étroite barbacane, très haute et inaccessible. L’endroit était froid et humide. Des chauves-souris bruissaient incessamment.

Il n’y avait qu’un lit de planches et un coffre. Le cardinal était allongé sous une couverture, immobile mais les yeux ouverts. Il grelottait.

Ils s’approchèrent. Le visage amaigri de Charles de Bourbon s’illumina d’un sourire en voyant son fils, mais il détourna la tête sitôt qu’il reconnut la reine mère.

Poulain ne savait que dire tant il avait la gorge nouée. Les conditions d’emprisonnement de son père étaient insupportables et inacceptables pour un prince de sang.

— Je demanderai à mon fils qu’on vous mette dans une chambre et qu’on vous donne des serviteurs, fit Catherine de Médicis.

— Pourquoi? C’est vous qui êtes la cause de tout cela! C’est vous qui avez fait tuer ce pauvre duc de Guise! asséna Charles de Bourbon avec colère.

— Non! protesta-t-elle. Je vous le jure sur les saints Évangiles!

Il l’ignora et s’adressa à son fils.

— Dis au roi qu’il est temps pour lui de s’allier avec mon neveu. Mais dis-lui aussi qu’il s’est trompé d’adversaire, le duc de Guise ne lui voulait pas de mal mais au contraire le protégeait de la Ligue. Maintenant les bourgeois vont faire la loi et ce sera l’enfer… Dis-lui! cria-t-il presque en lui prenant la main.

— Je lui dirai, mon père! promit Nicolas bouleversé.

Le cardinal ferma les yeux et parut s’endormir, soulagé. Ils partirent. Se pouvait-il qu’il ait deviné l’avenir? se demandait Poulain avec une nouvelle inquiétude. La Ligue était toujours puissante, il le savait, comment allait-elle se comporter sans le duc pour la dominer?



Le lendemain matin, aux premières lueurs de l’aube, Michel de Gast, accompagné de quatre soldats, se rendit au premier étage de la tour du Moulin, dans la salle haute qui était de plain-pied avec le cabinet de Catherine de Médicis. On venait d’y transférer le cardinal de Guise.

Gast avait trente-huit ans. Premier lieutenant des quarante-cinq et capitaine des gens à pied, il était fort sombre ce matin-là, car il savait qu’Henri III était mécontent de lui.

La veille, le roi avait appelé François de Richelieu et lui avait fait part de sa décision : il le chargeait d’exécuter le cardinal de Guise et de faire disparaître le corps, ainsi que celui du duc son frère. Il ne devrait en rester aucune trace.

Richelieu avait accepté de s’occuper des corps mais refusé d’être bourreau. Le roi avait donc demandé à Larchant qui avait aussi refusé. En désespoir de cause, Henri III avait appelé Michel de Gast. Lui aussi avait refusé de porter la main sur un prêtre, mais il avait accepté de trouver des assassins. Pour cela il avait promis quatre cents écus à quatre soldats.

Les cinq hommes entrèrent dans la salle et Gast déclara sans ménagement :

— Le roi désire vous voir, sortez!

La figure des visiteurs révélait suffisamment l’intention qui les amenait aussi le cardinal ne fut pas dupe. Il se mit à genoux, fit une courte prière, puis se leva. Devant la porte, il déclara d’une voix ferme aux soldats :

— Faites votre commission.

À peine dehors, dans le petit passage, les quatre soldats le massacrèrent à coups de dagues et de hallebardes.

Le soir, les corps des deux frères furent découpés en morceaux dans une salle basse du château, puis brûlés dans la chaux vive, de peur que le peuple ne s’emparât des cadavres pour en faire des reliques. Richelieu fit transporter les restes à l’extrémité d’un couloir souterrain, au fond de l’antique château fort. Il y avait là un trou carré aux parois en maçonnerie couvertes de mousse verdâtre. Ce puits béant communiquait avec la rivière. On y jeta ce qui restait des corps.

1 Le duc d’Épernon s’appelait Jean-Louis de La Valette.

2 Escalier à vis qui existe toujours.

3 Ces dialogues ont été rapportés par Cavriana.

4 Le tumulte d’Amboise : en 1560 Louis de Condé avait tenté de se saisir de François II à Amboise. Le complot découvert, la répression conduite par le père d’Henri de Guise avait été impitoyable. Les conjurés avaient été noyés, décapités ou pendus aux merlons du château.