1.
Vivre au Mississippi
Bienville succède à
Iberville
À la mort de Pierre Le Moyne d'Iberville, le frère
de ce dernier, Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville – qui
n'avait toujours pas reçu de commission officielle de lieutenant du
roi, fonction qu'il occupait depuis plusieurs années, tout en
assumant régulièrement l'intérim de son aîné, commandant général de
la Louisiane –, prit tout naturellement la succession du
défunt.
Âgé de vingt-six ans, formé à la dure école des
coureurs de bois franco-canadiens, courageux, résistant à la
fatigue, pugnace et même un tantinet tête brûlée, il savait
admirablement, depuis l'enfance, composer avec les Indiens qui
avaient été ses compagnons de jeux. Ambitieux, intéressé comme tous
les descendants du cabaretier de Dieppe, il passait pour un peu
brouillon aux yeux de certains contemporains. Conduit par les
circonstances à relayer le premier des Le Moyne, Jean-Baptiste
entendait se montrer à la hauteur des responsabilités qui, soudain,
lui incombaient et se voulait continuateur digne et capable de
l'œuvre de son frère. Comme Iberville et, avant ce dernier, le
découvreur Cavelier de La Salle, il se donna aussitôt pour mission
de jalonner les rives du Mississippi de forts et de magasins afin
de rendre sûr et commercialement exploitable le long chemin liquide
qui, des Grands Lacs au golfe du Mexique, traverse l'Amérique du
Nord.
Si Iberville laisse un patrimoine personnel
important, sa succession coloniale, bien que prometteuse, est
encore en friche. Quand le marin meurt, en juillet, à La Havane,
léguant aux siens une fortune considérable en domaines situés en
France, à Saint-Domingue, à Cuba et en Nouvelle-France, le bas
Mississippi, dont il comptait bien tirer quelques profits, ne peut
même pas encore prétendre au statut de colonie. À l'est du delta,
autour des forts Biloxi et Louis – Maurepas, construit par
Iberville lors de son premier séjour, a été abandonné dès 1702
parce que trop insalubre –, vivent, dans quatre-vingts cabanes
de rondins, couvertes de feuilles de latanier ou de canne, deux
cent soixante-dix-neuf personnes dont cent vingt-deux militaires et
quatre-vingts Indiens, plus ou moins contraints de servir les
Blancs. À la même époque, la Nouvelle-France compte déjà seize
mille quatre cent dix-sept habitants.
Le fort Louis de la Mobile constitue, sur la rive
droite de la rivière, malgré de fréquentes inondations, la base la
plus sûre de la colonie. C'est à partir de l'embryon de ville
dessiné autour de cette position stratégique que l'on envisage
d'attribuer des concessions à ceux qui en feraient la demande. Or
on ne se bouscule pas pour devenir colon en Louisiane. Des soixante
Canadiens arrivés en 1700, bien peu ont, à l'exemple des Saucier,
construit une maison et défriché quelques arpents de terre. On sait
qu'à Rochefort certains militaires affectés à la Louisiane, imitant
le garde-marine Vaugelas, ont refusé d'embarquer. Peut-être ont-ils
eu raison !
Les officiers et les soldats en garnison à la
Mobile n'ont pas touché de solde depuis plusieurs années. Ils ont
troqué leurs uniformes rapiécés contre des vêtements de peau et
subsistent grâce aux produits de la chasse et de la pêche, en
élevant des cochons et des poules, en trayant quelques vaches,
rescapées du troupeau importé de Saint-Domingue, qui s'acclimatent
difficilement. Le froment, sitôt planté, produit de beaux épis qui,
hélas ! ne parviennent que rarement à maturité à cause des
pluies diluviennes. Quand les Indiens, auprès de qui les Français
dépenaillés ont perdu une bonne part de leur prestige, refusent de
fournir du maïs, que tout le monde nomme blé d'Inde, de la viande
de bison séchée, de l'huile et de la graisse d'ours, c'est la
famine. Périodiquement manipulés par les traitants anglais, qui
font de discrètes incursions à travers les Appalaches, il arrive
même que les Mobiliens se montrent agressifs.
Certains militaires, négligeant le service d'un
roi lointain et indifférent, oubliant la discipline censée faire la
force des armées, se sont mis en ménage avec des Indiennes dans les
tribus accueillantes des Pascagoula et Capina, où ils sont assurés
de ne pas mourir de faim. D'autres ont tout simplement déserté et
rejoint, avec l'aide de guides indiens, la colonie anglaise de la
Caroline, où ils ont été fort bien reçus.
Les fidèles, les consciencieux, les patriotes
guettent, derrière les palissades des forts, l'apparition des
vaisseaux de France qui apporteraient ce qu'il est convenu
d'appeler la ration du roi. Mais la guerre de Succession d'Espagne
mobilise en d'autres mers la marine royale et n'incite guère les
armateurs du commerce à risquer des voyages vers un établissement
dont les rares habitants sont trop démunis d'argent pour acheter
leurs marchandises et où les capitaines ne chargeraient d'autre
fret de retour que des peaux de chevreuil ou de bison à demi
pelées ! Au cours de l'été 1706, l'Aigle a livré quelques provisions vite épuisées et,
depuis, aucun vaisseau ne s'est présenté à l'entrée de la baie de
la Mobile.
Les armateurs français avaient tout de même trouvé
le moyen, en 1705, d'envoyer dix-sept navires sur la côte de Guinée
pour embarquer des centaines de Noirs capturés par les négriers et
destinés aux colonies espagnoles. Il est vrai que le commerce dit
du bois d'ébène est alors plus rentable que l'approvisionnement des
colons de la Louisiane. On sait par exemple que le sieur Danican,
qui transporte des Noirs d'Afrique à Buenos Aires, fait, bon an mal
an, plus de trois cent mille livres de bénéfice, malgré un taux de
mortalité effrayant puisqu'un bon tiers des esclaves embarqués
meurent en cours de traversée1 !
Pour qu'une colonie se développe, il convient
avant tout de la peupler. Pour cela, les femmes sont indispensables
et les célibataires de la Mobile en réclament au moins autant que
des vivres et des munitions !
Dès 1704, alors qu'il était retenu en France par
la maladie et la fatigue, Le Moyne d'Iberville avait prôné le
peuplement de la région de la Mobile par de vrais colons, qui
accepteraient la sédentarisation et se mettraient à défricher et
cultiver des terres dont la fertilité ne faisait, d'après lui, pas
de doute : « Il faut trouver les moyens, disait-il au
ministre de la Marine, d'envoyer des laboureurs en Louisiane. Ce
qui fait que nos colonies avancent si peu, c'est qu'on y
[sic] envoie que des gueux pour
s'enrichir ! » Les Canadiens venus par la mer avec les Le
Moyne ou descendus des Illinois avec Tonty ne pensaient qu'à courir
les bois et les plaines pour chasser le bison, l'ours, la loutre et
le castor, afin d'en négocier les peaux. Les premiers
métropolitains, artisans ou militaires, débarqués l'année
précédente n'aspiraient pour leur part qu'à se lancer à la
recherche de mines de plomb, de cuivre ou de métaux précieux
inexistants.
Ces gens épris d'aventure, escomptant avec naïveté
des fortunes rapides, n'avaient pas vocation de cultivateur. Ils ne
se préoccupaient même pas, dans la plupart des cas, d'assurer leur
propre subsistance et se satisfaisaient, en attendant mieux, du
régime des Indiens. Les premiers habitants des rives de la Mobile
attendaient de la métropole provisions, armes, outils et vêtements,
sans proposer en échange aucun produit colonial vendable et
consommable en France.
La guerre européenne ayant, une nouvelle fois,
condamné la Louisiane à l'isolement, les liaisons maritimes étaient
devenues rares. Un seul navire, la Loire, avait ravitaillé la colonie, déjà au bord de
la disette, pendant l'année 1703. Iberville, conscient de la
situation, avait bien tenté de recruter des familles de ruraux de
la région d'Avranches, mais son entreprise n'avait pas connu grand
succès.
En 1704, le Pélican,
commandé par un frère d'Iberville, Le Moyne de Châteauguay, avait
transporté de La Rochelle à la Mobile des provisions, des
instruments aratoires et des munitions. Dix-sept artisans,
charpentiers, forgerons, briquetiers, tonneliers, serruriers,
étaient du voyage ainsi que le premier contingent de filles à
marier que réclamaient, depuis des mois, les célibataires de la
colonie. Ces Parisiennes avaient été sélectionnées à la demande
d'Iberville par les soins de Mgr de Saint-Vallier, évêque de
Québec, dont l'autorité diocésaine s'étendait à la Louisiane. Comme
le prélat se trouvait à Paris en même temps que le commandant
général de la Louisiane, il avait veillé personnellement au choix
des demoiselles « élevées dans la vertu et la piété ».
N'avaient été retenues que les jeunes filles qui s'étaient
déclarées formellement volontaires pour l'exil et le mariage et non
celles que désignaient des parents prêts à se raviser au moment de
la séparation.
Ainsi, en octobre 1703, vingt-quatre demoiselles,
nanties d'un trousseau par les soins de dames patronnesses et
assurées d'être entretenues pendant un an par le roi, avaient
quitté Paris, en charrettes, pour La Rochelle, où elles attendirent
dans un désœuvrement regrettable, jusqu'au printemps 1704, le
moment d'embarquer sur le Pélican. Les
Rochelais, qui, mieux que les religieuses chargées d'accompagner
les fiancées coloniales, connaissaient, par les confidences des
marins et des voyageurs, la qualité de la vie en Louisiane, durent
brosser pour les jouvencelles un tableau de la colonie moins
idyllique que celui présenté à Paris par les sergents recruteurs à
cornette de Mgr de Saint-Vallier ! Ces révélations
avaient suscité des craintes, parfois des larmes et
vraisemblablement quelques désertions.
