Roland Dumas reçoit Yasser Arafat dans
l'après-midi. Il lui fait prendre note du mot caduc, pour qualifier la Charte de l'OLP qu'il
utilisera le soir même à la télévision. Le voyage a trouvé sa
justification.
Robert Hersant, actionnaire de La Cinq, écrit à François Mitterrand pour protester
contre les projets de décrets de Catherine Tasca et Jack Lang sur
les quotas d'oeuvres françaises à la télévision. Le Président fait
préparer une réponse argumentée.
Helmut Kohl confirme la suppression de la retenue
à la source qu'il a déjà annoncée au Bundestag. Mais il s'agit d'une affaire de politique
intérieure, nous rassure Hans-Dietrich
Genscher. La retenue à la source sera
rétablie lorsque l'harmonisation sera décidée au niveau européen.
Et là, nous serons du côté de la France et nous vous
soutiendrons.
Rien n'est moins sûr, car le Chancelier cédera
sûrement alors aux Britanniques !
D'autres prises de position du Chancelier, lourdes
d'implications pour l'Europe, sont d'ailleurs tout aussi
inquiétantes : il prend parti pour des mesures contre la pollution
automobile qui favorisent surtout les intérêts allemands, sans
attendre un accord européen ; il met une condition à l'aide aux
pays endettés (les projets doivent prendre en compte la protection
de l'environnement) sans le moindre accord préalable avec nous.
Comme si la politique étrangère de la République fédérale avait des
velléités d'autonomie qu'elle n'a jamais montrées jusqu'ici. Comme
si l'Europe n'était plus le cadre privilégié, mais un instrument de
sa politique étrangère, utilisé à sa guise. Tous les pays européens
se comportaient déjà peu ou prou ainsi, sauf la RFA.
La RFA avec sa culpabilité qui s'efface...
En Hongrie, amorce de démantèlement du rideau de
fer avec l'Autriche. Les Hongrois vont venir librement à Vienne.
Que restera-t-il de la peur qui fait tenir debout ces régimes
?
Mercredi 3 mai
1989
Avant le Conseil des ministres, remarquant la
communication d'un secrétaire d'État dont il n'admire pas les
qualités de concision, le Président
murmure : Il ferait mieux de s'inspirer de
Tacite que de Cicéron.
Après l'exposé de Roland Dumas sur la situation au
Liban, le Président : Il y a en fait deux puissances occupantes, la Syrie et
Israël, qui ont passé une sorte de pacte tacite afin que l'une soit
tranquille au Sud et que l'autre ne soit pas dérangée dans le reste
du Liban. Nous pouvons très vite nous retrouver dans la situation
antérieure, et nous risquons d'avoir un drame de grande
ampleur.
A propos de l'Allemagne : Je
ne suis pas à ce point pessimiste. La situation géographique de
l'Allemagne n'est pas celle de la France. Que les Allemands
veuillent la réunification, c'est parfaitement logique et normal.
Il faut que nous prenions en compte dans notre diplomatie ce besoin
irrépressible. Cela signifie une politique française vis-à-vis de
l'est de l'Europe qui permette de poser autrement le problème
allemand.
A propos de la troisième option zéro :
Il n'y a pas de politique britannique, il y a
une politique anglo-américaine. Quand j'ai vu Bush, il m'a dit : «
Ce que je vous demande, c'est que vous recommenciez le discours du
Bundestag. » Je lui ai répondu qu'une fois suffisait et je lui ai
dit qu'en tout cas nous ne rentrerions pas dans le commandement
intégré.
A propos d'Arafat et de la charte de l'OLP :
Si l'OLP n'obtient aucune concession, pourquoi
devrait-elle déposer son arme de combat ?
A propos des réactions françaises à la visite du
chef de l'OLP : La droite ne fréquentait M.
Arafat que lorsqu'il était terroriste ; moi, c'est vrai, je l'ai vu
en 1974, au Caire, mais c'était par hasard et ce n'était pas
prévu.
Le Président évoque le
traitement infligé naguère par la communauté juive américaine à
Georges Pompidou lors de son voyage à Chicago ; il évoque l'épisode
controversé de Giscard d'Estaing observant Israël depuis un poste
militaire en Jordanie, ce que l'intéressé a d'ailleurs démenti
avoir jamais fait. Il rappelle qu'en 1982 Gaston Defferre et lui,
rue des Rosiers, tout de suite après l'attentat, se sont fait
traiter d'assassins : Je suis étonné que la
communauté croie indispensable de s'associer uniquement à des
parlementaires d'opposition et à l'ambassadeur d'Israël pour
dénigrer la venue d'Arafat... Vous savez, dans toutes les affaires
difficiles, on peut compter sur la couardise humaine. Faisons
donc ce que nous avons à faire.
Quant à Arafat, demandons-lui de parler clairement. C'est ce qu'il semble
avoir commencé à faire... Sa déclaration à la télévision française
était bienvenue. Elle a eu un retentissement dans le monde
entier.
Jeudi 4 mai 1989
Tragédie : Jean-Marie Tjibaou et Yeweiné Yeweiné
sont assassinés à Ouvéa par un extrémiste canaque.
300 000 étudiants défilent à Pékin. La prochaine
visite de Gorbatchev y attire les médias et leur sert de prétexte.
Ni l'ambassade, ni les services ne savent rien sur la lutte de
pouvoir qui se joue à Pékin... Tout reste à faire. L'ignorance à
l'égard de ces pays, mis à part quelques très rares diplomates ou
journalistes, nous coûtera cher.
Travail avec le Président sur son discours de
demain au Conseil de l'Europe. Il ne contient rien de bien
important.
Vendredi 5 mai
1989
François Mitterrand,
s'adressant à Strasbourg à l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe pour le 40e anniversaire de
l'organisation, souhaite que des liens plus
forts soient établis avec l'Europe de l'Est.
Adhésion de la Finlande au Conseil de
l'Europe.
A Madrid, je rencontre Felipe Gonzalez à la
Moncloa. L'Espagne assure pendant deux mois encore la présidence de
l'Europe. Gonzalez m'indique que le projet d'ordre du jour du
Sommet européen sera prêt dans le courant de la semaine. Le fait
que le « rapport Delors » sur l'Union monétaire ait été adopté par
consensus lui confère une force qu'il convient d'utiliser pour son
application. Face à l'opposition prévisible de la Grande-Bretagne,
il faut définir la stratégie la plus efficace. Deux formules
paraissent envisageables : soit se ranger à l'idée d'appliquer les
trois phases prévues dans le rapport et évoquer à Madrid les
modalités de la convocation d'une conférence intergouvernementale
en vue de la modification du Traité de Rome ; soit proposer
l'adoption de dispositions intermédiaires qui, en ménageant les
réticences britanniques, permettraient d'aboutir, par étapes, à
l'Union monétaire. Dans cette seconde hypothèse, la difficulté
consisterait à trouver un lien obligatoire et contraignant entre
l'adoption des premières mesures et la convocation de la
conférence.
Felipe Gonzalez considère que la seconde hypothèse
doit être privilégiée si elle peut permettre d'éviter une crise
ouverte avec la Grande-Bretagne. Il estime toutefois que si cette
formule doit conduire à un report sine
die de l'Union monétaire, il est préférable de poser
immédiatement le problème, quitte à déclencher une crise. Il est
prêt à en prendre la responsabilité politique, considérant que la
dramatisation a souvent été, par le passé, un facteur utile pour
faire avancer la construction européenne.
Carlos Solchaga, ministre espagnol des Finances,
m'explique que les oppositions conjuguées de la Grande-Bretagne, du
Luxembourg et aujourd'hui de la RFA compromettent toute perspective
de déboucher tant sur la fiscalité de l'épargne que sur
l'harmonisation de la TVA. Il estime par conséquent que la
proposition Scrivener ne pourra être adoptée par le prochain
Conseil économique. Il faut donc rechercher une formule
intermédiaire qui sauvegarde le principe de la taxation et permette
à la RFA de s'y rallier sans revenir sur sa décision de suppression
de la retenue à la source.
Gonzalez et son ministre de l'Économie et des
Finances sont conscients des difficultés politiques qu'entraîne la
libéralisation sans contrepartie des mouvements de capitaux.
J'explique l'état d'avancement des démarches au
sein du Groupe des Sept en vue de l'adoption d'une formule de
financement de la dette des pays à revenus intermédiaires ; ce plan
est aujourd'hui suffisamment avancé pour pouvoir faire l'objet
d'une discussion au Conseil européen de Madrid. Felipe Gonzalez
indique qu'il est favorable à l'inscription de ce point à l'ordre
du jour si la RFA et la Grande-Bretagne ne s'y opposent pas. Il ne
veut pas qu'une opposition déclarée de l'une ou de l'autre
compromette la discussion au Sommet de l'Arche. En revanche, si la
discussion à Madrid peut être utile, il sera heureux d'y
contribuer.
Sur le fond, Carlos Solchaga s'inquiète de
l'attitude des Américains, hostiles à un financement par recours au
FMI (émission de DTS). Il souhaite savoir comment nos propositions
s'articulent avec celles du plan Brady. Il est convenu que le
directeur du Trésor prendra contact avec lui et lui fournira toutes
les informations utiles.
Felipe Gonzalez fait allusion à l'éventualité d'un
élargissement du Groupe des Sept pour y accueillir l'Australie. Si
cette hypothèse se présente, il souhaite que la candidature de
l'Espagne soit également considérée.
Il rappelle la demande du président nicaraguayen
Daniel Ortega de recevoir une aide financière de 250 millions de
dollars, dont 40 millions devraient être fournis immédiatement.
Dans la perspective de la rencontre de Stockholm sur ce sujet, le
chef du gouvernement espagnol propose que la France, l'Italie et
l'Espagne s'associent pour fournir cette aide d'urgence. S'agissant
de Madrid, la contribution prendrait la forme d'un prêt à intérêt
bonifié (creditos blandos) et non d'un
don.
L'ayatollah Ali
Rafsandjani appelle les Palestiniens à tuer des Américains, des Britanniques ou des Français en
réponse à la brutalité sioniste en
Palestine.
Michel Rocard exclut que
les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, prévues pour le
11 juin, se tiennent pendant la période de
deuil consécutive à l'assassinat de Tjibaou.
Samedi 6 mai
1989
Le Président est furieux
de la décision de Michel Rocard de reporter les élections
provinciales prévues en Nouvelle-Calédonie pour dans un mois. Il
lui demande de revenir sur son annonce : Reculer le scrutin, c'est donner raison aux
assassins. Rocard accepte et décide de partir pour Nouméa
assister aux obsèques de Tjibaou.
Lundi 8 mai 1989
François Mitterrand :
Encore une célébration ! Le mois est fait de
fausses victoires et de vraies vacances.
Mardi 9 mai 1989
Pour fêter leur « premier anniversaire », Michel
Rocard invite François Mitterrand à déjeuner à Matignon. Il y a là
cinq collaborateurs du Président et autant du Premier ministre. La
conversation, aimable, un peu empruntée, n'aborde rien de sérieux.
Longue digression sur le départ des communistes du gouvernement en
1946.
François Mitterrand me
dit peu après: Méfiez-vous de ces gens, ce
sont des barbares. Pour lui, l'expression désigne des gens
incultes, pas forcément des adversaires.
François Mitterrand :
La question européenne essentielle est d'avoir
un accord monétaire avec l'Allemagne pour pouvoir se permettre un
conflit avec la Grande-Bretagne.
