Roland Dumas reçoit Yasser Arafat dans l'après-midi. Il lui fait prendre note du mot caduc, pour qualifier la Charte de l'OLP qu'il utilisera le soir même à la télévision. Le voyage a trouvé sa justification.
Robert Hersant, actionnaire de La Cinq, écrit à François Mitterrand pour protester contre les projets de décrets de Catherine Tasca et Jack Lang sur les quotas d'oeuvres françaises à la télévision. Le Président fait préparer une réponse argumentée.
Helmut Kohl confirme la suppression de la retenue à la source qu'il a déjà annoncée au Bundestag. Mais il s'agit d'une affaire de politique intérieure, nous rassure Hans-Dietrich Genscher. La retenue à la source sera rétablie lorsque l'harmonisation sera décidée au niveau européen. Et là, nous serons du côté de la France et nous vous soutiendrons.
Rien n'est moins sûr, car le Chancelier cédera sûrement alors aux Britanniques !
D'autres prises de position du Chancelier, lourdes d'implications pour l'Europe, sont d'ailleurs tout aussi inquiétantes : il prend parti pour des mesures contre la pollution automobile qui favorisent surtout les intérêts allemands, sans attendre un accord européen ; il met une condition à l'aide aux pays endettés (les projets doivent prendre en compte la protection de l'environnement) sans le moindre accord préalable avec nous. Comme si la politique étrangère de la République fédérale avait des velléités d'autonomie qu'elle n'a jamais montrées jusqu'ici. Comme si l'Europe n'était plus le cadre privilégié, mais un instrument de sa politique étrangère, utilisé à sa guise. Tous les pays européens se comportaient déjà peu ou prou ainsi, sauf la RFA.
La RFA avec sa culpabilité qui s'efface...
En Hongrie, amorce de démantèlement du rideau de fer avec l'Autriche. Les Hongrois vont venir librement à Vienne. Que restera-t-il de la peur qui fait tenir debout ces régimes ?
Mercredi 3 mai 1989
Avant le Conseil des ministres, remarquant la communication d'un secrétaire d'État dont il n'admire pas les qualités de concision, le Président murmure : Il ferait mieux de s'inspirer de Tacite que de Cicéron.
Après l'exposé de Roland Dumas sur la situation au Liban, le Président : Il y a en fait deux puissances occupantes, la Syrie et Israël, qui ont passé une sorte de pacte tacite afin que l'une soit tranquille au Sud et que l'autre ne soit pas dérangée dans le reste du Liban. Nous pouvons très vite nous retrouver dans la situation antérieure, et nous risquons d'avoir un drame de grande ampleur.
A propos de l'Allemagne : Je ne suis pas à ce point pessimiste. La situation géographique de l'Allemagne n'est pas celle de la France. Que les Allemands veuillent la réunification, c'est parfaitement logique et normal. Il faut que nous prenions en compte dans notre diplomatie ce besoin irrépressible. Cela signifie une politique française vis-à-vis de l'est de l'Europe qui permette de poser autrement le problème allemand.
A propos de la troisième option zéro : Il n'y a pas de politique britannique, il y a une politique anglo-américaine. Quand j'ai vu Bush, il m'a dit : « Ce que je vous demande, c'est que vous recommenciez le discours du Bundestag. » Je lui ai répondu qu'une fois suffisait et je lui ai dit qu'en tout cas nous ne rentrerions pas dans le commandement intégré.
A propos d'Arafat et de la charte de l'OLP : Si l'OLP n'obtient aucune concession, pourquoi devrait-elle déposer son arme de combat ?
A propos des réactions françaises à la visite du chef de l'OLP : La droite ne fréquentait M. Arafat que lorsqu'il était terroriste ; moi, c'est vrai, je l'ai vu en 1974, au Caire, mais c'était par hasard et ce n'était pas prévu.
Le Président évoque le traitement infligé naguère par la communauté juive américaine à Georges Pompidou lors de son voyage à Chicago ; il évoque l'épisode controversé de Giscard d'Estaing observant Israël depuis un poste militaire en Jordanie, ce que l'intéressé a d'ailleurs démenti avoir jamais fait. Il rappelle qu'en 1982 Gaston Defferre et lui, rue des Rosiers, tout de suite après l'attentat, se sont fait traiter d'assassins : Je suis étonné que la communauté croie indispensable de s'associer uniquement à des parlementaires d'opposition et à l'ambassadeur d'Israël pour dénigrer la venue d'Arafat... Vous savez, dans toutes les affaires difficiles, on peut compter sur la couardise humaine. Faisons donc ce que nous avons à faire. Quant à Arafat, demandons-lui de parler clairement. C'est ce qu'il semble avoir commencé à faire... Sa déclaration à la télévision française était bienvenue. Elle a eu un retentissement dans le monde entier.
Jeudi 4 mai 1989
Tragédie : Jean-Marie Tjibaou et Yeweiné Yeweiné sont assassinés à Ouvéa par un extrémiste canaque.
300 000 étudiants défilent à Pékin. La prochaine visite de Gorbatchev y attire les médias et leur sert de prétexte. Ni l'ambassade, ni les services ne savent rien sur la lutte de pouvoir qui se joue à Pékin... Tout reste à faire. L'ignorance à l'égard de ces pays, mis à part quelques très rares diplomates ou journalistes, nous coûtera cher.
Travail avec le Président sur son discours de demain au Conseil de l'Europe. Il ne contient rien de bien important.
Vendredi 5 mai 1989
François Mitterrand, s'adressant à Strasbourg à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour le 40e anniversaire de l'organisation, souhaite que des liens plus forts soient établis avec l'Europe de l'Est.
Adhésion de la Finlande au Conseil de l'Europe.
A Madrid, je rencontre Felipe Gonzalez à la Moncloa. L'Espagne assure pendant deux mois encore la présidence de l'Europe. Gonzalez m'indique que le projet d'ordre du jour du Sommet européen sera prêt dans le courant de la semaine. Le fait que le « rapport Delors » sur l'Union monétaire ait été adopté par consensus lui confère une force qu'il convient d'utiliser pour son application. Face à l'opposition prévisible de la Grande-Bretagne, il faut définir la stratégie la plus efficace. Deux formules paraissent envisageables : soit se ranger à l'idée d'appliquer les trois phases prévues dans le rapport et évoquer à Madrid les modalités de la convocation d'une conférence intergouvernementale en vue de la modification du Traité de Rome ; soit proposer l'adoption de dispositions intermédiaires qui, en ménageant les réticences britanniques, permettraient d'aboutir, par étapes, à l'Union monétaire. Dans cette seconde hypothèse, la difficulté consisterait à trouver un lien obligatoire et contraignant entre l'adoption des premières mesures et la convocation de la conférence.
Felipe Gonzalez considère que la seconde hypothèse doit être privilégiée si elle peut permettre d'éviter une crise ouverte avec la Grande-Bretagne. Il estime toutefois que si cette formule doit conduire à un report sine die de l'Union monétaire, il est préférable de poser immédiatement le problème, quitte à déclencher une crise. Il est prêt à en prendre la responsabilité politique, considérant que la dramatisation a souvent été, par le passé, un facteur utile pour faire avancer la construction européenne.
Carlos Solchaga, ministre espagnol des Finances, m'explique que les oppositions conjuguées de la Grande-Bretagne, du Luxembourg et aujourd'hui de la RFA compromettent toute perspective de déboucher tant sur la fiscalité de l'épargne que sur l'harmonisation de la TVA. Il estime par conséquent que la proposition Scrivener ne pourra être adoptée par le prochain Conseil économique. Il faut donc rechercher une formule intermédiaire qui sauvegarde le principe de la taxation et permette à la RFA de s'y rallier sans revenir sur sa décision de suppression de la retenue à la source.
Gonzalez et son ministre de l'Économie et des Finances sont conscients des difficultés politiques qu'entraîne la libéralisation sans contrepartie des mouvements de capitaux.
J'explique l'état d'avancement des démarches au sein du Groupe des Sept en vue de l'adoption d'une formule de financement de la dette des pays à revenus intermédiaires ; ce plan est aujourd'hui suffisamment avancé pour pouvoir faire l'objet d'une discussion au Conseil européen de Madrid. Felipe Gonzalez indique qu'il est favorable à l'inscription de ce point à l'ordre du jour si la RFA et la Grande-Bretagne ne s'y opposent pas. Il ne veut pas qu'une opposition déclarée de l'une ou de l'autre compromette la discussion au Sommet de l'Arche. En revanche, si la discussion à Madrid peut être utile, il sera heureux d'y contribuer.
Sur le fond, Carlos Solchaga s'inquiète de l'attitude des Américains, hostiles à un financement par recours au FMI (émission de DTS). Il souhaite savoir comment nos propositions s'articulent avec celles du plan Brady. Il est convenu que le directeur du Trésor prendra contact avec lui et lui fournira toutes les informations utiles.
Felipe Gonzalez fait allusion à l'éventualité d'un élargissement du Groupe des Sept pour y accueillir l'Australie. Si cette hypothèse se présente, il souhaite que la candidature de l'Espagne soit également considérée.
Il rappelle la demande du président nicaraguayen Daniel Ortega de recevoir une aide financière de 250 millions de dollars, dont 40 millions devraient être fournis immédiatement. Dans la perspective de la rencontre de Stockholm sur ce sujet, le chef du gouvernement espagnol propose que la France, l'Italie et l'Espagne s'associent pour fournir cette aide d'urgence. S'agissant de Madrid, la contribution prendrait la forme d'un prêt à intérêt bonifié (creditos blandos) et non d'un don.
L'ayatollah Ali Rafsandjani appelle les Palestiniens à tuer des Américains, des Britanniques ou des Français en réponse à la brutalité sioniste en Palestine.
Michel Rocard exclut que les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, prévues pour le 11 juin, se tiennent pendant la période de deuil consécutive à l'assassinat de Tjibaou.
Samedi 6 mai 1989
Le Président est furieux de la décision de Michel Rocard de reporter les élections provinciales prévues en Nouvelle-Calédonie pour dans un mois. Il lui demande de revenir sur son annonce : Reculer le scrutin, c'est donner raison aux assassins. Rocard accepte et décide de partir pour Nouméa assister aux obsèques de Tjibaou.
Lundi 8 mai 1989
François Mitterrand : Encore une célébration ! Le mois est fait de fausses victoires et de vraies vacances.
Mardi 9 mai 1989
Pour fêter leur « premier anniversaire », Michel Rocard invite François Mitterrand à déjeuner à Matignon. Il y a là cinq collaborateurs du Président et autant du Premier ministre. La conversation, aimable, un peu empruntée, n'aborde rien de sérieux. Longue digression sur le départ des communistes du gouvernement en 1946.
François Mitterrand me dit peu après: Méfiez-vous de ces gens, ce sont des barbares. Pour lui, l'expression désigne des gens incultes, pas forcément des adversaires.
François Mitterrand : La question européenne essentielle est d'avoir un accord monétaire avec l'Allemagne pour pouvoir se permettre un conflit avec la Grande-Bretagne.
Mercredi 10 mai 1989
Au Conseil des ministres, Pierre Bérégovoy rend compte de la création d'une pièce de 500 francs. Il s'agit d'une pièce de collection. Le Président, qui est parfaitement au courant, interroge le ministre : Cette pièce, vous la vendez combien ? Pierre Bérégovoy répond : 3 000 francs, ce qui soulève un éclat de rire général. François Mitterrand : Vous êtes dans le droit-fil de Philippe le Bel !
Après un exposé de Roger Fauroux sur la politique énergétique, le Président conclut : Le nucléaire nuit beaucoup moins aux hommes que les autres formes d'énergie.
Puis il intervient à propos de la Nouvelle-Calédonie : Je n'étais pas d'accord pour faire repousser la date des élections provinciales. Je l'ai fait savoir au Premier ministre qui était d'un avis radicalement opposé. Reculer le scrutin, cela revenait à donner raison aux assassins. Il s'agissait d'une question de principe et j'étais prêt à intervenir là-dessus pour dire que les élections devaient avoir lieu à la date prévue. Michel Rocard est parti là-bas [le 7 mai] et a annoncé que la consultation ne serait pas reportée. C'est bien.
Catherine Lalumière est élue secrétaire générale du Conseil de l'Europe.
Jeudi 11 mai 1989
A propos des prochaines élections européennes, le Président : Finalement, dans ce scrutin, Chirac et Rocard ont le même objectif. La liste qu'ils soutiennentla liste Giscard pour l'un, la liste Fabius pour l'autrene doit pas réaliser un trop mauvais score, mais il ne faut pas non plus qu'elle en fasse un trop bon.
Mgr Lustiger refuse de s'associer aux cérémonies prévues prochainement pour le transfert des cendres de l'abbé Grégoire au Panthéon. Deux siècles après, l'abbé révolutionnaire est toujours aussi mal vu de sa hiérarchie !...
François Mitterrand reçoit les dirigeants du CRIF. La rencontre se passe mal. Les responsables de la communauté juive protestent à nouveau contre la visite de Yasser Arafat. Le Président leur répond : La France n'est pas comme le Maroc au temps des maréchaux : nous ne sommes pas à la remorque de M. Shamir ! La formule est plutôt mal prise.
Rencontre entre le secrétaire d'État américain James Baker et Mikhaïl Gorbatchev à Moscou. Le leader soviétique annonce le retrait unilatéral de 500 ogives nucléaires tactiques et présente de nouvelles propositions de réduction des forces conventionnelles en Europe d'ici à 1991, sous réserve de réciprocité de la part de l' OTAN. Le camp occidental est au pied du mur. Difficile pour lui de continuer à refuser ce qu'il a si longtemps réclamé.
Vendredi 12 mai 1989
George Bush expose, après un réexamen de plus de trois mois, sa vision d'ensemble des relations soviéto-américaines ; il demande à Moscou de prouver sa bonne volonté en déchirant le rideau de fer. Mais il ne peut faire autrement que de constater que l'URSS a changé et que la question de son intégration à la communauté des nations se pose vraiment pour la première fois. En revanche, le Président américain se garde de répondre sur la question précise du désarmement en Europe.
Heurts meurtriers entre Arméniens et Azéris dans le Haut-Karabakh.
Samedi 13 mai 1989
A Pékin, manifestations prévues du fait que les correspondants de presse internationaux affluent, deux jours avant la visite officielle de Gorbatchev. Des étudiants entament une grève de la faim place Tien-an-Men, avec le soutien des Pékinois. L'URSS a Gorbatchev. Nous, qui avons-nous ? interroge une banderole parmi d'autres qui réclament le départ à la retraite de Deng Xiaoping. Le peuple chinois va-t-il rejoindre le camp de ceux qui n'ont plus peur ? Un grand mouvement emportera-t-il tout ? Osera-t-on tirer à Pékin alors qu'on ne tire plus à Varsovie ?
Dimanche 14 mai 1989
Le plan Shamir, approuvé par le Conseil des ministres israélien, est rejeté par le Comité exécutif de l'OLP. Violences à Gaza.
A Solutré, François Mitterrand annonce le prochain dépôt d'un projet de loi sur le financement des partis politiques : On ne peut laisser durablement la gestion démocratique se confondre avec des formes, même ténues, de concussion.
Lundi 15 mai 1989
La bande de Gaza est totalement isolée et placée sous couvre-feu en raison d'expéditions punitives de colons israéliens.
Mardi 16 mai 1989
Après les propos tenus avant-hier à Solutré par le Président au sujet d'un projet de loi sur le financement des partis politiques, le problème de l'amnistie concernant les délits liés à ce financement et à celui des campagnes électorales vient en discussion au petit déjeuner des « éléphants ». Pierre Mauroy, qui en est un chaud partisan, et qui en a convaincu le Président, évoque le risque qu'on assiste à l'inculpation de milliers d'élus socialistes si on n'y procède pas. Il explique que le projet d'amnistie visant les activités de l'ARC (en Guadeloupe) pourrait s'étendre aux affaires de financement politique, en particulier à celle de la SORMAE. Ce texte doit venir devant le Parlement le 5 juin prochain.
Michel Rocard est plutôt réservé. Tous les élus présents autour de la table y sont favorables. Mauroy et Emmanuelli agitent une menace : si l'amnistie n'est pas « exhaustive », cela signifierait, de la part du gouvernement, une rupture de solidarité avec les socialistes. Ceux-ci s'en souviendront. Autrement dit, s'il n'y a pas amnistie, Rocard peut faire une croix sur l'élection présidentielle.
Très longue conversation avec Horst Teltschik sur les questions de défense. J'en retiens ceci : Nous sommes d'accord avec les Américains pour ne plus parler du déploiement éventuel des nouvelles fusées à courte portée avant deux ans. Nous sommes prêts à dire qu'aucune négociation sur le désarmement nucléaire en Europe ne doit reprendre avant que la négociation conventionnelle n'ait abouti à Vienne. Et qu'en tout état de cause elle ne devra pas aboutir à une troisième option zéro. Le Président aiderait beaucoup le Chancelier s'il disait qu'il était hostile à une troisième option zéro, ou, pour le moins, à tout désarmement nucléaire avant un rééquilibrage conventionnel.
François Mitterrand décide de tenir une conférence de presse sur les problèmes européens afin de contrer les critiques sur son « inaction » avant le début de la présidence française.
Renaud m'affirme que, contrairement à ce qu'indique un article paru récemment, il n'a pas dit, au journaliste qui l'interrogeait, être déçu par le Président, mais par le gouvernement.
Il me dit son hostilité à la présence des Sept à Paris pour le 14 Juillet. Il m'annonce qu'il souhaite organiser, les 15 et 16 juillet prochains, une réunion des pays les plus pauvres afin de faire pièce à celle du G7. Je lui réponds que je me tiens prêt à l'aider à faire en sorte que cette réunion se passe bien.
Mercredi 17 mai 1989
Conseil des ministres. Jospin décrit longuement son projet, très remarquable à mon avis, de loi d'orientation pour l'Éducation nationale.
Jack Lang : C'est un grand texte. Mais il faudrait que l'éducation artistique soit mieux traitée.
Jean-Pierre Chevènement pose la question de la laïcité, qui ne figure pas dans le texte.
Lionel Jospin : Moi, ça m'est égal, mais est-ce que cela ne va pas poser un problème avec l'enseignement privé ? Je suis d'avis de le mettre dans l'exposé des motifs.
Le Président : La laïcité, c'est quand même constitutionnel... Il faudrait faire une référence à la Constitution, à la laïcité bien comprise, sans pour autant offenser ceux qui préferent une autre voie.
Puis il exalte la réussite de l'école primaire publique de 1884 à 1930.
Pierre Joxe présente ensuite son projet de loi sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, qui modifiera la loi Pasqua de 1986.
Le Président : Il y a abrogation de certaines dispositions, mais il n'y a pas abrogation de toute la loi, puisque celle-ci comportait des dispositions traditionnelles. Je me réjouis de ce texte qui est conforme aux intentions que j'avais exprimées. J'espère que, sur certains points, ce ne sera qu'un début [allusion au droit de vote des étrangers].
Sur le problème du travail et des ateliers clandestins, il ajoute : Tout le monde les connaît, on les visite, je les ai visités... Il faut agir. Il ne manque que la volonté politique.
Puis on parle du budget de la Défense.
Jean-Pierre Chevènement : Moi, je suis aux ordres. Qu'on m'indique seulement quel système d'armes je dois sacrifier. Supprimer le Rafale, c'est tuer Dassault et toute l'électronique aéronautique. Renoncer au char Leclerc, c'est tuer les arsenaux de l'Armée de terre et fabriquer des milliers de chômeurs. Torpiller le porte-avions nucléaire, c'est démolir les arsenaux de la Marine. Sans compter qu'avec le nom qu'il porte [le Charles-de-Gaulle], ça la ficherait mal !
Le ministre de la Défense se dit totalement confiant, persuadé que le Président va lui obtenir une rallonge de 15 milliards sur le montant (420 milliards) qu'était prêt à lui allouer le Premier ministre.
Il y a trois mois, Chevènement réclamait 450 milliards sur quatre ans ; il ne demande « plus » aujourd'hui que 435 milliards pour s'en tenir aux investissements prévus par la loi de programmation militaire, en particulier le char Leclerc et le porte-avions.
Après le Conseil, réunion de travail, à Paris, entre les collaborateurs du Président et ceux du Chancelier (Hubert Védrine, Élisabeth Guigou, Horst Teltschik, Joachim Bitterlisch et moi) sur l'Europe.
Horst Teltschik : Sur l'Europe monétaire, le Chancelier est prêt à affronter Mme Thatcher et à l'isoler. Mais il souhaite qu'on attende la présidence française pour lancer la conférence intergouvernementale. En ce qui concerne la fiscalité de l'épargne, le nouveau ministre des Finances allemand est hostile à toute fiscalité ; il faudrait qu'il entende lui-même le point de vue français.
Autrement dit, le Chancelier s'en lave les mains !
Élisabeth Guigou rappelle les engagements, pris par le Chancelier à Évian en 1988, de créer une fiscalité européenne de l'épargne en échange de la libre circulation des capitaux. Les collaborateurs du Chancelier répondent qu'ils voient beaucoup de journalistes français pour leur expliquer qu'il n'y a pas remise en cause de l'engagement européen de l'Allemagne. Maigre consolation ! La RFA a renoncé à ce pan essentiel de la construction européenne. Déjà, l'Europe l'intéresse moins...
Une réunion des sept directeurs du Trésor montre qu'on progresse dans la voie d'un accord sur la dette avant le Sommet de l'Arche. Sont entérinés la nécessité de réduire la dette bancaire ; l'échange d'une partie des créances bancaires actuelles contre des titres de moindre valeur, garantis internationalement ; la possibilité de réduire les taux d'intérêt d'une autre fraction de la dette bancaire en la garantissant. Reste à décider du financement de la garantie (par les DTS ou pas ?). Le FMI et la Banque mondiale ont déjà réuni 15 milliards de dollars ; il faut plaider pour qu'on dispose en sus de DTS, ressources gratuites. La liste des pays concernés n'est pas non plus établie. Évidemment, l'Argentine et le Brésil ne peuvent y figurer pour l'instant en raison de leur désordre économique. Le Mexique, l'Égypte, la Pologne sont au premier rang.
A Prague, libération de Vaclav Havel par décision du tribunal d'application des peines.
Jeudi 18 mai 1989
Conférence de presse de François Mitterrand à l'Élysée, consacrée à la politique étrangère et à la Défense. Derrière le Président, à côté du drapeau français, est placé celui de la Communauté européenne.
Le Président expose les cinq points principaux qui permettront d'avancer vers la construction de l'Europe politique : Union économique et monétaire, espace social, Europe culturelle et audiovisuelle, environnement, Europe des citoyens. Il répond à des questions sur le rôle du Parlement européen, sur le développement culturel. Il énumère les progrès de l'Europe dus à la France : Europe de la pêche, Eurêka technologique et audiovisuel, engagement de l'Acte unique, règlement de contentieux, doublement des fonds structurels, directives sur la protection sociale.
François Mitterrand termine par un avertissement : Il faudra bien qu'il existe des règles du jeu qui soient respectées. Une discussion sur la fiscalité s'impose : un contrat repose sur l'honnêteté, pas simplement sur la sanction. La position de la France est essentiellement une position de défense de la paix, une position de construction de l'Europe, une position de développement économique, à commencer par le désendettement des pays pauvres, une position de justice dans le monde, de respect des droits de l'homme et de respect du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La France, par-dessus tout, tient à garder son rang, à défendre ses intérêts et sa sécurité.
En matière de défense, le Président tranche le différend entre Rocard et Chevènement : celui-ci devra consentir 40 milliards de sacrifices, mais le char Leclerc et le porte-avions seront préservés.
A propos du désarmement, il réaffirme sa préférence pour la réduction des armes conventionnelles. Il est favorable, dit-il, à la troisième option zéro. Et il annonce que la France renoncera aux essais nucléaires dès que les États-Unis, l'URSS et le Royaume-Uni feront de même.