L'évêque, qui savait à quoi s'en tenir sur la
promiscuité des croisières vers le Nouveau Monde, avait obtenu pour
les voyageuses, à bord du navire, un espace protégé et relativement
confortable. Il avait aussi interdit toute communication entre les
jeunes filles et les officiers ou autres passagers. Comme les
tendrons parisiens se rendaient en Louisiane pour contribuer, avec
le concours d'époux promis mais inconnus, au peuplement de la
colonie, Iberville, malade cette année-là et ne pouvant participer
au voyage, avait fait embaucher, au salaire de quatre cents livres
par an, Marie Grisot, une sage-femme de bonne réputation. Cette
dame aurait non seulement à s'occuper, le moment venu, des
parturientes, mais devrait soigner les malades des deux sexes.
Parvenue à destination, elle fit plus tard des manières pour donner
aux hommes des soins qui, par leur nature, n'entraient pas dans ses
attributions professionnelles, encore qu'ils aient intéressé, dans
bien des cas, les organes de la procréation2 !
On ignore si, pendant la traversée, les consignes
d'isolement et de protection données par Mgr de Saint-Vallier
furent strictement respectées, mais l'on sait, en revanche, que le
Pélican ne toucha La Havane qu'au mois
de juillet. C'est au cours de cette escale qu'une épidémie, malaria
ou fièvre jaune, se déclara sur le bateau. Pierre Charles Le Sueur,
qui s'en retournait à sa mine du pays des Sioux, avait été l'une
des premières victimes. On devait en compter d'autres, car le
Pélican, vaisseau infesté, avait
transporté la maladie en Louisiane. La petite communauté du fort de
la Mobile, atteinte à son tour, comme celle de l'île Massacre où
quelques Canadiens s'étaient établis, avait déploré en quelques
semaines une quarantaine de morts, dont Le Vasseur, chef des
Canadiens. Le brave Henry de Tonty, glorieux manchot et fidèle
lieutenant de Cavelier de La Salle, frappé lui aussi de la
« peste de La Havane », avait survécu jusqu'en septembre.
Il était âgé, au jour de sa mort, de cinquante-quatre ans.
Comme il ne restait plus, cette année-là, dans la
colonie que deux femmes, l'épouse de Nicolas de La Salle, promu
commissaire ordonnateur, et celle d'un artisan, les Parisiennes
avaient été accueillies chaleureusement. Quinze d'entre elles, bien
que très éprouvées par la traversée et à peine remises de
l'angoisse de l'épidémie, avaient trouvé rapidement des époux parmi
les Canadiens ou les artisans. On devait apprendre, au fil des
années, que ces mariages exotiques n'apportèrent que rarement le
bonheur à des femmes que rien ne préparait à la vie rude des
pionniers.
Marcel Giraud a donné les raisons du rapide
désenchantement des épouses importées : « À l'insalubrité
apparente de la colonie s'ajoutait l'absence de confort matériel,
la médiocrité des ressources de la population. La plupart avaient
quitté Paris dans l'espoir de trouver en Louisiane une existence
plus facile, séduites par la promesse que la monarchie garantirait
leur subsistance pendant un an. Mais l'assistance promise ne
pouvait leur permettre d'atteindre, dans un aussi court délai, le
degré d'aisance qu'on leur avait fait entrevoir à Paris. […] Le
régime alimentaire, enfin, dont la bouillie de maïs était l'élément
dominant, ne tarda pas à leur inspirer une aversion d'autant plus
grande que l'évêque de Québec leur avait représenté le pays comme
“bien approvisionné”. »
On peut aussi penser que ces demoiselles de la
ville ne s'habituèrent pas aisément à vivre dans des cabanes de
rondins où s'engouffraient, le soir venu, des nuées de moustiques
affamés de sang frais, où se glissait parfois un serpent, tandis
que d'étranges oiseaux se disputaient, en criant, les ordures
ménagères. Certaines personnes, pauvres mais de petite noblesse,
avaient espéré rencontrer parmi les officiers de la garnison des
jeunes hommes du type prince charmant ou guerrier romantique, qui
apprécieraient leur éducation, leur tiendraient la main au clair de
lune en récitant des vers sucrés, et ne leur proposeraient l'hymen
qu'après une cour faite dans les règles. Or, à peine débarquées,
les plus laides avaient perçu dans le regard des hommes la
convoitise élémentaire et la rustique concupiscence du mâle
longtemps privé de femme. Celles qui refusèrent en rougissant les
hommages appuyés et les propositions sans fioriture des braves
Canadiens, plus habiles à dépouiller un bison qu'à délacer un
corset, se virent admonestées par Bienville. Venues en Louisiane
aux frais du roi pour assurer le peuplement du pays, ne
devaient-elles pas « s'établir suivant l'usage des
colonies » ?
L'état des
lieux
La Louisiane du commencement du XVIII e siècle
n'avait rien de la terre accueillante que décrivaient alors, à
Paris, les recruteurs coloniaux. Le voyageur d'aujourd'hui peut
aisément imaginer, en parcourant le delta sauvage où, il y a une
trentaine d'années, William Faulkner chassait le daim et le cerf,
ce que devaient ressentir les Européens qui débarquaient en 1700
dans ce pays subtropical. Le décor naturel du bas Mississippi, où
il serait vain de chercher une pierre, car la terre n'est que limon
porté par le fleuve au cours des millénaires, n'a guère changé,
même si les derricks des pétroliers dressent, çà et là, des
silhouettes importunes. Sur des milliers d'hectares, l'immense
plaine palustre, parsemée de cyprières, lézardée de ramifications
sinueuses par où s'écoulent paresseusement vers la mer, derrière
des rideaux de plantes aquatiques, les eaux lasses du fleuve,
suscite autant l'admiration que l'angoisse. Sur les quelques routes
inondables qui traversent maintenant cette vaste réserve naturelle,
des panneaux indiquent clairement au voyageur de notre temps qu'il
circule à ses risques et périls. Les initiés ne s'y aventurent qu'à
bord de quatre-quatre amphibies et pourvus de treuil et de
radio !
Les premiers colons de la vallée de la Mobile ne
disposaient pas de ces commodités. Ceux qui, partis des forts,
s'égaillèrent vers l'ouest furent d'abord étonnés par le nombre, la
variété et la beauté de certains oiseaux. L'abondance du gibier à
plume et à poil dut les réjouir. Daims, chevreuils, dindes
sauvages, outardes, cailles, perdrix que les Indiens nommaient
Ho-Ouy, merles, canards de toute sorte offraient aux chasseurs de
quoi améliorer le maigre ordinaire de garnison. En faisant
l'inventaire des ressources du pays, ils furent, en revanche, moins
favorablement impressionnés par le foisonnement des reptiles de
toute taille : serpent d'eau gros comme du câble d'amarrage,
mocassin au venin mortel, tête-de-cuivre au dard empoisonné,
serpent-collier qui se fond dans le décor en déployant ses anneaux
rouges et verts, serpent-congo à bouche blanche, serpent-corail à
l'œil de chat, couleuvre énorme mais inoffensive, serpent à
sonnette, que les scientifiques appellent Crotalus horridus et qui peut vivre plus de vingt
ans en s'allongeant jusqu'à atteindre quatre mètres !
La présence d'innombrables alligators aux
mâchoires broyeuses, aux dents acérées, rendait dangereuse toute
progression dans les marais. L'été, on pouvait confondre les
sauriens, cuirassés d'écailles repoussantes, avec des troncs
d'arbres à demi immergés quand ils somnolaient étendus sur l'eau ou
vautrés dans la vase au milieu des joncs. L'hiver, ils
disparaissaient enfouis dans la boue et malheur à qui les
réveillait. Leurs plongeons, quand ils redoutaient l'approche de
l'homme ou se jetaient sur une proie, résonnaient en ploufs sonores
et effrayants.
Mais la plaie dont souffraient tous les Européens,
dès qu'ils mettaient pied à terre, était le maringouin, moustique
des pays chauds auquel les Louisianais donnent encore aujourd'hui
son ancien nom français. Parcourant le delta un siècle et demi
après les premiers colons français, le géographe Élisée
Reclus3 se plaint encore de
l'agressivité des maringouins : « […] le fléau, la
calamité, la malédiction de la Louisiane, ce qui change parfois la
vie en martyre de tous les instants, c'est un petit insecte, le
maringouin. Rien ne le tue, ni les pluies, ni les sécheresses, ni
la chaleur de l'été, ni le froid de l'hiver ; le jour, on le
voit partout volant par essaims ; la nuit, on entend sans
relâche le bourdonnement importun de ses ailes ; il s'insinue
à travers les fentes les plus étroites, il pénètre sous les voiles
les plus épais, et se précipite sur sa victime en exécutant avec
ses ailes une petite fanfare victorieuse4. »
La piqûre du maringouin n'était pas qu'un cuisant
désagrément. Dans certains cas, elle portait le germe de la
mort.
Moins dangereuse, mais plus douloureuse encore que
celle du maringouin, la piqûre de la mouche-brûlot, térébrante
comme une pointe de feu, éprouvait cruellement ceux qui allaient
jambes nues dans la folle avoine où paissaient les cervidés à
cornes branchues. Les hommes qui remontaient le fleuve vers la
région des Arkansa et des Illinois, jusqu'aux confluents du
Mississippi avec le Missouri ou l'Ohio, pour trouver des terres
plus hospitalières, rencontraient peut-être moins de moustiques et
de serpents mais ils entraient alors dans le domaine des ours et
des loups.
Telle était cette colonie dont l'avenir, dans la
première décennie du XVIII
e siècle, paraissait des plus
incertain. Comme pour ajouter à ses misères et aux difficultés du
temps, ses dirigeants, tombant dans le travers très français de la
chicane vaniteuse, allaient se déchirer à coups de rapports, de
plaintes, de ragots dont Bienville serait le premier atteint.
