Pas un mot pour le Premier ministre.
Le Bureau exécutif du PS adopte à l'unanimité un
texte sur la guerre du Golfe approuvant la politique de François
Mitterrand.
Jeudi 14 mars
1991
Rencontre à la Martinique entre François
Mitterrand et George Bush. Discussions sur la situation dans le
Golfe et le Proche-Orient, l'Europe et l'OTAN.
Jean-Pierre Chevènement désavoue les membres de
son courant qui, hier, ont adopté la motion du Bureau exécutif du
PS soutenant la position française dans la guerre du Golfe.
Vendredi 15 mars
1991
Rétablissement des relations diplomatiques entre
les États-Unis et l'Albanie, rompues depuis 1939.
Le Club de Paris annule la moitié de la dette
publique polonaise. La Pologne peut maintenant mettre en œuvre sa
politique de libéralisation sans payer trop cher les erreurs du
régime précédent.
Dimanche 17 mars
1991
Peut-être une erreur historique de Gorbatchev,
pourtant célébrée comme une victoire : le référendum sur le «
maintien d'une Union rénovée », organisé dans neuf républiques,
donne 76 % de oui. Cela permet la sécession balte. En Russie,
l'instauration d'un Président élu au suffrage universel est
approuvée par 69,8 % des voix. C'est la fin de l'URSS : un
Président russe élu au suffrage universel exigera toutes les
recettes fiscales et tous les pouvoirs.
Lundi 18 mars
1991
A Leipzig, reprise des « manifestations du lundi »
pour protester contre la dégradation de la situation économique
dans les Länder de l'Est.
Mardi 19 mars
1991
Pierre Bérégovoy et Michel Rocard proposent au
Président d'autoriser le rachat par la BNP, associée à la Dresdner
Bank, d'une partie du capital d'une banque anglaise, Klein Worth
& Benson. Ce rachat est conforme aux principes dégagés dans la
lettre adressée par le Président au Premier ministre à propos du
Crédit Lyonnais : oui à un rachat unilatéral de titres par une
banque publique française ; non à des participations croisées
risquant de mettre en cause l'indépendance de la banque française.
La Dresdner et la BNP veulent en effet acheter ainsi toutes les
deux, en même temps et unilatéralement, des parts d'une autre
entreprise. Mais cela peut conduire ensuite à accepter des
participations croisées de la Dresdner dans la BNP, avec le risque
d'une domination de celle-là sur celle-ci. François Mitterrand
finit par accepter, mais prévient Michel Rocard qu'un rapprochement
entre la BNP et la Dresdner ne saurait être autorisé, sauf maintien
de l'indépendance (voire de la domination) de la BNP à l'égard de
la Dresdner.
Par ailleurs, Michel Rocard propose d'autoriser
les actionnaires japonais de Bull à transformer leur participation
dans une filiale en participation dans la maison mère. Pas de
problème : Bull est déjà ouvert au privé. Il faudra cependant
modifier l'actuel décret sur la privatisation. Ce nouveau texte
n'interdit pas, en effet, la prise de contrôle de l'entreprise
publique par le privé : il suffirait d'une augmentation de capital
réservée au privé, supérieure à la part de l'État dans
l'entreprise, pour que cela revienne à privatiser l'entreprise par
« dilution » du capital, surtout s'il existe des obligations
échangeables en actions.
Mercredi 20 mars
1991
Au Conseil des ministres, Michel Rocard fait un
long compte rendu de son périple dans l'océan Indien (Réunion, île
Maurice, Madagascar) et parle de l'incompréhension suscitée à la
Réunion par la brutalité du Conseil supérieur de l'audiovisuel qui
a ordonné la saisie de Télé-Free-Dom.
Le Président :
Je ne connais pas la raison pour laquelle le
Conseil supérieur de l'audiovisuel intervient aussi brutalement,
car il est clair que c'est sa décision qui a servi de détonateur.
Je ne comprends pas davantage la solution. Cette télévision faisait
beaucoup pour le dialogue avec les différentes couches de la
population, dont les jeunes qui l'appréciaient. Répondre à cela en
autorisant un autre poste, c'est de la provocation. La Réunion
présente une des situations les plus inégalitaires de France, et
même du monde. Il est très difficile de développer la production
locale, parce qu'il existe des lobbies qui veulent importer pour
vendre, qui bloquent le système et édifient là-dessus des fortunes.
