A l'issue du Conseil, François
Mitterrand revient sur le discours de Michel Rocard à
Joué-lès-Tours: C'est fou. Un des
points forts de la nouvelle doctrine
socialiste souhaitée par Rocard est
qu'il ne faut pas imposer aux Français
une mesure qu'ils réprouvent! C'est
l'abdication complète de la responsabilité politique,
la négation des clivages politiques, la stratégie du chien crevé au fil de l'eau...
Manifestement, il n'a pas lu ce discours; on y
trouve en effet ces phrases, certes alambiquées: Seule une volonté collective est douée d'assez
d'intelligence et d'assez de
puissance pour faire prévaloir
l'intérêt de tous sur les égoïsmes de
chacun... Il n'y a pas synonymie entre
mesures difficiles et mesures impopulaires...
Le Parquet ordonne enfin une information
judiciaire à la suite de la plainte déposée par Serge Klarsfeld
contre Bousquet le 13 septembre 1989. Pourquoi si tard ? Parce que
rien n'a été fait sous les gouvernements précédents et que Pierre
Arpaillange, me dit Rocard, est venu lui
confier: J'en ai parlé au Président. Il me dit tout à la fois « Faites comme bon vous semble » et
« Il est dangereux de réveiller tous
ces miasmes »... Michel Rocard lui a demandé s'il avait reçu du
Président une interdiction de poursuivre. Non, a répondu
Arpaillange. Alors, poursuivez, a dit
le Premier ministre.
Jeudi 27 septembre 1990
Rétablissement des relations diplomatiques entre
l'Iran et la Grande-Bretagne.
Le poste de président de la Cour des comptes est
libre. Le Président souhaite y nommer Pierre Arpaillange, qui devra
donc quitter le gouvernement.
Édith Cresson vient de plus en plus souvent
critiquer Michel Rocard auprès du Président. Elle partira si on ne
lui donne pas les Finances ou un grand ministère de l'Économie.
Mais, dans ce cas, c'est Rocard qui s'en ira... Le Président paraît
tenté. A mon sens, seule la crise du Golfe l'en dissuade.
Vendredi 28 septembre 1990
Des manifestations d'agriculteurs empêchent
l'inauguration du TGV Atlantique Paris-Bordeaux. Le Président :
L'imbécillité crasse le dispute à
l'impolitesse brute pour m'épargner une corvée!
A Beyrouth, un blocus est imposé par le nouveau
président Hraoui contre les forces rebelles du général Aoun,
retranché dans le réduit chrétien.
Samedi 29 septembre 1990
Dans l'indifférence, une décision peut-être
majeure: à New York, l'UNI-CEF adopte un plan destiné à réduire
d'un tiers, en dix ans, la mortalité infantile dans le monde.
Dimanche 30 septembre 1990
L'aggiornamento
continue: l'URSS et la Corée du Sud établissent des relations
diplomatiques.
Entre Israël et l'URSS, nouvelle étape dans la
voie de la normalisation: les missions consulaires des deux pays,
installées à Moscou et à Tel-Aviv, sont élevées au rang de
consulats généraux.
François Mitterrand :
Si on pouvait profiter de tout cela — Israël
et l'Arabie du même côté — pour régler le problème
palestinien...
Lundi 1er octobre
1990
A Moscou, le Soviet Suprême adopte un projet de
loi sur la liberté de conscience et des
organisations religieuses.
Riyad et Téhéran lèvent les obstacles qui
empêchaient les pèlerins iraniens de se rendre sur les Lieux saints
de l'Islam.
François Mitterrand:
Édith Cresson veut partir. Elle en
a assez de travailler avec Rocard et Bérégovoy. Elle souhaiterait un
ministère regroupant Finances, Industrie et Commerce extérieur.
Mais ce n'est pas possible. Je ne peux pas
la retenir. C'est elle ou Rocard. Et
je ne peux pas changer de Premier ministre en pleine crise du Golfe. Ce n'est pourtant pas
l'envie qui m'en manque!
Les Serbes de Croatie vont proclamer leur
autonomie sur la base d'un référendum organisé en août dernier,
auquel presque personne n'a prêté attention.
Bagdad annonce la libération de 9 otages français.
François Mitterrand: Trop peu. Et trop
tard. Pas question de se désolidariser des Américains.
Mardi 2 octobre 1990
Remaniement du gouvernement Rocard: Pierre
Arpaillange et Édith Cresson s'en vont; Henri Nallet passe à la
Justice, Louis Mermaz va à l'Agriculture, Élisabeth Guigou remplace
Édith Cresson aux Affaires européennes.
François Mitterrand me
dit: Édith Cresson n'était pas à l'aise au
milieu des diplomates qui méprisent son origine et s'inquiètent de
ses parti-pris. Élisabeth Guigou est plus malléable. Elle saura
se mouvoir au milieu des technocrates
de Bruxelles.
Mercredi 3 octobre 1990
Devant les journalistes, Édith Cresson parle d'un gouvernement où elle a
constaté une totale absence de
volonté; elle dénonce une tendance
rocardienne au non-traitement des
affaires.
James Baker et Édouard Chevardnadze lèvent les
tout derniers obstacles à un accord de désarmement conventionnel
qui doit être signé en préalable au Sommet de Paris de la CSCE,
dans un mois.
Point final du processus d'unification des deux
Allemagnes.
En Hongrie, la Cour constitutionnelle rejette un
projet de loi prévoyant la redistribution des terres en coopérative
à leurs anciens propriétaires.
Le Conseil des ministres adopte le projet de
contribution sociale généralisée. Vive opposition au projet, à
droite comme au PC et dans tous les syndicats, sauf à la CFDT.
Après l'exposé de Claude Evin, le Président : La semaine
dernière, j'ai dit quelles précautions
il fallait prendre. Cela a été enregistré et
entendu. Il y a un certain nombre de points auxquels il faut
veiller dans l'explication. Il s'agit de modifier la
répartition du financement social, et
non d'augmenter les prélèvements. Ce
sera reçu comme vrai si la Sécurité
sociale est équilibrée indépendamment de la cotisation sociale généralisée. Il n'est pas
possible de laisser se perpétuer le
gaspillage, pour ne pas dire la gabegie
de la Sécurité sociale.
Puis, s'adressant au Premier ministre: Puisque
vous ne craignez pas l'impopularité sur la
cotisation sociale généralisée — et
cela est bien, car le rôle d'un
gouvernement, c'est de savoir braver l'impopularité —,
il faut aller jusqu'au bout. Si vous
vous donnez quelques mois, ou plutôt quelques années, pour assainir
la situation de la Sécurité
sociale, ce sera une grande
chose.
Important: le Président confie ainsi, en passant,
une grande mission au Premier ministre: réformer la Sécurité
sociale. Celui-ci saura-t-il s'en saisir?
A propos de la nomination de Pierre Arpaillange à
la présidence de la Cour des comptes, le Président: Ce sera l'occasion de rendre justice au garde des Sceaux qui nous quitte... Un peu bref,
comme éloge.
A propos de l'unité allemande enfin parachevée:
C'est évidemment une bonne chose. C'est une Allemagne sans doute
nouvelle qui apparaît. C'est une vaste
nation démocratique dont les ailes sont
encore limitées. Les Allemands ont le sentiment de rejoindre
la profondeur de leur pays ;
cela doit être célébré. On jugera l'Allemagne sur ses actes. Il faut considérer l'Europe dans
sa réalité, la réalité allemande en fait
partie. Je souhaite que le gouvernement exprime avec moi ses vœux à
l'Allemagne d'aujourd'hui.
François Mitterrand part pour le Golfe. Il se rend
d'abord dans les Émirats arabes unis, où l'agression irakienne a
été fortement ressentie. Sensibles à l'attaque dirigée contre une
monarchie féodale d'autant plus facile à déstabiliser que la
population y est composée à 80 % d'étrangers, les Émirats ont
aussitôt adopté, après l'invasion du Koweït, une position d'une
grande fermeté en se prononçant pour un engagement total et en
incitant les États du Golfe à les suivre dans cette voie. Le
déploiement américain a été accueilli avec soulagement par Cheikh
Zayed qui souhaitait discrètement, dès les premiers jours du
conflit, qu'il débouche sur une opération militaire contre l'Irak
et Saddam, qu'il surnomme l'ignorant. François Mitterrand rencontre
une nouvelle fois celui qui l'avait déjà reçu il y a trois ans, en
pleine tourmente terroriste à Paris:
François Mitterrand :
Nous sommes deux mois exactement après
l'agression de l'Irak contre le
Koweït. Je n'observe pas de parole ou
de geste conciliant de la part de
l'Irak. Pendant ce temps, rien
n'apparaît qui pourrait laisser penser que l'on peut sauver la paix. Je sais que, pour vous, s'il y
avait conciliation, le danger resterait très
grand.
Cheikh Zayed : Oui, le danger resterait. Car
l'ignorant, tant qu'il a une bombe
entre les mains, inquiète le sage.
François Mitterrand :
Vous estimez qu'il faudrait lui enlever
la bombe?
Cheikh Zayed : Oui.
Autrement, l'ignorant l'utilisera une
autre fois. Si Saddam Hussein voulait
comprendre, c'est maintenant qu'il verrait ce qu'endure son peuple. Saddam Hussein utilise la ruse, le
stratagème pour temporiser ; il compte sur la lassitude des autres.
François Mitterrand :
Mais l'embargo, le blocus est sévère. Le peuple irakien souffre.
Cheikh Zayed : Oui, mais le leader irakien ne
prend pas en compte la souffrance de
son peuple. Si Saddam Hussein compatissait, il n'aurait pas
laissé ses troupes, ses officiers, pendant
huit années, sur la ligne de front, pour les placer ensuite sur une
nouvelle ligne de front. C'est du mini-nazisme. Ses conseillers
voient bien que leurs prédécesseurs, qui avaient des voix
dissonantes, ont été liquidés par Saddam Hussein.
François Mitterrand :
Être conseiller de Saddam Hussein est
une situation dangereuse!
Cheikh Zayed : Certainement!
François Mitterrand :
Mais c'est un homme intelligent...
Cheikh Zayed: Quand elle passe les bornes,
l'intelligence devient de la
folie.
François Mitterrand :
Nous allons assister dans les semaines
à venir à un renforcement des
dispositifs militaires. Ça ne
pourra pas durer très longtemps comme
cela. Quelle est votre pensée là-dessus?
Cheikh Zayed: On peut traiter le problème comme
actuellement. S'il y a un autre recours, il
est laissé à la sagesse des hommes
d'État.
François Mitterrand :
Votre sentiment est-il que la guerre puisse être évitée ? Et que
la guerre doive être évitée?
Cheikh Zayed : Oui, il faut éviter la guerre, jusqu'à ce que l'on n'ait plus d'autre
recours possible. Saddam Hussein est là
; il écoute, voit ce que disent les uns et les autres, il observe, se raccroche à une parole, respire s'il entend quelque chose qui
lui est un réconfort...
François Mitterrand : Il
doit penser que rien n'arrêtera les armées qui sont en Arabie Saoudite! Il doit savoir qu'il n'a aucune chance de gagner!
Cheikh Zayed: S'il ne comprend pas maintenant, il
ne le comprendra jamais. L'agresseur doit d'abord se retirer ;
après, on peut discuter.
François Mitterrand :
C'est ce qu'on a décidé au Conseil de Sécurité.
Par la voix de M. Dumas, la France a été
la première à saisir le Conseil de Sécurité.
Cheikh Zayed : Il faut parachever le traitement
pour mettre un terme au fléau.
François Mitterrand :
Pensez-vous que l'embargo puisse réussir?
Cheikh Zayed : Si Saddam Hussein avait un peu de clémence vis-à-vis de son peuple,
l'embargo aurait déjà produit ses
effets.
François Mitterrand :
Oui, mais déjà avant l'invasion du
Koweït, la situation économique de
l'Irak était mauvaise. Il ne vend plus
son pétrole. Il n'a plus de revenus, il
vit sur ses réserves, qui s'épuisent. Même s'il a l'argent qu'il a pris
au Koweït, que peut-il acheter?
Cheikh Zayed : Il a
aussi des avoirs en
Suisse.
François Mitterrand: Oui, mais pas suffisamment! On doit souhaiter que l'embargo
réussisse d'ici à la fin de
l'année. Cela pourrait éviter un
conflit sanglant.
Cheikh Zayed :
Mais si cela devait durer, que deviendraient
les Koweïtiens exilés ?
François Mitterrand: Ils continueront à être exilés jusqu'au
jour du dénouement. Pour hâter les délais, seule une opération
militaire peut se faire.
Cheikh Zayed: Si on peut s'en passer, tant mieux.
Mais s'il n'y a pas d'autre
recours... Le Roi Hussein remue, alors que
Saddam Hussein reste immobile. Je m'étonne que les pays de la
communauté internationale aient accordé une aide à la Jordanie
alors qu'il n'y a pas de blocus contre
la Jordanie qui ne souffre pas.
François Mitterrand : Si, elle souffre, parce que la plupart
de ses échanges étaient avec
l'Irak.
Cheikh Zayed : Oui,
mais ce sont les conséquences de son action.
François Mitterrand :
Certes, mais l'opinion jordanienne soutient
massivement Saddam Hussein, ce
qui rend la position du Roi
difficile.
Cheikh Zayed: L'Irak
accordait des subsides à la Jordanie;
l'Irak y a acheté le peuple, le
Parlement!
François Mitterrand : Cela, c'est le passé. Le Roi Hussein a dit
qu'il appliquait l'embargo.
Cheikh Zayed: Il ne peut
pas dire le contraire, s'opposer au
monde entier!
François Mitterrand:
Il ne peut pas s'opposer non plus à Saddam
Hussein...
Cheikh Zayed : On
aurait pu s'attendre à ce que le Roi soutienne l'agressé!
François Mitterrand : Il en est de même
d'Arafat. C'est surtout en Arabie Saoudite que les
différentes forces doivent se préparer. Vous pensez que
Saddam Hussein avait l'ambition, après le
Koweït, de s'attaquer à d'autres pays?
Cheikh Zayed : C'était son plan. Il voulait toute
la péninsule arabique.
Jeudi 4 octobre 1990
Aujourd'hui, le Président est reçu par le Roi Fahd
d'Arabie. Les Saoudiens ont été pris au dépourvu par l'invasion du
Koweït, car ils avaient cru aux déclarations apaisantes de Saddam
Hussein à la fin de juillet. Ce n'est que plusieurs jours après, à
la suite de la visite du secrétaire d'État américain à la Défense
Dick Cheney, et à l'issue de profonds débats au sein de la famille
royale à propos d'une présence étrangère à proximité des Lieux
saints, qu'ils ont accepté de faire appel à l'assistance
américaine. Les dirigeants saoudiens insistent sur le caractère
provisoire de ce dispositif militaire, sur sa finalité purement
défensive et sur leur réticence à imaginer une opération déclenchée
à partir de leur territoire. Ils espèrent que l'application stricte
de l'embargo fera plier l'Irak et déstabilisera le régime de Saddam
Hussein. Ils ont apporté d'emblée leur contribution à cet embargo
par la fermeture de l'oléoduc de Yanbu, l'octroi de facilités aux
unités navales occidentales, l'augmentation de leur production de
pétrole de 5,3 à 7,4 millions de barils par jour. Ils n'excluent
pas pour autant un recours à la force en cas de nécessité et
accueillent avec scepticisme les tentatives de solution politique
préconisées par certains pays arabes. Ils se montrent
particulièrement sévères à l'égard du Yémen et du Roi de Jordanie,
soupçonnés de vouloir se substituer à eux comme gardiens des Lieux
saints. Riad n'a pas encore repris de relations normales avec
Téhéran.
Le Roi Fahd : Il y
a eu un tort porté par un grand État
à un petit État, sans aucune justification. De telles situations peuvent se
reproduire en Afrique, en Asie, en Europe même. Que la force soit
le moyen employé, c'est inacceptable. Nous remercions ceux
qui nous sont venus en aide, car nos
forces ne sont pas égales aux forces
irakiennes. Sans l'aide des pays
amis, je suis sûr que Sad dam Hussein aurait essayé de s'attaquer à
l'Arabie Saoudite par l'est. Saddam Hussein a voulu faire du Koweït
un test. Il ne pensait pas que toute cette aide viendrait si rapidement.
La question est de savoir comment Saddam Hussein
pourrait se retirer du Koweït. Il y a eu des
appels de tous les coins du monde. Je crois qu'il ne se
retirera pas, car il pense que les forces
multinationales ne vont pas l'attaquer. Saddam Hussein a compris que ces forces étaient là pour l'empêcher d'aller plus avant.
S'il répond à ces appels et si le retour à
la normale se fait au Koweït, on
pourra à ce moment-là discuter des
problèmes entre les deux pays. Si Saddam Hussein ne veut pas
évacuer le Koweït, la solution, c'est
la force. Si les puissances
multinationales utilisent la force,
personne ne protestera. Les forces
multinationales sont venues pour faire respecter le droit.
Personne ne dira qu'un tort
a été commis.
Que veut l'Irak? Il
veut phagocyter un État ayant des
ressources pétrolières. L'Irak a
gaspillé ses richesses à essayer
d'avoir la bombe atomique. Si Saddam Hussein ne répond pas
aux appels, il faudra utiliser
la force. Cela ne fait aucun
doute. Je ne dis pas qu'il faut s'attaquer à l'Irak. Je dis qu'il faut que celui-ci se retire du Koweït. Après le Koweït,
pourquoi ne s'attaquerait-il pas à
d'autres pays? Si on accepte
cela, ce sera l'anarchie partout! Il
s'agit du problème d'un homme. Je pense
que vous portez la même appréciation?
Le Président :
Il faut que le Conseil de Sécurité
continue son œuvre. Si l'on doit
arriver au moment d'un affrontement militaire, il faut que le Conseil de
Sécurité adopte les résolutions
correspondantes. Je sais qu'un texte d'accord
est discuté entre nos représentants pour harmoniser notre façon
d'agir. Nous n'avons pas d'intentions belliqueuses, mais
la situation laisse peu de chances
à une solution pacifique. Nous sommes à
vos côtés. Notre effort est inférieur à
celui des Américains, mais apporte une
caution internationale. Nous l'avons
conçu comme un acte de solidarité
à l'égard de ceux qui sont encore
menacés.
Rentré à Paris, le Président trouve une très
longue lettre de Helmut Kohl qui le
remercie, ainsi que tous ceux qui ont
défendu le droit des Allemands à l'autodétermination et facilité leur marche vers
l'unité. Le Chancelier y fait diverses promesses. L'Allemagne
contribuera à la paix dans le monde et accélérera l'unification de
l'Europe; elle assumera les obligations morales et juridiques qui
découlent de son histoire; elle exercera une plus grande
responsabilité au sein de la communauté des peuples; seule la paix
partira de son sol. Il insiste sur l'inviolabilité des frontières
et le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de
tous les États en Europe; il réitère le caractère définitif des
frontières de l'Allemagne unie, dont celle avec la République de
Pologne, et jure qu'il n'élèvera à l'avenir aucune revendication
territoriale vis-à-vis de qui que ce soit. Il réaffirme la
renonciation de l'Allemagne à la production, à la détention et au
contrôle d'armes nucléaires, biologiques et chimiques. Il
renouvelle son engagement d'aider le Sud et de participer aux
mesures que les Nations unies adopteront pour préserver et rétablir
la paix, en faisant également entrer en
action [ses] forces armées (point très nouveau pour lui).
François Mitterrand :
Le Chancelier est sincère. Et il fera tout
cela, s'il en a le temps. C'est un homme de très grande
valeur. Mais après lui ? Il faut
arrimer l'Allemagne, la dissoudre dans l'Union politique de
l'Europe avant que Kohl ne passe la main. Sinon, l'arrogance allemande — cette fois bavaroise, et
non plus prussienne — menacera de
nouveau la paix en Europe.
Premières réflexions relatives à la Conférence sur
la sécurité et la coopération en Europe, qui se tiendra à Paris fin
novembre. On y attend tous les chefs d'État d'Europe, plus George
Bush et Brian Mulroney. Faut-il inviter les Baltes à cette première
réunion plénière? Ils se sont calmés, et sont très demandeurs.
Chevardnadze a dit à Dumas qu'il n'y voyait pas d'obstacle, mais
qu'ils ne pourraient être conviés officiellement.
Le Président : Les pays
du Golfe n'ont qu'une peur: c'est que l'embargo réussisse, que Saddam se retire du Koweït et qu'il reste
au pouvoir à Bagdad ! Ils veulent la guerre.
Le Président décide l'envoi de parachutistes
français pour protéger les étrangers contre des rebelles venus
d'Ouganda.
Vendredi 5 octobre 1990
La Grande-Bretagne annonce l'entrée de la livre
sterling dans le SME. Margaret Thatcher est de plus en plus
impopulaire. L'affaire de la poll tax
est une blessure ouverte. Elle va sans doute souffrir à la réunion
annuelle de son parti.
La Slovénie et la Croatie proposent un modèle «
confédéral » au sein duquel les deux républiques bénéficieraient
d'un statut comparable à celui des États membres de la
Communauté.
Évaluation reçue de notre chancellerie à Bagdad:
il se pourrait que Saddam Hussein commence enfin à se rendre compte
de son isolement et de la détermination sans faille de la
communauté internationale. Selon l'ambassadeur russe, Saddam aurait
sérieusement accusé le coup face à la fermeté des Soviétiques. Les
Palestiniens disent aussi que toutes les capitales arabes
l'exhortent à la modération. Selon plusieurs autres diplomates, le
dictateur irakien serait prêt à négocier, mais il répugnerait à
faire le premier pas.
Il ne faut pas céder à ces « signaux ». Tout
relâchement de la détermination et de la fermeté affichées jusqu'à
présent par la communauté internationale quasi unanime serait
interprété par lui comme une marque de faiblesse et l'encouragerait
à coup sûr à persévérer dans ses tergiversations.
Samedi 6 octobre 1990
Scènes d'émeute à Vaulx-en-Velin après la mort
d'un jeune motard entré en collision avec une voiture de police. Ce
que la presse révèle des conditions de vie et de l'état d'esprit
des jeunes démontre l'imprévision et l'insuffisance de la politique
menée dans les banlieues. François
Mitterrand : Rocard va-t-il se
décider à agir? Voilà deux ans que je lui dis que ça
va exploser. Et il ne fait rien!
Les forces syriennes, appelées à l'aide par le
président libérien Hraoui, s'apprête à attaquer Aoun pour le
déloger.
Dimanche 7 octobre 1990
Élections législatives en Autriche: forte poussée
de la droite populiste. Les seuls pays où se développe l'extrême
droite sont ceux où la Seconde Guerre mondiale n'a pas encore été
exorcisée.
François Mitterrand se rend à Longchamp — ce qu'il
déteste ! — à l'occasion du grand prix de l'Arc de Triomphe, en
compagnie de Giulio Andreotti, président du Conseil italien, qui a
insisté pour que la date du Sommet franco-italien lui permette
d'assister à cette course!