Bienville
contesté
La querelle fut lancée quand Nicolas de La Salle,
commissaire ordonnateur qui souffrait peut-être, étant donné le
dénuement ambiant, de n'avoir rien à ordonner, adressa, le
7 septembre 1706, une lettre à M. de Pontchartrain.
L'attaque contre les Le Moyne, vivants ou défunts, eut le mérite
d'être claire, catégorique et signée. « D'Iberville, Bienville
et Châteauguay, les trois frères, sont coupables de toute espèce de
méfaits et sont des voleurs et des fripons qui dilapident les
effets de Sa Majesté. » De telles accusations exigeaient des
preuves : La Salle ne proposa que des récriminations
personnelles et des ragots.
Ce La Salle, dont l'homonymie avec le découvreur
ne trompe heureusement plus personne, se prend pour un grand
administrateur. C'est un atrabilaire pédant et prétentieux,
prototype de ces subalternes avides d'autorité et d'honneurs qui,
n'étant rien en France, se croient tout dans la colonie. Au long de
son histoire, l'empire colonial français en comptera des milliers
de cette espèce qui, mêlés à toutes les intrigues de
sous-préfecture, de mess et d'alcôve, se rendront insupportables
aux autochtones, dévoieront les initiatives généreuses et nuiront à
la réputation de la France au lieu de la servir. Parce qu'on leur a
donné, afin de leur assurer quelque prestige aux yeux des
indigènes, un titre auquel ils n'auraient jamais pu prétendre si
les candidats à l'exil outre-mer avaient été plus nombreux et de
meilleure qualité, ils se comportent avec outrecuidance et se
poussent dans la carrière à coups de brimades pour les uns, de
rapports délateurs ou flagorneurs pour les autres.
La mission du colonisateur, en ce qu'elle doit
avoir de noble et d'utile, ne peut exalter ces esprits communs.
Elle exaspère en revanche les ambitions des médiocres, en conférant
à ces derniers l'apparence de compétences qu'ils ne possèdent
pas.
Peut-être faut-il reconnaître à la décharge de
Nicolas de La Salle qu'il avait, comme d'autres résidents de la
Mobile, des raisons d'être aigri. Venu avec sa femme et ses enfants
en escomptant une position de premier plan et une vie facile, il
avait de quoi être déçu. Comme le regretté Iberville, Bienville
commande et n'attend de l'ordonnateur que l'enregistrement de ses
décisions sans discussions ni murmures, même quand elles ne
paraissent pas au fonctionnaire d'une parfaite orthodoxie
administrative.
Les Le Moyne sont ainsi, sûrs de leur fait, forts
de leur expérience, fiers de leurs exploits. La Louisiane est pour
eux une affaire de famille, un fief qu'ils entendent gérer à leur
manière. Ils ont, en outre, une façon à eux de tenir les comptes
coloniaux, qui ne peut manquer de choquer les ronds-de-cuir des
bureaux ministériels. Il leur arrive même – Iberville fut
poursuivi pour cela et ses héritiers après lui – de se faire
rembourser deux fois les frais engagés pour la colonie, d'utiliser
les traversiers du roi pour transporter de la Mobile à Veracruz des
marchandises négociables à leur seul profit, de prendre des
commissions sur les denrées envoyées de France pour les colons,
d'obtenir des Indiens des produits commercialisables en échange des
cadeaux offerts aux caciques par le roi.
Nicolas de La Salle, qui ne se prive pas de
souligner ces irrégularités, dont il ne bénéficie pas, est aussi un
ingrat. Sans Iberville, qui l'a tiré trois ans plus tôt de ses
petites fonctions d'écrivain de marine, il n'eût jamais pu
prétendre aux responsabilités qu'il détient.
Dans sa lettre au ministre, il s'en prend aussi
aux Canadiens, depuis toujours compagnons d'élection des Le Moyne.
Ces coureurs de bois traitent les fourrures sans rendre compte,
vendent de l'eau-de-vie aux Indiens et vivent en concubinage avec
des Indiennes. Le commissaire ordonnateur stigmatise également la
conduite du chirurgien de la colonie, un certain Barrot, lequel
ignore tout de son art, s'enivre et fait commerce à son profit des
remèdes fournis par le gouvernement. Enfin La Salle ne manque pas
d'attirer l'attention sur son propre cas. Les six cents livres par
an qu'il touche, d'ailleurs très irrégulièrement, ne lui permettant
pas de se payer un domestique, il doit jardiner lui-même pour
nourrir sa famille. M. de Bienville, soucieux du prestige
attaché aux fonctions, trouve cela très regrettable et ne craint
pas de le dire avec hauteur, sans pour autant donner au père de
famille les moyens de tenir son rang.
Comme La Salle avait dû se concerter avec ceux que
l'autoritaire Bienville tenait à l'écart des affaires, le curé de
Mobile, Henry Roulleaux de La Vente, qui, faisant fi de l'humilité
chrétienne, rêvait de se constituer une seigneurie très temporelle
au pays des Natchez, écrivit, lui aussi, au ministre pour se
plaindre du commandant.
Prêtre du diocèse de Bayeux, La Vente était arrivé
en Louisiane en 1704. Annoncé par ses supérieurs comme prédicateur
réputé et travailleur, peut-être s'attendait-il à trouver dans la
colonie un accueil complaisant et les meilleures conditions pour
exercer avec panache son ministère. Or M. de Bienville l'avait
reçu comme un missionnaire ordinaire et n'avait pris aucune
disposition particulière pour faciliter son installation. Les
Missions étrangères, dont dépendait le religieux, ne lui
accordaient par an que mille livres. Cette somme lui parvenait
quand un bateau effectuait la traversée de La Rochelle à la Mobile,
ce qui n'arrivait pas chaque année. Le curé estimait d'ailleurs ses
émoluments d'autant plus insuffisants que la dîme, qu'il aurait dû
percevoir, ne produisait que des sommes dérisoires étant donné le
petit nombre de paroissiens et le manque de ressources de la
plupart d'entre eux. Il faut savoir que Bienville, le mieux payé de
la colonie, recevait alors mille deux cents livres par an, les
ouvriers trente livres par mois. Le simple soldat, que le roi était
censé loger, nourrir et habiller, ne touchait, lui, que dix-huit
livres par an. Or les prix des quelques marchandises vendues dans
la colonie étaient doubles de ceux pratiqués en métropole.
La Vente, à qui le ministre de la Marine avait
déjà refusé une dotation en nature, ne pouvait obtenir les crédits
nécessaires à la construction d'un presbytère. Il avait dû, à
l'arrivée, se contenter d'une maison délabrée qui avait été
emportée quelques semaines plus tard par un ouragan. Depuis, il
occupait une modeste demeure qu'il n'avait pas les moyens
d'acquérir, au bord de la rivière. Il avait même été obligé,
suprême humiliation pour un membre du clergé séculier, d'emprunter
de l'argent au père Marest, l'aumônier jésuite du fort
Louis !
De surcroît, Bienville, qui manifestement
préférait les jésuites aux prêtres des Missions étrangères, ne
paraissait guère pressé de faire construire l'église qu'attendaient
les fidèles de Mobile. Il considérait sans doute que la chapelle du
fort suffisait aux dévotions. Pour toutes ces raisons et quelques
autres, le missionnaire s'était donc rangé du côté de La Salle en
proclamant qu'il se faisait fort d'obtenir le rappel de M. de
Bienville. Or ce dernier, qui avait d'autres soucis, dédaignait de
répondre à ce genre de propos, ce qui exaspérait ses
adversaires.
Étant donné la rareté des communications, les
rapports des uns et les comptes rendus des autres avaient perdu
toute actualité, et donc toute saveur, quand ils arrivaient à
Versailles, sur le bureau du ministre de la Marine, des mois après
avoir été rédigés. C'est ce qui explique que la querelle amorcée en
1706 ait pu se développer pendant plusieurs années, divisant la
population de la colonie en deux clans.
Périodiquement, le curé et ses supporters d'une
part, Bienville, les officiers et les Canadiens d'autre part,
reçurent des appuis. Pour La Vente et ses amis, ceux-ci furent
parfois inattendus, telle cette lettre à Pontchartrain envoyée par
une religieuse qui, ayant accompagné en Louisiane le premier
contingent de filles à marier, reprochait à Bienville d'avoir
découragé M. Pierre Dugué de Boisbriant, major de Mobile, de
demander sa main ! Cette nonne, effrontée ou privée
d'affection, mais prête à jeter sa cornette par-dessus les
sassafras, en déduisait avec aplomb : « Il est clair que
M. de Bienville n'a pas les qualités nécessaires pour
gouverner la colonie. » Il ne semble pas que l'officier, sur
lequel la religieuse romanesque avait jeté son dévolu, ait jamais
eu l'intention d'épouser une sœur grise. M. de Boisbriant
figurait en revanche parmi les adversaires résolus et indignés de
La Vente. Il se montra toujours un fidèle défenseur de Bienville,
ainsi qu'en font foi ses lettres à Pontchartrain.
Ce dernier, que les intrigues louisianaises
commençaient à agacer et qui trouvait trop élevé le budget de
quatre-vingt mille livres consacré, en pure perte, à la Louisiane
en 1705, finit par prendre deux décisions : il destitua
Nicolas de La Salle de ses fonctions et, le 23 juillet 1707,
signa l'ordre de rappel de Bienville en France.
Bien que privé officiellement de sa charge, La
Salle devait continuer à tenir les comptes tandis que La Vente
conservait sa pauvre cure. Les deux principaux opposants à
Bienville avaient trouvé à Paris, parmi les courtisans qui
jugeaient coûteuse et inutile la colonisation de la Louisiane, des
alliés efficaces.