Vendredi 19 mai 1989
Horst Teltschik m'appelle de la part du Chancelier pour transmettre au Président sa satisfaction pour ce qu'il a déclaré hier sur l'Allemagne, l'Europe et la troisième option zéro. Et il est content de ce que j'ai dit sur la fiscalité de l'épargne ? bougonne François Mitterrand.
Conseil informel des ministres des Finances de la Communauté à S'Agaro (Catalogne). Les débats portent sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Accord pour proposer au Conseil européen le lancement de la première étape et la convocation d'une conférence intergouvernementale. Mais Theo Waigel, ministre des Finances de RFA, a une attitude réservée qui n'est pas celle du Chancelier. Felipe Gonzalez est déterminé à faire avancer le dossier. Pour l'heure, concernant la fiscalité de l'épargne, il n'y a aucune chance de voir le ministre accepter de restaurer la retenue à la source.
Le Chancelier a demandé à son ministre d'avancer sur l'Union économique et monétaire. Les Britanniques n'ont pas opposé de veto catégorique à la Commission, ce qui a permis un accord, mais Jacques Delors estime que Margaret Thatcher s'emploiera, au Sommet de Madrid, à torpiller la discussion et à empêcher que quoi que ce soit progresse.
Arrivée du Président à Ottawa avant d'aller aux États-Unis où une rencontre de deux jours est prévue dans la résidence privée des Bush, près de Boston.
En Italie, Ciriaco De Mita, Premier ministre depuis avril 1988, remet la démission de son gouvernement en raison de désaccords entre démocrates-chrétiens et socialistes, les deux principaux partis de la coalition.
Samedi 20 mai 1989
Deux jours après le départ de Gorbatchev de la capitale chinoise, la loi martiale est instaurée à Pékin. Mais la population empêche l'armée d'intervenir contre les étudiants qui viennent de plus en plus nombreux camper sur la place Tien-an-Men.
Journée à Kennenbuck Port. Rencontre avec George Bush : première discussion sérieuse sur l'hypothèse d'une réunification allemande.
George Bush : On essaie de travailler avec les Allemands. Il faut aider Kohl, parler de négociations, mais ne pas laisser l'Alliance aller à la dérive.
François Mitterrand : Son opinion ne veut plus d'armement nucléaire sur son sol, et Gorbatchev y est très populaire. Les Verts, les nationalistes sont très influents. Les sociaux-démocrates sont idéalistes et démagogiques ; ils veulent un accord permettant la réunification allemande. Ils se font des illusions. L'équilibre de l'Europe est fonction depuis des siècles de l'expansion allemande. Les Soviétiques ne céderont jamais là-dessus. Sur le plan de la politique étrangère, je préfère que Kohl gagne les élections. Mme Thatcher ne supporte pas la relation franco-allemande. J'ai téléphoné à Kohl après son contestable discours du Bundestag. Mme Thatcher a fait une déclaration publique, pas moi. Faut-il une troisième option zéro ? Dans l'état actuel, c'est inacceptable en raison de la supériorité soviétique. Là-dessus, Helmut Kohl est d'accord avec nous, mais ne peut le dire. Pour obtenir le soutien de son opinion, il lui faut parler de l'équilibre classique et stratégique.
George Bush : Je vous montrerai le texte que j'ai proposé là-dessus aux Allemands et on en parlera avec la Dame de fer.
François Mitterrand : Si vous réussissez la négociation SNF avant 1992, les armes n'auront pas à être modernisées. Sur ces bases, un accord est possible. Genscher est un Allemand de l'Est, un réfugié, il ne pense qu'à la coupure de l'Allemagne et à sa réunification.
George Bush : En tant que Président de la France, êtes-vous pour [la réunification] ?
François Mitterrand : Je ne suis pas contre, en raison des changements intervenus à l'Est. Si le peuple allemand la veut, nous ne nous y opposerons pas. Mais les conditions n'ont pas changé au point que cela soit possible.
George Bush : C'est aussi notre position officielle, mais il faut en parler davantage. Cela peut se faire...
François Mitterrand : Non, je ne crois pas avant dix ans. J'ai toujours pensé que l'empire soviétique se disloquera avant la fin du siècle. Le problème allemand est central pour eux. Jusqu'au bout, ils s'y opposeront, par la force. Il n'y a que deux causes de guerre possible en Europe : si la RFA se dote de l'arme nucléaire et si un mouvement populaire pousse à la réunification des deux Allemagnes.
George Bush : Je veux que Gorbatchev réussisse. Mais je suis prudent. Chevardnadze a déclaré qu'ils vont stopper le démantèlement des missiles SS 23. C'est pour nous inacceptable.
François Mitterrand : Le Parti et l'armée ont encore assez de force pour accuser Gorbatchev de ruiner la puissance soviétique. Il veut la paix, mais il est menacé par le rythme de l'évolution. Il faut se montrer prudent. Il peut être amené à faire des aller et retour.
George Bush : Je vais me rendre en Pologne et en Hongrie pour les encourager à bouger, mais sans envolées lyriques qui embarrasseraient les Soviétiques. Puis, au sujet de la coopération entre la France et les États-Unis sur les missiles : Les accords de 1970 sont excellents. J'ai décidé que cette coopération continue sur les mêmes bases.
François Mitterrand, sur le Liban : Il faut un accord avec l'URSS pour arrêter tout cela, comme en Afghanistan, comme au Cambodge, en réduisant notre aide économique à la Syrie pour la faire céder. Je redoute la destruction physique des chrétiens. Gorbatchev est bien disposé. Le danger est de voir deux cents fanatiques pro-iraniens entrer dans le réduit chrétien et massacrer tout le monde. Nous sommes à la veille d'un génocide.
James Baker : Il faut dire aussi à l'Irak de ne plus livrer d'armes à Aoun.
George Bush, sur le Cambodge : J'ai vu Sihanouk, ce n'est pas un homme très stable.
François Mitterrand, sur Israël : Vous avez des épousailles avec M. Shamir... et je tiens la bougie !
George Bush : La communauté juive américaine prend ses distances avec lui, mais je ne suis pas très optimiste. Israël a besoin d'un contact entre l'OLP et lui. L'OLP doit le comprendre.
François Mitterrand : Oui, c'est ce que j'ai dit à Arafat.
George Bush : Vous qui connaissez cette région, pourquoi êtes-vous sceptique sur les chances de paix ?
François Mitterrand : Parce que Shamir considère les élections dans les territoires comme une fin, et non comme un début. Pour Israël, le problème est d'ailleurs tragique, car la Cisjordanie est la terre la plus sacrée du peuple juif.
George Bush : Je ne pense pas que Shamir bouge. Rabin et Pérès bougeraient plus vite.
Dans le cours de la conversation, à propos de l'occidentalisation de la Chine, François Mitterrand émet une remarque qui fait beaucoup rire George Bush : En 1961, quand je suis allé voir Mao, les filles étaient laides ; en 1983, elles étaient devenues jolies...
Vers 18 heures, Barbara Bush annonce à Danielle Mitterrand, qui a du mal à dissimuler son étonnement, qu'elle a fait avancer à 7 heures la messe prévue pour le lendemain matin afin de permettre aux Français d'arriver ensuite à temps en hélicoptère à l'université de Boston. Le Président remercie chaleureusement, puis, se tournant vers Roland Dumas et Hubert Védrine : J'ai beaucoup de travail. Allez donc à la messe à ma place.
Vu dans la bibliothèque du salon de Bush les Mémoires de Nixon annotés par lui.
Dîner très chaleureux, familial, dans la belle maison en bois du Président américain. Conversation sur l'aide à l'Amérique centrale, sur Noriega, le dictateur panaméen :
George Bush, sur Noriega : Il faut qu'on le fasse partir. Mais je ne peux rien, sauf s'il tire sur les soldats américains. Beaucoup d'officiers sont prêts à le chasser.
François Mitterrand : Prenez garde. Une épreuve de force avec vous le rendra populaire au Panama.
George Bush : Il y a ici plus de scepticisme que jamais sur la volonté démocratique du Nicaragua.
François Mitterrand : Je ne suis pas d'accord avec vous. Vous faites une erreur d'analyse.
George Bush : Je veux vous convaincre que les sandinistes sont maoïstes, léninistes, qu'ils ne tiennent pas leur parole ; tous leurs voisins le disent.
François Mitterrand : On paie encore la note des événements d'il y a huit ans. Le régime peut réussir. Regardez Saint-Domingue...
George Bush : Le Nicaragua a une énorme armée. C'est un pays « solidifié », il ne peut plus évoluer.
François Mitterrand : Si j'étais au Nicaragua, je ne croirais pas au salut venant du Nord !
George Bush : Mais Ortega perdrait des élections libres !
François Mitterrand : Je pense au contraire qu'il les gagnerait.
George Bush : Ce n'est pas un démocrate. Il n'y a pas là-bas de liberté de la presse. Il devrait distribuer du papier aux journaux d'opposition et donner à celle-ci accès à la télévision.
François Mitterrand : En France, je suis resté sept ans sans aller à la télévision, et les États-Unis ne m'ont pas envoyé de secours !
Éclats de rire.
François Burck succède à Jean-Marie Tjibaou à la Présidence de l'Union calédonienne, principale composante du FLNKS.
A Moscou, 100 000 personnes réclament la démocratie.
En Bulgarie, affrontements entre la gendarmerie et les communautés turque et musulmane ; début de l'exode des Turcs de ce pays.
Lundi 22 mai 1989
Sur l'amnistie, une nouvelle réunion se tient autour de Jean-Paul Huchon et Jean-Louis Bianco, avec Pierre Arpaillange, Pierre Mauroy et Henri Emmanuelli. A mots à peine couverts, Pierre Mauroy et Henri Emmanuelli reprochent à Pierre Arpaillange de ne pas tenir ses juges. Le garde des Sceaux s'en défend et fait part de son impuissance à endiguer ce qui tourne à l'amoncellement d'« affaires ».
Guy Carcassonne suggère une sorte de mea culpa collectif des socialistes, qui expliquerait que l'absence de législation les a obligés à violer les lois à défaut d'enfreindre la morale. Aussi demanderaient-ils solennellement à être tous inculpés, tandis que, par ailleurs, ils feraient le nécessaire pour que les mêmes faits ne se reproduisent plus en adoptant une législation nouvelle vigoureuse. Michel Rocard serait prêt à se joindre lui-même à une telle démarche du Bureau exécutif du Parti. Cette proposition n'est pas sérieusement prise en considération : C'est de la folie, disent Pierre Mauroy et Henri Emmanuelli. Cela ferait des milliers d'inculpations !
Ceux qui sont hostiles à l'amnistie mettent d'emblée l'accent sur ses dangers : impopularité et inefficacité. Impopularité politique, tant il est certain qu'on criera à l'auto-amnistie. Inefficacité technique, tant il est assuré que des juges déchaînés ne se priveront pas de mener à bien toutes leurs enquêtes, en les entourant d'un maximum de publicité, avant, le cas échéant, tout à fait en fin de parcours, de constater que les faits ont été amnistiés.
Rien n'y fait : la direction du PS, soutenue par la présidence du groupe, tient à cette amnistie.
L'idée de mea culpa est enterrée. Ne reste que l'amnistie. Massive...
Un grand secret d'État va être rendu public. Bill Maynes, directeur de la revue trimestrielle Foreign Policy, prévient l'ambassade de France à Washington de la parution prochaine dans son périodique d'un article rédigé par David Bruce, professeur d'histoire internationale à l'université de Princeton, sous le pseudonyme de Richard Ullman, et contenant de nombreuses révélations sur la coopération secrète entre les États-Unis et la France dans le développement des armements nucléaires. En voici quelques extraits :
Pendant quinze ans, les États-Unis ont fourni secrètement une aide substantielle au programme d'armement nucléaire français. Cette assistance a presque certainement enfreint la législation américaine. Elle détruit également deux mythes : l'aspect purement national de la force de frappe, symbole de la souveraineté française, d'une part, et, de l'autre, le caractère extrêmement restrictif de la politique américaine en matière de transfert de technologies militaires nucléaires. En conséquence, la coopération nucléaire franco-américaine a été l'un des secrets les mieux gardés par les deux gouvernements.
Avec un zèle comparable ont été cachées les mesures prises par la France pour répondre à l'aide fournie par les États-Unis. Ainsi le commandement militaire français a-t-il coordonné étroitement ses opérations avec l'OTAN, en particulier avec les États-Unis. En cas de conflit avec l'Est, les forces françaises seraient placées sous commandement de l'OTAN et les renforts américains utiliseraient les facilités françaises. Les forces nucléaires françaises, ne suivant pas la doctrine anti-cités, seraient utilisées en coordination avec celles de l'OTAN.
Le résultat de ces accords est important et impressionnant. En effet, les forces nucléaires françaises seraient beaucoup plus efficaces en cas de conflit et, dans le même temps, serait réduit le risque que leur utilisation entraîne une destruction généralisée. De plus, l'intégration des opérations conventionnelles signifie que l'OTAN non seulement pourrait compter sur les forces françaises, mais bénéficierait également de la profondeur du territoire français.
François Mitterrand, mis au courant de ces révélations : Ce genre de secret est excessivement protégé. Il n'y a pas de secrets d'État. Il n'y a que des gens qui veulent se rendre importants.
Mardi 23 mai 1989
Avant le Conseil (avancé de vingt-quatre heures en raison du départ du Président pour Dakar en vue du Sommet de la francophonie), François Mitterrand parle au Premier ministre des dix syndicalistes de Renault qui ont été licenciés. Pour les empêcher de rentrer, le président de Renault, Raymond Lévy, voulait, dit-on, murer la cantine !
Le Président : C'est un patron de combat, c'est une preuve de faiblesse. De Renault sont partis de grands conflits sociaux. Il faut être vigilant. Cela n'empêche pas d'être ferme avec les syndicats. M. Hanon, le président avant Besse, ne l'était pas assez. Mais il faut être correct avec la classe ouvrière. M. Lévy ne l'est pas.
Cinquième Sommet extraordinaire de la Ligue arabe à Casablanca : l'Égypte réintègre la famille.
Rumeurs à Paris d'annulation par la France de la dette africaine. Le Président avait pourtant décidé de garder cette nouvelle secrète jusqu'au 13 juillet. Demain, au troisième Sommet de la francophonie, il faudra bien en dire quelque chose aux chefs d'État présents à Dakar.
Un instituteur de Changson nommé Yu Zhijiou aurait, nous dit l'ambassade, en compagnie de deux inconnus, jeté de l'encre sur le portrait de Mao suspendu à la porte de la Paix céleste à Pékin.
Mercredi 24 mai 1989
Dans l'avion vers Dakar, conversation avec le Président. Il décide d'annoncer l'annulation de la totalité de la dette de trente-cinq pays africains vis-à-vis de la France : un cadeau de 16 milliards de francs. A notre arrivée, j'en avise Pierre Bérégovoy et Michel Rocard par téléphone, dix minutes avant le discours de François Mitterrand :
La dette est le principal problème politique d'aujourd'hui. A Toronto, un accord a été élaboré, qui permet d'alléger la dette des trente-cinq pays les plus pauvres et les plus endettés. Il a déjà été appliqué à neuf pays pour rééchelonner plus de 6 milliards de francs de dettes (dont 2 dus à la France). Nous avons, pour ces pays, annulé le tiers des échéances des crédits commerciaux garantis.
Pour le Sommet de l'Arche, la France prépare de nouvelles initiatives. Elles visent à permettre une réduction de la dette des pays dits « intermédiaires », par un échange de titres et une garantie des intérêts dans un Fonds multilatéral qui sera créé à cet effet. J'ai bon espoir de réussir. Pour les trente-cinq pays les plus pauvres et les plus endettés, qui sont tous en Afrique, je demanderai au gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi annulant purement et simplement la totalité de nos créances d'aide publique au développement, et cela inconditionnellement. Si le Parlement le vote, cela prendra effet au 1er janvier 1990. J'avais dit au Sommet de Casablanca que j'irais plus loin. Je tiens aujourd'hui cette promesse.
Arrestation de Paul Touvier, ancien chef de la Milice à Lyon en 1943 et 1944, dans un couvent intégriste de Nice, après une traque de plusieurs années. Il avait été inculpé, en novembre 1981, de crimes contre l'humanité. Depuis, ce sont des religieux qui l'ont hébergé et protégé.
Jeudi 25 mai 1989
Voyage éclair de Roland Dumas en Mauritanie. De graves incidents se sont produits entre ce pays et le Sénégal. Le Président mauritanien n'a pas souhaité faire le déplacement de Dakar. Roland Dumas est chargé par François Mitterrand de rechercher une solution à ce différend.
Déjeuner avec des chefs d'État africains. Mobutu raconte qu'un jour, à Nairobi, lors d'une réunion de l'OUA, Goukkouni Oueddeï, alors président du Tchad, est entré dans le bureau d'Arap Moï avec Edem Kodjo (alors secrétaire général de l'OUA). Il a sorti un revolver et a lancé à Kodjo : Dis à ce soulard de fermer sa gueule, ou je lui loge une balle dans la tête !
Éclats de rire. Hassan Gouled se tourne vers Eyadema : Qu'aurais-tu fait, toi ? La mine d'Eyadema répond pour lui.
Vendredi 26 mai 1989
Vu de nouveau Horst Teltschik à Bonn. Il me raconte que le Chancelier Kohl a écrit coup sur coup deux lettres au Président Bush avant le Sommet de l'OTAN de lundi prochain, à Bruxelles. L'une fait le point sur les négociations concernant les missiles nucléaires à courte portée (SNF). L'autre, faisant suite à la proposition américaine d'un agenda pour la négociation conventionnelle, propose de synchroniser la première avec la seconde.
En ce qui concerne la troisième option zéro, Helmut Kohl reconnaît qu'elle est exclue dans les circonstances actuelles, voire dans un avenir prévisible. Le ministre des Affaires étrangères, Genscher, en est d'accord. Pour obtenir le lancement rapide des négociations SNF, le Chancelier est même prêt à aller plus loin et à exclure absolument la deuxième option zéro, sans condition. Mais Genscher, lui, n'y est pas disposé et peut tout bloquer, car son parti occupe une position centrale dans la coalition au pouvoir. L'objectif de Kohl est donc de l'isoler à Bruxelles et de prendre tous les risques pour y parvenir. Genscher est bien ministre de Kohl, mais il a sa propre politique et ses propres alliances. Le Chancelier craint qu'il ne soit appuyé par Papandhréou, Andreotti et Tindemans, favorables à la troisième option zéro ; et que Mme Thatcher ne veuille pas du tout de négociations sur les SNF, même si le « triple zéro » en est exclu, ce qui renforcerait l'opposition de Genscher à cette exclusion du « triple zéro ». Il craint aussi à juste titre une alliance entre Dumas et Genscher contre les positions du Chancelier. Celle-ci se manifeste fort souvent. Teltschik m'en fait la remarque, non sans élégance.
Les Américains n' ont pas encore répondu à ces deux lettres du Chancelier. Pour l'instant, il n'y a aucune procédure de négociation prévue pour lundi à Bruxelles, car Margaret Thatcher ne veut pas d'un comité secret pour la rédaction d'un communiqué, mais souhaite au contraire un grand déballage public. Le Chancelier ne souhaite pas non plus qu'on confie cette rédaction aux ministres des Affaires étrangères, car il pense que Genscher ferait tout, alors, pour achopper sur la troisième option zéro. Il considère qu'on peut fort bien ne pas parler à Bruxelles du fond de la proposition Bush (en particulier des avions à double capacité) et s'en tenir au simple problème de calendrier.
Si le Chancelier n'obtient pas de l'OTAN l'ouverture de négociations sur les armes nucléaires à courte portée, il ne pourra rien accepter sur la troisième option zéro. Il est prêt à tout pour obtenir ce lancement rapide, car l'opinion allemande est focalisée là-dessus. La situation politique en Allemagne s'est dégradée : s'il ne fait pas un bon score aux élections européennes, le Chancelier devra quitter le pouvoir à l'été.
Jamais le pessimisme n'a été aussi grand, à la Chancellerie fédérale, sur les élections et l'avenir de la RFA. Les divergences entre Genscher et Kohl sont à leur maximum, me confie Teltschik, au point qu'ils ne s'en cachent même plus devant leurs collaborateurs.
Élection de Mikhaïl Gorbatchev à la présidence de l'État et élection des membres du Soviet suprême, organe législatif permanent du Congrès des députés du peuple. Gorbatchev semble à nouveau tout puissant; il peut maintenant entreprendre (en URSS) et laisser faire (chez ses voisins).
Samedi 27 mai 1989
François Mitterrand reçoit Mme Bjorg Jonsson, journaliste norvégienne d'Aftenposten. Quelques confidences intéressantes : Ce qui s'est passé depuis mon élection de 1981 représente la plus longue expérience vécue par la France sous la conduite des forces progressistes inspirées par le socialisme. Ce n'est pas une révolution, mais une véritable redistribution des valeurs et des priorités nationales et internationales. A l'intérieur, développement du savoir et de la recherche, formation plus approfondie et plus méthodique des femmes et des hommes, refus des exclusions, garantie des libertés, déploiement de la culture, relance des droits sociaux, diffusion des responsabilités, décentralisation, mise au pas du libéralisme sauvage, cette jungle moderne.
J'ai organisé la politique extérieure de la France autour de cette trilogie : la paix, l'Europe, le développement. Je suis hanté par cette idée que la pire menace qui pèse sur le monde réside dans le fossé qui sépare les pays riches des pays pauvres. Là est le désordre majeur...
Je ne crois pas que l'on puisse conduire des millions d'hommes en restant à l'abri d'interrogations morales et esthétiques, en n'ayant pas quelques critères de jugement et d'action. Pour moi, il est important de vivre dans un milieu où l'on débat de ces choses et, sans mélanger les genres, de ne pas séparer ces deux mondes, intellectuel ou artistique et politique.
Moins mobilisé par l'action, j'aurais davantage écrit, sans doute par goût de m'exprimer. Le fait de préciser sa pensée par l'écrit, de rechercher le mot, l'expression exacts, permet d'aller plus loin en soi-même. Oui, j'ai une sorte de religion du mot, de sa signification, de son rythme.
J'ai écrit treize ou quatorze livres. J'écris généralement chez moi et quand je commence un livre, je mets au moins huit jours avant de m'asseoir sur ma chaise. J'apporte du papier, je me dis que je vais bien travailler, j'arrive dans la pièce où j'écris et, tout d'un coup, j'aperçois un livre sur les rayons de ma bibliothèque, je le feuillette, je regarde par la fenêtre... C'est comme si j'avais peur de m'asseoir. Je finis par m'installer à ma table, mais je ne me mets pas pour autant à écrire. Et quand je commence à le faire, c'est très mauvais.
En revanche, trois mois ou un an plus tard, lorsque j'en suis aux derniers chapitres, j'ai envie de dire tellement de choses que je ne sais plus comment finir. Et, après avoir remis le manuscrit à mon éditeur, je rajoute des pages et des pages chez d'imprimeur... Écrire oblige à s'enfermer en soi-même, à s'arracher à la pression désordonnée des choses et des êtres autour de soi et de l'actualité. Ce travail de maturation, je ne l'accomplis que par l'écriture.
Dimanche 28 mai 1989
Le Premier ministre hongrois, Imre Pozsgay, se prononce pour la liquidation du système communiste. Aucune réaction à Moscou. Le courage, chez les communistes d'Europe centrale, se nourrit de l'indifférence du maître.
Lundi 29 mai 1989
Sommet de l'OTAN à Bruxelles. Margaret Thatcher n'obtient absolument rien sur les armes à courte portée. Elle est glacée et roule des yeux furibonds lorsque le Chancelier parle. Le Président répète son hostilité à la stratégie flexible de l'OTAN. Le Sommet entérine les propositions de désarmement présentées par George Bush :
- réduction de 15 à 20 % des effectifs américains en Europe ;
- diminution de 10 à 15 % du nombre d'avions et d'hélicoptères détenus par les pays de l'OTAN et du Pacte de Varsovie ;
- ouverture de négociations avec l'URSS sur les armes nucléaires à courte portée, liée à un accord global sur les armements conventionnels d'ici à 1993.