Lundi 8 octobre 1990
A Jérusalem, 22 Palestiniens tués et 150 blessés
par les forces de l'ordre israéliennes sur l'esplanade des
mosquées. François Mitterrand :
Cela n'est pas fortuit. C'est un signe
donné par Israël aux Palestiniens pour
qu'ils ne profitent pas de la crise du Golfe et de la modération israélienne pour prendre des
gages.
Signature de l'acte officiel mettant un terme
définitif aux séquelles de la Seconde Guerre mondiale. Une fois le
traité ratifié par les parlements de France, des États-Unis et de
Grande-Bretagne, l'Allemagne retrouvera le statut de nation
pleinement et entièrement souveraine. Mais plus personne n'y prête
attention.
Mardi 9 octobre 1990
François Mitterrand :
J'ai demandé à Rocard de mettre à plat la Sécurité sociale. Il ne me parle que de négociations avec les
syndicats. C'est absurde! Il faut lancer des réformes d'ensemble.
Et mettre à genoux les baronnies médicales, qui contrôlent
tout. Là encore, si nous avions été
vraiment socialistes, nous aurions dû
nationaliser.
Mercredi 10 octobre 1990
Au Conseil des ministres, le
Président intervient à propos de l'évolution des
négociations sur les salaires: Le ministre du Travail a tenu son calendrier. Il y a déjà des résultats intéressants, mais nous sommes
encore loin du compte. Cette affaire a
été bien menée; il ne faut pas qu'elle
soit ralentie. Nous ferons le point en
décembre.
Le Président demande aux ministres concernés de
s'exprimer sur l'affaire de Vaulx-en-Velin. Pierre Joxe parle du
maintien de l'ordre. Claude Evin, de la situation sociale.
Le Président : Il y a également un aspect
important: celui de l'affrontement, qui tend
à devenir naturel dans ces quartiers, entre les jeunes et la police. Cela dit, c'est un
problème de fond qui va peser des
années sur notre société. Il faut bâtir
des villes qui ne provoquent pas le désespoir, l'ennui et la laideur. Il
y a des réussites. Il faut que tous les
responsables s'en occupent activement.
Jeudi 11 octobre 1990
Discussion d'un plan d'urgence pour les logements
sociaux avec Michel Rocard et Michel Delebarre. L'un et l'autre y
attachent de l'importance. Michel Delebarre est l'une des
meilleures promesses de cette génération de socialistes. Fin
politique, techniquement compétent, il est, avec Louis Mermaz et
Roland Dumas, le seul ministre à avoir vraiment de l'humour, qui
tempère chez lui la fausse gravité de la plupart des autres.
Vendredi 12 octobre 1990
Le président du Parlement égyptien, Rifaat El
Mahgoub, est tué dans un attentat imputé aux intégristes. Menace
sur la coalition, réponse au massacre de l'Esplanade à
Jérusalem?
Samedi 13 octobre 1990
Le général Michel Aoun vient se réfugier à
l'ambassade de France à Beyrouth. Beaucoup de ses partisans sont
désolés de sa reddition.
François Mitterrand:
Qu'est-ce qu'on fait au Koweït alors
qu'on massacre nos amis au Liban? Il
sera difficile de rester longtemps
là-bas sans s'occuper d'ici ! Recevez bien Aoun, mais pas comme un
chef d'État : nous ne le reconnaissons
pas comme tel.
Michel Delebarre prépare maintenant un projet de
loi « anti-ghettos » qui permettrait de favoriser la construction
de logements sociaux ailleurs qu'à la périphérie des villes.
Lundi 15 octobre 1990
George Bush déclare que Saddam Hussein pourrait
devoir répondre devant des tribunaux des atrocités commises au
Koweït. C'est un signe de plus de l'irréversibilité de l'évolution
vers la bataille.
Le Président: Y
a-t-il quelque chose que nous pourrions
faire? Peut-être en liant le conflit à
la question palestinienne? Mais sans donner le sentiment
de manquer de solidarité à l'égard des
Américains...
Mardi 16 octobre
1990
Au Rwanda des rebelles venus d'Ouganda ont envahi
le nord du pays. Violents combats. L'armée massacre les civils
tutsis.
Mercredi 17 octobre 1990
Au Conseil des ministres, le
Président, à propos du Rwanda: Il faut sauvegarder nos compatriotes et ne pas se mêler des combats
interethniques.
Au sujet du Golfe: Il n'y a rien de vraiment nouveau. De plusieurs côtés, on
cherche à intéresser la France à des discussions. Toute information
utile qui nous parviendrait serait aussitôt transmise par nous au Conseil de Sécurité. Il y a des jusqu'au-boutistes, de l'Égypte à la Syrie, en
passant par les Émirats arabes et
l'Arabie Saoudite. A la limite, on se
demande s'ils ne craignent pas que l'embargo réussisse. En tout
cas, le danger de guerre est aussi
présent que le 2 ou le 15 août. Que veulent
les États-Unis ? Est-ce qu'ils se détermineront à partir de
considérations de politique intérieure?
En tout cas, le parti de la guerre
continue à y peser lourd.
Sur le Liban: A Paris, des responsables politiques
de l'opposition hurlent à propos d'Aoun, du Liban, des Libanais. Ils oublient que
beaucoup de chrétiens sont contre Aoun, en particulier le
Patriarche maronite. Le 1er juin 1976, le Président
chrétien du Liban a appelé les Syriens à envahir le Liban. Que
croyez-vous que firent alors ceux qui nous critiquent aujourd'hui?
Eh bien, le 19 juin 1976, le Président Giscard d'Estaing reçut en
grande pompe à Paris le Président Assad. J'ai même entendu un responsable de
l'opposition dire qu'Aoun était
peut-être un avatar de Jeanne
d'Arc! En tout cas, nous ne livrerons
pas Aoun aux Syriens...
Mis en cause par la chambre régionale des comptes
de Poitou-Charentes pour sa gestion municipale, Jean-Michel
Boucheron, député-maire d'Angoulême, demande sa mise en congé du
PS. François Mitterrand : On n'avait pas besoin de ça
!
Vendredi 19 octobre 1990
Le Parquet général déclare la chambre d'accusation
incompétente dans l'affaire Bousquet. Celui-ci ne serait
justiciable que de la Haute Cour de justice de la Libération
(tombée en désuétude depuis 1950). L'affaire paraît bloquée.
François Mitterrand ne semble toujours guère désireux de presser le
mouvement.
Lundi 22 octobre 1990
François Mitterrand reçoit l'Émir du Koweït,
Cheikh Jaber, en compagnie de Roland Dumas et de Cheikh Sabah.
Rendez-vous difficile après ce que le Président a déclaré
publiquement et à plusieurs dirigeants arabes sur la famille
régnante et les lacunes de la démocratie au Koweït.
François Mitterrand : Je
suis heureux de vous recevoir, et d'autant plus sensible à votre visite qu'elle se
passe à un moment d'épreuves pour votre
pays, votre famille, vous-même. J'espère que vous êtes en bonne
santé.
Cheikh Jaber : Grâce à
Dieu.
François Mitterrand :
Votre installation en Arabie
Saoudite?
Cheikh Jaber : Je vous remercie. Je ne saurais
oublier l'amitié chaleureuse qui nous
lie. Je suis venu ici par le passé, j'avais
alors une patrie! Elle est
maintenant occupée. Cette agression ne
visait pas à régler un différend frontalier ni à mettre la main sur
des avoirs financiers. Mais elle
est politique: nous sommes un danger
pour Saddam. Il y a deux ans, à travers une question posée par le ministre irakien de l'Information au nôtre,
nous nous sommes rendu compte que l'audience en Irak de notre
radio-télévision était plus importante que celle de
la télévision irakienne! Il y avait
une libre expression dans notre information, et le peuple irakien
aspirait à la même. En Irak, seul le langage
du Président est glorifié, et les gens trouvent cela fastidieux. Après la guerre entre l'Irak et l'Iran, le peuple irakien
a commencé à
aspirer à la libre expression.
Au cours de ma visite à Bagdad en
septembre 1989, on m'a escorté partout, on ne
m'a pas laissé seul un instant, on m'a décoré, mais ensuite, le
dictateur a essayé d'attenter à ma vie!
Ce qu'il a fait au Koweït, même Israël
ne l'a pas fait en Palestine: l'occupation, les terribles
exactions qu'il y commet. Les pays du monde entier ont
montré une position ferme, surtout les
cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Nous nous devons de remercier
la France et Votre Excellence pour ses
prises de position.
François Mitterrand :
Nous avons reçu ces événements
avec beaucoup d'inquiétude et nous nous
sommes rendu compte que Saddam Hussein n'était arrêté par aucun scrupule moral. Je me rappelle la guerre Irak/Iran au
cours de laquelle vous me demandiez —
tout comme les autres dirigeants
arabes — de ne pas arrêter notre soutien à
son égard. Ce que nous avons fait. Son
ingratitude touche même à l'honneur; c'est comme une trahison!
Les résolutions du Conseil de Sécurité doivent
être appliquées. Nous avons pris part à
l'embargo. Notre flotte est
la deuxième dans la zone. Nous avons
procédé à 1 500 interpellations. Sur
terre, nous avons pris des
dispositions. Nous aurons 6 000 hommes au nord
du dispositif américain, pour protéger l'Arabie Saoudite
contre une agression du même type. Si
les Nations unies en décident autrement, nous serons à la disposition du Conseil de Sécurité. Nous
avons toujours considéré le
Koweït comme un pays souverain,
indépendant.
Les événements qui se sont
déroulés récemment à Jérusalem nous embarrassent. Nous
souhaitons des dispositions plus fermes. Même chose pour le
Liban. Nous sommes plus proches du Liban que
de n'importe quel pays arabe. J'ai fait dire à M. Bush que
si les massacres y continuent, il me sera difficile d'expliquer à notre opinion publique
que nous sommes militairement présents en Arabie Saoudite et pas
au Liban. J'espère que Bush se montrera
ferme à ce sujet.
Je sais qu'on s'est inquiété chez vous des
expressions que j'ai utilisées
aux Nations unies à propos de la démocratie au
Koweït. En raison de nos traditions, de nos mentalités, il
est très difficile de mener notre armée
à une guerre sans que l'ensemble de la région, une fois débarrassée de la dictature de Saddam Hussein, adopte un processus démocratique. Sans quoi, notre
opinion publique réagirait. Je ne crois pas — je ne crois plus
— que l'Irak puisse se livrer
à une nouvelle agression contre l'Arabie Saoudite. L'intérêt de
l'Irak, c'est de faire durer, pour que nous
nous lassions.
Cheikh Jaber: Je
voudrais vous exprimer ma
reconnaissance. Vous ne laisserez pas
libre cours à l'usurpateur. Pour les Palestiniens, au moment du partage, sous le mandat britannique,
il n'y avait pas encore d'État. Pour le
Liban, l'État subsiste. Alors que le Koweït est un cas sans précédent, depuis
la Seconde Guerre mondiale, d'un État envahi
et annulé. Vous avez entendu parler du Congrès du peuple koweïtien
et des résolutions qu'il a adoptées. Je suis mandaté par le Conseil
de coopération du Golfe pour demander l'application des résolutions
du Conseil de Sécurité. Le Koweït avait une certaine
démocratie, une liberté relative ; le Liban est une
démocratie: ce sont pourtant les deux
pays en butte à d'autres pays
arabes.
François Mitterrand:
Votre famille, qui a incarné l'histoire
du Koweït a droit à nos égards. Chaque fois
que vous jugerez bon de me saisir, de m'écrire,
faites-le.
Cheikh Jaber :
Je sens dans vos propos une réelle estime, une
affection sincère. J'espère ne pas vous importuner.
Très subtil dialogue: aucun des deux
interlocuteurs n'a cédé sur ce qu'il pense de la démocratie, sans
pour autant que la coalition, essentielle, ait été remise en
cause.
Les initiatives se multiplient pour sortir de la
crise. A l'instigation de Moubarak s'esquisse un projet de
rencontre (pour l'instant ultra-secret) entre François Mitterrand,
le chef de l'État égyptien, le Roi Hussein et Yasser Arafat.
Maintien par les Douze des sanctions contre la
Syrie. Elles sont levées pour la Chine et l'Iran.
Mardi 23 octobre 1990
Les projets d'union politique des Douze
constitueront le thème central du prochain Sommet européen
exceptionnel réuni à Rome en fin de semaine. Priorités pour la
France: y mettre en place une vraie politique étrangère et de
sécurité commune, définir les pouvoirs qui utiliseront ces
instruments, établir le rôle central du Conseil européen, associer
le Parlement européen et les parlements nationaux, et renforcer les
trois institutions (Commission, Conseil, Parlement) dans le respect
des équilibres. Tout cela vise à la préparation d'un traité, sous
présidence hollandaise, dans un an: un traité de La Haye ?...
On parlera aussi du Golfe et de la situation en
URSS où le pouvoir se dérobe sous les pieds de Gorbatchev, faute
d'assistance concrète de l'Occident. Les promesses de Dublin et de
Houston n'ont pas été tenues. Pourtant l'URSS est bien raisonnable
dans la crise du Golfe.
Mercredi 24 octobre 1990
Vote à l'ONU d'une résolution déplorant le refus
par Israël d'une mission d'enquête de l'ONU après la tuerie de
l'esplanade des mosquées.
François Mitterrand sur
le Golfe : Le curseur est dans le rouge. Tout indique que le
conflit est imminent. Les Irakiens vont
chercher à impliquer Israël pour dissuader les
Saoudiens d'apparaître comme les alliés d'Israël.
Roland Dumas ira voir Itzhak Shamir à Jérusalem
pour lui parler du projet de rencontre entre François Mitterrand,
Hosni Moubarak, Yasser Arafat et le Roi de Jordanie au Caire.
Jeudi 25 octobre 1990
Yasser Arafat écrit à François Mitterrand pour lui
demander, lorsqu'il verra cette semaine Mikhaïl Gorbatchev à Paris,
de lui rappeler l'idée de la conférence internationale sur le
Moyen-Orient, qui tarde à se concrétiser, bien que le principe en
ait été approuvé par l'ensemble de la communauté internationale, à
l'exception d'Israël et des États-Unis. C'est pour lui la procédure
adéquate pour faire progresser le processus de paix et garantir aux
Palestiniens la protection internationale. Il y voit aussi — mais
ne le dit pas — une façon de lier le problème palestinien à la
crise du Golfe.
François Mitterrand, à Bonn, a croisé Shimon Pérès
et lui a parlé en secret du projet de rencontre du Caire. Pérès n'a
pas émis de commentaire. Les Israéliens feront tout pour rester à
l'écart du conflit même si Shamir, qui n'aime pas Bush, semble
avoir très envie de s'en mêler.
Vendredi 26 octobre 1990
Visite en Espagne de Mikhaïl Gorbatchev. Il y
obtient la promesse d'un prêt de l'ordre de 7,5 milliards de
francs.
L'URSS se disloque chaque jour davantage.
Proclamation de l'état d'urgence dans le sud de la Moldavie où les
Gagaouz menacent d'élire leur propre parlement. Le gouvernement
soviétique envoie des troupes. Le Kazakhstan proclame sa
souveraineté et la suprématie de ses lois sur celles de l'URSS:
même le plus fidèle allié de Moscou s'éloigne. Gorbatchev risque d'être balayé par des militaires
qui mettront fin à cette anarchie,
pronostique à nouveau François Mitterrand.
Samedi 27 octobre 1990
Finalement, malgré les réticences de François
Mitterrand, réunion d'un Conseil européen extraordinaire à Rome. A
Dublin, en juin dernier, il avait été décidé de lancer la réunion
de la Conférence intergouvernementale sur l'Union économique et
monétaire, avant la fin de l'année, afin de poursuivre les études
techniques et de préciser les procédures garantissant une bonne
articulation entre l'Union économique et monétaire et l'Union
politique. Et d'en arriver au Traité en un an.
Le Président rencontre Margaret Thatcher qui lui confirme son opposition irrévocable
à la troisième phase de l'Union monétaire: Je ne peux pas
abandonner le droit de battre
monnaie.
Puis commence la réunion de travail, d'abord
consacrée à l'Union politique, puis à l'Union économique et
monétaire.
Le Président:
Sur l'Union politique, la conférence
intergouvernementale exigera du courage intellectuel.
L'existence réelle de la monnaie unique
sera un élément psychologique
essentiel. On se rendra compte
alors du besoin d'un instrument politique adapté.
La conférence
intergouvernementale doit se prononcer sur la politique extérieure et de
sécurité, sur la citoyenneté, la
démocratie.
En ce qui concerne
l'extérieur, les États membres continueront à avoir leur mot
à dire, même si la politique extérieure
de l'Europe devient un jour unique. Les États membres ont déjà fait
un bout de chemin (sur l'apartheid,
l'Afghanistan, l'Amérique
centrale). Il leur faut maintenant se prononcer ensemble sur des
problèmes plus proches et plus risqués, et, pour cela, être
sensibles aux arguments de tous. Pour
réussir, il faut considérer tous les efforts, être fiers de la vocation de
rassemblement de l'Europe.
En matière de démocratie, le
Conseil européen pèche par modestie, car il est le plus
démocratiquement élu, plus encore que le Parlement. La démocratie vient du Conseil européen. On peut
accroître le contrôle du Parlement
européen sur le Conseil et la
Commission, mais le Conseil européen est seul habilité à décider...
Quand l'Europe sera fédérée, les choses
changeront.
Sur l'Union économique et monétaire (après une
longue intervention de Margaret Thatcher): En
ce qui concerne l'Union économique et monétaire, toutes les
chances doivent être données à l'écu.
Il y a des difficultés pour déterminer
le début de la deuxième étape. Il ne
faut pas se battre sur le choix des dates. Il faut définir un
calendrier pour le passage à la
troisième phase: quatre, cinq ou six
ans devraient suffire. Le travail des
ministres des Affaires étrangères est acceptable tel quel. La
conférence intergouvernementale choisira entre les différentes options qui lui sont
présentées. Sur la procédure de
la conférence intergouvernementale, j'approuve
les propositions de la présidence: chaque État membre doit déterminer
sa propre délégation. Les ministres des
Affaires étrangères et des Finances représenteront la France.
Ils passent ensuite à l'examen des projets d'aide
à l'URSS et aux pays de l'Est. C'est en décembre, décide-t-on, que
le Conseil européen prendra des mesures de soutien vis-à-vis de
l'URSS, mais si des situations requérant une action d'urgence se
présentaient avant, le Conseil prendrait des décisions sur la base
de propositions de la Commission. Une aide d'urgence à la Hongrie
est d'ores et déjà décidée.
Au cours du diner, la conversation roule
principalement sur la situation dans le Golfe. Tout en condamnant
l'Irak, les Douze rappellent leur solidarité dans la crise du Golfe
et réaffirment leur soutien au principe de la convocation d'une
Conférence internationale de paix sur le Moyen-Orient.
A la fin de ses travaux, le Conseil européen
confirme sa volonté de transformer progressivement la Communauté en
une Union européenne, en renforçant sa
capacité d'action et en étendant
sa compétence. Il juge nécessaire que
cette évolution s'accompagne d'un développement en matière législative, exigence
confortée par la définition d'une citoyenneté européenne. Il
constate un consensus sur l'objectif d'une politique étrangère et
de sécurité commune et une volonté commune d'accorder une place
importante à la politique de développement. Sur tous ces points, la
délégation britannique oppose sa censure.
Sur le plan monétaire, pour onze des États
membres, les modifications à apporter au traité doivent prévoir la
création d'une nouvelle institution qui sera
formée des banques centrales nationales et d'un organe central, et
qui exercera la responsabilité entière de la politique monétaire. Dans la phase finale,
les taux de change seront irrévocablement fixés, tandis que la
Communauté aura une monnaie unique: un écu fort et stable. La
deuxième phase commencera le 1er janvier
1994, après qu'une série de conditions auront été remplies:
achèvement du programme du marché unique, interdiction du
financement monétaire des déficits budgétaires, non-responsabilité
de la Communauté ou des États membres vis-à-vis des dettes d'un
État membre, engagement du processus visant à l'indépendance des
membres de la nouvelle institution monétaire. Il n'est plus
nécessaire que toutes les monnaies européennes participent au SME
pour que la deuxième étape soit enclenchée. La délégation
britannique n'accepte pas, là non plus, ces conclusions très
importantes qui fixent un cadre très strict à la rédaction du futur
traité de La Haye (ou d'Amsterdam).
Roland Dumas rend compte au Président de sa
rencontre avec Itzhak Shamir à Jérusalem. Il lui a fait part en
tête à tête du projet de rencontre au Caire entre Moubarak, le Roi
de Jordanie, Arafat et François Mitterrand. Itzhak Shamir a répondu : Cela ne me rend pas heureux, mais je peux
comprendre et je n'ai rien à dire.
L'impression de Dumas est qu'il s'attendait à cette nouvelle ou
qu'il en avait été prévenu, peut-être par Shimon Pérès, mis au
courant par François Mitterrand à Bonn. Shamir a simplement demandé
à quelle date cette entrevue pourrait avoir lieu, ajoutant:
Cela m'ennuierait qu'elle se produise
avant mon voyage à Paris. Dumas l'a
rassuré. A la réflexion, ce n'est d'ailleurs peut-être pas plus mal
ainsi...
Hosni Moubarak fait savoir au Président qu'il a
reçu il y a quelques jours un envoyé soviétique, Evgueni Primakov,
en route vers Bagdad. Moscou souhaite prévenir une action
militaire. Pour les responsables soviétiques, cela implique le
retrait total et inconditionnel de l'Irak et la restauration du
gouvernement légitime du Koweït. On déploierait ensuite des forces
arabes dans les zones frontalières afin d'éviter toute nouvelle
détérioration de la situation et de permettre l'ouverture de
négociations entre les deux parties, loin des pressions et des
menaces, sous les auspices de la Ligue des États arabes. En aucun
cas l'Irak ne saurait être récompensé de son agression injustifiée
du Koweït. On ne peut à terme établir un lien direct entre le
règlement de la crise du Golfe et le règlement des autres problèmes
complexes de la région, car cela équivaudrait à accepter
l'occupation irakienne du Koweït pour une période qui risquerait de
s'étaler sur plusieurs années, et à lier la solution de problèmes
inter-arabes au règlement de conflits entre les Arabes et d'autres
pays. Le retrait de l'Irak du Koweït et le rétablissement de la
stabilité dans la région du Golfe seraient en revanche de nature à
créer une dynamique qui pourrait être mise à profit pour réaliser
des progrès concernant les autres problèmes, dont le problème
palestinien. Nul n'a intérêt, disent
les Soviétiques, à ce que la direction
politique irakienne ait la fausse
impression qu'il existe une faille dans les rangs des principales puissances, car si on la laissait se prévaloir
d'une pareille impression, elle ne serait pas incitée à coopérer
avec les efforts déployés en vue d'un règlement pacifique,
ce qui favoriserait les risques de
l'option militaire que nous voulons tous éviter. Après la solution
pacifique du conflit, il faudra examiner d'autres problèmes
essentiels dont l'invasion du Koweït par l'Irak a révélé
l'importance, plus particulièrement l'instauration d'un système de
sécurité et de maintien de la paix visant à faire de la région une
zone exempte d'armes de destruction massive.