La lettre de Pontchartrain dut les faire jubiler,
car elle est dépourvue de toute aménité. « Sa Majesté ayant
été instruite par plusieurs lettres écrites de la Louisiane que le
sieur de Bienville qui y commande a prévariqué dans ses fonctions
et qu'il s'est appliqué plusieurs effets appartenant à Sa Majesté,
a enjoint au sieur de Muys, qu'elle a choisi pour gouverneur de ce
pays, de vérifier les faits avancés contre lui suivant les mémoires
qui lui sont remis, de le faire arrêter s'ils sont véritables et de
l'envoyer prisonnier en France. » Le ministre de la Marine
désignait également un nouveau commissaire ordonnateur,
M. Martin Diron d'Artaguiette, ancien major des troupes de
Nouvelle-France, devenu commissaire de la Marine. Ce dernier devait
être plus spécialement chargé d'enquêter sur les agissements des
frères Le Moyne et de mettre fin au désordre administratif de la
colonie.
Bienville
contre-attaque
Prévenu de son éventuelle disgrâce bien avant d'en
avoir eu notification, Bienville, qui comptait aussi des amis à la
cour, s'était empressé, dès février 1707, d'envoyer à Pontchartrain
un long rapport sur l'état de la colonie et de demander
l'autorisation de rentrer en France pour raison de santé. Faisant
mine d'ignorer ce qu'on lui reprochait déjà, Jean-Baptiste Le Moyne
de Bienville exhalait des plaintes de nature à faire réfléchir les
candidats au commandement de la Louisiane.
La colonie est à ce point dépourvue de ressources
en vivres, explique Bienville, qu'il doit en emprunter aux
Espagnols de Pensacola, non seulement pour assurer le
ravitaillement de la garnison « mais encore pour les habitants
qui n'ont pas pu faire d'habitations assez grandes pour pouvoir
subsister d'eux-mêmes. Ils me représentent souvent leurs peines,
écrit-il, parce qu'ils n'ont ni nègres ni bœufs pour apprêter leur
terre, que ce pays est très malsain et qu'ils se trouvent malades
dans des temps où ils désirent faire leurs semences ». En tant
que représentant du roi, le commandant veut cependant se faire
rassurant : « Je les assure que Votre Grandeur les
secourra dans les besoins de leur établissement et que la guerre
seule leur cause tout le mal qu'ils souffrent. L'espérance d'un
avenir heureux les console. »
Après avoir avancé que ces difficultés
d'approvisionnement sont dues au retard des vaisseaux envoyés de
France, Bienville avoue qu'à cause du manque de matériaux et de
main-d'œuvre il a dû différer la construction du fort des
Chicassa.
La colonie vit aussi dans la crainte des Anglais,
qui s'efforcent d'attirer les Alabama dans leur camp, de débaucher
les Indiens alliés des Français, et aussi de maintenir avec les
coureurs de bois canadiens, qui ont toujours des fourrures à
vendre, des rapports commerciaux très préjudiciables aux affaires
de la colonie.
Il faut ajouter à cela que le pays est loin d'être
sûr. Dans cette même lettre du 20 février 1707, Bienville
annonce au ministre qu'il vient d'apprendre « la mort de
monsieur Jean-François Buisson de Saint-Cosme, missionnaire
détaché, qui a été tué en descendant le Mississippi, ainsi que
trois Français, par des Sauvages de la nation des Tchitimacha
établis au sud du Mississippi ». Ce sont ces mêmes Indiens
qui, douze ans plus tôt, avaient tué quatre Français. Le
missionnaire assassiné avait été envoyé en Louisiane par le
séminaire de Québec pour évangéliser les Indiens. Certes, ce
religieux n'avait jamais fait preuve d'un grand zèle apostolique et
ses supérieurs lui avaient souvent reproché son instabilité
notoire. Il était connu pour ses mœurs dissolues et on lui
attribuait même la paternité d'un petit mulâtre. On pouvait
peut-être en déduire qu'il avait péri pour des raisons n'ayant rien
à voir avec la propagation de la foi !
Bienville était néanmoins contraint d'envisager,
dès qu'il en aurait les moyens, une expédition pour punir les
meurtriers du religieux, mission dont il se serait bien passé au
moment où l'on s'efforçait de rester en bons termes avec les tribus
de la région5.
Autre plaie chronique de la colonie : les
désertions. « Les soldats et matelots envoyés à la mer
désertent à la première terre espagnole et pour ramener les bateaux
il faut en engager d'autres à des prix exorbitants. » Ceux qui
ne vont pas chez les Espagnols vont, dit-on, grossir les rangs des
pirates, forbans, corsaires ou flibustiers, qui arraisonnent les
navires marchands de toute nationalité. On murmure que mille cinq
cents écumeurs des mers maraudent au long des côtes de l'Atlantique
et à l'entrée du golfe du Mexique et qu'ils ont leurs quartiers
généraux à New Providence et dans les îles Bahamas, d'où aucune
marine ne se soucie de les déloger.
En ce mois de février 1707, il reste à Bienville
quarante-cinq soldats sur la centaine de militaires, deux
compagnies, que le roi entretient dans la colonie. Quant aux
« Sauvages alliés qui se comportent bien aux petites guerres
qu'ils se font les uns sur les autres », on ne peut qu'à demi
compter sur eux en cas d'engagement sérieux. Ils menacent parfois,
s'ils ne reçoivent pas ce qui leur a été promis, de piller les
maigres biens français. Et le commandant manque de façon tragique
de ces petits cadeaux qui entretiennent l'amitié !
Il semble qu'en plus de toutes ces difficultés
Bienville ait à faire face aux problèmes que pose l'activité des
religieux. Certains sont des incapables qu'on a envoyés en
Louisiane parce qu'on ne savait qu'en faire en France, comme
« ce missionnaire à la vue tout à fait basse et à la
prononciation fort mauvaise dont les Sauvages se
moquent ».
Serviteur dévoué du roi et rusé compère, Bienville
ne manque pas d'ajouter que, las des atermoiements de Paris,
consterné par l'incapacité où il se trouve de faire de
l'établissement de Mobile une tête de pont coloniale digne de la
France, déçu par le comportement licencieux des uns et les
jérémiades des autres, critiqué, calomnié, incompris, malade, il a
envie de renoncer à la carrière coloniale et réclame de
l'avancement !
« À l'âge de vingt-neuf ans je me trouve
attaqué d'une goutte sciatique et j'ai la poitrine tout à fait
mauvaise. On m'assure que je ne me rétablirai jamais dans ce
pays-ci et que l'air de la France me remettrait dans ma première
santé. J'espère, Monseigneur, que vous voudrez bien m'accorder mon
congé et de l'emploi dans la marine où j'ai servi neuf ans, garde
de la marine. Servant en qualité d'officier avec
M. d'Iberville dans les campagnes qu'il a fait [sic] au nord et m'étant trouvé dans tous les
combats qu'il y a rendu [sic]. Il me
serait bien fâcheux, Monseigneur, si pour être resté ici pour
l'établissement de cette colonie je me voyais privé de mon
avancement. J'espère que vous voudrez bien faire attention à mes
services passés et à ceux que je rends actuellement. Je n'ai point
de douceur à attendre que de Votre Grandeur à laquelle je demande
une lieutenance de vaisseau pour M. d'Iberville, sous lequel
j'ai appris mon métier. »
À la lecture de ce rapport et bien avant d'avoir
choisi de faire acte d'autorité, Pontchartrain avait accordé
l'autorisation demandée, qui ne prendrait cependant effet qu'au
moment où Bienville aurait un substitut. Or ce remplaçant, le sieur
de Muys, ne devait jamais prendre possession de son poste. Il
mourut des fièvres lors de l'escale de la Renommée à La Havane et l'ordonnateur Martin Diron
d'Artaguiette débarqua à Mobile le 12 février 1708. Ce dernier
était accompagné de son jeune frère, Bernard Diron d'Artaguiette,
âgé de treize ans, qu'il fit immédiatement incorporer dans la
troupe, et de trois artisans avec femmes et enfants.
Bien que destitué, Bienville fut donc invité, en
février 1708, à conserver ses fonctions de commandant de la colonie
jusqu'à ce que le roi ait désigné un autre gouverneur et cela au
grand dam de La Vente et de Nicolas de La Salle, qui ne désarmaient
pas.
Jean-Baptiste déclara qu'il acceptait par devoir
de rester à son poste et renonçait à profiter de l'autorisation qui
lui avait été donnée de rentrer en France pour rétablir sa santé.
Mais, dans une nouvelle lettre à Pontchartrain, le 25 février
1708, il renouvela ses considérations sur la pauvreté de la colonie
que d'Artaguiette avait pu constater. « Les magasins du roi ne
contiennent que des choses qui ne peuvent intéresser que les
Sauvages », écrit Bienville avant de commenter :
« Il y a bien, Monseigneur, à souffrir pour ceux qui se
trouvent commandants dans ces temps de disette. On entend
[sic] que murmurer tous les jours sur
tout de mille besoins. » Contrairement à ce qu'on croyait en
France, et à ce que certains croient encore, les hivers peuvent
être froids en Louisiane. Les soldats du roi, démunis de
couvertures et d'habits, se plaignaient alors comme les civils, ce
qui ne pouvait manquer, pensait peut-être le commandant suspendu
mais actif, d'émouvoir Sa Majesté. Enfin, il en profite, sans le
citer nommément, pour régler son compte à La Vente dont il a déjà,
dans une autre lettre, vainement demandé le rappel. « Je vous
assure, Monseigneur, que les messieurs des Missions étrangères ne
sont guère propres à la conversion des Sauvages et que bien loin de
courir au martyre ils le fuient en abandonner leur mission. Au
contraire il semble que cela les ranime, ils ne se dégoûtent
jamais. » Comme le chirurgien de Mobile, dont les agissements
avaient été dénoncés par La Salle, vient de mourir, Bienville ne
juge pas utile en revanche de défendre sa mémoire : « Il
était très ignorant, ivrogne et vendait les remèdes »,
concède-t-il simplement.