A Paris, protestations diverses contre la décision du Président sur la dette africaine, qu'il aurait prise, disent des gens « bien informés », sans consulter le ministre des Finances...
Mardi 30 mai 1989
Édouard Chevardnadze accueille favorablement les propositions américaines d'hier : Un pas sérieux et important dans la bonne direction.
Après avoir longuement consulté François Mitterrand, Michel Rocard adresse une lettre à Pierre Joxe sur la préparation d'un projet de loi relatif au financement des partis politiques, dans laquelle devra figurer l'amnistie. Cette lettre sera rendue publique.
François Mitterrand : Les militaires veulent trop d'essais nucléaires. Ils savent que je vais réduire le nombre, alors ils m'en demandent plus que nécessaire. C'est un petit jeu idiot.
Mercredi 31 mai 1989
Au Conseil des ministres, à propos du récent Sommet francophone, le Président : Ce fut un très bon Sommet. Toute une série de décisions très concrètes ont été adoptées d'enthousiasme. J'ai entendu à Paris des critiques sur ma décision d'annuler la dette des pays les plus pauvres et mon attitude prétendument régalienne. Il paraît que j'aurais dû consulter le gouvernement et le Parlement. En réalité, la proposition émanait, il y a déjà plusieurs mois de cela, de M. le ministre de l'Économie et des Finances, soutenu par M. le Premier ministre, et je n'ai évidemment pas méconnu le régime parlementaire. Il faudra encore examiner le cas de quelques pays parmi les plus pauvres mais qui ne peuvent bénéficier de cette mesure, puisqu'ils ne sont pas endettés [Haïti, par exemple].
Le Président commente ensuite le Sommet de l'OTAN qui vient de s'achever à Bruxelles : C'est un indéniable succès politique pour le Président américain. La RFA s'en tire bien ; le Royaume-Uni, très mal. Mme Thatcher dit qu'elle est contente, mais le résultat n'est pas du tout celui qu'elle attendait. Il y a une très grande animosité personnelle de Mme Thatcher à l'égard du Chancelier Kohl.
Pour la France, la solution adoptée est exactement celle que nous avions préparée...
La stratégie flexible est une tragique erreur de l'OTAN.
Je m'inquiète de la faiblesse des crédits prévus pour les bibliothèques universitaires au budget 1989. On fera des comparaisons malveillantes entre le projet de Grande Bibliothèque et la vie quotidienne des étudiants. J'en parle ce matin à Lionel Jospin et Michel Charasse. Pour le ministre du Budget, l'intérêt politique du Président passe avant tout. Il trouvera l'argent.
L'armée irakienne investit Kala-Dize, au nord de l'Irak, et y entame la « dékurdisation ».
Bilan du soulèvement depuis décembre 1987 dans les Territoires occupés, selon le ministre de la Défense israélien : 472 morts, 10 000 blessés palestiniens.
La Sept commence à émettre. Fallait-il vraiment une chaîne hertzienne de plus?
George Bush à Mayence : La guerre froide ne peut se terminer qu'avec la fin de la division de l'Europe.
Rhétorique classique depuis 1950, mais qui prend aujourd'hui peut-être une allure de printemps.
Jeudi 1er juin 1989
Violence et euphorie mêlées à Pékin et Shanghai. Va-t-on vers un « printemps chinois » ? Qui osera arrêter cette foule qui semble au surplus bénéficier de l'appui du Premier ministre ?
Début de l'expulsion vers la Turquie des Bulgares d'origine turque qui refusent l'assimilation.
Encore et toujours l'amnistie : les socialistes sont si impatients de la voir entrer dans les faits que Louis Mermaz informe le groupe, sans plus de détails, qu'un article prévoyant l'amnistie en matière de financements politiques sera introduit dans le projet de loi sur l'amnistie politique dans les DOM-TOM, qui doit venir en séance le 5 juin à l'Assemblée. C'est bien ce qui avait été envisagé, même si la dernière idée était de mettre l'amnistie dans la prochaine loi sur le financement des partis.
Ce soir, Pierre Mauroy fournit la même information au Bureau exécutif du PS, sans plus de précisions. Rocard juge cette tentative maladroite et le dit. Éventée par ceux des députés socialistes qui y sont hostiles, dont Jean-Pierre Michel — magistrat d'origine —, la manœuvre tourne court.
Vendredi 2 juin 1989
Au Conseil de Défense, le Président : S'il y a tant de difficultés à l'OTAN entre les États-Unis, la RFA et la Grande-Bretagne, comme on l'a vu à Bruxelles, c'est parce qu'ils sont embarrassés de leur stratégie flexible. Il n'y aura pas de guerre siet seulement sitoute l'Allianceles États-Unis, la Grande-Bretagne, la France...est prête à se battre. Si, par crainte de voir Chicago ou New York atteints par des armes stratégiques soviétiques, les États-Unis maintiennent leur stratégie flexible, on ne peut plus répondre de rien.
Quatrième réunion des sherpas, cette fois à Évian, à l'hôtel Royal. Le même cortège d'experts. Le même caravansérail japonais. On discute du projet de déclaration politique, de façon très générale, puis des relations Est/Ouest. Sont formulées plusieurs questions : Devons-nous encourager l'intégration des pays de l'Est dans le commerce mondial ? Peut-on prêter à l'Europe de l'Est ? Faut-il réviser le COCOM ? Il est convenu de préparer trois déclarations, portant l'une sur les droits de l'homme (à la lumière du bicentenaire de la Révolution française), la deuxième sur les relations Est/Ouest, la dernière sur la coopération antiterroriste internationale.
Sur la situation économique et monétaire : accord pour soutenir la croissance mondiale, en cas de récession aux États-Unis, par la relance des économies en excédent (RFA, Japon). En revanche, il sera impossible d'aller plus loin dans la réforme du Système monétaire international vers plus de stabilité. Certes, les États-Unis ont basculé de notre côté ; mais Britanniques, Allemands, Canadiens et Japonais s'opposent à toute réforme d'envergure. Il est donc absurde d'avoir annoncé publiquement (comme l'a fait Pierre Bérégovoy) que la France proposera un plan de stabilisation des taux de change le 14 Juillet à Paris, car un tel plan serait voué à l'échec.
Sur la dette : chacun applaudit à l'annulation par la France de la dette des pays les plus pauvres, et l'idée de s'y associer est dans l'air. J'apprends d'ailleurs que les Allemands ont procédé, sur plusieurs années et en plusieurs fois, à des annulations d'une ampleur au moins comparable — sinon supérieure — à la nôtre (ce sur quoi les Finances se sont bien gardées de nous informer correctement !).
Sur le commerce : les Américains ayant réduit leurs velléités protectionnistes, il n'y a d'affrontement que sur les crédits à l'exportation et les crédits d'aide. Comme à Versailles (étrange retour !), Américains, Canadiens et Britanniques souhaitent que les Sept s'engagent à ramener jusqu'à zéro les subventions à ces crédits. Impossible : il y a des règles fixées dans le cadre de l'OCDE et le Sommet n'a pas vocation à modifier des compromis très difficilement établis. De surcroît, ce serait absurde, car cela entraînerait la hausse des taux d'intérêt de ces crédits et aggraverait donc la charge de la dette des pays bénéficiaires, pour la plupart en développement.
Puis on discute de la dette : le mécanisme du plan Brady est en place, mais les banques privées n'acceptent de réduire la dette que de 15 %. Or, il faudrait atteindre 50 % pour le Mexique et autant pour d'autres, tels les Philippines et le Costa Rica. En tout cas, sur ce point, le Sommet sera déjà un succès : en six mois, nous avons bouleversé la stratégie mondiale de la dette.
Qu'est-ce que les Américains vont trouver à proposer à la dernière minute ?
Situation très tendue à Pékin.
Samedi 3 juin 1989
La réunion des sherpas se poursuit sur le thème de l'environnement. Je tente d'imposer notre idée d'observatoire mondial de l'effet de serre. Les Canadiens répondent en parlant forêts menacées. A 15 h 30, un membre du protocole fait irruption dans la pièce, un télégramme du Quai d'Orsay à la main : On tire sur Tien-an-Men.
Au moins, voilà qui est clair, risque un diplomate britannique. Le régime ne tiendra pas.
David Mulford branche CNN. L'envoyé spécial de la chaîne raconte qu'il voit les chars depuis son balcon d'hôtel, que certains bruits font état de corps écrasés sous les chenilles. Les étudiants refusent de se rendre. S'ils résistent, il est probable qu'ils vont mourir eux aussi. Nous écoutons les tirs de mitrailleuse devant la Cité interdite.
A 22 heures, on en est à 35 morts.
Le soir, dîner bâclé au casino d'Évian. Puis nous reprenons le travail sur le texte, tergiversant parfois pendant une demi-heure sur un mot consacré à l'environnement. Une minutieuse sodomie de coléoptère, observe un Français. Les Anglo-Saxons tentent de faire prévaloir leur point de vue en usant de leur suprématie linguistique : Ce que vous avez écrit là est du mauvais anglais.
Au même moment, séminaire franco-espagnol à Paris, juste avant le Sommet de Madrid. L'Union économique et monétaire constituera à nouveau l'essentiel de l'ordre du jour de ce Sommet. Édith Cresson suggère, si le veto britannique est maintenu, un accord à Onze. L'Espagnol objecte : C'est l'arme nucléaire à ne pas utiliser, sauf comme menace. C'est bon pour vous comme pour nous d'avoir les Britanniques ; Mme Thatcher n'est pas éternelle. Sans eux, nous deviendrions trop dépendants du Deutsche Mark. Il rappelle qu'à Milan les Britanniques ne voulaient pas de l'Acte unique, puisqu'ils s'y sont ralliés.
La Charte sociale n'est pas prête. En attendant, il faut occuper le Conseil avec des thèmes sociaux qui restent à trouver.
Du côté espagnol, en ce qui concerne la fiscalité sur l'épargne, on estime que le principe de retenue à la source est mort du fait de l'attitude allemande, et qu'il faut surtout veiller à lutter contre la fraude.
A l'Assemblée, Jacques Toubon, au cours d'un rappel au règlement dans la discussion du projet de loi sur l'immigration : Si certains veulent y adjoindre [au projet initial d'amnistie] une disposition sur les fausses factures, si certains collègues, certains membres du gouvernement et certains dirigeants du Parti socialiste ne veulent pas voir juger un certain nombre d'infractions, ils trouveront l'opposition tout entière dressée devant eux pour les empêcher de faire ce mauvais coup.
Dimanche 4 juin 1989
Mort de l'imam Khomeyni. L'homme, il y a dix ans, portait tous les espoirs des victimes du Chah. Il n'a fait que remplacer une dictature du XXe siècle par une dictature du XIVe siècle.
A Pékin, l'armée utilise des armes lourdes contre la population. Les images de CNN sont effrayantes dans leur lancinante répétition. Bilan officiel : 200 morts. Mais, réellement, combien ?
En Pologne, premier tour des élections législatives « semi-démocratiques », fruit de la « table ronde » entre le pouvoir et l'opposition. Débâcle du POUP.
Tard dans la nuit, fin de la réunion des sherpas. L'environnement sera, avec le développement, le résultat majeur du Sommet. La longue discussion de ce week-end (nous avons consacré plus de huit heures aux textes sur l'environnement) permet d'espérer que le Sommet de l'Arche pourra prendre, pour la première fois, des initiatives concrètes en ce domaine :
- une définition globale commune des exigences de la défense de l'environnement et de leurs conséquences économiques ;
- l'accélération des travaux scientifiques de mesure de la pollution et d'analyse de ses causes ;
- l'accélération de la réduction des normes d'émission de CFC ;
- l'approbation de nouvelles normes communes pour la protection des océans et contre le dépôt des déchets industriels ;
- la décision de réduire les émissions de gaz carbonique serait assortie notamment d'un soutien financier aux pays en développement se lançant dans des programmes de reforestation, et de la reconnaissance du rôle de l'énergie nucléaire civile pour accompagner cette réduction des émissions de gaz carbonique ;
- le lancement de grands travaux au Bangladesh pour lutter contre les inondations, avec l'annonce de la tenue à Londres, à l'automne, sous la présidence de la Banque mondiale, d'une conférence visant à réunir le financement de ces travaux ;
- l'approbation du programme de lutte contre la désertification des pays du Sahel, programme baptisé « Observatoire du Sahara ».
En revanche, une hostilité quasi unanime, même chez certains partenaires signataires (États-Unis, Allemagne, Japon, Royaume-Uni, Canada, Commission), s'est manifestée à l'encontre du projet de Haute Autorité défini à La Haye.
Sur la lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue, nous nous orientons vers la définition de principes très détaillés. Ironie de l'Histoire, il faut savoir que ce trafic se développe en partie du fait de la libération des mouvements de capitaux et de la modernisation des marchés financiers qui favorise le secret des transactions !
A 3 heures du matin, la mise au point des communiqués sur l'environnement n'est pas achevée. Une nouvelle réunion est nécessaire. Je propose le 30 juin, et qu'elle se limite aux seuls sherpas, pour éviter de faire voyager trop de monde. David Mulford, vice-ministre américain des Finances, fait un éclat : Je suis un représentant politique ! Je dois être là ! Il claque la porte. On continue sans lui. En fait, le représentant américain du Trésor refuse de laisser participer seul son homologue des Affaires étrangères. Aux États-Unis, le conflit entre les ministères pour contrôler la politique extérieure est aigu.
Au Grand Jury RTL-Le Monde, Jacques Toubon : Peut-être pourra-t-on amnistier, dans une loi sur le financement des partis politiques qui sera examinée dans quelque temps. A ce moment-là, si on veut mettre les compteurs à zéro, on pourra le faire. Mais, encore une fois, le Parlement n'a pas à prendre la place des juges. M. Rocard demande à M. Joxe de préparer une loi sur le financement des partis politiques et sur la moralisation. Le même jour, on apprend que ses amis socialistes, M. Mauroy en tête, veulent effacer les turpitudes de leurs copains. Il y a des limites à l'impudence !
Lundi 5 juin 1989
François Mitterrand part en Tunisie pour deux jours. Il a demandé avant de partir le retrait de l'amendement sur l'amnistie.
A l'Assemblée, à 18 heures, l'amendement est retiré. Cela viendra dans le cadre de la loi sur le financement politique. Pierre Mazeaud (RPR) prévient le garde des Sceaux contre le risque de faire ressortir des affaires assez nauséabondes. En réponse, Pierre Arpaillange déclare : Vous avez fait allusion à un amendement qui aurait pu ou dû être déposé. Je dois vous dire qu'il n'en a jamais été question.
La discussion sur l'amnistie dans les DOM-TOM reprend tranquillement son cours. Pierre Mauroy est furieux : c'est sa défaite.
Pierre Guidoni, membre du secrétariat national du PS : Chacun sait que le financement de l'ensemble des partis politiques est assuré dans des conditions qui ne sont pas saines (...). C'est vrai aussi pour le PS. La différence, c'est que nous, nous le disons, et nous disons que ça ne doit ni ne peut durer. [Le PS] tient à poser ce problème en toute clarté devant l'opinion publique et souhaite qu'il y soit répondu le plus rapidement possible. Cela dépend en grande partie du gouvernement. Il appartient au gouvernement de se prononcer sur les délais qui lui paraissent convenables.
Mardi 6 juin 1989
Réunion de travail à Paris avec les Britanniques. Ils veulent bien épauler la France jusqu'à un certain point sur la fiscalité de l'épargne. Mais ils jugent la Charte sociale inacceptable : à leurs yeux, elle déboucherait sur un nouveau traité. Ils tergiversent sur l'Union économique et monétaire.
A Téhéran, obsèques de Khomeyni. Hystérie collective.
Jack Lang alerte le Président sur l'état désastreux des Tuileries qui pourraient devenir l'un des plus beaux jardins du Louvre. Le Président confie à un de ses amis de Cormatin, Marc Simonet-Langlad, le soin de rédiger un rapport.
Mercredi 7 juin 1989
Au Conseil des ministres, à propos de la loi de programmation militaire adoptée aujourd'hui et quelque peu réduite, Jean-Pierre Chevènement : Le consensus en matière de défense est assez superficiel. On entre dans une zone de turbulences. Il y a deux cultures solidaires : la culture militariste et la culture antimilitariste, qui se renforcent l'une l'autre.
Michel Rocard remercie Chevènement, son cabinet, les trois chefs d'état-major de leur bonne volonté : La France n'est pas une superpuissance, c'est seulement la première des puissances moyennes.
Le Président, qui ne partage pas cette analyse, ne dit mot.
Pierre Bérégovoy fait une communication sur la politique économique. Il plaide pour des économies budgétaires en raison des incertitudes de la conjoncture. Le Président commente : Il est très recommandé de ne pas freiner sur le verglas. Ce n'est pas seulement une doctrine. Au bout des six mois que vous vous donnez pour juger de la conjoncture, il conviendrait d'éviter l'accident, le danger d'un crédit excessif.
Michel Rocard m'explique qu'à plusieurs reprises, depuis un an, les tribunaux ont refusé d'accorder le bénéfice de l'amnistie de juillet 1988 lorsque la preuve n'était pas apportée que les fonds en cause avaient été effectivement versés à un comité de campagne ou à un parti politique. D'où la nécessité d'une nouvelle loi.
Jeudi 8 juin 1989
Déjeuner de travail entre le Président et Felipe Gonzalez. Sur l'Union économique et monétaire : le Premier ministre espagnol déclare souhaiter que la première étape soit décidée à Madrid le 1er juillet 1990, et qu'un pas en avant soit d'ores et déjà accompli vers les deuxième et troisième étapes. A cette fin, il propose que le Conseil européen se charge de réunir les conditions préliminaires à la Conférence intergouvernementale et qu'un engagement soit pris pour la seconde étape. A défaut, neuf ou dix pays pourraient décider de la convocation de cette Conférence intergouvernementale. Mais le projet de texte remis par le collaborateur de Felipe Gonzalez après le déjeuner est beaucoup moins net : il ne s'engage pas clairement sur la convocation de la Conférence.
Pierre Mauroy prend l'échec de la tentative d'amnistie du 5 comme un échec personnel. Le groupe socialiste de l'Assemblée est sommé d'exécuter sans tarder la volonté présidentielle exprimée à la Pentecôte. Un projet visera à lier la réglementation du financement des partis et des campagnes à l'amnistie pour les faits imputables à l'insuffisance de la législation actuelle. L'amnistie viendra en contrepartie d'une réforme effective.
Aucune information judiciaire n'est encore ouverte concernant des élus ou des responsables politiques à la suite des affaires sur lesquelles une enquête est en cours à Marseille.
Vendredi 9 juin 1989
Le cabinet du garde des Sceaux dément avoir été à l'origine du projet d'amendement amnistiant les fausses factures, il y a quatre jours.
Je suis à Dacca pour présenter au Président Ershad l'étude du consortium français pour la maîtrise des inondations au Bangladesh. La Banque mondiale fera la synthèse des études existantes sur ce sujet (PNUD, France, Japon, États-Unis). Si le Bangladesh en est d'accord, une conférence réunie à Londres en novembre mettra en place un plan de financement. Il est important que le gouvernement du Bangladesh indique nettement qu'il entend traiter sur un plan d'égalité la protection contre les inondations et l'irrigation, qu'il souhaite voir la Banque mondiale prendre la responsabilité des opérations, et qu'il s'engage à créer les institutions ad hoc pour s'occuper de ce problème.
Le Président Ershad me donne son accord. Il m'emmène voir sa mère dans un petit village. Ses avis sont plus importants à ses yeux que ceux de son gouvernement.
Les ministres de l'Environnement des Douze parviennent à un accord sur des normes antipollution plus sévères pour les voitures de petite cylindrée à partir de 1992.
La place Tien-an-Men est nettoyée. Réapparition télévisée de Deng Xiaoping : le vieil homme félicite les militaires d'avoir jugulé la rébellion contre-révolutionnaire.
Samedi 10 juin 1989
En Chine, arrestations massives, appels à la délation, mandats d'arrêt contre les leaders étudiants.
Michel Sardou aimerait donner Les Misérables à l'Opéra-Bastille. Voilà une très bonne idée pour une salle qui se veut populaire...
Dimanche 11 juin 1989
Nouvelle-Calédonie : les élections provinciales ont lieu dans le calme. 69,2 % des inscrits participent. Le RPCR obtient 27 des 54 sièges du Congrès du territoire, le FLNKS, 19 ; mais ce dernier dispose de la majorité absolue dans deux des trois assemblées provinciales, celles du Nord et des îles Loyauté.
Nouvelle concertation des quatre sherpas du Sud à Rambouillet : ils sont d'accord sur les enjeux d'une réunion à l'Élysée, le 13 juillet. Urgence de la dette. Mais les sherpas du Nord se refusent à les rencontrer.
Autre réunion prévue pour le 7 juillet. Je ferai une nouvelle tentative pour y attirer mes homologues des Sept.
L'amnistie projetée ne concernera pas les fautes éventuellement commises par des individus dans un but d'enrichissement personnel. Pierre Joxe : Le gouvernement arrêtera sa politique la semaine prochaine.
Lundi 12 juin 1989
Première visite officielle de Mikhaïl Gorbatchev en RFA. La presse allemande écrit qu'il arrive en pays psychologiquement conquis.
Le programme pour l'environnement est en bonne voie. Chaque pays du Sommet fait maintenant de la surenchère. George Bush présente un grand plan de lutte antipollution aux États-Unis, qui mobilisera 15 milliards de dollars par an.
Dix ministres des Affaires sociales décident qu'une déclaration solennelle sur l'Europe sociale sera faite par les chefs d'État, incluant un certain nombre de droits impératifs. Le Royaume-Uni est contre ; le Danemark s'abstient.
A Vienne, les États-Unis viennent de se heurter à une vive résistance des Européens sur un problème sérieux : celui du « non-contournement ». Les Européens sont à peu près unanimes à penser qu'un accord sur le désarmement conventionnel en Europe pourrait être vidé de son contenu si les Soviétiques pouvaient impunément regrouper à l'est de l'Oural les matériels éliminés en Europe, par exemple des chars ou, plus sérieusement encore, des chasseurs bombardiers à long rayon d'action.
Dans une lettre, François Mitterrand attire l'attention du Président Bush sur cette question. Il demande que, s'agissant des avions de combat, les réductions entre l'Atlantique et l'Oural ne soient pas vidées de leur substance par l'accroissement à l'extérieur de cette zone. Cette question sera délicate à résoudre, mais tout projet d'accord qui l'ignorerait serait vide de sens.
Dans la presse, des intellectuels et des artistes ayant tous soutenu François Mitterrand formulent de violentes critiques contre les cérémonies du Bicentenaire, présentées comme coûteuses et réservées aux « riches ». Renaud, en particulier, est l'un des plus véhéments et lance l'idée d'un « contre-Sommet » des pays du Tiers-Monde aux mêmes dates.
Le projet de loi sur le financement des partis politiques est prêt. Il est envoyé au Conseil d'État. Il sera inscrit à l'ordre du jour du Conseil des ministres du mardi 20. Michel Rocard souhaite le soumettre en urgence au Parlement et le faire adopter définitivement pendant la session extraordinaire convoquée au début de juillet pour adopter des projets de loi concernant l'Éducation nationale, l'immigration et l'audiovisuel.
Mardi 13 juin 1989
A Genève, la conférence de l'ONU pour les réfugiés indochinois s'ouvre. Elle adoptera un plan aux termes duquel les boat-people doivent rentrer dans leur pays. Volontairement, si possible !...
