2.
Une colonie privatisée
La mode des compagnies
À partir du moment où se développa, en Europe, une conception colonialiste et mercantile des territoires reconnus outre-mer par les explorateurs, les puissances maritimes encouragèrent la constitution de sociétés de commerce au long cours, capables de mettre en valeur et d'exploiter ces contrées lointaines. Sous le nom générique de compagnie, ces entreprises se virent concéder, par des gouvernements déjà disposés aux annexions stratégiques, des privilèges commerciaux, voire le monopole d'exploitation de tel ou tel pays conquis. Les premières compagnies, sociétés en nom collectif, ne comptaient souvent qu'une douzaine d'associés recrutés par cooptation parmi des armateurs et des négociants aisés ayant le goût de la spéculation et prêts à investir, sans s'effrayer des risques inhérents aux expéditions organisées sur la foi d'informations délivrées par les navigateurs. Ces derniers rapportaient, il est vrai, des Indes, de Chine ou des îles d'Amérique des preuves de leurs dires : métaux précieux, bois de teinture, étoffes de soie ou de coton, épices, thé, café, toiles peintes, porcelaines translucides et bien d'autres denrées et objets que l'Europe ne produisait pas et qui trouvaient aisément preneur. Aussi, dès la seconde moitié du XVII e siècle et pendant le XVIII e, les compagnies se multiplièrent et les plus importantes devinrent de véritables sociétés par actions, au sens moderne du terme. Philippe Haudrère, auteur d'une thèse remarquable sur la plus fameuse lignée de ces sociétés, connue sous le nom de Compagnie des Indes, révèle que cette dernière comptait, en 1721, cinquante mille actionnaires. « Grâce à ce grand nombre d'actions, toute la population participe aux activités commerciales. Parmi les actionnaires, financiers et banquiers voisinent avec des artisans ou des littérateurs tel Voltaire », précise l'auteur. Ce ne fut toutefois qu'après la Hollande et l'Angleterre que la France eut ses compagnies de commerce.
Dès 1624, des marchands dieppois s'étaient unis et cotisés pour fonder une Compagnie du Sénégal qui allait devenir, en 1634, la Compagnie du Cap-Vert. En 1626 fut créée, « pour commercer outremer », la Compagnie Saint-Christophe qui devint, en 1635, la Compagnie des Isles d'Amérique. La même année, à Nantes, la Société commerciale du Havre et du Morbihan amorça une activité. Richelieu, en 1627, encouragea la création de la Compagnie des Cent-Associés destinée à l'exploitation de la Nouvelle-France. Champlain y adhéra, ainsi que de nombreux négociants et bourgeois rouennais, dont l'oncle de Robert Cavelier, futur sieur de La Salle, qui devait prendre possession de la Louisiane en 1682.
En 1642, la Compagnie de Madagascar, fondée par le maréchal de La Meilleraye, installa ses services à Port-Louis dans une ancienne citadelle construite, en 1590, par l'ingénieur Cristobal de Rojas pour les troupes que Philippe II d'Espagne avait envoyées en Bretagne. Les privilèges accordés à cette société passèrent en 1664 à la première Compagnie des Indes. Il est à noter que les conseils d'administration de ces entreprises se réunissaient généralement au Louvre, ce qui prouve assez l'intérêt que le roi et ses ministres portaient au commerce colonial, dont tous attendaient profits et prestige.
L'année 1664 vit donc la création des deux grandes compagnies qui, plus que d'autres, allaient marquer l'histoire coloniale de la France et, pour l'une d'entre elles, le destin de la Louisiane. Ces deux sociétés par actions se partagèrent, dès leur création, le monopole d'exploitation des territoires français d'outre-mer.
La Compagnie des Indes occidentales se vit attribuer les établissements d'Afrique et d'Amérique, la Compagnie des Indes orientales reçut en partage le domaine colonial de l'océan Indien, de la côte orientale de l'Afrique jusqu'aux îles de la Sonde. Le commerce du Levant et du Nord fut confié à des compagnies de moindre importance ou spécialisées dans la traite des Noirs comme la Compagnie de Guinée, qui bénéficia, jusqu'au traité d'Utrecht, du privilège de l'asiento de negros. La Louisiane, par sa position géographique, se trouva d'emblée soumise à la Compagnie des Indes occidentales.
Cette dernière fut créée, à l'initiative de Colbert, le 28 mai 1664, par un édit royal qui réorganisait l'ancienne compagnie, dite de la Terre-Ferme ou des Isles d'Amérique. La décision royale attribuait pour quarante ans à la nouvelle société commerciale Cayenne, la partie du continent sud-américain comprise entre l'Amazone et l'Orénoque, le Canada, l'Acadie, Terre-Neuve, toutes les îles et terres fermes du Canada jusqu'à la Virginie, déjà colonisée par les Anglais, et la Floride, que tenaient les Espagnols. La côte d'Afrique, des îles du Cap-Vert au cap de Bonne-Espérance, figurait aussi dans l'apanage. La dotation de cet empire immense et morcelé, aux frontières floues, sans cesse menacées par l'impérialisme des autres puissances, était assortie de privilèges extraordinaires. La compagnie se voyait déléguer une autorité souveraine et absolue sur les territoires et les populations des contrées considérées. Elle recevait des primes à l'exportation et à l'importation des marchandises, bénéficiait de la fourniture de navires, de l'envoi, aux frais de l'État, de colons, de troupes, d'outils, d'instruments aratoires, et s'arrogeait l'exclusivité du commerce de la fourrure.
La seule contrainte imposée aux actionnaires était l'interdiction formelle de commercer avec les pays étrangers, qui auraient pu, par secteur, offrir des débouchés aux productions des colonies françaises et fournir à celles-ci des denrées et des produits manufacturés à moindre prix que ceux envoyés de France pour assurer, dans bien des cas, la survie des colons. Ce protectionnisme avant le terme méconnaissait les lois économiques les plus élémentaires et constitua très vite un handicap pour les compagnies françaises, face aux concurrentes anglaises et hollandaises. Ces dernières jouissaient peut-être de moins de libéralités gouvernementales mais disposaient en revanche d'une liberté commerciale très profitable à leurs actionnaires et aux économies nationales.
Jean-Baptiste Colbert, considéré en son temps par les historiens comme « modèle administratif et commercial pour le reste de l'Europe », ne concevait d'activité commerciale coloniale qu'exclusivement réservée à la France. Le colbertisme, car on en fit une doctrine, réduisait les colonies au rang de comptoirs commerciaux.
Pour ce ministre, ordonné et méthodique, ayant le sens de l'État, une colonie ne devait vivre que par et pour la métropole. Entrait sans doute dans cette conception la crainte, politique et stratégique, de voir un territoire, devenu assez prospère pour vivre en autarcie, se séparer de la nation mère et suivre son propre destin. Les Anglais, à partir de 1776, firent l'amère expérience de cette évolution avec leurs colonies d'Amérique.
Dès 1664, la conception restrictive de Colbert était clairement exprimée : « Il ne faut pas qu'il se constitue, aux colonies, une civilisation constante […] ; il ne faut pas que les colons perdent un seul jour de vue qu'ils sont français et qu'ils doivent, un jour, revenir en France », disait-il. Le ministre et ses amis estimaient donc que le système des compagnies à monopole conjurait les dangers d'un déviationnisme commercial pouvant conduire à d'ingrates sécessions.
Avant Colbert, François Ier, au cours d'entretiens avec les ambassadeurs de Charles Quint et de Jean III de Portugal, orfèvres en matière de colonisation, avait exprimé une doctrine différente et beaucoup plus moderne. « Ce n'est pas la découverte qui crée la possession, mais l'occupation permanente des lieux », disait-il. Le vaincu de Pavie rêvait à la constitution d'un empire, le ministre de Louis XIV se satisfaisait d'import-export !
Si la prudence mièvre sied aux boutiquiers, en matière de grand commerce le risque a toujours été la règle. C'est un facteur de stimulation, l'aiguillon du dynamisme collectif et individuel, une incitation à fournir plus et meilleur que les autres. Le profit est la récompense des inventifs, des audacieux et des ardents. La faillite la punition des timorés, des velléitaires et des pleutres. Telle est la loi des affaires. Il ne faut pas chercher la morale où elle ne se peut trouver. D'honnêtes commerçants font de mauvaises affaires, des mercantis font fortune, mais il arrive heureusement que ce soit le contraire… et Mercure finit toujours par reconnaître les siens !
En 1666, Louis XIV permit à Denis Langlois, directeur de la Compagnie des Indes, d'acquérir, au fond de la baie que forment les embouchures confondues du Scorff et du Blavet, sept hectares de la lande de Faouëdie, fief des Rohan-Guéméné. Il s'agissait, à l'origine, d'installer un chantier naval pour construire le Soleil-d'Orient, un vaisseau de deux mille quatre cents tonneaux portant cent vingt canons. Ce superbe bâtiment devait donner son nom au site qui allait, en quelques années, devenir un vaste arsenal derrière lequel se développerait la ville de Lorient… sans apostrophe ! Sur cette presqu'île, au fond d'une rade connue, pense-t-on, dès le III e siècle de notre ère et dont la citadelle de Port-Louis défendait l'accès, allaient se développer, au XVIII e siècle, les trois activités principales des Compagnies des Indes successives : construction navale, armement et désarmement des navires, exposition et vente des marchandises en provenance d'Asie, d'Amérique, de Chine et des îles. L'Enclos – ainsi nommé car le site était fermé, côté terre, par un long mur de clôture qui sépare, aujourd'hui encore, l'arsenal moderne de la ville de Lorient – fut d'abord ce que nous appellerions une zone industrielle. Entre les cales du bord de l'eau, où l'on construisait les bateaux, et la corderie qui s'étirait au long du mur d'enceinte, deux mille cinq cents ouvriers appartenant à tous les corps de métier s'activaient autour des forges, de la machine à mâter, des grues, des piles de bois. Charpentiers, menuisiers, goudronneurs, cordiers, calfats, forgerons, canonniers, peintres, voiliers, poulieurs vivaient dans l'Enclos. À partir de 1734, quand furent construits d'après les plans de Jacques V Gabriel, le fils du célèbre Jacques-Ange, les magasins et l'hôtel des ventes, la compagnie draina, les meilleures années, dix pour cent du commerce extérieur de la France. On vit participer aux transactions d'automne de deux à trois cents négociants, français et étrangers, qui séjournaient à Lorient où l'on comptait plus de quinze mille habitants.
Au XVIII e siècle existait déjà, pour les sociétés commerciales, ce que nous appelons aujourd'hui d'un nom anglais : le standing. La Compagnie des Indes y attachait de l'importance, puisqu'elle dépensa, entre 1733 et 1745, pour les aménagements de l'Enclos et la construction des bâtiments administratifs et commerciaux, trois millions de livres, « soit quatre années du bénéfice moyen de la Compagnie », précise Philippe Haudrère. Ce souci de représentation bénéficia au port et à la ville de Lorient, où le quai des Indes, entre la place des Frères-Beaufort et l'entrée de l'arsenal, perpétue le souvenir des grandes aventures maritimes et commerciales.
La Compagnie avait ses armes et sa devise : Florebo quocumque ferar (Je fleurirai partout où je serai portée). Cela ressemblait à un engagement de prospérité, propre à donner confiance aux actionnaires, mais qui ne fut pas toujours tenu.