Mercredi 10 mai
1989
Au Conseil des ministres, Pierre Bérégovoy rend
compte de la création d'une pièce de 500 francs. Il s'agit d'une
pièce de collection. Le Président, qui
est parfaitement au courant, interroge le ministre : Cette pièce, vous la vendez combien ? Pierre Bérégovoy répond : 3 000
francs, ce qui soulève un éclat de rire général.
François Mitterrand : Vous êtes dans le droit-fil de Philippe le Bel
!
Après un exposé de Roger Fauroux sur la politique
énergétique, le Président conclut :
Le nucléaire nuit beaucoup moins aux hommes
que les autres formes d'énergie.
Puis il intervient à propos de la
Nouvelle-Calédonie : Je n'étais pas d'accord
pour faire repousser la date des élections provinciales. Je l'ai
fait savoir au Premier ministre qui était d'un avis radicalement
opposé. Reculer le scrutin, cela revenait à donner raison aux
assassins. Il s'agissait d'une question de principe et j'étais prêt
à intervenir là-dessus pour dire que les élections devaient avoir
lieu à la date prévue. Michel Rocard est parti là-bas [le 7 mai] et
a annoncé que la consultation ne serait pas reportée. C'est
bien.
Catherine Lalumière est élue secrétaire générale
du Conseil de l'Europe.
Jeudi 11 mai
1989
A propos des prochaines élections européennes,
le Président : Finalement, dans ce scrutin, Chirac et Rocard ont le même
objectif. La liste qu'ils soutiennent — la liste Giscard pour l'un, la liste Fabius pour
l'autre — ne doit pas réaliser un trop
mauvais score, mais il ne faut pas non plus qu'elle en fasse un
trop bon.
Mgr Lustiger refuse de s'associer aux cérémonies
prévues prochainement pour le transfert des cendres de l'abbé
Grégoire au Panthéon. Deux siècles après, l'abbé révolutionnaire
est toujours aussi mal vu de sa hiérarchie !...
François Mitterrand reçoit les dirigeants du CRIF.
La rencontre se passe mal. Les responsables de la communauté juive
protestent à nouveau contre la visite de Yasser Arafat.
Le Président leur répond : La France n'est pas comme le Maroc au temps des maréchaux
: nous ne sommes pas à la remorque de M. Shamir ! La formule
est plutôt mal prise.
Rencontre entre le secrétaire d'État américain
James Baker et Mikhaïl Gorbatchev à Moscou. Le leader soviétique
annonce le retrait unilatéral de 500 ogives nucléaires tactiques et
présente de nouvelles propositions de réduction des forces
conventionnelles en Europe d'ici à 1991, sous réserve de
réciprocité de la part de l' OTAN. Le camp occidental est au pied
du mur. Difficile pour lui de continuer à refuser ce qu'il a si
longtemps réclamé.
Vendredi 12 mai
1989
George Bush expose,
après un réexamen de plus de trois
mois, sa vision d'ensemble des
relations soviéto-américaines ; il demande à Moscou de prouver sa
bonne volonté en déchirant le rideau de
fer. Mais il ne peut faire autrement que de constater que
l'URSS a changé et que la question de son intégration à la communauté des nations se pose
vraiment pour la première fois. En revanche, le Président américain
se garde de répondre sur la question précise du désarmement en
Europe.
Heurts meurtriers entre Arméniens et Azéris dans
le Haut-Karabakh.
Samedi 13 mai
1989
A Pékin, manifestations prévues du fait que les
correspondants de presse internationaux affluent, deux jours avant
la visite officielle de Gorbatchev. Des étudiants entament une
grève de la faim place Tien-an-Men, avec le soutien des Pékinois.
L'URSS a Gorbatchev. Nous, qui
avons-nous ? interroge une banderole parmi d'autres qui
réclament le départ à la retraite de Deng Xiaoping. Le peuple
chinois va-t-il rejoindre le camp de ceux qui n'ont plus peur ? Un
grand mouvement emportera-t-il tout ? Osera-t-on tirer à Pékin
alors qu'on ne tire plus à Varsovie ?
Dimanche 14 mai
1989
Le plan Shamir, approuvé par le Conseil des
ministres israélien, est rejeté par le Comité exécutif de l'OLP.
Violences à Gaza.
A Solutré, François
Mitterrand annonce le prochain dépôt d'un projet de loi sur
le financement des partis politiques : On ne
peut laisser durablement la gestion démocratique se confondre avec
des formes, même ténues, de concussion.
Lundi 15 mai
1989
La bande de Gaza est totalement isolée et placée
sous couvre-feu en raison d'expéditions punitives de colons
israéliens.
Mardi 16 mai
1989
Après les propos tenus avant-hier à Solutré par le
Président au sujet d'un projet de loi sur le financement des partis
politiques, le problème de l'amnistie concernant les délits liés à
ce financement et à celui des campagnes électorales vient en
discussion au petit déjeuner des « éléphants ». Pierre Mauroy, qui en est un chaud partisan, et qui
en a convaincu le Président, évoque le risque qu'on assiste à
l'inculpation de milliers d'élus
socialistes si on n'y procède pas. Il explique que le projet
d'amnistie visant les activités de l'ARC (en Guadeloupe) pourrait
s'étendre aux affaires de financement politique, en particulier à
celle de la SORMAE. Ce texte doit venir devant le Parlement le 5
juin prochain.
Michel Rocard est plutôt réservé. Tous les élus
présents autour de la table y sont favorables. Mauroy et Emmanuelli
agitent une menace : si l'amnistie n'est pas « exhaustive », cela
signifierait, de la part du gouvernement, une rupture de solidarité
avec les socialistes. Ceux-ci s'en souviendront. Autrement dit,
s'il n'y a pas amnistie, Rocard peut faire une croix sur l'élection
présidentielle.
Très longue conversation avec Horst Teltschik sur les questions de défense. J'en
retiens ceci : Nous sommes d'accord avec les
Américains pour ne plus parler du déploiement éventuel des
nouvelles fusées à courte portée avant deux ans. Nous sommes prêts
à dire qu'aucune négociation sur le désarmement nucléaire en Europe
ne doit reprendre avant que la négociation conventionnelle n'ait
abouti à Vienne. Et qu'en tout état de cause elle ne devra pas
aboutir à une troisième option zéro. Le Président aiderait beaucoup
le Chancelier s'il disait qu'il était hostile à une troisième
option zéro, ou, pour le moins, à tout désarmement nucléaire avant
un rééquilibrage conventionnel.
François Mitterrand décide de tenir une conférence
de presse sur les problèmes européens afin de contrer les critiques
sur son « inaction » avant le début de la présidence
française.
Renaud m'affirme que,
contrairement à ce qu'indique un article paru récemment, il n'a pas
dit, au journaliste qui l'interrogeait, être
déçu par le Président, mais par le
gouvernement.
Il me dit son hostilité à la présence des Sept à
Paris pour le 14 Juillet. Il m'annonce qu'il souhaite organiser,
les 15 et 16 juillet prochains, une réunion des pays les plus
pauvres afin de faire pièce à celle du G7. Je lui réponds que je me
tiens prêt à l'aider à faire en sorte que cette réunion se passe
bien.
Mercredi 17 mai
1989
Conseil des ministres. Jospin décrit longuement
son projet, très remarquable à mon avis, de loi d'orientation pour
l'Éducation nationale.
Jack Lang : C'est un grand texte. Mais il faudrait que l'éducation
artistique soit mieux traitée.
Jean-Pierre Chevènement pose la question de la
laïcité, qui ne figure pas dans le texte.
Lionel Jospin :
Moi, ça m'est égal, mais est-ce que cela ne va
pas poser un problème avec l'enseignement privé ? Je suis d'avis de
le mettre dans l'exposé des motifs.
Le Président :
La laïcité, c'est quand même
constitutionnel... Il faudrait faire une référence à la
Constitution, à la laïcité bien comprise, sans pour autant offenser
ceux qui préferent une autre voie.
Puis il exalte la réussite de l'école primaire
publique de 1884 à 1930.
Pierre Joxe présente ensuite son projet de loi sur
les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, qui
modifiera la loi Pasqua de 1986.
Le Président :
Il y a abrogation de certaines dispositions,
mais il n'y a pas abrogation de toute la loi, puisque celle-ci
comportait des dispositions traditionnelles. Je me réjouis de ce
texte qui est conforme aux intentions que j'avais exprimées.
J'espère que, sur certains points, ce ne sera qu'un début
[allusion au droit de vote des étrangers].
Sur le problème du travail et des ateliers
clandestins, il ajoute : Tout le monde les
connaît, on les visite, je les ai visités... Il faut agir. Il ne
manque que la volonté politique.
Puis on parle du budget de la Défense.
Jean-Pierre Chevènement
: Moi, je suis aux ordres. Qu'on
m'indique seulement quel système d'armes je dois sacrifier.
Supprimer le Rafale, c'est tuer Dassault et toute l'électronique
aéronautique. Renoncer au char Leclerc, c'est tuer les arsenaux de
l'Armée de terre et fabriquer des milliers de chômeurs. Torpiller
le porte-avions nucléaire, c'est démolir les arsenaux de la Marine.
Sans compter qu'avec le nom qu'il porte [le Charles-de-Gaulle], ça
la ficherait mal !
Le ministre de la Défense se dit totalement confiant, persuadé que le Président
va lui obtenir une rallonge de 15 milliards sur le montant (420
milliards) qu'était prêt à lui allouer le Premier ministre.
Il y a trois mois, Chevènement réclamait 450
milliards sur quatre ans ; il ne demande « plus » aujourd'hui que
435 milliards pour s'en tenir aux investissements prévus par la loi
de programmation militaire, en particulier le char Leclerc et le
porte-avions.
Après le Conseil, réunion de travail, à Paris,
entre les collaborateurs du Président et ceux du Chancelier (Hubert
Védrine, Élisabeth Guigou, Horst Teltschik, Joachim Bitterlisch et
moi) sur l'Europe.
Horst Teltschik :
Sur l'Europe monétaire, le Chancelier est prêt
à affronter Mme Thatcher et à l'isoler. Mais il souhaite qu'on
attende la présidence française pour lancer la conférence
intergouvernementale. En ce qui concerne la fiscalité de l'épargne,
le nouveau ministre des Finances allemand est hostile à toute
fiscalité ; il faudrait qu'il entende lui-même le point de vue
français.
Autrement dit, le Chancelier s'en lave les mains
!
Élisabeth Guigou rappelle les engagements, pris
par le Chancelier à Évian en 1988, de créer une fiscalité
européenne de l'épargne en échange de la libre circulation des
capitaux. Les collaborateurs du Chancelier répondent qu'ils voient
beaucoup de journalistes français pour leur expliquer qu'il n'y a
pas remise en cause de l'engagement européen de l'Allemagne. Maigre
consolation ! La RFA a renoncé à ce pan essentiel de la
construction européenne. Déjà, l'Europe l'intéresse moins...
Une réunion des sept directeurs du Trésor montre
qu'on progresse dans la voie d'un accord sur la dette avant le
Sommet de l'Arche. Sont entérinés la nécessité de réduire la dette
bancaire ; l'échange d'une partie des créances bancaires actuelles
contre des titres de moindre valeur, garantis internationalement ;
la possibilité de réduire les taux d'intérêt d'une autre fraction
de la dette bancaire en la garantissant. Reste à décider du
financement de la garantie (par les DTS ou pas ?). Le FMI et la
Banque mondiale ont déjà réuni 15 milliards de dollars ; il faut
plaider pour qu'on dispose en sus de DTS, ressources gratuites. La
liste des pays concernés n'est pas non plus établie. Évidemment,
l'Argentine et le Brésil ne peuvent y figurer pour l'instant en
raison de leur désordre économique. Le Mexique, l'Égypte, la
Pologne sont au premier rang.