Comité interministériel sur l'Europe réunissant plusieurs ministres autour de Michel Rocard et d'Édith Cresson. A propos de l'Union économique et monétaire, il est décidé de lancer, à l'unanimité ou à la majorité, la Conférence intergouvernementale prévue dans le rapport Delors. Sur l'Europe sociale, le principe d'une déclaration solennelle pourrait être arrêté à Madrid et le texte adopté au Sommet français. Quant au marché intérieur, le Président interviendra à Madrid sur les domaines censés marquer rapidement des progrès (énergie, télécommunications, transports). Enfin, le Premier ministre souhaite que la TVA à taux zéro soit imposée aux exportations à destination des autres pays de la Communauté.
Le Président s'oppose toujours à la privatisation de Framatome, dans laquelle le ministre de l'Industrie voit une suite logique de la privatisation de son actionnaire privé, Alsthom. Jean-Claude Leny, son président, y est hostile et préfère rester sous contrôle de l'État. François Mitterrand, qui ne veut pas entendre parler d'un rachat de Framatome par Alsthom, rejette tous les arguments de Roger Fauroux et de Michel Rocard.
Renaud m'écrit à propos du Sommet des Sept, après m'avoir téléphoné, une très jolie lettre :
Je me permets de vous adresser ces quelques lignes afin d'étayer mon argumentation qu'au téléphone, ce matin, je me suis senti difficilement capable de développer.
Je n'ai pas votre éloquence dialectique et me sens, face à vous, quelque peu mal à l'aise devant votre (sympathique) paternalisme, ne vous considérant pas comme un de mes ennemis (cela faciliterait les choses)...
Cette initiative, comme vous pouvez le constater, est soutenue par des dizaines d'associations et des centaines de personnalités qui, pour la plupart, se réclament de la gauche et ont soutenu François Mitterrand en 1981, puis en 1988.
Ce soutien doit-il devenir de la servilité ?
Notre admiration pour le François Mitterrand du discours de Cancún ou du Sommet de Dakar doit-elle nous obliger à nous taire lorsque la « raison d'État » nous semble aller à l'encontre des droits de l'homme (affaires Greenpeace, Machoro, Ouvéa, etc.) ? Ma réponse sera sans ambiguilé : jamais !
Je reste convaincu que la venue à Paris, le 14 Juillet, des Maîtres du monde, qui, par leur impérialisme économique, sont directement responsables de la misère des deux tiers de la planète (misère économique, culturelle, sociale...), est, sinon une insulte aux idéaux de 1789, que, par ailleurs, vous glorifiez, du moins une maladresse qu'il vous faut assumer.
Ni l'ordre du jour du Sommetaide aux pays du Tiers-Monde (encore heureux...) — , ni la venue des gouvernements d'une vingtaine de pays pauvres (un peu responsables de cette pauvreté, non ?) ne sauraient effacer de nos cœurs le sentiment d'inopportunité et d'injustice que représente ce Sommet des pays riches à cette date et en ces lieux.
Si n'être pas aveuglément, désespérément avec vous signifie être contre vous, alors vous porterez la responsabilité de la brouille familiale entre un neveu admiratif et complice (mais se réservant le droit et le devoir d'être critique) et un « tonton » humain et généreux, mais pas à l'abri d'une erreur face à l'Histoire. Celle-ci jugera...
Anecdote : pour la libération d'Otelo de Carvalho, pour laquelle je revendique l'honneur d'avoir milité, si l'Histoire a déjà jugé, cela nous fait 1 pour moi et 0 pour vous.
Mais peu importe...
Pour conclure, je vous signale que pour la jeunesse sauvage que je fréquente, pour les artistes que je côtoie, pour les citoyens qui m'interpellent, ce Bicentenaire étatisé, barriérisé, flicardisé, « marchandizé », dont le peuple se sent dépossédé, aurait tout à gagner d'être sauvé par cette vraie fête populaire que nous nous proposons d'organiser, le 8 juillet, afin que des milliers de Parisiens, de Français et d'Européens participent à cette commémoration non plus en spectateurs, mais en acteurs.
A bientôt, peut-être...
Renaud (chanteur énervant).
François Mitterrand, à qui je montre cette lettre en lui disant qu'elle me plaît beaucoup : Mais non, quelle stupidité. Il fallait évidemment bien accueillir les gens. Qu'ils cessent de nous ennuyer.
Louis Mermaz confirme les intentions du gouvernement à propos du financement des partis : les deux projets de loi, l'un ordinaire, l'autre organique, viseront à assurer la limitation et le contrôle des dépenses électorales, ainsi que la transparence des ressources des partis. Louis Mermaz explique que cela vise à éviter les dépenses excessives avant la courte période de la campagne officielle. Chaque candidat devra constituer une association électorale dont les comptes seront soumis au contrôle d'une commission nationale nommée par le Président de la République.
Mercredi 14 juin 1989
Encore l'amnistie. Le ministère de l'Intérieur et Matignon ont maintenant préparé le projet de loi sur le financement des partis, réaliste et rigoureux, mais qui n'a guère de chances d'être apprécié à sa juste valeur dans le climat actuel, envenimé par les « affaires ». La Chancellerie a rédigé l'article d'amnistie qui y est ajouté. Le Conseil d'État examine le tout en section aujourd'hui et en assemblée demain.
L'article 17 préparé par la Chancellerie à la demande de Pierre Mauroy ne vise pas seulement les délits et contraventions, mais les infractions, ce qui inclut les crimes. L'explication de ce choix singulier porte un nom : celui de Christian Nucci. Le Conseil d'État ne laissera pas passer un tel article.
Rencontre à Washington entre George Bush et Jacques Delors. Longue conversation sur la Pologne. Bush en ressort avec l'idée que, grâce à des contacts anciens avec Solidarnosc et, plus largement, avec la communauté catholique, le président de la Commission connaît bien ce pays et peut diriger un effort des Sept en vue de l'aider.
Conseil des ministres.
Après une intervention de Roger Fauroux qui revient sur la privatisation de Framatome, le Président prend la parole. Il évoque sa formule « ni nationalisations, ni privatisations » : C'est un débat à la mode qui, en réalité, recoupe une question de fond très importante. A vrai dire, la formule que j'ai employée n'a pas été méditée pendant des mois. Elle procédait d'un souci formel d'équilibre, peut-être exagéré. Mon mouvement naturel aurait été de récupérer les sociétés dénationalisées depuis deux ans. J'en aurais peut-être ajouté quelques autres. Si je ne l'ai pas fait, c'est par souci de la psychologie des Français et de la paix civile. Si l'on changeait de majorité tous les cinq ans, voire tous les deux ans, on risquerait en effet de bousculer à chaque fois le système industriel et bancaire. « Ni nationalisations », c'était un sacrifice ; « ni privatisations », c'était un soulagement. Cela me paraissait aller de soi ; ce n'est pas une position dogmatique, c'est une position contractuelle.
Il y a des journalistes, comme M. Boissonnat, qui voudraient que je fasse leur politique et non pas celle pour laquelle j'ai été élu. On ne peut quand même pas renverser le sens des élections de 1988. Bien sûr, je ne détiens pas plus qu'un autre la vérité absolue. On peut adapter, évoluer ; je ne m'en priverai pas, si c'est raisonnable ; mais, pour l'instant, il me paraît sage de ne pas changer.
La communication de M. le ministre de l'Industrie me convient tout à fait. Je vous trouve même un peu trop interventionniste. Moi, je suis socialiste, je ne suis pas dirigiste.
En 1993, ce sera aux formations politiques de s'engager, et au peuple de juger.
Jack Lang parle ensuite du Bicentenaire et des critiques qu'il suscite.
Le Président : Il y a là une offensive médiatique réelle, qui a de la force. Elle rassemble tous ceux qui sont contre la Révolution, tous ceux qui, en son temps, auraient été pour, mais qui sont plus réservés maintenant, parce que privilégiés. A cela s'ajoutent la catégorie de ceux qui sont contre le gouvernement, et ceux qui sont effectivement gênés par le Bicentenaire. C'est vrai qu'on en rajoute sans doute dans les mesures de sécurité. En même temps, il y a une démagogie de la voiture. Beaucoup de Parisiens seront contents d'avoir un centre de Paris réservé aux piétons pendant quelques jours.
Pour finir, François Mitterrand demande que le Louvre reste fermé le moins longtemps possible, et ajoute : Qui aurait voulu ne pas célébrer le Bicentenaire ? Il dénonce la stupidité de l'appel lancé par le chanteur Renaud et l'écrivain Gilles Perrault pour un Sommet des pays pauvres.
A propos de la Nouvelle-Calédonie et du résultat des élections qui viennent de s'y dérouler, le Président : Cela confirme l'aspect historiquement très juste des accords de Matignon. La population a validé une politique très audacieuse et difficile.
Jeudi 15 juin 1989
Première visite officielle de François Mitterrand en Pologne. Accompagné de Roland Dumas, Pierre Bérégovoy, Pierre Joxe, Jack Lang, Jean-Marie Rausch et Jacques Chérèque, le Président apporte son soutien à la politique de réformes des dirigeants de Varsovie, où se déroulent les premières élections libres de l'histoire de ce pays. Un important plan d'aide économique à la Pologne est annoncé : 1 milliard de francs, et le rééchelonnement du tiers des créances françaises.
On vote aujourd'hui en Grande-Bretagne, en Irlande, en Espagne, au Danemark et aux Pays-Bas pour le Parlement européen.
Le Syndicat de la magistrature s'insurge contre la loi sur le financement des partis : Ce projet, s'il était adopté, constituerait une entrave inadmissible au fonctionnement normal de la justice, ainsi qu'une rupture de l'égalité des citoyens devant la loi, et ce, à des fins politiciennes... Le monde politique montre une fois de plus le mépris dans lequel il tient la justice.
Vendredi 16 juin 1989
En Hongrie, obsèques solennelles d'Imre Nagy en présence d'une foule considérable : tout un peuple commémore la « révolution » de 1956 en portant en terre celui qui fut Premier ministre à l'époque et le paya de sa vie en 1958.
Lettre du chef du service des décorations de la Présidence au chef de cabinet du ministre de la Santé et de la Solidarité. Objet : la promotion de Michel Garretta dans l'ordre de la Légion d'honneur, à la demande du professeur Jean Bernard. Décidément, le directeur du CNTS est envahissant.
Non-lieu général dans l'affaire Luchaire. C'est la fin d'une honteuse tentative de manipulation du gouvernement Chirac en 1987.
L'Espagne annonce l'entrée de la peseta dans le SME.
Samedi 17 juin 1989
Émeutes sanglantes au Kazakhstan : la minorité caucasienne est pourchassée.
Dimanche 18 juin 1989
Dans une indifférence absolue, élections européennes ; le taux d'abstentions atteint 51 %. La liste RPR-UDF de Valéry Giscard d'Estaing arrive en tête (28,87 %, 26 sièges), devançant nettement la liste socialiste conduite par Laurent Fabius (23,61 %, 22 sièges). Comme le craignait Fabius — qui y voyait des sous-marins de Rocard —, la percée la plus importante est celle des Verts (10,50 %, 9 sièges). La liste Le Pen conserve ses 10 sièges, avec 11,73 % des voix. La liste du centre, conduite par Simone Veil, n'obtient que 7 sièges avec 8,41 % des voix.
Détendu, le Président commente les résultats : C'est un grand succès... Enfin, un grand succès pour les pêcheurs et les chasseurs : 4,13 %, ce n'est pas si mal. Si on y ajoute les 50 % d'électeurs qui sont effectivement allés à la chasse et à la pêche, ça commence à compter...
Dans une élection, il y a toujours un vainqueur et un perdant. Le vainqueur, c'est Giscard d'Estaing. Le perdant, c'est Fabius. Rien ne sert de tourner autour du pot. C'est cela que l'opinion retiendra. C'est la sanction normale d'une campagne socialiste sans idées, sans dynamisme.
En Pologne, second tour des élections législatives. Débâcle du Parti communiste (POUP). Entre les deux tours, Lech Walesa a écarté l'idée d'une participation de Solidarité au gouvernement.
Lundi 19 juin 1989
Roland Dumas et Hans-Dietrich Genscher préparent pour le Sommet de Madrid un projet de conclusion approuvant les trois étapes du rapport Delors, éléments d'un processus unique. Un nouveau traité sera préparé. Les décisions seront prises par la Conférence intergouvernementale. Ils publient un communiqué commun dans lequel ils souhaitent qu'une impulsion politique décisive soit donnée à Madrid à l'Union économique et monétaire par la mise en œuvre du rapport Delors dans sa globalité.
Les arrestations massives se poursuivent en Chine.
Mardi 20 juin 1989
Vu Michel Delebarre. Le « grand projet ports » est enterré : impossible de choisir entre les ports à privilégier. On les laissera mourir tous plutôt que de décider lesquels sauver ! Il aurait fallu pourtant en choisir quatre et garder ce choix secret pour ne pas soulever trop d'obstacles. Mais comment agir dans le secret en ce genre de domaine ?
Jacques Delors est reçu par le Président afin de préparer le Conseil européen. François Mitterrand choisit Strasbourg pour accueillir le prochain Conseil sous présidence française.
Rafsandjani, président du Parlement iranien, est reçu comme un chef d'État à Moscou.
Le projet de loi de financement de la vie politique (accompagné d'un projet de loi organique, techniquement nécessaire pour ce qui concerne les élections présidentielles et parlementaires) sera adopté demain en Conseil des ministres. Il sera aussitôt déposé à l'Assemblée nationale.
Comme prévu, le projet de loi d'amnistie pose deux problèmes :
L'article 17 du projet prévoit que sont amnistiées toutes les infractions commises avant la date d'aujourd'hui en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis politiques. Or, il n'est pas d'usage qu'un projet d'amnistie — annoncé dans les administrations et les ministères concernés par son élaboration plusieurs semaines avant sa présentation en Conseil des ministres — fixe comme échéance une date postérieure à sa rédaction. Rocard ramène donc la date butoir du 20 au 15 juin, jour de la discussion par le Conseil d'État.
Par ailleurs, dans sa version initiale, l'avant-projet amnistiait toute « infraction » commise pour financer des élections, ce terme couvrant aussi bien les délits que les crimes. Or la loi du 20 juillet 1988 s'en tenait aux seuls « délits » en relation avec les élections de toute nature. Pour Michel Rocard, c'est sans importance, car aucun crime ne pourrait être commis en relation avec le financement d'une campagne électorale ; pourtant, note un juriste, le faux en écriture publique — qui vise notamment les fausses factures au détriment d'entreprises publiques — est qualifié de « crime » par le Code pénal.
L'amplitude de l'amnistie vis-à-vis des infractions qualifiées de « crimes », comme les faux en écritures publiques, est néanmoins maintenue par Michel Rocard.
Michel Rocard envisage de soumettre lui-même le projet de loi sur le financement au Conseil constitutionnel afin de le mettre à l'abri de tout reproche d'inconstitutionnalité.
Louis Mermaz suggère que l'Assemblée nationale examine ce projet les 27, 28 et 29 juin. Il faut faire vite, pense-t-il. L'évolution de l'enquête sur la SORMAE pourrait modifier la position de l'un au moins des groupes au Parlement.
A la réunion à l'hôtel Matignon des responsables du gouvernement, du groupe parlementaire et du parti, deux démarches s'opposent : les uns souhaitant renvoyer à l'automne l'examen des projets de loi sur le financement politique et l'amnistie, les autres voulant accélérer les choses pour obtenir l'amnistie avant les vacances d'été.
Normalement, le texte devrait n'être adopté qu'à l'automne. Mais les socialistes, affolés par la montée des « affaires », exigent d'aller plus vite. Cela imposerait donc de l'inscrire au plus tard à l'ordre du jour d'une session extraordinaire, en juillet, laquelle, de surcroît, se télescoperait avec les cérémonies du Bicentenaire et la réunion du G7 !
Le Premier ministre présente la loi sur le financement des partis politiques dès ce soir au journal télévisé de TF1. Les crédits budgétaires consentis aux partis seront répartis en fonction de leur nombre d'élus à l'Assemblée nationale et des voix recueillies aux dernières législatives. Mais la polémique sur l'article 17 éclipse évidemment le reste du texte, pourtant nécessaire. Michel Rocard justifie ainsi l'amnistie : La fraude a été générale et tous azimuts. Il faut sortir de l'alternative actuelle entre la fraude et la mendicité.
Comme convenu, le Conseil des ministres adopte deux projets de loi sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales. L'article 17 — que le Président a soigneusement examiné — prévoyant une large amnistie, dont pourront bénéficier des milliers d'élus, n'est pas même mentionné au cours de la discussion. Chacun, pourtant, ne pense qu'à lui.
Le Président : C'est un texte important.
Le Premier ministre, hyperbolique : Ce sera sans doute un moment de société et de civilisation.
Le Président commente ensuite les élections européennes : Il fallait s'attendre à ce fort taux d'abstentions. Cela se conçoit très bien quand on ne perçoit pas l'enjeu. Les partis conservateurs sont favorisés. Les agriculteurs, les petits notables, les chefs d'entreprise connaissent mieux le sujet et y trouvent un intérêt professionnel ; ils sont donc plus facilement mobilisables. Les formations politiques dont les salariés constituent l'essentiel des électeurs ont une tâche plus difficile. Quant à la presse française, comme d'habitude, elle ne réfléchit pas. Dans les onze autres pays, on compare des choses comparables, c'est-à-dire 1989 à 1984. Il n'y a qu'en France qu'on compare avec d'autres élections, avec des sondages, avec des souhaits ou avec des rêves.
La « victoire » de l'ancien Président de la République se solde par la perte de huit sièges. La « défaite » de la tête de liste socialiste se solde par un gain de deux sièges. J'en suis désolé pour les journalistes, mais, dans les assemblées, c'est avec des sièges que l'on travaille, pas avec des impressions.
Au total, la droite perd six à sept points en pourcentage si l'on compare le score des listes Veil et Giscard au score de Veil en 1984. On constate qu'il y a seulement 28 % pour l'alliance RPR-UDF. Cela me serre un peu le cœur, cela ne mérite pas de sarcasmes, mais pas non plus de compliments. Tout cela prouve que l'Europe a besoin de se faire comprendre et aimer.
En ce qui concerne l'article 17, le Premier ministre ne souhaite pas donner l'impression que le gouvernement serait lui-même impatient de voir effacées des fautes commises par ses amis.
Mercredi 21 juin 1989
Felipe Gonzalez envoie aux chefs d'État et de gouvernement une lettre d'invitation rappelant l'ordre du jour prochain du Conseil européen.
A l'Assemblée nationale, lors des questions d'actualité, Jacques Toubon qualifie l'amnistie projetée de scandale et conteste que le vote des députés socialistes puisse remplacer le verdict des juges. Les deux nouveaux projets, dit-il, comportent deux dispositions scandaleuses. Premier scandale : les membres de la commission chargée de contrôler les comptes des partis politiques et des campagnes électorales seront tous désignés par le Président de la République... Nous demandons que ce projet fasse l'objet d'une concertation entre les partis, comme cela avait été le cas pour la loi de 1988, et qu'il ne soit pas présenté ni voté à la sauvette... Second scandale : une disposition tend à amnistier les faits de fausses factures au profit de certains hommes et de certains partis.
Pierre Joxe répond : J'étais président du groupe socialiste dans cette Assemblée lorsque vous avez fait voter cette loi [celle de 1988] à quelques semaines des élections, à l'occasion d'une affaire qui, depuis, a reçu un épilogue judiciaire que vous pouvez regretter, mais qui est parfaitement clair: à savoir que vous avez voulu monter une machinationje ne dis pas vous personnellement, M. Toubon, vous n'en aviez pas les moyens ! —, que vous avez cherché à déshonorer des hommes... Les juges ont examiné l'affaire pendant deux, trois ans, et le résultat est là : votre machination est tombée à plat [sur l'affaire Luchaire]. Ce gouvernement, lui, n'a pas le goût des machinations politiques ou politico-policières, mais qui vous dit qu'il n'en a pas les moyens ?
Michel Rocard assiste au congrès de l'Internationale socialiste. C'est pourquoi le Conseil a été avancé d'un jour.
Critiqué pour le récent non-lieu intervenu dans l'affaire Luchaire, Pierre Arpaillange déclare : En l'état actuel des choses, et après un certain nombre de blocages qui ont été constatés par les magistrats, il n'était pas possible d'aller plus loin. Si l'on considère que, pendant deux années, la droite a eu entre les mains ce dossier et n'en a rien fait, comment reprocher aujourd'hui à la gauche d'en tirer les conséquences ?avant de répéter, une fois encore, ce qu'a dit avant lui M. Bézard, procureur de la République, qui a requis le non-lieu : Le magistrat instructeur a demandé des renseignements au ministère de la Défense en 1987 ; il a obtenu des réponses, mais pas tous les éléments qu'il souhaitait, et le procureur de la République a écrit au ministre de la Défense il y a cinq ou six mois, mais, à ma connaissance, il n'a pas obtenu de réponse... Si le juge d'instruction n'obtient pas les concours voulus, il est évident que la procédure ne peut pas prospérer.
Jeudi 22 juin 1989
Le Président revient de Normandie pour recevoir le Chancelier Kohl à déjeuner. Dans l'avion qui le ramène à Paris, il est prévenu par une note d'Élisabeth Guigou de l'accord du Chancelier sur les points essentiels concernant l'Union économique et monétaire. Mais le Chancelier est plus réticent que son ministre des Affaires étrangères à fixer une date rapprochée pour la Conférence intergouvernementale qui décidera de la réforme du Traité de Rome. Le Président : Ne vous inquiétez pas. Il cédera. Parce qu'il ne peut faire autrement.
Le Chancelier et le Président décident d'obtenir que la Charte sociale soit adoptée d'abord comme une déclaration solennelle, suivie de décisions juridiques contraignantes.
Quatre nouvelles inculpations dans l'affaire de la SAE, ce qui porte à trente-deux le nombre des prévenus. Parmi eux, douze sont des responsables PS, UDF et RPR. Trois sont des dirigeants d'Urba-Gracco.
Michel Rocard : Il faut en finir avec tout ça. Les enquêtes en cours risquent d'avoir un effet désastreux auprès de l'opinion publique. Mieux vaudraient des articles de presse dénonçant, pendant trois jours, une « auto-amnistie », que six mois de révélations et de mises en cause distillées au fil des instructions.
Vendredi 23 juin 1989
François Mitterrand reçoit Michel Rocard pour discuter du calendrier du projet relatif au financement des partis, et donc à l'amnistie. Le Premier ministre a le sentiment d'une mise à l'épreuve de son dévouement à la « cause commune ». Il arrive donc muni de deux calendriers : l'un, normal, en prévoit l'examen à l'automne ; l'autre pourrait permettre son adoption dans de plus brefs délais. Il souligne que cette procédure en urgence obligerait à recourir au 49.3, ce qui pourrait être évité si l'on attendait l'automne. Il souligne qu'en cas de recours au 49.3, une motion de censure sera inévitablement déposée et qu'elle risque fort de réunir la majorité constitutionnelle, donc de provoquer à la fois la chute du gouvernement et le rejet du texte. Cela posé, il se déclare prêt à le faire si le Président le lui demande. Le Président le lui demande, ajoutant dans un sourire : En cas de censure adoptée, cela ne provoquerait qu'une crisette à l'italienne (ce qui pourrait sous-entendre que le départ de Michel Rocard ne serait pas grave ou que le même Premier ministre serait aussitôt renommé, mais cela n'est pas dit explicitement...).
François Mitterrand : Il faut que le Bicentenaire soit aussi fastueux que possible. Le monde doit se souvenir de la fête de la liberté.
Il voit la maquette du défilé de Jean-Paul Goude. Il ne prétend rien contrôler, rien surveiller, et ne pose même pas de questions. Belle marque de confiance en Jack Lang et Jean-Noël Jeanneney.
Samedi 24 juin 1989
Coup de théâtre : le Président appelle Michel Rocard pour lui dire que, tout bien considéré, il décide d'attendre l'automne pour faire voter le texte. La session extraordinaire sera limitée à quelques jours, juste pour l'achèvement des diverses navettes. Cette volte-face renforce dans l'esprit du Premier ministre l'idée d'une mise à l'épreuve, franchie avec succès.