Armel de Wismes rapporte qu'avant même la construction de la ville le directeur de la Compagnie, M. Édouard de Rigby, un ancien officier de la marine britannique, partisan de Jacques II, contraint à l'exil et devenu officier de la marine française, habitait une superbe maison et menait grand train. S'il montait à bord d'un vaisseau, douze matelots lui rendaient les honneurs. Quant aux domestiques de Rigby, ils portaient de somptueuses livrées de drap vert. La vue de ces dernières avait tellement impressionné le maire de Nantes qu'il décrivit ainsi ces uniformes : « Ils sont galonnés sur les coutures et au bas en falbalas anglais ; les boutons sont d'orfèvrerie, les plaques d'argent, aux armes de la compagnie, pèsent chacune quatre marcs d'argent ; les chemises, ou vestes de coton, sont belles et toujours blanches et il y en a trente-six pour changer ; leur bonnet est en velours. » Il est vrai que ce magistrat, comme tous les Nantais, voyait d'un assez mauvais œil le développement d'un port rival, qui bénéficiait de la faveur royale et allait enlever à Nantes le siège des ventes maritimes.
Les compagnies réorganisées par le grand Colbert ne remplirent que rarement le rôle ambitieux prévu par le réformateur. Le manque de capitaux résultant de l'intérêt très inégal suscité chez les gens fortunés par nos possessions d'outre-mer, la trop fréquente incompétence des hommes envoyés dans les territoires avec des pouvoirs qu'ils étaient incapables d'assumer, le manque d'obstination et de pugnacité des colons subventionnés, les intrigues locales, les prévarications, les concussions, les luttes d'influence, que ne compensait pas un véritable esprit de compétition commerciale, firent que les compagnies coûtèrent plus qu'elles ne rapportèrent à la France.
Alors que les sociétés étrangères, aux statuts plus libéraux, rassemblaient des marins, des marchands, des financiers, qui administraient librement leurs affaires, en retiraient gloire et profit, supportaient pertes et risques, les compagnies françaises tenaient tout du roi et des ministres : leur existence, leurs statuts, leurs capitaux, leurs directeurs.
Jules Duval, dans un article publié le 12 juin 1869 par la Revue des cours littéraires de la France et de l'étranger, définit bien les vices, très français et hélas encore perceptibles de nos jours, qui conduisirent les compagnies, et notamment celles qui gérèrent la Louisiane, à l'échec. « Au lieu de vivre de leur propre sève, elles vécurent d'une sève extérieure, artificielle, subordonnée à toutes les fluctuations du caprice ministériel et de la faveur royale. Les courtisans tinrent plus de place dans leurs rangs que les hommes de commerce et de marine ; leurs conseils furent présidés par le ministre ou par le prévôt des marchands de Paris, deux fonctionnaires. Les compagnies françaises, en un mot, furent des branches de l'administration publique, l'une des cinq grandes fermes de l'État, tandis que les compagnies anglaises étaient des entreprises particulières, simplement patronnées et surveillées par l'État. »
Si l'on ajoute à cela que les monopoles accordés aux compagnies rendirent celles-ci impopulaires dans les colonies et stérilisèrent souvent les initiatives des colons, on conçoit mieux les difficultés que connut la mise en valeur de la Louisiane, qui, cependant, ne manquait pas d'atouts économiques. Les compagnies créèrent en revanche des sinécures pour fils de famille en rupture de ban, ou que des parents voulaient éloigner. Elles offrirent aux aventuriers des passages gratuits vers le Nouveau Monde, aux nobliaux sans terres des domaines héréditaires, aux déserteurs des reconversions indulgentes, aux religieux des terrains de chasse à l'âme sauvage dans un temps où le sabre et le goupillon étaient instruments de colonisation.
Un missionnaire dominicain, le père Jean-Baptiste Dutertre, traduisait clairement le sentiment inspiré aux colons par les compagnies et leurs représentants : « À ce seul nom [compagnie], l'alarme fut aux colonies. Les noms de compagnie et de commis y étaient si horribles, que la seule pensée de les y voir rétablis n'y pouvait passer que pour une folie. »
Les colons louisianais devaient connaître le joug de plusieurs compagnies, notamment sous l'autorité du brasseur d'affaires Antoine Crozat, puis sous la férule du banquier John Law, deux hommes qui jamais ne mirent les pieds en Louisiane.
L'irrésistible ascension d'un fils de cocher
Le 10 février 1710, le commissaire ordonnateur de Louisiane, Martin Diron d'Artaguiette, écrivit au ministre pour réclamer, une fois de plus, l'envoi de jeunes filles susceptibles de devenir les épouses que souhaitaient les colons. « C'est le seul moyen de les fixer », précisait le gentilhomme. Il profitait du même courrier pour faire savoir à Pontchartrain que le commandant du poste de Détroit commençait à indisposer tout le monde. « J'ai reçu de fortes plaintes contre M. de La Mothe-Cadillac par ceux qui sont venus cette année du Canada. Il ne se contente pas de leur dire que c'est un pays [la Louisiane] pestiféré et misérable, mais il a donné l'ordre à ses Sauvages de les piller et de les amener au fort pieds et mains liés. Ceux qui, par votre permission, viennent ici ne sont guère mieux traités. »
Diron d'Artaguiette aurait eu bien d'autres manquements à reprocher à La Mothe-Cadillac, dont la gestion de Détroit était désastreuse. Détesté des religieux, méprisé par ses subordonnés, cupide et hâbleur, il passait son temps à dénigrer la colonie qu'il aurait dû servir. Installé trop inconfortablement à son gré, ne tirant de ses fonctions que de maigres profits, le Gascon donnait libre cours à ses rancœurs et brutalisait tous ceux qui ne pouvaient regimber. Sa mauvaise humeur, devenue aussi pathologique que sa vanité, lui valait, des Grands Lacs au golfe du Mexique, la réputation détestable de mauvais coucheur.
Bienville et d'Artaguiette, qui ne pensaient qu'à tenir à distance cet olibrius, ignoraient sans doute les relations confiantes et suivies que La Mothe-Cadillac entretenait avec le duc de Lauzun, son protecteur.
Cet ancien cadet de Gascogne, capricieux et téméraire, dont l'originalité, la fantaisie, la nonchalance, l'esprit cruel, la hardiesse et la courtisanerie industrieuse inspirèrent La Bruyère1, avait connu des fortunes diverses. Passionnément aimé de Mlle de Montpensier, qu'il aurait pu épouser beaucoup plus tôt et moins secrètement qu'il ne fit, il avait été interné à la Bastille pour s'être caché sous le lit de la Montespan pendant un cinq à sept du roi afin de connaître les sentiments du monarque à son égard ! Pardonné mais incorrigible, il avait été encore emprisonné pendant dix ans à Pignerol, pour insolence et magnificence exagérée. Tiré de sa prison à prix d'héritage par Mlle de Montpensier l'année où Cavelier de La Salle prenait possession de la Louisiane, il était rentré en grâce en 1688, après avoir ramené en France l'épouse de Jacques II et le prince de Galles, quand le Stuart catholique avait été chassé du trône par Guillaume d'Orange. Rétabli auprès de Louis XIV dans ses anciens privilèges de favori persifleur, cet octogénaire fortuné soutenait La Mothe-Cadillac et ne cessait de recommander l'officier, gascon comme lui, à Pontchartrain.
Appelé en France pour recevoir des instructions, le commandant de Détroit prit le temps d'aller visiter son domaine familial toujours aussi désolé et c'est lorsqu'il regagna Paris que lui fut signifiée une mission diplomatique de première importance : le ministre de la Marine chargeait M. de La Mothe-Cadillac, auquel sa grande expérience des colonies d'Amérique donnait de l'autorité, de convaincre le financier qui passait pour l'homme le plus riche de France de prendre en main l'exploitation de la Louisiane.
Ainsi, Pontchartrain s'était décidé à accorder à d'autres ce qu'il avait refusé à Rémonville, parce que les finances nationales exsangues et le peu d'empressement des armateurs et négociants à investir en Louisiane ne permettaient plus au roi d'envisager le développement d'une colonie dont l'importance stratégique paraissait de plus en plus évidente. Si l'on comprend aisément que le ministre ait jeté son dévolu sur le richissime Antoine Crozat, on peut s'étonner qu'il ait choisi, pour approcher l'homme d'affaires et le persuader d'investir en Louisiane, celui qui décriait partout la colonie et ne lui accordait aucun avenir !
Les Pontchartrain, père et fils, avaient uni leurs efforts pour convaincre Louis XIV de confier l'exploitation du domaine américain, qui portait un si joli nom dérivé de son illustre prénom, à un gestionnaire ayant l'expérience des entreprises coloniales et disposant de capitaux importants. Il ne restait plus à M. de La Mothe-Cadillac qu'à changer radicalement d'opinion sur la Louisiane, à oublier ses ressentiments contre « un pays pestiféré et misérable », à en vanter au contraire allégrement les charmes, les avantages et surtout à en révéler les richesses cachées, afin d'amener Antoine Crozat à se lancer dans l'aventure coloniale la plus hasardeuse qui fût.
L'homme auquel on s'adresse est une des plus grosses fortunes de France. Conseiller financier du roi, expert en matière de commerce maritime, il a fait la preuve de son habileté en affaires. Les mauvaises langues dirent plus tard que le souverain, alors son débiteur, lui avait un peu forcé la main et que La Mothe-Cadillac n'avait été qu'un consultant, habile à faire valoir les ressources minières supposées de la Louisiane, de nature à séduire un investisseur glouton.
Quand on sait la boulimie affairiste, l'âpreté au gain, la vanité du baron de La Fauche (que l'argot d'aujourd'hui semble, a posteriori, si judicieusement titrer !), on peut se demander si le délégué de Louis XIV eut beaucoup à insister. Crozat, qui possédait la Compagnie de Saint-Domingue et la Compagnie de Guinée, cette dernière jouissant du monopole de l'importation des esclaves dans les colonies espagnoles, ne pouvait manquer d'étudier une offre qui lui permettrait d'agrandir son domaine et d'accroître son influence dans les échanges internationaux.
Les Crozat venaient du Languedoc. Le premier qui s'établit à Paris était cocher de son état, débrouillard et, d'après les chroniqueurs, « intelligent et de figure avenante ». Il épousa la fille du bedeau de Saint-Gervais, qui lui apporta cent mille livres, ce qui lui permit d'amorcer, à Toulouse, une fortune dans la banque. Devenu veuf, il convola avec une demoiselle de bonne famille, Catherine de Saporta, qui lui donna deux fils : Antoine, en 1655, et Pierre, en 1665. Deux fois promu capitoul, en 1674 et 1684, le banquier vit ses affaires prospérer. Le capitoulat étant fonction anoblissante, l'ancien cocher acquit des terres, le château de La Fauche et se fit hobereau. Le self-made man légua ainsi à ses fils une belle fortune et une habileté dans les affaires dont l'aîné, qui nous intéresse plus que le cadet, allait faire son profit.
Antoine avait été mis à bonne école, d'abord comme laquais, affirmaient ses détracteurs envieux, chez le trésorier du clergé et des états de Languedoc, Pierre-Louis Reich de Pennautier, dont Saint-Simon dit : « C'était un grand homme, très-bien fait, fort galant et fort magnifique, respectueux et très obligeant. » Malgré toutes ces qualités, ce gentilhomme fut mis en cause dans l'affaire des poisons. On lui reprochait ses relations avec la Brinvilliers, ce qui fit supposer qu'il avait donné de la « poudre de succession » à son beau-père et aidé son prédécesseur, en charge des finances du clergé, Hanyvel de Saint-Laurent, à mourir. Pennautier, comme trois cent soixante-six autres personnes citées à comparaître par le lieutenant de police La Reynie, fut, un moment, « mis en prison avec grand danger de sa vie », précise Saint-Simon. Il échappa à l'échafaud de la place de Grève grâce à de nombreuses interventions, dont celles de Colbert et du cardinal de Bonzi, président des états de Languedoc.
Antoine Crozat, alors petit caissier, devint, du fait des circonstances, l'homme de confiance de Pennautier, dont la réputation émergea tout de même un peu ternie de l'enquête sur les poisons. L'élève finit par partager les bénéfices des charges fort lucratives du maître. Les profits qu'il en tira et l'héritage paternel lui permirent d'ouvrir sa propre banque à Montpellier, tandis que son frère Pierre se lançait à son tour dans les affaires et y réussissait assez pour commencer une collection d'estampes qu'il cueillit à travers l'Europe tout au long de sa vie.