En somme, les Soviétiques n'entendent lier qu'avec
prudence la crise du Golfe et le problème palestinien. On en saura
davantage après-demain avec Mikhaïl Gorbatchev.
Lundi 29 octobre 1990
Evgueni Primakov se trouve maintenant à Bagdad en
vue de tenter une négociation. George Bush en est inquiet. Il ne
veut pas de compromis, et le fait savoir à Gorbatchev et à François
Mitterrand avant que le second ne reçoive le premier.
George Bush écrit à François Mitterrand sur un
autre sujet: Le Sommet de Rome ne lui a pas plu. En particulier, le
communiqué sur le Golfe, dans la mesure où il évoque aussi le
problème palestinien. Il demande à être consulté à l'avance sur
toutes les prises de position importantes de la Communauté, comme
celle-là. Le Président s'agace: Dans un mois, il va me demander de connaître
mon agenda à l'avance!
Rencontre à Paris entre François Mitterrand et
Mikhaïl Gorbatchev à trois semaines de la réunion de la CSCE. Le
Président soviétique est toujours aussi libre, détendu et
souverain. On sent pourtant qu'il a basculé dans la tragédie, que
le cours de l'Histoire lui échappe pour la première fois, y compris
en URSS. Il a besoin de Paris, tout comme Paris a besoin de lui
pour équilibrer une alliance chancelante avec l'Allemagne.
Mikhaïl Gorbatchev:
J'ai du mal
à me représenter comment les choses auraient
pu se passer — et je pense aussi
à mon propre sort — s'il n'y
avait pas eu cet élément déterminant: les rapports de confiance, les
relations chaleureuses que j'ai eues avec vous. A
une certaine époque, nous sommes parvenus
ensemble à la conclusion qu'il fallait réfléchir au
rôle des relations franco-soviétiques.
Notre entretien d'aujourd'hui doit se
concentrer sur ce thème. Sans être trop
ambitieux, nous devrions laisser entendre à l'extérieur que nous
voudrions que nos riches relations historiques se développent,
que leur valeur s'accroisse.
Parfois, les succès économiques empêchent de trouver des solutions
politiques raisonnables ; dans certaines parties du monde,
d'aucuns envisagent leur rôle politique
comme un étalage de puissance économique. L'époque actuelle exige des approches différentes. Miser sur les seules forces économique et militaire n'est plus
acceptable si l'on veut trouver
des solutions pour l'avenir. Une telle
approche ne permettra pas de maîtriser les défis des temps
modernes. Je constate, à l'échelle internationale, le manque d'une
politique fondée sur un travail de réflexion sérieux, sur une
philosophie. De ce point de vue, la
politique française est irremplaçable.
En Union soviétique, nous comptons que le Sommet
de Paris de la CSCE apportera une contribution très sérieuse à la construction
de l'avenir des relations internationales. Il est important
de disposer de bons repères pour l'avenir. Il
est dangereux que la politique de certains pays reste sous
l'emprise des approches anciennes ou d'intérêts mercantiles
étroits. Si, à l'époque de la confrontation, on a pu estimer que l'affaiblissement d'un des deux camps était un
bienfait pour l'autre, ce n'est plus
acceptable aujourd'hui. Les « nouvelles
valeurs » émergeantes sont fondées sur
la compréhension des intérêts
réciproques. Il ne faut surtout pas permettre un retour de
la confrontation. C'est dans ce contexte qu'il faut considérer la situation
découlant de l'unification allemande et de la transformation de la politique de l'administration américaine. J'estime en
particulier qu'on n'a toujours pas bien
compris ce qui se passe en Europe de l'Est...
François Mitterrand: On
pouvait penser que le règne des rapports de forces allait s'achever après la fin de la confrontation Est/Ouest.
Malheureusement, l'affaire du Golfe est survenue. La force prévaut
dans nombre de conflits régionaux: en Israël, en Jordanie, au
Liban, au Koweït et ailleurs. C'est normal, on ne peut attendre de la société
humaine qu'elle change soudain de caractère. En revanche, on peut
attendre des principaux dirigeants
qu'ils aient une nouvelle conception de
leurs relations: entre l'URSS et
l'Allemagne, entre la Pologne et l'Allemagne, entre les États-Unis,
l'Europe et l'Union soviétique, par exemple. Avec Reagan, puis
avec Bush, vous avez déjà réussi une grande
chose en mettant un terme aux risques d'affrontement Est/
Ouest. C'est un pas très important. Il
faut maintenant réussir la
réunion de la CSCE ; c'est l'un des
rendez-vous les plus importants de l'année. Il
faut bien le préparer, afin que
s'y dessine une forme nouvelle de coopération de l'Europe
avec les États-Unis et le Canada, dont
la présence est pour le moment nécessaire à cause des problèmes de
sécurité et de désarmement. A l'occasion de cette réunion, dans
trois semaines, il faut mettre sur pied un début de
structure permanente où tous les Européens
pourront se rencontrer avec les Américains et les Canadiens.
Si on peut donner un contenu politique à ces accords, on aura
franchi un grand pas. Les pays européens le désirent, mais les
États-Unis également. Ceux-ci se
trouvent dans une situation ambiguë:
sous la pression du Congrès et de leur
opinion, ils désirent s'éloigner
militairement de l'Europe, mais ils ont un besoin d'une
compensation qui les pousse à s'occuper de
plus en plus des problèmes de l'Europe, dont ils redoutent d'être
écartés. Je l'ai déduit des propos de Bush à Houston, par exemple,
sur la transformation politique de l'OTAN. Ce matin encore,
j'ai reçu une demande américaine, adressée à la Communauté, de consultations à
propos de chacune des décisions de celle-ci! Bref, ils s'intéressent beaucoup — ils s'intéressent trop! — à l'Europe.
Cela tombe bien, nous
en parlerons dans vingt jours à la CSCE
! Saisissons cette opportunité pour créer une structure de travail,
de concertation, d'entraide propre à nos pays, veillant
d'abord à un désarmement équilibré.
Mais cela, c'est déjà presque le passé ; il faut aussi s'occuper des problèmes d'aujourd'hui qui nous sont communs. Créons
l'institution qui nous permette de le faire. La CSCE n'est pas la «
maison commune » ni la confédération,
mais on va commencer ainsi à prendre de bonnes habitudes. Que nos
diplomates mettent à profit ces trois
semaines!
J'ai souhaité un accord de
coopération entre la Communauté et l'URSS. Je rencontre des
résistances, mais, avant-hier, mes
collègues ont accepté d'aller dans
cette direction. Nous avons créé
la BERD, dont le rôle sera très important dès
le début de l'année prochaine.
La création de la BERD a été
mal accueillie aux États-Unis, pas très bien
en Grande-Bretagne, jusqu'au jour où nous avons décidé d'en
installer le siège à Londres. Mme Thatcher estime maintenant que
c'est son enfant...
J'ai observé des
réticences sur l'aide à vous
apporter, qui est maintenant
nécessaire. Plusieurs délégations pensent que votre plan ne
consiste pas à aller jusqu'au libre
marché. Mais nous avons été
quelques-uns à dire qu'il fallait
considérer le chemin parcouru. L'Allemagne,
l'Espagne, l'Italie, la France le comprennent bien. Les
idéologues, eux, aimeraient que
l'URSS fasse acte d'adhésion aux
principes de la société libérale
capitaliste...
Les événements du Golfe,
d'une certaine manière, sont indirectement positifs. Les
Américains ont besoin de l'unité des cinq Grands. Il faut donc que
votre pays et le mien soient pris en compte par eux dans
la crainte de rompre cette cohésion, ce
qui serait tout à fait regrettable.
Vous avez fait faire de très grands
progrès à votre situation dans le
monde, et la consécration du prix Nobel
dépasse ici les aspects
personnels.
Je me résume: il faut
beaucoup travailler à la préparation du
Sommet de la CSCE. Sur le plan du désarmement,
il est normal que les États-Unis soient vos principaux
interlocuteurs, mais, sur le plan politique, nous devons travailler
ensemble. Il faut maintenir l'unité des Cinq, mais pas à n'importe quel prix. Voilà
ce dont on parlera tout à l'heure. Si nous y arrivons, nous aurons
réussi une œuvre rare. Tellement
qu'il m'arrive d'en douter...
Mikhaïl Gorbatchev :
Je suis tout à fait d'accord sur le
fait qu'il faut profiter des chances
offertes par la préparation du Sommet
de la CSCE. Il faut être clair sur le système d'institutions
nouvelles. S'agissant du document
final, il faut retenir ce qui est acquis de l'expérience passée, mais aussi refléter les profonds changements en
cours.
François Mitterrand : M.
Dumas et M. Chevardnadze ont déjà dû commencer
ce travail. C'est une circonstance très importante qu'on ne
retrouvera pas de sitôt.
Un peu plus tard:
Mikhaïl Gorbatchev:
Parlons de l'Irak. J'espère recevoir
des nouvelles de Primakov [actuellement à Bagdad] cette nuit.
Peut-être à la fin de notre
dîner.
François Mitterrand : Saddam Hussein ne veut pas transmettre le Koweït à Jaber, mais, au Conseil de Sécurité ou à des pays
arabes, ce serait peut-être envisageable.
Mikhaïl Gorbatchev : A
des pays arabes, moyennant négociation
sur des modifications de
frontières.
Le numéro un soviétique se fait pressant sur
l'aide qu'il attend de l'Ouest: Décembre, c'est trop tard. C'est
urgent! Nous avons 40 milliards de
dollars de dettes. Ce n'est pas
grand-chose. Pourquoi ne pas nous accorder des
facilités de paiement? D'autant
que, si les échéances de 1991 sont lourdes, la charge diminue à partir de 1992.
François Mitterrand : Nous sommes prêts à vous
aider. J'ai dit qu'il faut vous aider
maintenant. Qu'est-ce qui est le plus
difficile pour vous? Les problèmes économiques ou les problèmes
ethniques?
Mikhaïl Gorbatchev :
C'est lié, car les uns nourrissent les autres.
Un traité d'entente et de coopération ainsi qu'un
accord financier prévoyant l'octroi par la France de 5 milliards de
francs de crédits à l'URSS sont signés. (En Espagne, Gorbatchev a
obtenu 7,5 milliards.)
Mardi 30 octobre 1990
Trois militaires français sont arrêtés par les
Irakiens à la frontière saoudienne et immédiatement remis au chargé
d'affaires de l'ambassade de France à Bagdad.
George Bush laisse entendre aux membres du Congrès
américain qu'il n'exclut pas de lancer l'offensive militaire sans
les consulter au préalable. Protestations.
Roland Dumas continue de privilégier, sans trop y
croire, la solution pacifique inter-arabe.
Le Roi Hussein de Jordanie poursuit ses démarches
à al-Dawha (Qatar) pour étudier les possibilités de solution
pacifique.
Gorbatchev suggère la tenue d'une conférence
inter-arabe à laquelle Hosni Moubarak est résolument opposé: Nous
refusons un Sommet d'insultes, dit joliment le Chef de l'État
égyptien.
Deuxième entretien Mitterrand-Gorbatchev, à
Latché. On parle du Golfe. Reprenant une suggestion de Saddam
Hussein, Gorbatchev propose que soit lancée une initiative
franco-soviétique en vue de faire libérer les otages. Le Président
élude.
François Mitterrand :
J'ai plaisir à vous recevoir dans un
autre lieu que le palais de l'Élysée, pour vous montrer d'autres aspects de
la France, que vous connaissez déjà.
Mikhaïl Gorbatchev : Le
mieux serait de nous promener, si le ciel s'y prête.
François Mitterrand :
J'en ai bien l'intention!
Mikhaïl Gorbatchev: J'ai enfin reçu la
dépêche que j'attendais de Primakov, de Bagdad. Il a eu un entretien prolongé d'abord avec le Président et la direction irakienne, puis en tête à tête
avec Saddam Hussein. Ces entretiens ont
été intéressants, mais je dirais que Saddam a toujours une lueur d'espoir que la cohésion des autres
pays vienne à se fissurer. Primakov lui a dit carrément qu'il serait
peu réaliste de compter sur un « paquet » avec un lien rigide entre la crise du Koweït et le problème palestinien. A ce
stade, Saddam Hussein se dit favorable à une solution pacifique,
mais à une condition: « Nous ne
voudrions pas être soumis à une
humiliation publique à la suite du
retrait de nos troupes du Koweït »,
a-t-il déclaré à Primakov. On décèle
chez lui une espèce d'idée fixe: le
complot contre l'Irak fomenté par les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël pour l'éliminer. Il a formulé
trois variantes possibles de solution: 1) l'URSS ou tout autre État influent mettrait au point un « paquet » digne
de ce nom ; 2) convocation d'une conférence internationale
appelée à débattre, sans aucun
préalable, du problème irakien et de tous les problèmes du
Proche-Orient; 3) solution arabe sans aucune
pression de l'extérieur.
Primakov a eu
l'impression que, sous la pression des
circonstances, la direction irakienne
s'achemine vers un retrait du Koweït. Mais c'est un
processus très pénible. Il est à
noter, par rapport au premier entretien
de Primakov, que Saddam Hussein
paraît mieux disposé vis-à-vis de
l'Arabie Saoudite. Cela corrobore notre
conclusion qu'une chance de solution politique existe, plutôt par
un biais arabe. Mais, d'autre part, il y a la
tentative de Saddam Hussein de gagner du temps dans l'espoir de
voir se lézarder la cohésion des Cinq.
Primakov doit aujourd'hui aller voir le
Roi Fahd, puis il se rendra en
Jordanie.
Il y a donc un certain
nombre de « signaux » indiquant un
changement de la direction irakienne en
faveur d'une solution politique, et il y a l'importance de la
variante arabe. Cela confirme ce que
nous pensons, vous et moi: Saddam
Hussein n'acceptera pas une solution
signifiant sa défaite politique, morale ou autre. S'il se
révélait nécessaire de faire quelques pas vers lui, fussent-ils
minimes, symboliques, mieux vaudrait les faire
dans le cadre du monde arabe.
François Mitterrand: Cela suppose l'accord du Roi d'Arabie.
Mikhaïl Gorbatchev: Dans l'hypothèse d'une
variante arabe, c'est le Roi Fahd que
Saddam Hussein compte voir jouer le rôle primordial, et non pas à Moubarak, qu'il
n'acceptera jamais. Saddam Hussein
a demandé à
Primakov de le dire aux Saoudiens.
Donc, il y a là des éléments positifs,
mais on ne peut escompter à coup sûr qu'ils
passent dans les faits, compte tenu de la personnalité de Saddam
Hussein. Il y a chez lui une part de manœuvres. Par ailleurs, il a suggéré à Primakov que Mikhaïl
Gorbatchev et François Mitterrand fassent une déclaration conjointe
à propos des otages ! Je vous lis le projet qu'il a remis à
Primakov: « Les Présidents d'URSS et de France s'adressent
au Président de l'Irak,
l'invitant à donner aux résidents
étrangers la possibilité de quitter
l'Irak. Les deux Présidents réaffirment
leur attachement à une issue politique
de la situation et des autres problèmes de la
région ; ils ont l'intention de poursuivre
leurs efforts en vue d'un règlement pacifique excluant toute
solution militaire et tout recours aux
armes. »
François Mitterrand: Il
en demande beaucoup! La première partie
de cette déclaration conjointe serait acceptable, moyennant une légère modification, mais pas la fin ! Nous devons nous en tenir aux
exigences du Conseil de Sécurité. Il ne s'attend naturellement pas
à ce que nous acceptions ce texte comme ça ! La sagesse serait que
nous adoptions une position partant du problème des otages
et souhaitant une solution pacifique. Sur le fond, certaines
exigences de Saddam Hussein peuvent être satisfaites. Mais nous ne
pouvons pas condamner le recours à la
force, car c'est la menace de ce
recours qui peut conduire à une
solution.
Mikhaïl Gorbatchev:
Lorsque Primakov lui a fait part de sa
première réaction à cette suggestion, indiquant qu'il était improbable qu'elle soit jugée
acceptable, les Irakiens ont dit qu'ils étaient ouverts
à toute contre-proposition émanant de nous deux.
François Mitterrand:
C'est le ton, et non le fond de notre démarche qui tranche sur
la démarche américaine. Notre ton n'est pas celui de
la complaisance,
mais du sang-froid et du calme. Nous devons le
conserver...
Mikhaïl Gorbatchev:
Je crois que Saddam Hussein voudrait bien
profiter des relations de nos deux pays avec le sien pour pratiquer une fissure entre les
Cinq. Nous allons être interrogés par
la presse et, après la mission Primakov, soumis à un interrogatoire précis. Nous devrions mettre
l'accent sur la nécessité de suivre les
décisions prises par le Conseil de Sécurité à la suite de l'agression
irakienne. D'ailleurs, j'ai reçu hier une lettre de Bush et une
autre de Mme Thatcher. Ces deux pays ont une attitude particulièrement réservée par rapport à la mission Primakov, qui affaiblirait selon eux la solidarité. Il
ne faut surtout pas fournir un
prétexte, quel qu'il soit, aux Irakiens
de faire apparaître une divergence
entre les membres du Conseil de Sécurité. Il n'empêche que
la mission Primakov s'inscrit bien
parmi les chances de concevoir un règlement
politique. Cette démarche traduit notre volonté de faire preuve de
sang-froid, notre sens des responsabilités, le sérieux de nos
analyses, en vue de rechercher les moyens d'éviter une solution
militaire. Les bouleversements qui en résulteraient pour
l'ensemble de la région nous
atteindraient, nous aussi, et créeraient un fossé entre le monde arabe et les
pays industrialisés. La position de Saddam Hussein
évolue...
François Mitterrand :
On le sent!
Mikhaïl Gorbatchev :
Il faut faire preuve de résolution,
maintenir la cohésion, mais exclure la solution militaire.
François Mitterrand:
Il est difficile de l'exclure a priori. Si
Saddam Hussein ne bouge pas, ou bien si George Bush et Mme
Thatcher ne veulent rien entendre, il y aura
une guerre avant la fin de l'année ; mais il faut l'assortir de
buts politiques acceptables pour les Arabes. A long terme, il
faudra un jour, à la fin du processus, examiner l'ensemble
des problèmes du Proche et du Moyen-Orient. Il
faut qu'il y ait cette espérance
dans le monde arabe, et pas
une espérance trompeuse. Cette perspective
peut fournir à Saddam Hussein un alibi pour céder. Mais, à
court terme, la principale difficulté tient au
fait que les Américains et nous avons
mis sur le même plan le retrait des troupes, la libération des otages et la restauration du
régime koweïtien. Cela se traduit par
la remise du Koweït à la famille El Sabah comme préalable. On le
lui demande sans qu'il ait obtenu de
garanties sur quoi que ce soit, conférence internationale ou statut
du Koweït. Autant dire: « C'est impossible, c'est la guerre. » Il faudrait donc
introduire une notion de temps, et que les choses ne soient
pas simultanées: le retrait
d'abord, plus tard la restauration de la
souveraineté, et, dans l'intervalle, un pouvoir nouveau engageant
la négociation et trouvant pour Saddam
Hussein des concessions, des satisfactions d'amour-propre (sur le pétrole? territoriales?). Saddam Hussein
n'acceptera pas de remettre le
Koweït entre les mains américaines ou entre celles de l'Émir Jaber.
Ce serait pour lui perdre mortellement la
face. Mais il peut abandonner le Koweït s'il sait que c'est une
force différente, arabe par exemple, qui vient y assumer les
responsabilités. Ces Arabes —
à moins que ce ne soit le Conseil de
Sécurité, ou une conférence internationale, mais tout cela est un peu lourd — commenceraient à discuter
avec Saddam Hussein d'un futur statut,
d'un compromis territorial... De toute
façon, nous n'en sommes pas là, mais Saddam
Hussein doit pouvoir espérer un schéma de ce genre, sans quoi il
n'échappera pas à l'épreuve de
force. Notre difficulté, c'est d'imaginer cette phase transitoire,
d'imaginer ce pouvoir intermédiaire. S'il y a
ainsi un engagement non public
qu'on discutera à long terme des
problèmes du Moyen-Orient et qu'à court terme, ce seront les Arabes
qui prépareront la solution, Saddam
Hussein sauve la face. Il n'est pas
humilié, il peut dire: c'est grâce à
moi que l'on discute de l'ensemble des
problèmes du Proche et du Moyen-Orient, et il dira à son peuple: « On
aura quand même obtenu quelque chose. » Je ne vois rien
d'autre. Autrement, ce sera la guerre. Ni les Américains ni les Anglais ne
sont sans doute prêts à accepter cette
phase transitoire. Mais ils ont besoin de nous au Conseil de Sécurité. C'est là qu'il peut y
avoir du jeu.
Je voudrais aborder avec vous
une deuxième question: les Américains disent que l'article 51 de la
Charte leur suffirait pour déclencher une opération
militaire. Si on lit cet article, on
voit que tout pays a le droit de
légitime défense et peut appeler
quelqu'un à son secours. Cette interprétation laisse le champ entièrement
libre aux décisions américaines et nous prive de la
possibilité d'en discuter au
Conseil de Sécurité. J'en conclus que dans cette situation, les Américains seraient seuls maîtres de la
guerre et du moment de la guerre. Nous n'aurions plus le moyen
d'agir.
Mikhaïl Gorbatchev:
Les divergences avec les États-Unis et la
Grande-Bretagne apparaissent quand il s'agit d'envisager la
manière de proposer une solution
politique et les moyens d'accorder
quelque chose à Saddam Hussein. Une chose est
de parler à Saddam Hussein, une autre est de pouvoir évoquer
ce sujet avec nos partenaires. Ce que
nous avons fait jusqu'ici nous
a permis de gagner
une première bataille: la cohésion d'un front uni, l'adoption d'une
attitude résolue face à l'acte
de banditisme de Saddam Hussein.
François Mitterrand:
Nous sommes tout à fait d'accord.
Mikhaïl Gorbatchev:
Compte tenu qu'il existe une chance de déboucher sur un règlement
politique, même flou, pourquoi perdre le sang-froid, l'espoir ? Je
proposerais une double approche:
d'une part, dire à nos partenaires du Conseil
de Sécurité qu'il convient d'agir dans cette ligne ; d'autre
part, faire comprendre à Saddam Hussein qu'il n'est plus
temps pour lui de continuer à essayer de
gagner du temps!
Je suis d'accord avec
vos arguments sur les perspectives à
long et à court termes. Il faut bien chercher des mécanismes de
règlement. J'estime qu'il serait plus
réaliste d'espérer dans une solution rapide où l'organisation
arabe jouerait un rôle d'initiateur
sous la forme d'une conférence qui
formulerait les exigences à communiquer à Saddam Hussein sur le
destin du Koweït, le processus de dévolution du pouvoir, les litiges
inter-arabes.