Michel Rocard me dit : Il a voulu me tester. Je lui ai montré mafidélité. Ça va permettre à la police et à la justice de faire leur travail. En conséquence, l'opposition devra tourner plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant de parler, d'ici à la rentrée.
J'étais d'abord pour un débat à l'automne, puis pour un débat dans l'immédiat. Le Président était au départ pour l'automne, puis pour tout de suite, et, finalement, à nouveau pour l'automne. Le PS, lui, a été le seul à ne pas changer de position : il voulait l'amnistie tout de suite. Mon seul problème a été que les autres changeaient d'avis, mais pas en même temps...
Convention des « rénovateurs » RPR et UDF à Lyon. Les « douze » prêtent serment de poursuivre leur entreprise jusqu'à son terme : la constitution d'une grande formation politique commune.
Pierre Mauroy insiste. Il souhaite que la nouvelle loi sur le financement soit votée le plus rapidement possible, et ajoute : Il appartient au gouvernement, au garde des Sceaux, à chacun, de prendre ses responsabilités sur le point de savoir s'il faut ou non une amnistie. A mon avis, le problème est second. Le vrai problème, c'est une loi nouvelle... Si le Parlement ne veut pas voter l'amnistie, il ne vote pas l'amnistie. Il a tout à fait le droit, pour certains de ses membres, d'être parfaitement hypocrite. Si le Parlement ne veut pas voter l'amnistie, nous aurons une loi nouvelle sans amnistie... Une forme de moralité dans un système aussi pernicieux consiste à ne pas désigner des boucs émissaires...
Il réaffirme qu'il n'est pas lui-même à l'initiative de cette amnistie. Il regrette que le non-lieu rendu dans l'affaire Luchaire n'ait pas permis de connaître les coupables.
Lundi 26 juin 1989
Le gouvernement renonce à déposer à la session extraordinaire et décide d'attendre la session d'automne pour soumettre au Parlement les projets de loi sur le financement des partis politiques et l'amnistie des délits liés à ce financement.
La direction du Parti socialiste, apprenant ce changement de calendrier, s'en désole: le report de la discussion en octobre risque de repousser l'amnistie à décembre. Pierre Mauroy envisage déjà de solliciter du Président une session extraordinaire en septembre pour gagner du temps. Le Président : Pas question de session extraordinaire ! Ni pour ça ni pour autre chose !
C'est la seconde fois en quinze jours que Mauroy essuie un échec sur l'amnistie.
Conseil européen à Madrid avec des gouvernements démissionnaires en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, et un gouvernement allemand affaibli. La Charte sociale est adoptée sous la forme d'une déclaration solennelle par onze États, les Britanniques restant opposés à toute charte, même sous cette forme.
Sur l'Union économique et monétaire, les Britanniques acceptent la première phase du rapport Delors, mais en font une lecture restrictive. Ils refusent la Conférence intergouvernementale et la négociation d'un nouveau traité.
Sur la fiscalité de l'épargne, la Commission a proposé deux directives. La première, en février, prévoyait une retenue à la source de 15 % ; les oppositions sont venues du Royaume-Uni, du Danemark, du Luxembourg, enfin de la RFA par la bouche de son nouveau ministre des Finances, [Theo Waigel]. La seconde concernait la coopération fiscale entre États membres pour lutter contre la fraude ; ce texte peut être examiné et amélioré. La France souhaite que ces dispositions aillent le plus loin possible. Sur la TVA, un groupe d'experts est créé afin d'examiner les propositions de la Commission (jugées trop complexes) et des États.
Le gouvernement irakien reconnaît vouloir expulser les Kurdes des régions frontalières. Un nouveau génocide qui se prépare ?
Mardi 27 juin 1989
A Madrid, la première étape de l'Union économique et monétaire est fixée au 1er juillet 1990. Mais le texte ne fait pas référence aux deux autres phases. Les travaux préparatoires à une réforme du traité par une Conférence intergouvernementale vont pouvoir commencer, mais la date n'en est pas fixée. Le Royaume-Uni accepte la tenue de cette Conférence.
Margaret Thatcher refuse les phases 2 et 3 : Cela reviendrait à accepter un transfert de souveraineté monétaire.
Il appartiendra donc à la présidence française de relancer l'idée et de fixer une date pour le début des travaux.
Le Président s'exprime en dernier : On s'est engagé à construire une certaine Europe. La question est de savoir si on le veut toujours, et quand... Si on ne respecte pas le délai, on ratera la rencontre avec l'Europe qu'on a souhaitée. Pourquoi s'engager sur la phase 1 s'il n'y a pas de phase 2 ?... La France accepte la phase 1 s'il est précisé qu'une deuxième phase est nécessaire.
Après un tour de table qui laisse dans le flou la convocation d'une conférence intergouvernementale, le Président reprend : Hanovre est un acquis... Pour ceux qui ont donné leur accord à la première phase, elle n'offre aucun intérêt si elle n'est pas suivie d'une deuxième phase. Le processus est un tout... Si les uns veulent tirer les autres en arrière, nous n'aboutirons pas... Je ne refuse pas un compromis, mais on ne peut pas laisser la Conférence intergouvernementale dans l'imprécision, comme un espoir éloigné.
Le Président redemande que quelque chose soit fait sur la fiscalité de l'épargne. Opposition de Jacques Santer, le Luxembourgeois.
Finalement, le Conseil européen réitère sa détermination de réaliser progressivement l'Union économique et monétaire telle que prévue par l'Acte unique et confirmée lors du Conseil européen de Hanovre. L'Union économique et monétaire doit se situer dans la perspective de l'achèvement du marché intérieur et dans le contexte d'une cohésion économique et sociale. Le Conseil européen considère que le rapport du comité présidé par Jacques Delors, qui définit un processus devant conduire par étapes à l'Union économique et monétaire, répond pleinement au mandat donné à Hanovre. Le Conseil décide que la première étape de la réalisation de l'Union économique et monétaire commencera le 1er juillet 1990. Il demande aux instances compétentes (Conseil économique et des finances, Affaires générales, Commission, Comité des gouverneurs des banques centrales, Comité monétaire) : a) d'adopter les dispositions nécessaires au démarrage de la première étape au 1er juillet 1990 ; b) de réaliser les travaux préparatoires en vue de réunir une Conférence intergouvernementale pour définir les étapes ultérieures ; cette conférence se réunira une fois que la première étape aura commencé ; elle sera précédée par une préparation complète et adéquate.
Le processus n'est plus global : il n'y a pas de date fixée pour la Conférence intergouvernementale, mais elle peut être convoquée à compter du 1er juillet 1990, début de la première étape.
L'issue est donc floue, incertaine. Seul point relativement positif: le Royaume-Uni n'a pas bloqué les travaux. La Conférence intergouvernementale pourrait finalement se tenir l'an prochain à Onze.
Pour le défilé du 14 Juillet, Jean-Paul Goude a préparé un programme superbe. La musique est écrite par le Béninois Wally Badarou, 1 500 drapeaux, dont le palestinien, des Britanniques sous une pluie artificielle, des constructivistes russes avec des chaussures à soufflets, des valseurs sur patins à roulettes, Jessie Norman chantant La Marseillaise, une énorme locomotive clôturant le défilé... Christian Dupavillon, le vrai concepteur du projet, accomplit un travail magnifique.
Mercredi 28 juin 1989
Au cours du Conseil des ministres, à propos du Sommet de Madrid, le Président : La seule manière de procéder pour l'Union économique et monétaire, c'est de réunir une Conférence intergouvernementale. Il y faudrait l'unanimité pour décider d'établir un nouveau traité, mais la conférence pourrait se transformer et se borner à réunir les pays décidés à signer ce nouveau traité.
Au cours des discussions à Madrid, il est apparu que le Danemark était souvent acquis à la cause britannique, avec, en plus, parfois le Portugal, parfois les Pays-Bas. On retrouve là une clientèle traditionnelle. En tout cas, l'enjeu était d'obtenir la Conférence intergouvernementale, et nous l'avons obtenue. Les gouvernements néerlandais, grec, italien étaient démissionnaires ; les Allemands et les Anglais, ébranlés. La stabilité de la France a sans doute accru son crédit.
Nous avons eu l'appui constant et ferme de la Belgique, de la Commission, de la RFA — sauf, en ce qui concerne cette dernière, pour fixer la date de la Conférence intergouvernementaleet un appui dans l'ensemble ferme de l'Italie. La marche en avant continue.
A propos de la fiscalité sur l'épargne : J'ai dit à M. Santer, le Premier ministre luxembourgeois : « Vous êtes assis sur votre trésor qui, pour une bonne part, est constitué par la fraude internationale. »
Sur la défense : S'il s'agit de mener une guerre nucléaire, c'est Mme Thatcher qui a raison. J'avais dit à M. Bush, à Kennenbuck Port, qu'il n'aurait aucune marge s'il restait sur le terrain des forces nucléaires à courte portée, mais qu'il aurait du champ s'il prenait l'initiative sur le terrain conventionnel.
Mme Thatcher, qui a beaucoup de force quand elle s'adresse à ses partenaires européens, est une petite fille de huit ans quand elle parle au Président des États-Unis. Alors il faut tendre l'oreille, elle est vraiment très touchante. En tout cas, il est visible que le Président des États-Unis n'est pas encore sous le charme.
La Grande-Bretagne, il faut que vous le sachiez, n'a pas d'autonomie de décision. Peu importe, dès lors, qu'elle espère avoir barre sur le Président des États-Unis d'Amérique !
Je me réjouis de voir que la France, dans sa continuité, quels qu'aient été les Présidents, les gouvernements, les chefs d'état-major, a su préserver, elle, son autonomie de décision.
Lors de la dernière séance des questions d'actualité à l'Assemblée, Michel Rocard, interrogé sur l'amnistie par l'opposition, rappelle publiquement une évidence : Une fois la loi votée, seul un magistrat pourra décider si l'amnistie s'applique ou non. Il veut convaincre ainsi les socialistes que le texte qu'ils souhaitent se révélera inefficace. Pierre Mauroy et Henri Emmanuelli restent déterminés et convaincus : Mais non, avec ce texte l'amnistie sera automatique !
Jean-Louis Bianco reçoit un responsable polonais porteur d'une lettre du général Jaruzelski à l'intention du Président pour que celui-ci plaide la cause de la Pologne lors du Sommet des Sept. Le général se plaint des Allemands. Le Chancelier Kohl a reporté sa visite à Varsovie. Jaruzelski indique que les Allemands veulent lier les mains des Polonais : leur aide financière sera subordonnée à des garanties démocratiques et au statut de la minorité allemande de Pologne qui, d'après les Polonais, est une « prétendue minorité ».
Nous recevons une demande pressante du Président yougoslave pour être invité le 14 Juillet, afin de sauver l'unité nationale ! Il le sera.
Un autre cas reste en instance : celui du Zaïre. La présence de Mobutu me paraîtrait ternir de façon désastreuse cette journée (l'imaginer le 13 juillet sur le parvis des droits de l'homme !). J'explique au Président que si la raison d'État le conduit à en décider autrement, il faudrait limiter l'invitation au seul défilé du 14 Juillet.
Le Président : Bonne idée. Le 14 Juillet, plus le 13 à l'Opéra. Le lui présenter comme une grande faveur !
Et voilà : il sera là aussi le 13...
Grande effervescence à Matignon : des collaborateurs de Michel Rocard annoncent presque ouvertement un prochain remaniement ministériel.
A 12 h 30, rue de Rivoli, Pierre Bérégovoy abandonne ses locaux au directeur des Musées de France. Alors que le Président et sa suite ministérielle traversent le grand salon d'angle Napoléon III, Michel Charasse lance à la cantonade : C'est ici que Jack Lang espérait faire son bureau ! L'intéressé, vexé, riposte : Pas du tout, je suis trop bien rue de Valois !
Derniers préparatifs du Sommet de l'Arche. La logistique est énorme et a exigé beaucoup d'attention. Les projets de déclarations politiques seront discutés entre sherpas à New York vendredi, puis, vendredi en huit, à Rambouillet. Il est possible que s'y ajoutent une déclaration sur le terrorisme, à la demande des Américains, et une autre sur la Chine, à la demande du Japon.
Vu Jean-Paul Goude. Magnifique d'enthousiasme. Seul petit probléme : il insiste pour mettre un danseur palestinien, avec son drapeau, dans le défilé des Nations, parmi les représentants des autres pays. Incident diplomatique en vue ? Non, prémonition. Je le laisse faire, sans en référer à personne.
Grande manifestation nationale serbe au Kosovo pour célébrer le 600e anniversaire de la bataille du champ des Merles contre les Ottomans.
Jeudi 29 juin 1989
Dans un discours aux Communes, Margaret Thatcher présente le compromis de Madrid sur l'Union économique et monétaire comme un succès pour elle. Elle entend interpréter les conclusions de façon restrictive : le rapport Delors a été accepté, dit-elle, uniquement comme une des bases de travail, mais pas comme la seule. Et aucune décision n'a été prise sur les étapes suivantes. Par ailleurs, elle souligne avec force que les décisions de la Conférence intergouvernementale devront être prises à l'unanimité.
Les projets de déclarations politiques sur les droits de l'homme et sur les relations Est/Ouest pour le Sommet de l'Arche, que je remettrai demain à New York aux sherpas, sont prêts, de même qu'un projet de déclaration économique, résultat de la longue négociation que nous avons menée depuis six mois.
Ce texte contient des décisions très concrètes, telles que :
- une nouvelle stratégie pour la dette ;
- une définition d'une politique globale de protection de l'environnement ;
- la décision de lancer les grands travaux au Bangladesh ;
- la définition d'une politique internationale contre la drogue et le blanchiment de ses profits.
Vendredi 30 juin 1989
Le Président est exaspéré par les critiques dénonçant le faste des cérémonies du Bicentenaire. Il en rend responsables la mairie de Paris et la presse, et il est spécialement irrité par la manifestation du 8 juillet qu'organise Renaud : C'est injuste ! Devait-on mal recevoir en France ? Nous recevons plus de gens du Sud que du Nord. Fallait-il les recevoir un autre jour ?
En Pologne, le général Jaruzelski renonce à se présenter à la Présidence de la République et propose à sa place le général Kiszczak.
Réunion des sherpas à New York au consulat de France. Consensus sur le texte relatif à la drogue : un groupe de travail, ouvert au-delà des Sept (le GAFI), sera créé. Et encore, avec présidence française. Sur la dette, Français et Américains se retrouvent seuls contre les autres.
Discussion sur les droits de l'homme. Les Américains nous font la leçon à tout propos. Je suggère d'inclure dans la déclaration une interdiction de la peine de mort. L'Américain refuse, outré que j'aie pu émettre une telle proposition (les États-Unis sont, avec le Japon, les seuls du G7 à l'appliquer encore).
Textes vides sur la Chine.
Les Japonais proposent un texte sur les baleines dont le massacre a déclenché une campagne de Greenpeace (ils veulent les protéger en les chassant !). On débat sur le point de savoir s'il faut parler de conserver la faune maritime (France) ou de la gérer (Japon). Compromis : préserver.
Malgré les réticences américaines, je fais accepter un texte sur le Bangladesh (qui prévoit une conférence de financement du projet en septembre).
David Mulford s'est mis en cheville avec Jo Kennedy, parlementaire démocrate, pour que celui-ci dépose au Congrès un texte prévoyant des sanctions fiscales frappant les banques qui refusent de réduire les dettes du Tiers-Monde. Le premier créancier français sur le Mexique, la Société Générale, qui faisait de la résistance, s'est fait rappeler à l'ordre par Jean-Claude Trichet. Seules les banques britanniques résistent encore. La Lloyds, elle aussi, fait la mauvaise tête et bloque les négociations avec Mexico.
Samedi 1er juillet 1989
Michel Rocard propose à la région Ile-de-France l'élaboration en commun d'un livre blanc qui fasse l'inventaire de la situation, en analyse les causes et suggère un programme d'actions immédiates. Cela afin de réviser le schéma directeur qui date de 1964 et est aujourd'hui totalement dépassé.
Les dangers que dénonçait Renaud ne sont pas vains : la liste des invités qu'a préparée Jack Lang pour l'inauguration de l'Opéra-Bastille prévoit 30 cartons pour le Président et 900 pour le ministre, plus les 350 journalistes accrédités à la Culture ! Le Président est partagé entre le rire et la fureur.
La France prend pour six mois la présidence de la Communauté européenne.
Dimanche 2 juillet 1989
François Mitterrand réunit huit ministres à l'Élysée pour préparer la présidence française (sur les affaires sociales, la monnaie, la culture, l'environnement). Il n'y a pas d'autres priorités que d'achever ce qui est en cours.
Le Comité directeur du PS est agité par de sourdes luttes de personnes — Mauroy, Fabius, Jospin, Rocard... — dans la perspective du futur Congrès qui redistribuera les cartes pour deux ans.
Mardi 4 juillet 1989
Visite officielle de Mikhail Gorbatchev en France, juste avant le Bicentenaire dont il aurait tant voulu être... Dîner à l'Élysée. L'Europe de l'après-guerre a vécu, déclare le chef de l'État soviétique. « L'URSS lui survivra-t-elle ? » pensons-nous tous en l'écoutant.
Mercredi 5 juillet 1989
Entretien à l'Élysée entre François Mitterrand et Mikhaïl Gorbatchev :
Mikhaïl Gorbatchev : Vous avez fait un magnifique travail pour le Bicentenaire. Il y aura d'ailleurs aussi un grand programme soviétique pour fêter cet événement.
Nous sommes à un moment où nos pays [à l'Est] sont engagés dans de très profonds changements. Cela va bouleverser à moyen terme l'image du monde. Vous et nous, nous sommes interdépendants... A des rythmes différents, les changements s'opèrent dans tous les pays d'Europe de l'Est. L'Est va changer et ce sera profitable pour l'Europe entière...
Je suis troublé par les idées du Président Bush sur l'Europe de l'Est. On y trouve plus d'idéologie que de politique réaliste. Il n'y a pas longtemps, Bush a déclaré que l'Europe devait retrouver ses frontières de 1939. Le Président Bush a peur des changements en URSS, peur que l'URSS soit mieux perçue à travers le monde. Il a peur de la Communauté européenne. Il y voit un danger pour les intérêts américains dans le monde. Nous ne devons pas admettre les tentatives de freiner les processus qui contiennent des éléments positifs et même révolutionnaires.
François Mitterrand : J'ai remarqué cette déclaration de Bush ; il obéit à une idéologie sommaire. Ce que disait Reagan était encore moins évolué. Les frontières de 1939, ce n'est pas sérieux. On ne doit pas faire de guerre de revanche. Bush fait des concessions à son électorat, qui est le plus conservateur des États-Unis. Au cours des récentes conversations que j'ai eues avec lui, nous sommes convenus tous les deux qu'il ne fallait rien faire pour affaiblir votre autorité, mais tout faire pour intégrer l'URSS dans l'économie mondiale et pour ne pas revenir à la guerre froide. Mais Bush doit faire des concessions à son public... Voyez-le. Vous aurez de l'influence sur lui. Il est sensible au contact direct. Je l'ai vu dès 1981. Le monde est en train de bouger, ce n'est pas la petite guerre, mais c'est le dialogue qui modifiera les conditions d'évolution du monde.
Mikhaïl Gorbatchev : C'est en cours de maturation. Il y a des déclarations des deux côtés. Chez nous, nous pensons qu'on ne peut rien bâtir de sérieux sans ce dialogue... La reprise des pourparlers à Genève est trop longue à venir. On a l'impression d'une tentative de faire traîner en longueur ces pourparlers, de la part des Américains. Si on y ajoute le fait qu'un groupe du Conseil national de Sécurité, animé par le Président, est chargé de me discréditer et de saboter ma perestroïka, je me demande où est la politique de Bush...
François Mitterrand : Je lui ai dit que la politique du pire ne réussirait jamais. Elle donne des résultats que personne ne prévoit !
Mikhaïl Gorbatchev : Je suis tout à fait d'accord.
François Mitterrand : La politique soviétique évolue vers la perestroïka et la glasnost J'ai dit à Bush que vous imposiez des évolutions positives et que des choses nouvelles s'annoncent en URSS. J'ai employé cette expression, mais il faut en finir avec l'esprit de croisade, il faut ne plus préférer l'idéologie à la réalité politique. Votre réussite dépend à 90 % des relations avec le peuple soviétique et à 10 % de l'environnement international. Bush m'a répondu : « C'est l'opinion des autres Européens. » Il a ajouté : « Je jouerai profil bas en Europe de l'Est. » Il parle peut-être comme le dernier qu'il a écouté, mais j'espère que non. Il a déjà dit tout ça devant l'OTAN ; d'ailleurs, je ne vous livre pas là de secret.
Mikhaïl Gorbatchev éclate de rire : Je vous en dispense, car je suis déjà au courant !
Paul Quilès lance au conseil municipal du XIIIe arrondissement l'idée d'un établissement public type Défense pour aménager la rive gauche de la Seine en amont d'Austerlitz. Jacques Chirac en est ulcéré : l'État veut lui reprendre l'Est de la capitale, qui est sa chose !
Au Conseil des ministres, Pierre Bérégovoy fait un exposé sur la politique économique et cite le programme socialiste de 1972, « Changer la vie », qui insistait, dit-il, sur la nécessité de défendre la monnaie, de lutter contre l'inflation, de rechercher le plein emploi.
Le Président : Il faut d'abord produire pour partager, mais il faut que les richesses soient mieux partagées.
Jean Poperen dresse le bilan de la session parlementaire. Le Président se montre hostile à une session spéciale en septembre pour réformer le Code pénal (c'est-à-dire pour discuter et adopter l'amnistie). Il demande au Premier ministre d'indiquer que le gouvernement a l'intention de modifier le mode de scrutin pour les élections des sénateurs représentant les Français de l'étranger. Aujourd'hui, avec le scrutin majoritaire et pour une seule circonscription, on aboutit à ce que 12 sièges sur 12 aillent à la seule opposition. Il souhaite qu'on le dise dès maintenant afin d'éviter de donner une impression de revanche.
Le bouleversement continue en Afrique du Sud : Nelson Mandela rencontre Pieter Botha.
Jeudi 6 juillet 1989
Jacques Chirac ne décolère pas après la proposition de Paul Quilès sur le terrain destiné à la future Grande Bibliothèque. Il fait savoir au préfet de région qu'il entend diriger l'opération Tolbiac-Masséna comme celle de Javel-Citroën. Il remettra au besoin en cause le don des 7 hectares destinés à la Bibliothèque de France (les formalités juridiques ne sont pas achevées) et n'accordera pas les dérogations nécessaires aux règles d'urbanisme. La Bibliothèque en serait retardée de trois ans. Sur instructions du Président, je dis à Paul Quilès, Pierre Joxe et Olivier Philip que cette idée personnelle d'un député de Paris n'engage ni le gouvernement, ni le Président. L'affaire est close.
George Bush annonce l'annulation de la dette publique de seize pays africains parmi les plus démunis (pour 1 milliard de dollars).
Devant l'Assemblée du Conseil de l'Europe à Strasbourg, Mikhaïl Gorbatchev précise son idée de maison commune européenne et renouvelle sa demande de négociations sur les armes nucléaires tactiques, qui est à nouveau repoussée par George Bush.
La façon dont les Américains veulent imposer sans ménagement leurs vues à leurs alliés à propos de la négociation de Vienne est tout à fait scandaleuse. Pour ne pas ralentir la négociation, la délégation française se montre toutefois accommodante.
Vendredi 7 juillet 1989
Roland Dumas propose la création d'un groupe de haut niveau, formé de représentants personnels des ministres, chargé de préparer le travail de la Conférence intergouvernementale de la Communauté.