Les Crozat, par l'intermédiaire de la banque protestante, entretenaient des relations suivies avec les financiers de Genève, de Francfort, de Gênes, des pays baltes et nordiques. Ils commencèrent à spéculer sur les changes, ce qui est toujours d'un bon rapport pour les initiés. Antoine, chargé de collecter les fonds nécessaires à la poursuite, très onéreuse, de la guerre de Succession d'Espagne, fut bientôt introduit à la cour, mis en contact avec les ministres puis avec le roi, qui n'hésita pas à lui emprunter de l'argent. Entre-temps, les frères Crozat avaient pris le contrôle du port de Sète et des compagnies méditerranéennes créées par Colbert.
Estimant que le mariage devait être traité comme une affaire, Antoine avait épousé, en 1960, Marguerite Le Gendre, fille du fermier général et riche banquier, ce qui lui avait apporté, en plus d'une belle dot, le marquisat du Châtel et la baronnie de Thiers. Nommé receveur général des Finances de Bordeaux, trésorier de l'Extraordinaire des guerres à Paris, intendant de Louis-Joseph, duc de Vendôme, qui, pour honorer ses dettes, dut vendre son hôtel au roi, Antoine Crozat obtint encore les postes, enviés et fort lucratifs, de receveur général du clergé et trésorier de l'ordre du Saint-Esprit.
Conseiller financier et banquier de Louis XIV, il pouvait se dire l'un des hommes les plus riches et les plus influents de France, même si la noblesse protesta ouvertement quand le roi le fit chevalier du Saint-Esprit. Saint-Simon relève avec malice l'incident : « […] le roi avait fait, surtout en 1688, bien des chevaliers de l'ordre plus étranges encore en leur genre, dont on avait crié, mais jamais au point qu'on le fit sur le cordon bleu de Crozat. »
Les parvenus de cette époque pouvaient sans complexe étaler aux yeux du peuple les signes extérieurs de richesses rapidement acquises et Antoine Crozat, dénué de scrupules, vaniteux comme un paon, avide de considération et d'honneurs, ne fit pas exception à la règle. Recherchant le noble voisinage des détenteurs des plus hautes charges financières et des fermiers généraux, il s'était fait construire en 1703, par Pierre Bullet, architecte du roi et de la ville de Paris, un splendide hôtel particulier sur la toute nouvelle place Vendôme, le numéro 17, devenu, depuis 1910, l'hôtel Ritz. En 1706, Crozat s'était s'offert le rare plaisir de racheter à son ancien employeur, Pennautier, le terrain que celui-ci avait acquis en 1700 pour soixante mille livres et qui jouxtait le sien, ce qui avait rendu le fils du cocher propriétaire, sur la plus belle place de Paris, de trois mille huit cents mètres carrés au sol. Sur cette parcelle, Bullet construisit un autre hôtel où, en 1709, Crozat logea sa fille Marie-Anne, qui venait d'épouser le comte d'Évreux.
Homme d'action obstiné, persévérant, dur avec qui ne pouvait le servir, Crozat, pour faire comme les princes, se voulait aussi mécène. Largillière a peint de lui un majestueux portrait et l'on peut voir, au musée Fabre, à Montpellier, celui de Mme Crozat « travaillant à la tapisserie », peint par Jacques-André Aved. Tout en collectionnant les tableaux de maîtres pour orner les murs de ses salons, le financier s'intéressait aussi à la musique, dont Louis XIV disait qu'elle est « le plus coûteux de tous les bruits ». On donnait chez les Crozat des concerts réguliers de musique italienne, qui furent à l'origine des concerts sur abonnements de Mme de Prie, maîtresse du duc d'Orléans.
Tandis que s'engageaient à Paris, chez le ministre de la Marine, les discussions nécessaires à la mise au point de la privatisation de la Louisiane, les experts pouvaient se faire une idée des entreprises de M. Crozat en évaluant ce que le financier venait de retirer du voyage d'un de ses bateaux, portant l'un des titres acquis par le financier, le Baron-de-La-Fauche. Le navire, armé par l'une des compagnies de Crozat et commandé par le capitaine Magon de La Chipaudière, de Saint-Malo, était rentré à Lorient au mois de juin. Il rapportait de Saint-Domingue six millions de piastres d'argent. La Compagnie avait besoin chaque année de dix à vingt tonnes d'argent, en pièces ou lingots, et tous les navires affrétés par Crozat en transportaient. Les pièces, des piastres2, fabriquées par les ateliers monétaires des colonies espagnoles, transitaient principalement par Saint-Domingue – plus tard elles transiteront par la Louisiane – avant d'aboutir à Lorient, d'où elles étaient réparties, suivant l'importance des transactions en cours, dans les comptoirs coloniaux.
L'argent représentait d'ailleurs la moitié des cargaisons envoyées dans ces comptoirs. Le reste des chargements était constitué par des produits et denrées destinés au ravitaillement des Européens établis dans les colonies : farine, eau-de-vie d'Armagnac ou de Charente et, surtout, vin de Jerez et de Bordeaux. Pondichéry consommait de huit à dix mille bouteilles de bordeaux par an ! On emportait aussi des marchandises destinées à la revente : gros draps de Picardie ou draps légers du Maine ou de Languedoc. Le lest des bateaux, constitué de barres de fer, devenait aussi à l'arrivée une marchandise fort appréciée aux colonies.
Une telle maîtrise du commerce colonial et une aussi bonne rentabilisation des voyages au long cours étaient de nature, on s'en doute, à donner pleine confiance à ceux qui traitaient avec M. Crozat. Précurseur, à la fois, des grands armateurs grecs de notre temps et des affairistes modernes que les républiques, comme autrefois les monarchies, tolèrent, utilisent et soutiennent quand des intérêts, qui ne sont pas tous nationaux, le commandent, le fils du cocher toulousain pouvait donc aisément prétendre à l'exploitation du domaine américain.
La Compagnie de Louisiane
Tel est le personnage à qui, le 12 septembre 1712, par lettres patentes signées à Fontainebleu, le roi concède, pour une période de quinze années, le privilège du commerce exclusif « dans tout le pays situé entre le Nouveau-Mexique et la Caroline et qu'arrosent le Mississipi et ses affluents », c'est-à-dire la Louisiane. Le bénéficiaire de ce monopole, à qui est reconnue « la propriété à perpétuité » de toutes les terres qu'il mettra en valeur et de tous les bâtiments qu'il construira, aura, de surcroît, le droit d'exploiter les mines qui sont censées exister près de la rivière Ouabache, dans le pays des Illinois et des Sioux, à condition de verser au roi un quart du produit des extractions. En attendant ces rentrées aléatoires, le roi versera au concessionnaire cinquante mille livres pour l'entretien d'une garnison. Quant aux denrées et marchandises que la compagnie, dite de Louisiane, expédiera dans la colonie devenue son domaine, elles seront exemptées de droits de sortie, tandis que les productions du territoire : tabac, soie, indigo, laine et fourrure, seront vendues à qui paraîtra bon acheteur.
Pour constituer cette compagnie de commerce, dont le capital initial ne dépassa pas sept cent mille livres, Crozat fit appel à quelques associés et La Mothe-Cadillac devint l'un d'eux. Le Gascon imaginait enfin pouvoir gagner de l'argent et connaître les honneurs. C'est peut-être pour le récompenser de son intervention auprès de Crozat que Pontchartrain le nomma gouverneur de Louisiane. Il semble qu'il fut le premier à porter officiellement ce titre. Dans le même temps, le ministre désigna un nouvel ordonnateur pour la colonie, Jean-Baptiste Dubois-Duclos, que la plupart des historiens nomment Duclos, alors que l'intéressé signait parfois du Bois du Clos ! Ce commissaire de la marine, en poste à Dunkerque, plein de bonne volonté et scrupuleux mais dépourvu d'expérience, s'embarqua pour la Louisiane sans rien savoir de la vie et des intrigues coloniales.
Un traité de paix ayant enfin été signé, à Utrecht, le 11 avril 1713, on put envisager de consacrer aux colonies plus d'hommes et plus de bateaux, à défaut de disposer de plus d'argent. Comme le peuplement de la colonie – la peuplade, comme l'on disait alors – est de la responsabilité du roi et que les experts considèrent que l'envoi et l'établissement d'un colon en Louisiane coûte environ deux cents livres, Antoine Crozat ne manqua pas de suggérer la création d'un fonds d'émigration qui aurait été alimenté soit par une loterie spéciale, soit par un prélèvement de trois pour cent sur les profits des loteries existantes. Le principe n'ayant pas été admis par le contrôleur général des Finances, Nicolas Desmarets, on dut se satisfaire des candidats à l'émigration, qui eussent été plus nombreux si l'exil colonial leur eût paru plus prometteur et, dans un premier temps, plus lucratif.
On pouvait penser que les militaires licenciés des armées royales, que les familles rendues misérables par la longue guerre, que les artisans sans travail se précipiteraient dans les bureaux de M. Crozat, un patron qui inspirait confiance, afin de s'engager pour la Louisiane. Il n'en fut rien, malgré la propagande bien orchestrée par les collaborateurs du financier. Pontchartrain, qui proposait aux démobilisés de s'installer aux meilleures conditions dans les colonies, fut lui aussi déçu par le peu d'empressement des sans-emploi à répondre à ses offres. Les Français, même malheureux chez eux, ne montraient déjà aucun goût pour l'expatriation. À la fin de l'année 1712, quand les gazettes publièrent les lettres patentes accordées à Antoine Crozat et les projets de ce dernier, on ne vit se présenter, en tout et pour tout, qu'une cinquantaine de personnes, dont des Flamands, décidées à se faire colons. Il fallut pour renforcer la garnison louisianaise que le ministre désignât des volontaires, ce qui fut, de tout temps, le meilleur mode de recrutement !
On mit un peu plus d'empressement, semble-t-il, à trouver des épouses pour les célibataires établis en Louisiane. Ces derniers, s'ils trouvaient auprès des jolies Indiennes Choctaw tendresse et plaisir, entendaient aussi fonder des familles et avoir des enfants qui ne soient pas tous mulâtres !
Les fiancées du Nouveau Monde
Pour satisfaire à la demande matrimoniale de la colonie, Charles de Clairambault, commissaire de la Marine et ordonnateur de Port-Louis, fut chargé, en janvier 1713, de recruter dans les hôpitaux d'Auray, d'Hennebont et de Quimperlé des jeunes filles de seize à vingt ans qu'on enverrait en Louisiane assurer la « peuplade » de la colonie. Elles seraient embarquées sur le Baron-de-La-Fauche et accompagnées par des religieuses de la Sagesse, communément appelées sœurs grises.