François Mitterrand:
Oui, encore faut-il que cela soit
possible...
Mikhaïl Gorbatchev: Un
point à préciser: si on commence à
émettre cette idée à Cinq, nos partenaires ne l'accepteront pas. Je pense qu'on pourrait
songer à la solution suivante: on pourrait
débattre des résultats de la mission Primakov et rédiger,
vous et moi, une lettre commune aux
autres membres permanents du Conseil de
Sécurité, mettant l'accent sur le facteur arabe. Si on
constate qu'il existe chez les Arabes une volonté de pourparlers
au sein de leur famille, nos
partenaires pourraient se rallier à
cette idée. Mais si les Cinq ne sont pas d'accord entre eux, les Arabes ne pourront pas
convoquer une telle conférence. Si nous faisions chacun de notre
côté une démarche auprès des Arabes,
ceux-ci consulteraient les Cinq et on verrait alors apparaître les divergences
d'opinions...
Les deux chefs d'État demandent à Roland Dumas et
à Édouard Chevardnadze d'affiner cette idée dont le Président ne
veut pas...
Discussion sur la préparation de la prochaine
réunion de la CSCE : que faire des pays Baltes? Les inviter à la
table de la Conférence, avec leur nom et leur drapeau, comme des
pays souverains? Gorbatchev s'y oppose maintenant absolument. Il en
fait même un casus belli. Il est
inquiet des risques d'éclatement de l'URSS. Il a appris que, pour
le défier, la République de Russie prend aujourd'hui le contrôle de
toutes ses ressources. Pour la première fois, il donne le sentiment
d'avoir peur de perdre le contrôle du processus. Tout ce qui le
valorise internationalement comme seul représentant de l'Union
l'aide à tenir à l'intérieur, explique-t-il. Sa voix reste suave,
son visage serein face à la tempête qui paraît se déchaîner.
262 otages français arrivent cette nuit à
Paris.
Mercredi 31 octobre 1990
Au Conseil des ministres, rien de saillant, sinon
le projet de loi sur la Corse, qui reconnaît l'existence d'un «
peuple corse, composante du peuple français ». Elle aura le statut
de quasi-autonomie, voisin de celui des DOM.
En Grande-Bretagne, le débat sur la poll tax s'envenime. Margaret Thatcher va être
obligée de faire campagne au sein de son propre parti si elle veut
montrer qu'elle est encore capable de tenir les rênes.
Le Président ne veut pas pour l'instant d'une
initiative en direction de Saddam. Il recherche une solution par
laquelle l'évacuation du Koweït par l'Irak se traduirait par sa
remise temporaire à un consortium arabe qui déciderait de son
avenir. Les Américains, eux, veulent une évacuation sans conditions
et le retour immédiat de l'Émir. François Mitterrand ne croit pas
vraiment à l'idée de Gorbatchev, mais souhaite montrer que tout a
été essayé.
Michel Vauzelle propose à nouveau au chef de
l'État d'aller rencontrer Saddam Hussein en tant que président de
la commission des Affaires étrangères. Fermé, François Mitterrand répond: Je note. C'est une idée à
examiner plus tard. J'en parlerai à
Dumas. [Lequel n'a pas été avisé par Vauzelle de son idée de
voyage.]
Alors que chaque libération d'otage s'accompagne
de slogans, de discours, d'interviews, celle des Français se
déroule dans une relative discrétion. D'autre part, les Irakiens
n'ont jamais cherché à exploiter l'incident qui a mis des soldats
français en cause à la frontière saoudienne; ils l'ont gardé secret
jusqu'à ce que la France en fasse part elle-même; voilà qui ne leur
ressemble pas.
Jeudi 1er novembre
1990
George Bush et Saddam Hussein multiplient les
phrases menaçantes. Bush déclare au sujet des otages retenus sur
les sites stratégiques irakiens que c'est quelque chose que même Adolf Hitler n'a pas fait.
Il veut obtenir le vote d'une nouvelle résolution de l'ONU contre
l'Irak.
François Mitterrand au
quotidien égyptien El Ahram : Les
règles de droit dont le respect est exigé à propos de l'invasion du
Koweït [doivent] être également respectées partout dans le monde, en
conformité avec les résolutions
des Nations unies, et dans le conflit
israélo-arabe et au Liban. Il préconise la mise en place
d'un système de sécurité et de coopération du Golfe à l'Atlantique,
à concevoir par les intéressés eux-mêmes, une fois réglées les
crises de la région.
Les renforts français débarquent à Yanbu: 550
hommes, 22 hélicoptères antichars, 24 blindés légers Anx 10 RC ; 5
500 soldats français au total se trouvent en Arabie Saoudite.
Le moral des troupes américaines baisse: Livrons
combat pour en finir, ou rentrons chez nous.
A propos de la libération des otages français,
Tarek Aziz déclare aux représentants des
pays membres de la Communauté européenne : Il
n'y a eu à ce sujet aucune demande,
aucun contact, aucun marchandage ni aucun accord d'aucune
sorte. Il s'agit d'une décision
irakienne unilatérale... Mais, selon notre ambassade à Bagdad, les
autres Occidentaux n'en sont pas convaincus. La libération de nos
trois militaires interceptés à la frontière saoudienne sème un
doute supplémentaire: pourquoi les Irakiens privilégieraient-ils la
France de façon désintéressée? Ils agissent ainsi pour diviser la
coalition internationale et parce qu'aujourd'hui plus que jamais,
Saddam a besoin de la France au sein de la communauté
internationale comme auprès du monde arabe. Il paraît avoir compris
qu'il a perdu la partie, qu'il lui faut désormais songer à discuter
et à faire d'importantes concessions. D'où les rumeurs plus ou
moins contrôlées sur un éventuel retrait du Koweït, les promesses
de libération de tous les otages en échange de certaines garanties
de sécurité, les discours sur la nécessité de dégager une solution
pacifique de la crise, les propositions de réunion d'une conférence
internationale ou d'un Sommet arabe. Saddam compte sur l'URSS et la
France pour l'y aider. Nous ne nous
faisons aucune illusion quant à
la fermeté et à la détermination
de la France à notre égard, disait
encore il y a trois jours le ministre irakien des Affaires
étrangères. Toujours est-il que, vu de Bagdad, voilà le message que
Saddam Hussein cherche à faire passer. A-T-IL changé d'état
d'esprit au cours de ces dernières semaines? Est-il sincère?
Vendredi 2 novembre 1990
L'ambassadeur koweïtien en Grande-Bretagne réclame
une intervention militaire immédiate.
Londres et Washington condamnent la prochaine
visite de Willy Brandt, ancien Chancelier ouest-allemand, à Bagdad
pour faire libérer les otages. Hans-Dietrich Genscher, ministre des
Affaires étrangères, approuve l'initiative de Brandt.
Bagdad présente pour la première fois à la presse
les otages servant de boucliers humains sur ses sites stratégiques.
Le gouvernement irakien maintient son invitation à accueillir leurs
familles pour les fêtes de fin d'année. La presse irakienne
prévient que la guerre, si elle a lieu, sera illimitée et
généralisée.
Les grèves lycéennes, sporadiques le mois dernier,
s'étendent. Les revendications sont floues: amélioration des
conditions de travail dans les établissements, « démocratisation »
de leur fonctionnement, tout cela traduisant un malaise diffus et
une grande déception vis-à-vis des socialistes. Ce ressentiment
inquiète le Président, soucieux de son image dans la jeunesse. A
l'occasion de la Conférence nationale des jeunes socialistes,
François Mitterrand déclare: Les jeunes
doivent être entendus, car une société qui n'écouterait pas
sa jeunesse préparerait mal son avenir. Et plus
tard : Ce n'est pas vraiment le
moment de rappeler le gouvernement à l'ordre,
mais c'est nécessaire. Il faut que Rocard le comprenne: je ne veux pas que son gouvernement manque à mes
promesses.
Samedi 3 novembre 1990
L'Irak décide la libération de 690 ressortissants
bulgares.
Dimanche 4 novembre
1990
James Baker entame sa tournée au Moyen-Orient et
en Europe pour savoir à quelles conditions et
avec quelles restrictions la coalition soutiendrait l'action
contre l'Irak.
Saddam Hussein reçoit l'ancien Premier ministre
japonais Yasuhiro Nakasone au sujet des 350 Japonais détenus.
Celui-ci recueille l'assurance de repartir quelques jours plus tard
avec quelques-uns d'entre eux.
François Mitterrand, à Alexandrie, réaffirme avec
Hosni Moubarak la nécessité d'une application ferme de l'embargo
contre l'Irak pour éviter la guerre.
100 chars et 2 500 soldats syriens arrivent en
Arabie Saoudite. Difficilement imaginable: Israël et la Syrie dans
la même coalition!
Les États-Unis comptent renforcer leurs effectifs
dans le Golfe en rappelant des unités de combat de réserve.
Lundi 5 novembre 1990
François Mitterrand : La popularité de Rocard tient
à ce qu'il ne s'éloigne jamais des
milieux dirigeants. Il les voit, les cajole. Il en est. Ils le
savent et lui pardonnent. Il est le Premier ministre rêvé de la
droite...
A New York, assassinat du rabbin Meir Kahane,
leader d'extrême droite israélien.
A Moscou, l'inquiétude manifestée par Gorbatchev à
Latché se confirme: court la rumeur d'un pronunciamiento
militaro-conservateur. Même la date en est rendue publique: on
parle du 7, du 15 ou du 21 novembre prochains!
Il ne s'agit pas que de ragots: une commission
parlementaire a découvert qu'il y avait eu effectivement des
mouvements de parachutistes dans les environs de Moscou, en
septembre, pour d'obscurs motifs et contrairement à ce qu'avait
affirmé alors le ministre de la Défense, le maréchal Iazov. Il
semble que Gorbatchev s'oppose à un lobby militaire qui serait
favorable à Saddam Hussein. Certains, à Moscou, émettent
l'hypothèse que les services du renseignement militaire soviétiques
en Irak, parfaitement au courant avant le 2 août des projets
d'invasion du Koweït, en auraient informé leur hiérarchie qui
aurait omis de prévenir Gorbatchev. Une telle accusation ne semble
pas avoir été lancée à la légère.
Une campagne sur les décès de conscrits est
déclenchée par les milieux les plus hostiles au commandement
militaire; les chiffres les plus fantastiques circulent : on parle
de 15 000 morts par an, dont un millier dans les seules forces
stationnées en Allemagne. On doit s'attendre à une nouvelle purge
de généraux, mais nul ne peut en prévoir l'ampleur: le maréchal
Iazov, un des plus virulents conservateurs de l'armée, ou les
généraux Rodionov et Makachov ? ou encore d'autres responsables,
comme le chef d'état-major de l'Armée de terre, le général
Varennikov ?
Les États-Unis et l'Arabie Saoudite signent un
accord sur le commandement des opérations en cas d'intervention
militaire contre l'Irak. Selon cet accord, les troupes seront
placées sous commandement conjoint pour la défense du royaume, et
sous commandement unique américain lors des interventions
militaires hors de l'Arabie Saoudite. Il est clair que nous
passerons le même type d'accord en cas de conflit.
François Mitterrand reçoit le Roi Hussein de
Jordanie, à nouveau en tournée en Europe et qui lui ressert l'idée
soufflée par Saddam Hussein à Primakov.
François Mitterrand :
Où en êtes-vous de vos réflexions
?
Le Roi Hussein : Nos
espoirs sont confortés par vos
remarques, par le rôle que peut jouer la
France dans une solution pacifique.
François Mitterrand :
Les choses n'ont pas avancé dans cette
voie. Espérons qu'elles n'ont pas
reculé!
Le Roi Hussein : Y
a-t-il un événement en particulier qui
vous fasse dire cela ?
François Mitterrand: Le
temps qui passe... Aucun élément n'arrête les forces qui sont face
à face. C'est l'absence d'événement qui peut inquiéter.
Le Roi Hussein : Tarek Aziz
est venu à Amman immédiatement après votre remarquable
discours à New York. Son message était que ce discours, du point de
vue irakien, était positif, constructif, et qu'il permettait un
dialogue avec leurs « anciens
amis ». La vision qu'a la France des
événements du Golfe est l'objet d'appréciations positives de leur part. Les
Irakiens sont pour une solution pacifique et
souhaitent contacter la France et l'Union soviétique. J'ai à
nouveau reçu, samedi, le ministre des Affaires étrangères d'Irak
qui a réitéré le désir d'une
orientation pacifique, dans l'intérêt des peuples de la région et du monde entier.
Il y a pour lui deux orientations à concilier : l'évacuation du
Koweït et la sauvegarde des
intérêts irakiens. C'est mon interprétation de leur vision des
choses. Il faut qu'il y ait des
contacts apaisés entre l'Arabie
Saoudite et l'Irak dans le but de déterminer ces « intérêts
irakiens » (frontières, par exemple).
Ensuite, un Sommet arabe demanderait à
l'Irak de se retirer du Koweït.
François Mitterrand : Ce
contact a-t-il été établi entre
Saoudiens et Irakiens?
Le Roi Hussein :
Je n'ai pas d'éléments là-dessus. Pour montrer
les bonnes intentions de l'Irak,
Tarek Aziz nous a dit qu'il
avait proposé un projet aux Soviétiques pour la
libération de tous les otages. En voici le texte. [Il sort une feuille de papier.] C'est un
avant-projet de lettre de Gorbatchev et
de vous-même disant d'abord que « les
Présidents de l'URSS et de la France
conjurent Saddam Hussein de laisser les
étrangers quitter l'Irak ». Il y a un
deuxième paragraphe disant ceci: «
Les deux pays déclarent poursuivre leurs
efforts en vue d'une solution pacifique, contre toute
solution militaire et tout recours aux
armes. » Il n'y a pas encore de réponse.
François Mitterrand, dissimulant qu'il a déjà reçu
cette proposition la semaine dernière par l'intermédiaire de
Gorbatchev et qu'il l'a rejetée: Je prends note. Comme au premier jour, le problème se pose en termes
d'évacuation du Koweït. Le problème des otages
peut certes être résolu, et cela créerait un choc
psychologique important. Mais, politiquement, c'est le problème du
Koweït qui reste central. Tant que le Président Saddam Hussein
n'aura pas manifesté de compréhension sur ce point, le temps
jouera contre lui. J'avais conseillé la
libération de tous les otages; je vous
en avais parlé, l'autre jour. C'est un geste qui impressionnerait
les opinions publiques.
La meilleure formule serait
l'annonce par l'Irak d'une évacuation et de la remise du Koweït.
Mais à qui? A un pouvoir médiateur
arabe? Ce serait très intelligent. Si
le Koweït n'est pas évacué
militairement, on n'échappera pas
à la guerre. Vous avez vu que j'avais
fait une distinction indiquant que la « restauration » n'était pas de même importance.
Donc, il faut une remise du Koweït au
Conseil de Sécurité ou, mieux, à un pouvoir arabe qui examinerait les
problèmes (accès de l'Irak à la mer, etc.). Mais les dirigeants
arabes sont très divisés. Est-ce qu'ils accepteront? Cela dépend surtout du Roi
d'Arabie, qui peut en entraîner beaucoup
derrière lui. A mon sens, la restitution des otages et cette
décision ne répondraient pas exactement aux résolutions des Nations unies, mais
constitueraient un choc suffisant pour que la guerre ne soit plus possible. Si les dirigeants
arabes en discutaient, il serait
difficile au Conseil de Sécurité de s'y
opposer. Mais y a-t-il volonté des Saoudiens de nouer un contact
avec les Irakiens? 628
Le Roi Hussein :
Je ne sais pas. J'ai essayé
d'avoir ces contacts. J'ai découvert des choses douloureuses, car
la situation s'est envenimée depuis
deux ans. Ce n'était pas aussi clair pour moi
avant la crise. L'Irak, semble-t-il, a été poussé à son
geste inconsidéré sur un arrière-plan
de suspicions, de doutes...
François Mitterrand : Il
faut que vous compreniez qu'il n'y a que deux membres permanents du
Conseil de Sécurité, la France et
l'Union soviétique — la Chine aussi,
peut-être, je n'en sais rien — , qui souhaitent une solution
pacifique sur la base des résolutions
des Nations unies. S'il n'y a rien de
tout cela, il sera difficile pour ces
deux pays de se séparer des autres.
Pour l'heure, les Cinq font bloc sur les principes du droit.
Vraiment, l'annonce d'une évacuation et de la remise du Koweït à un comité arabe
serait un coup de tonnerre modifiant les données du problème
tel qu'il se pose depuis le 2 août.
Dans le cas contraire, tout geste de notre
part conforterait Saddam Hussein. Il faut qu'il fasse des
gestes sur le terrain (libération des otages et remise du
Koweït à un pouvoir arabe).
Ce plan soulève cependant deux difficultés: il n'est pas conforme aux résolutions du Conseil de Sécurité et il
s'agit d'une idée nouvelle.
D'autre part, d'autres résolutions du Conseil de Sécurité
resteraient en suspens. Mais je ne suis pas
opposé à ce que des gens sages, des
Arabes responsables discutent ensuite de ce que deviendra le
territoire koweïtien dans sa réalité future. Mais, si rien ne change, je vous
le dis avec gravité, l'issue est
fatale. Ce sera très violent. Les Américains y inclinent. Des chefs d'État
arabes y poussent. Quand on envoie une armée si loin, c'est
pour en faire quelque chose. Il faut que des hommes comme
vous et moi exercent leur influence. Mais il n'est pas possible
d'aller contre les résolutions du Conseil de
Sécurité. Nous, la France,
n'avons pas d'intentions agressives envers l'Irak; mais nous ne pouvons nous séparer des
Cinq.
Est-ce un problème de « face
» pour Saddam Hussein? Remettre
le Koweït à un pouvoir arabe, afin d'en négocier ensuite le statut futur,
lui permettrait de sauver la face. Il
se passerait ensuite des semaines, des mois. La guerre s'éloignerait. Les Nations unies ont parlé de
restauration de l'Émir. Mais cela peut
être sur la base d'une médiation arabe (Maroc,
Algérie, Arabie Saoudite), et le monde s'inclinerait.
Le Roi Hussein: Nous
allons essayer... Je vais tenter, même
si certains s'illusionnent sur mon influence sur Saddam
Hussein.
François Mitterrand:
Comme on s'illusionne sur la mienne sur
M. Bush!... Il faut que Saddam Hussein
ait une claire conscience que, s'il ne
cède rien, l'horloge tourne et que la guerre
peut venir soudainement.
Le Roi Hussein: Ce que
j'ai toujours recherché, c'est un
accord inter-arabe, même tacite, avec une
présence arabe sur le terrain, sous supervision
internationale.
François Mitterrand :
Vous avez raison.
Le Roi Hussein :
Cela nous amènerait ensuite à la
question palestinienne.
François Mitterrand :
Vous connaissez mon sentiment là-dessus. Mais ce doit être
traité ensuite.
Lionel Jospin présente au Parlement son projet de
budget: il est salué partout en France par des manifestations
lycéennes rassemblant plusieurs dizaines de milliers de
manifestants.
Mardi 6 novembre 1990
La Hongrie est le premier pays de l'Est à adhérer
au Conseil de l'Europe.
James Baker est à Ankara après avoir rencontré
Qian Qichen, son homologue chinois, au Caire. Il a obtenu de
celui-ci l'assurance que la Chine ne s'opposera pas à l'adoption
par le Conseil de Sécurité d'une résolution autorisant le recours à
la force.
Un dirigeant d'Arabie Saoudite à notre ambassadeur
à Riyad: Saddam est comme un enfant qui ne veut pas lâcher une pierre. Chaque fois qu'il entend des
paroles lui laissant penser qu'on ne
veut pas la guerre quoi qu'il
arrive, il s'obstine davantage à garder son bien. Son attitude finit
par lasser. C'est à partir de là
qu'il a des chances de gagner. Chaque
fois qu'il pense à un éventuel retrait du
Koweït, on lui fait entendre, à travers la presse, qu'on ne
recourra pas à la force ni à la guerre. Alors il se cramponne
davantage à sa position et renonce à se retirer.
Critique voilée, mais sévère, des messages en
provenance de Paris.
Le budget de l'Éducation a été augmenté de 50
milliards de francs en trois ans. Sur ces 50 milliards, 43 ont été
affectés aux salaires des enseignants, 7 seulement destinés aux
élèves ou aux étudiants. Trop peu pour la pédagogie, pour les
aspirations des lycéens. D'où ces manifestations. Face à ce
mouvement, que fait le gouvernement? Il crée quelques postes de
surveillants, il déclare que les lycéens ne savent pas ce qu'ils
veulent, qu'ils sont manipulés, qu'il les recevra quand ils
s'expliqueront clairement. Ces propos ne font qu'accroître la
mobilisation. Que fait alors le gouvernement? Il commence par ne
pas s'occuper du dossier. Puis il augmente le nombre des postes de
surveillants. Michel Rocard reçoit les lycéens, une demi-heure à la
sauvette. La mobilisation s'accroît encore. Avant son départ pour
le Japon, le Premier ministre tranche: Il
faudra mettre de l'argent;
j'envisage 2 milliards.
Lionel Jospin suggère au Président de proposer à
nos partenaires une nouvelle réunion exceptionnelle du Conseil
européen sur la guerre du Golfe. François
Mitterrand: Mêler les Italiens et les Grecs à tout
ça ? Vous n'y pensez pas!
Mercredi 7 novembre 1990
Débat au Conseil des ministres sur l'agitation
lycéenne. Le Président demande au gouvernement de prendre davantage
d'initiatives. Il critique les régions qui n'ont pas entrepris la
moindre action pour les lycées et qui, pour l'essentiel, sont
dirigées par l'opposition. Il a fait de l'Éducation, rappelle-t-il,
sa première priorité.
Saddam Hussein autorise le départ de cent vingt
étrangers, dont cent Allemands, en hommage aux efforts pour la
paix de Willy Brandt; 77 Japonais quittent l'Irak avec l'ex-Premier
ministre Nakasone ; 4 Suédois partent aujourd'hui ; 52 otages
britanniques pourront partir la semaine prochaine; mille
ressortissants soviétiques quitteront Bagdad dimanche 11
novembre.
Jeudi 8 novembre 1990
Trois porte-avions et leurs groupes de bataille,
le cuirassé Missouri, la moitié des unités blindées basées en
Europe seront envoyées dans le Golfe. D'autres renforts des
États-Unis, dont des renforts d'aviation, s'ajouteront à la force
américaine. Trois brigades de réserve vont également être appelées.
Au total, 200 000 militaires américains se joindront aux 230 000
déjà sur place.
Le Japon renonce à l'envoi de 2 000 soldats dans
le Golfe. Là aussi, c'eût été une grande première. N'aurait plus
manqué que des soldats allemands... Les Japonais vont se contenter
de financer les Américains, qui, décidément savent vendre leurs
services aux plus offrants.