A Rambouillet, début de l'ultime réunion de sherpas avant le Sommet. Comme d'habitude, elle commence, dans l'après-midi, par une réunion des directeurs des Affaires politiques. Concernant les droits de l'homme, violentes critiques américaines et britanniques contre notre projet de déclaration. Les Américains proposent de fusionner ce texte avec le texte de politique générale, pour l'édulcorer. La France, elle, tient à une déclaration de principe, déconnectée des situations conjoncturelles. Je réponds aux Américains que s'ils campent sur cette position, nous laisserons dans le texte, jusqu'au Sommet, un paragraphe entre crochets réclamant l'abolition de la peine de mort chez les Sept. Lourd silence. Ils n'insistent pas.
Au dîner des sherpas, discussion sur la perestroïka. Bush vient de demander le départ des troupes soviétiques de Pologne. Son représentant, Richard McCormack, estime ouvertement que c'est une erreur. Tous pensent qu'à Moscou Gorbatchev va bientôt échouer, que le pouvoir va revenir aux communistes les plus durs, et qu'il ne faut rien faire pour casser le Pacte de Varsovie, car il préserve la paix. Richard McConnack : Si nous avons cette sagesse, si les Polonais et les Hongrois sont patients, il y a une faible chance pour que, dans quinze ans, Yalta disparaisse.
Les Italiens sont les seuls à résister à cette tendance : ils veulent proposer l'entrée immédiate des Soviétiques à la Banque mondiale et au FMI, et inclure les pays de l'Est dans les nouveaux mécanismes de réduction de la dette.
Je tente d'organiser un dîner entre les sherpas du Nord et ceux du Sud. Mais ceux des États-Unis et du Japon refusent de venir. Il ne s'y dit rien d'utile.
Dans la nuit, j'apprends par Richard McCormack, embarrassé — lui-même vient d'en être informé par Washington —, qu'à la veille de son voyage en Pologne et en Hongrie le Président Bush a écrit à ses collègues du Sommet pour proposer un plan d'aide économique à la Pologne. Cette initiative, improvisée au dernier moment, sur laquelle les services de la Maison Blanche semblent en désaccord entre eux, et à laquelle le sherpa américain n'a probablement pas été associé, prendrait la forme d'un « consortium à Sept » destiné à coordonner l'aide économique et le traitement de la dette polonaise, et auquel s'ajouterait une fondation pour l'entreprise dotée de 100 millions de dollars de fonds publics.
Impossible, pour nous, de décider de la création d'un consortium à Sept que l'Amérique contrôlera. La suggestion ne vise qu'à un effet d'annonce, demain, à Varsovie, pour ravir la vedette au Sommet.
Samedi 8 juillet 1989
Juste après le petit déjeuner, les autres sherpas prennent connaissance de l'initiative américaine sur la Pologne. Je rappelle que la France ne veut pas d'institutions issues du G7. J'explique qu'il y a des risques, vis-à-vis de l'Union soviétique, à tenter de placer sous protection économique occidentale un pays membre du Pacte de Varsovie. Les autres délégations, Commission comprise, se montrent plus positives que moi sur l'idée.
Après avoir vérifié les instructions du Président, juste avant le déjeuner, je puis enfin parler au téléphone à Brent Scowcroft, le conseiller de George Bush. Je lui explique notre position et lui propose un compromis : si le Président Bush tient à son idée de consortium, il faudrait que celui-ci soit ouvert à tous les autres pays européens et qu'il n'apparaisse pas comme dirigé contre l'URSS. Si le Président américain l'annonce à Varsovie, nous serons contraints d'annoncer immédiatement notre désaccord. Brent Scowcroft n'insiste pas et promet que George Bush n'annoncera rien de précis à Varsovie : On en reparlera à Paris. L'homme est calme, pondéré. Un autre, avant lui, aurait explosé et aurait tenté de nous forcer la main.
En attendant, notre projet de texte restera donc également dans le vague.
Nous relisons les autres communiqués jusqu'à 3 heures du matin. Sur l'environnement, McCormack accepte que la suppression des CFC soit réalisée avant l'an 2000. Il n'y a même plus de crochets. La plupart des difficultés ont été levées. On muscle un peu le passage sur l'inflation. De quoi vont donc discuter les Grands, le 15 juillet ?
Ultime accrochage : les Anglo-Saxons voudraient exalter les privatisations, la dérégulation. Je dois leur rappeler qu'un gouvernement socialiste ne pourrait signer cela.
Manifestation Renaud-Perrault avec SOS-Racisme, le PCF et la LCR, et concert contre le Sommet des riches, la dette du Tiers-Monde, la faim et l'apartheid. Ils annoncent pour le 14 un contre-Sommet des sept pays les plus pauvres (Burkina Faso, Mozambique, Zaïre, Haïti, Amazonie, Bangladesh, Philippines). Sur le pavé de Paris, la plupart sont nos électeurs.
Dîner à Rambouillet de tous les sherpas ayant occupé ce poste depuis vingt ans. Certains anciens sherpas sont aujourd'hui à la retraite. D'autres, au contraire, connaissent une carrière politique. Lord Armstrong est là ; Renato Ruggiero, ancien sherpa italien et actuel ministre du Commerce extérieur, a fait le déplacement. Les trois anciens sherpas japonais sont venus de Tokyo. Je leur parle d'un « club » qui honore ces anciens, quatorze ans après que les pays industrialisés eurent découvert qu'il fallait vivre ensemble : Ici, nous sommes dans un château, mais nous savons tous que les difficultés nous attendent dehors, juste à la porte.
A la fin du repas, le doyen, Renato Ruggiero, se lève : Le Sommet de l'Arche marque la fin d'une ère. Les raisons politiques pour lesquelles nous avions inauguré ces Sommets, et notamment la crise pétrolière, ont disparu. D'autres apparaissent, comme l'environnement. Nous avons eu ensemble des combats terribles. Étaient-ils justifiés ? Je me rappelle qu'au premier Sommet de Tokyo nous nous battions sur les quotas d'importation de pétrole, afin de faire chuter le prix du brut. Et qu'au second Sommet de Tokyo, en 1979, nous nous effrayions de le voir si haut... Dans un an, je sais que ceux qui nous succéderont pesteront, exactement comme nous l'avons fait, en souhaitant un Sommet où l'on puisse travailler sérieusement, sans être assaillis par quatre mille journalistes...
Dimanche 9 juillet 1989
A Varsovie, George Bush présente son Action Plan for Poland. Après ma discussion avec Scowcroft, les Américains ont renoncé à proposer un consortium et n'évoquent plus qu'une action concertée. En sus de la fondation pour l'entreprise (100 millions de dollars) sont envisagés des prêts de la Banque mondiale (325 millions de dollars), un rééchelonnement de la dette et une initiative pour l'environnement (15 millions de dollars).
Lundi 10 juillet 1989
Le Président insiste bien pour qu'à la Concorde, le 14, les places ne soient pas monopolisées par les officiels. Il faut absolument éviter les accusations du type « cérémonies réservées à la seule élite rose ». 4 400 places seront attribuées aux politiques et 11 600 aux représentants de la société dite civile (associations, sponsors, syndicats, ligues diverses, etc.).
Au Conseil de Paris, Paul Quilès fait amende honorable. Il recommande juste une conjonction des efforts de la SNCF, de l'État et de la Ville pour construire de nombreux logements, notamment sociaux, sur les terrains de Tolbiac.
Mardi 11 juillet 1989
Nouvelle lettre de Renaud :
Me voici revenu auprès des miens, au cœur de la Provence, entre monts du Vaucluse, Alpilles et Lubéron, passant des jours tranquilles loin du bruit et de la fureur de ces discours et de ces polémiques qui ont été mon quotidien ces derniers temps. J'apporte un peu d'eau aux arbres qui m'entourent et dont la compagnie m'est définitivement infiniment plus agréable que celle de mes contemporains, trotskistes compris...
Les lendemains de fête laissent toujours un goût d'amertume au fond de l'âme, et malgré la réussite de notre journée du 8 juillet, j'éprouve aujourd'hui plus de tristesse que de joie. (Mais peut-être l'Adagio d'Albinoni, que j'écoute en écrivant ces mots, n'est-il pas étranger à ce blues...)
Car enfin, quel bilan tirer de cette « aventure » dans laquelle je me suis lancé spontanément avant que les manipulateurs et récupérateurs de tout poil ne la pervertissent ? avant que ces charognards falsificateurs des médias n'amplifient mes mots tout en s'efforçant d'en réduire le contenu ?
J'ai, à mon corps défendant, offert une tribune aux communistes qui ont saisi l'occasion pour attaquer violemment François Mitterrand.
J'ai été amalgamé avec les râleurs pour lesquels le Bicentenaire se résume à des embarras de circulation et, plus grave, avec la droite qui nous a emboîté le pas pour critiquer les fastes des cérémonies. J'ai été accusé de me faire un coup de pub à bon compte. Je me suis brouillé avec le pote Harlem Désir.
J'ai, face à l'assaut des médias, tenu un discours malhabile, décousu, parfois agressif, hésitant entre le langage de mon esprit, qui voulait dire sa colère légitime à l'encontre du Sommet des Sept, et celui de mon cœur, qui souhaitait exprimer malgré tout sa confiance en François Mitterrand. Le premier discours l'emportant souvent sur le second, peut-être par souci d'affirmer mon indépendance vis-à-vis de vous, alors qu'on ne cessait de me rappeler mon soutien de jadis, comme s'il avait été un serment d'allégeance.
Et pourquoi tout cela ?
Parce qu'on est venu chatouiller ma bonne conscience de gauche, tiers-mondiste, anticolonialiste, et que, pour manifester ma solidarité avec les peuples affamés, j'ai pris le risque de me désolidariser de vous en attaquant ce Sommet des riches dont la tenue à Paris me semble déplacée.
Parce que je n'aime pas Chevènement et ses crédits militaires.
Parce que le PS et le gouvernement ne se sont guère mobilisés pour la libération d'Otelo de Carvalho.
Parce que l'Élysée prend, c'est vrai, parfois, des allures de Versailles, son occupant des airs de monarque.
Parce que je cherche la gauche de mes vingt ans, contestataire et insolente, et que je la trouve plus chez Krivine que dans les ministères...
Et peut-être, et surtout parce que je sais que vous êtes les meilleurs, qu'à ce titre vous êtes là pour vingt ans, et qu'il faut savoir parfois vous secouer un peu pour vous forcer à garder le cap et les valeurs qui nous ont poussés à vous soutenir.
Cher Jacques, votre « mon ami Renaud », dans le Libé d'hier, m'a fait chaud au cœur. Saurai-je jamais vous prouver à nouveau mon amitié et ma fidélité après tous les soucis que je vous ai causés ?
Mercredi 12 juillet 1989
Au Conseil des ministres, Michel Rocard déplore que, depuis plusieurs semaines, une demi-douzaine de ministres soient intervenus publiquement en dehors de leur domaine de compétence ; ou dans leur domaine de compétence, mais avant qu'un arbitrage n'ait été rendu par le Premier ministre ; cela n'est pas admissible.
François Mitterrand: C'est une règle gouvernementale qu'il faut constamment rappeler, mais ce n'est pas propre à ce gouvernement. Beaucoup de mauvaises habitudes ont été prises au cours de ces dernières décennies.
Après que Roland Dumas est intervenu sur la situation internationale, le Président : J'ai le plus vif désir de voir entrer la Turquie dans la communauté des peuples démocratiques liés à l'Europe, mais ce n'est pas encore un pays franchement démocratique. Dans plusieurs pays, dont la Turquie, les Kurdes sont dans une situation de quasi-génocide. La conscience universelle, qui s'éveille si aisément sur d'autres problèmes, reste muette sur celui-ci.
Il se justifie à nouveau sur le Sommet : Aucun pays ne s'est occupé autant que la France du Tiers-Monde et de ses dettes.
Le faste des cérémonies ? Si nous avions organisé un Bicentenaire au rabais, on nous l'aurait également reproché.
L'accusation de mégalomanie ? C'est injuste.
Ultime modification au programme : il avait été décidé, il y a un mois, à la demande insistante des sherpas, que le soir du 14 Juillet, il y aurait deux dîners de chefs d'État, l'un à l'hôtel Crillon, pour les chefs d'État du Sud, présidé par Michel Rocard et Danielle Mitterrand, l'autre juste à côté, à l'hôtel de la Marine, pour les Sept, avec le Président. Finalement, je décide sans prévenir qu'ils mangeront tous à l'hôtel de la Marine... Mais dans des salles différentes !
Nous voici au plus près du Sommet Nord/Sud qu'il est possible...
Pour la cérémonie de demain au Trocadéro, consacrée au Bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme, Jack Lang voulait que vingt et un coups de canon saluent l'arrivée des chefs d'État en général et du Président en particulier. Refus de l'intéressé.
Les chefs d'État commencent à affluer à Paris. Énormes problèmes protocolaires et logistiques que gère magnifiquement Loïc Hennekinne. François Mitterrand reçoit Cory Aquiño. A son arrivée à l'Élysée, celle-ci plaisante : Avant de partir, j'ai vu le chef d'état-major, qui m'a assurée qu'à mon retour, je serais toujours Présidente des Philippines.
Puis se succèdent les chefs de l'exécutif du Bangladesh, du Mexique, de l'Inde. Rajiv Gandhi déclare au Président : Bravo pour cet anniversaire, le plus important de l'Histoire moderne !
Jeudi 13 juillet 1989
Cérémonie au Trocadéro, la première. Elle se passe bien. Margaret Thatcher est sifflée. Elle est assise juste derrière Mobutu, qui s'est invité là aussi !... Dans une interview, Michel Rocard l'a accusée de cruauté sociale. La Dame de fer a sa tête des mauvais jours.
Enfin, les chefs d'État du Nord et du Sud déjeunent ensemble à l'Élysée.
Mobutu, voyant arriver Salinas de Gortari, Président du Mexique, se tourne vers un ministre français : C'est lui qui a la plus grosse de nous tous !
Silence interloqué du ministre.
Mobutu, apparemment très fier de sa réflexion, d'expliquer : Oui, la plus grosse dette... Je l'envie !
J'organise à côté un déjeuner entre sherpas du Nord et du Sud. Pour la première fois, tout le monde est là. On s'astreint à ne parler de rien.
Dans l'après-midi, multiples rencontres bilatérales à l'Élysée. Nous partageons les salons. Quelque chose comme le forum Nord/Sud que j'espérais. Vers 16 heures, comme prévu lors des réunions des sherpas du Sud, l'Élysée publie le communiqué de presse des Présidents Abdou Diouf, Hosni Moubarak, Carlos Andrés Pérez et du Premier ministre Rajiv Gandhi :
A la lumière des consultations que nous avons eues avec les chefs d'État et de gouvernement aussi bien des pays développés que des pays en développement présents à Paris, nous sommes arrivés à la conclusion que le moment est propice pour engager un processus de consultations régulières au sommet entre pays développés et pays en développement.
Nous estimons que des démarches adéquates devraient être entreprises pour organiser une réunion appropriée au sommet, le plus tôt possible, en vue de discuter les questions économiques globales et d'environnement d'intérêt mutuel.
Cette conférence marquerait le début d'un processus de consultations continues entre les dirigeants du Nord et du Sud sur de telles questions.
A cette fin, nous avons invité le Président Mitterrand à engager les démarches nécessaires à la concrétisation de cette idée. Le secrétaire général de l'ONU sera pleinement associé à cette initiative, en coopération avec les institutions économiques et financières internationales compétentes.
Le Groupe des Soixante-Dix-Sept ainsi que le Mouvement des non-alignés seront informés.
François Mitterrand voulait signer lui aussi le texte. Finalement, il est plus correct, vis-à-vis des Sept, de ne pas se dissocier d'eux pour l'instant. Le processus de création d'un Sommet Nord/Sud régulier est lancé.
Le Président reçoit George Bush et l'encourage à rencontrer au plus vite Mikhaïl Gorbatchev. Bush lui raconte un entretien qu'il a eu avec Lech Walesa. Il a demandé au leader de Solidarnosc : Dans combien de temps pensez-vous que Solidarité siégera au gouvernement de Pologne ? Réponse de Lech Walesa : Dans deux ans.
George Bush : Il est incroyablement optimiste.
François Mitterrand : Même s'il a raison, jamais l'URSS n'acceptera de lâcher le contrôle de la Pologne. Cela la couperait de l'Allemagne de l'Est, à laquelle elle tient beaucoup, et nous aussi. Il n'est pas de l'intérêt de l'Occident que la Pologne s'oppose à l'Union soviétique et à la RDA.
Le Président reçoit le Président du Bangladesh.
Mohammed Ershad: 110 millions de personnes se souviendront toujours de vous !
Ce soir, inauguration de l'Opéra-Bastille, dont je connais le déroulement minute par minute. Je n'y assiste pas : trop de problèmes encore à régler et une ultime réunion des sherpas pour parachever certains détails.
Vendredi 14 juillet 1989
Organisé par l'extrême gauche — dans la foulée de l'initiative de Renaud —, un « contre-Sommet » réunit des Haïtiens, des Philippins, des Bengalis, des Indiens d'Amazonie, des Zaïrois, des Burkinabés, des Mozambicains. Je les reçois au Louvre. Ils me remettent sept rouleaux de papier : leur déclaration commune, rédigée dans les langues des sept chefs d'Etat du Sommet du Nord. Je promets de les leur remettre moi-même en mains propres.
Défilé militaire.
Somptueux déjeuner de tous les participants à l'Élysée, dans la cohue de la réception la plus folle.
Au cours de sa traditionnelle interview, le Président répond aux critiques sur les « fastes » du Bicentenaire. Il se dit certain que chaque Français, dans son village, dans son quartier, éprouve en cette occasion un sentiment de fierté.
Début du Sommet, l'après-midi, au Louvre. Discussion économique sans intérêt.
Dîner au ministère de la Marine, place de la Concorde. Ce n'est pas un dîner de travail. Les Sept sont dans une salle, les sherpas à côté, les autres chefs d'État dans une salle voisine sous la présidence de Michel Rocard. A l'issue du dîner, la plupart assisteront au défilé.
Jacques Delors annonce à Pascal Lamy [son sherpa] qu'il s'est mis d'accord avec George Bush, Helmut Kohl et Brian Mulroney : non seulement il faut faire un « consortium pour la Pologne », mais, qui plus est, celui-ci sera présidé par la Commission. Il demande à Pascal Lamy de rédiger avec le sherpa allemand un amendement à la déclaration précisant que la Commission prendra la tête de l'aide alimentaire. Le texte de cet amendement est le suivant :
Concernant la Pologne et la Hongrie, nous demandons la réunion des pays intéressés dans les prochaines semaines. Nous soulignons le besoin pour la Pologne d'aide alimentaire dans les circonstances présentes. A cette fin, nous demandons que la Commission de la CEE prenne l'initiative, en relation avec les autres pays membres, et associe tous les pays intéressés, hors du Sommet.
On évite un G7, mais on organise un consortium !
Mis au courant, je laisse éclater ma colère : les États-Unis préfèrent le diablotin bruxellois au diable français ! Choix nouveau, fait pour diviser, non pour construire.
Le Président, à qui j'en parle et auquel je suggère de réclamer le secrétariat, en tant que pays hôte, refuse de tenir bon : On ne peut pas tout avoir.
Les sherpas font semblant de « verrouiller » encore le communiqué politique, réglé en fait depuis huit jours.
Tous se rejoignent ensuite sur la terrasse pour assister au spectacle. L'ambiance n'est plus aux discussions sérieuses. Le défilé imaginé par Jean-Paul Goude sur les Champs-Élysées attire 500 000 personnes et est retransmis dans 102 pays. A ce défilé assistent 32 chefs d'État. Helmut Kohl, à côté de qui je suis assis, trépigne au passage des valseurs et de la locomotive. La télévision donne-t-elle une juste image de ce magnifique spectacle ?
Samedi 15 juillet 1989
Le Sommet se réunit à l'Arche. Salle impressionnante, à plus de cent dix mètres d'altitude. On approuve promptement les communiqués politiques. Sur la Chine, le communiqué est plat : c'est le plus petit commun dénominateur.
Comme convenu la semaine dernière avec Zagladine, Gorbatchev a écrit à François Mitterrand. Sa lettre, que je reçois en début de séance, est identique au projet que j'avais esquissé avec son conseiller. François Mitterrand la lit aux Sept, gênés de cette intrusion. Mikhaïl Gorbatchev demande une participation pleine et entière de l'URSS à l'économie mondiale. Il annonce des réformes politiques et économiques de grande ampleur et sollicite l'aide de l'Ouest. Les Soviétiques demandent en outre une réunion des ambassadeurs des Quatre à Berlin. Premier « dialogue » entre l'URSS et le G7. Le fait de lire ce message lui a conféré une solennité particulière.
Sur la Pologne, le projet d'amendement voulu par Jacques Delors est proposé par le Chancelier Kohl. Le texte est retenu. La Commission se voit attribuer la coordination de l'aide à l'Est. J'obtiens du Président qu'il demande sa limitation à la Pologne et à la Hongrie. Margaret Thatcher insiste pour que ce nouveau rôle de la Commission soit bien circonscrit à l'aide alimentaire.
Renversement radical : pour la première fois, la Commission est considérée comme un interlocuteur plein par les Américains. Gros succès de Delors. Je ne peux m'empêcher de penser que la crainte de voir grandir l'influence de la France y a aidé.
François Mitterrand expose avec beaucoup de circonspection la demande de Sommet Nord/Sud présentée la veille par les chefs d'Etat du Sud. Personne n'est pour. On promet de l'étudier. Enterrement poli.
Discussion sur la dette du Tiers-Monde : pour les transactions impliquant une réduction importante de la dette et du service de la dette, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale accorderont un financement complémentaire qui constituera un soutien au paiement des intérêts. A cette fin, l'utilisation de comptes bloqués est agréée.
Décisions très importantes sur l'environnement: la conclusion d'une convention-cadre sur l'évolution du climat, destinée à fixer des orientations ou des principes généraux, est décidée afin de mobiliser et rationaliser les efforts déployés par la communauté internationale. Accord sur la création d'une Agence internationale pour l'environnement.
Sur la drogue, le Sommet demande à tous les pays, en particulier à ceux où la production, le commerce et la consommation de stupéfiants sont importants, de se joindre aux efforts des Sept afin de s'opposer à la production de stupéfiants, d'en réduire la demande, de poursuivre la lutte contre le trafic lui-même et le blanchiment des gains qu'il procure. On crée un groupe de lutte contre le trafic financier de la drogue (le GAFI), mais pas à Sept.
Tout cela a été mis au point depuis longtemps.
Tandis que les sherpas travaillent encore sur le projet de déclaration économique, dîner des chefs d'État et de gouvernement, toujours au Sommet de l'Arche : repas succulent, conversations légères.
Accord sur le financement de la réduction de la dette publique par le FMI, la Banque mondiale ; choix, pour les créanciers, entre déclaration du capital et bonification des taux d'intérêt. Échec sur le financement de la dette par les DTS.
La discussion entre sherpas s'achève vite. Pour la première fois en dix ans, il n'y a pas de texte « entre crochets », donc rien à régler demain entre les chefs d'État.
Dimanche 16 juillet 1989
La séance reprend à l'Arche à 9 h 30. Les cinquante-six articles du communiqué défilent à grande vitesse. On en a terminé à 10 h 45. Un seul problème bloque tout : De Mita souhaite un paragraphe spécial sur l'aide à la Yougoslavie. Les autres n'en veulent pas. Pourquoi la Yougoslavie plutôt qu'un autre pays ? Il n'y a pas d'urgence. Le pays va bien ! De Mita explique les risques d'explosions ethniques. Nul ne l'écoute. Chacun ne voit là que la lubie préélectorale d'un candidat en quête des voix de quelque lobby. Le compromis sur ce point prend une heure. Tout est bouclé à 11 h 30. C'est le plus court Sommet des Sept.
Après les remerciements de George Bush : Fantastique Sommet... fête extraordinaire... manière merveilleuse dont notre hôte a animé le Sommet..., le Président : Ce qu'on vient d'entendre n'est pas la lecture du 58e article de la déclaration commune des Sept ! Mais nous sommes des pays de droit et une parole du Président des États-Unis vaut bien un écrit...