Les hospices ayant fait des difficultés pour fournir les trousseaux des « fiancées coloniales », Clairambault dut se contenter de jeunes demoiselles prises dans les familles pauvres de Lorient. Plus que les orphelines des hospices, ces filles du peuple virent, dans l'exil aventureux et romanesque qu'on leur proposait, non seulement la possibilité de trouver un mari, mais aussi le moyen de sortir de la misère et de se faire une position sociale. Elles prirent le même bateau, commandé par M. de La Jonquière, que le gouverneur La Mothe-Cadillac qu'accompagnaient sa femme, l'ordonnateur Duclos et M. de Maleffoë, écrivain et greffier du Conseil de la colonie. Apprenant cet envoi de jeunes filles, Pontchartrain, à qui les colons de Louisiane réclamaient depuis longtemps des femmes, écrivit à Clairambault le 27 janvier 1713 : « J'ai été bien aise d'apprendre que vous avez fait préparer les douze filles qui doivent être envoyées à la Louisiane ; vous avez très bien fait de les choisir dans les familles de Lorient plutôt que de les prendre dans les hôpitaux, cela vaut beaucoup mieux, parce que vous les connaissez par vous-même d'une bonne conduite3. »
Il semble que le voyage ne fut pas exempt de surprises pour les douze Lorientaises qui débarquèrent, le 17 mai 1713, à l'île Dauphine, où se dressaient une vingtaine de maisons d'aspect sordide. Dans un long rapport au ministre de la Marine, le 26 octobre 1713, le gouverneur La Mothe-Cadillac explique : « Quant aux douze filles embarquées pour la Louisiane, Mme La Mothe en a eu soin mais a été obligée de quitter la partie par les déboires que lui ont faits le capitaine du vaisseau et principalement M. de Richebourg, capitaine réformé, avec M. Verdier, commis du vaisseau faisant les fonctions d'enseigne. » D'après le gouverneur, Richebourg, « qui a été capitaine de dragons », se serait livré à toute sorte de débordements. « Il a séduit la fille de chambre de ma femme et l'a fait débarquer au Cap4, où elle est restée », se plaint La Mothe-Cadillac. Poursuivant le capitaine Richebourg de ses foudres, le gouverneur ajoute : « On m'a affirmé qu'il a épousé deux femmes, l'une de Niort, l'autre de Paris qui s'appelle à ce qu'on dit la Belle Rôtisseuse ! Il en a débauché chez des amis encore une autre qu'il a fait déguiser en dragon pour l'emmener à l'armée. Pendant toute la traversée il a donné très mauvais exemple. »
On ne devait pas s'ennuyer à bord du Baron-de-La-Fauche ! Que faisaient, pendant ce temps-là, les sœurs grises chargées de veiller sur la vertu des jeunes Lorientaises ? Le rapporteur ne le dit pas ! En revanche, les phrases calligraphiées par le gouverneur permettent d'imaginer que les demoiselles ne sont pas arrivées en Louisiane telles qu'elles étaient parties de Lorient ! « C'est la raison par laquelle les filles amenées de France ne trouvent pas à se marier à cause de quelques Canadiens qui étaient dans le vaisseau et qui, étant témoins de ce qu'il s'y est passé à leur vue, en ont mal parlé d'abord qu'ils ont débarqué. » C'est un fait que, six mois après leur arrivée en Louisiane, deux jeunes Lorientaises seulement, sur douze, ont été demandées en mariage. Une est morte des fièvres et l'on doit nourrir avec des rations militaires les neuf qui restent logées chez l'habitant. « Elles sont pauvres, n'ont ni linge ni vêtements… ni beauté et l'on craint qu'elles ne se prostituent pour vivre. » Et M. de La Mothe-Cadillac, gentilhomme outrecuidant mais sans malice, de conclure son rapport au ministre par cette suggestion qui ne semble pas de nature à concourir efficacement au peuplement de la colonie : « Je crois qu'il serait plus à propos d'envoyer des garçons, ou plutôt des matelots, parce qu'on pourrait s'en servir utilement. »
Un pays malsain
Tandis que se préparait en France, sous l'égide d'Antoine Crozat, une réorganisation de la colonie, sur place, Bienville et d'Artaguiette avaient reconnu l'insalubrité du site choisi autrefois par Iberville pour fonder une ville sur la rive de la Mobile.
Situé dans une zone inondable, l'établissement avait été plusieurs fois dévasté et les maigres récoltes attendues compromises. De surcroît, on y mourait beaucoup, l'été, des fièvres contractées dans la moiteur étouffante de l'air et, en toute saison, de maux divers, souvent provoqués par l'absorption d'une eau à demi saumâtre au goût de vase. Même les Franco-Canadiens les plus endurcis et habitués au climat subtropical, comme Bienville et son frère Antoine de Châteauguay, se disaient fébriles pendant de longues semaines et éprouvaient parfois « un flux de ventre » qui pouvait conduire au cercueil en quelques jours. À cela s'ajoutaient les maladies épidémiques qu'apportaient les équipages des bateaux ayant fait escale à Cuba ou à Saint-Domingue.
Les maux dont souffraient les premiers habitants de la Louisiane ont aujourd'hui été identifiés par les historiens-médecins. La fièvre jaune, le typhus, la malaria et le choléra, que les praticiens de l'époque ne savaient pas toujours diagnostiquer, firent le plus de victimes. On redoutait aussi les assauts périodiques d'une quantité de fièvres entre lesquelles il était parfois difficile de faire la distinction, qu'elles fussent chaudes, quartes ou rémittentes. On pâtissait aussi de dysenterie, de gale, de petite vérole, de variole, de scarlatine. La rougeole était fréquente, la peste heureusement plus rare, la lèpre exceptionnelle. En revanche, les colons étaient affligés de toute sorte d'indispositions intestinales bénignes, de la colique de Madagascar aux coliques venteuses, en passant par la colique de Madrid et la colique bilieuse, auxquelles s'ajoutaient toutes les affections du système digestif.
Des bateaux débarquaient de nombreux marins scorbutiques. L'abus des nourritures salées pendant les traversées et le manque de vitamine C étaient, on le sut plus tard, à l'origine de cette maladie très répandue dans la marine à voile. Le tétanos et la gangrène faisaient aussi des ravages, car les blessures n'étaient pas toujours soignées avec un réel souci d'aseptie. Le vocable « maladies d'escales » recouvrait pudiquement les maladies vénériennes, très fréquentes.
En général, les colons souffraient principalement des maladies importées par les pionniers car, avant l'arrivée des Blancs, les autochtones mouraient plus souvent de mort violente, de piqûres de serpents, d'accidents de chasse ou de navigation, de malnutrition, que de maladie. Dès 1656, un négociant hollandais, Adrien Van der Donck, constatait en Nouvelle-Hollande, la future colonie puis État de New York, « qu'avant l'arrivée des chrétiens, et avant que la variole ne se répande parmi eux, les Indiens étaient dix fois plus nombreux qu'ils ne le sont maintenant, et que leur population a fondu sous l'effet de la maladie qui en a tué les neuf dixièmes5 ».
Les choses ne s'améliorèrent pas au fil des années et, périodiquement, les maladies importées d'Europe causèrent d'immenses ravages dans les populations indiennes. En 1780, les jésuites du Canada reconnurent que deux tiers des Huron avaient succombé à une épidémie de variole.
On sait aujourd'hui que ce sont les Espagnols qui introduisirent la variole en Amérique centrale, car, avant l'arrivée de ces colonisateurs, la maladie était inconnue sur le continent américain, alors qu'elle était diagnostiquée en Europe depuis le XVI e siècle.
M. Robert Swenson, professeur de médecine et de microbiologie à l'université Temple, Philadelphie, spécialiste de l'histoire des épidémies, estime que ce sont des marins de Narváez, atteints de la variole, qui, débarquant en 1520 au Mexique, communiquèrent la maladie aux Indiens.
Si, en 1710, Bienville ne pouvait guère tenir compte de telles considérations, il constatait, chaque jour, l'état sanitaire déplorable de Mobile. Aussi s'était-il mis en quête, avec d'Artaguiette, de nouveaux sites plus salubres. Certains colons courageux avaient déjà pris l'initiative de s'éloigner de l'établissement et découvert de meilleures terres, trouvé un climat plus sain au pays des Colapissa, à une centaine de kilomètres de Mobile, au nord du lac Pontchartrain. Ayant reconnu la région puis parcouru une bande côtière en direction du Mississippi, Bienville préféra un secteur plus proche du littoral et choisit de transférer l'établissement du fort Louis au nord-ouest de la baie que forme l'embouchure de la rivière Mobile. À mi-chemin entre le village qu'on allait abandonner et la mer, le nouveau site paraissait à l'abri des inondations et offrait, dans l'arrière-pays, des terres d'apparence plus fertile. Autre avantage : à partir de là, on se rendait aisément à l'île Dauphine, anciennement île Massacre, dotée d'un havre nommé Port-Dauphin, où quinze gros navires pouvaient trouver un ancrage abrité.
L'île Dauphine, aujourd'hui fréquentée par les pêcheurs de truites de mer, rougets grondins, mulets et carrelets, affecte la forme d'un têtard à queue démesurée. Elle fait partie d'un archipel aligné parallèlement à la côte, d'est en ouest, entre l'embouchure de la Mobile et le delta du Mississippi. Elle s'étire sur une vingtaine de kilomètres. Elle fut le siège, au XVIII e siècle, du premier établissement français du littoral.
Cette île où, en 1699, avaient débarqué les marins d'Iberville était depuis lors habitée. Une vingtaine de familles de colons y avaient élu domicile en 1706. Un négociant canadien, Jean-Baptiste Baudreau, dit Graveline, y avait même construit une assez belle maison ; un Rochelais y tenait cabaret et un Parisien, Étienne Burel, espérait bien, un jour ou l'autre, pouvoir exercer, quand la clientèle serait suffisamment nombreuse, son métier de pâtissier. Grâce aux fonds envoyés par M. de Rémonville, à l'époque où ce dernier pensait obtenir le monopole du commerce en Louisiane, la petite communauté envisageait, au moment où la compagnie de Crozat prit en charge le destin de la colonie, de construire une chapelle. En attendant l'arrivée d'autres émigrants et en espérant de bonnes récoltes, les îliens subsistaient, tant bien que mal, grâce à la pêche, et s'efforçaient de mettre en culture le sol sablonneux. Les ressources étant maigres et les récoltes aussi aléatoires que l'arrivée de bateaux ravitailleurs, ces pionniers avaient pris l'habitude de faire appel, en période de disette, aux Espagnols de Pensacola, à peine mieux lotis qu'eux. La réciprocité des secours était confiante et organisée entre gens éprouvant les mêmes difficultés. Les ressortissants des nations colonialistes rivales échangeaient facilement vivres, munitions, guides et chasseurs indiens. Il arrivait même que l'on se louât des artisans qualifiés et que l'on se déléguât des prêtres quand l'une des colonies en manquait. En revanche, les soldats déserteurs des deux camps, qui pensaient trouver chez l'étranger ce qui faisait défaut chez eux, étaient renvoyés sans ménagement, par les uns et les autres, à leur armée d'origine !
Quand le gouverneur La Mothe-Cadillac, à qui l'on avait attribué une concession de « cinq lieues de front et autant en profondeur6 », débarqua à Port-Dauphin, il fut déçu de ne pas y trouver les ressources et le confort qu'il avait connus à Québec. Il reprit aussitôt, pour exprimer sa désillusion, le ton dénigreur qu'il n'avait abandonné à Paris que le temps nécessaire pour amadouer Crozat. « Terres très mauvaises entrecoupées de cédrières et de pinières, fond sableux qui ne produit rien, si bien qu'en cinq lieues de terrain on ne trouve qu'une lieue fertile. » Le climat lui déplut autant que le décor : « Le ciel a des fantaisies, il fait beau le matin, il tonne à midi, il pleut et il grêle ensuite. » Avant de s'installer au nouveau fort de Mobile, le Gascon fit l'inventaire de son domaine et adressa à Pontchartrain un mémoire dont certains extraits donnent une idée assez juste de la contrée et de l'ambiance coloniale du moment.