A Prague, libération de Vaclav Havel par décision
du tribunal d'application des peines.
Jeudi 18 mai
1989
Conférence de presse de François Mitterrand à
l'Élysée, consacrée à la politique étrangère et à la Défense.
Derrière le Président, à côté du drapeau français, est placé celui
de la Communauté européenne.
Le Président expose les cinq points principaux qui
permettront d'avancer vers la construction de l'Europe politique :
Union économique et monétaire, espace social, Europe culturelle et
audiovisuelle, environnement, Europe des citoyens. Il répond à des
questions sur le rôle du Parlement européen, sur le développement
culturel. Il énumère les progrès de l'Europe dus à la France :
Europe de la pêche, Eurêka technologique et audiovisuel, engagement
de l'Acte unique, règlement de contentieux, doublement des fonds
structurels, directives sur la protection sociale.
François Mitterrand
termine par un avertissement : Il faudra bien
qu'il existe des règles du jeu qui soient respectées. Une
discussion sur la fiscalité s'impose : un contrat repose sur
l'honnêteté, pas simplement sur la sanction. La position de la
France est essentiellement une position de défense de la paix, une
position de construction de l'Europe, une position de développement
économique, à commencer par le désendettement des pays pauvres, une
position de justice dans le monde, de respect des droits de l'homme
et de respect du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La
France, par-dessus tout, tient à garder son rang, à défendre ses
intérêts et sa sécurité.
En matière de défense, le
Président tranche le différend entre Rocard et Chevènement :
celui-ci devra consentir 40 milliards de sacrifices, mais le char
Leclerc et le porte-avions seront préservés.
A propos du désarmement, il réaffirme sa
préférence pour la réduction des armes conventionnelles. Il est
favorable, dit-il, à la troisième option zéro. Et il annonce que la
France renoncera aux essais nucléaires dès que les États-Unis,
l'URSS et le Royaume-Uni feront de même.
Vendredi 19 mai
1989
Horst Teltschik m'appelle de la part du Chancelier
pour transmettre au Président sa satisfaction pour ce qu'il a
déclaré hier sur l'Allemagne, l'Europe et la troisième option zéro.
Et il est content de ce que j'ai dit sur la
fiscalité de l'épargne ? bougonne François Mitterrand.
Conseil informel des ministres des Finances de la
Communauté à S'Agaro (Catalogne). Les débats portent sur
l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Accord pour
proposer au Conseil européen le lancement de la première étape et
la convocation d'une conférence intergouvernementale. Mais Theo
Waigel, ministre des Finances de RFA, a une attitude réservée qui
n'est pas celle du Chancelier. Felipe Gonzalez est déterminé à
faire avancer le dossier. Pour l'heure, concernant la fiscalité de
l'épargne, il n'y a aucune chance de voir le ministre accepter de
restaurer la retenue à la source.
Le Chancelier a demandé à son ministre d'avancer
sur l'Union économique et monétaire. Les Britanniques n'ont pas
opposé de veto catégorique à la Commission, ce qui a permis un
accord, mais Jacques Delors estime que Margaret Thatcher
s'emploiera, au Sommet de Madrid, à torpiller la discussion et à
empêcher que quoi que ce soit progresse.
Arrivée du Président à Ottawa avant d'aller aux
États-Unis où une rencontre de deux jours est prévue dans la
résidence privée des Bush, près de Boston.
En Italie, Ciriaco De Mita, Premier ministre
depuis avril 1988, remet la démission de son gouvernement en raison
de désaccords entre démocrates-chrétiens et socialistes, les deux
principaux partis de la coalition.
Samedi 20 mai
1989
Deux jours après le départ de Gorbatchev de la
capitale chinoise, la loi martiale est instaurée à Pékin. Mais la
population empêche l'armée d'intervenir contre les étudiants qui
viennent de plus en plus nombreux camper sur la place
Tien-an-Men.
Journée à Kennenbuck Port. Rencontre avec George
Bush : première discussion sérieuse sur l'hypothèse d'une
réunification allemande.
George Bush :
On essaie de travailler avec les Allemands. Il
faut aider Kohl, parler de négociations, mais ne pas laisser
l'Alliance aller à la dérive.
François Mitterrand :
Son opinion ne veut plus d'armement nucléaire
sur son sol, et Gorbatchev y est très populaire. Les Verts, les
nationalistes sont très influents. Les sociaux-démocrates sont
idéalistes et démagogiques ; ils veulent un accord permettant la
réunification allemande. Ils se font des illusions. L'équilibre de
l'Europe est fonction depuis des siècles de l'expansion allemande.
Les Soviétiques ne céderont jamais là-dessus. Sur le plan de la
politique étrangère, je préfère que Kohl gagne les élections. Mme
Thatcher ne supporte pas la relation franco-allemande. J'ai
téléphoné à Kohl après son contestable discours du Bundestag. Mme
Thatcher a fait une déclaration publique, pas moi. Faut-il une
troisième option zéro ? Dans l'état actuel, c'est inacceptable en
raison de la supériorité soviétique. Là-dessus, Helmut Kohl est
d'accord avec nous, mais ne peut le dire. Pour obtenir le soutien
de son opinion, il lui faut parler de l'équilibre classique et
stratégique.
George Bush :
Je vous montrerai le texte que j'ai proposé
là-dessus aux Allemands et on en parlera avec la Dame de
fer.
François Mitterrand :
Si vous réussissez la négociation SNF avant
1992, les armes n'auront pas à être modernisées. Sur ces bases, un
accord est possible. Genscher est un Allemand de l'Est, un réfugié,
il ne pense qu'à la coupure de l'Allemagne et à sa
réunification.
George Bush :
En tant que Président de la France, êtes-vous
pour [la réunification] ?
François Mitterrand :
Je ne suis pas contre, en raison des
changements intervenus à l'Est. Si le peuple allemand la veut, nous
ne nous y opposerons pas. Mais les conditions n'ont pas changé au
point que cela soit possible.
George Bush :
C'est aussi notre position officielle, mais il
faut en parler davantage. Cela peut se faire...
François Mitterrand :
Non, je ne crois pas avant dix ans. J'ai
toujours pensé que l'empire soviétique se disloquera avant la fin
du siècle. Le problème allemand est central pour eux. Jusqu'au
bout, ils s'y opposeront, par la force. Il n'y a que deux causes de
guerre possible en Europe : si la RFA se dote de l'arme nucléaire
et si un mouvement populaire pousse à la réunification des deux
Allemagnes.
George Bush :
Je veux que Gorbatchev réussisse. Mais je suis
prudent. Chevardnadze a déclaré qu'ils vont stopper le
démantèlement des missiles SS 23. C'est pour nous
inacceptable.
François Mitterrand :
Le Parti et l'armée ont encore assez de force
pour accuser Gorbatchev de ruiner la puissance soviétique. Il veut
la paix, mais il est menacé par le rythme de l'évolution. Il faut
se montrer prudent. Il peut être amené à faire des aller et
retour.
George Bush :
Je vais me rendre en Pologne et en Hongrie
pour les encourager à bouger, mais sans envolées lyriques qui
embarrasseraient les Soviétiques. Puis, au sujet de la
coopération entre la France et les États-Unis sur les missiles :
Les accords de 1970 sont excellents. J'ai
décidé que cette coopération continue sur les mêmes
bases.
François Mitterrand, sur
le Liban : Il faut un accord avec l'URSS pour
arrêter tout cela, comme en Afghanistan, comme au Cambodge, en
réduisant notre aide économique à la Syrie pour la faire céder. Je
redoute la destruction physique des chrétiens. Gorbatchev est bien
disposé. Le danger est de voir deux cents fanatiques pro-iraniens
entrer dans le réduit chrétien et massacrer tout le monde. Nous
sommes à la veille d'un génocide.
James Baker :
Il faut dire aussi à l'Irak de ne plus livrer
d'armes à Aoun.
George Bush, sur le
Cambodge : J'ai vu Sihanouk, ce n'est pas un
homme très stable.
François Mitterrand, sur
Israël : Vous avez des épousailles avec M.
Shamir... et je tiens la bougie !
George Bush :
La communauté juive américaine prend ses
distances avec lui, mais je ne suis pas très optimiste. Israël a
besoin d'un contact entre l'OLP et lui. L'OLP doit le
comprendre.
François Mitterrand :
Oui, c'est ce que j'ai dit à
Arafat.
George Bush :
Vous qui connaissez cette région, pourquoi
êtes-vous sceptique sur les chances de paix ?
François Mitterrand :
Parce que Shamir considère les élections dans
les territoires comme une fin, et non comme un début. Pour Israël,
le problème est d'ailleurs tragique, car la Cisjordanie est la
terre la plus sacrée du peuple juif.
George Bush :
Je ne pense pas que Shamir bouge. Rabin et
Pérès bougeraient plus vite.
Dans le cours de la conversation, à propos de
l'occidentalisation de la Chine, François
Mitterrand émet une remarque qui fait beaucoup rire George
Bush : En 1961, quand je suis allé voir Mao,
les filles étaient laides ; en 1983, elles étaient devenues
jolies...
Vers 18 heures, Barbara Bush annonce à Danielle
Mitterrand, qui a du mal à dissimuler son étonnement, qu'elle a
fait avancer à 7 heures la messe prévue pour le lendemain matin
afin de permettre aux Français d'arriver ensuite à temps en
hélicoptère à l'université de Boston. Le
Président remercie chaleureusement, puis, se tournant vers
Roland Dumas et Hubert Védrine : J'ai beaucoup
de travail. Allez donc à la messe à ma place.
Vu dans la bibliothèque du salon de Bush les
Mémoires de Nixon annotés par lui.
Dîner très chaleureux, familial, dans la belle
maison en bois du Président américain. Conversation sur l'aide à
l'Amérique centrale, sur Noriega, le dictateur panaméen :
George Bush, sur Noriega
: Il faut qu'on le fasse partir. Mais je ne
peux rien, sauf s'il tire sur les soldats américains. Beaucoup
d'officiers sont prêts à le chasser.
François Mitterrand :
Prenez garde. Une épreuve de force avec vous
le rendra populaire au Panama.
George Bush :
Il y a ici plus de scepticisme que jamais sur
la volonté démocratique du Nicaragua.
François Mitterrand :
Je ne suis pas d'accord avec vous. Vous faites
une erreur d'analyse.
George Bush :
Je veux vous convaincre que les sandinistes
sont maoïstes, léninistes, qu'ils ne tiennent pas leur parole ;
tous leurs voisins le disent.
François Mitterrand :
On paie encore la note des événements d'il y a
huit ans. Le régime peut réussir. Regardez
Saint-Domingue...
George Bush :
Le Nicaragua a une énorme armée. C'est un pays
« solidifié », il ne peut plus évoluer.
François Mitterrand :
Si j'étais au Nicaragua, je ne croirais pas au
salut venant du Nord !
George Bush :
Mais Ortega perdrait des élections libres
!
François Mitterrand :
Je pense au contraire qu'il les
gagnerait.
George Bush :
Ce n'est pas un démocrate. Il n'y a pas là-bas
de liberté de la presse. Il devrait distribuer du papier aux
journaux d'opposition et donner à celle-ci accès à la
télévision.
François Mitterrand :
En France, je suis resté sept ans sans aller à
la télévision, et les États-Unis ne m'ont pas envoyé de secours
!