Margaret Thatcher a annoncé qu'elle partirait à 12 h 30. Elle est extrêmement nerveuse : elle a hâte de s'en aller, et le dit. La conclusion de François Mitterrand dure cinquante minutes alors qu'en général, ce genre d'exercice ne dépasse guère un quart d'heure. J'entends Margaret Thatcher murmurer : C'est interminable, et ce n'est pas correct !
Petite fête pour remercier les mille et un services qui se sont magnifiquement dévoués — et d'abord la police — à ce succès.
Lundi 17 juillet 1989
Déjeuner avec José Córdoba. Il vient me dire sa gratitude pour le formidable cadeau fait par le Sommet au Mexique avec l'annulation de sa dette. Il n'y est pas pour rien, il a très bien négocié.
Rétablissement des relations diplomatiques (rompues depuis 1945) entre la Pologne et le Vatican.
Dans la foulée du Sommet de l'Arche, les Douze accordent à la Pologne une aide alimentaire d'urgence (770 millions de francs), tandis que la Commission européenne engage l'opération d'assistance à la Pologne et à la Hongrie dont les Sept lui ont confié la coordination.
Vienne dépose officiellement la demande d'adhésion de l'Autriche à la Communauté européenne. C'est Roland Dumas, pour la France, en charge de la Présidence, qui la reçoit d'Aloïs Mock. Il la transmet le même jour à la Commission pour hâter la procédure.
Mardi 18 juillet 1989
Le général Jaruzelski se ravise et déclare qu'il sera candidat à la Présidence de la République.
D'après un grand expert du Moyen-Orient en fin de mission, Alain Grenier, notre ambassadeur à Damas, contrairement aux impressions engendrées par un examen superficiel — et commode — de la situation, les Syriens n'étaient pour rien dans l'enlèvement des otages au Liban, tout comme ils n'ont été quasiment pour rien dans leur libération.
Le mystère reste donc entier.
Mercredi 19 juillet 1989
Nomination en Conseil des ministres : Gisèle Charzat, ancien pilier du CERES et ex-parlementaire européenne du PS, est nommée par le Président conseiller d'État en service ordinaire. Ou comment passer discrètement de la révolution aux privilèges de la République, en principe accessibles par concours...
Le Parlement polonais élit le général Jaruzelski à la Présidence de la République à une seule voix de majorité. Le pays semble repris en mains.
Vendredi 21 juillet 1989
En URSS, retour progressif au travail chez les mineurs de Sibérie, après accord avec le gouvernement.
Samedi 22 juillet 1989
Polémique entre Juifs et catholiques à propos du carmel d'Auschwitz qui refuse de quitter les lieux, comme prévu. Quel blasphème que cette croix fichée sur le lieu le plus essentiel, le plus monstrueux jamais produit par l'antisémitisme.
Dimanche 23 juillet 1989
En Italie, Giulio Andreotti forme le nouveau gouvernement.
Première conséquence concrète du Sommet de l'Arche : un accord de principe est signé par le Mexique avec ses banques créditrices.
Mardi 25 juillet 1989
Interview de Jérôme Seydoux dans Le Nouvel Économiste: critiques très dures contre La Cinq; il s'interroge sur sa participation à l'augmentation de capital en cours.
En Pologne, Solidarité refuse le principe d'une coalition avec le POUP. Il n'y a donc toujours pas de gouvernement.
Enrique Baron Crespo, socialiste espagnol, est élu président du Parlement européen dès le premier tour.
Mercredi 26 juillet 1989
Accord entre Bruxelles et Kinshasa : annulation de la moitié de la dette zaïroise (1,7 milliard de francs).
Michel Rocard présente au Conseil des ministres un plan de réorganisation de la Région Ile-de-France, pour réviser le schéma directeur de 1964, élaboré par Delouvrier et entièrement dépassé. Jacques Chirac fera tout pour le faire capoter.
Jeudi 27 juillet 1989
Interview accordée par François Mitterrand à cinq journaux : Le Nouvel Observateur, The Independent, El País, La Republica et la Suddeutsche Zeitung. Le Président affirme que l'orientation vers une union monétaire est antérieure à son arrivée à la Présidence, et que l'Union économique et monétaire est le passage obligé vers l'Europe politique. Les obstacles peuvent venir du Royaume-Uni. Il rappelle d'ailleurs que Margaret Thatcher a été hostile aux conclusions de Fontainebleau en 1984, hostile au lancement de la conférence intergouvernementale à Milan en 1985, hostile à l'Acte unique, mais que tout cela ne s'en est pas moins fait. Pourtant, il n'exclut pas qu'un nouveau traité soit conclu à Onze.
On lui pose une nouvelle fois la question de la réunification de l'Allemagne. Sa réponse reste traditionnelle : Réunifier l'Allemagne est la préoccupation de tous les Allemands. C'est assez compréhensible. Ce problème, posé depuis quarante-cinq ans, gagne en importance à mesure que l'Allemagne prend du poids : dans la vie économique, c'est fait ; dans la vie politique, c'est en train de se faire. Une sorte de basculement allemand vers les pays de l'Est ? Je ne le pense pas. Que l'Allemagne fédérale veuille entretenir de meilleures relations avec l'Union soviétique et les pays qui l'entourent, qui s'en étonnera ? La géographie et l'Histoire l'y poussent. Je ne vois pas là matière à scandale. L'Allemagne n'a pas intérêt à renverser ses alliances, ni à sacrifier sa politique européenne pour une réunification à laquelle l'URSS n'est pas prête ! Elle n'en a pas l'intention non plus, du moins je le crois... L'aspiration des Allemands à l'unité me paraît légitime. Mais elle ne peut se réaliser que pacifiquement et démocratiquement... Il est juste que les Allemands aient la liberté de choix. Mais le consentement mutuel entre l'Union soviétique et les puissances de l'Ouest supposera un vrai dialogue.
Rien de nouveau. C'est le discours classique depuis quarante ans. La réunification allemande suppose l'accord de l'Union soviétique ; l'URSS n'y est pas prête, et cet accord ne viendra donc pas. Le Président confirme ainsi que, pour lui, la question n'est pas du tout d'actualité, mais qu'il ne s'y opposera pas lorsqu'elle le deviendra.
Concession peut-être majeure : le Parlement soviétique accepte le principe d'une autonomie économique pour les républiques baltes, à partir du 1er janvier prochain.
Vendredi 28 juillet 1989
Après la mort de Khomeyni, élection à la tête de l'Iran de l'ayatollah Rafsandjani, avec 94,5 % des voix. Approbation de la réforme constitutionnelle visant à renforcer les pouvoirs présidentiels.
Lundi 31 juillet 1989
La presse publie des lettres anonymes rédigées par des gendarmes, mettant en cause Jean-Pierre Chevènement et le secrétaire d'État Gérard Renon, à propos des conditions de travail, des relations humaines au sein du corps, de ses rapports avec la police.
Le désordre commence à gagner le cœur de l'État.
Mardi 1er août 1989
Libération des prix agricoles en Pologne, hausse des prix de détail et mouvements de grève. Et toujours pas de gouvernement. Personne ne paraît plus craindre Moscou.
Buenos Aires lève les barrières commerciales imposées aux produits britanniques depuis la guerre des Malouines.
Mercredi 2 août 1989
En Pologne, élection par la Diète de Czeslaw Kiszczak, ancien ministre de l'Intérieur, au poste de Premier ministre. Il propose à nouveau à Solidarité d'entrer au gouvernement, mais essuie un refus.
La crise s'annonce de nouveau avec le retour des communistes aux postes de commande au moment même où l'Occident a décidé d'aider le pays.
Jeudi 3 août 1989
Réunion à Tunis du Ve Congrès du Fath : L'État palestinien est à portée d'un jet de pierre, déclare Yasser Arafat. Formule particulièrement bien choisie...
Vendredi 4 août 1989
Quelques jours dans le Chiapas, au Mexique. Une autre planète. Une misère sans fin, sans espoir, sans rémission. Un monde précolombien éloigné de tout, cerné de champs pétroliers et de villes en pleine croissance. La frontière Nord/ Sud ne passe plus entre les États-Unis et le Mexique, mais là, à la frontière du Guatemala, sur cette rivière qui charrie tant de cadavres de rebelles, d'immigrants malheureux, de trafiquants de drogue, en serpentant autour des plus beaux temples mayas de Bonampac et d'Iaxilan, de Palenque et d'Uxmal.
Dernières réflexions de François Mitterrand avant de choisir l'architecte pour construire la Bibliothèque de France. Il préfère le projet de Dominique Perrault : quatre tours transparentes autour d'un cloître.
Dimanche 6 août 1989
Décès de Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde en 1944. Il a créé une institution qui lui survivra, même si le journal n'est pas, en ce moment, à la hauteur de ses exigences. François Mitterrand : Le Monde est mon adversaire. Heureusement, il est très mauvais. Il reste l'organe des chrétiens de gauche, qui me haïssent plus que la droite. Moi, je ne les hais pas. Ils m'indiffèrent. Je ne comprends jamais rien à ce qu'ils racontent.
Lundi 7 août 1989
Heure de vérité en Pologne : Lech Walesa appelle les partis paysan et démocrate (ZSL et SD) à former un gouvernement avec Solidarité. Les non-communistes revendiquent le pouvoir face à un Président communiste.
En Nouvelle-Zélande, David Lange, Premier ministre depuis 1984, renonce à ses fonctions. Notre interlocuteur, si difficile dans l'affaire Greenpeace s'efface. C'est avec lui que Michel Rocard avait soldé l'affaire du Rainbow Warrior en mettant sur pied un fonds pour la promotion de l'amitié entre les deux pays.
Mardi 8 août 1989
Date limite de dépôt des candidatures pour la présidence commune d'Antenne 2 et FR3. C'est au CSA de décider. Le Président souhaite que Georges Kiejman l'emporte. D'autres, au sein du gouvernement, préféreraient Hervé Bourges.
Jeudi 10 août 1989
Le CSA élit à la surprise générale Philippe Guilhaume président d'Antenne 2 et FR3. Georges Kiejman est furieux contre Hervé Bourges, contre le CSA, contre le Président.
La grogne des gendarmes s'amplifie, s'étend sur la place publique. Le directeur de la Gendarmerie, Régis Mourier, rappelle ses troupes au devoir de réserve. En vain... Le Président : Cette affaire est honteuse.
Dimanche 13 août 1989
Rumeurs de fermeture du Mur, d'arrêt du passage entre les deux Allemagnes. Accélération de la fuite des Allemands de l'Est par le sud. Bonn ferme son ambassade de Hongrie occupée par des Allemands de l'Est en quête de visas.
Lundi 14 août 1989
Face aux désordres croissants et aux menaces pesant contre nos intérêts, le Président décide de renforcer la présence navale française au large du Liban.
Le directeur de cabinet de Michel Rocard, Jean-Paul Huchon, organise une réunion sur les problèmes des gendarmes. Au départ devaient y assister Michel Charasse, Jean-Pierre Chevènement, Gilles Ménage, Jean-Louis Bianco et Michel Durafour. Michel Charasse prévient Pierre Joxe de la tenue de cette réunion : il pense que Joxe, dont il connaît l'hostilité à Chevènement, s'opposera aux demandes budgétaires de ce dernier. C'est le contraire qui se produit. Tous les ministres rappliquent avec des pléiades de collaborateurs. La réunion donne lieu à un grand désordre. Chevènement fait état d'un accord du Président pour augmenter l'indemnité militaire de 50 %. (Renseignement pris, le Président ne l'a jamais donné.)
Jean-Pierre Chevènement : Il faut raisonner en politiques.
Michel Charasse : Tout cela doit être financé par le redéploiement.
Jean-Pierre Chevènement : Je ne suis pas fils de gendarme, mais neveu... Cela dure une heure. Tout le monde connaît l'arbitrage préparé à l'avance par Jean-Paul Huchon et sait qu'on finira par là.
Mardi 15 août 1989
Frederik De Klerk est le nouveau chef d'État de l'Afrique du Sud, après la démission effective de Pieter Botha, annoncée hier soir.
Mercredi 16 août 1989
A New York, première rencontre entre Argentins et Britanniques depuis la guerre des Malouines.
Conseil des ministres. A propos de la communication du ministre de la Coopération, Jacques Pelletier, sur l'Afrique, Michel Rocard : Je dois vous dire mon désarroi et mon pessimisme sur la situation en Afrique. L'écart avec les pays développés s'accroît : l'Afrique est le tonneau des Danaïdes. Il faut renflouer Air Afrique, aider la Côte d'Ivoire pour le cacao... On ne s'en sort plus et je dois dire que le commandement politique tel qu'il s'exerce dans ces pays n'est pas compatible avec le développement.
Le Président : La difficulté, c'est que la politique extérieure qui est la nôtre ne peut pas se substituer sans risque à la politique intérieure de ces pays. La ligne générale est bien conforme à ce que vous dites, mais l'action quotidienne est infiniment délicate.
Je regarde le Président regarder Michel Rocard comme il observerait un athlète qui, ployant sous une charge de deux cents kilos, marcherait sur une planche étroite au-dessus d'un ravin. Je me dis que si l'athlète s'en sort indemne, la prochaine fois, le Président fera passer la charge à quatre cents kilos. Quant à la planche, elle sera remplacée par un fil.
Après le Conseil, Jean-Pierre Chevènement revient à la charge auprès du Président : Le Premier ministre est tout à fait d'accord pour augmenter les indemnités militaires de 50 %. Bianco appelle Huchon, qui dément.
Le choix de Dominique Perrault, pour construire la Bibliothèque de France, est annoncé officiellement.
Jeudi 17 août 1989
Jean-Pierre Chevènement adresse à tous les gendarmes une lettre dans laquelle il affirme que la ligne jaune a été franchie. Il annonce qu'il rencontrera le 23 août une délégation pour discuter d'homme à hommes.
Samedi 19 août 1989
En Pologne, Lech Walesa a gagné. L'épreuve de force a payé. La crise se dénoue. Pour la première fois depuis la création du Pacte de Varsovie, un non-communiste accède au pouvoir à l'Est : le général Jaruzelski désigne comme nouveau Premier ministre Tadeusz Mazowiecki (Solidarité). Il n'y a pas eu d'effusion de sang. Contrairement au pronostic des Occidentaux — y compris de François Mitterrand, mais à l'exception de George Bush —, Mikhaïl Gorbatchev accepte sans réagir que le pouvoir dans un pays de l'Est échappe aux mains des communistes.
La RDA se raidit. On parle de fermeture de ses frontières. Panique. Alors que de nombreux Allemands de l'Est se sont déjà réfugiés, ces dernières semaines, dans les ambassades de RFA, profitant d'un « pique-nique » d'amitié austro-hongrois, ce sont cette fois 500 Allemands de l'Est qui franchissent d'un coup la frontière à Sopron, par crainte des réactions des « durs » devant l'évolution polonaise.
Lundi 21 août 1989
Manifestations à Prague pour le 21e anniversaire de l'intervention des troupes du Pacte de Varsovie : 376 arrestations. Les « durs » sont toujours là, aux aguets.
Mardi 22 août 1989
Libération conditionnelle des trois derniers militants nationalistes corses emprisonnés.
L'emprise syrienne sur Beyrouth se desserre, faute de pouvoir légal au Liban. François Mitterrand ironise : Maintenant Rocard veut envoyer là-bas une mission humanitaire...
Mercredi 23 août 1989
Au Conseil des ministres, le Président, à propos du Liban : Nous n'avons qu'une politique et non pas deux, celle qui consiste à desserrer l'étreinte syrienne. Nous employons la méthode diplomatique. Elle a donné des résultats, mais nous sommes les seuls à tenter vraiment d'agir. L'envoi de navires ne représente pas une autre politique. Vous imaginez plusieurs milliers de personnes sur les plages du Liban, et que personne ne bouge ? Ce serait insupportable pour la France. Ce n'est là qu'une hypothèse. Elle a reculé depuis qu'il y a un cessez-le-feu, mais ce cessez-le-feu est fragile. Il n'est donc pas question de revenir sur l'ordre donné avant le cessez-le-feu.
Il lit ensuite un texte qui sera rendu public un peu plus tard : Il n'appartient à aucun pays ni à aucun groupe de dicter à la France ce qu'elle doit faire à propos du Liban. Quand la France annonce une mission de sauvegarde, et seulement de sauvegarde, les uns ne veulent pas entendre le sens des mots et feignent de confondre sauvegarde et action militaire ; et les autres s'imaginent bien à tort que la Marine française est ou sera à leur disposition.
La France agit et agira conformément au droit international, d'abord pour protéger ses ressortissants, avec le souci d'aider toutes les communautés libanaises qui souffrent, quelle que soit leur confession, et en étroite concertation avec le comité tripartite des chefs d'État arabes et avec ses partenaires européens.
Nous serions, le cas échéant, à la disposition des uns et des autres comme nous l'avons été dans les opérations précédentes. Cela dit, je ne fais aucun pronostic.
Ces décisions doivent rester secrètes pendant vingt-quatre heures, car elles doivent être annoncées préalablement à la Syrie, aux États-Unis, à l'URSS et aux pays de la CEE. Le Président demande que Roland Dumas et Jean-Louis Bianco voient comment éviter de donner à la nouvelle un caractère « dramatique ».
Le Président se rend en Auvergne à l'invitation de Michel Charasse, maire de Puy-Guillaume, mais aussi ministre du Budget. A propos de la prochaine loi de finances : Ce budget n'est pas assez social. Il faut utiliser l'essentiel de l'argent correspondant aux allégements fiscaux [15 milliards, en principe] au profit des plus défavorisés, et se préoccuper sérieusement du niveau de vie des fonctionnaires. Au passage, il s'étonne qu'une nouvelle baisse de l'impôt sur les sociétés soit prévue, alors que les entreprises font de substantiels bénéfices.
Nouvelle fuite massive d'Allemands de l'Est vers l'Autriche, par la Hongrie et la Tchécoslovaquie. La RFA décide de fermer son ambassade à Prague pour tenter d'enrayer l'afflux de réfugiés.
En URSS, chaîne humaine de 560 kilomètres à travers les pays Baltes pour condamner le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939.
Jean-Pierre Chevènement reçoit 87 gendarmes tirés au sort parmi les 4 900 qui se sont portés volontaires pour parler au ministre. Il leur annonce la création de 4 000 emplois en quatre ans, la création de commissions permanentes de concertation, ainsi que l'amélioration de la condition militaire.
Le Premier ministre, en route pour l'Australie, annonce aux journalistes qui l'accompagnent, non sans une certaine « dramatisation », les décisions prises au Conseil sur le Liban. L'un d'eux, journaliste de RTL, descend à l'escale de Colombo pour téléphoner l'information à Paris. D'où un communiqué rédigé à la hâte par l'Élysée pour rattraper l'affaire...
Vendredi 25 août 1989
Voyager II s'approche à 4 900 kilomètres de Neptune.
Jean-Pierre Chevènement me dit à propos de la crise de la gendarmerie : La presse jette de l'huile sur le feu. Elle détruit la démocratie. Il faudrait interdire la publication de ces déclarations anonymes [de gendarmes]...
Samedi 26 août 1989
Pour le Bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme, François Mitterrand inaugure la Fondation de l'arche de la Fraternité, installée au sommet de l'Arche de la Défense.
Dimanche 27 août 1989
Comme prévu, nous envoyons un émissaire à Damas et à Beyrouth pour exposer nos vues et prévenir de notre action au Liban.
Lundi 28 août 1989
Sur Europe 1, Jean-Pierre Chevènement attaque violemment la presse qui, en publiant les lettres anonymes des gendarmes, a, selon lui, manqué à une déontologie élémentaire. Le PC juge les propos du ministre consternants.
Mardi 29 août 1989
Au cours du petit déjeuner des « éléphants » à Matignon, Pierre Mauroy met violemment en cause ceux qui prendraient le risque de ne pas voter une amnistie à l'occasion de la loi sur le financement de la vie politique qui doit venir en discussion à la rentrée, cet automne.
Michel Rocard vient me voir pour me parler de cette amnistie qui lui empoisonne la vie : Je sais que je suis le seul en mesure, à condition d'y consacrer énergie et talent, de faire passer ce texte. Si je ne fais pas de zèle, l'amnistie ne sera pas adoptée ; les socialistes m'en rendront responsable avec d'autant plus d'aigreur que la litanie des « affaires » se poursuivra, alors qu'eux-mêmes resteront absolument et sincèrement convaincus que l'amnistie aurait permis de l'éviter. Si je fais du zèle, je ferai passer une mesure que je sais moralement discutable, politiquement coûteuse et judiciairement inefficace, acceptant ainsi de me transformer en bon soldat d'une mauvaise cause. Mais les pressions très explicites des socialistes - et à peine implicites de l'Élyséesont si fortes que je n'ai guère le choix.
Par ailleurs, je suis très conscient d'avoir l'obligation de réussir. Je viens donc demander que, dans cette affaire, Matignon soit seul à la manœuvre et qu'au moins, garantissant le résultat, on me laisse libre du déroulement.
Je transmets le message.
Mercredi 30 août 1989
Conseil des ministres. François Mitterrand, à propos de la nomination de François Stasse à la direction générale de l'Assistance publique : C'est un très bon choix. Choussat était un homme de grande valeur, qui part pour des raisons personnelles.
Le Président ne trouve pas le prochain budget assez « social » Il en fait grief aux députés socialistes, qui se contentent de ne faire payer qu'un peu les riches ; à Pierre Bérégovoy, qui ne souhaite pas voir son projet initial, ultra-orthodoxe, mis en pièces ; au patronat, qui espère encore quelques allégements fiscaux supplémentaires.
Émile Biasini et Dominique Jamet, responsables du projet de la Grande Bibliothèque, ont prévu de tenir, tous les deux seuls, une conférence de presse. Jack Lang fait scène sur scène à Biasini, exige de présider, demande à relire les documents qui seront distribués à la presse.
Refus du Président, saisi du problème.
Déjeuner avec le Président et Jacques Tajan chez J. Guérin, grand bibliophile, à Luzarches. Des livres uniques.
Vendredi 1er septembre 1989
Devant les militants socialistes, Michel Rocard présente son « pacte de croissance » Il entend répartir la richesse nationale en trois parts égales : un tiers pour l'emploi, un tiers pour la formation et l'éducation, un tiers pour le pouvoir d'achat.
Bernard Pivot annonce qu'il interrompra Apostrophes en juin 1990. Il sera irremplaçable. Nul doute que le livre en pâtira.
Le Président a une longue conversation avec Margaret Thatcher aux Chequers. La Dame de fer voudrait voir définir ce que sera l'Union économique et monétaire avant d'envoyer ses représentants en groupe de travail chargé de préparer le projet de traité. François Mitterrand la prévient : Le groupe qui prépare la Conférence intergouvernementale se réunira, quel que soit le nombre des participants. Margaret Thatcher tente de gagner du temps et demande qu'il ne se réunisse pas avant le 9 ou le 10 octobre.
Au sujet de l'Allemagne, elle se montre très hostile à la réunification, qu'elle pense néanmoins possible : Kohl ment tout le temps. Il en veut, et Gorbatchev est un faible. François Mitterrand déclare qu'il est pour des frontières sûres à l'Est, et qu'il convient de poser des questions aux Allemands. Mais il considère cette réunification comme impossible : Jamais Gorbatchev n'acceptera une Allemagne unie dans l'OTAN. Et jamais les Américains n'accepteront que la RFA sorte de l'Alliance. Alors, ne nous inquiétons pas : disons qu'elle se fera quand les Allemands le décideront, mais en sachant que les deux Grands nous en protégeront.
Dans l'avion du retour, le Président donne ses consignes à Élisabeth Guigou. Il tranche : Le groupe se réunira le 5 septembre, que la Grande-Bretagne en soit ou non. Il ne devra pas aborder les questions de fond, mais se borner à dresser une liste des questions à soumettre à la conférence. La stratégie du fait accompli sera, une fois de plus, la meilleure.