Après avoir constaté : « Les maisons sont construites sur le sable que le vent emporte comme de la poussière », et compté « neuf familles établies plus quelques garçons », il rapporte avec ironie : « J'ai vu aussi un jardin sur l'île Dauphine dont on m'avait parlé comme d'un paradis terrestre. Il est vrai qu'il y a une douzaine de figuiers qui sont fort beaux et qui produisent des figues noires. J'y ai vu trois poiriers, trois pommiers, un petit prunier d'environ trois pieds de haut qui avait sept mauvaises prunes, environ trente pieds de vigne avec neuf grappes de raisin en tout, une partie des grains pourris ou secs et les autres un peu mûrs, environ quarante pieds de melons français, quelques citronnelles, voilà le paradis terrestre de M. d'Artaguiette et de plusieurs autres, la Pomone de Raidmonville [sic] et les îles fortunées de M. Marigny de Mandeville et de M. Philippe. Leurs mémoires et leurs relations sont de pures fables. Ils ont parlé de ce qu'ils n'ont point vu ou ils ont trop facilement cru ce qu'on leur a dit. Le froment ne vient point dans tout ce continent. Ceux qui ont informé la Cour que quelques habitants en ont semé sur les terres qui sont vers le lac Pontchartrain se sont trompés. J'ai parlé à ces habitants-là qui sont actuellement ici ayant abandonné leurs terres parce qu'elles n'ont pas pu produire ni blé ni aucun légume. Le blé reste en herbe sans former de grains. Ils ont essayé de semer tous les mois de l'année sans résultat. Il en est de même aux Natchez à cinquante lieues au nord dans le haut du Mississippi. M. de Bienville m'a dit en arrivant ici qu'il avait semé du blé de la Vera Cruz qui avait produit environ treize gerbes de beau blé. Mais les grains demeurent petits, sans farine et rouillés. Il n'y a que l'écorce sans farine. Le tabac vient ici assez bien sur ce sable noir et blanc, mais on ne peut le conserver à cause de la vermine ce qui a dégoûté les habitants d'en faire. Bien loin d'être en état d'en vendre ils s'en sont pourvus aux navires de celui du Cap ou de La Havane. […] Quoique ce soit une terre couverte de pins on ne saurait pas y trouver, en cent lieues de pays, ceux de grands mâts de navires de cinquante canons. On a eu beaucoup de peine à trouver dans toute l'île Dauphine un mât d'artimon pour le vaisseau de M. Crozat et quelques mâts de hune. »
Ayant fait ce bilan déprimant, La Mothe-Cadillac examine la population. « Selon le proverbe : méchant pays, méchantes gens. On peut dire que c'est un amas de la lie du Canada, de gens de sac et de corde sans subordination pour la religion et pour le gouvernement, adonnés au vice, principalement aux femmes Sauvages qu'ils préfèrent aux françaises. Il est très difficile d'y remédier lorsque Sa Majesté désire qu'on les gouverne avec douceur et qu'elle veut qu'un gouverneur les conduise de manière que les habitants ne fassent point de plaintes contre lui. Jusqu'à présent ces gens ont demeuré en cet état. Il s'agit de les réformer. De quel œil recevront-ils ce réformateur ? Les moins détraqués raillent leur abbé lorsqu'il leur semble suivre et qu'il leur parle de réforme et leur réaction est toujours fondée sur quelque mauvais prétexte. Je commencerai d'en user par la douceur quoique ce soit, selon moi, avec eux, du temps perdu. En arrivant ici j'ai trouvé toute la garnison dans les bois parmi les Sauvages qui l'ont fait vivre tant bien que mal au bout de leurs fusils et cela faute de vivres non seulement en pain mais même en maïs ou blé d'Inde, la récolte ayant manqué deux années de suite. »
Le gouverneur, qui n'a pas de quoi se réjouir, reconnaît que le maïs ne se conserve que d'une récolte à l'autre parce que la vermine et une moisissure, le rouge, s'y mettent. Appréciant peu, sans doute, les façons désinvoltes des militaires, La Mothe-Cadillac s'en prend à tous :
« Messieurs les officiers ne sont pas mieux que leurs soldats. Les Canadiens et les soldats qui ne sont pas mariés avec des Sauvagesses esclaves prétendent ne pouvoir se dispenser d'en avoir pour les blanchir et faire leur marmite ou sagamité, et pour garder leur cabane. Si cette raison était valable elle ne devrait point empêcher les soldats d'aller à confesse, non plus que les Canadiens. En vérité, Monseigneur, je ne puis me dispenser de vous représenter qu'il est de la gloire de Dieu et du service du roi de remédier à un pareil désordre à quoi il ne sera pas aisé de parvenir qu'en logeant les troupes dans le fort, depuis le gouverneur jusqu'au moindre officier, en leur permettant d'avoir seulement des esclaves mâles et non femelles. À l'égard de leur blanchissage on pourra trouver des femmes françaises qui s'en chargeront pour toute la garnison ou à défaut des Sauvagesses en retenant un juste salaire sur le décompte des officiers et des soldats. »
Comme il faut bien, tout de même, montrer une certaine capacité à l'initiative, le gouverneur ajoute que l'on peut utilement cultiver l'indigo « qui vient parfaitement bien même dans les rues et les chemins » et que l'on doit planter des mûriers et faire de la soie comme les Espagnols, mais qu'il ne faut pas espérer tirer le moindre bénéfice « de ces deux objets seuls capables de faire valoir la colonie » avant une dizaine d'années. « Je ne sais pas si M. Crozat sera d'une si longue patience », commente perfidement le rapporteur, avant de rappeler que ses appointements de 1712 et 1713 ne lui ont pas encore été versés…
Comme on pouvait s'en douter, les relations entre La Mothe-Cadillac et Bienville manquent de cordialité. Le Franco-Canadien, toujours en situation précaire, puisque son rappel n'a été que différé en raison des circonstances, reste provisoirement lieutenant du roi mais ne détient plus l'autorité suprême dans la colonie. Son ami d'Artaguiette, remplacé par Duclos, ne dispose plus des pouvoirs de commissaire ordonnateur. Cela crée des frictions d'autant plus irritantes que La Mothe-Cadillac a besoin des services et de l'expérience de Bienville et que le jeune Duclos ne peut se tirer d'affaire sans la collaboration d'Artaguiette. Et la différence des caractères amplifie les désaccords et les rivalités protocolaires.
Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, rompu depuis l'enfance à la vie rustique des coureurs de bois, est frugal et débrouillard comme tous les Le Moyne. Il sait jouir sans arrière-pensées des aubaines que procure parfois une vie libre. S'il juge vaines certaines contraintes en vigueur dans les lointaines sociétés policées, il reste attaché aux prérogatives reconnues à ceux qui, comme lui, ont mis depuis l'adolescence leur courage, leurs compétences, parfois leur vie au service du roi pour accomplir un grand dessein. Avec les airs qu'il se donne en tant que gouverneur, La Mothe-Cadillac agace cet homme de terrain, toujours prêt à payer de sa personne et qui sait à quoi s'en tenir sur le peu de substance d'un titre cueilli comme une faveur dans les salons de Marly. Pontchartrain n'a-t-il pas laissé entendre qu'il avait expédié le protégé du duc de Lauzun en Louisiane pour « se défaire de lui » ?
La Mothe-Cadillac sait bien que Louis XIV vieillissant vire à la bigoterie et que rien ne peut autant déplaire au roi que l'impiété de ses officiers. Aussi est-ce par ce biais-là qu'il pousse une première attaque contre Bienville.
« Il y a une église passable à l'île Dauphine mais celui qui l'a bâtie prétend la faire vendre pour sept cents livres. L'église de fort Louis est une petite chambre où ne peuvent tenir que vingt-cinq personnes. Mais comme d'après les missionnaires les habitants n'ont pas approché les sacrements depuis sept ou huit ans, les soldats n'ont point fait leurs Pâques à l'exemple de M. de Bienville leur commandant, de M. Boisbriant, le sieur Paillon aide-major, les sieurs Châteauguay premier capitaine et Marigny petit officier auquel j'ai déclaré que j'en informerai Votre Grandeur, ce qui les a fait cabaler contre moi, M. le Commissaire prenant leur parti qui dispute avec le curé ! »
Naissance d'une bureaucratie
Antoine Crozat devait être méfiant comme tous les habiles bien en cour qui se sont enrichis dans les affaires sans trop se soucier des lois et règlements. Rompu aux manigances de haute volée, ayant créance sur les grands personnages et même sur le roi, receleur des corsaires patentés, faisant or de tout, y compris des Noirs enlevés à l'Afrique, il savait qu'un homme de sa stature doit se prémunir non seulement contre les grands fauves de son espèce, mais aussi contre l'indélicatesse imitative des subalternes. Évaluant les friponneries du patron et souvent y participant, les employés s'inspirent parfois des méthodes apprises de celui-ci pour mieux le gruger. Les gagne-petit de l'affairisme, les comptables falsificateurs, les mandataires pipeurs, les hommes de paille, les prête-noms truqueurs, les entremetteurs cupides devaient inspirer méfiance et suspicion au fils du cocher toulousain. Connaissant toutes les combines, il s'appliquait à les prévenir.
Aussi, quand Pontchartrain avait décidé, le 18 décembre 1712, de créer un Conseil supérieur de la Louisiane, afin de mettre sous surveillance la gestion de la colonie, Crozat s'était-il empressé de fabriquer un Conseil de commerce qui lui permettrait d'exercer une influence occulte sur la gestion des affaires.
La constitution du Conseil supérieur, dont la composition avait été fixée par décision du ministre de la Marine, prit des mois du fait de « l'absence de sujets compétents », estime Marcel Giraud. Officiellement placé sous l'autorité du gouverneur et de l'intendant de la Nouvelle-France, personnages lointains résidant au Canada, le Conseil de la colonie fut en fait présidé, en leur absence, par La Mothe-Cadillac, gouverneur de Louisiane. D'après les statuts, l'assemblée coloniale aurait dû compter neuf membres, mais elle n'en réunit jamais que sept.
La Mothe-Cadillac et Jean-Baptiste Duclos, commissaire ordonnateur, premiers conseillers de droit, étaient assistés par Bienville, en sa qualité, non confirmée mais admise, de lieutenant du roi, de deux conseillers choisis parmi les notables, du procureur royal de la colonie et d'un greffier. La médiocrité du personnel disponible fit que l'on désigna comme procureur un homme qui savait à peine signer son nom, comme conseiller un chirurgien-major et comme greffier un simple soldat sachant lire et écrire. Si La Mothe-Cadillac occupa, d'emblée, le siège présidentiel, il se vit bientôt contraint de partager le pouvoir avec Duclos, ce qui ne tarda pas à susciter des conflits, non simplement de préséance mais aussi d'intérêt. De frictions en disputes, on en vint à une irrémédiable fâcherie entre les deux hommes. En tant que premier conseiller, le commissaire ordonnateur apparaissait, par le jeu de ses attributions, comme le personnage le plus influent du Conseil. Ses responsabilités couvraient la police, les finances, l'administration générale, les affaires civiles. Il assumait aussi la fonction de premier juge et prononçait les arrêts. Sa position était semblable en cela à celle des intendants de province, en France, à la même époque.
Le Conseil détenait donc, par son intermédiaire, la totalité du pouvoir judiciaire. C'est lui qui décidait, en dernier ressort et sans appel, de tous les litiges privés et administratifs, de toutes les affaires civiles et criminelles, de toutes les contestations entre colons et des conflits qui pouvaient opposer ces derniers à l'administration. Il suffisait de l'accord de trois conseillers pour qu'un verdict soit rendu dans une affaire criminelle.
Le Conseil supérieur allait avoir à connaître, au fil des années, de toute la vie de la colonie car il assumait aussi les fonctions notariales et l'état civil. Tous les notaires de la colonie devaient communication de leurs actes au Conseil. L'éthique et la jurisprudence de l'institution auraient dû être, d'après les directives du ministre de la Marine, « inspirées par la coutume de Paris », mais cette dernière, en traversant l'Atlantique, fut, nous en avons maintes preuves, édulcorée, interprétée, tempérée ou aggravée, mais toujours aménagée suivant les circonstances, les intérêts en jeu et la qualité des personnes en cause.