Les habitants de la colonie, émus par l'arrivée
d'un nouveau commissaire ordonnateur, dont on ne savait dans quel
camp il allait se ranger, s'étaient dépêchés de signer une pétition
très élogieuse en faveur de leur commandant, par laquelle ils
assuraient le ministre de la Marine de la valeur et de l'honnêteté
de cet homme dont « ils étaient tous très contents… ».
Les contre-feux étant allumés, Bienville invita
M. d'Artaguiette à faire lui-même une enquête parmi les
militaires et habitants de Mobile afin d'apprécier la valeur des
accusations portées contre lui.
Le rapport de Diron d'Artaguiette, qui entendit au
moins huit témoins dont les noms ont été conservés, Joseph et
Jacques Chauvin, Jean-Baptiste Saucier, Guillaume Boutin,
Jean-Baptiste La Loire, François Trudeau, Étienne Barel et René
Boyer, fut tout à fait favorable à Bienville. M. d'Artaguiette
assura le ministre que la plupart des gens interrogés disaient ne
rien savoir de ce qu'on reprochait au commandant et que les
critiques formulées à l'encontre de ce dernier étaient surtout des
on-dit invérifiables. D'après certains, une dame, parente de
Bienville, aurait vendu autrefois « dans sa maison et dans son
magasin près de l'eau » toiles, chapeaux, chemises, souliers
et autres effets ainsi que de l'eau-de-vie et de la poudre, mais
ces vêtements et produits avaient appartenu à feu
M. d'Iberville. Si M. de Bienville avait effectivement
donné deux livres de poudre à un Sauvage, c'était pour le faire
dire à ce dernier à qui il avait osé vendre un sabre appartenant à
l'arsenal du roi. Si le rapporteur admettait également que le
commandant avait parfois fait travailler pour son compte un ouvrier
payé pour être au service du roi, il s'empressait d'ajouter que
c'était en plein accord avec l'intéressé et qu'une telle pratique
était courante dans les colonies où l'on ne disposait pas toujours
de professionnels qualifiés !
Les hauts fonctionnaires d'aujourd'hui n'agissent
pas autrement, qui font accompagner leurs enfants à l'école,
promener le toutou de leur femme et même, quelquefois, repeindre
leur appartement par le chauffeur ou le coursier que
l'administration ne met théoriquement à leur service que dans
l'exercice de leur fonction !
Quant à l'observation formulée par La Vente,
suivant laquelle M. de Bienville « aurait affiché une
familiarité trop grande avec une femme qui scandalisait toute la
colonie », elle ne mérite plus d'être prise en considération,
le corps du délit, si l'on peut dire, ayant disparu avec le décès
de la personne en question ! « Quoique cette femme soit
morte, reconnaît cependant d'Artaguiette, M. de Bienville ne
s'est pas radouci à l'égard des missionnaires qui lui avaient
reproché son comportement. »
Comme on le voit, il n'y avait pas matière à
destituer un commandant de la stature et ayant le passé de
Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, pour de pareilles peccadilles.
On peut naturellement soupçonner que les constatations
bienveillantes de M. d'Artaguiette relevaient autant de la
solidarité aristocratique que d'un intérêt bien compris. Le
commissaire ordonnateur sera en 1718, avec deux de ses frères, l'un
des premiers à bénéficier d'une vaste concession sur les rives du
Mississippi, près de l'endroit où se trouve aujourd'hui Baton
Rouge, capitale de l'État ! L'atmosphère coloniale facilitait,
semble-t-il, les accommodements.
L'intendance ne suit
pas
Si les choses n'évoluaient guère en Louisiane, à
Paris et à Versailles s'étaient produits, depuis la mort
d'Iberville, des changements qui allaient se révéler indirectement
préjudiciables à la colonie naissante. En 1699 avait succédé à
Pontchartrain père, devenu chancelier de France, dans les fonctions
de contrôleur général des Finances, Michel de Chamillart, ancien
conseiller au parlement puis maître des requêtes, promu intendant
de Rouen, à qui le roi avait confié le 23 novembre 1701 le
secrétariat d'État à la Guerre. Tous les chroniqueurs s'entendent
pour dire que ce juriste, peu éclairé mais gentil, patient, honnête
et « dépourvu de véritables talents n'avait dû sa haute
position qu'à l'intrigue et à la faveur du roi, qu'il avait gagnée
par son adresse à jouer au billard6 ».
Chamillart, que Saint-Simon décrit comme « un
grand homme qui marchait en se dandinant et dont la physionomie
ouverte ne disait mot que de la douceur et de la bonté »,
éveillait la sympathie. Son aimable caractère, sa parfaite
courtoisie, la façon qu'il avait de donner aux petites comme aux
grandes choses la même application tatillonne, son goût du jeu
l'avaient conduit à faire la partie de billard du roi après avoir
fait celle du maréchal de Villeroi et de M. de Vendôme,
partenaires habituels du souverain.
Saint-Simon, qui semblait bien connaître ce
ministre nanti de « la meilleure et la plus sotte femme du
monde », le trouve honnête, plein de bonnes intentions, joli,
patient, obligeant, aimant l'État et le roi « mais très borné
et comme tous les gens de peu d'esprit et de lumières, très
opiniâtre, très entêté, riant jaune avec une douce compassion à qui
opposait des raisons aux siennes et entièrement incapable de les
entendre ; par conséquent dupe en amis, en affaires et en
tout, et gouverné par ceux dont à divers égards il s'était fait une
grande idée, ou qui avec un très léger poids étaient fort de ses
amis. Sa capacité était nulle, et il croyait tout savoir en tout
genre, et cela était d'autant plus pitoyable, que cela lui était
venu avec ses places, et que c'était moins présomption que sottise,
et encore moins vanité dont il n'avait aucune ».
Si l'on ajoute à cela que Chamillart avait deux
frères « encore plus sots que sa femme », dont l'un,
évêque de Senlis, passait pour « le véritable original du
marquis de Mascarille », on conçoit que Pontchartrain fils,
ministre de la Marine, et les frères Le Moyne, hommes d'action,
sachant apprécier la grandeur d'une entreprise, aient eu une piètre
opinion de ce protégé de Louis XIV et de Mme de
Maintenon. Même en faisant la part de la causticité naturelle de
Saint-Simon, on peut admettre aussi qu'un tel homme ait été
capable, sans malice, de toutes les erreurs d'appréciation et de
toutes les bévues.
Devenu odieux aux Français par son incapacité
notoire à conduire la guerre de Succession d'Espagne, à gérer les
finances du royaume, à combattre la disette et surtout à cause du
rétablissement de la taxe dite de capitation et la création du
dixième, impôt insupportable, il fut chansonné à Paris comme à
Versailles, dans une parodie de Lord's
Prayer. « Ne succombez pas à toutes les tentations de
la Maintenon, mais délivrez-nous de Chamillart ! »
scandaient les contribuables7.
Ce fut néanmoins cet homme, ayant mission depuis
1699 de contrôler les dépenses de la marine, qui refusa
régulièrement à Pontchartrain des fournitures, des vaisseaux, des
munitions et des approvisionnements pour la flotte et pour les
colonies auxquelles il ne croyait guère. Il réussit même, en
s'immisçant dans les ordres à donner aux commandants de navire, à
réduire le nombre des traversées à destination de l'Amérique et à
provoquer l'échec de l'expédition de Claude de Forbin, chargé de
conduire en Écosse le prétendant Jacques Stuart.
On savait partout que M. de Pontchartrain
n'avait aucune sympathie pour ce contrôleur des Finances timoré,
dont dépendaient les ressources de la marine et par là toute la
politique coloniale. La fâcherie devint complète entre les deux
hommes quand Pontchartrain eut le front d'être le premier à
annoncer au roi, en août 1707, la retraite du duc de Savoie à
travers la Provence. Les bonnes nouvelles étaient assez rares à ce
moment-là pour que chacun s'efforçât de les transmettre en priorité
au souverain. Avec l'infatuation niaise qui le caractérisait,
Chamillart vit dans cette intervention du ministre de la Marine un
manquement impardonnable à l'étiquette. L'information n'étant pas
d'essence maritime, M. de Pontchartrain n'aurait jamais dû
recevoir directement la nouvelle et encore moins la transmettre au
roi ! Saint-Simon s'empressa de noter le différend, qui donne
une idée de la futilité de la cour. « Jamais on ne vit mieux
qu'en cette occasion la folie universelle, et qu'on ne juge jamais
des choses par ce qu'elles sont mais par les personnes qu'elles
regardent. […] Pontchartrain n'eut pas une seule voix pour lui et
Chamillart, qui, dans ce fait, méritait d'être sifflé, les eut
toutes. » En 1708, moins d'un an après l'incident, voulant
jouer au fin diplomate, « Chamillart tomba dans un grand
ridicule public par deux voyages qu'il fit faire à Helvétius en
Hollande… » et fut contraint de démissionner. Il dut alors
entendre le quatrain ironique que l'on fit circuler dans les
salons :
Ci-gît le fameux
Chamillart
De son roi le
protonotaire,
Qui fut un héros au
billard,
Un zéro dans le
ministère.
Le passage aux affaires de cet honnête homme, dont
les abus d'autorité niaise, la courtisanerie et la douce bêtise
eurent des conséquences désastreuses, fut particulièrement
préjudiciable au développement de la Louisiane qui n'avait pas
besoin de ce handicap supplémentaire.
Chamillart fut remplacé par Daniel François
Voysin, futur chancelier de France, dont la femme était une amie de
Mme de Maintenon, ce qui ne changea rien au sort de la
malheureuse colonie.