Les pilotes d'UTA se mettent en grève.
Samedi 2 septembre 1989
Profitant d'une matinée paisible, je fais part au Président d'une idée à laquelle je réfléchis depuis le Sommet de l'Arche. Pourquoi ne pas créer une institution qui regrouperait tous les pays européens, ceux de l'Est comme ceux de l'Ouest, y compris l'URSS ? Gorbatchev n'est pas allé plus loin que son vague concept de « maison commune » Cette institution, pour être crédible, ne devrait pas seulement être une assemblée ou un forum, mais être dotée de ressources propres. La France, selon moi, devrait proposer la création d'une banque qui financerait des projets d'intérêt commun. On l'appellerait « Banque de l'Europe ». François Mitterrand trouve l'idée intéressante et me demande de l'étudier.
Lundi 4 septembre 1989
Neuvième Sommet des pays non alignés à Belgrade. La Yougoslavie, qui préside le mouvement, semble décidée à jouer à fond la carte de la perestroïka et de l'ouverture aux pays industrialisés. Elle se joint au groupe des Quatre (Venezuela, Sénégal, Inde, Égypte) qui a pris l'initiative du Sommet Nord/ Sud.
A L'Heure de vérité où il passe aujourd'hui, Lionel Jospin a invité parmi l'assistance Michel Pezet, inculpé dans l'affaire Urba. Interrogé sur le projet de loi d'amnistie, Jospin élude et ne parle que du volet « financement de la vie politique ».
Mardi 5 septembre 1989
Conseil d'administration de Bouygues SA : Francis, le père, laisse sa place à Martin, le fils.
Première réunion du groupe des « représentants personnels » en vue de préparer le nouveau traité européen. Tous sont présents, y compris les Britanniques qui avaient dit qu'ils ne viendraient pas, ce qui constitue en soi un succès. Le groupe définit ses méthodes de travail et ses objectifs. Les Allemands offrent le spectacle affligeant de leurs divisions internes (entre ministres des Finances et des Affaires étrangères). Les Britanniques paraissent conciliants (il semble que ce soit le résultat des entretiens entre François Mitterrand et Margaret Thatcher), mais tentent d'affaiblir le groupe en multipliant les questions techniques. Le représentant néerlandais est désagréable et négatif. Voilà qui s'annonce mal.
A Peugeot-Mulhouse, le tiers des ouvriers cessent le travail. Ils réclament des hausses de salaires après celles (2,5 %) accordées chez Renault.
Dans l'actuel projet de budget, le ministre des Finances propose de réduire l'imposition sur les plus-values réalisées à 17 % si les cessions dépassent 288 400 francs dans l'année ; en deçà de ce montant, il propose que les plus-values soient exonérées, de même que les cessions de titres non cotés portant sur une participation inférieure à 25 %.
Je ne suis pas d'accord avec ces mesures. Je suggère de taxer les plus-values des sociétés non cotées comme les autres ; d'abaisser le seuil d'exonération à 200 000 francs ; au-delà, de porter le taux de 17 à 25 % afin de se rapprocher du taux britannique. Le Président acquiesce. Pierre Bérégovoy accepte avec beaucoup de réticences les deux premières suggestions mais rejette la troisième, sous prétexte de protéger l'épargne. Or, protéger l'épargne n'a rien à voir avec favoriser les gains spéculatifs !
Je propose en outre de réintégrer les plus-values à long terme dans l'impôt sur les sociétés, comme il en va dans les autres pays.
Débat sur l'augmentation des fonctionnaires, que souhaite le Président, par souci de justice sociale.
Dans une note à François Mitterrand, Pierre Bérégovoy explique que les fonctionnaires gagnent en moyenne plus que les salariés du secteur privé et qu'il ne faut donc procéder à aucun rattrapage de leurs salaires. C'est inexact, à mon avis, sauf si l'on inclut dans la comparaison les salariés (exploités) des PME et du petit commerce. En fait, il convient de comparer le sort des salariés de l'État, vaste organisation, à celui des salariés des grandes entreprises. Or là, la comparaison s'inverse radicalement, tant pour les bas que pour les hauts salaires.
Bérégovoy fixe comme objectif pour la fonction publique la préservation du pouvoir d'achat en 1990, comme cela a été fait en 1989. La prime de croissance évoquée pour 1989 se révèle dérisoire : elle ne sera que de 0,7 %, alors que la croissance du PIB en 1989 se montera à 4 %. Ce qui veut dire que la part des salariés du secteur public dans le revenu national diminuera. C'est à mon avis injustifiable.
J'explique au Président que si aucun plan d'ensemble n'est proposé pour réduire ces écarts par la fiscalité et par la hausse des revenus, la qualité de l'État se dégradera et l'hémorragie des cadres du secteur public se poursuivra. Une telle politique conduira à de graves déboires, à un affaiblissement de la nation.
Le Président me donne raison et répond par lettre à Bérégovoy que sa note sur les salariés de la fonction publique repose sur des bases inexactes. Il reprend les arguments que je lui ai fournis. Il faut, insiste-t-il, réduire les inégalités entre les salariés du secteur public et ceux du privé. Il constate que dans l'actuel projet de budget pour 1990, il est question de réduire l'imposition sur les plus-values. Il indique que, tout au contraire, il convient de l'augmenter. Il s'agit là en effet d'un argent « facile », qui ne correspond à aucun travail ni à aucune richesse créée et dont la taxation s'impose, d'autant plus que les comparaisons internationales montrent que cet impôt est plus bas en France que dans nombre de pays industrialisés comparables. Il souhaite que soit examinée la possibilité de taxer les personnes physiques sur les plus-values de cessions de titres de sociétés non cotées, d'abaisser le seuil d'exonération des cessions de titres de sociétés cotées et d'augmenter le taux de cette taxation. Il demande également qu'on étudie la possibilité de réintégrer les plus-values à long terme des sociétés dans l'impôt sur les sociétés.
Pierre Bérégovoy, furieux, décide de n'en faire qu'à sa tête. Le Président n'insistera pas. La directive présidentielle n'aura aucun impact sur la préparation budgétaire.
Jean-Louis Bianco prévient le Président que Michel Rocard souhaite évoquer demain, en Conseil des ministres, les querelles de plus en plus nombreuses, sur tous les sujets, entre socialistes. Elles s'inscrivent en fait, sans que quiconque le dise, dans les préparatifs du prochain Congrès. Le Premier ministre nous a fait parvenir le texte de l'intervention qu'il a esquissée à ce propos : Depuis une quinzaine de jours, une nervosité de mauvais aloi semble avoir gagné les rangs du gouvernement. Rien ne la justifie et rien ne l'excuse.
Rien ne la justifie, car la situation d'ensemble du pays et l'état de l'opinion publique ne sont pas mauvais. Et s'il existe, à l'évidence, des sujets de préoccupations ou d'interrogations, ils doivent d'autant plus inciter les ministres à montrer sang-froid et solidarité.
Injustifiée, cette nervosité est également inexcusable. Il est bien normal que des débats se tiennent entre nous, mais ils doivent se dérouler autour de cette table, ou lors des nombreux contacts que nous avons entre nous, et non par journalistes interposés.
Beaucoup d'entre nous appartiennent à la même formation qui prépare son Congrès. Mais les divisions qui peuvent se manifester à cette occasion ne doivent ni se répercuter sur le gouvernement, ni même en nourrir, à tort ou à raison, le soupçon.
Or, j'ai le regret de dire que, de parenthèse à refermer en déficit à combler, de chasses gardées à préserver en réformes à engager ou à ne pas engager, je n'ai pas eu récemment le sentiment d'une solidarité en œuvre.
Les membres du gouvernement sont des femmes et des hommes libres, libres notamment de le quitter s'ils le souhaitent. Mais aussi longtemps qu'ils y appartiennent, ils doivent avoir un sens et une pratique aigus de ce qui est décent ou ne l'est pas, de ce qui est solidaire ou ne l'est pas.
Vous ne devez songer qu'à ce qui sert vos fonctions actuelles, et non à celles auxquelles vous pourriez aspirer.
Chacun sait que je n'ai pas le goût d'un fonctionnement autoritaire. Chacun se doute que je n'ai nul plaisir à faire cette mise au point.
En nous nommant tous, le Président de la République nous a honorés de sa confiance. Je n'en serais pas digne si j'omettais de faire ce rappel à l'ordre. Vous n'en seriez plus dignes si vous omettiez d'en tenir compte.
Le Président, lisant ce texte : Qu'il dise ce qu'il veut. Pas de problèmes. Il adore les règles, les procédures. Il se croit chez les scouts. Le Congrès sera très dur. Il doit s'y faire.
Négociation entre le Président et le Premier ministre, par l'intermédiaire de Michel Charasse, sur les nominations au Conseil économique et social. Michel Rocard a tenu à y nommer quelques amis, notamment certains de ses financiers. François Mitterrand grince : Il critique mon népotisme, mais il en fait lui-même dès qu'il peut !
Après Lionel Jospin et Laurent Fabius, Louis Mermaz affirme à son tour que le groupe socialiste n'est plus demandeur d'une amnistie des délits financiers commis pour motifs politiques. Ce sujet est out, déclare-t-il aux journalistes.
Mercredi 6 septembre 1989
Conseil des ministres. Michel Rocard fait le speech prévu et ajoute : Bien qu'il y ait eu une accalmie depuis deux ou trois jours, je dois évaluer le problème de la météorologie politique. Si les vertus de la démocratie conduisent au débat et si le débat prend plus d'intensité selon un rythme propre aux institutions, les désaccords entre ministres doivent être débattus en réunion interministérielle ou en Conseil des ministres et n'ont pas à l'être sur la place publique. Une fois les décisions prises, elles n'ont pas à être critiquées par des ministres.
Le Président ajoute : Il est en effet souhaitable que l'harmonie, sinon dans les pensées, au moins dans les déclarations, prenne le pas sur toute autre considération. Visiblement, ces rappels à l'ordre ne l'intéressent pas.
Le Président commente en revanche avec beaucoup de flamme les propos tenus par Alain Decaux sur la place de la langue française en Bulgarie. L'influence de la France est surprenante dans ce pays, libéré par deux fois en un siècle par la Russie. Il est de fait que c'est le pays d'Europe orientale qui est sans doute le plus imprégné de culture française ; or nous avons tendance à l'oublier.
A propos du rapprochement entre les deux Allemagnes, le Président répète que, pendant longtemps encore, l'Union soviétique refusera la réunification : Mais il faut cependant en envisager froidement la possibilité. La défaite de 1945 n'a pas mis fin à la profonde aspiration à l'unité allemande. Cette tendance profonde doit aussi être présente à nos esprits lorsqu'on considère la demande d'adhésion de l'Autriche à la CEE. Cette adhésion de l'Autriche pourrait favoriser la constitution d'un bloc allemand puissant, sur les plans économique et démographique, au centre de l'Europe. Et il faut l'éviter.
Cet après-midi, le Président m'entraîne pour une promenade et me parle de la rivalité Fabius-Jospin : Mais qu'est-ce que je vais faire de ces deux-là ? C'est un couple impossible ! Ils ne s'arrêteront donc jamais ? Quand je pense qu'on a parlé pendant des années de mon opposition à Rocard... A côté de leur haine, c'était de la gnognote!
A propos du volet « amnistie » du projet de financement des partis, un ministre commente : C'est indigne ! Les soutiers des sociétés liées au PS vont se retrouver en justice alors que les dirigeants socialistes, qui en ont tous profité, se donnent le beau rôle en refusant de voter l'amnistie... Mais renoncer à ce vote pourrait avoir une autre conséquence : Si l'amnistie n'est pas votée, les camarades de la fédération des Bouches-du-Rhône vont être fous furieux et le feront payer à qui de droit. Ce n'est pas un hasard si Michel Pezet, dans son interview au Nouvel Observateur, s'est découvert une vieille amitié pour Rocard. Si les responsables de la fédération ont le sentiment d'être trahis par Matignon, ça risque de faire du vilain au moment du Congrès...
Toute cette affaire de financement est en effet partie de Marseille. De la volonté des uns de protéger Pezet, de celle des autres de lui faire la peau !
Le petit déjeuner du mardi entre « éléphants » socialistes va dorénavant être remplacé par un déjeuner à Matignon à l'issue du Conseil des ministres. Première tentative aujourd'hui.
Trois ministres plaident : Chevènement pour « ses » gendarmes et « ses » cadres militaires, Joxe pour « ses » flics, Bérégovoy pour « ses » agents des impôts. Après ces trois exposés, Jean Poperen lance, cinglant : Intéressante réunion syndicale... Mais à quelle heure arrivent les ministres ?
Michel Rocard s'énerve : Si vous croyez que je vais accepter sans réagir de me faire traiter de gestionnaire libéral et d'homme de droite, vous vous trompez grossièrement !... Moi aussi, je peux accuser publiquement les irresponsables qui s'imaginent qu'ils vont pouvoir faire un Congrès à gauche à mes dépens ! S'il y en a qui voient une autre politique possible, qu'ils le disent clairement ! [Un silence, puis :] Tu vois ce que je veux dire, Emmanuelli ?
Réponse glaciale d'Henri Emmanuelli : On peut sans doute en trouver une qui ne fasse pas du tiroir-caisse un objet de culte.
Décidément, l'approche du Congrès autorise toutes les haines entre des gens qui ont pourtant du temps pour gouverner et bénéficient de surcroît d'une forte popularité et d'une croissance économique inconnue depuis quinze ans... Quel gâchis !
Le Président de la République indique au Premier ministre qu'il ne voit pas d'objection de principe à la mise en commun des activités de construction de satellites de l'Aérospatiale (publique) et d'Alcatel (privée) sous forme d'une société détenue à 50 % par chacune. Par ailleurs, la complexité du cas Framatome conduit à reporter toute décision afin de ne pas bloquer les autres opérations industrielles entre la CGE et l'État.
Le Premier ministre autorise donc l'accord relatif aux satellites.
Jeudi 7 septembre 1989
C'est au tour de Michel Sapin, rocardien et président de la Commission des lois à l'Assemblée nationale, de monter au créneau. Dans Le Quotidien de Paris, il affirme que si l'amnistie doit être un obstacle à la discussion globale sur le financement des partis, alors il est préférable qu'elle disparaisse. Formidable ! On se demande vraiment qui a pu avoir une idée pareille...
Pierre Bérégovoy est très déstabilisé. Alors qu'ils les refusent à ceux de tous les autres ministères, Michel Charasse et lui ont, en réunion de concertation avec les syndicats, promis aux fonctionnaires des Finances des concessions financières que le Premier ministre estime à juste titre trop élevées et n'entend pas honorer.
Quant au Président, il persiste à trouver le budget beaucoup trop à droite. Il le dit à Bérégovoy ; celui-ci sort de son bureau très secoué. La lettre que le Président lui a adressée après ma note ne simplifie pas son problème.
Devant la 42e session de l'Institut des hautes études de défense nationale, Michel Rocard expose les raisons pour lesquelles le gouvernement a révisé la loi de programmation militaire : La loi initiale, celle de 1987, se fixait trop d'objectifs. Lorsque j'ai appelé le groupe socialiste, alors dans l'opposition, à la voter, je l'ai fait tout en dénonçant l'ambition excessive de la loi proposée : des choix s'imposaient rapidement; ils se sont effectivement imposés, sans surprise.
Vendredi 8 septembre 1989
La grève lancée à l'usine Peugeot de Mulhouse s'étend à Sochaux. Jacques Calvet, PDG du groupe, refuse de négocier sur les salaires. Il a proposé 1,5 %, pas plus : c'est à prendre ou à laisser.
Samedi 9 septembre 1989
Mikhail Gorbatchev annonce un programme extraordinaire d'assainissement de l'économie soviétique. François Mitterrand :il fait vraiment un travail très courageux. S'il réussit, il fera de son pays la première puissance d'Europe.
Dimanche 10 septembre 1989
Date peut-être historique : les autorités de Budapest décident de laisser les Allemands de l'Est se trouvant en Hongrie gagner le pays de leur choix. Plus de dix mille Allemands de l'Est passent en Autriche, la plupart au volant de leur Trabant.
Le Président : Combien de temps Gorbatchev va-t-il tolérer cela ? C'est le désordre dans le Pacte de Varsovie. Entre ce que me déclare Gorbatchev et ce qu'il fait, le fossé se creuse. A croire que son pouvoir est bien moindre que ce qu'il dit.
Lundi 11 septembre 1989
Le président commun des deux chaînes publiques, Philippe Guilhaume, rencontre André Rousselet, le président de Canal + et lui parle de la nomination des directeurs d'Antenne 2 et de FR3, qui sont de son ressort. Il évoque Jean-Pierre Elkabbach pour Antenne 2.
Mardi 12 septembre 1989
Après avoir vu Jacques Delors, Roland Dumas fait le point à l'intention du Président. Pour ce qui concerne l'Union économique et monétaire, le travail de préparation a bien commencé. L'attitude de Helmut Kohl sera décisive. Pour ce qui est de l'Europe sociale, Delors est inquiet. de l'attitude de Jean-Pierre Cot et du groupe socialiste au Parlement européen ; celui-ci fait de la surenchère au moment même où montent les oppositions entre Européens. Delors suggère enfin une rencontre avec George Bush en vue d'amorcer un dialogue entre la Communauté européenne et les États-Unis.
Manifestation à Paris des fonctionnaires des Finances qui réclament l'augmentation que leur ont promise leurs ministres.
Mercredi 13 septembre 1989
François Mitterrand : Beaucoup de journaux ont écrit que je reprochais à Michel Rocard la version initiale du budget, qui a été retouchée depuis lors. En fait, c'est surtout à Pierre Bérégovoy qu'allaient mes reproches, car c'est lui qui avait préparé cette première version et elle ne prenait pas assez en compte le souci de justice sociale.
Serge Klarsfeld dépose plainte contre René Bousquet pour crimes contre l' humanité.
Michel Rocard présente un deuxième plan pour l'emploi en Conseil des ministres.
Jeudi 14 septembre 1989
Philippe Guilhaume informe Catherine Tasca et Jack Lang qu'il a choisi Jean-Michel Gaillard et Jean-Pierre Elkabbach pour diriger respectivement Antenne 2 et FR3. Il n'en a pas encore parlé aux intéressés. J'appelle Elkabbach ; il hésite. Je lui passe le Président. François Mitterrand lui conseille d'y aller. Dans la nuit, Elkabbach appelle Claude Lemoine, qui conseille Guilhaume, pour décliner la proposition de ce dernier.
Accord franco-irakien sur le rééchelonnement de la dette de Bagdad.
Le Président: Il n'y a rien de pire que les socialistes qui rêvent de se voir décerner des brevets de bons économistes par des hommes de droite. Ils finissent par oublier qu'ils sont de gauche.
Vendredi 15 septembre 1989
Les nominations de Jean-Michel Gaillard à Antenne 2 et de Dominique Alduy à France 3 sont rendues publiques, ainsi que celles d'Ève Ruggieri et de Jean-Marie Cavada comme « directeurs d'antenne » sur la deuxième et la troisième chaînes.
J'apprends par Boutros Boutros-Ghali certains détails sur la conférence des non-alignés qui s'est tenue il y a quinze jours à Belgrade. Les quatre chefs d'État qui ont appelé au Sommet Nord/Sud le 14 Juillet dernier (Venezuela, Sénégal, Inde, Egypte) se sont montrés très désireux qu'une suite rapide soit donnée à leur initiative. Ils y ont associé la Yougoslavie en tant que président du mouvement des non-alignés sans que, pour autant, le mouvement en tant que tel soit partie prenante à cette préparation. Le Président Moubarak a multiplié les contacts en ce sens. Le Sommet de Belgrade, dit-il, a réagi favorablement à l'initiative d'instaurer une consultation régulière entre les chefs d'État du Nord et du Sud sur les problèmes économiques et écologiques globaux. Il a discuté de ce projet avec le ministre canadien Joe Clark, qui a confirmé son appui. La RFA ainsi que l'Italie ont manifesté la même attitude positive. Mais les États-Unis se déclarent toujours sceptiques, tandis que le Royaume-Uni rejette carrément cette initiative. Quant au Japon, il demeure hésitant. Ces trois derniers gouvernements craignent que le dialogue proposé se cantonne uniquement au problème de l'endettement.
Boutros et moi décidons de réunir en France, dans les jours qui viennent, les représentants personnels des quatre chefs d'État initiateurs du projet avec celui de la Yougoslavie. Je leur proposerai d'organiser un groupe informel de préparation du futur Sommet Nord/Sud associant des représentants personnels des chefs d'État de la Yougoslavie, de l'Inde, du Venezuela, de l'Égypte et du Sénégal pour le Sud, de la France, de l'Italie, du Canada et de la RFA pour le Nord, ainsi que la Communauté européenne et le secrétariat général des Nations unies. Naturellement, je proposerai aussi à la Grande-Bretagne, au Japon et aux États-Unis de s'y joindre et je m'engagerai à les tenir informés s'ils ne souhaitent pas y participer. Ce groupe définira de façon tout à fait informelle la suite à donner à l'initiative. Il faudra commencer par aborder des sujets qui n'entraînent pas le risque de remettre en cause les compétences des institutions financières internationales — ce que redoutent le plus les Américains —, c'est-à-dire des problèmes qui s'imposent à tous, comme l'environnement et la drogue. On pourra y ajouter le problème de la croissance mondiale, ce qui conduira naturellement à parler aussi de la dette. Mais je pense qu'il vaut mieux laisser « monter » cette demande, sans chercher en rien à l'imposer.
Nous aurons ensuite à résoudre mille problèmes : liste des participants, procédure des préparatifs, lieu et date d'une éventuelle réunion. Nous en sommes encore loin, mais nous ne pouvons pas ne pas prendre au moins ces initiatives minimales si nous voulons donner une véritable chance au dialogue Nord/Sud.
Ce sera un des sujets abordés lors du dîner de travail des ministres des sept pays les plus industrialisés, qui doit se tenir à New York le 28 septembre sous la présidence de Roland Dumas. Boutros-Ghali se dit prêt à exposer aux sept ministres comment le Sud, pour sa part, conçoit un tel Sommet. Les Américains ne voudront probablement pas en entendre parler.
Samedi 16 septembre 1989
Le triumvirat arabe de Taëf devrait rendre publiques aujourd'hui ses propositions en vue d'un règlement du conflit entre libanais. D'après Roland Dumas, elles auraient reçu l'accord des Syriens. On a besoin de nous pour convaincre le général Aoun, le dirigeant actuel des chrétiens, de les accepter. Nos forces navales doivent-elles venir comme signe politique accompagnant ces propositions ? L'alternative est la suivante :
- maintenir le porte-avions en Méditerranée centrale ou orientale ;
- renvoyer le porte-avions à Toulon tout en le laissant en alerte afin qu'il ne soit qu'à cinq jours du Liban.
Le reste du dispositif naval mouillant au large du Liban (un grand bâtiment pour le soutien de la communauté française et le TCD/Orage pour une éventuelle évacuation) resterait en place. Le Président donne son assentiment à la seconde option.
Lundi 18 septembre 1989
La Hongrie rétablit ses relations diplomatiques (rompues en 1967) avec Israël.
Visite éclair de Shamir, Premier ministre israélien, au Caire pour discuter des propositions égyptiennes.
D'après Roland Dumas, l'Égypte va s'efforcer d'introduire ces discussions par une formule « inoffensive » sur les Palestiniens. Elle espère lui donner une « coloration internationale », rappelant l'idée, émise en son temps par George Shultz, d'une séance d'ouverture de la conférence internationale en forme de « cocktail diplomatique ». Le processus débouchera nécessairement sur une telle conférence.
Itzhak Rabin admet le principe d'un dialogue direct entre Israël et une délégation élargie de Palestiniens. Il admet aussi que ce dialogue ait bien lieu au Caire et que les invitations soient lancées par l'Égypte, autrement dit que la composition de la délégation palestinienne soit annoncée par l'Égypte — mais avec accord préalable d'Israël.