En anticipant et pour donner quelques exemples de l'attention que prêtera le Conseil aux événements administratifs les plus mineurs, on le verra, le 22 octobre 1726, ordonner la vente de la maison abandonnée par un déserteur. Le 22 avril 1730, il décidera que les esclaves qui ne sont réclamés par personne après la mort de leurs maîtres doivent être remis au greffier du Conseil et qu'une peine corporelle et une amende de trois cents livres seront infligées à ceux qui conserveront indûment des esclaves sans propriétaire. De la même façon, le Conseil fixera, le 14 juin 1731, les droits que les geôliers, greffiers des geôles et guichetiers percevront sur les prisonniers pour : « vivres, denrées, gîtes, geôlages, extraits ou décharges ». Grâce au compte rendu de cette audience, nous savons aujourd'hui qu'un geôlier louisianais recevait « vingt sols pour chaque extrait d'écrou ou d'élargissement » qu'il délivrait !
En face du Conseil supérieur, l'organisme créé à l'instigation d'Antoine Crozat allait, lui aussi, influencer la vie coloniale. L'existence de cette assemblée commerciale pouvait paraître justifiée par le fait que la Compagnie de Louisiane, devenue gestionnaire patentée, endossait à la place de la Couronne toutes les responsabilités financières de la colonie et, sauf pendant les neuf premières années du contrat, l'entretien des militaires. Le Conseil de commerce, présidé par le représentant de Crozat, directeur de la Compagnie, régentait à discrétion les transactions, fixait les salaires, embauchait commis et contrôleurs, décidait de la création de nouveaux établissements, recrutait des colons, attribuait des concessions et disposait d'un droit de veto sur les nominations au Conseil supérieur, ce qui lui permettait de s'assurer les meilleurs concours dans le gouvernement du pays. Si l'on avait coutume, à Paris, de suivre les avis du gouverneur quand il s'agissait de désigner les membres du Conseil supérieur, les agents de Crozat siégeant dans les deux conseils détenaient les moyens de contester les nominations et de faire respecter et exploiter au mieux le monopole accordé au financier.
Tandis que les représentants de la Compagnie mettaient en œuvre la fondation de nouveaux établissements, aux Natchez et sur l'Ouabache notamment, le gouverneur, qui était aussi l'un des principaux associés d'Antoine Crozat dans la Compagnie de la Louisiane, prenait des initiatives dont il espérait quelque rentabilité. C'est ainsi qu'ayant fourni dix mille livres de marchandises à Juchereau de Saint-Denys il décida d'envoyer ce dernier en ambassade commerciale chez les Espagnols du Mexique, via le pays des Indiens Natchitoch que le Canadien avait déjà visité. Ce vaillant soldat, oncle de la femme d'Iberville, officier volontaire pour la Louisiane mais las de servir sans solde, avait abandonné le commandement du fort Laboulaye pour créer son propre établissement, près du vieux fort Biloxi. Il accepta l'offre de La Mothe-Cadillac, rassembla vingt-cinq Français à bord de cinq grands canots et remonta le Mississippi, jusqu'à la rivière Rouge, avant de disparaître pour plusieurs années7.
La colonie ne comptait, hélas ! que peu d'hommes de cette trempe ! La population, mécontente de constater que le gouverneur ne se préoccupait que de servir les intérêts de Crozat, ne cessait de récriminer. Ceux qui avaient avancé de l'argent aux militaires, privés de solde depuis six ans, ne parvenaient pas à se faire rembourser. Les prix flambaient à tel point qu'une douzaine d'œufs coûtait quarante sols, une livre de lard, à crédit, huit sols, alors que le cours de la piastre montait et que les Espagnols de Pensacola, qui disposaient de plus de numéraire que les Français, raflaient les produits agricoles proposés par les Indiens. Quant aux officiers, payés en marchandises, ils étaient encore plus mal lotis que leurs hommes, qui vendaient une partie de leur ration, et que les ouvriers de la Compagnie qui travaillaient « au noir » pour améliorer l'ordinaire de leur famille. Dans un tel climat de pauvreté, le jeu stérile des intrigues et des querelles se développait entre les supporters des anciens, comme Bienville et d'Artaguiette, et les représentants de la Compagnie que La Mothe-Cadillac soutenait de son autorité. Conscient de l'hostilité d'une population qui attendait vainement, depuis la signature du traité d'Utrecht, une amélioration de son sort, le gouverneur s'obstinait à résider sur l'île Dauphine, au lieu de s'installer dans la maison construite pour lui à l'intérieur des remparts du nouveau fort de Mobile.
Duclos, en revanche, s'efforçait d'aider les colons et les militaires à supporter les difficultés du moment, leur assurant qu'elles étaient passagères et que la colonie connaîtrait bientôt un développement bénéfique pour tous. En attendant, usant de ses pouvoirs de commissaire ordonnateur, il refusait d'appliquer aux ouvriers et aux matelots la retenue mensuelle que l'administration prélevait sur leur salaire pour prix des vivres qui leur étaient fournis. Le prélèvement imposé, indexé sur le coût local des denrées, alors que les salaires ne l'étaient pas, devait atteindre, en mai 1714, vingt-sept livres par mois. Or les ouvriers les mieux payés gagnaient à peine trente ou trente-cinq livres par mois ! En réduisant la retenue à sept livres dix sols, Duclos encourut les foudres du représentant de Crozat et s'attira les critiques du gouverneur. Dès les premiers jours, les deux hommes s'étaient opposés et, quand le commissaire ordonnateur avait ouvertement pris le parti de Bienville, La Mothe-Cadillac n'avait plus caché son hostilité envers un homme qui, d'après lui, accordait trop d'attention et de crédit aux récriminations des habitants de la colonie. Au fil des mois, Duclos et le gouverneur en étaient venus aux injures, puis avaient cessé toute relation autre que de service. Alors que, traditionnellement, le gouverneur et le commissaire ordonnateur d'une colonie envoyaient au ministre de la Marine un rapport commun, Duclos et La Mothe-Cadillac choisirent d'adresser chacun le leur à Pontchartrain, qui n'en demandait sans doute pas tant !
Le gouverneur, qui voyait d'un mauvais œil les bonnes relations qu'entretenait Duclos, non seulement avec Bienville, mais avec les habitants, abreuvait le ministre de plaintes et de dénonciations. Celles-ci visaient notamment Duclos, accusé de trafiquer sur les farines, et le lieutenant du roi, qui continuait à se comporter comme s'il était le maître de la colonie.
Duclos, pour sa part, faisait de son mieux pour soutenir Bienville. Les compétences, et surtout l'ascendant, que le Canadien détenait sur les Indiens avaient, dès son arrivée en Louisaine, impressionné le jeune fonctionnaire qui écrivait à Pontchartrain, le 25 octobre 1713 : « Je ne saurais trop exalter la manière admirable dont M. de Bienville a su s'emparer de l'esprit des Sauvages pour les dominer. Il y a réussi par sa générosité, sa loyauté, sa scrupuleuse exactitude à tenir sa parole, ainsi que par la manière ferme et équitable dont il rend la justice entre les différentes nations sauvages qui le prennent pour arbitre. Il s'est surtout concilié leur estime en sévissant contre tout vol ou déprédation commis par les Français qui sont obligés de faire amende honorable chaque fois qu'ils ont fait quelque injure à un Sauvage. » Dans la même lettre, le commissaire ordonnateur n'hésitait pas à révéler que le gouverneur retenait les cadeaux envoyés par la cour pour les Indiens et que M. de Bienville restait tout de même le mieux placé pour en assurer une judicieuse distribution.
Le gouverneur n'avait pas tardé à se rendre compte que la population se moquait comme d'une guigne du privilège commercial de Crozat. Les agriculteurs qui avaient la chance de récolter du maïs, des fruits ou des légumes allaient vendre leurs produits, malgré l'interdiction qui leur en avait été faite, aux Espagnols de Pensacola. Les officiers eux-mêmes faisaient du négoce chaque fois qu'il y avait matière à transaction. Quand un bateau chargé de vivres et d'effets se présentait, au mépris du monopole attribué à la Compagnie de Louisiane, tous ceux qui possédaient un peu d'argent montaient à bord pour se ravitailler, car les articles proposés étaient meilleur marché que ceux que l'on trouvait dans les magasins de la Compagnie. « Si l'on veut faire du commerce il ne faut pas majorer les factures comme cela se pratique journellement », écrivait La Mothe-Cadillac, qui regrettait aussi que l'on ne payât pas mieux cuirs et peaux que les trappeurs, de moins en moins nombreux, acceptaient encore de livrer à la Compagnie.
Mais ce qui préoccupe le plus cet homme orgueilleux, c'est le peu de cas que les gens font de son titre et de son autorité. Il se plaint sans cesse de la cabale dont il est l'objet et, dans une dépêche du 20 février 1714, il met le ministre en garde. L'avenir de la Louisiane est en danger. « Si vous ne remédiez pas, Monseigneur, à la cabale qui s'est formée par les menées de M. le commissaire et de M. de Bienville, qui ont entraîné tous les officiers de leur côté avec la meilleure partie des habitants, je suis persuadé que M. Crozat sera obligé de l'abandonner. »
Comme si les désaccords portant sur la politique commerciale, la façon d'agir avec les Indiens et l'organisation administrative de la colonie ne suffisaient pas pour entretenir la zizanie entre Bienville et le gouverneur, va surgir un différend d'ordre privé, digne d'une comédie de boulevard.
Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville est alors âgé de trente-quatre ans. Il porte un nom prestigieux dans le milieu colonial. C'est un gaillard d'allure virile, de belle prestance, dont le teint hâlé de coureur de bois ne compromet nullement une distinction naturelle que l'on remarque. Un portrait, peint par un artiste inconnu de l'École française du XVIII e et conservé dans une collection particulière, le montre vêtu de sa cuirasse, portant perruque courte, le regard vif, un sourire discrètement ironique aux lèvres. On peut supposer qu'il avait de belles mains, car le peintre a fixé sa dextre émergeant, blanche et fine, du canon d'avant-bras de l'armure, dans une manchette de dentelle qui adoucit l'acier. C'est un meneur d'hommes, intrépide et autoritaire, un individualiste obstiné, un ambitieux qui, contrairement à d'autres, a les moyens de ses ambitions.
C'est aussi un célibataire ! Or M. de La Mothe-Cadillac a deux filles, dont l'aînée est amoureuse du lieutenant du roi. Assez amoureuse pour en perdre le boire et le manger, ce qui inquiète sa mère et agace son père. M. de Bienville est d'une extrême courtoisie avec les dames, mais avec toutes les dames. On lui a prêté autrefois une aventure avec une veuve décédée depuis plusieurs années, ce qui lui a valu les remontrances a posteriori, désobligeantes et de surcroît inutiles, du curé La Vente. Mais, en 1714, on ignore tout, dans la colonie, de sa vie sentimentale. Pour le reste, qui a son importance, il a chez lui, à son service, comme tous les officiers, une belle Choctaw, tresses aile-de-corbeau, profil aquilin, regard d'onyx, peau lisse adoucie à la graisse d'ours depuis l'enfance, taille flexible comme liane, qui entretient son linge, fait le ménage et lui prépare peut-être, le soir venu, sa tisane de sassafras !
Mlle de La Mothe-Cadillac, dont on ignore si elle était belle ou laide, mais accordons-lui de la beauté pour l'agrément du souvenir, ne tentait manifestement pas Bienville. Comme la jeune fille dépérissait – le climat subtropical devait accélérer la consomption – le gouverneur, bien que jugeant un Le Moyne, petit-fils de cabaretier dieppois, tout à fait indigne d'une descendante des Cadillac, mit son orgueil dans sa poche et, bon père, s'en fut proposer sa fille au lieutenant du roi. M. de Bienville feignit, dit-on, une vive surprise, se dit extrêmement honoré par une proposition aussi flatteuse, mais, sans tergiverser, expliqua au gouverneur que le célibat devait être l'état naturel d'un soldat et qu'il y restait fort attaché. Refuser la main d'une fille, si généreusement offerte, est un affront qu'aucun père ne peut pardonner. M. de La Mothe-Cadillac ne pardonna pas et se mit à proclamer, dès le lendemain, que M. de Bienville ayant eu l'audace d'oser lui demander sa fille aînée en mariage il avait, avec hauteur, refusé cette mésalliance inimaginable !