Éclats de rire.
François Burck succède à Jean-Marie Tjibaou à la
Présidence de l'Union calédonienne, principale composante du
FLNKS.
A Moscou, 100 000 personnes réclament la
démocratie.
En Bulgarie, affrontements entre la gendarmerie et
les communautés turque et musulmane ; début de l'exode des Turcs de
ce pays.
Lundi 22 mai
1989
Sur l'amnistie, une nouvelle réunion se tient
autour de Jean-Paul Huchon et Jean-Louis Bianco, avec Pierre
Arpaillange, Pierre Mauroy et Henri Emmanuelli. A mots à peine
couverts, Pierre Mauroy et Henri
Emmanuelli reprochent à Pierre Arpaillange de ne pas
tenir ses juges. Le garde des Sceaux
s'en défend et fait part de son impuissance à endiguer ce qui
tourne à l'amoncellement d'« affaires ».
Guy Carcassonne suggère une sorte de mea culpa collectif des socialistes, qui
expliquerait que l'absence de législation les a obligés à violer
les lois à défaut d'enfreindre la morale. Aussi demanderaient-ils
solennellement à être tous inculpés, tandis que, par ailleurs, ils
feraient le nécessaire pour que les mêmes faits ne se reproduisent
plus en adoptant une législation nouvelle vigoureuse. Michel Rocard
serait prêt à se joindre lui-même à une telle démarche du Bureau
exécutif du Parti. Cette proposition n'est pas sérieusement prise
en considération : C'est de la folie,
disent Pierre Mauroy et Henri Emmanuelli. Cela
ferait des milliers d'inculpations !
Ceux qui sont hostiles à l'amnistie mettent
d'emblée l'accent sur ses dangers : impopularité et inefficacité.
Impopularité politique, tant il est certain qu'on criera à
l'auto-amnistie. Inefficacité technique, tant il est assuré que des
juges déchaînés ne se priveront pas de mener à bien toutes leurs
enquêtes, en les entourant d'un maximum de publicité, avant, le cas
échéant, tout à fait en fin de parcours, de constater que les faits
ont été amnistiés.
Rien n'y fait : la direction du PS, soutenue par
la présidence du groupe, tient à cette amnistie.
L'idée de mea culpa est enterrée. Ne reste que
l'amnistie. Massive...
Un grand secret d'État va être rendu public. Bill
Maynes, directeur de la revue trimestrielle Foreign Policy,
prévient l'ambassade de France à Washington de la parution
prochaine dans son périodique d'un article rédigé par David Bruce, professeur d'histoire internationale à
l'université de Princeton, sous le pseudonyme de Richard Ullman, et
contenant de nombreuses révélations sur la coopération secrète
entre les États-Unis et la France dans le développement des
armements nucléaires. En voici quelques extraits :
Pendant quinze ans, les
États-Unis ont fourni secrètement une aide substantielle au
programme d'armement nucléaire français. Cette assistance a presque
certainement enfreint la législation américaine. Elle détruit
également deux mythes : l'aspect purement national de la force de
frappe, symbole de la souveraineté française, d'une part, et, de
l'autre, le caractère extrêmement restrictif de la politique
américaine en matière de transfert de technologies militaires
nucléaires. En conséquence, la coopération nucléaire
franco-américaine a été l'un des secrets les mieux gardés par les
deux gouvernements.
Avec un zèle comparable ont
été cachées les mesures prises par la France pour répondre à l'aide
fournie par les États-Unis. Ainsi le commandement militaire
français a-t-il coordonné étroitement ses opérations avec l'OTAN,
en particulier avec les États-Unis. En cas de conflit avec l'Est,
les forces françaises seraient placées sous commandement de l'OTAN
et les renforts américains utiliseraient les facilités françaises.
Les forces nucléaires françaises, ne suivant pas la doctrine
anti-cités, seraient utilisées en coordination avec celles de
l'OTAN.
Le résultat de ces accords
est important et impressionnant. En effet, les forces nucléaires
françaises seraient beaucoup plus efficaces en cas de conflit et,
dans le même temps, serait réduit le risque que leur utilisation
entraîne une destruction généralisée. De plus, l'intégration des
opérations conventionnelles signifie que l'OTAN non seulement
pourrait compter sur les forces françaises, mais bénéficierait
également de la profondeur du territoire français.
François Mitterrand, mis
au courant de ces révélations : Ce genre de
secret est excessivement protégé. Il n'y a pas de secrets d'État.
Il n'y a que des gens qui veulent se rendre
importants.
Mardi 23 mai
1989
Avant le Conseil (avancé de vingt-quatre heures en
raison du départ du Président pour Dakar en vue du Sommet de la
francophonie), François Mitterrand parle au Premier ministre des
dix syndicalistes de Renault qui ont été licenciés. Pour les
empêcher de rentrer, le président de Renault, Raymond Lévy,
voulait, dit-on, murer la cantine !
Le Président :
C'est un patron de combat, c'est une preuve de
faiblesse. De Renault sont partis de grands conflits sociaux. Il
faut être vigilant. Cela n'empêche pas d'être ferme avec les
syndicats. M. Hanon, le président avant Besse, ne l'était pas
assez. Mais il faut être correct avec la classe ouvrière. M. Lévy
ne l'est pas.
Cinquième Sommet extraordinaire de la Ligue arabe
à Casablanca : l'Égypte réintègre la famille.
Rumeurs à Paris d'annulation par la France de la
dette africaine. Le Président avait pourtant décidé de garder cette
nouvelle secrète jusqu'au 13 juillet. Demain, au troisième Sommet
de la francophonie, il faudra bien en dire quelque chose aux chefs
d'État présents à Dakar.
Un instituteur de Changson nommé Yu Zhijiou
aurait, nous dit l'ambassade, en compagnie de deux inconnus, jeté
de l'encre sur le portrait de Mao suspendu à la porte de la Paix
céleste à Pékin.
Mercredi 24 mai
1989
Dans l'avion vers Dakar, conversation avec le
Président. Il décide d'annoncer l'annulation de la totalité de la
dette de trente-cinq pays africains vis-à-vis de la France : un
cadeau de 16 milliards de francs. A notre arrivée, j'en avise
Pierre Bérégovoy et Michel Rocard par téléphone, dix minutes avant
le discours de François Mitterrand
:
La dette est le principal
problème politique d'aujourd'hui. A Toronto, un accord a été
élaboré, qui permet d'alléger la dette des trente-cinq pays les
plus pauvres et les plus endettés. Il a déjà été appliqué à neuf
pays pour rééchelonner plus de 6 milliards de francs de dettes
(dont 2 dus à la France). Nous avons, pour ces pays, annulé le
tiers des échéances des crédits commerciaux garantis.
Pour le Sommet de l'Arche, la
France prépare de nouvelles initiatives. Elles visent à permettre
une réduction de la dette des pays dits « intermédiaires », par un
échange de titres et une garantie des intérêts dans un Fonds
multilatéral qui sera créé à cet effet. J'ai bon espoir de réussir.
Pour les trente-cinq pays les plus pauvres et les plus endettés,
qui sont tous en Afrique, je demanderai au gouvernement de
soumettre au Parlement un projet de loi annulant purement et
simplement la totalité de nos créances d'aide publique au
développement, et cela inconditionnellement. Si le Parlement le
vote, cela prendra effet au 1er janvier 1990. J'avais dit au Sommet de Casablanca que
j'irais plus loin. Je tiens aujourd'hui cette
promesse.
Arrestation de Paul Touvier, ancien chef de la
Milice à Lyon en 1943 et 1944, dans un couvent intégriste de Nice,
après une traque de plusieurs années. Il avait été inculpé, en
novembre 1981, de crimes contre l'humanité. Depuis, ce sont des
religieux qui l'ont hébergé et protégé.
Jeudi 25 mai
1989
Voyage éclair de Roland Dumas en Mauritanie. De
graves incidents se sont produits entre ce pays et le Sénégal. Le
Président mauritanien n'a pas souhaité faire le déplacement de
Dakar. Roland Dumas est chargé par François Mitterrand de
rechercher une solution à ce différend.
Déjeuner avec des chefs d'État africains.
Mobutu raconte qu'un jour, à Nairobi,
lors d'une réunion de l'OUA, Goukkouni Oueddeï, alors président du
Tchad, est entré dans le bureau d'Arap Moï avec Edem Kodjo (alors
secrétaire général de l'OUA). Il a sorti un revolver et a lancé à
Kodjo : Dis à ce soulard de fermer sa gueule,
ou je lui loge une balle dans la tête !
Éclats de rire. Hassan
Gouled se tourne vers Eyadema : Qu'aurais-tu fait, toi ? La mine d'Eyadema répond
pour lui.
Vendredi 26 mai
1989
Vu de nouveau Horst Teltschik à Bonn. Il me
raconte que le Chancelier Kohl a écrit coup sur coup deux lettres
au Président Bush avant le Sommet de l'OTAN de lundi prochain, à
Bruxelles. L'une fait le point sur les négociations concernant les
missiles nucléaires à courte portée (SNF). L'autre, faisant suite à
la proposition américaine d'un agenda pour la négociation
conventionnelle, propose de synchroniser la première avec la
seconde.
En ce qui concerne la troisième option zéro,
Helmut Kohl reconnaît qu'elle est exclue dans
les circonstances actuelles, voire dans un avenir
prévisible. Le ministre des Affaires étrangères, Genscher,
en est d'accord. Pour obtenir le lancement rapide des négociations
SNF, le Chancelier est même prêt à aller plus loin et à exclure
absolument la deuxième option zéro, sans condition. Mais Genscher,
lui, n'y est pas disposé et peut tout bloquer, car son parti occupe
une position centrale dans la coalition au pouvoir. L'objectif de
Kohl est donc de l'isoler à Bruxelles et de prendre tous les
risques pour y parvenir. Genscher est bien ministre de Kohl, mais
il a sa propre politique et ses propres alliances. Le Chancelier
craint qu'il ne soit appuyé par Papandhréou, Andreotti et
Tindemans, favorables à la troisième option zéro ; et que Mme
Thatcher ne veuille pas du tout de négociations sur les SNF, même
si le « triple zéro » en est exclu, ce qui renforcerait
l'opposition de Genscher à cette exclusion du « triple zéro ». Il
craint aussi à juste titre une alliance entre Dumas et Genscher
contre les positions du Chancelier. Celle-ci se manifeste fort
souvent. Teltschik m'en fait la remarque, non sans élégance.
Les Américains n' ont pas encore répondu à ces
deux lettres du Chancelier. Pour l'instant, il n'y a aucune
procédure de négociation prévue pour lundi à Bruxelles, car
Margaret Thatcher ne veut pas d'un comité
secret pour la rédaction d'un communiqué, mais souhaite au
contraire un grand déballage public. Le
Chancelier ne souhaite pas non plus qu'on confie cette rédaction
aux ministres des Affaires étrangères, car il pense que Genscher
ferait tout, alors, pour achopper sur la troisième option zéro. Il
considère qu'on peut fort bien ne pas parler à Bruxelles du fond de
la proposition Bush (en particulier des avions à double capacité)
et s'en tenir au simple problème de calendrier.
Si le Chancelier n'obtient pas de l'OTAN
l'ouverture de négociations sur les armes nucléaires à courte
portée, il ne pourra rien accepter sur la troisième option zéro. Il
est prêt à tout pour obtenir ce lancement rapide, car l'opinion
allemande est focalisée là-dessus. La situation politique en
Allemagne s'est dégradée : s'il ne fait pas un bon score aux
élections européennes, le Chancelier devra quitter le pouvoir à
l'été.