Projet d'un
armateur
Les amis comme les ennemis de Bienville se
rendirent vite compte qu'un territoire dont la cour et les
ministres semblaient faire si peu cas ne connaîtrait jamais le
développement espéré par les pionniers. Certains estimaient que
seule une affaire privée, soutenue par l'État et généreusement
intéressée au succès, donc aux bénéfices éventuels de l'entreprise,
saurait mettre en valeur une colonie que l'on disait pleine de
ressources.
Un armateur, M. de Rémonville, avait déjà
constitué, en 1701, avec Iberville, un fermier général et le défunt
Le Sueur dont la veuve et les enfants vivotaient misérablement à
Mobile, une éphémère Compagnie des Sioux, chargée d'exploiter une
mine de cuivre située sur la rivière Saint-Pierre, à l'ouest du lac
Michigan. Bien qu'on eût extrait, en une saison, une grande
quantité de minerai, les mineurs, venus du nord de la France et du
Canada, qui redoutaient les fréquentes incursions des Indiens,
avaient, en moins d'un an, abandonné le site.
Nullement découragé par cet échec, M. de
Rémonville avait proposé au comte de Pontchartrain la création,
beaucoup plus ambitieuse, d'une compagnie de commerce « pour
l'établissement de la Louisiane ». Dans une longue lettre du
22 juin 1707, l'armateur expliquait au ministre :
« Le roi étant occupé à une guerre que l'envie de toute
l'Europe lui suscite et qui l'empêche de donner à cette colonie
informe et languissante tous les secours dont elle aurait besoin
pour la rendre utile à l'État et commode à ses colons, il n'y
aurait qu'une compagnie qui, formée d'honnêtes gens et bien
intentionnés, pourrait la mettre en état de donner des productions
utiles. »
Après ce préambule de courtisan, M. de
Rémonville, peut-être mal informé, se lançait dans une description
idyllique de la colonie et affichait un optimisme enfantin quant à
son avenir. « Le climat est gracieux, la situation heureuse et
son terroir deviendra un des plus fertiles du monde quand il sera
cultivé. On y trouvera, avec les soins de l'industrie de ceux qui y
passeront, de quoi satisfaire à l'utile et à l'agréable ; il
ne faut pour cela que des colons et gens qui sachent mettre en
culture. » Il ne s'agissait que d'inciter le ministre de la
Marine à convaincre Louis XIV de l'intérêt d'une telle
compagnie. Le souverain, ayant en ce temps-là à faire face à une
tentative d'invasion de la Provence par les coalisés favorables à
Charles III, déjà maîtres de la péninsule italienne, avait
alors bien d'autres soucis. C'est sans doute pourquoi l'armateur se
faisait pressant et ajoutait : « Le roi ne refusera pas à
une compagnie qui formera l'établissement de cette colonie que Sa
Majesté a honorée de Son auguste nom, de lui accorder les mêmes
avantages qu'Elle a bien voulu accorder à d'autres qui ont fait de
pareilles entreprises qui ne sont peut-être pas si utiles que
celle-ci sera un jour. » Comme il s'agissait, d'après le
solliciteur intéressé, de « renouveler un établissement effacé
de la mémoire depuis le naufrage de [sic] défunt sieur de La Salle qui en avait jeté
les premiers fondements », il convenait de ne pas lésiner sur
les privilèges à accorder à ceux qui se lanceraient dans une
entreprise de colonisation d'une telle envergure.
Le projet de M. de Rémonville comporte
dix-huit articles visant à faire de la Louisiane une propriété
privée. Réclamant des lettres patentes identiques à celles qui ont
fondé la Compagnie du Sénégal en 1696, la société chargée de la
mise en valeur « du pays de la Louisiane et de ses
dépendances » entend détenir « tous les droits de
seigneurie directe et justice, des forts, habitations, terres et
pays », à charge pour le roi d'entretenir des prêtres, de
fournir « quatre vaisseaux de quatre à cinq cents tonneaux,
gréés et armés pour le premier voyage ».
La compagnie, qui aura la concession des mines et
minières et l'exclusivité du commerce dans tout le pays pendant
trente années, construira des forts et nommera les gouverneurs de
ces derniers, qui seront pourvus de canons aux armes du roi de
France. Toutes les munitions et marchandises de France nécessaires
à la colonie seront exemptées de droits et la compagnie bénéficiera
en outre de l'autorisation « d'envoyer chaque année deux
vaisseaux à la basse Guinée pour y traiter des nègres et les
transporter aux lieux de la concession ». Quant aux
actionnaires, directeurs et employés de la compagnie, « ils
acquerront le droit de bourgeoisie dans les villes du royaume où
ils feront leur résidence et s'ils sont nobles ne dérogeront à leur
noblesse et privilèges ». Et, comme il vaut mieux se prémunir
contre le risque de poursuites pour dettes, les gages et
appointements des officiers et employés de la compagnie seront
déclarés insaisissables. Enfin, à ceux qui se seront bien acquittés
de leurs devoirs, « Sa Majesté accordera des marques d'honneur
qui passeront jusqu'à leur postérité ». L'article 18 couronne
superbement cette privatisation commerciale à la mode
aristocratique : « Sa Majesté donnera à la compagnie un
écusson tel qu'il lui plaira pour s'en servir dans les sceaux et
cachets, qu'Elle lui permettra de mettre et apposer aux édifices
publics, sur les canons et partout ailleurs où elle le jugera
nécessaire. »
Pontchartrain avait aussitôt confié le dossier à
ceux que nous nommerions aujourd'hui des experts de son ministère.
L'un d'eux, M. Nicolas Mesnager, gros négociant, député au
Conseil de commerce8, donna le 3 juin 1709 un avis favorable
quant au principe, mais fit des réserves quant à la capacité des
postulants à mener à bien la colonisation de la Louisiane.
« J'ai lu avec attention le modèle des
lettres patentes qu'on propose pour l'établissement d'une Compagnie
du Mississipi avec les instructions sur cela que M. de La
Touche m'a données par votre ordre. J'aurai l'honneur de vous dire,
Monseigneur, que la situation du pays, le grand peuple qui l'habite
et sa docilité me portent à croire qu'on y peut établir une des
plus belles colonies qui fut jamais par rapport à la religion, au
Roi et à l'État, car l'Évangile y fera des progrès, Sa Majesté y
augmentera le nombre de ses sujets et on en retirera dès à présent
plusieurs choses, et dans la suite beaucoup d'avantages qui seront
utiles au royaume. En un mot cette entreprise me paraît digne de
l'attention d'un grand ministre. Mais permettez-moi, Monseigneur,
de vous remontrer qu'une compagnie aussi faible que celle qui se
présente aujourd'hui n'est point capable de faire, ni de soutenir,
un établissement de cette importance. »
Après avoir expliqué que les promoteurs ne
pourront faire que de médiocres investissements et, partant, que de
modestes profits alors que « cette démarche pourra causer
autant de jalousie dans l'Europe, qu'en causerait une Compagnie
aussi célèbre que le demande le Mississippi », l'expert de
conclure : « cet ouvrage demande des réflexions pour le
bien fonder, et un temps de paix ».
Dans le mémoire annexé à cette lettre, le même
Nicolas Mesnager, qui devait aimer philosopher à l'occasion, se
montrait encore plus méfiant à l'égard de Rémonville et de ses
associés éventuels. « Les hommes se gouvernent par leur
intérêt et une sûreté apparente de faire quelque profit les engage
assez souvent aux entreprises les plus équivoques. Les négociants
dont on projette de composer la Compagnie du Mississippi suivent le
système qu'on vient d'exposer plus régulièrement que les autres
personnes, ils ne sont négociants que pour trouver du profit et ne
forment leur entreprise que sur des calculs qui empêchent
ordinairement de donner dans les vues sans fondement. »
Si le ministre, malgré ces restrictions, croit à
l'utilité et à l'avenir économique et stratégique de la Louisiane,
le roi, lui, se montre sceptique. Dès le commencement de la guerre
de Succession d'Espagne, en 1702, il avait fait des comptes et
s'était aperçu que cette colonie improductive coûtait cher aux
finances royales. Il avait aussitôt prié Iberville, alors
commandant de la Louisiane, de réduire les frais.
À peu près dans le même temps que M. de
Rémonville envoyait son projet de compagnie, des gens bien
intentionnés étaient venus raconter au souverain que des colons de
Louisiane avaient pillé, entre l'île Massacre et Mobile, la
cargaison de l'Aigle, navire du roi.
Louis XIV et son ministre s'étaient alors demandé s'il fallait
encourager la poursuite d'une entreprise coloniale qui ressemblait
fort à une œuvre philanthropique. Aussi, quand le directeur des
vivres de la marine au port de Rochefort, Jean-Baptiste Duché,
ayant réuni un capital de deux cent mille livres, vint à son tour
proposer la fondation d'une compagnie de commerce pour la mise en
valeur de la Louisiane, il fut, après qu'on lui eut, dans un
premier temps, laissé entrevoir une possible attribution de lettres
patentes, courtoisement éconduit comme M. de Rémonville. Ce
dernier, titulaire d'une lettre de marque, avait réalisé quelques
profits dans la course. Il choisit de les investir et de se lancer
seul dans l'aventure louisianaise. Après s'être considérablement
endetté, il décida d'équiper un de ses navires, la Renommée, et de se transporter en Louisiane avec le
projet d'y fonder un établissement. Le navire quitta La Rochelle en
novembre 1710, mais il mit, on ne sait trop pourquoi, dix-huit mois
à atteindre sa destination. L'armateur, qui avait eu connaissance à
La Havane du décès de M. de Muys, gouverneur de la Louisiane
désigné en 1707, avait l'ambition d'obtenir le poste vacant que
Bienville occupait alors sans titre. Non seulement cette ambition
fut déçue, mais Rémonville se ruina. Abandonné de Pontchartrain,
qui avait paru un moment encourager son entreprise, il fut assez
heureux pour obtenir plusieurs sursis de ses créanciers grâce à
l'intervention du roi. Le souverain ne pouvait moins faire, l'État
tardant lui-même à rembourser à l'armateur les sommes qu'il avait
investies pour le service de Sa Majesté !