M. de Bienville, dont la galanterie avait ses limites, finit par écrire au ministre pour lui expliquer les raisons de l'animadversion du gouverneur : « Je puis assurer Votre Excellence que la cause de l'inimitié de Cadillac à mon égard est due au fait que j'ai refusé d'épouser sa fille. » On ne peut être plus aimable… ni plus clair !
Une guerre indienne
Pendant que la colonie s'amusait de ces arlequinades, que les dirigeants échangeaient des propos aigres, que colons et militaires usaient de toutes les astuces pour subsister, les traitants anglais cajolaient les Alabama, les Chacta et les Chicassa, faisaient des affaires avec les chefs et conseillaient aux guerriers de se débarrasser des Français, pauvres gens dont ils ne tireraient jamais rien. Un certain Price Hughes, agent anglais mandaté pour évincer les Français et assurer la pénétration britannique jusqu'aux rives du Mississippi, avait déjà installé un magasin chez les Natchez et plusieurs de ses compatriotes s'apprêtaient à en faire autant dans d'autres villages indiens de Louisiane.
Les coureurs de bois glanaient et rapportaient ces informations. Les habitants de l'île Dauphine furent mécontents, et aussi un peu honteux, quand ils apprirent que des Français, déserteurs des forts, des traitants appâtés par de meilleurs gains ou des coureurs de bois canadiens, anciens captifs des Indiens délivrés par les Anglais, servaient avec zèle les visées de la nation rivale. La menace qui pesait sur l'existence de la Louisiane devenant manifeste et les alliances indiennes s'effilochant, La Mothe-Cadillac fut bien obligé de faire appel à Bienville, qu'il avait, quelques semaines plus tôt, condamné aux arrêts de rigueur sans le moindre effet, l'intéressé n'ayant tenu aucun compte de cette punition ! Le lieutenant du roi, se sachant indispensable dans une telle conjoncture, n'attendait qu'une occasion de faire valoir ses compétences et son courage.
En quelques semaines, avec une poignée de Canadiens, il rallia les Indiens hésitants, organisa le pillage de tous les magasins étrangers, fit arrêter Price Hughes et les traitants anglais, qu'il expulsa par bateau avec ordre au capitaine de ne débarquer ses passagers qu'à Veracruz. L'alter ego anglais de Bienville, lieutenant du roi en Caroline, capturé par les Indiens redevenus francophiles, eut moins de chance. Rendu à la liberté, l'officier britannique fut massacré, alors qu'il regagnait Charles Town8, par d'autres Indiens rancuniers, qui avaient un contentieux avec ses compatriotes.
Conscient d'avoir déclenché la furie indienne contre les ennemis blancs des Français, Bienville, qui connaissait les raffinements de cruauté dont ses alliés indigènes étaient capables sur la personne des prisonniers, avait donné l'ordre à ses Canadiens de tirer par tous les moyens des mains des Sauvages, au moins, les femmes et enfants des Anglais. Il accueillit tous les rescapés qui furent conduits à Mobile, les fit héberger et nourrir en attendant l'arrivée d'un bateau. La veuve anglaise d'un soldat fut même autorisée à s'installer dans la colonie. En ce qui concerne les chefs des Chacta, qui avaient eu l'audace d'aller dresser leur tente en Caroline ou en Virginie, il se fit présenter leur scalp, en grande cérémonie, dans la meilleure tradition indienne. Ayant prodigué des réprimandes, proféré des menaces et distribué quelques cadeaux, Bienville considérait l'affaire terminée quand il apprit, incidemment, que La Mothe-Cadillac s'était rendu au pays des Illinois avec l'intention de dire au passage leur fait aux Natchez. La démarche était courageuse mais demandait un doigté et une dialectique que le gouverneur ne possédait pas. Les Natchez méritaient des égards particuliers, car ils formaient une nation policée qui avait ses traditions. Leur testament, qu'ils nommaient l'Ancienne Parole, révélait que leurs ancêtres s'étaient autrefois alliés aux hommes blancs, aux guerriers du feu, quand ceux-ci étaient venus « sur leurs villages flottants » envahir la région d'Anahuac. Ils croyaient au Grand Esprit, comptaient les jours de l'année à partir de l'équinoxe de printemps et donnaient aux mois des noms d'animaux ou de plantes utiles à l'homme. Leurs habitations passaient pour les mieux bâties, ils cultivaient leurs champs avec application et observaient des règles de vie en société ignorées de nombreuses tribus. Adorateurs du soleil, comme les Taensa, les Natchez conservaient, dans un temple, un feu perpétuel que des prêtres entretenaient sans défaillance.
L'arrivée de La Mothe-Cadillac flatta les chefs de village et les inquiéta. Fiers, comme toujours, mais aussi un peu penauds d'avoir accueilli les rivaux des Français, ils prièrent le gouverneur d'oublier leurs fautes et l'invitèrent à fumer le calumet. Le Gascon, qui avait au moins autant d'orgueil qu'un Natchez, ignora la pipe au long tuyau et ne daigna pas prendre la repentance des Indiens en considération. Il accepta néanmoins des vivres et redescendit le Mississippi, par où il était venu, laissant les Natchez blessés par son mépris et certains que les Français se préparaient à faire la guerre à leur nation.
Avant Bonaparte, les Indiens savaient que la meilleure défense est l'attaque. Les canots du gouverneur avaient à peine disparu dans une courbe du fleuve que les chefs de guerre, endoctrinés et gratifiés par les Anglais, invitaient leurs hommes à scalper tous les Français qu'ils rencontreraient sur leur territoire. Les guerriers mirent un certain temps pour passer à l'action, mais, au mois de janvier 1716, un missionnaire, le père Antoine Davion, vint raconter à Bienville que quatre Canadiens avaient été assassinés par les Natchez alors qu'ils se rendaient paisiblement au pays des Illinois. Le lieutenant reçut cette nouvelle tandis qu'il travaillait à la construction de grands canots pour remonter le Mississippi et accomplir la mission que venait de lui confier directement le roi : créer plusieurs établissements nouveaux sur le fleuve, à commencer par un fort chez les Natchez et un autre sur la rivière Ouabache. Le fort des Natchez serait nommé Rosalie, en l'honneur du quatrième enfant et première fille de M. de Pontchartrain, le fort de l'Ouabache s'appellerait Saint-Jérôme, patron du ministre de la Marine, depuis peu secrétaire d'État.
Les crimes perpétrés par les Natchez constituaient un acte d'hostilité insupportable et ne pouvaient rester impunis, aussi Bienville demanda-t-il immédiatement au gouverneur de lui donner quatre-vingts hommes pour former une expédition et infliger aux assassins le châtiment qu'ils méritaient. La Mothe-Cadillac, qui craignait de se démunir des trois quarts de son effectif militaire, refusa et n'accorda au lieutenant du roi que la seule compagnie de M. de Richebourg, qui comptait trente-quatre hommes. Bienville fit observer que c'était fort peu pour conduire une guerre contre une nation capable d'aligner huit cents guerriers. Le gouverneur ne céda rien, en dépit des interventions de Duclos et des agents de Crozat. Bienville embarqua dans ses huit pirogues, servies par dix-huit matelots, avec la seule troupe qu'on lui eût accordée.
Le capitaine Chavagne de Richebourg, qui prit part aux opérations, rapporta tous les détails de cette expédition guerrière.
En arrivant chez les Tunica, à soixante-quinze kilomètres du territoire des Natchez, l'officier apprit que les Indiens avaient encore tué un Français, qui descendait du pays des Illinois, et qu'ils se tenaient en embuscade pour attendre, sur le lieu même de ce crime, une troupe de quinze Canadiens. Le père Davion, très apprécié des Tunica, avait, comme tous les missionnaires, ses informateurs. Il révéla à Bienville que les Natchez ne donnaient, dans leurs villages, aucune publicité à ces meurtres qu'ils croyaient ignorés des Français, mais qu'ils avaient fait des cadeaux aux Tunica pour s'assurer leur discret concours, afin que ces derniers interceptent et tuent ceux qui seraient en route pour leur demander des comptes. Bienville, dont le sang-froid était exemplaire, se conduisit avec les Tunica comme s'il ignorait tout de leurs intentions homicides. Il fuma le calumet et expliqua qu'il se rendait au pays des Natchez pour installer un magasin où les Indiens pourraient troquer leurs pelleteries contre des objets venus de France. Il demanda même au cacique local d'envoyer un messager chez les Natchez pour annoncer son arrivée. Mais, au lieu de camper dans le village des Tunica, comme il y était invité, il conduisit sa troupe à une demi-lieue de là et prit ses quartiers sur un îlot du Mississippi, qu'il fit immédiatement fortifier. Quand un enclos sûr fut établi, il fit construire trois baraques, une pour abriter les vivres et les munitions, une pour servir de corps de garde et une troisième destinée à l'incarcération d'éventuels prisonniers.
Quarante-huit heures plus tard, trois Natchez se présentèrent au camp, proposant avec le sourire leur calumet décoré. Bienville autorisa ses soldats à fumer mais refusa, quant à lui, de tirer une seule bouffée. Étant le grand chef de la troupe française, il ne pouvait fumer, expliqua-t-il, que des calumets présentés par les chefs de la nation. Quand les Indiens furent restaurés, Bienville les renvoya chez eux, accompagnés d'un de ses hommes qui parlait algonkin, avec mission d'expliquer que les Français construiraient leur établissement chez les Tunica si les Natchez n'en voulaient pas. C'était un bon moyen d'éveiller la convoitise des caciques et de titiller leur vanité. Dans le même temps, le lieutenant du roi désigna le plus débrouillard des Canadiens qu'il dépêcha, à bord d'une pirogue, avec un Illinois, pour placarder à certains endroits des berges, par où passaient tous les voyageurs, des panneaux sur lesquels était annoncé en grandes lettres : « Les Natchez ont déclaré la guerre aux Français. M. de Bienville est campé aux Tunica. » L'afficheur devrait aussi dépasser pendant la nuit, sans se faire remarquer, les villages des Natchez, pour aller au-devant des quinze Canadiens attendus par les Indiens et inviter les voyageurs à changer d'itinéraire.
Malgré ces précautions, Bienville vit arriver, quelques jours plus tard, six Canadiens à bord de trois canots chargés de pelleterie, de viande fumée et de graisse d'ours. Ceux-ci étaient encore tout étonnés de l'aventure qu'ils venaient de vivre. Interceptés sans douceur par des guerriers, ils avaient été, dans un premier temps, dépouillés de tous leurs biens et emprisonnés. Mais le lendemain, alors qu'ils s'attendaient au pire, et aussi soudainement qu'ils avaient été arrêtés, un chef leur avait fait restituer leurs armes, leurs pirogues et toutes les marchandises qu'ils transportaient, en même temps que la liberté. En s'excusant, les Natchez leur avaient aimablement indiqué que M. de Bienville campait chez les Tunica.
L'affichage donnait à réfléchir aux caciques et, comme Bienville faisait mener grand train, derrière les palissades du camp insulaire, aux cinquante soldats ou matelots français, les Tunica, qui devaient espionner pour le compte des Natchez, pouvaient penser qu'une véritable armée était à l'exercice. Le fait que les Français imputassent clairement et publiquement aux Natchez la responsabilité d'une guerre que ces derniers auraient voulu mener sournoisement sans la déclarer obligeait les chefs indiens à rechercher une honorable issue à un conflit mal engagé.