Tournée de James Baker du Caire à Moscou : tous
les responsables rencontrés de la coalition lui ont affirmé leur
soutien à la nouvelle résolution que les États-Unis souhaitent
faire adopter par le Conseil de Sécurité, sur l'usage de la force.
Soviétiques et Chinois aspirent toujours à un règlement pacifique,
mais Moscou n'exclut plus le recours à la force.
Hussein de Jordanie :
Une guerre serait une catastrophe qui engendrerait une rupture des
équilibres.
Désaccord entre Valéry Giscard d'Estaing et
Jacques Chirac à propos de l'organisation de « primaires » en vue
de désigner un candidat unique à l'élection présidentielle. Alors
que la Charte de l'UPF prévoit ces primaires en cas d'élections
anticipées, Giscard s'y oppose, invoquant l'impossibilité
matérielle de les réaliser. Chirac se fâche et annule la
manifestation commune prévue pour le 14. François Mitterrand : Il
n'y aura pas de candidat unique.
Jamais! Et, contrairement à ce qu'il croit,
Giscard n'est plus en situation d'être le patron de
l'opposition.
L'Irak menace de réduire en cendres la péninsule arabique.
George Bush ordonne l'envoi de 100 000 hommes supplémentaires en
Arabie Saoudite où les forces américaines dépassent à présent 300
000 hommes. Les Américains proposent qu'une nouvelle résolution des
Nations unies autorise explicitement l'usage de la force.
François Mitterrand : Très bien !
L'article 51 de la Charte ne suffit pas. Je l'ai toujours dit! Ce
n'est pas la légitime défense.
Margaret Thatcher est très menacée dans son parti.
Elle ne viendra sans doute pas au Sommet de la CSCE à Paris, dans
quelques jours.
Les sondages, en revanche, donnent Kohl largement
gagnant aux prochaines élections dans l'Allemagne unifiée. Lui,
viendra sûrement.
Il rencontre Tadeusz Mazowiecki près de la ligne
Oder-Neisse, avec qui il convient de signer, avant la fin du mois,
un traité confirmant la frontière germano-polonaise.
Vendredi 9 novembre 1990
L'échéance que m'avait annoncée Scowcroft est
bouleversée. La paix armée se prolonge. Les états-majors américains
nous consultent sur divers scénarios de bataille.
James Baker reçoit à Londres un soutien
total de Margaret Thatcher : Les Alliés
ont l'autorité légale pour intervenir
militairement, déclare-t-elle.
A Londres, le représentant de l'OLP, Ali Sfieti,
annonce que son mouvement tente d'organiser une rencontre entre
Saddam Hussein et le Roi Fahd d'Arabie. A ma connaissance, cela n'a
aucune chance d'aboutir.
A Paris, le ministre estonien des Affaires
étrangères réclame une « reconnaissance à part entière » des pays
Baltes.
Depuis octobre 1988, à l'initiative de Michel
Rocard, 150 000 logements par an en moyenne ont été réhabilités.
Dans l'année 1990, ce rythme s'est accéléré pour atteindre, selon
le budget, 200 000 logements. En 1991, entre les fonds des
administrations centrales et ceux des collectivités locales,
environ 2 milliards de francs seront injectés dans la politique de
la Ville. Jamais les acteurs institutionnels — ministères, Caisse
des dépôts, mairies... — n'auront été autant mobilisés. Colloques
et conférences s' enchaînent. Les multiples rapports s'accumulent
dans une impression d'urgence. L'architecte Roland Castro et
l'association Banlieues 89 plaident de moins en moins dans le
désert pour la création d'un ministère de la Ville doté de 1 % du
budget de l'État. Pourtant, la révolte enfle toujours plus vite...
Il faudra faire davantage.
Jean-Louis Bianco suggère au Président la création
d'un ministère de la Ville ayant autorité sur toutes les
administrations concernées.
Roland Dumas est à Rabat. Hassan II semble avoir
mal apprécié la publication, en septembre, de Mon ami le Roi. 632
Dimanche 11 novembre 1990
Le ministre chinois des Affaires étrangères est
reçu à Bagdad. Les Irakiens souhaitent que la Chine use de son
droit de veto lors du vote de la résolution sur le recours à la
force.
Le Roi du Maroc propose la tenue d'un Sommet arabe
exceptionnel de la dernière chance. Saddam Hussein accepte
l'invitation à condition qu'y soient traitées les questions
concernant tous les Arabes. Yasser Arafat propose un plan de paix
en cinq points: retrait des soldats irakiens des territoires
koweïtiens non soumis à contestation ; retrait
des forces étrangères de la région ; remplacement des
Irakiens par des troupes arabes, et des
étrangers par des forces internationales ;
consultation du peuple koweïtien sur son avenir.
Deuxième rencontre égypto-syro-saoudienne entre
ministres des Affaires étrangères au Caire. Elle se conclut par
l'affirmation par les trois pays d'un désir de retrait de l'Irak et
le rétablissement de la légalité au Koweït.
Sommet soviéto-russe : Eltsine et Gorbatchev se
mettent d'accord sur les termes du traité de l'Union.
A Beyrouth, on commence à croire à la fin de la
guerre avec le début du retrait des milices libanaises.
Lundi 12 novembre 1990
Saddam Hussein se déclare prêt à consentir des
sacrifices pour sauvegarder la paix dans le Golfe. Le Secrétaire
général de l'ONU se dit déçu par la dureté de l'Irak et croit
difficilement en l'issue pacifique du conflit.
Les Douze se réunissent à Bruxelles au sujet des
otages. Volonté de trouver une solution pacifique ; prise en compte
du problème palestinien.
Marche nationale pour l'Éducation à Paris: 100 000
manifestants. Des groupes de « casseurs » saccagent tout sur leur
passage. La police les regarde faire sans intervenir.
Dans la soirée, sans en aviser Michel Rocard,
François Mitterrand reçoit les délégués lycéens. Il leur parle,
sans préciser davantage, de quelques milliards destinés à financer
le plan d'urgence de Lionel Jospin. En sortant de l'Élysée, Nasser
Ramdane, un responsable de la FIDL, déclare à la presse: Le
Président de la République est
d'accord avec nos revendications. C'est
au gouvernement Rocard de prendre ses responsabilités... L'Élysée ne dément pas.
Matignon est ulcéré. D'autant plus que Rocard est
à Tokyo et que c'est justement Jospin qui assure l'intérim!
Le Président a été très
frappé d'apprendre que les jeunes manifestants criaient: « Nous
sommes tous de Vaulx-en-Velin ! » En 1968, me fait-il remarquer,
ils criaient: « Nous sommes tous des
juifs allemands! »
Lionel Jospin est furieux: C'est le second coup de
poignard du Président dans mon dos en moins d'une semaine! Le premier, c'était le message de
solidarité adressé au mouvement des jeunes
socialistes. Si Mitterrand voulait nous compliquer la tâche,
il n'agirait pas autrement. C'est
facile de garder le beau rôle et de
nous mettre tout sur le dos!
Longue conversation téléphonique entre François
Mitterrand et Lionel Jospin.
Michel Rocard considère que le Président l'a
trahi. Celui-ci, à l'inverse, estime que son attitude a permis de
sauver la mise au gouvernement en instituant un climat de confiance
avec les lycéens. Lesquels, chez Rocard, s'étaient heurtés à un
mur.
Mardi 13 novembre 1990
Sur Europe 1, ce matin, Lionel Jospin se refuse à
citer un chiffre précis pour son « plan d'urgence ».
Michel Charasse m'apprend que Jean-Paul Huchon lui aurait dit: La réception des lycéens par le Président est un mauvais
coup. Pas question de financer les milliards du
Président.
A la demande du Président, Jean-Louis Bianco
proteste auprès de Huchon.
Le Président estime que le gouvernement doit faire
un plus grand effort pour l'Université. Il est très mécontent de la
campagne de presse dirigée contre lui et alimentée, pense-t-il, par
Matignon.
François Mitterrand : On
approche dangereusement du point
critique dans la crise du Golfe.
Deux émissaires soviétiques sont envoyés par
Gorbatchev dans plusieurs pays arabes: le premier à Rabat, Alger,
Tunis et Tripoli; le second en Égypte, Yémen, Arabie Saoudite et
les Émirats Arabes Unis. Leur mission: évaluer le soutien à la
proposition de Hassan II.
Le premier vice-Premier ministre irakien est à
Rabat. Il demande à ce que le Sommet efface les résolutions du
Caire, qui avaient créé un schisme dans
la position arabe au sujet des dangers et
conspirations auxquels le monde arabe est confronté de la
part de ses ennemis, États-Unis en
tête.
Un second vice-Premier ministre irakien est envoyé
à Tunis et Tripoli.
Un déserteur irakien affirme que cent vingt
officiers et six généraux irakiens ont été exécutés début août pour
avoir refusé d'envahir le Koweït.
Les sondages témoignent d'un affaiblissement du
soutien des Américains à la stratégie de George Bush. Les sénateurs
Robert Dole et Richard Lugar demandent au Président américain de
convoquer spécialement le Congrès afin d'obtenir son autorisation
de recourir à la force.
Qian Qichen finit sa tournée dans le Golfe. La
Chine s'abstiendra sur la résolution sur le recours à la force.
Elle n'utilisera pas son droit de veto.
Mercredi 14 novembre 1990
L'Arabie Saoudite rejette les conditions
irakiennes émises à Rabat.
Le traité sur la ligne Oder-Neisse est paraphé par
les ministres des Affaires étrangères allemand et polonais.
L'Allemagne s'engage juridiquement à renoncer aux 104 000
kilomètres carrés, qu'elle considérait comme siens, au profit de la
Pologne.
Avant le Conseil, le Président suggère au Premier
ministre de demander la confiance du Parlement sur la CSG:
Ne vous inquiétez pas, vous l'aurez
!
Au Conseil des ministres, discussion du collectif
budgétaire. Jean-Pierre Chevènement et Roland Dumas se plaignent de
l'insuffisance de leurs crédits. Michel Rocard remercie avec humour
les ministres... qui ne sont pas intervenus! Il s'exprime aussi sur
l'Éducation nationale: Nous avons
accueilli 320 000 élèves de plus en quatre ans dans les lycées. Aucun État n'aurait pu y faire face sans problème. Devant
la menace d'incendie, l'énervement, il
faut jouer vite et fort. Ce soir, à 17 heures,
je réunirai les ministres pour adopter un amendement au collectif
de façon à répondre à la nervosité ambiante.
Jean-Pierre Chevènement demande la parole: Je
voulais dire que les régions ne font pas leur travail à propos des
lycées.
Le Président, agacé: Je sais, je sais.
D'ailleurs, je l'ai déjà dit en
Conseil. Cela a été répété par M. Le
Pensec, et cela m'est revenu sous forme de protestation des
présidents de région...
Le Premier ministre rend
compte de son voyage au Japon. Il parle de ses excellentes
relations avec son homologue Kaifu. Il raconte avoir rencontré le
ministre du Miti : Je peux dire qu'à notre manière à tous deux,
brutale et franche, nous nous comprenons très bien. Il ajoute:
J'ai reçu beaucoup de messages de
respect, d'admiration, de sympathie des
chefs d'État à votre intention, monsieur le Président.
Le Président :
Cela me console de ce que je lis dans la
presse française!
Cet après-midi, un Comité interministériel établit
à 4,5 milliards le montant des fonds qui seront affectés au
financement du plan Jospin pour les lycées.
François Mitterrand : Si
je n'étais pas intervenu, ils n'auraient rien fait. Et maintenant, ils vont se
gargariser de leur succès.
Jeudi 15 novembre 1990
Des manœuvres américano-saoudiennes vont
commencer. Elles dureront six jours. Six navires de guerre, 1 100
avions et hélicoptères et 7 000 hommes seront mobilisés. Elles
comporteront notamment des exercices de débarquement.
Saddam Hussein déclare à la chaîne américaine ABC
être disposé à négocier séparément avec les États-Unis et l'Arabie
Saoudite, mais en rejetant toute condition préalable.
George Bush:
La crise du Golfe ne sera pas pour les
États-Unis un nouveau Vietnam. Il n'y aura pas de compromis avec ce genre d'agression caractérisée.
D'après l'État-Major, si la guerre était déclarée,
elle durerait des mois et ferait des dizaines de milliers de
victimes occidentales. Shimon Pérès pense au contraire que l'armée
irakienne s'effondrerait en quarante-huit heures.
Si la guerre doit éclater, ce ne peut être
qu'avant février, en raison des conditions climatiques.
Pierre Bérégovoy est reçu par le Président. En
sortant, il me dit: François Mitterrand semble décidé à mettre
quelqu'un dans les pattes de Rocard. Mais qui? Pas moi, en tout
cas.
Il est très amer.
Lionel Jospin reçoit les délégués lycéens pour
leur exposer son plan. L'ambiance est agressive. Les ministres n'en
peuvent plus de voir le Président agir en sorte de démontrer le
caractère conservateur de Rocard qui, lui, reste calme et
détendu.
Vendredi 16 novembre 1990
James Baker entame une nouvelle série de
consultations avec les Alliés au sujet de la résolution sur le
recours à la force. George Bush part pour une tournée de huit
jours.
L'ancien président Jimmy
Carter, lui, est contre une intervention militaire : Le pétrole ne vaut pas que l'on sacrifie des
vies.
Seize otages danois libérés regagnent
Copenhague.
A l'Assemblée, le gouvernement engage sa
responsabilité sur le projet de CSG.
Après-demain commenceront déjà à arriver les chefs
d'État pour la réunion de la CSCE ! Malgré le vote de confiance qui
doit avoir lieu au sein de son parti la semaine prochaine, Margaret
Thatcher a confirmé son intention de venir; elle doit disposer de
très bons sondages, bien que Michael Heseltine ait l'air assuré de
la battre.
Encore de jolis embouteillages en perspective dans
la capitale...
Samedi 17 novembre 1990
Le Parlement accepte la proposition de Gorbatchev
sur une réorganisation du pouvoir central: l'exécutif sera sous
l'autorité du Président, et associé au Conseil de la Fédération des
quinze républiques.
Dimanche 18 novembre 1990
Saddam Hussein propose de libérer progressivement
les deux mille Occidentaux et Japonais encore détenus, entre le 25
décembre et le 25 mars. François Mitterrand : Il cherche par tous les moyens
à retarder l'échéance. Ce serait
grotesque, si ce n'était ignoble.
Déjeuner avec Shimon Pérès qui réfléchit à l'idée
d'abandonner Gaza aux Palestiniens.
Arrivée de George Bush à Paris. Longtemps protégé
par une cote de popularité exceptionnelle, le Président américain
est devenu vulnérable. En quelques semaines, il a perdu trente
points dans les sondages. La détérioration de l'économie, le
scandale des caisses d'épargne, ses volte-face sur la politique
fiscale, un pilotage de la crise du Golfe jugé injustement indécis
font resurgir l'image d'un homme aux convictions incertaines. A la
veille du Sommet de la CSCE, François Mitterrand reçoit à dîner cet
interlocuteur toujours amical, détendu, le plus européen des
Présidents qu'on puisse imaginer.
George Bush:
J'arrive d'Allemagne. Kohl m'a l'air en pleine forme, confiant,
sûr de lui pour les élections. Il
m'a dit qu'il obtiendra 45 % des
suffrages.
François Mitterrand:
L'issue du vote ne fait pas
question...
George Bush : Il dit
néanmoins qu'il ne pourrait pas gagner sans sa coalition. Mais que
pensez-vous des chances de Mme Thatcher?
François Mitterrand:
Je n'ai pas d'opinion. Elle a encore la
possibilité de regagner du terrain. Elle est très avisée. Si elle
vient ici pour la CSCE, c'est qu'elle pense qu'elle peut le
faire. Je ne la crois pas menacée dans
son poste, mais elle s'est mise dans une situation difficile
avec son projet de poll tax, qui est
ressenti comme très injuste. Ajoutez à
cela les 8 % d'inflation...
George Bush: Aux
États-Unis, pour ce qui est de l'inflation, on est entre
la Grande-Bretagne et la France. Beaucoup
pensent que la récession actuelle ne sera pas très
profonde.
François Mitterrand: Je
ne crois pas non plus qu'elle le sera.
Ce sera un simple ralentissement.
George Bush: Ce qui est
dominant, c'est le prix du pétrole. Ce n'est
pas dû à une pénurie, c'est une
spéculation.
François Mitterrand:
Oui, c'est de la spéculation.
George Bush:
Des petits pays vont être tués. Par exemple,
le Sénégal. Diouf a demandé à
Mulroney de voir Saddam Hussein pour lui dire qu'il tue les petits
pays.
François Mitterrand: Et
l'Union soviétique? Elle avait besoin de notre attention, et l'attention s'est détournée vers le Golfe.
George Bush:
Gorbatchev est quelqu'un de bien.
François Mitterrand:
Il est courageux, intelligent. Il y
a dix jours, pour la première fois, je
l'ai trouvé inquiet. Il est menacé par
l'éclatement de l'empire. Cela nous crée des problèmes avec les Baltes. On n'a
jamais reconnu leur annexion par l'URSS, on a
conservé leur or. Il n'empêche que le droit international a
consacré l'existence de l'URSS telle qu'elle est.
George Bush:
Je suis de plus en plus inquiet sur le Golfe.
Baker a été très satisfait de sa
visite là-bas. Il est important que les
Nations unies adoptent une nouvelle résolution autorisant l'usage de la force si Saddam Hussein ne se retire pas. Je ne
sais si Gorbatchev sera d'accord. Faire
croire à Saddam Hussein qu'il peut y
avoir la guerre est le seul moyen de le
convaincre de se retirer.
François Mitterrand:
Sous réserve d'une discussion sur la
rédaction, l'idée d'une nouvelle résolution me paraît utile. Il est
bon de rester sous le couvert des Nations unies. Je ne
demande pas que les Nations unies dirigent tout sur le terrain, ce
serait absurde. Mais le label politique de l'ONU est indispensable. Après
le vote de ce texte, Saddam Hussein saura qu'il n'y a plus
d'issue pour lui. La Russie, je crois,
pourra voter, si le texte est bien
rédigé.
George Bush:
Je crois que ce serait un signal pour Saddam
Hussein. Vous le connaissez mieux que moi...
François Mitterrand: Je
ne le connais pas du tout! J'ai
toujours eu des problèmes avec lui. Il avait
de bonnes relations avec la France, mais, après le raid
israélien sur Tamouz, cela s'est
détérioré. Je ne l'ai jamais invité. Il
m'a invité, mais j'ai laissé traîner les
choses...
George Bush:
On dit qu'il est cruel, mais qu'il est devenu
plus humble depuis la guerre contre
l'Iran.
François Mitterrand :
Je recevais à ce moment-là des lettres
pressantes de l'Émir du Koweït et du Roi d'Arabie me reprochant de
ne pas armer assez l'Irak!
George Bush :
Nous-mêmes, nous donnions des renseignements aux Irakiens!
François Mitterrand :
Nous n'avions qu'une idée: arrêter la révolution intégriste de
Khomeyni.
George Bush :
Maintenant, l'Iran joue le jeu et soutient la position des Nations unies.
On passe à Israël:
George Bush : Je suis
découragé sur la Cisjordanie. Shamir
est difficile... Les Juifs américains me
disent: « Si vous ne traitez pas avec
Shamir, vous aurez Sharon. »
François Mitterrand:
Un gouvernement de coalition aurait été
mieux. Mais Shamir ne fera
jamais rien.
A Paris, la délégation estonienne informe la
presse de la présence des trois pays Baltes au Sommet de la CSCE en
tant qu'« invités de la République française ».
Lundi 19 novembre 1990
Débat au Parlement sur la CSG. Motion de censure
déposée par les trois groupes parlementaires de l'opposition, RPR,
UDF et UDC. C'est la dixième motion de censure depuis le début de
la législature. Mais, pour la première fois, celle-ci a des chances
d'être adoptée; pour la première fois depuis 1981, en effet, le
Parti communiste a annoncé qu'il mêlerait ses voix à celles des
partis de droite.
Au Parlement, Michel Rocard
: La seule réforme que l'on
accepte spontanément, c'est celle qui pèse d'abord sur le voisin. Je
tiens à vous dire, et, à travers vous, à dire aux Français que
si, dans ce pays, on consacrait au
succès des réformes seulement 10 % de l'énergie dépensée à les
combattre, notre pays pourrait être en tête de toutes les nations
modernes, et ses habitants vivraient dans beaucoup plus de
prospérité... Tout est bon pour tenter
de retarder la réforme ou y faire
échec: les droits acquis, baptisés du nom plus noble de conquêtes
historiques, les corporatismes qui cherchent à se dissimuler derrière une
pseudo-défense de l'intérêt général, les groupes de pression qui
s'affichent modestement en donneurs d'informations...
Il s'en faut de cinq voix que la censure ne soit
votée sur la CSG. Deux députés UDF et trois élus d'outre-mer ont
sauvé la mise au gouvernement. Guy Carcassonne y a passé ses
nuits.
Le Président est hors de
lui: juste après son dîner avec George Bush, les diplomates
américains ont déclaré à la presse que la France était d'accord
pour l'usage de la force en Irak. Ce sont des
voyous! me dit-il. Je n'ai rien dit de
tel! J'ai dit qu'il fallait que
l'ONU donne son approbation avant
tout usage de la force.
Donner et reprendre : selon Farouk el Chara,
ministre syrien des Affaires étrangères, les troupes de son pays
déployées dans le Golfe ne joueront qu'un rôle défensif.
Saddam Hussein annonce l'envoi de 250 000 soldats
supplémentaires sur le front sud de l'Irak et à l'intérieur du
Koweït.
George Bush et Mikhaïl Gorbatchev se rencontrent à
Paris. Ils ne tiennent pas de conférence de presse commune, mais
leurs porte-parole soulignent qu'ils sont en
accord sur toutes les questions majeures (Fitzwater) et qu'il n'y a pas de désaccord entre eux
(Ignatenko).
Réunion de la CSCE. Les Baltes sont là et veulent
entrer en séance. Ils ont leur badge. Gorbatchev refuse absolument
qu'ils y assistent. Roland Dumas les reçoit pour leur dire qu'ils
ne sont pas les bienvenus en séance. Il les fait attendre toute
l'après-midi avenue Kléber et les reçoit dans la soirée au Quai
d'Orsay. Pénible moment.
Margaret Thatcher m'explique en détail comment
elle voit l'aménagement, qu'elle veut grandiose, de la BERD à
Londres, et qui sera financé entièrement par le gouvernement
britannique. La grande table de la réunion de la CSCE lui plaît
beaucoup. Elle me suggère d'essayer de la récupérer pour la salle
du conseil de la Banque.
François Mitterrand voit Mikhaïl Gorbatchev dans
les couloirs de la CSCE. Ils recherchent encore un compromis sur le
Golfe. Gorbatchev souhaite toujours un texte franco-soviétique.