Ces tentatives et projets émanant de particuliers
intéressés par l'exploitation de la Louisiane n'avaient pu retenir
longtemps l'attention du roi et de ses ministres. La guerre
mobilisait la marine, l'armée et les ressources financières de
l'État. En Europe, du désastre de Ramillies à la bataille indécise
et meurtrière de Malplaquet, les combats n'avaient pas cessé sur
divers fronts, de la Hollande à l'Espagne. En 1709, les rigueurs de
l'hiver, les variations de la monnaie, les suppléments d'impôts, la
disette avaient provoqué des désordres en France, auxquels
s'étaient ajoutés ceux suscités par une résurgence de la révolte
des camisards dans les Cévennes. Sur mer, les Anglais, qui avaient
acquis une suprématie évidente, étaient en situation, après s'être
emparés de Port-Royal le 13 octobre 1710, d'en finir avec
l'Acadie, qui devait, d'après Dudley, gouverneur du Massachusetts,
« redevenir la Nouvelle-Écosse » !
Ces revers, à peine compensés par quelques
victoires qui permirent de préserver en Europe les frontières
françaises, incitèrent Louis XIV à entériner le 8 octobre
1711 les préliminaires d'un traité de paix. Le Roi-Soleil admettait
enfin la succession protestante en Grande-Bretagne, accordait aux
Anglais Port-Mahon, Gibraltar et l'île Saint-Christophe,
s'engageait à démanteler les remparts de Dunkerque et abandonnait
pour trente ans aux armateurs de la City le privilège de
l'Asiento, c'est-à-dire le très
rentable monopole de la traite des Noirs d'Afrique.
Dès que le processus de paix, qui ne devait
trouver son aboutissement que le 11 avril 1713 lors de la
signature, à Utrecht, d'un traité aussi mutilant pour la France que
pour l'Espagne, fut engagé, Pontchartrain reprit conscience de
l'importance de la Louisiane. Débarrassé de Chamillart, remplacé
aux Finances par Voysin, puis Nicolas Desmarets, le ministre de la
Marine croyait avoir les coudées franches pour reconsidérer les
besoins de la colonie.
Des forts et des
bateaux
En Louisiane, Bienville et Diron d'Artaguiette
s'entendaient comme larrons en foire. Commissaire ordonnateur en
titre, M. d'Artaguiette avait rapidement signifié à Nicolas de
La Salle, qui s'obstinait à envoyer en France des rapports
vipérins, qu'il devait rentrer dans le rang des simples
particuliers et ne plus se mêler de l'administration de la colonie.
Bienville, pour sa part, avait obtenu le rappel du curé de La
Vente. Les gêneurs étant évacués, les deux hommes avaient mis en
train la construction d'un nouveau fort. Situé entre la passe est
du Mississippi et le lac Pontchartrain, sur l'île dite de la
Balise, ce poste permettrait de mieux surveiller l'entrée du fleuve
et créerait un embryon de vie urbaine. Comme le fort Louis se
délabrait au fil des saisons, ils choisirent, en 1711, de le
déplacer et firent dessiner une nouvelle ville de Mobile qui, sur
le document déposé aux Archives nationales, offre l'aspect organisé
d'une petite cité neuve. Précis comme un cadastre, le plan montre
des rues rectilignes se coupant à angle droit. Dans le même temps
qu'il imaginait cette nouvelle capitale, Bienville lança la
construction d'un fort Rosalie chez les Natchez et autorisa un
marin de Saint-Malo, représentant d'un armateur, M. de Coisac,
à construire un autre fort et une église sur l'île Massacre,
rebaptisée île Dauphine.
Mais, malgré ces initiatives, la situation
n'évolua que lentement. On vit certes peu à peu s'élever de
nouvelles maisons, mais les habitants de la côte réclamaient des
esclaves noirs, que des bateaux auraient dû livrer pour commencer
des plantations de tabac. Or, en 1710, la colonie ne comptait que
vingt Noirs acquis par des cultivateurs moins démunis que les
autres. En attendant, constatait l'enseigne Mandeville, « les
gens mariés et sédentaires vivent dans la même fainéantise,
alléguant pour excuse qu'ils ne voient rien de solide dans l'avenir
de la colonie ». Et cependant, un agriculteur courageux a fait
pousser du froment, de l'orge, de l'avoine, du lin. « C'est le
même terrain qu'à Bordeaux », précise Mandeville, qui ne
semble pas avoir de grandes connaissances en agronomie. Un mémoire
anonyme de la même époque indique : « La situation de la
Louisiane est la même que celle des meilleurs pays du monde qui
nous sont connus. Les terres qu'on se propose d'y habiter sont
situées entre le 30e et le 41e degré de latitude comme la Chine, la Perse,
l'Espagne, la Corse de Barbarie. Ce pays est bon. » Si
« les pommiers ne viennent pas », les pruniers, les
mûriers et les pêchers sont abondants, « le raisin de France
vient bien » au contraire des orangers qui ne résistent pas.
Les arbres n'ont que de courtes vies étant donné les pluies
violentes et les vents. Si l'on peut obtenir du fourrage,
« sur dix sortes de bois il n'y en a qu'une seule où les vers
ne se mettent pas », ce qui rend aléatoire la construction de
bateaux dont les colons ont grand besoin. Cependant, les pins étant
« pleins de gomme, on pourrait faire des manufactures de
résine, de godron9 et de braye10 », écrit Mandeville.
Si les premiers colons semblent à chaque instant
chercher le moyen de construire des bateaux – canots ou
barques, pour naviguer sur les fleuves et rivières, seules voies de
communication, et petits voiliers permettant de se déplacer au long
des côtes – c'est parce que le bateau est alors, dans ce pays,
l'instrument indispensable à tout déplacement.
Tous les trappeurs, traitants de fourrure ou
coureurs de bois, étaient rompus depuis toujours au maniement du
véhicule universel de l'Amérique de ce temps-là : le canoë
d'écorce de bouleau. Ils y avaient été initiés par les Indiens qui
ne pouvaient se déplacer, pêcher, chasser, livrer aux Blancs fruits
et légumes, promener leur fiancée au clair de lune ou faire la
guerre sans leurs canoës. C'est à bord de ces esquifs, comme le
montrent les dessins rapportés par des voyageurs des XVII e et XVIII e siècles,
que les Indiennes allaient chaque année, en septembre, récolter le
riz sauvage11 indispensable à la nourriture de leur
famille. Des milliers d'embarcations circulaient donc par tous les
temps sur les lacs et les rivières.
Même si certains détails d'une architecture navale
rudimentaire variaient d'une nation à l'autre, voire d'une tribu à
l'autre, les matériaux et les méthodes de construction étaient
semblables.
Les grands bouleaux, qui atteignaient parfois
quinze ou vingt mètres de haut, abondaient dans la région des
Grands Lacs, plus au sud, au pays des Illinois et jusqu'au
confluent du Mississippi et de l'Ohio. L'habileté des Indiens pour
confectionner leurs embarcations étonnait les Européens, qui, après
s'être essayés, souvent sans succès, au même travail, préféraient
acquérir un canoë en échange de haches, d'herminettes ou le payer
en monnaie d'argent.
Les Ojibwa, habitant la région comprise entre les
lacs Huron et Michigan, passaient pour les plus habiles à détacher
au printemps, avec leurs couteaux plats en côte d'orignal,
l'enveloppe ligneuse des bouleaux sans la rompre ni la percer. En
écorçant un seul arbre sur cinq ou six mètres de hauteur et sur
toute la circonférence du tronc ils obtenaient une pièce d'écorce
épaisse de cinq millimètres, saine et d'un seul tenant. Cela
suffisait pour fabriquer un canoë. Les femmes se chargeaient de
coudre et de brider, à l'aide de fines racines de sapin, cette peau
végétale sur une légère charpente faite de lattes et de membrures
en cèdre blanc. Très habiles, elles savaient rendre étanches les
coutures en les enduisant de résine chaude, tandis que les hommes
ajustaient les plats-bords et tendaient à l'intérieur de
l'embarcation les lattes de cèdre qui assuraient à cette gaine
d'écorce une rigidité suffisante, n'excluant pas la relative
élasticité qui permettait d'amortir, sans risque de rupture, chocs
et remous. Assis dans leur canoë, les Indiens pagayaient pendant de
longues heures. Ils chargeaient aisément sur leur dos leur légère
monture pendant les portages.
On croisait aussi, sur les fleuves et les lacs,
les grands canots commerciaux dont les artisans canadiens de
Trois-Rivières, formés par les Indiens au travail de l'écorce de
bouleau, s'étaient fait, depuis peu, une spécialité. Ces
embarcations, longues d'une dizaine de mètres, larges d'un mètre
cinquante, pouvaient transporter plus de mille kilos de
marchandises, distribuées en lots de quarante kilos, poids maximal
dont pouvait se charger un homme pendant les portages. Enlevés par
une dizaine de pagayeurs robustes, ces canots naviguaient pendant
des milliers de kilomètres, transportant à Montréal ou à Québec les
pelleteries rassemblées dans les forts, les postes ou les missions
par les traitants. Ces mêmes bateliers livraient en des lieux
déterminés les objets manufacturés et les produits dont on leur
avait passé commande.
Quelquefois, des pirates indiens attaquaient ces
embarcations pour s'approprier les fourrures, qu'ils revendaient à
d'autres traitants, ou les outils, les armes et les denrées qui
constituaient les cargaisons. Ce genre d'agression donnait toujours
lieu à de sanglantes représailles, surtout quand des pagayeurs
indiens avaient été tués par des congénères d'une autre
tribu.