Les Natchez crurent bientôt avoir trouvé l'échappatoire puisque, le 8 mai, ils envoyèrent quatre pirogues « dans lesquelles il y avait huit hommes debout qui chantaient le calumet, et trois hommes dans chaque pirogue qui étaient assis sous des parasols, douze qui nageaient, et deux interprètes français ». Les grands chefs indiens avaient cru bon de se déranger pour apporter en grande pompe le calumet à fumer au chef des Français. Bienville avait fait tendre des voiles sur des piquets pour multiplier les tentes du camp censées abriter une troupe nombreuse, et cacher, le fusil à la main, la moitié de ses soldats. Il fit désarmer par les autres tous les Indiens qui mirent pied à terre et n'accepta de recevoir que huit chefs qu'il connaissait par leur nom. Ayant repoussé avec hauteur les calumets que ces derniers lui présentaient, il leur demanda brutalement comment ils comptaient expier l'assassinat de cinq Français. Comme les Natchez, désorientés, ne savaient que répondre, Bienville fit un signe à ses soldats. En un instant, les Indiens se trouvèrent enchaînés et jetés dans la prison toute neuve du camp.
À la tombée de la nuit, le lieutenant du roi fit extraire de la geôle trois frères, qui étaient les chefs les plus représentatifs, Grand-Soleil, Serpent-Piqué et Petit-Soleil. Comme ils paraissaient terrorisés, Bienville expliqua qu'il n'imaginait pas qu'ils eussent pu donner ordre eux-mêmes de tuer des Français, mais qu'il attendait d'eux qu'ils lui fassent parvenir les têtes des assassins, non seulement les scalps mais les têtes « car je veux les reconnaître ! » précisa-t-il. Après avoir rappelé aux Indiens que, dix ans plus tôt, quatre cents familles de Tchioumachaqui avaient été anéanties parce que la tribu avait refusé de livrer aux Français les assassins d'un missionnaire et de trois traitants, et qu'il avait lui-même, en 1703, fait condamner à mort un Français qui avait tué deux Pascagoula, Bienville renvoya les trois frères à leur prison, en leur conseillant de méditer sur l'impartialité que suppose une bonne justice.
Au petit matin, Serpent-Piqué annonça qu'il irait lui-même chercher les têtes des assassins, mais Bienville, pour affirmer son autorité, désigna son cadet Petit Soleil, qu'il embarqua sur-le-champ avec douze soldats et un officier. Tandis que l'Indien allait accomplir sa macabre mission, la troupe de Bienville se renforça à plusieurs reprises, car les Canadiens et les traitants, qui lisaient les affiches placées aux bons endroits, rejoignaient le camp des Tunica avec armes, bagages et provisions.
Quand Petit-Soleil réapparut avec ses hideux trophées, Bienville fronça le sourcil et entra dans une colère jupitérienne. Il n'avait reconnu que deux des trois têtes présentées pour être celles des assassins recherchés. La troisième, les Natchez en convinrent, était celle d'un innocent que Petit Soleil avait fait décapiter parce qu'il était le frère d'un des meurtriers qui s'était échappé. En réalité, le troisième assassin était un chef de guerre nommé Oyelape, en français Terre-Blanche, un des meilleurs guerriers de la tribu, que les Natchez avaient voulu épargner. Ayant remis Petit-Soleil en prison, Bienville libéra, deux jours plus tard, le grand prêtre des Indiens, afin qu'il accomplisse ce que Petit Soleil n'avait osé faire. Tandis que les affaires de la justice, selon Bienville, allaient leur train, Petit Soleil se résolut à dire toute la vérité. Il expliqua que trois chefs de guerre, Terre-Blanche, Alahofléchia et le Barbu, étaient les vrais coupables. Comblés de cadeaux par les Anglais, ils avaient accepté de tuer tous les Français qu'ils rencontreraient. Terre-Blanche était vraiment en fuite, mais les deux autres, qui avaient encore la tête sur les épaules, figuraient parmi les prisonniers détenus dans le camp français !
Les premiers jours de juin, M. de Bienville, considérant que le conflit était terminé, reçut les assurances de fidélité des Natchez et annonça qu'il accepterait à nouveau de fumer le calumet de la paix avec eux quand leur nation aurait donné des preuves tangibles de sa loyauté. Il permit aux chefs de regagner leur village après qu'ils eurent promis de lui apporter la tête de Terre-Blanche, dès qu'ils pourraient s'en saisir, et de fournir, avant la fin du mois de juillet, « deux mille cinq cents pieux de bois d'acacia de treize pieds de long et dix pouces de diamètre », qu'ils auraient à charroyer « tout près du Mississippi, au lieu qui leur serait indiqué pour faire un fort ». Les Natchez s'engagèrent encore « à fournir en outre trois mille écorces d'arbre de cyprès pour couvrir les logements » des Français, qui s'installeraient autour du fort Rosalie.
Le 8 juin, les Natchez, heureux de s'en tirer à si bon compte, rentrèrent chez eux, sauf Serpent-Piqué, que Bienville retint comme otage. « Le 9 on fit casser la tête aux deux guerriers » encore détenus et M. de Bienville, assez satisfait d'avoir évité une vraie guerre, dont les Français ne seraient peut-être pas sortis vainqueurs, et d'avoir fait rapide et bonne justice, reprit le chemin de Mobile. Son absence avait duré neuf mois pendant lesquels la France avait connu des événements qui n'étaient pas sans influencer la situation en Louisiane.
À son arrivée, Bienville apprit d'abord que Louis XIV était mort le 1er septembre de l'année précédente, dans la soixante-douzième année de son règne, ce qui constituait un record, et que le duc d'Orléans assumait la régence du royaume en attendant que Louis le quinzième, arrière-petit-fils du Roi-Soleil, âgé de cinq ans, puisse prendre en main les destinées de la monarchie. On lui annonça aussi que Pontchartrain n'était plus ministre et que les ministères eux-mêmes avaient été remplacés par des conseils d'État. Les affaires de Louisiane et de toutes les colonies dépendaient désormais du conseil de Marine et du conseil de Commerce.
Un volumineux courrier du tout nouveau conseil de Marine, apporté quelques jours plus tôt par la Paix, brigantin de la compagnie de Crozat, attendait Bienville et lui réservait d'autres surprises. Le paquet contenait, entre autres documents, un ordre du Régent conférant à M. de Bienville, lieutenant du roi en Louisiane, le commandement en chef de la colonie jusqu'à l'arrivée d'un nouveau gouverneur, M. Jean Michiele de Lépinay, seigneur de La Longueville, lieutenant de vaisseau ayant servi dans l'administration du Canada, qu'accompagnerait un nouveau commissaire ordonnateur issu de la marine, M. Marc-Antoine Hubert.
Une lettre expliquait, en peu de mots, la décision. « Messieurs de La Mothe-Cadillac et Duclos, qui ont des caractères incompatibles, sans avoir l'intelligence nécessaire à leurs fonctions, sont révoqués et remplacés. » Ainsi, Bienville était débarrassé d'un gouverneur avec lequel il n'aurait jamais pu s'entendre et qui, par ses récriminations incessantes et son incompétence, avait irrité tout le monde, y compris son associé Antoine Crozat. Ce dernier était un des artisans de son éviction. N'avait-il pas fait savoir au conseil, dès le 11 février 1716 : « Il faut des gens sages pour gouverner la colonie et les dirigeants actuels ne sont pas satisfaisants. On représente que le sieur de La Mothe-Cadillac, qui en est présentement le gouverneur, et le sieur Duclos, qui en est commissaire ordonnateur, ont des caractères bien opposés aux qualités que l'on désire dans les principaux officiers des nouvelles colonies. Outre qu'ils n'ont pas toute l'intelligence qui serait nécessaire, ils ne sont occupés que de leur intérêt particulier et traversent en toutes rencontres les vœux de la compagnie et les projets d'établissement qu'elle fait. On demande qu'ils soient révoqués et qu'il en soit envoyé de plus capables. » Et M. Crozat de conclure : « Je suis d'opinion que tous les désordres dont M. de La Mothe se plaint dans la colonie proviennent de la mauvaise administration de M. de La Mothe lui-même. »
Ces nouvelles, pour intéressantes qu'elles fussent, constituaient aussi pour Bienville une déception. Il avait toujours espéré devenir gouverneur de la Louisiane, conscient qu'il était d'avoir acquis par sa longue expérience coloniale et par ses mérites le droit de prétendre à ce poste. Mais, à Paris, l'affaire des prises de l'île Nieves, où l'on avait mis en doute la probité d'Iberville et de ses frères, n'était toujours pas éclaircie et Bienville souffrait de ce contentieux. Pontchartrain lui-même avait parfois fait preuve de défiance vis-à-vis de son protégé. Quant à Crozat, il n'avait guère apprécié les critiques que formulait l'officier sur les méthodes commerciales de la compagnie qu'il dirigeait. Le conseil de Marine, sans entrer dans les vues du financier ni tenir rigueur à Bienville de vieilles histoires de comptabilité, reconnaissait la valeur et les qualités du soldat, mais ne faisait pas confiance à ses pratiques administratives. En confirmant enfin, pour tous les Le Moyne, les lettres de noblesse que leur père, Charles Le Moyne de Longueuil, n'avait pu faire de son vivant enregistrer « en la Cour de Parlement de Paris », le Régent mettait un peu d'huile de vanité sur le prurit de carrière de Bienville et prouvait son intérêt pour une famille qui avait si bien servi le roi et la France.
Si Jean-Baptiste Duclos reçut les attributions de commissaire ordonnateur à Saint-Domingue, ce qui constituait une sorte d'avancement et laissait augurer au supporter de Bienville une vie plus confortable qu'en Louisiane, si d'Artaguiette avait déjà retrouvé en métropole ses fonctions de commissaire des classes, le conseil de Marine fut sans indulgence pour La Mothe-Cadillac.
On ignore si Bienville se réjouit de voir l'ex-gouverneur embarquer pour la France, avec toute sa famille mais sans ses effets, que le nouveau gouverneur avait fait saisir. L'orgueilleux et maladroit Gascon avait rédigé d'émouvantes suppliques pour attirer l'attention du duc d'Orléans sur ses services passés, ses charges de famille et surtout son manque de ressources. Il connut la réponse du Régent en débarquant en août 1717 à La Rochelle : cinq mois d'internement à la Bastille pour avoir dénigré ostensiblement la Louisiane et la compagnie de M. Crozat9 !
1 D'après Saint-Simon, Lauzun figure dans les Caractères au chapitre de la cour, sous le nom de Straton.
2 De nos jours, les Louisianais usent souvent du mot piastre pour désigner le dollar. Cette appellation semble être un héritage de la période espagnole de la Louisiane, qui sera évoquée plus loin dans cet ouvrage.
3 Cité par François Jégou dans Histoire de Lorient, librairie Eugène Lafolye, Lorient 1887.
4 Il s'agit de Cap-Français, à Saint-Domingue, où les vaisseaux faisaient traditionnellement escale. Aujourd'hui : Cap-Haïtien.
5 Cité par Élise Marienstras dans la Résistance indienne aux États-Unis, collection Archives, Gallimard-Julliard, Paris, 1980.
6 Soit une superficie de quatre cents kilomètres carrés environ.
7 Après de longues marches et de nombreux démêlés avec les Indiens, Juchereau de Saint-Denys arriva, à la fin de 1714, au Mexique, où il connut pendant plusieurs années des fortunes et des aventures dignes d'un roman de cape et d'épée. Il finit par épouser doña María, la fille de don Pedro de Vilesca, commandant du Presidio del Norte, et ne regagna la Louisiane, avec sa famille, qu'en 1719.
8 Devenue Charleston en 1783.
9 La disgrâce de La Mothe-Cadillac fut de courte durée. Le Régent lui fit verser, jusqu'en 1718, ses appointements de gouverneur et lui reconnut, en 1719, la propriété des terres qu'il avait autrefois défrichées à Detroit. Il refusa toujours, en revanche, d'ériger ce domaine américain en marquisat, comme le demandait l'ancien gouverneur de Louisiane.