Ceci est au moins aussi vrai pour la Martinique et la Guadeloupe.
En dépit d'excellentes mesures, prises en particulier depuis deux
ans, les structures de la société, des affaires, du commerce, du
monde économique n'ont pas vraiment changé. Les puissants sont de
plus en plus puissants, et les pauvres sont toujours
pauvres.
Le Président a un mot
aimable pour Paul Vergès, quelqu'un
d'éminent. Il ne croit pas que le PC réunionnais soit
vraiment coupable de ces désordres. Si on ne
change rien, dit-il, c'est une
situation qui ne peut que se dégrader.
Suite de l'ordre du jour : on passe à la politique
étrangère. Au sujet du Liban, François
Mitterrand : Contrairement à ce que
croient un certain nombre de gens en France, le Liban, ce n'est pas
seulement les chrétiens maronites. Il y a au moins sept sectes
chrétiennes différentes, et les maronites, ce n'est pas Aoun ! Que
pouvions-nous faire, à part appuyer le processus de Taef ? On va
probablement assister à une réapparition du patriotisme libanais
avec les dirigeants actuels.
Là-dessus, Louis Le
Pensec lève la main et demande : Si
vous permettez, il y a un détail à propos de la Réunion sur lequel
je voudrais intervenir...
Le Président :
Non ; j'ai pour vous beaucoup d'estime, mais
il faut respecter la discipline du Conseil. On remettra la Réunion
à l'ordre du jour une autre fois.
Alain Decaux et Pelletier évoquent la récente
réunion du Haut Conseil de la Francophonie.
Le Président :
Il ne manquait personne, et le ton est
toujours amical à l'égard de la France. Les prochains mois nous
permettront de rasséréner, en particulier au Maghreb, une opinion
qui s'est inquiétée pour des raisons passionnelles. Il faut que nos
différents ministres agissent avec célérité, mais sans
précipitation : nous n'avons aucune raison d'avoir mauvaise
conscience...
Jeudi 21
mars 1991
Un projet de résolution américain de onze pages au
Conseil de Sécurité, fixant définitivement les conditions du
cessez-le-feu avec l'Irak. Il exige notamment la liquidation des
armes de destruction massive et de celles sous suspension
internationale, de ses missiles, de ses armes chimiques,
bactériologiques et nucléaires. Le secrétaire général de l'ONU
disposera de quarante-cinq jours pour soumettre un plan au Conseil
afin qu'il diligente une commission spéciale d'inspection des
capacités de l'Irak. L'Irak devra payer des compensations à tous
les gouvernements alliés. A cette fin, un fonds va être créé,
alimenté par une fraction des recettes pétrolières de l'Irak fixée
par le secrétaire général.
L'embargo alimentaire et médical contre l'Irak
sera levé dès l'adoption du texte. Les sanctions sur les
exportations pétrolières seront levées en fonction des
recommandations du secrétaire général de l'ONU.
On sent comme un regret de ne pas avoir abattu
Hussein, et le désir d'obtenir du peuple irakien qu'il finisse
lui-même la guerre...
François Mitterrand à
propos des journalistes : Ces gens-là me
haïssent. Et Rocard, qui leur doit tout, aussi. Et il sait que je
le sais. A part ça, nous gouvernons en bonne
intelligence.
A Londres, John Major annonce la suppression de la
poll-tax qui a coûté son poste à
Margaret Thatcher.
Vendredi 22 mars
1991
Les prisonniers de guerre vont être échangés au
rythme d'un millier par jour.
Lundi 25 mars
1991
A l'Assemblée, début de l'examen du projet de loi
Joxe sur l'administration territoriale (déconcentration, démocratie
locale, coopération intercommunale et régionale).
Mort de Mgr Lefebvre, le prélat intégriste.
Mardi 26 mars 1991
Comme prévu, les déficits deviennent visibles. La
Sécurité sociale a crevé, il y a quinze jours, son plafond de
découvert autorisé par la Caisse des Dépôts et Consignations, et se
retrouve en cessation de paiement. Pour la première fois, le Trésor
devra avancer 5 milliards de francs afin d'assurer les échéances.
C'est spectaculaire, mais financièrement dérisoire : à peu près
0,01 % du PNB!
Trois nuits de violence à Sartrouville à la suite
de l'assassinat d'un Maghrébin par deux vigiles d'un
supermarché.