Jamais le pessimisme n'a été aussi grand, à la
Chancellerie fédérale, sur les élections et l'avenir de la RFA. Les
divergences entre Genscher et Kohl sont à leur maximum, me confie
Teltschik, au point qu'ils ne s'en cachent même plus devant leurs
collaborateurs.
Élection de Mikhaïl Gorbatchev à la présidence de
l'État et élection des membres du Soviet suprême, organe législatif
permanent du Congrès des députés du peuple. Gorbatchev semble à
nouveau tout puissant; il peut maintenant entreprendre (en URSS) et
laisser faire (chez ses voisins).
Samedi 27 mai
1989
François Mitterrand
reçoit Mme Bjorg Jonsson, journaliste norvégienne d'Aftenposten. Quelques confidences intéressantes :
Ce qui s'est passé depuis mon élection de 1981
représente la plus longue expérience vécue par la France sous la
conduite des forces progressistes inspirées par le socialisme. Ce
n'est pas une révolution, mais une véritable redistribution des
valeurs et des priorités nationales et internationales. A
l'intérieur, développement du savoir et de la recherche, formation
plus approfondie et plus méthodique des femmes et des hommes, refus
des exclusions, garantie des libertés, déploiement de la culture,
relance des droits sociaux, diffusion des responsabilités,
décentralisation, mise au pas du libéralisme sauvage, cette jungle
moderne.
J'ai organisé la politique
extérieure de la France autour de cette trilogie : la paix,
l'Europe, le développement. Je suis hanté par cette idée que la
pire menace qui pèse sur le monde réside dans le fossé qui sépare
les pays riches des pays pauvres. Là est le désordre
majeur...
Je ne crois pas que l'on
puisse conduire des millions d'hommes en restant à l'abri
d'interrogations morales et esthétiques, en n'ayant pas quelques
critères de jugement et d'action. Pour moi, il est important de
vivre dans un milieu où l'on débat de ces choses et, sans mélanger
les genres, de ne pas séparer ces deux mondes, intellectuel ou
artistique et politique.
Moins mobilisé par l'action,
j'aurais davantage écrit, sans doute par goût de m'exprimer. Le
fait de préciser sa pensée par l'écrit, de rechercher le mot,
l'expression exacts, permet d'aller plus loin en soi-même. Oui,
j'ai une sorte de religion du mot, de sa signification, de son
rythme.
J'ai écrit treize ou quatorze
livres. J'écris généralement chez moi et quand je commence un
livre, je mets au moins huit jours avant de m'asseoir sur ma
chaise. J'apporte du papier, je me dis que je vais bien travailler,
j'arrive dans la pièce où j'écris et, tout d'un coup, j'aperçois un
livre sur les rayons de ma bibliothèque, je le feuillette, je
regarde par la fenêtre... C'est comme si j'avais peur de m'asseoir.
Je finis par m'installer à ma table, mais je ne me mets pas pour
autant à écrire. Et quand je commence à le faire, c'est très
mauvais.
En revanche, trois mois ou un
an plus tard, lorsque j'en suis aux derniers chapitres, j'ai envie
de dire tellement de choses que je ne sais plus comment finir. Et,
après avoir remis le manuscrit à mon éditeur, je rajoute des pages
et des pages chez d'imprimeur... Écrire oblige à s'enfermer en
soi-même, à s'arracher à la pression désordonnée des choses et des
êtres autour de soi et de l'actualité. Ce travail de maturation, je
ne l'accomplis que par l'écriture.
Dimanche 28 mai
1989
Le Premier ministre hongrois, Imre Pozsgay, se prononce pour la liquidation du système communiste. Aucune réaction
à Moscou. Le courage, chez les communistes d'Europe centrale, se
nourrit de l'indifférence du maître.
Lundi 29 mai
1989
Sommet de l'OTAN à Bruxelles. Margaret Thatcher
n'obtient absolument rien sur les armes à courte portée. Elle est
glacée et roule des yeux furibonds lorsque le Chancelier parle. Le
Président répète son hostilité à la stratégie flexible de l'OTAN.
Le Sommet entérine les propositions de désarmement présentées par
George Bush :
- réduction de
15 à 20 % des effectifs américains en Europe ;
- diminution
de 10 à 15 % du nombre d'avions et d'hélicoptères détenus par les
pays de l'OTAN et du Pacte de Varsovie ;
- ouverture de
négociations avec l'URSS sur les armes nucléaires à courte portée,
liée à un accord global sur les armements conventionnels d'ici à
1993.
A Paris, protestations diverses contre la décision
du Président sur la dette africaine, qu'il aurait prise, disent des
gens « bien informés », sans consulter le ministre des
Finances...
Mardi 30 mai
1989
Édouard Chevardnadze
accueille favorablement les propositions américaines d'hier :
Un pas sérieux et important dans la bonne
direction.
Après avoir longuement consulté François
Mitterrand, Michel Rocard adresse une lettre à Pierre Joxe sur la
préparation d'un projet de loi relatif au financement des partis
politiques, dans laquelle devra figurer l'amnistie. Cette lettre
sera rendue publique.
François Mitterrand :
Les militaires veulent trop d'essais
nucléaires. Ils savent que je vais réduire le nombre, alors ils
m'en demandent plus que nécessaire. C'est un petit jeu
idiot.
Mercredi 31 mai
1989
Au Conseil des ministres, à propos du récent
Sommet francophone, le Président :
Ce fut un très bon Sommet. Toute une série de
décisions très concrètes ont été adoptées d'enthousiasme. J'ai
entendu à Paris des critiques sur ma décision d'annuler la dette
des pays les plus pauvres et mon attitude prétendument régalienne.
Il paraît que j'aurais dû consulter le gouvernement et le
Parlement. En réalité, la proposition émanait, il y a déjà
plusieurs mois de cela, de M. le ministre de l'Économie et des
Finances, soutenu par M. le Premier ministre, et je n'ai évidemment
pas méconnu le régime parlementaire. Il faudra encore examiner le
cas de quelques pays parmi les plus pauvres mais qui ne peuvent
bénéficier de cette mesure, puisqu'ils ne sont pas endettés
[Haïti, par exemple].
Le Président commente
ensuite le Sommet de l'OTAN qui vient de s'achever à Bruxelles :
C'est un indéniable succès politique pour le
Président américain. La RFA s'en tire bien ; le Royaume-Uni, très
mal. Mme Thatcher dit qu'elle est contente, mais le résultat n'est
pas du tout celui qu'elle attendait. Il y a une très grande
animosité personnelle de Mme Thatcher à l'égard du Chancelier
Kohl.
Pour la France, la solution
adoptée est exactement celle que nous avions
préparée...
La stratégie flexible est une
tragique erreur de l'OTAN.
Je m'inquiète de la faiblesse des crédits prévus
pour les bibliothèques universitaires au budget 1989. On fera des
comparaisons malveillantes entre le projet de Grande Bibliothèque
et la vie quotidienne des étudiants. J'en parle ce matin à Lionel
Jospin et Michel Charasse. Pour le ministre du Budget, l'intérêt
politique du Président passe avant tout. Il trouvera
l'argent.
L'armée irakienne investit Kala-Dize, au nord de
l'Irak, et y entame la « dékurdisation ».
Bilan du soulèvement depuis décembre 1987 dans les
Territoires occupés, selon le ministre de la Défense israélien :
472 morts, 10 000 blessés palestiniens.
La Sept commence à
émettre. Fallait-il vraiment une chaîne hertzienne de plus?
George Bush à Mayence :
La guerre froide ne peut se terminer qu'avec
la fin de la division de l'Europe.
Rhétorique classique depuis 1950, mais qui prend
aujourd'hui peut-être une allure de printemps.
Jeudi 1er juin 1989
Violence et euphorie mêlées à Pékin et Shanghai.
Va-t-on vers un « printemps chinois » ? Qui osera arrêter cette
foule qui semble au surplus bénéficier de l'appui du Premier
ministre ?
Début de l'expulsion vers la Turquie des Bulgares
d'origine turque qui refusent l'assimilation.
Encore et toujours l'amnistie : les socialistes
sont si impatients de la voir entrer dans les faits que Louis
Mermaz informe le groupe, sans plus de détails, qu'un article
prévoyant l'amnistie en matière de financements politiques sera
introduit dans le projet de loi sur l'amnistie politique dans les
DOM-TOM, qui doit venir en séance le 5 juin à l'Assemblée. C'est
bien ce qui avait été envisagé, même si la dernière idée était de
mettre l'amnistie dans la prochaine loi sur le financement des
partis.
Ce soir, Pierre Mauroy fournit la même information
au Bureau exécutif du PS, sans plus de précisions. Rocard juge
cette tentative maladroite et le dit. Éventée par ceux des députés
socialistes qui y sont hostiles, dont Jean-Pierre Michel —
magistrat d'origine —, la manœuvre tourne court.
Vendredi 2 juin
1989
Au Conseil de Défense, le
Président : S'il y a tant de
difficultés à l'OTAN entre les États-Unis, la RFA et la
Grande-Bretagne, comme on l'a vu à Bruxelles, c'est parce qu'ils
sont embarrassés de leur stratégie flexible. Il n'y aura pas de
guerre si — et seulement si —
toute l'Alliance — les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France... —
est prête à se battre. Si, par crainte de voir
Chicago ou New York atteints par des armes stratégiques
soviétiques, les États-Unis maintiennent leur stratégie flexible,
on ne peut plus répondre de rien.
Quatrième réunion des sherpas, cette fois à Évian,
à l'hôtel Royal. Le même cortège d'experts. Le même caravansérail
japonais. On discute du projet de déclaration politique, de façon
très générale, puis des relations Est/Ouest. Sont formulées
plusieurs questions : Devons-nous encourager
l'intégration des pays de l'Est dans le commerce mondial ? Peut-on
prêter à l'Europe de l'Est ? Faut-il réviser le COCOM ? Il
est convenu de préparer trois déclarations, portant l'une sur les
droits de l'homme (à la lumière du bicentenaire de la Révolution
française), la deuxième sur les relations Est/Ouest, la dernière
sur la coopération antiterroriste internationale.
Sur la situation économique et monétaire : accord
pour soutenir la croissance mondiale, en cas de récession aux
États-Unis, par la relance des économies en excédent (RFA, Japon).
En revanche, il sera impossible d'aller plus loin dans la réforme
du Système monétaire international vers plus de stabilité. Certes,
les États-Unis ont basculé de notre côté ; mais Britanniques,
Allemands, Canadiens et Japonais s'opposent à toute réforme
d'envergure. Il est donc absurde d'avoir annoncé publiquement
(comme l'a fait Pierre Bérégovoy) que la France proposera un plan
de stabilisation des taux de change le 14 Juillet à Paris, car un
tel plan serait voué à l'échec.
Sur la dette : chacun applaudit à l'annulation par
la France de la dette des pays les plus pauvres, et l'idée de s'y
associer est dans l'air. J'apprends d'ailleurs que les Allemands
ont procédé, sur plusieurs années et en plusieurs fois, à des
annulations d'une ampleur au moins comparable — sinon supérieure —
à la nôtre (ce sur quoi les Finances se sont bien gardées de nous
informer correctement !).