Dans le Sud, entre le confluent de l'Arkansas et
du Mississippi, région où les bouleaux moins développés n'offraient
pas toujours une écorce assez solide, les Indiens préféraient la
pirogue de bois au canoë d'écorce. Suivant les zones de végétation,
ils utilisaient le peuplier, le fromager, le noyer ou le cyprès. La
technique de fabrication était plus rustique et l'on trouvait des
pirogues de toute taille, les plus longues mesurant quinze mètres,
les plus courtes quatre mètres. Après avoir choisi, abattu et
ébranché un arbre, les Indiens l'enduisaient d'argile humide aux
deux extrémités et sur toute la longueur du tronc, mais seulement
sur les deux tiers de sa circonférence. Ainsi était délimitée la
forme de la future coque. Ils allumaient ensuite un grand feu qui
attaquait le bois aux endroits que ne protégeait pas la gangue
d'argile. Il fallait à tout moment asperger l'argile, en ajouter,
défendre du feu la partie du tronc que l'on entendait conserver. En
procédant par grattage du bois brûlé, les Indiens parvenaient à
creuser l'intérieur du tronc.
Depuis l'arrivée des Européens, la hache et
l'herminette facilitaient grandement la finition du bateau qui,
réalisé d'une seule pièce, paraissait d'une parfaite étanchéité et
d'une robustesse bien supérieure à celle des canoës faits d'écorce
de bouleau. Un patient affinage des formes extérieures conférait à
ces pirogues une grande maniabilité. Montées par des pagayeurs
musclés et adroits, ces embarcations atteignaient de belles
vitesses.
Avec plus ou moins de bonheur, les premiers colons
de Louisiane s'étaient mis, par nécessité, à la fabrication de
pirogues, mais les artisans venus de La Rochelle ou de Saint-Malo
répugnaient à ces méthodes primitives et passaient leur temps à
rechercher des arbres qu'ils pourraient débiter en planches et
madriers afin de construire des bateaux à l'européenne.
Près de deux siècles plus tôt, au cours de l'hiver
1542, les rescapés de l'expédition de Hernando de Soto avaient dû,
pour quitter le pays où leur chef venait de périr, construire sept
petits bateaux sur la berge du Mississippi. Leur chantier se
trouvait, d'après les chercheurs louisianais, entre Rodney Bend et
Waterproof, sur le territoire de la paroisse Tensas, au nord de
Natchez. On sait que c'est un Génois, maître Francisco, architecte
naval, membre de l'expédition, qui avait dessiné les bateaux,
choisi les arbres à abattre et dirigé la construction. Il semble
que les colons français du commencement du XVIII e siècle
n'aient pas eu la capacité des explorateurs espagnols ! Il
faudra en effet attendre 1719 pour que le chantier de Mobile
produise le premier bateau digne de ce nom suivant les critères
maritimes de l'époque.
Ceux qui ont eu le courage, avant cette date, de
remonter le fleuve à partir de Mobile dans les grandes pirogues
indiennes ou de le descendre en venant de la Nouvelle-France ont
trouvé, sur les rives de l'Ouabache, chez les Indiens Natchez ou
Arkansa, et plus au nord, au-delà de l'Ohio, dans la région des
Illinois, chère au regretté Henry de Tonty, des terres fertiles, un
climat salubre et de meilleures conditions de vie. C'est le cas
d'un militaire canadien d'origine gasconne, Antoine Laumet, dit
Antoine de La Mothe-Cadillac, établi au détroit
Pontchartrain12, entre les lacs Érié et Huron.
Descendant d'une famille honorable mais ruinée
– son père était conseiller au parlement du Languedoc –
La Mothe-Cadillac est autoritaire, impulsif, convaincu de sa
supériorité de naissance et pourvu d'un orgueil que certains
qualifient de pathologiquement démesuré. Ayant perdu trop tôt ses
parents, il a vécu une adolescence mélancolique dans une tour
solitaire « drapée dans une robe de mousse et de
lierre », dernier vestige du château familial que les voisins
nomment la corbeautière des Cadillac. Au physique, il ne paraît
guère séduisant. Non seulement il est affligé d'un gros nez
retroussé, mais un strabisme convergent gâte son regard. Sans
grande éducation, assez ignorant, c'est un garçon pieux, qui
n'espère qu'un riche mariage pour redorer son blason.
En épousant une vieille demoiselle vaguement
apparentée au duc de Lauzun, il avait obtenu le grade de capitaine
et une compagnie d'infanterie. Après s'être très courageusement
battu en Europe, pour la plus grande gloire du Roi-Soleil, il avait
été envoyé en Nouvelle-France, où il pensait faire fortune. Il
avait déchanté dès son arrivée, et encore plus après le pillage de
sa maison acadienne, par les Anglais, pendant qu'il se trouvait en
France. On l'avait bientôt entendu proclamer : « Le
Canada ne ressemblera pas plus à la France qu'un nain pourra jamais
personnifier un géant ! » Devenu veuf, il s'était remarié
en trichant sur son âge pour épouser, à Québec, une jeune élève des
ursulines, dont les chroniqueurs affirment qu'elle détesta très
vite son mari, se mit à le mépriser sans qu'on sache la raison de
ce mauvais sentiment qu'elle ne cachait même pas en public. Cette
étrange personne donna néanmoins plusieurs filles à
l'officier.
Quand La Mothe-Cadillac apparaît dans l'histoire
de la Louisiane, il a, pendant vingt ans, parcouru, dans les
blizzards de l'hiver et sous le cuisant soleil des étés, les
régions inhospitalières du Nord. Il a fini par obtenir le
commandement du poste de Michilimackinac où, s'il a su se faire
apprécier des Indiens, il s'est aussi attiré la détestation
venimeuse des jésuites. D'après Georges Oudard, « les
religieux accusent ce bon père de famille, honnête et pieux, de
présider aux plus infâmes débauches, et représentent son fort sous
le triple aspect d'un cabaret, d'un tripot et d'un endroit qu'ils
auraient honte d'appeler par son nom et où les femmes apprennent
que leur corps peut leur tenir lieu de marchandise ! ».
Promu lieutenant-colonel, c'est à son départ de Michilimackinac
qu'il s'était installé au détroit Pontchartrain avec l'intention de
faire si possible ériger son domaine en marquisat. Il remâchait ses
ambitions déçues quand le duc de Lauzun, dont il conservait
l'estime et l'amitié, l'avait appelé en France pour lui confier le
poste de gouverneur de la Louisiane, mission qui allait enfin
satisfaire le goût du Gascon pour la diplomatie et les
affaires.
1 Cité par Pierre Bonassieux dans les Grandes Compagnies de commerce, Plon, Paris,
1892.
2 En 1713, Bienville réduisit de moitié les
gages de la sage-femme, qui refusait de soigner les marins
scorbutiques parce que « après avoir touché un scorbutique
elle ne pouvait plus toucher une femme en couches, ni même un
nouveau-né sans risquer pour eux la contagion ». L'affaire
remonta jusqu'au roi, qui, de Versailles, approuva la décision de
Bienville.
3 Né en 1830, à Sainte-Foy-la-Grande
(Gironde), mort à Thourout, près de Bruges, en 1905. Géographe et
théoricien de l'anarchisme. Disciple de Karl Ritter, dont il suivit
les cours à l'université de Berlin, il se familiarisa avec la
plupart des langues européennes. Opposé au coup d'État du
2 décembre 1851, il dut s'exiler et voyagea en Europe et en
Amérique de 1852 à 1857. De retour en France, il adhéra à la
première Internationale et participa à la création du Cri du peuple (1869). Membre de la Commune de
Paris, il fut, en 1871, condamné à la déportation en
Nouvelle-Calédonie, mais, sa peine ayant été commuée en dix années
de bannissement, il s'installa en Suisse, puis en Belgique, où il
devint professeur à l'université libre de Bruxelles. Élisée Reclus
est l'auteur de nombreux ouvrages, dont une Nouvelle Géographie universelle en dix-neuf
volumes, Hachette, Paris, 1875-1894.
4 « Le Mississippi », dans la
Revue des Deux Mondes, 15 juillet
1889.
5 Le meurtrier du père Saint-Cosme fut
retrouvé et capturé, à la demande des Français, par leurs alliés
indiens les Arkansa. Le Tchitimacha eut la tête fracassée à coups
de bâton.
6 Biographie portative
universelle, Garnier frères éditeurs, Paris, 1852.
7 Cité par John Francis McDermott dans
Frenchmen and French Ways in the Mississippi
Valley, University of Illinois Press, Chicago, 1969. On
trouve la même citation dans Philippe V
et la Cour de France d'Alfred Baudrillart, Paris,
1890-1901.
8 Nicolas Le Baillif, dit Mesnager
(1658-1714), fut envoyé à deux reprises, en 1707 et 1711, en
Hollande et en Angleterre par Louis XIV, pour conduire des
négociations secrètes. Il fut promu ministre plénipotentiaire pour
mener avec le maréchal d'Huxelles et l'abbé de Polignac les
pourparlers qui aboutirent au traité d'Utrecht.
9 Il s'agit de goudron végétal, gomme noire,
liquide, gluante, qu'on extrait des arbres résineux, pins, sapins,
mélèzes. On s'en servait pour enduire les carènes des bâtiments,
les cordages. Petit Dictionnaire de
marine, Robert Gruss, Éditions maritimes et d'outre-mer,
Paris, 1945.
10 Ou brai : résidu de la distillation du
goudron, servant à recouvrir les coutures calfatées pour les
préserver de l'humidité et assurer leur étanchéité.
11 Zizania
aquatica, avoine des marais.
12 Le poste établi au détroit Pontchartrain
prit le nom de Détroit ; actuellement la ville de Detroit,
État du Michigan.