Mercredi 27 mars
1991
Bull annonce des pertes de 6,8 milliards de
francs, ainsi que 8 500 suppressions d'emploi en 1991 et
1992.
Au Conseil des ministres, Lionel Jospin fait une
communication sur le « plan social étudiant ».
Le Président :
Ce sujet me tient beaucoup à cœur, comme vous
le savez. Il y a de plus en plus de jeunes qui accèdent à
l'enseignement supérieur. Plus il y aura d'étudiants, et plus ils
appartiendront à des familles modestes, plus ce sera un leurre que
de leur parler d'accès à l'enseignement supérieur sans leur en
donner les moyens. Je suis content, monsieur le ministre d'État,
que vous ayez préparé et fait aboutir un tel plan. Il en va à la
fois de la priorité de la formation et de notre volonté de justice
sociale. Ce n'est pas tous les jours que les nouvelles sont aussi
bonnes, du moins sur ce terrain-là.
Le Premier ministre :
Le projet de loi sur l'administration
territoriale de la République ne se présente pas bien. L'opposition
demande une compensation sur l'école privée. Mais, comme il s'agit
d'un texte sur les libertés publiques, j'ai l'honneur de ne pas
demander à utiliser l'article 49.3.
Le Président, d'un ton
très aimable : En général, on intervient pour
demander le contraire !... Rien n'interdit d'employer l'article
49.3 sur un texte comme celui-là, et s'agissant des libertés
publiques, à votre place, j'aurais presque tendance à le demander.
Mais enfin, le gouvernement fait comme il l'entend.
Le fossé ne cesse de s'élargir entre les deux
hommes. Le Président aurait souhaité que le gouvernement saisisse
cette occasion de déclencher la guerre à l'opposition. Rocard s'y
refuse.
Puis Jean Poperen présente une communication sur
la session parlementaire de printemps.
Le Président :
La IVe République a souffert
par excès de pouvoir législatif. En même temps, cela rendait le
métier intéressant, puisque les parlementaires pouvaient renverser
le gouvernement ! En 1958, on est peut-être allé trop loin dans
l'autre sens, mais il est très difficile de trouver un équilibre.
Par ailleurs, au sujet des propositions d'amélioration du travail
parlementaire, j'ai fait observer au président de l'Assemblée
nationale qu'il ne fallait pas trop me demander d'élargir
l'absentéisme en augmentant la durée des sessions. Cela dit, aucune
des autres propositions du président de l'Assemblée nationale ne me
heurte, bien au contraire. Mais la vraie solution n'est pas là.
Dans le choc des pouvoirs, il s'agit en définitive de savoir qui
décide.
Jeudi 28 mars
1991
Dans la nuit, attaque de la mairie de Sartrouville
par les jeunes des cités.
François Mitterrand :
La situation parlementaire correspond sans
doute assez bien à la situation qui prévaut dans l'opinion
publique... Il faut que le groupe parlementaire soit présent et que
la majorité soit claire dans tous les débats, spécialement sur la
Justice. Je regrette que nos parlementaires n'aillent pas plus
loin, à la tribune, pour mettre sur la table la réalité du
financement des partis politiques. Il faut de la fermeté, et il
faut de la vigueur ! Ça doit venir de là [il montre son
cœur], pas de là [il montre sa tête].
Il faut que l'opposition sente physiquement
que vous croyez à ce que vous dites. Ce n'est pas toujours la force
d'un argument qui porte, c'est aussi la conviction de celui qui
l'exprime...
Vendredi 29 mars
1991
Le Président :
Toutes les données dont nous disposons sur le
budget et sur la Sécurité sociale nous donnent à penser que leurs
déficits se sont creusés. Plus de 35 milliards de plus pour l'État,
et 30 milliards pour la Sécurité sociale. Soit 65 milliards à
trouver! Si l'on continue comme ça, on va se retrouver, en 1992,
dans la situation de 1982 : obligés de prendre à chaud des
décisions économiques douloureuses, parce que nous aurons été
incapables de les prendre à froid.
A Rome, démission du gouvernement Andreotti.
Dimanche 31 mars
1991
En application immédiate de la réforme
constitutionnelle, référendum sur l'indépendance en Géorgie : 98,9
% de oui.