Sur le commerce : les Américains ayant réduit
leurs velléités protectionnistes, il n'y a d'affrontement que sur
les crédits à l'exportation et les crédits d'aide. Comme à
Versailles (étrange retour !), Américains, Canadiens et
Britanniques souhaitent que les Sept s'engagent à ramener jusqu'à
zéro les subventions à ces crédits. Impossible : il y a des règles
fixées dans le cadre de l'OCDE et le Sommet n'a pas vocation à
modifier des compromis très difficilement établis. De surcroît, ce
serait absurde, car cela entraînerait la hausse des taux d'intérêt
de ces crédits et aggraverait donc la charge de la dette des pays
bénéficiaires, pour la plupart en développement.
Puis on discute de la dette : le mécanisme du plan
Brady est en place, mais les banques privées n'acceptent de réduire
la dette que de 15 %. Or, il faudrait atteindre 50 % pour le
Mexique et autant pour d'autres, tels les Philippines et le Costa
Rica. En tout cas, sur ce point, le Sommet sera déjà un succès : en
six mois, nous avons bouleversé la stratégie mondiale de la
dette.
Qu'est-ce que les Américains vont trouver à
proposer à la dernière minute ?
Situation très tendue à Pékin.
Samedi 3 juin
1989
La réunion des sherpas
se poursuit sur le thème de l'environnement. Je tente d'imposer
notre idée d'observatoire mondial de l'effet de serre. Les
Canadiens répondent en parlant forêts menacées. A 15 h 30, un
membre du protocole fait irruption dans la pièce, un télégramme du
Quai d'Orsay à la main : On tire sur
Tien-an-Men.
— Au moins, voilà qui est
clair, risque un diplomate britannique. Le régime ne tiendra pas.
David Mulford branche CNN. L'envoyé spécial de la chaîne raconte qu'il
voit les chars depuis son balcon d'hôtel, que certains bruits font
état de corps écrasés sous les chenilles. Les étudiants refusent de
se rendre. S'ils résistent, il est probable
qu'ils vont mourir eux aussi. Nous écoutons les tirs de
mitrailleuse devant la Cité interdite.
A 22 heures, on en est à 35 morts.
Le soir, dîner bâclé au casino d'Évian. Puis nous
reprenons le travail sur le texte, tergiversant parfois pendant une
demi-heure sur un mot consacré à l'environnement. Une minutieuse sodomie de coléoptère, observe un
Français. Les Anglo-Saxons tentent de faire prévaloir leur point de
vue en usant de leur suprématie linguistique : Ce que vous avez écrit là est du mauvais
anglais.
Au même moment, séminaire franco-espagnol à Paris,
juste avant le Sommet de Madrid. L'Union économique et monétaire
constituera à nouveau l'essentiel de l'ordre du jour de ce Sommet.
Édith Cresson suggère, si le veto britannique est maintenu, un
accord à Onze. L'Espagnol objecte : C'est
l'arme nucléaire à ne pas utiliser, sauf comme menace. C'est bon
pour vous comme pour nous d'avoir les Britanniques ; Mme Thatcher
n'est pas éternelle. Sans eux, nous deviendrions trop dépendants du
Deutsche Mark. Il rappelle qu'à Milan les Britanniques ne
voulaient pas de l'Acte unique, puisqu'ils s'y sont ralliés.
La Charte sociale n'est pas prête. En attendant,
il faut occuper le Conseil avec des thèmes sociaux qui restent à
trouver.
Du côté espagnol, en ce qui concerne la fiscalité
sur l'épargne, on estime que le principe de retenue à la source est
mort du fait de l'attitude allemande, et qu'il faut surtout veiller
à lutter contre la fraude.
A l'Assemblée, Jacques Toubon, au cours d'un
rappel au règlement dans la discussion du projet de loi sur
l'immigration : Si certains veulent y
adjoindre [au projet initial d'amnistie] une disposition sur les fausses factures, si certains
collègues, certains membres du gouvernement et certains dirigeants
du Parti socialiste ne veulent pas voir juger un certain nombre
d'infractions, ils trouveront l'opposition tout entière dressée
devant eux pour les empêcher de faire ce mauvais coup.
Dimanche 4 juin
1989
Mort de l'imam Khomeyni. L'homme, il y a dix ans,
portait tous les espoirs des victimes du Chah. Il n'a fait que
remplacer une dictature du XXe siècle
par une dictature du XIVe siècle.
A Pékin, l'armée utilise des armes lourdes contre
la population. Les images de CNN sont
effrayantes dans leur lancinante répétition. Bilan officiel : 200
morts. Mais, réellement, combien ?
En Pologne, premier tour des élections
législatives « semi-démocratiques », fruit de la « table ronde »
entre le pouvoir et l'opposition. Débâcle du POUP.
Tard dans la nuit, fin de la réunion des
sherpas. L'environnement sera, avec le
développement, le résultat majeur du Sommet. La longue discussion
de ce week-end (nous avons consacré plus de huit heures aux textes
sur l'environnement) permet d'espérer que le Sommet de l'Arche
pourra prendre, pour la première fois, des initiatives concrètes en
ce domaine :
- une
définition globale commune des exigences de la défense de
l'environnement et de leurs conséquences économiques ;
- l'accélération des travaux scientifiques
de mesure de la pollution et d'analyse de ses causes ;
- l'accélération de la réduction des normes
d'émission de CFC ;
- l'approbation de nouvelles normes
communes pour la protection des océans et contre le dépôt des
déchets industriels ;
- la décision
de réduire les émissions de gaz carbonique serait assortie
notamment d'un soutien financier aux pays en développement se
lançant dans des programmes de reforestation, et de la
reconnaissance du rôle de l'énergie nucléaire civile pour
accompagner cette réduction des émissions de gaz carbonique ;
- le lancement
de grands travaux au Bangladesh pour lutter contre les inondations,
avec l'annonce de la tenue à Londres, à l'automne, sous la
présidence de la Banque mondiale, d'une conférence visant à réunir
le financement de ces travaux ;
- l'approbation du programme de lutte
contre la désertification des pays du Sahel, programme baptisé «
Observatoire du Sahara ».
En revanche, une hostilité quasi unanime, même
chez certains partenaires signataires (États-Unis, Allemagne,
Japon, Royaume-Uni, Canada, Commission), s'est manifestée à
l'encontre du projet de Haute Autorité défini à La Haye.
Sur la lutte contre le blanchiment de l'argent de
la drogue, nous nous orientons vers la définition de principes très
détaillés. Ironie de l'Histoire, il faut savoir que ce trafic se
développe en partie du fait de la libération des mouvements de
capitaux et de la modernisation des marchés financiers qui favorise
le secret des transactions !
A 3 heures du matin, la mise au point des
communiqués sur l'environnement n'est pas achevée. Une nouvelle
réunion est nécessaire. Je propose le 30 juin, et qu'elle se limite
aux seuls sherpas, pour éviter de faire voyager trop de monde.
David Mulford, vice-ministre américain
des Finances, fait un éclat : Je suis un
représentant politique ! Je dois être là ! Il claque la
porte. On continue sans lui. En fait, le représentant américain du
Trésor refuse de laisser participer seul son homologue des Affaires
étrangères. Aux États-Unis, le conflit entre les ministères pour
contrôler la politique extérieure est aigu.
Au Grand Jury RTL-Le
Monde, Jacques Toubon :
Peut-être pourra-t-on amnistier, dans une loi
sur le financement des partis politiques qui sera examinée dans
quelque temps. A ce moment-là, si on veut mettre les compteurs à
zéro, on pourra le faire. Mais, encore une fois, le Parlement n'a
pas à prendre la place des juges. M. Rocard demande à M. Joxe de
préparer une loi sur le financement des partis politiques et sur la
moralisation. Le même jour, on apprend que ses amis socialistes, M.
Mauroy en tête, veulent effacer les turpitudes de leurs copains. Il
y a des limites à l'impudence !
Lundi 5 juin
1989
François Mitterrand part en Tunisie pour deux
jours. Il a demandé avant de partir le retrait de l'amendement sur
l'amnistie.
A l'Assemblée, à 18 heures, l'amendement est
retiré. Cela viendra dans le cadre de la loi sur le financement
politique. Pierre Mazeaud (RPR) prévient
le garde des Sceaux contre le risque de faire ressortir
des affaires assez nauséabondes. En
réponse, Pierre Arpaillange déclare :
Vous avez fait allusion à un amendement qui
aurait pu ou dû être déposé. Je dois vous dire qu'il n'en a jamais
été question.
La discussion sur l'amnistie dans les DOM-TOM
reprend tranquillement son cours. Pierre Mauroy est furieux : c'est
sa défaite.
Pierre Guidoni, membre
du secrétariat national du PS : Chacun sait
que le financement de l'ensemble des partis politiques est assuré
dans des conditions qui ne sont pas saines (...). C'est vrai aussi
pour le PS. La différence, c'est que nous, nous le disons, et nous
disons que ça ne doit ni ne peut durer. [Le PS] tient à poser ce problème en toute clarté devant l'opinion
publique et souhaite qu'il y soit répondu le plus rapidement
possible. Cela dépend en grande partie du gouvernement. Il
appartient au gouvernement de se prononcer sur les délais qui lui
paraissent convenables.
Mardi 6 juin
1989
Réunion de travail à Paris avec les Britanniques.
Ils veulent bien épauler la France jusqu'à un certain point sur la
fiscalité de l'épargne. Mais ils jugent la Charte sociale
inacceptable : à leurs yeux, elle déboucherait sur un nouveau
traité. Ils tergiversent sur l'Union économique et monétaire.
A Téhéran, obsèques de Khomeyni. Hystérie
collective.
Jack Lang alerte le
Président sur l'état désastreux des Tuileries qui pourraient devenir l'un des plus beaux jardins du
Louvre. Le Président confie à un de ses amis de Cormatin,
Marc Simonet-Langlad, le soin de rédiger un rapport.
Mercredi 7 juin
1989
Au Conseil des ministres, à propos de la loi de
programmation militaire adoptée aujourd'hui et quelque peu réduite,
Jean-Pierre Chevènement : Le consensus en matière de défense est assez superficiel.
On entre dans une zone de turbulences. Il y a deux cultures
solidaires : la culture militariste et la culture antimilitariste,
qui se renforcent l'une l'autre.
Michel Rocard remercie
Chevènement, son cabinet, les trois chefs d'état-major de leur
bonne volonté : La France n'est pas une
superpuissance, c'est seulement la première des puissances
moyennes.
Le Président, qui ne partage pas cette analyse, ne
dit mot.
Pierre Bérégovoy fait une communication sur la
politique économique. Il plaide pour des économies budgétaires en
raison des incertitudes de la conjoncture. Le
Président commente : Il est très
recommandé de ne pas freiner sur le verglas. Ce n'est pas seulement
une doctrine. Au bout des six mois que vous vous donnez pour juger
de la conjoncture, il conviendrait d'éviter l'accident, le danger
d'un crédit excessif.
Michel Rocard m'explique qu'à plusieurs reprises,
depuis un an, les tribunaux ont refusé d'accorder le bénéfice de
l'amnistie de juillet 1988 lorsque la preuve n'était pas apportée
que les fonds en cause avaient été effectivement versés à un comité
de campagne ou à un parti politique. D'où la nécessité d'une
nouvelle loi.
Jeudi 8 juin
1989
Déjeuner de travail entre le Président et Felipe
Gonzalez. Sur l'Union économique et monétaire : le Premier ministre
espagnol déclare souhaiter que la première étape soit décidée à
Madrid le 1er juillet 1990, et qu'un pas
en avant soit d'ores et déjà accompli vers les deuxième et
troisième étapes. A cette fin, il propose que le Conseil européen
se charge de réunir les conditions préliminaires à la Conférence
intergouvernementale et qu'un engagement soit pris pour la seconde
étape. A défaut, neuf ou dix pays pourraient décider de la
convocation de cette Conférence intergouvernementale. Mais le
projet de texte remis par le collaborateur de Felipe Gonzalez après
le déjeuner est beaucoup moins net : il ne s'engage pas clairement
sur la convocation de la Conférence.