François Mitterrand lui parle du projet de résolution en cours de
négociation à New York, dont il lui vante les mérites en pesant
chaque mot. Gorbatchev paraît très tendu. On cherche un autre mot
que « force » dans l'expression « emploi de la force », pour y
apporter un bémol. Mais le mot ne gêne pas du tout François
Mitterrand : L'ONU doit autoriser
l'usage de la force. Mais la décision de faire usage de la force dépend de moi et des
autres pays engagés.
Mardi 20 novembre 1990
En l'absence de Margaret Thatcher, retenue à
Paris, vote annuel, dans les prochaines heures, des députés
conservateurs pour élire le chef de leur parti. Margaret Thatcher
risque d'être mise en difficulté dès le premier tour de scrutin.
François Mitterrand la reçoit juste avant. Elle crâne...
Le Président
: Je comptais vous parler du Golfe. L'exacte
position qui est la mienne, c'est que j'ai accédé à la requête de
Bush me demandant si la France serait d'accord pour mettre au point
une nouvelle résolution sur l'usage de la force. C'est à cela
seulement que j'ai dit oui. La délégation américaine a alors
prétendu que j'étais d'accord pour l'usage de la force. C'est aller
un peu vite en besogne ! Je veux pouvoir regarder les termes de la
résolution. Mais j'estime qu'il faut adopter un texte en ce sens :
c'est le dernier argument dont nous disposons, avec l'embargo,
vis-à-vis de Saddam Hussein. Il ne faut pas qu'il doute de notre
résolution. Mais ce n'est pas au Pentagone de nous dicter le texte
de la résolution. En revanche, je suis tout prêt à discuter de ce
texte avec les Américains et vous-même.
Margaret Thatcher :
Je suis heureuse d'entendre cela. Je ne crois
pas que Saddam Hussein se retirera, c'est un dictateur. Il nous
faudra user de la force à bref délai, en raison des conditions
climatiques qui prévalent après février. La résolution doit être
adoptée ce mois-ci, avant que, le 1er décembre, la présidence du Conseil de Sécurité passe au
Yémen. Certains ne voudront pas utiliser le mot « force ». Si nous
devions utiliser la force, ce serait
pour la défense du droit international.
François Mitterrand :
Je verrais les ordres à donner à notre armée.
Pour le moment, sa mission est défensive : défendre l'Arabie
Saoudite et faire appliquer l'embargo. Nos troupes sont au nord,
près des troupes saoudiennes. Pour passer à une mission offensive,
il faudrait un constat de carence de Saddam Hussein et un texte des
Nations unies. Que le mot « force » figure dans le texte ne me gêne
pas.
Margaret Thatcher :
Moi non plus...
François Mitterrand,
souriant : Cela, je l'ai bien compris ! Ce
texte devrait avoir un impact psychologique sur Saddam Hussein. Je
ne sais pas quel texte pourra accepter Gorbatchev. Il m'a dit hier
qu'il souhaitait que soit poussée la recherche d'une solution
pacifique. Je lui ai dit oui, à condition que cette position
n'aboutisse pas à ne rien faire. Quant à la Chine, je ne pense pas
qu'elle mettra son veto.
Margaret Thatcher :
Je ne le pense pas non plus.
François Mitterrand :
Il faut être clair. L'effort essentiel sera
celui des États-Unis. Je l'ai dit à Bush : je n'ai pas l'intention
d'envoyer 100 000 soldats de plus. Nous avons en France des
difficultés à cause du Liban. Le Koweït ne nous intéresse pas, le
Liban nous intéresse. Et les Américains me diraient non si je leur
demandais d'amener leurs troupes au Liban.
Margaret Thatcher :
Ce n'est pas la même chose... Il faut stopper
Saddam Hussein dès maintenant. Je vais envoyer un peu plus de
troupes.
François Mitterrand :
Aviez-vous des accords de défense avec le
Koweït ?
Margaret Thatcher :
Non, mais nous étions la puissance «
protectrice » depuis 1961.
François Mitterrand :
Nous, nous n'avons
aucun accord. Le Koweït ne nous achetait même pas nos avions ! Nous
sommes donc très libres. Et je n'ai pas l'entention de faire tuer
des soldats français seulement pour rendre son trône à l'Émir
Jaber. Je reviens à la résolution de l'ONU : je veux distinguer l'«
autorisation » d'utiliser la force, donnée par les Nations unies,
de la « décision » de l'utiliser, qui dépend de nous. Il ne doit
pas y avoir passage automatique de l'une à l'autre. Je veux être
consulté. J'ai besoin de l'accord du Parlement si l'on se lance
dans une guerre.
Margaret Thatcher :
Les États-Unis nous consulteront sans doute,
mais il faudra garder le secret.
François Mitterrand :
Oui, mais il y a là deux décisions
différentes.
Margaret Thatcher:
Nous n'avons pas à aller devant le Parlement!
Ce n'est pas une déclaration de guerre, mais une action au titre
du chapitre VII de la Charte de l'ONU, article 51. C'est donc de la
légitime défense.
François Mitterrand,
souriant : C'est une interprétation juridique
qui ne séduirait sans doute pas le Parlement français !... Je
voudrais votre opinion sur la capacité de résistance de Saddam
Hussein, que je ne crois pas si forte.
Margaret Thatcher :
Turgut Ozal et Shimon Pérès m'ont dit que ce
ne sont pas de bons soldats, qu'ils fuiront, sauf la garde
présidentielle.
François Mitterrand :
Je n'arrive pas à croire les spécialistes qui
disent qu'ilfaudrait des mois pour en venir à bout.
Margaret Thatcher :
Peut-être trois mois.
François Mitterrand :
Moubarak dit six heures.
Margaret Thatcher :
C'est un homme... effervescent ! Nous devons
compter huit semaines, et il y aura des bavures. Pour l'invasion de
l'Iran, on avait dit aussi que cela ne prendrait que cinq jours
!
François Mitterrand :
En fait, les forces étaient égales. Je crois
que le matériel irakien est très usé.
Margaret Thatcher :
Oui. On dit que la maintenance n'est pas
bonne. Leur armée n'est pas la nôtre. Mais ils se sont bien
retranchés au Koweït Il y a des mines chimiques. Ce sera une grosse
affaire. Et il n'y a qu'une seule voie d'accès et de
retraite...
Elle repart pour Londres, donnant le sentiment
que, demain, tout se passera bien. Il y a cependant en elle comme
une fêlure : celle dont souffrent parfois les victimes de
trahison.
Les Américains nous laissent entendre qu'ils
recherchent un contact direct avec Saddam. Curieux : Bush n'en a
pas soufflé mot à François Mitterrand.
Margaret Thatcher avait raison et François
Mitterrand avait tort : l'autorisation du Parlement, même en
France, n'est pas nécessaire pour une opération militaire au sens
du chapitre VII de la charte de l'ONU. Ce n'est pas une déclaration
de guerre.
Mercredi 21 novembre
1990
La charte de Paris pour une nouvelle Europe est
signée. Yalta, c'est terminé, déclare
François Mitterrand.
George Bush est à Djedda pour vingt-quatre heures
afin de soutenir ses troupes à l'occasion du Thanksgiving Day.
Une étude du Conseil national des villes, que
préside Michel Rocard, établit que les « casseurs » du 12 novembre
dernier sont tous des exclus du système scolaire. Voilà l'essentiel
: en France, l'intégration ne passe que par l'école. Hors de
l'école, l'exclusion est quasi irréversible.
Petit déjeuner entre François Mitterrand et Helmut
Kohl. Le Président confie au Chancelier
sa colère contre la presse, qui, du Sommet de la CSCE n'a
retenu que les embouteillages.
Helmut Kohl :
C'est toujours comme cela. Mais cela n'a
aucune importance. Pour un Président qui n'a plus besoin d'être
élu, c'est vraiment sans importance !
François Mitterrand :
Oui, mais la presse est un pouvoir sans
conscience, sans règles, qui n'a rien de démocratique, sauf qu'il
est nécessaire à la démocratie. Le pouvoir de l'information est
totalement maître de lui-même. Mais si l'on dit cela en public, on
est traité de mauvais démocrate !
Helmut Kohl :
Au XXIe siècle, on trouvera
une solution...
François Mitterrand :
En France, dans une réunion, quand j'apprends
que « la presse est là », je pense à part moi : « Hou-hou... » Mais
après, publiquement, je dis comme nous le disons tous : «
Protégeons la presse ! »
On passe au Golfe :
Helmut Kohl :
Si Saddam Hussein relâche tous les otages sauf
les Américains, ce sera la guerre.
François Mitterrand :
J'en avais parlé avec le Roi de Jordanie, en
septembre. Je lui avais dit : si Saddam Hussein relâche tous les
otages avec un beau discours humanitaire — il en est capable —, il sera
impossible aux Occidentaux de faire la guerre.
Helmut Kohl:
Saddam Hussein a-t-il cru le Roi ? Seriez-vous
d'accord pour que je lui fasse passer un message : « François
Mitterrand pense que vous devez libérer les otages » ?
François Mitterrand
: Non. Je ne veux pas envoyer de message ni
direct, ni indirect, car la France est dans une situation délicate
à cause de notre appui et de nos ventes d'armes passées à l'Irak.
Je ne veux pas que l'on pense que la France joue un double jeu. Et
il n'est pas possible de garder les messages secrets. Mais il
semble que les États-Unis, après le vote d'une résolution nouvelle,
commencent à penser eux-mêmes à un contact direct avec l'Irak. Bush
ne me l'a pas dit, mais ses collaborateurs l'ont donné à penser
hier soir aux miens.
Helmut Kohl : D'accord avec vous. Mais il faudrait qu'il y ait
beaucoup de messages envoyés à Saddam Hussein dans le même sens : «
Si vous gardez les otages, vous risquez la guerre. »
François Mitterrand :
Sa décision de libérer les otages par «
paquets » est tellement habile qu'elle en est naïve.
Helmut Kohl : Il se trompe sur Bush. Bush ne reculera pas. Encore
moins que Reagan. Il ne veut pas d'un nouveau Vietnam, mais, s'il
s'agit de l'honneur américain...
François Mitterrand :
L'estimation de la durée de la guerre est très
difficile. Moubarak m'a dit que ce serait réglé en six
heures.
Helmut Kohl : Les pronostics égyptiens ne sont pas souvent
exacts...
François Mitterrand
: Shimon Pérès, lui, parle de vingt-quatre
heures !
Helmut Kohl :
On se pose une question en Allemagne : ne
peut-on à la fois gagner des batailles et perdre la guerre
?
François Mitterrand
: Mme Thatcher m'a dit qu'il faudra deux
semaines. Les experts disent des mois. S'il s'agit de ne parler que
de la guerre, et non de ses conséquences, l'Irak est moins fort
qu'on ne le dit.
Helmut Kohl :
Oui, mais ensuite ? Qui va occuper le pays ?
Que se passera-t-il avec la région ? avec Israël ?
Conseil des ministres : Michel Durafour annonce
une hausse de 1,3 % du traitement des fonctionnaires, ce qui est
jugé insuffisant par les organisations syndicales. Le Président interroge : Il y a
peut-être des avis divergents ? Ce n'est pas que je les
sollicite... Non, décidément, il n'y en a pas.
Après la communication de politique
internationale, le Président :
Il est dommage que la réunion de la CSCE n'ait
pas été mieux et davantage commentée dans la presse française, qui
en a surtout retenu les embouteillages. C'est pourtant un spectacle
auquel on n'avait jamais assisté sur le continent, dans notre
histoire. Aucune comparaison n'est possible avec les grands congrès
qui se sont tenus par le passé. Car, cette fois, il ne s'agissait
pas, pour des vainqueurs, de sanctionner une défaite. Je suis
heureux que Yalta se soit achevé à
Paris par consentement général.
Puis il revient sur la politique intérieure :
Le gouvernement et le Premier ministre ont
très bien passé le cap de la censure. J'avais dit au Premier
ministre que je n'avais aucune inquiétude et même, par une sorte de
prescience, je lui avais annoncé à l'avance le score du vote. Ce
qui prouve bien, comme le dit la presse, que je tire toutes les
ficelles !... De toute manière, l'opposition est hors d'état
d'assumer des responsabilités. Le vote de l'Assemblée nationale
correspond certainement au désir profond du pays. Certes, la
majorité n'est que relative ; mais une majorité relative forte vaut
mieux qu'une majorité absolue faible. Le gouvernement reste et doit
poursuivre sa tâche avec confiance. L'essentiel est de travailler
pendant le temps qui vous est accordé par la confiance du
Parlement. Alors, continuons.
A l'oreille, Jean-Louis Bianco me fait remarquer
que le Président n'a pas dit qu'il accordait sa confiance, lui, au
gouvernement.
A propos d'une communication de Paul Quilés sur
notre industrie spatiale, le Président
parle de sa réussite et des quelques échecs d'Ariane : C'est une remarquable continuité. Car, finalement, Ariane
n'a connu de difficultés notables qu'en présence des Présidents de
la République. Le Président Giscard d'Estaing s'était fait projeter
Ariane sur grand écran, et ce fut un échec. J'y suis allé avec M.
Curien, et notre présence a fait tomber la fusée !
Débat électrique à l'Assemblée nationale sur le
projet de statut de la Corse.
Jeudi 22 novembre
1990
Après onze années de présence ininterrompue aux
affaires, Margaret Thatcher se retire de la compétition pour
l'élection de chef du Parti conservateur et démissionne en même
temps de son poste de Premier ministre. Son dernier acte consiste à
envoyer 14 000 soldats supplémentaires dans le Golfe. François Mitterrand : Elle
n'aurait pas dû venir à Paris. Si elle était restée à Londres, elle
aurait certainement gagné assez de députés à sa cause. Mais, si
elle est venue, c'est peut-être qu'elle voulait perdre, d'une
certaine façon, avec panache.
George Bush rencontre Hosni Moubarak au
Caire.
Les Britanniques confirment l'envoi de 14 000
hommes supplémentaires dans le Golfe. Au total, ils y ont 30 000
soldats : une brigade d'infanterie blindée, un bataillon
d'infanterie avec des véhicules de combat Warrior et des troupes de
soutien, des chasseurs bombardiers et deux chasseurs de
mines.
Le Yémen, membre du Conseil de Sécurité, est
hostile à la présence des forces étrangères dans le Golfe et ne
peut soutenir la stratégie américaine, déclare son président à
James Baker.
Vendredi 23 novembre
1990
Suite du débat sur la Corse à l'Assemblée.
Jean-Pierre Chevènement est de plus en plus
réservé sur notre politique dans le Golfe. Il persiste à penser que
tout cela n'est qu'une provocation américaine et qu'on ne laisse
pas Saddam trouver une porte de sortie en le plaçant devant des
ultimatums toujours plus inacceptables.
L'Irak commence à rappeler ses réservistes. Le
couvre-feu sur le Koweït est levé.
Nouvel appel chinois et soviétique à l'Irak pour
qu'il se retire du Koweït le plus tôt
possible.
George Bush rencontre à Genève Hafez El Assad : un
tête-à-tête complet et franc de trois
heures.
Les États-Unis demandent à leurs alliés de l'OTAN
de mettre à leur disposition navires et avions pour transporter
vers le Golfe leurs nouveaux renforts en hommes et en
matériels.
Samedi 24 novembre
1990
François Léotard
abandonne la présidence du Parti républicain à Gérard Longuet pour
acquérir une dimension nouvelle, dit-on, loin de la politique
politicienne. Il fixe un calendrier pour l'opposition :
contrat de législature en 1991, formation
commune en 1992, victoire en 1993.
Lundi 26 novembre
1990
La discussion sur la résolution de l'ONU se
poursuit. James Baker transmet à Roland Dumas un nouveau projet de
texte autorisant une action militaire contre l'Irak — sans nouvelle
décision du Conseil — si ce pays n'a pas appliqué pleinement les résolutions déjà votées. Le
projet se réfère au chapitre VII de la Charte, sans mentionner
aucun article ni a fortiori aucun
mécanisme de contrôle. Il fixe l'expiration d'un ultimatum au 15
janvier 1991. Mais il n'y aura pas automatisme du déclenchement des
hostilités à cette date. Il appartiendra alors aux États coalisés
de prendre les initiatives nécessaires, dit le texte.
La Libye demande au secrétaire général de l'ONU et
au président du Conseil de Sécurité la tenue d'une réunion
extraordinaire du Conseil sur le Golfe.
Tarek Aziz rencontre Mikhaïl Gorbatchev à Moscou.
Il établit avec Chevardnadze un calendrier pour le rapatriement des
3 300 Soviétiques restants.
Mardi 27 novembre
1990
Toujours pas de conclusion des pourparlers à New
York. L'URSS est maintenant ralliée au texte. Il faut en finir
avant la fin du mois. Les Américains souhaitent que ce texte soit
parrainé par les Cinq. La Chine refuse. François Mitterrand se dit
prêt à accepter, à condition qu'une démarche soit faite auprès de
Saddam avant l'expiration de l'ultimatum.
C'est John Major qui succède à Margaret
Thatcher.
François Mitterrand :
Pourquoi Heseltine a-t-il perdu ? Il voulait
mettre en pièces l'héritage. La trahison n'a pas payé. Elle a
emporté sa dernière victoire. Mais Major sera peut-être pire que
les autres sur ce terrain. Je ne suis pas sûr que cela soit un bien
pour l'Europe... Elle, c'était un adversaire, mais elle avait au
moins une vision. Je m'entendais finalement très bien avec
elle.
État d'urgence au Bangladesh après des
manifestations contre le Président Ershad. Comment acheminer vers
la démocratie le pays le plus pauvre, le plus dense, le plus inondé
de la planète ?
L'Italie rejoint le groupe de Schengen.
Mercredi 28 novembre
1990
La Chine ne mettra pas son veto à la résolution
examinée demain au Conseil de Sécurité, mais sans pour autant voter
en sa faveur, nous fait savoir Qian Qichen.
Au Conseil des ministres, Roland Dumas évoque la
résolution de l'ONU en cours de discussion. Il explique que, malgré
la date limite proposée pour le 15 janvier, il n'y aurait pas
déclenchement automatique d'un conflit à cette date.
Jean-Pierre Chevènement
: Dans la coalition des nations, il existe des
membres dont le but n'est pas la libération du Koweït Selon eux, ce
serait un « scénario-catastrophe » si Saddam Hussein acceptait de
libérer le Koweït. Je suis sceptique quand Roland Dumas dit qu'il
n'y a pas d'automatisme, alors que l'on fixe un ultimatum au 15
janvier. Je vois mal comment l'initiative pourrait être autre que
celle du pays qui a 400 000 hommes sur le terrain, c'est-à-dire les
États-Unis. Je vois mal comment la France échapperait à
l'engrenage. Si, comme je le pense, il y a une certaine flexibilité
irakienne, comment pourrions-nous l'utiliser dès lors que nous
serions liés par une résolution aussi contraignante ?
Le Président, extrêmement fâché, redonne la parole
d'un geste à Roland Dumas.
Roland Dumas
: Il n'y a pas d'automatisme dans la mise en
œuvre de cette résolution, au moins pour ce qui concerne la France,
puisque cela a été dit par le Président de la République. D'autre
part, le texte même précise qu'il appartient aux États membres de
prendre les initiatives nécessaires. Ce qui n'est pas du tout la
même chose qu'une action de guerre décidée et pilotée par le
Conseil de Sécurité. Quant à la « flexibilité » de l'Irak, je ne la
vois pas apparaître. A mon avis, si elle apparaît, ce sera
seulement parce que nous serons fermes, et jusqu'à la dernière
minute.
Le Président approuve d'un geste.
Michel Rocard intervient
alors... pour commenter sa rencontre avec Martelli, vice-président
italien, sur un tout autre sujet : Il m'a
proposé quelque chose de très intéressant : que l'Italie,
l'Espagne, la France engagent une coopération à vocation structurante et géopolitique... L'Italie
est aussi favorable à l'Europe sociale...
Agacé, le Président lui répond d'en revenir à la
guerre du Golfe : J'ai moi aussi constaté la bonne
volonté italienne. L'Italie est très
européenne, sauf quand il s'agit de prendre
une décision. Quand j'ai parlé de l'Europe sociale en 1981, j'ai
été accueilli par des lazzis. Les Italiens s'opposent rarement
directement à la Grande-Bretagne et aux États-Unis ; ils espèrent
toujours se débrouiller pour passer entre les récifs. Mais enfin,
s'ils sont dans de bonnes dispositions, tant mieux
!...
Quant à la résolution du
Conseil de Sécurité, il est bien clair que c'est la seule voie
possible. Il y a une épreuve de force psychologique, en raison
de l'intelligence tactique de Saddam Hussein qui profite du
moindre interstice entre les Occidentaux. On
ne peut malheureusement pas espérer parvenir à la paix simplement
par les vertus — ignorées à
Bagdad — du Saint-Esprit ! Il faut se
préparer à des échéances difficiles. Notre logique n'est pas une
logique de guerre. Mais si l'Irak ne se prête pas à une logique de
paix, ce sera la guerre. Il n'y a aucune illusion à se faire
là-dessus. Bien peu s'en font, y compris moi. Ce texte représente
la dernière chance, l'ultime pression. Ne pas le faire, ce serait
donner raison à Saddam Hussein. Je n'imagine pas la France se
désolidarisant de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'URSS.
Les intentions sont-elles pures ? Là, je réponds à M. le ministre
de la Défense : non ! Elles sont mélangées. Mais nous, nous n'avons
pas envoyé 400 000 hommes. Notre posture continue à être défensive.
Ce qui est vrai, c'est que la plupart des États arabes de la
région, tout comme Israël et la Grande-Bretagne —
du moins Mme Thatcher —, ont des objectifs qui dépassent la simple exécution des
décisions de l'ONU et qui sont la destruction de Saddam Hussein, de
l'Irak, de sa capacité nucléaire et chimique. On ne peut pas dire
que ce raisonnement soit complètement fou. Mais chaque chose en son
temps : on ne peut tout traiter à la fois. Nous avons des relations
amicales avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'URSS, ce qui
ne nous empêche pas d'avoir des divergences avec eux sur leur
politique intérieure ou extérieure. Mais il y a un moment où il
faut dire oui ou non. On ne peut pas rester dans la grisaille, sauf
à renoncer au rôle de notre pays, reconnu à la naissance de l'ONU.
J'ai longuement parlé avec M. Gorbatchev pour donner un maximum de
délié à un projet de texte de résolution qui était par trop
brutal.