Lundi 1er avril 1991
La situation empire au Kurdistan irakien où Saddam
Hussein fait massacrer la population dans les villages.
François Mitterrand :
C'est abject ! Il faudrait intervenir autant
que pour le Koweït, mais on ne fera rien. Au moins, saisissons
l'ONU!
A Düsseldorf, assassinat de Detlev Rohwedder,
président de la Treuhand, responsable des privatisations sur le
territoire de l'ex-RDA.
En Croatie, la Krajina proclame son rattachement à
la Serbie.
François Mitterrand :
Ça, c'est le début de la fin ! Il ne fallait
pas accepter l'indépendance de la Croatie avant de faire
reconnaître ses frontières par tous ses voisins ! De même pour les
Slovènes.
Mardi 2 avril
1991
Le gouvernement accorde une aide à la recherche de
2,7 milliards de francs à Bull.
L'ONU adopte la résolution 687 fixant les
conditions d'un cessez-le-feu définitif dans le Golfe. Cette
résolution prive l'Irak de toute capacité d'agression et le
contraint à payer des dommages de guerre sous forme d'une partie de
ses recettes pétrolières. L'embargo sur les denrées alimentaires
est levé. L'Irak doit détruire toutes ses armes non
conventionnelles et ses fusées à moyenne et longue portée. Une
mission d'observation des Nations unies se déploiera dans une zone
démilitarisée entre le Koweït et l'Irak. Washington espère que
cette intransigeance poussera les Irakiens à se soulever contre
Saddam.
François Mitterrand :
Je sens que Rocard renâcle sur le budget
social. Il sait que je vais le remplacer. Il ne veut pas partir
après avoir pris des mesures impopulaires.
Mais le Président n'entend pas lui donner
d'instructions pour augmenter la CSG. Ce déficit social n'est que
de 5 pour mille du produit national : y a-t-il une telle urgence
?
Mercredi 3 avril
1991
La guerre du Golfe est officiellement terminée :
le Conseil de Sécurité vote la résolution 687 sur le cessez-le-feu
définitif. Cuba vote contre, le Yémen et l'Équateur
s'abstiennent.
La France demande au Conseil de condamner la
répression menée contre les Kurdes en Irak. Mais il n'en est pas
fait mention dans la résolution 687. Il n'y a pas de pétrole au
Kurdistan...
Au Conseil des ministres, Alain
Decaux : Le maréchal Mobutu ne semble
pas très conscient des problèmes de son pays, mais s'intéresse
beaucoup à l'évolution de l'accent circonflexe dans la langue
française.
Le Président :
Ah bon ! Il n'y a pas d'accent circonflexe sur
« maréchal » ?
Après une communication du ministre de l'Industrie
sur l'industrie de l'électronique, François
Mitterrand : L'industrie connaît en
France comme en Europe de graves échecs. La responsabilité d'un
certain nombre d'industriels est en cause, surtout lorsqu'ils font
des raisonnements financiers plutôt qu'industriels. Il est vital
que la France et l'Europe réagissent, particulièrement dans les
domaines de l'électronique et de l'automobile. Nous sommes en train
de perdre des points. La pression idéologique libérale est très
dangereuse alors que le Japon, l'Allemagne et les États-Unis sont
en réalité protectionnistes. C'est un des sujets les plus graves,
sur lesquels je vous demande de réfléchir et d'agir.
Au sujet des Kurdes qui se révoltent contre Saddam
Hussein, le Président, en Conseil :
Il faut prendre au sérieux cette question,
parce qu'elle l'est : il s'agit d'un peuple malheureux depuis des
siècles, un peuple sans frontières et sans État, qui
ne peut espérer trouver un État. Il se
rattache aux peuples de Chaldée, mais ni aux Arabes, ni aux Turcs.
Les Kurdes sont courageux et imprudents : ils font une révolte tous
les vingt-cinq ans, qui aboutit à une répression sanglante. Que
peut-on faire pour eux ? Obtenir que dans chaque pays où se
trouvent des Kurdes, leur identité, leur culture, leur langue
soient protégées. Il y a peu de temps, parler kurde en Turquie
était passible de dix ans de prison ! Il faut également que soit
reconnu le droit d'ingérence. Il y a une campagne internationale à
mener; ce droit ne sera pas admis avant très longtemps. Pensez à ce
que la France a opposé à cette idée du temps de l'Algérie, ou aux
Noirs des États-Unis, ou aux Républiques soviétiques, ou à
l'Irlande du Nord... La frontière est difficile à tracer.