Pierre Mauroy prend l'échec de la tentative
d'amnistie du 5 comme un échec personnel. Le groupe socialiste de
l'Assemblée est sommé d'exécuter sans tarder la volonté
présidentielle exprimée à la Pentecôte. Un projet visera à lier la
réglementation du financement des partis et des campagnes à
l'amnistie pour les faits imputables à l'insuffisance de la
législation actuelle. L'amnistie viendra en contrepartie d'une
réforme effective.
Aucune information judiciaire n'est encore ouverte
concernant des élus ou des responsables politiques à la suite des
affaires sur lesquelles une enquête est en cours à Marseille.
Vendredi 9 juin
1989
Le cabinet du garde des Sceaux dément avoir été à
l'origine du projet d'amendement amnistiant les fausses factures,
il y a quatre jours.
Je suis à Dacca pour présenter au Président Ershad
l'étude du consortium français pour la maîtrise des inondations au
Bangladesh. La Banque mondiale fera la synthèse des études
existantes sur ce sujet (PNUD, France, Japon, États-Unis). Si le
Bangladesh en est d'accord, une conférence réunie à Londres en
novembre mettra en place un plan de financement. Il est important
que le gouvernement du Bangladesh indique nettement qu'il entend
traiter sur un plan d'égalité la protection contre les inondations
et l'irrigation, qu'il souhaite voir la Banque mondiale prendre la
responsabilité des opérations, et qu'il s'engage à créer les
institutions ad hoc pour s'occuper de
ce problème.
Le Président Ershad me donne son accord. Il
m'emmène voir sa mère dans un petit village. Ses avis sont plus
importants à ses yeux que ceux de son gouvernement.
Les ministres de l'Environnement des Douze
parviennent à un accord sur des normes antipollution plus sévères
pour les voitures de petite cylindrée à partir de 1992.
La place Tien-an-Men est nettoyée. Réapparition
télévisée de Deng Xiaoping : le vieil
homme félicite les militaires d'avoir jugulé la rébellion contre-révolutionnaire.
Samedi 10 juin
1989
En Chine, arrestations massives, appels à la
délation, mandats d'arrêt contre les leaders étudiants.
Michel Sardou aimerait donner Les Misérables à l'Opéra-Bastille. Voilà une très
bonne idée pour une salle qui se veut populaire...
Dimanche 11 juin
1989
Nouvelle-Calédonie : les élections provinciales
ont lieu dans le calme. 69,2 % des inscrits participent. Le RPCR
obtient 27 des 54 sièges du Congrès du territoire, le FLNKS, 19 ;
mais ce dernier dispose de la majorité absolue dans deux des trois
assemblées provinciales, celles du Nord et des îles Loyauté.
Nouvelle concertation des quatre sherpas du Sud à Rambouillet : ils sont d'accord
sur les enjeux d'une réunion à l'Élysée, le 13 juillet. Urgence de
la dette. Mais les sherpas du Nord se
refusent à les rencontrer.
Autre réunion prévue pour le 7 juillet. Je ferai
une nouvelle tentative pour y attirer mes homologues des
Sept.
L'amnistie projetée ne concernera pas les fautes
éventuellement commises par des individus dans un but
d'enrichissement personnel. Pierre Joxe :
Le gouvernement arrêtera sa politique la
semaine prochaine.
Lundi 12 juin
1989
Première visite officielle de Mikhaïl Gorbatchev
en RFA. La presse allemande écrit qu'il arrive en pays psychologiquement conquis.
Le programme pour l'environnement est en bonne
voie. Chaque pays du Sommet fait maintenant de la surenchère.
George Bush présente un grand plan de lutte antipollution aux
États-Unis, qui mobilisera 15 milliards de dollars par an.
Dix ministres des Affaires sociales décident
qu'une déclaration solennelle sur l'Europe sociale sera faite par
les chefs d'État, incluant un certain nombre de droits impératifs.
Le Royaume-Uni est contre ; le Danemark s'abstient.
A Vienne, les États-Unis viennent de se heurter à
une vive résistance des Européens sur un problème sérieux : celui
du « non-contournement ». Les Européens sont à peu près unanimes à
penser qu'un accord sur le désarmement conventionnel en Europe
pourrait être vidé de son contenu si les Soviétiques pouvaient
impunément regrouper à l'est de l'Oural les matériels éliminés en
Europe, par exemple des chars ou, plus sérieusement encore, des
chasseurs bombardiers à long rayon d'action.
Dans une lettre, François Mitterrand attire
l'attention du Président Bush sur cette question. Il demande que,
s'agissant des avions de combat, les réductions entre l'Atlantique
et l'Oural ne soient pas vidées de leur substance par
l'accroissement à l'extérieur de cette zone. Cette question sera
délicate à résoudre, mais tout projet d'accord qui l'ignorerait
serait vide de sens.
Dans la presse, des intellectuels et des artistes
ayant tous soutenu François Mitterrand formulent de violentes
critiques contre les cérémonies du Bicentenaire, présentées comme
coûteuses et réservées aux « riches ». Renaud, en particulier, est
l'un des plus véhéments et lance l'idée d'un « contre-Sommet » des
pays du Tiers-Monde aux mêmes dates.
Le projet de loi sur le financement des partis
politiques est prêt. Il est envoyé au Conseil d'État. Il sera
inscrit à l'ordre du jour du Conseil des ministres du mardi 20.
Michel Rocard souhaite le soumettre en urgence au Parlement et le
faire adopter définitivement pendant la session extraordinaire
convoquée au début de juillet pour adopter des projets de loi
concernant l'Éducation nationale, l'immigration et
l'audiovisuel.
Mardi 13 juin
1989
A Genève, la conférence de l'ONU pour les réfugiés
indochinois s'ouvre. Elle adoptera un plan aux termes duquel les
boat-people doivent rentrer dans leur
pays. Volontairement, si possible !...
Comité interministériel sur l'Europe réunissant
plusieurs ministres autour de Michel Rocard et d'Édith Cresson. A
propos de l'Union économique et monétaire, il est décidé de lancer,
à l'unanimité ou à la majorité, la Conférence intergouvernementale
prévue dans le rapport Delors. Sur l'Europe sociale, le principe
d'une déclaration solennelle pourrait être arrêté à Madrid et le
texte adopté au Sommet français. Quant au marché intérieur, le
Président interviendra à Madrid sur les domaines censés marquer
rapidement des progrès (énergie, télécommunications, transports).
Enfin, le Premier ministre souhaite que la TVA à taux zéro soit
imposée aux exportations à destination des autres pays de la
Communauté.
Le Président s'oppose toujours à la privatisation
de Framatome, dans laquelle le ministre de l'Industrie voit une
suite logique de la privatisation de son actionnaire privé,
Alsthom. Jean-Claude Leny, son président, y est hostile et préfère
rester sous contrôle de l'État. François Mitterrand, qui ne veut
pas entendre parler d'un rachat de Framatome par Alsthom, rejette
tous les arguments de Roger Fauroux et de Michel Rocard.
Renaud m'écrit à propos
du Sommet des Sept, après m'avoir téléphoné, une très jolie lettre
:
Je me permets de vous
adresser ces quelques lignes afin d'étayer mon argumentation qu'au
téléphone, ce matin, je me suis senti difficilement capable de
développer.
Je n'ai pas votre éloquence
dialectique et me sens, face à vous, quelque peu mal à l'aise
devant votre (sympathique) paternalisme, ne vous considérant pas
comme un de mes ennemis (cela faciliterait les
choses)...
Cette initiative, comme vous
pouvez le constater, est soutenue par des dizaines d'associations
et des centaines de personnalités qui, pour la plupart, se
réclament de la gauche et ont soutenu François Mitterrand en 1981,
puis en 1988.
Ce soutien doit-il devenir de
la servilité ?
Notre admiration pour le
François Mitterrand du discours de Cancún ou du Sommet de Dakar doit-elle nous obliger à nous taire
lorsque la « raison d'État » nous semble aller à l'encontre des
droits de l'homme (affaires Greenpeace, Machoro, Ouvéa, etc.) ? Ma
réponse sera sans ambiguilé : jamais !
Je reste convaincu que la
venue à Paris, le 14 Juillet, des Maîtres du monde, qui,
par leur impérialisme économique, sont
directement responsables de la misère des deux tiers de la planète
(misère économique, culturelle, sociale...), est,
sinon une insulte aux idéaux de 1789, que, par
ailleurs, vous glorifiez, du moins une maladresse qu'il vous faut
assumer.
Ni l'ordre du jour du
Sommet — aide aux pays du Tiers-Monde
(encore heureux...) — , ni la venue des
gouvernements d'une vingtaine de pays pauvres (un peu responsables
de cette pauvreté, non ?) ne sauraient effacer de nos cœurs le
sentiment d'inopportunité et d'injustice que représente ce Sommet
des pays riches à cette date et en ces lieux.
Si n'être pas aveuglément,
désespérément avec vous signifie être contre vous, alors vous
porterez la responsabilité de la brouille familiale entre un neveu
admiratif et complice (mais se réservant le droit et le devoir
d'être critique) et un « tonton » humain et généreux, mais pas à
l'abri d'une erreur face à l'Histoire. Celle-ci
jugera...
Anecdote : pour la libération
d'Otelo de Carvalho, pour laquelle je revendique l'honneur d'avoir
milité, si l'Histoire a déjà jugé, cela nous fait 1 pour moi et 0
pour vous.
Mais peu
importe...
Pour conclure, je vous
signale que pour la jeunesse sauvage que je fréquente, pour les
artistes que je côtoie, pour les citoyens qui m'interpellent, ce
Bicentenaire étatisé, barriérisé, flicardisé, « marchandizé », dont
le peuple se sent dépossédé, aurait tout à gagner d'être sauvé par
cette vraie fête populaire que nous nous proposons d'organiser, le
8 juillet, afin que des milliers de Parisiens, de Français et
d'Européens participent à cette commémoration non plus en
spectateurs, mais en acteurs.
A bientôt,
peut-être...
Renaud (chanteur
énervant).
François Mitterrand, à
qui je montre cette lettre en lui disant qu'elle me plaît beaucoup
: Mais non, quelle stupidité. Il fallait
évidemment bien accueillir les gens. Qu'ils cessent de nous
ennuyer.
Louis Mermaz confirme les intentions du
gouvernement à propos du financement des partis : les deux projets
de loi, l'un ordinaire, l'autre organique, viseront à assurer la
limitation et le contrôle des dépenses électorales, ainsi que la
transparence des ressources des partis. Louis
Mermaz explique que cela vise à éviter
les dépenses excessives avant la courte période de la
campagne officielle. Chaque candidat devra constituer une
association électorale dont les comptes seront soumis au contrôle
d'une commission nationale nommée par le Président de la
République.
Mercredi 14 juin
1989
Encore l'amnistie. Le ministère de l'Intérieur et
Matignon ont maintenant préparé le projet de loi sur le financement
des partis, réaliste et rigoureux, mais qui n'a guère de chances
d'être apprécié à sa juste valeur dans le climat actuel, envenimé
par les « affaires ». La Chancellerie a rédigé l'article d'amnistie
qui y est ajouté. Le Conseil d'État examine le tout en section
aujourd'hui et en assemblée demain.