Je n'aime pas cette
situation. Mais qui l'aime ? Je ne peux pas me réfugier dans
l'abstention. Je prends mes responsabilités devant l'opinion. Cela
sera jugé négativement par une large fraction. L'argument que j'ai
entendu depuis le mois d'août, selon lequel la France, s'opposant à
Saddam, se brouillerait avec le monde arabe, s'est révélé faux. Je
sais bien que cela peut changer ; mais, jusqu'ici, ces relations se
sont plutôt amédiorées : l'OLP ne nous lâche plus, le Yémen
m'invite en visite d'État. Ce que j'ai dit à l'ONU aurait dû
permettre — devrait permettre — à Saddam Hussein d'annoncer des
décisions. Il n'y a donc pas un ultimatum sans discussion possible
; une main reste tendue. Si Saddam Hussein libérait les otages et
annonçait qu'il était prêt à quitter le Koweït, on ne ferait pas la
guerre pour l'Émir ou pour je ne sais quelle étendue de terre
marécageuse. La France ne peut pas se trouver dans le camp de ceux
qu'elle dénonce en se séparant de ceux qu'elle approuve. Peut-être
bien que la mission de nos troupes changera, qu'elle deviendra,
avec l'accord du gouvernement, offensive. C'est probable, ou du
moins c'est possible. Je veux d'abord voir ce qui va se passer
après le vote de la résolution à New York. En tout cas, je ne m'y
refuse pas. Il faudra que le gouvernement prenne sa responsabilité,
ainsi que les ministres qui le composent. Voilà le schéma auquel je
n'entends rien changer.
François Mitterrand reçoit un envoyé du Roi Fahd
qui vient lui dire : Le Gardien des Lieux
saints [c'est ainsi qu'il appelle le souverain] m'a demandé de vous voir pour vous parler de nos relations
bilatérales. Il souhaiterait améliorer les relations et la
coopération entre nos deux pays. Le Gardien des Lieux saints relève
un certain déséquilibre dans nos échanges. Il y a des rencontres
entre hommes d'affaires, certes. Mais nous avons l'idée d'une
coopération plus profonde, resserrant nos liens sur une base plus
équilibrée. Nous découvrons de nouveaux champs pétroliers, l'ARAMCO
en surveillera la prospection. Nous vous proposons une coopération
en matière d'exploitation des champs déjà prospectés. Il pourrait y
avoir une garantie d'enlèvements à long terme. Et peut-être aussi
de commercialisation commune.
François Mitterrand :
Je vous remercie. Je crois qu'Elf discute déjà
avec l'ARAMCO.
Il y a six mois, François Mitterrand avait demandé
au gouvernement de préparer une nouvelle législation renforçant les
sanctions contre le « pantouflage » des hauts fonctionnaires. Il y
a un mois, le Président a enjoint au gouvernement de publier enfin
les décrets d'application d'une loi votée à ce sujet en... 1946 !
Aucune de ces deux consignes n'a été suivie du moindre commencement
d'exécution. L'État a le plus grand mal à faire respecter les
textes..., surtout quand il charge de leur rédaction les premiers
intéressés eux-mêmes !
Jeudi 29 novembre
1990
Le Conseil de Sécurité condamne, à travers la
résolution 677, la destruction par l'Irak des actes d'état-civil au
Koweït.
A l'ONU, juste avant la fin du mois, vote de la
résolution 678 autorisant le recours à la force contre l'Irak après
le 15 janvier 1991 si ce pays n'a pas évacué le Koweït d'ici
là.
Ce soir, dîner des cinq ministres des Affaires
étrangères à New York. On évoque l'idée d'un contact pris au nom
des cinq avec Bagdad. On parle même d'un sommet des cinq
Présidents. James Baker reste silencieux.
Vendredi 30 novembre
1990
Les États-Unis, nous fait savoir le Pentagone,
commenceront l'envoi au Moyen-Orient de 300 avions supplémentaires
la semaine prochaine, dont un escadron d'une vingtaine de
bombardiers FI 17.
L'Irak rejette l'ultimatum de l'ONU.
Surprise : George Bush invite le ministre irakien
des Affaires étrangères, Tarek Aziz, à Washington et propose
d'envoyer à Bagdad son secrétaire d'État, James Baker.
François Mitterrand est furieux : lors du dîner
des Cinq, hier à New York, Baker n'en a rien dit à Dumas ni à ses
autres collègues. En fait, les Américains ne veulent pas, d'ici au
15 janvier, que leur politique dépende d'un contact des Cinq avec
Bagdad. Ils souhaitent tout garder sous leur contrôle. On les
comprend.
Samedi 1er décembre 1990
Bagdad accepte le principe d'une discussion avec
les Américains, mais dit vouloir discuter en même temps d'autres
questions, notamment du problème palestinien.
Convention nationale du PS. Malaise entre le PS,
l'Élysée et Matignon. Manifeste signé par douze jeunes députés
(Balligand, Belorgey, Bredin, Hollande, Le Déaut, Le Drian,
Poignant, Royal, Worms) sur « la démocratie en danger » (discrédit
des politiques, déclin du Président, « américanisation » sociale).
Mauroy est furieusement contre, Fabius est pour. François
Mitterrand est choqué par ce qu'il analyse comme une attaque de
Jacques Delors contre lui.
Au bout de trois ans de travaux, les ouvriers
anglais et français se rejoignent dans le tunnel sous la Manche.
Madame Thatcher n'est plus là pour célébrer le triomphe de sa
vision et de son entêtement.
Saddam Hussein propose à la France de participer à
un dialogue global sur la région.
L'ambassadeur du Yémen à l'ONU présente un plan de
paix élaboré par son gouvernement : garantir à l'Irak qu'il ne sera
pas attaqué ; lever les sanctions économiques contre l'Irak ;
retirer les troupes étrangères ; une force de maintien de paix
contrôlera temporairement le Koweït évacué par l'Irak ; entamer des
négociations au sujet des plaintes de l'Irak contre le Koweït ;
œuvrer pour le règlement du conflit israélo-palestinien.
Ce plan a évidemment été négocié à l'avance par
les Yéménites avec Bagdad.
Depuis Vilnius, les trois parlementaires des trois
républiques baltes, réunis en session parlementaire conjointe,
demandent aux parlementaires du monde entier d'« user de leur
influence » sur le Kremlin afin que celui-ci engage des «
négociations interétatiques » sur la question de l'indépendance
balte.
Le Président Ershad du Bangladesh démissionne
après huit ans de pouvoir.
Lundi 3 décembre
1990
Il faut préparer le prochain Conseil européen en
Italie. L'enjeu est clair : va-t-il se borner à photographier la
situation et donner les pleins pouvoirs à la Conférence
intergouvernementale, ou bien va-t-il définir une sorte de mandat
assorti d'orientations générales ? Thèmes sur lesquels la France
insiste : la réforme du rôle du Conseil européen, la création d'un
lien institutionnel entre le Parlement européen et les parlements
nationaux. Questions gênantes pour la France : le droit de
codécision du Parlement européen, la création d'un organe
représentant les régions, l'inclusion des questions budgétaires
dans la négociation.
La République de Russie autorise la propriété
privée de la terre.
En Turquie, démission inattendue du chef des
forces armées, le général Toruntay, à propos du rôle d'Ankara en
cas de conflit dans le Golfe. L'armée irakienne et l'armée turque
ont gardé des liens qui remontent à l'Empire ottoman, et les
militaires turcs répugnent à affronter d'autres généraux sunnites
et laïcs.
Mardi 4 décembre
1990
Idriss Déby, qui a renversé le 1er décembre Hissène Habré, est nommé chef de l'État
du Tchad. Habré a trouvé refuge au Sénégal.
Helmut Kohl propose une initiative
franco-allemande, avant le Sommet européen, allant dans le sens
d'une politique étrangère commune.
Le Soviet suprême approuve le plan de
concentration des pouvoirs que lui soumet Gorbatchev.
A Lyon, François Mitterrand ouvre les assises
nationales de Banlieues 89. Il annonce la création d'un ministère
d'État chargé de la Ville, et un plan de cinq ans pour les
quartiers défavorisés.
Mercredi 5 décembre 1990
Au Conseil des ministres, le
Président s'exprime sur la politique de la Ville :
Nous engageons une nouvelle phase dans notre
politique pour la Ville. Le Premier ministre et moi-même avons
coordonné entre nous nos interventions à Bron. Souhaitons que tout
cela soit suivi activement.
Rocard annonce la péréquation des recettes entre
communes aisées et pauvres.
François Mitterrand et Helmut Kohl écrivent au
président du Conseil européen, Giulio Andreotti, pour définir une
position commune sur l'Union politique : élargissement des
compétences, légitimité démocratique (citoyenneté européenne,
pouvoirs du Parlement), élargissement du rôle du Conseil et vote à
la majorité qualifiée, politique étrangère et de sécurité commune
en relation organique avec l'UEO. Les décisions seraient prises à
l'unanimité, et leurs modalités d'application à la majorité.
Jeudi 6 décembre
1990
Bagdad annonce la libération de tous les étrangers
encore détenus en Irak ou au Koweït avant le 15 janvier.
François Mitterrand : Dans ce cas, la
guerre n'aura peut-être plus
lieu.
Michel Noir et Michèle Barzach démissionnent du
RPR et du Parlement. La France est
malade, déclare Michel Noir. La
presse déplore l'échec de la démocratisation d'un parti qui accepte
mal la contestation.
François Mitterrand ne
se fait plus aucune illusion sur les chances de la gauche. Il
confie : Les législatives de 1993 sont déjà
perdues. Il faut pourtant éviter le désastre. Je suis contraint de
garder un Premier ministre que j'ai cru pouvoir renvoyer et qui
conduit inévitablement la gauche à l'échec.
Vendredi 7 décembre
1990
Suspension de la négociation du GATT par suite du
désaccord sur les questions agricoles entre les États-Unis et la
CEE.
Le Président décide un renforcement du dispositif
militaire français dans le Golfe. 9 500 soldats français au total
se trouveront en Arabie Saoudite avant le 11 janvier.
Le Conseil de Sécurité de l'ONU examine un projet
de résolution condamnant les traitements infligés par Israël aux
Palestiniens et proposant la tenue d'une Conférence internationale
pour la paix au Proche-Orient. Ce projet a été présenté par les
non-alignés et la Malaisie.
L'Iran annonce qu'il ne participera à aucune
guerre contre l'Irak ni contre aucun autre pays de la région.
Washington demande aux membres de l'OTAN d'envoyer
des unités lourdes supplémentaires dans le Golfe, avions et
navires.
Le prix du pétrole descend à 26 dollars le baril,
plus bas niveau atteint depuis le début de la crise.
Les diplomates américains au Koweït seront
rappelés dès que les otages américains seront libérés, nous fait
savoir la Maison Blanche. L'Irak a toujours exigé la fermeture des
ambassades au Koweït.
Tarek Aziz déclare à ABC que les Américains ont
proposé les dates du 20 décembre pour sa rencontre avec Bush à
Washington, et du 3 janvier pour les entretiens Baker-Hussein à
Bagdad. Les Irakiens avaient suggéré la date du 17 décembre pour la
visite de Tarek Aziz à Washington et du 12 janvier pour celle de
James Baker à Bagdad.
Samedi 8 décembre
1990
En réponse à la proposition américaine, Saddam
Hussein suggère de recevoir James Baker à Bagdad... le 12 janvier.
C'est bien tard ! James Baker rejette cette date et dénonce une
manœuvre visant à brouiller la date limite du 15 janvier. Il
déclare qu'après le retrait de l'envahisseur, l'Irak et le Koweït
pourraient négocier directement leur différend, notamment sur la
cession du gisement de Roumalak et les deux îles koweïtiennes de
Warbanx Boubiyane. Il exige que cette rencontre ait lieu le 3
janvier au plus tard. Saddam refuse.
L'ambassadeur soviétique à l'ONU conforte les
Américains en demandant le report du vote sur le texte des
non-alignés.
Les États-Unis menacent d'user de leur droit de
veto si ceux-ci ne modifient pas certains points de leur projet de
résolution relatifs à la tenue d'une Conférence internationale sur
la paix au Proche-Orient à savoir principalement :
1 le point
attribuant au secrétaire général de l'ONU le rôle de suivre et
d'observer la situation dans les Territoires occupés et d'informer
régulièrement le Conseil de Sécurité de l'évolution de la situation
en Israël, est interprété par Washington comme une ingérence dans
les affaires intérieures de ce pays qui se considère comme seul
responsable de la sécurité dans les Territoires occupés ;
2 le point
considérant que la tenue, à un moment approprié, de la Conférence
internationale, dotée d'une structure appropriée, à laquelle
participeraient toutes les parties concernées, faciliterait un
règlement et l'instauration d'une paix durable est, pour
Washington, sans lien avec la crise du Golfe.
Pour les Américains, ces points, pour qu'ils les
acceptent, doivent être placés en annexe, en précisant qu'il n'y a
aucun lien entre la crise du Golfe et les Territoires occupés, et
que le moment approprié de la Conférence internationale n'est pas
encore arrivé.
La Chine et l'URSS sont favorables au texte, comme
la France.
Dimanche 9 décembre
1990
Un pont aérien est mis en place pour l'évacuation
des otages restants. Leur rapatriement se fait à bord d'avions
irakiens, selon l'exigence de Saddam Hussein.
Élections en Pologne ; taux d'abstention : 47 %.
Lech Walesa est élu avec 75 % des voix.
Lundi 10 décembre
1990
Les réactions à l'initiative européenne prise par
la France et l'Allemagne sont « très positives ». Les (rares)
critiques portent sur la proposition de renforcement des pouvoirs
du Conseil européen (elles émanent des membres de la Commission) et
sur le projet de défense européenne (la Grande-Bretagne).
Les Soviétiques obtiennent pour la seconde fois le
report du vote sur la résolution des non-alignés jusqu'au 12. La
position américaine est toujours la même : déconnexion du Golfe et
des Territoires occupés.
L'évacuation des otages se poursuit.
Le ministre irakien de l'Information, Nassif
Jassen, dément les rumeurs d'un retrait par l'Irak de la majeure
partie du Koweït : le Koweït est le
19e
gouvernorat de l'Irak. Il fait historiquement
partie du territoire irakien et le demeurera à
l'avenir.
Les neuf pays membres de l'UEO exhortent Saddam
Hussein à saisir la dernière chance de se retirer du Koweït.
Bagdad accuse Washington de chercher à provoquer
par l'embargo la mort lente des 19 millions d'Irakiens.
Renforcement du dispositif Daguet : envoi de 18 à
24 pièces tractées d'artillerie et d'éléments du génie ; 800 hommes
supplémentaires s'ajoutent aux 6 250 déjà sur place. Envoi
ultérieur prévu de chars AMX 30 B2 et d'avions de combat (Mirage et
Jaguar). On atteindra alors les 9 800 soldats.
François Mitterrand reçoit le dirigeant
nicaraguayen Daniel Ortega, qui rentre de Bagdad où il a longuement
vu Saddam Hussein.
Daniel Ortega
: Nous avons parlé avec lui de la question des
otages. Nous avons eu plusieurs entretiens. Les Irakiens ont avancé
l'idée de créer un groupe de contact : Willy Brandt, Rajiv Gandhi,
Yasuhiro Nakasone, Nelson Mandela et moi. Ils auraient voulu y
inclure également Arafat, mais on a fait remarquer qu'il valait
mieux n'y mettre personne de la région. Il faut des gens du Nord et
du Sud dans ce groupe de contact, et il serait important d'y avoir
aussi un dirigeant français. Saddam Hussein est très impressionné
par la position française, par celle de Brandt et celle de
Nakasone. J'ai vu ensuite Rajiv Gandhi. On a progressé sur
certaines idées. Puis je suis à nouveau retourné à Bagdad du 29
novembre au 2 décembre. J'ai également parlé avec le Roi Hussein et
avec Arafat. Il est urgent que ce groupe de contact se concrétise.
Le retrait progressif et total de l'Irak du Koweit est le point de
départ. Il faudrait fixer une date pour un retrait effectif. L'Irak
ne peut formuler cette proposition, mais notre groupe pourrait le
faire, de même que d'autres propositions comme la conférence
internationale, la destruction massive des armements, la protection
des Palestiniens. Tout un processus pourrait alors être mis en
œuvre. En ce qui concerne la question territoriale, elle devrait
être discutée dans un cadre bilatéral. Les Irakiens sont réceptifs
à ce genre d'idées, mais l'initiative ne peut venir d'eux-mêmes. On
a ensuite parlé avec Willy Brandt : il est d'accord. Saddam Hussein
et Tarek Aziz ont dit qu'il est important de parler avec vous.
Tarek Aziz souhaiterait passer par Paris à son retour de
Washington.
François Mitterrand :
C'est tout à fait acceptable. La France peut
apporter un élément utile. On sera obligé de revenir au plan que
j'ai proposé aux Nations unies. Les otages, c'est fait. A partir de
là, on peut discuter de tout. Il faudra aussi un plan de
désarmement, comme on l'a fait en Europe. Il faudra une conférence
internationale. Bien sûr, cela suppose l'évacuation du Koweït par
l'Irak. Il faut en profiter pour traiter des problèmes non réglés
depuis des années : Israël, Palestine, Liban, etc. Cela peut durer
des années. Seulement, Saddam Hussein n'a pas bougé sur la question
du Koweït. N'est-ce pas ?
Daniel Ortega :
Il n'a rien dit.
François Mitterrand :
S'il ne dit rien avant le 15 janvier, il sera
écrasé. Naturellement, il faut lui permettre de sauver la face. Il
peut y avoir quelques concessions, mais il ne peut y en avoir à
l'avance. Il est important qu'il y ait des gens comme vous, comme
moi, qui proposent. Nous, nous n'avons pas de problèmes
d'amour-propre.
Daniel Ortega :
Le projet de rencontre de Tarek Aziz avec
George Bush, et de James Baker avec Saddam Hussein, suscite une
polémique, car les Américains veulent obliger les Irakiens à
accepter leurs dates pour ces rencontres.
François Mitterrand :
Oui, mais le 12 janvier, comme le propose
Saddam, c'est trop tard ! Saddam Hussein a tort de proposer une
date aussi tardive, car entre le 12 et le 15, on n'aura plus le
temps de trouver un compromis.
Daniel Ortega:
Après la rencontre entre TarekAziz et Bush, on
pourrait se réunir en Allemagne ou en Norvège.
François Mitterrand :
Conseillez à Saddam Hussein de fixer une date
pour ces rencontres durant les premiers jours de janvier. Si Baker
dit non à tout le 12 janvier, ce peut être la guerre le 15. Saddam
Hussein d'un côté, Baker de l'autre ne sont pas les plus
conciliants.
En visite à Washington, Itzhak Shamir reçoit
l'assurance que les intérêts israéliens ne seront pas sacrifiés à
une négociation avec l'Irak.
Mardi 11 décembre
1990
George Bush annonce une série de mesures d'aide à
l'URSS (un milliard de dollars pour acheter du blé américain). En
fait, il s'agit d'un prêt permettant aux paysans américains
d'écouler leur production, rien de plus.
Chadli Bendjedid entame une tournée au
Proche-Orient pour tenter une médiation. Après Amman, il sera
demain à Bagdad. Il propose deux étapes pour aboutir à une solution
de la crise : 1) mettre en place une force arabe de paix au Koweït
dès le retrait des troupes irakiennes et obtenir de l'Irak une
garantie de non-agression contre l'Arabie Saoudite ; 2) règlement
définitif du conflit.
Mercredi 12 décembre
1990
Au Conseil des ministres, intervention de Louis
Mermaz, ministre de l'Agriculture, à propos des résultats du GATT.
L'ambassadeur du Pérou lui a dit : Cela fait
plaisir de voir la Communauté européenne résister enfin aux
États-Unis !
Le Président interroge Roland Dumas pour savoir où
on en est, aux Nations unies, dans les discussions sur le Golfe et
les autres problèmes de la région. Roland Dumas rappelle la
procédure concernant la résolution d'ensemble. Le Président insiste
pour qu'on continue à parler du règlement du problème
israélo-palestinien, ce qui ne veut évidemment pas dire qu'on
freine au sujet de l'échéance du 15 janvier : Il faudra sans doute des années pour y parvenir, mais le
principe de la Conférence internationale doit être posé. J'aurais
préféré des négociations directes, mais ça ne marchera pas. La
Conférence internationale permettra d'organiser entre les
Israéliens et les Palestiniens des conversations bilatérales qui
pourront se dérouler à l'abri des indiscrétions. Il faudra exprimer
clairement notre position et, si nécessaire, avec brutalité. On ne
peut pas être des alliés loyaux des Américains quand il s'agit du
Koweït et n'obtenir d'eux aucune réponse positive sur les autres
problèmes de la région.
Au sujet du RMI, le Président
: Il y a des différences trop sensibles
d'un département à l'autre dans le domaine de l'insertion. Il est
urgent de mobiliser les préfets, peut-être de publier un
palmarès.
Saddam Hussein nomme un nouveau ministre de la
Défense : le général Saadi To'ma Abbas remplace le général Abdel
Jalobar Chanchar, devenu ministre d'État chargé des Affaires
militaires. Nos services sont incapables de nous dire ce que cela
signifie.
Le vote sur la résolution des non-alignés traitant
de la question palestinienne est encore reporté, cette fois au 17
décembre. Les États-Unis refusent maintenant la mention de
Jérusalem dans le paragraphe sur les Territoires occupés. À
l'inverse, François Mitterrand décide que la France ne votera pas
ce projet de résolution si le passage sur la Conférence
internationale en est exclu.
Vendredi 14 décembre
1990
Conseil européen à Rome. Une fois de plus
porte-parole des Américains, les Néerlandais s'opposent à
l'établissement de tout lien, même chronologique, entre la crise du
Golfe et les autres problèmes du Moyen-Orient. Les Américains
obtiennent ainsi de contrôler la nouvelle rédaction d'un texte
communautaire qui leur avait déjà semblé inacceptable au Conseil
extraordinaire de novembre. Les Italiens préparent des textes
distincts qui n'apportent pas grand-chose de nouveau par rapport à
la doctrine connue de la Communauté. Nous soumettons quelques
amendements pour atténuer l'impression de « suivisme » par rapport
à la position américaine.
Le Conseil européen affirme la nécessité du
retrait irakien avant le 15 janvier. Il soutient le principe de la
convocation au moment approprié d'une Conférence internationale sur
le conflit israélo-palestinien, et demande à Israël d'appliquer les
résolutions 672 et 673 du Conseil de Sécurité.
En ce qui concerne la Conférence
intergouvernementale sur l'Union économique et monétaire préparée
par le rapport des gouverneurs de banques centrales, l'objectif est
d'arriver à la ratification d'un traité avant la fin de 1992.
François Mitterrand propose d'élargir les compétences du Conseil
européen ; il s'oppose à ce que le Parlement européen ratifie ce
traité. Il rappelle que, pour la France, le contenu de l'Union,
c'est : une politique étrangère et de sécurité commune, des
pouvoirs plus grands au Parlement européen, des institutions plus
efficaces (par exemple : une investiture plus formalisée des
membres de la Commission), une citoyenneté européenne (au contenu
encore imprécis : participation aux élections locales dans les pays
de la Communauté où l'on séjourne ?) pour tous les ressortissants
de la Communauté.
Le Conseil s'entend sur les montants d'aides à
l'URSS et aux autres pays de l'Europe de l'Est.