Néanmoins, ce serait un progrès de civilisation, une mise en ordre
de la société internationale. Nous avons saisi le Conseil de
Sécurité: il faut essayer d'ajouter aux autres conditions fixées à
l'Irak l'absence de répression envers les minorités. Il faut
évidemment organiser d'urgence une aide humanitaire, avec des
avions et des relais sur place.
Vendredi 5 avril
1991
Vote à l'ONU, à l'instigation de la France, d'une
résolution condamnant la répression des Kurdes par le régime
irakien. C'est une grande victoire diplomatique du droit
d'ingérence. Une victoire de Bernard Kouchner. Mais les troupes
américaines restent l'arme au pied et laissent passer les soldats
de Saddam qui vont massacrer les Kurdes...
Le Congrès russe accorde des pouvoirs spéciaux à
Boris Eltsine. Gorbatchev attend tout de l'aide occidentale qui ne
vient pas. Il se raccroche au prochain Sommet des Sept à Londres,
qui devrait lui donner satisfaction. S'il n'en obtient rien, il
aura perdu toutes ses cartes et l'URSS disparaîtra. Significatif :
le principal problème de l'URSS avec la Russie est le partage des
recettes fiscales...
Samedi 6 avril
1991
L'Irak accepte la résolution 687 de l'ONU.
Dimanche 7 avril
1991
Début de l'opération « Provide Comfort » : vivres, tentes et couvertures
sont parachutés au-dessus du Kurdistan irakien par des avions
américains, britanniques et français.
Lundi 8 avril
1991
François Mitterrand à
qui je parle du bilan de ces trois ans : Décidément, votre ami Michel Rocard est un tout petit
monsieur... Il n'aura rien fait que durer, lâchement, sans rien
réformer. Et les médias l'encensent...
Conseil européen extraordinaire sur l'après-guerre
du Golfe. Les Douze décident d'accorder une aide d'1 milliard de
francs aux réfugiés irakiens et soutiennent l'initiative
britannique portant sur la création d'une zone de protection pour
les Kurdes sous le contrôle des Nations unies. Les États-Unis sont
contre la proposition.
Mardi 9 avril
1991
Dessaisissement du juge Thierry Jean-Pierre dans
l'affaire Urba-Technic, à la demande du Parquet.
François Mitterrand :
Rocard m'a imposé l'amnistie. Je n'en voulais
pas. C'est la pire erreur, le crime de ce gouvernement ! Il
marquera tout mon septennat. Il ne fallait pas ! Et maintenant,
Rocard explique partout qu'il n'y était pour rien et que tout est
de ma faute...
Le ressentiment du Président monte, fondé non plus
sur de noirs désaccords, mais sur une incompréhension entre les
deux hommes et dangereuse pour le fonctionnement de l'État.
A propos des « affaires » et du dessaisissement du
juge Jean-Pierre, le RPR, l'UDF et l'UDC déposent une motion de
censure qui est repoussée.
François Mitterrand :
Sur l'amnistie, je n'étais pas chaud ; mais,
dès lors qu'il y avait une nouvelle loi, il n'était pas anormal
d'apurer le passé. Il y a deux façons d'avoir de l'argent : être
ami avec ceux qui en ont, ou avoir la certitude de la victoire. En
1988, nous avons refusé de l'argent qui nous était donné suivant la
règle habituelle : quand la gauche reçoit 1, la droite reçoit 3, 4
ou 5...
Les Américains préparent une conférence sur le
Moyen-Orient en essayant d'en exclure l'Europe.
Lech Walesa, en visite officielle en France, signe
avec François Mitterrand un traité d'amitié et de solidarité
franco-polonais.
Le Parlement géorgien proclame l'indépendance.
Zviad Gamsakhourdia sera élu président de la République de
Géorgie.
Mikhaïl Gorbatchev soumet au Conseil de la
Fédération un plan anti-crise, rejeté par plusieurs républiques. Le
pouvoir soviétique n'a plus le contrôle de l'économie. S'il perd
aussi le Budget, il cesse d'exister.
Mercredi 10 avril
1991
Au Conseil des ministres, revenant sur la question
kurde, le Président : On a assisté à un début de bouleversement des notions
traditionnelles en droit international. Quelles suites cela
aura-t-il ? Je n'en sais rien. La carte des États n'est pas celle
des ethnies. Presque toujours, les États se sont constitués par la
victoire d'une ethnie sur une autre. Le pouvoir central en Europe a
fini par s'imposer aux tendances centrifuges qui représentaient des
cultures, des volontés différentes et parfois opposées. Si on
devait voter aux Nations unies sur le principe d'ingérence, au
moins cent quarante pays refuseraient. Notre action a réussi de
façon surprenante. Je n'en attendais pas tant. La pression des
opinions publiques sur les gouvernements a transformé en
quarante-huit heures une cause mal partie. Au départ, les
États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Union soviétique étaient tout à
fait opposés. Le débat se transforme d'ailleurs peu à peu : de
débat sur le droit d'ingérence, il devient débat sur le statut des
minorités. Le problème, c'est qu'il y a peu de pays qui, comme la
France, existent depuis mille ans au moins. En Europe, il n'y a
guère que l'Angleterre, l'Espagne et le Portugal. Les autres pays
sont nés hier matin, à l'échelle des nations.
Au sujet du Proche-Orient : Israël acceptera peut-être une conférence régionale, tout
en refusant une conférence internationale. Il s'agit là d'un
règlement de comptes contre l'Europe et la France, mené par de
petits esprits. Il ne faut pas pleurer sur notre absence à cette
conférence éventuelle, car cette tentative a malheureusement
beaucoup de chances d'échouer.
Jeudi 11 avril
1991
Les onze derniers Juifs albanais arrivent en
Israël. Le « rapatriement » de la communauté juive albanaise (300
personnes) a débuté en décembre dernier.
Séminaire du gouvernement sur le renouveau du
service public et la modernisation de l'État.
Boris Eltsine vient à Paris. L'ambassade
soviétique nous fait savoir que Gorbatchev prendrait mal que le
Président reçoive celui qui veut le bouter hors du Kremlin.
J'insiste néanmoins pour que François Mitterrand l'accueille. En
fin de compte, Jean-Louis Bianco recevra Eltsine, et le Président
viendra le saluer. Étrange compromis...
François Mitterrand demande à Michel Rocard le
montant précis du déficit de la Sécurité sociale et quelles mesures
de financement il compte prendre pour le combler. Le Président : Il m'a apporté sa
réponse : le déficit s'élève, selon lui, à 17 ou 18 milliards de
francs, et son plan permet d'économiser 8 milliards. Il va
dans le mur.
Pierre Bérégovoy dit que le déficit n'est que de
32 milliards et que son plan permet d'économiser 4 milliards. En
réalité, le déficit prévisionnel de la Sécurité sociale, estimé à
17 milliards de francs, pourrait être aggravé car les cotisations
rentrent mal et provoquent des difficultés de trésorerie. Le
plafond des avances de la Caisse des dépôts est dépassé de 5
milliards de francs et le Trésor public doit pour la première fois
faire une avance à la Sécurité sociale. Michel Rocard, qui a déjà
arrêté un plan de maîtrise des dépenses de 9 milliards de francs le
13 décembre dernier, pesant exclusivement sur les professions de
santé (cliniques privées, industrie pharmaceutique, officines,
radiologie), doit faire face à une résistance farouche des lobbies
médicaux, résistance soutenue par le ministre délégué à la Santé,
Bruno Durieux. Il se refuse toujours à augmenter les conditions de
remboursement des assurés comme le propose Pierre Bérégovoy, qui
veut augmenter le forfait complémentaire, amplifiant les mesures
structurelles de rationalisation de l'offre de soins. François
Mitterrand ne prend pas parti dans ce conflit.
Rocard semble avoir deviné que ses jours sont
comptés et ne souhaite pas proposer des mesures impopulaires.
Vendredi 12 avril 1991
François Mitterrand :
L'affaire kurde prend un nouveau tournant. Le
Président des États-Unis souhaite recouvrer une partie de la
confiance qu'il a perdue depuis la fin de la guerre. J'accepte le
principe d'une présence militaire française en Irak pour protéger
les relais humanitaires destinés aux Kurdes. Cela va entraîner des
obligations et créer une situation compliquée, mais nous ne pouvons
pas nous arrêter en chemin.