Aucun compromis n'est trouvé dans la querelle sur
le siège des institutions, la France souhaitant conserver à
Strasbourg le Parlement, qui lui, désire s'installer à
Bruxelles.
Clôture de la réunion de l'OPEP. Les délégations
irakienne et koweïtienne y ont participé assises côte à côte, sans
s'adresser la parole.
Samedi 15 décembre
1990
Contrordre : Bagdad annonce que Tarek Aziz n'ira
pas à Washington lundi 17 comme il l'avait proposé. Les États-Unis
n'ont reçu aucune notification officielle de cette
annulation.
A l'issue du Conseil européen, s'ouvrent les deux
Conférences intergouvernementales : l'une sur l'Union économique et
monétaire, l'autre sur l'Union politique. Deux représentants par
pays — un pour chaque conférence — se rencontreront chaque semaine.
Pour nous, ce sera Pierre de Boissieu, choisi par Roland Dumas,
pour l'Union politique, et Jean-Claude Trichet, choisi par Pierre
Bérégovoy, pour l'Union économique et monétaire.
Dimanche 16 décembre
1990
Le père Jean-Bertrand Aristide est élu Président
d'Haïti avec près de 68 % des suffrages.
Lundi 17 décembre
1990
Si la guerre éclate, toutes
les installations pétrolières et industrielles seront détruites
dans le Golfe, affirme l'ambassadeur d'Irak en France.
Chadli Bendjedid
considère qu'il existe des possibilités et des espoirs pour un
début de règlement de la crise du Golfe dans un cadre arabe. Il
affirme qu'il n'y a pas de lien organique entre la crise et la
question palestinienne : la crise du Golfe est
en premier lieu une affaire arabo-arabe, alors que la crise du
Proche-Orient, ou ce que l'on nomme la question palestinienne, est
une affaire entre les Arabes et Israël et ses alliés.
Nouveau rappel des réservistes irakiens.
Le général américain Schwarzkopf, commandant en
chef dans le Golfe, déclare qu'une guerre dans le Golfe pourrait
durer six mois et qu'il ne s'agira pas d'un combat facile. Les
services de renseignement américains estiment maintenant de 500 à
580 000 le nombre de soldats irakiens déployés au Koweït et dans la
région.
A Moscou, réunion du Congrès des députés du
peuple, qui refuse de débattre d'un « vote de défiance » contre
Mikhaïl Gorbatchev. Le Président propose un référendum sur le
traité de l'Union. Le Congrès lui accorde l'extension des pouvoirs
présidentiels. A-t-il gagné ?
Mardi 18 décembre
1990
La Communauté refuse la proposition irakienne d'un
dialogue indépendant de celui prévu entre Bagdad et
Washington.
Les experts soviétiques vont pouvoir quitter
Bagdad.
Le Japon décide d'accroître sa contribution
financière à l'effort de guerre de 300 millions de dollars.
Saddam Hussein exige à nouveau que la solution de
la question palestinienne constitue un préalable aux négociations
sur le Koweït. Dérisoire...
Nouvelle coopération Est/Ouest en Europe : les
ministres de trente et un États, réunis à Strasbourg, adoptent un
programme de sauvetage de la forêt en Europe.
XVIIe Congrès du PCF à
Saint-Ouen. Charles Fiterman et les « refondateurs » sont réélus au
Comité central. Mais ce symbole ne veut rien dire : aucune
contestation de la ligne du Parti n'est admise, aucune tentative de
renouvellement, aucune évolution de la pensée et des statuts du
Parti n'est examinée.
La négociation se poursuit à l'ONU autour d'une
résolution portant sur les problèmes d'ensemble du Moyen-Orient et
des Territoires occupés. Les Américains refusent toujours qu'on y
mentionne l'idée d'une conférence internationale.
Brent Scowcroft
: Nous prendrons une vaste initiative, mais
après la fin de cette histoire. Sinon, on va établir un lien avec
l'occupation du Koweït et Saddam s'en servira pour ergoter. Il n'en
est pas question.
Mercredi 19 décembre
1990
Nomination de Michel Delebarre au poste de
ministre de la Ville.
Au Conseil des ministres, après une communication
de Claude Evin au sujet de la réforme hospitalière :
Le Président
: M. Durieux a-t-il quelque chose à ajouter
?
Bruno Durieux :
Non, monsieur le Président.
Le Président
: Je note avec
plaisir que M. Durieux échappe à une règle fréquente qui consiste à
parler quand on n'a rien à dire !
Puis se réunit un Conseil restreint sur la crise
du Golfe, avant la conférence de presse que doit tenir le Président
dans la soirée :
François Mitterrand :
Nous avons besoin de faire le point sur les
événements qui se sont produits au cours des dernières semaines. Il
faut que l'opinion comprenne que l'on va bientôt buter sur la date
du 15 janvier. M. Dumas nous fera un bref rappel des faits. Après,
il faudra voir si, jusqu'au 15 janvier, on reste paralysé, le
facteur solidarité étant important, ou bien s'il y a encore une
marge de manœuvre.
Roland Dumas :
Quels sont les événements essentiels les plus
récents ? Le vote de la résolution 678, que nous avons coparrainée.
En langage décodé, elle signifie que n'importe quel État membre des
Nations unies peut intervenir par la force armée. La résolution
comporte une date butoir : le 15 janvier. C'est la pièce maîtresse
du dispositif. Les pays de la coalition ont renforcé leur
dispositif.
François Mitterrand :
Vous omettez vos conversations préalables avec
Baker...
Roland Dumas :
Les Américains souhaitaient obtenir le
coparrainage des Cinq (Chine exclue). J'ai dit à Baker que nous
n'acceptions le coparrainage que dans la mesure où une démarche
serait faite auprès de l'Irak avant expiration de l'ultimatum. Il
était important que nous en discutions à Cinq pour garder la
situation sous notre contrôle. Après avoir hésité, Baker a été
d'accord. On a eu un dîner de travail : au cours du dîner, on a
discuté de ce que l'on ferait ou pas. La Chine est venue.
Chevardnadze a décalé son départ pour être là. J'ai redit à Baker :
il est indispensable que quelque chose soit fait auprès de Bagdad.
Pourquoi pas une démarche commune ou une réunion au sommet des Cinq
? Chevardnadze était tout à fait d'accord. Baker aussi, mais pas
sous l'égide des Cinq. Il préférait des démarches bilatérales. Il
n'avait rien dit alors de l'annonce, faite par Bush le lendemain,
de l'envoyer, lui, Baker à Bagdad. Les Américains sont donc revenus
en arrière et ont écarté l'hypothèse que d'autres s'entremettent.
Douglas Hurd m'a dit que les Britanniques n'avaient pas non plus
été informés du projet de voyage de Baker à Bagdad.
Les autres aspects de la
situation : d'abord, le renforcement du dispositif militaire. Nous
l'avons dit, d'autres pays aussi (l'Égypte envoie une division). Il
n'y a pas désescalade, au contraire. Il y a échec répété des
tentatives de négociations faites par les uns et les autres :
Chadli n'a pas entendu à Bagdad un seul mot encourageant de Saddam
Hussein, et il n'a même pas été reçu à Riad. Le « Comité des sages
» d'Ortega semble avoir renoncé. Les sollicitations irakiennes
s'adressent à d'autres : ils essaient d'attirer les Européens. Le
débat à Bruxelles, hier, à Douze, a été houleux et très long. De
Michelis voulait aller rencontrer Tarek Aziz. Mais il a reçu une
volée de bois vert du Hollandais (« Nous n'avons rien à dire ni à
faire, les Américains sont seuls concernés ! » a dit Van den
Broeck), l'Anglais a dit la même chose et j'ai dû le remettre à sa
place. J'ai fait remarquer que d'autres avaient des troupes sur
place et ne pouvaient se désintéresser de la question
!
François Mitterrand, en
riant : La Hollande, combien de
divisions ?
Roland Dumas :
Si la rencontre de l'Occident avec l'Irak n'a
pas lieu, il y aura débandade communautaire le 15 janvier. On aura
la France, l'Italie, la Belgique, l'Espagne d'un côté, la
Grande-Bretagne et les Pays-Bas de l'autre...
Jean-Pierre Chevènement,
s'adressant au Président : Au point où en sont
les choses, il n'y a qu'une intervention de votre part, pas très
loin du 15 janvier, reprenant votre intervention du 24 septembre,
qui puisse encore prévenir le conflit. Il y a deux buts de guerre :
libération du Koweït et destruction du potentiel irakien. Or, ce
dernier objectif n'est pas le nôtre...
Pierre Bérégovoy :
Je crois qu'il faut expliquer à
l'opinion publique où nous en sommes,
ce que nous avons fait et où l'on va, avec ce constat que le
gouvernement irakien n'a bougé que sur un point : la libération des
otages.
Peut-être une certaine
dramatisation, pour se préparer à des échéances ultimes, est-elle
nécessaire. Il n'est pas possible à la France d'être absente.
Espérons que la détermination des Nations unies et des alliés fera
caler Saddam Hussein.
Lionel Jospin :
Je pense aussi qu'il faut préparer l'opinion à
toutes les hypothèses. Ce qui est difficile, c'est le degré
d'appréciation de l'inéluctabilité du conflit. Une date est fixée,
mais cela ne nous dit pas quand les Américains veulent intervenir.
Il y a des problèmes d'appréciation à très court terme. Les
Américains peuvent « oublier » de nous informer, comme lors du
dîner de New York. Il faut montrer qu'il y a un lien logique entre
la position adoptée dès le début, approuvée par l'opinion, et la
position d'arrivée. Il faut établir la logique de cette position.
La France a perdu encore plus l'habitude de la guerre que celle du
terrorisme. Comme Jean-Pierre Chevènement, je pense que la France
devrait effectuer une démarche, tout en faisant attention par
rapport aux Américains. Je n'imagine pas qu'il puisse y avoir une
guerre sans nous. Nous sommes libres, mais l'idée que les
Américains s'engagent, et pas nous, est difficile à retenir, même
s'ils décident du moment sans nous...
Michel Rocard :
Je crois que Saddam Hussein est résolu à ne
rien céder. Je pense qu'il est persuadé que les démocraties ne
peuvent faire la guerre si elles ne sont pas attaquées. Je suis
pessimiste. Je pense que la solution militaire est la plus
probable, que nous serons impliqués, sans être consultés par les
Américains. Il faut informer l'opinion publique. J'hésite à
recommander une démarche française, si ce n'est sous la forme d'un
discours général. Il n'y a pas de lien, dans la résolution 678,
avec les problèmes de la région. La reprise de cette idée
risquerait de donner un espace dont Saddam Hussein pourrait se
servir.
François Mitterrand :
Je suis l'auteur d'une formule, la « logique
de guerre », qui remonte à début août. Ce qui veut dire que, dès
cette époque, je n'étais pas optimiste. J'ai essayé de faire
comprendre que la France s'efforcerait de contrarier cette logique.
Si l'opinion a tendance à l'oublier, il faut le lui rappeler. Je
suis intervenu quatre fois. Je le ferai à nouveau ce soir, en
direct. J'interviendrai encore le 31 décembre, mais pendant peu de
temps. J'aurai l'occasion de le faire entre le 1er et le 15 janvier. Il ne faut pas céder à l'affolement, se
couper des chances de négociation. Avant les rencontres, qui
n'auront sans doute pas lieu, toute annonce serait inutile, effacée
par l'outrecuidance américaine et l'inflexibilité irakienne. Il
convient de maintenir la solidarité. Mais s'il existe une chance,
on ne peut pas ne pas l'utiliser. Il y a eu sept ou huit appels du
pied : le Roi Hussein, l'OLP, des envoyés de toute sorte. Nous n'y
avons pas répondu, si ce n'est en rappelant les termes de mon
discours à l'ONU. Nous devons nous ménager une possibilité s'il y
avait évacuation. On pourrait, dans ce cas, garantir qu'il n'y
aurait pas d'agression contre l'Irak, mais ce ne serait valable que
pour nous. Le terrain est miné. Plus on s'approchera du 15 janvier,
plus les réalités trancheront. Les Nations unies nous ont donné un
mandat et un seul : la libération des otages et l'évacuation du
Koweït ; mais pas la destruction du potentiel militaire irakien. Si
le Koweït est évacué, on ne pourra se contenter de ramener l'Émir
et de fermer la porte à tout arrangement. Il faut qu'il y ait des
conditions. Il faudrait organiser un pouvoir intermédiaire qui gère
le Koweït, rassure l'Irak, discute des problèmes territoriaux. Un
pouvoir sous le contrôle des Nations unies, ou inter-arabe. Si
l'Irak a cette garantie, cela ira. Autrement, c'est la mort, le
ratissage. Cela ne doit pas être une perspective très attrayante
pour Saddam Hussein et pour son pays. La sortie honorable, ce sont
les termes de mon discours de l'ONU. Si, le 15 janvier, il n'y a
plus personne au Koweït, il sera difficile que le Conseil de
Sécurité n'accepte pas la discussion ! Mais, s'il y a la guerre,
nous y participerons. Ce serait une illusion de croire que nous
pourrions rester à côté. La France est engagée par ce qu'elle
décide. Elle doit se garder une posture de négociation, de
conciliation chaque fois que cela se présentera. Il faut qu'elle
soit présente au règlement de ce conflit. Si nous sommes absents du
conflit, nous serons absents de son règlement, et l'opinion nous en
voudra. De plus, nous ne justifierons pas notre position de membre
permanent du Conseil de Sécurité. Lorsque le monde arabe sera pris
par l'ampleur du drame, après une guerre gagnée par les
Occidentaux, il ne sera pas difficile à la France d'expliquer ce
qu'auront été nos objectifs. L'opinion arabe souhaitera que nous
soyons partie au règlement. Les Britanniques, eux, sont trop soumis
aux Américains. Nous devons être sûrs de nous, et logiques avec
nous-mêmes, mais aussi tout faire pour que la France joue un rôle
de négociateur, d'apaisement, en évitant de « se faire envoyer
paître » par Saddam Hussein. Comment ? C'est une question de
doigté, de maîtrise... Ne vous payez pas d'illusions : l'évacuation
partielle du Koweït ne marchera pas.
Roland Dumas :
Les Américains y veillent...
Le Président :
Pour le moment, la préparation à faire, c'est
la préparation au courage. Tout est possible pour la paix à partir
de l'évacuation du Koweït. Dans le cas contraire, rien n'est
possible.
Lionel Jospin :
Un Saddam Hussein qui, au dernier moment,
accepterait une négociation et arriverait à faire poser des
problèmes politiques non résolus y trouverait un prestige
évident.
Le Président :
Ce n'est pas exclu, ce serait une issue
heureuse. Les jusqu'au-boutistes, majoritaires en Occident,
seraient déconcertés.
Roland Dumas:
Le cauchemar, pour les Américains, c'est
l'évacuation partielle.
Jean-Pierre Chevènement
: Saddam Hussein ne peut accepter
l'évacuation totale ou quasi totale du Koweït que si on peut
trouver le moyen de lui sauver la face.
Michel Rocard :
Oui, mais il lui faudrait des certitudes sur
les négociations ultérieures.
Le Président :
Il y a à New York une bagarre épouvantable à
propos du projet de résolution sur les Territoires occupés et au
sujet de la Conférence internationale.
Roland Dumas :
Il y a manque de parole du côté des
Américains. Sur ce sujet, ce sont des combats de retardement sans
fin...
Sixième conférence de presse de François Mitterrand : il veut préparer la France à
une guerre de plus en plus probable. Il n'exclut pas de prendre des
initiatives d'ici à l'expiration de l'ultimatum. La France va
assumer son rôle historique.
Les États-Unis parviennent encore à reporter
l'examen de la résolution sur la question palestinienne.
L'Assemblée générale de l'ONU adopte une résolution condamnant les
violations des droits de l'homme au Koweït.
La Turquie demande officiellement à l'OTAN qu'il
l'assiste pour protéger sa frontière Sud contre une attaque de
l'Irak.
Jeudi 20 décembre
1990
François Mitterrand :
Tout ce que fait Rocard au gouvernement vise à
prendre le Parti. Il n'y a que ça qui l'intéresse. J'ai
voulu en faire un homme d'État. Il me démontre
tous les jours qu'il est encore mentalement au PSU.
La résolution 681 sur la question palestinienne
est votée à l'unanimité. Il a fallu soixante jours de discussions
pour aboutir à son adoption. Elle est accompagnée en annexe d'une
déclaration sur la Conférence internationale. Jérusalem est citée
comme faisant partie des Territoires occupés.
Aucun moment n'est approprié
pour une Conférence internationale, mais n'importe quel moment pour
des négociations directes entre Israël et ses voisins,
déclare l'ambassadeur israélien aux Nations unies. Il dénonce le
traitement séparé et inégal dont son
pays est victime, et le qualifie d'apartheid.
La France a tout mis en œuvre pour que ce texte
soit adopté. Évidemment, Israël hurle à la trahison ! François Mitterrand : C'est un
texte très important. Saddam devrait voir qu'il est essentiel pour
lui sauver la face.
Édouard Chevardnadze,
ministre des Affaires étrangères soviétiques depuis 1985,
démissionne pour protester contre l'avancée de
la dictature à Moscou. Déjà, à Paris, à la CSCE, il s'était
trouvé marginalisé. L'autorisation qu'il avait donnée aux Baltes
d'être là — annulée peu après par Gorbatchev — en a fait la cible
des militaires.
Vendredi 21 décembre
1990
Saddam Hussein ne retirera pas ses troupes avant
le 15 janvier. Il se déclare sûr de battre l'agresseur. Les
exercices de défense civile se multiplient en Irak. Près d'un
million de personnes ont participé aujourd'hui à un exercice
d'évacuation de Bagdad.
Samedi 22 décembre
1990
Bendjedid arrive à Paris aujourd'hui de Rome,
avant de se rendre à Madrid, au Maroc puis en Mauritanie.
Eddy Mitchell n'est pas autorisé par les autorisés
saoudiennes à venir chanter pour les soldats français stationnés en
Arabie Saoudite. Motif : « La publicité inévitable faite en France
à l'occasion d'un tel événement. » Une annulation d'autant plus
étrange que les festivités organisées pour les troupes britanniques
et américaines sont, elles, maintenues. François
Mitterrand : C'est humiliant ! Mais on
aurait dû le prévoir. Il n'aurait pas fallu se mettre dans ce cas,
ni mettre un artiste dans une situation aussi
frustrante.
La résolution 681 n'a rien
changé. L'Irak réaffirme l'appartenance du Koweït à son territoire
et menace d'utiliser l'arme chimique s'il est attaqué. Deux mois
d'efforts pour rien. Saddam Hussein n'a pas saisi l'ultime perche
qu'on lui tendait. La guerre est inéluctable.
François Mitterrand :
Il n'y a plus rien à tenter. Les chances
d'éviter un conflit, c'est-à-dire celles de voir Saddam Hussein
quitter spontanément le Koweït, sont quasi nulles ; les Français
vont être « pris dans l'étau » et entraînés plus loin qu'ils ne
voudraient aller. Bush ne s'arrêtera pas à la reconquête du Koweït,
il voudra aller jusqu'à Bagdad. Car l'objectif véritable des
Américains, ce n'est pas la libération du Koweït, mais la
destruction du potentiel irakien...
Dimanche 23 décembre
1990
A la demande de François Mitterrand, et pour
répliquer à l'affront fait à Eddy Mitchell, Jean-Pierre Chevènement
refuse de rencontrer le ministre saoudien de la Défense.
Lundi 24 décembre
1990
Une prime de risque sera accordée aux soldats
français dans le Golfe.
Tel Aviv sera la première
cible des missiles irakiens en cas de conflit armé, et ce, même si
Israël n'y participe pas, déclare Saddam
Hussein.
Washington réagit en parlant de riposte absolument
écrasante et dévastatrice contre l'Irak s'il emploie ses armes
chimiques ou bactériologiques.
Chadli Bendjedid, lui, veut toujours croire dans
les chances d'une solution pacifique. Le ministre algérien Ghozali
affirme qu'un signal concret sur la question palestinienne
constituerait un pas décisif.
Mardi 25 décembre
1990
État d'alerte des forces israéliennes sur la
frontière israélo-jordanienne.
Mercredi 26 décembre
1990
Revirement irakien. Saddam
Hussein se dit à nouveau prêt au dialogue avec les
États-Unis ; mais la famille El Sabah ne
gouvernera jamais plus le pays. Il y a un demi-million de
soldats irakiens au Koweït, appuyés sur 4 000 chars, 2 500
véhicules de transport de troupes et 2 700 pièces
d'artillerie.
Les ressortissants américains sont encouragés à
quitter la Jordanie avant le 15 janvier.
Un « bateau arabe pour la paix », Ibn Khaldoun, est arraisonné par la marine
américaine. Les vivres qu'il transportait étaient destinés aux
Irakiens.
Gorbatchev obtient du Congrès la plus grande
partie des pouvoirs accrus qu'il lui a demandés.
Jeudi 27 décembre
1990
Les militaires préparent le plan d'attaque. La
guerre, la vraie guerre contre un pays étranger, rôde dans les
couloirs de l'Elysée pour la première fois depuis cinquante
ans.
Michel Vauzelle fait à nouveau savoir à l'Élysée
qu'il est disponible pour aller voir Saddam Hussein.
François Mitterrand estime l'idée mûre. Il demande
à Roland Dumas d'envoyer Vauzelle à Bagdad.
Vendredi 28 décembre 1990
De nouveaux renforts américains partent pour le
Golfe : deux porte-avions transportant chacun 90 avions (chasseurs,
bombardiers, appareils de lutte anti-sous-marin), avec 16 000
hommes.
Un programme de vaccination pour protéger les
soldats américains et britanniques d'une éventuelle attaque
bactériologique va être prochainement exécuté. L'armée française
n'a pas les moyens d'en faire autant. Nos experts doutent que cela
soit le cas des Américains.
Le Parlement lituanien renonce aux conditions
qu'il avait posées pour les négociations avec Moscou sur
l'indépendance de la république.
Samedi 29 décembre
1990
Selon nos services, l'Irak a entraîné des
commandos-suicides afin de lancer des opérations contre les
alliés.
Dimanche 30 décembre
1990
Bush est Judas et les
Saoudiens les traîtres à l'Islam, déclare Saddam Hussein dans son message de fin d'année.
Les commandos-suicides sont prêts à réagir, en
cas de conflit armé, contre les forces américaines, déclare
le ministre de la Défense irakien.
Genscher demande à son homologue luxembourgeois de
convoquer une réunion extraordinaire du Conseil, le 4 janvier. Il
expose les trois points qui conditionnent selon lui une issue
pacifique de la crise :
- application
des résolutions du Conseil de Sécurité par l'Irak ;
- poursuite
des efforts diplomatiques ;
- renforcement
éventuel des sanctions contre l'Irak.
Lundi 31 décembre
1990
Les Douze acceptent de discuter avec l'Irak à
condition qu'il se retire du Koweït.