8 000 hommes, des centaines d'avions et
d'hélicoptères sont mobilisés par la Maison Blanche pour étendre «
Provide Comfort ».
Jérôme Jaffré, directeur adjoint de la SOFRES,
explique, chiffres à l'appui, que le gouvernement a perdu 24 points
de popularité chez les employés, 21 chez les salariés du service
public, 20 chez les ouvriers, 19 chez les personnes à faible
revenu, 14 chez les électeurs de François Mitterrand au second tour
de l'élection présidentielle de 1988 ! Et que, dans le même temps,
il a gagné 7 points chez les Français disposant d'un revenu mensuel
supérieur à 20 000 francs par mois ! Conclusion du Président : Rocard, malgré
l'instauration du RMI, s'est coupé du «
peuple de gauche », ses soutiens sociologiques sont désormais ceux
du centre droit. Il n'est pas le seul coupable : Pierre Bérégovoy,
trop enclin à suivre les avis du Trésor, trop soucieux de ne pas
heurter les milieux financiers, porte aussi une part de
responsabilité. François Mitterrand suspecte le ministre des
Finances de faire alliance avec Rocard.
Il voit des ennemis partout. Édith Cresson vient presque chaque
jour à l'Élysée.
Adoption définitive du nouveau statut de la
Corse.
François Mitterrand est hostile au projet de
modification du mode de scrutin que propose Michel Rocard pour les
élections régionales.
Pierre Bérégovoy semble avoir du mal à faire
passer à l'Assemblée le projet de réforme des Caisses
d'Épargne.
En Allemagne, le gouvernement et l'opposition
sociale-démocrate décident de coopérer pour tenter de résoudre la
crise économique et sociale dans l'ex-RDA.
Samedi 13 avril
1991
En Italie, le nouveau gouvernement formé par
Giulio Andreotti obtient l'investiture parlementaire. Après la
défection du Parti républicain, la coalition — la même depuis 1983
— ne comprend plus que les démocrates-chrétiens, les socialistes,
les sociaux-démocrates et les libéraux.
Un texte sur l'Union politique européenne est
préparé par la présidence luxembourgeoise. Les Néerlandais
souhaitent tout reporter à la fin de l'année, lorsqu'ils exerceront
eux-mêmes la présidence, pour faire signer le traité à Maastricht,
me dit-on. Dans le texte luxembourgeois, c'est le Conseil européen
— c'est-à-dire les gouvernements — qui constituerait l'instance
politique suprême. Les pays partisans de la Commission européenne —
dont les Pays-Bas — s'y opposent. Les Luxembourgeois hésitent à
inscrire dans leur projet un objectif de défense commune : les
États-Unis y sont opposés. Et les Hollandais veillent à faire
respecter les desiderata américains à Bruxelles.
Lundi 15 avril
1991
Les ministres des Affaires étrangères de la CEE
demandent que Saddam Hussein soit jugé pour « tentative de génocide
» contre les Kurdes, par un tribunal international. Au total 2 250
000 Kurdes ont dû quitter l'Irak pour se réfugier en Turquie et en
Iran.
Interrogé sur l'avenir de Boris Eltsine juste
avant qu'il ne soit reçu par Jean-Louis Bianco, François Mitterrand : Les
époques révolutionnaires dévorent souvent leurs chefs. Qu'aurais-je
dit, en 1793, si on m'avait posé la même question sur Danton ? Mais
je dois dire mon admiration pour le courage de celui qui a amorcé
une révolution aussi profonde, tout en restant fidèle à ses
convictions.
Levée partielle des sanctions de la CEE à
l'encontre de l'Afrique du Sud.
Trente-deux personnalités de gauche, dont Charles
Fiterman et plusieurs communistes, rendent public un manifeste pour
la « refondation » de la gauche.
La Banque européenne pour la Reconstruction et le
Développement est inaugurée à Londres, à Lancaster House, lieu du
premier Sommet européen auquel il m'ait été donné d'assister en
1981, en présence d'une trentaine de chefs d'État et de
gouvernement. La boucle est bouclée. A la fin du concert donné par
Slava Rostropovitch, venu en ami, et qui clôt la cérémonie, je
raccompagne François Mitterrand jusqu'à sa voiture et lui dis :
Je serai souvent à Paris. Je viendrai vous
voir. Il me répond : Mais non, vous
n'en aurez pas le temps ! Vous avez choisi.