L'article 17 préparé par la Chancellerie à la
demande de Pierre Mauroy ne vise pas seulement les délits et
contraventions, mais les infractions, ce qui inclut les crimes.
L'explication de ce choix singulier porte un nom : celui de
Christian Nucci. Le Conseil d'État ne laissera pas passer un tel
article.
Rencontre à Washington entre George Bush et
Jacques Delors. Longue conversation sur la Pologne. Bush en ressort
avec l'idée que, grâce à des contacts anciens avec Solidarnosc et,
plus largement, avec la communauté catholique, le président de la
Commission connaît bien ce pays et peut diriger un effort des Sept
en vue de l'aider.
Conseil des ministres.
Après une intervention de Roger Fauroux qui
revient sur la privatisation de Framatome, le
Président prend la parole. Il évoque sa formule « ni
nationalisations, ni privatisations » : C'est
un débat à la mode qui, en réalité, recoupe une question de fond
très importante. A vrai dire, la formule que j'ai employée n'a pas
été méditée pendant des mois. Elle procédait d'un souci formel
d'équilibre, peut-être exagéré. Mon mouvement naturel aurait été de
récupérer les sociétés dénationalisées depuis deux ans. J'en aurais
peut-être ajouté quelques autres. Si je ne l'ai pas fait, c'est par
souci de la psychologie des Français et de la paix civile. Si l'on
changeait de majorité tous les cinq ans, voire tous les deux ans,
on risquerait en effet de bousculer à chaque fois le système
industriel et bancaire. « Ni nationalisations
», c'était un sacrifice ; « ni privatisations », c'était un
soulagement. Cela me paraissait aller de soi ; ce n'est pas une
position dogmatique, c'est une position contractuelle.
Il y a des journalistes,
comme M. Boissonnat, qui voudraient que je fasse leur politique et
non pas celle pour laquelle j'ai été élu. On ne peut quand
même pas renverser le sens des élections de 1988. Bien sûr, je ne
détiens pas plus qu'un autre la vérité
absolue. On peut adapter, évoluer ; je ne m'en priverai pas, si
c'est raisonnable ; mais, pour l'instant, il me paraît sage de ne
pas changer.
La communication de M. le
ministre de l'Industrie me convient tout à fait. Je vous
trouve même un peu trop interventionniste. Moi, je suis socialiste,
je ne suis pas dirigiste.
En 1993, ce sera aux
formations politiques de s'engager, et au peuple de
juger.
Jack Lang parle ensuite du Bicentenaire et des
critiques qu'il suscite.
Le Président :
Il y a là une offensive médiatique réelle, qui
a de la force. Elle rassemble tous ceux qui sont contre la
Révolution, tous ceux qui, en son temps, auraient été pour, mais
qui sont plus réservés maintenant, parce que privilégiés. A cela
s'ajoutent la catégorie de ceux qui sont contre le gouvernement, et
ceux qui sont effectivement gênés par le Bicentenaire. C'est vrai
qu'on en rajoute sans doute dans les mesures de sécurité. En même
temps, il y a une démagogie de la voiture. Beaucoup de Parisiens
seront contents d'avoir un centre de Paris réservé aux piétons
pendant quelques jours.
Pour finir, François
Mitterrand demande que le Louvre reste fermé le moins
longtemps possible, et ajoute : Qui aurait
voulu ne pas célébrer le Bicentenaire ? Il dénonce
la stupidité de l'appel lancé par le
chanteur Renaud et l'écrivain Gilles Perrault pour un Sommet des
pays pauvres.
A propos de la Nouvelle-Calédonie et du résultat
des élections qui viennent de s'y dérouler, le Président : Cela confirme
l'aspect historiquement très juste des accords de Matignon. La population a validé
une politique très audacieuse et difficile.
Jeudi 15 juin
1989
Première visite officielle de François Mitterrand
en Pologne. Accompagné de Roland Dumas, Pierre Bérégovoy, Pierre
Joxe, Jack Lang, Jean-Marie Rausch et Jacques Chérèque, le
Président apporte son soutien à la politique de réformes des
dirigeants de Varsovie, où se déroulent les premières élections
libres de l'histoire de ce pays. Un important plan d'aide
économique à la Pologne est annoncé : 1 milliard de francs, et le
rééchelonnement du tiers des créances françaises.
On vote aujourd'hui en Grande-Bretagne, en
Irlande, en Espagne, au Danemark et aux Pays-Bas pour le Parlement
européen.
Le Syndicat de la magistrature s'insurge contre la
loi sur le financement des partis : Ce projet,
s'il était adopté, constituerait une entrave inadmissible au
fonctionnement normal de la justice, ainsi qu'une rupture de
l'égalité des citoyens devant la loi, et ce, à des fins
politiciennes... Le monde politique montre une fois de plus le
mépris dans lequel il tient la justice.
Vendredi 16 juin
1989
En Hongrie, obsèques solennelles d'Imre Nagy en
présence d'une foule considérable : tout un peuple commémore la «
révolution » de 1956 en portant en terre celui qui fut Premier
ministre à l'époque et le paya de sa vie en 1958.
Lettre du chef du service des décorations de la
Présidence au chef de cabinet du ministre de la Santé et de la
Solidarité. Objet : la promotion de Michel Garretta dans l'ordre de
la Légion d'honneur, à la demande du professeur Jean Bernard.
Décidément, le directeur du CNTS est envahissant.
Non-lieu général dans l'affaire Luchaire. C'est la
fin d'une honteuse tentative de manipulation du gouvernement Chirac
en 1987.
L'Espagne annonce l'entrée de la peseta dans le
SME.
Samedi 17 juin
1989
Émeutes sanglantes au Kazakhstan : la minorité
caucasienne est pourchassée.
Dimanche 18 juin
1989
Dans une indifférence absolue, élections
européennes ; le taux d'abstentions atteint 51 %. La liste RPR-UDF
de Valéry Giscard d'Estaing arrive en tête (28,87 %, 26 sièges),
devançant nettement la liste socialiste conduite par Laurent Fabius
(23,61 %, 22 sièges). Comme le craignait Fabius — qui y voyait des
sous-marins de Rocard —, la percée la plus importante est celle des
Verts (10,50 %, 9 sièges). La liste Le Pen conserve ses 10 sièges,
avec 11,73 % des voix. La liste du centre, conduite par Simone
Veil, n'obtient que 7 sièges avec 8,41 % des voix.
Détendu, le Président
commente les résultats : C'est un grand
succès... Enfin, un grand succès pour les pêcheurs et les chasseurs
: 4,13 %, ce n'est pas si mal. Si on y ajoute les 50 % d'électeurs
qui sont effectivement allés à la chasse et à la pêche, ça commence
à compter...
Dans une élection, il y a
toujours un vainqueur et un perdant. Le vainqueur, c'est Giscard
d'Estaing. Le perdant, c'est Fabius. Rien ne sert de tourner autour
du pot. C'est cela que l'opinion retiendra. C'est la sanction
normale d'une campagne socialiste sans idées, sans
dynamisme.
En Pologne, second tour des élections
législatives. Débâcle du Parti communiste (POUP). Entre les deux
tours, Lech Walesa a écarté l'idée d'une participation de
Solidarité au gouvernement.
Lundi 19 juin
1989
Roland Dumas et Hans-Dietrich Genscher préparent
pour le Sommet de Madrid un projet de conclusion approuvant les
trois étapes du rapport Delors, éléments d'un processus unique. Un
nouveau traité sera préparé. Les décisions seront prises par la
Conférence intergouvernementale. Ils publient un communiqué commun
dans lequel ils souhaitent qu'une impulsion
politique décisive soit donnée à Madrid à l'Union économique et
monétaire par la mise en œuvre du rapport Delors dans sa
globalité.
Les arrestations massives se poursuivent en
Chine.
Mardi 20 juin
1989
Vu Michel Delebarre. Le « grand projet ports » est
enterré : impossible de choisir entre les ports à privilégier. On
les laissera mourir tous plutôt que de décider lesquels sauver ! Il
aurait fallu pourtant en choisir quatre et garder ce choix secret
pour ne pas soulever trop d'obstacles. Mais comment agir dans le
secret en ce genre de domaine ?
Jacques Delors est reçu par le Président afin de
préparer le Conseil européen. François Mitterrand choisit
Strasbourg pour accueillir le prochain Conseil sous présidence
française.
Rafsandjani, président du Parlement iranien, est
reçu comme un chef d'État à Moscou.
Le projet de loi de financement de la vie
politique (accompagné d'un projet de loi organique, techniquement
nécessaire pour ce qui concerne les élections présidentielles et
parlementaires) sera adopté demain en Conseil des ministres. Il
sera aussitôt déposé à l'Assemblée nationale.
Comme prévu, le projet de loi d'amnistie pose deux
problèmes :
L'article 17 du projet prévoit que sont amnistiées
toutes les infractions commises avant la date d'aujourd'hui en
relation avec le financement direct ou indirect de campagnes
électorales ou de partis politiques. Or, il n'est pas d'usage qu'un
projet d'amnistie — annoncé dans les administrations et les
ministères concernés par son élaboration plusieurs semaines avant
sa présentation en Conseil des ministres — fixe comme échéance une
date postérieure à sa rédaction. Rocard ramène donc la date butoir
du 20 au 15 juin, jour de la discussion par le Conseil
d'État.
Par ailleurs, dans sa version initiale,
l'avant-projet amnistiait toute « infraction » commise pour
financer des élections, ce terme couvrant aussi bien les délits que
les crimes. Or la loi du 20 juillet 1988 s'en tenait aux seuls «
délits » en relation avec les élections de toute nature. Pour
Michel Rocard, c'est sans importance, car aucun crime ne pourrait
être commis en relation avec le financement d'une campagne
électorale ; pourtant, note un juriste, le faux en écriture
publique — qui vise notamment les fausses factures au détriment
d'entreprises publiques — est qualifié de « crime » par le Code
pénal.
L'amplitude de l'amnistie vis-à-vis des
infractions qualifiées de « crimes », comme les faux en écritures
publiques, est néanmoins maintenue par Michel Rocard.
Michel Rocard envisage de soumettre lui-même le
projet de loi sur le financement au Conseil constitutionnel afin de
le mettre à l'abri de tout reproche d'inconstitutionnalité.
Louis Mermaz suggère que l'Assemblée nationale
examine ce projet les 27, 28 et 29 juin. Il faut faire vite,
pense-t-il. L'évolution de l'enquête sur la SORMAE pourrait
modifier la position de l'un au moins des groupes au
Parlement.
A la réunion à l'hôtel Matignon des responsables
du gouvernement, du groupe parlementaire et du parti, deux
démarches s'opposent : les uns souhaitant renvoyer à l'automne
l'examen des projets de loi sur le financement politique et
l'amnistie, les autres voulant accélérer les choses pour obtenir
l'amnistie avant les vacances d'été.
Normalement, le texte devrait n'être adopté qu'à
l'automne. Mais les socialistes, affolés par la montée des «
affaires », exigent d'aller plus vite. Cela imposerait donc de
l'inscrire au plus tard à l'ordre du jour d'une session
extraordinaire, en juillet, laquelle, de surcroît, se télescoperait
avec les cérémonies du Bicentenaire et la réunion du G7 !
Le Premier ministre présente la loi sur le
financement des partis politiques dès ce soir au journal télévisé
de TF1. Les crédits budgétaires
consentis aux partis seront répartis en fonction de leur nombre
d'élus à l'Assemblée nationale et des voix recueillies aux
dernières législatives. Mais la polémique sur l'article 17 éclipse
évidemment le reste du texte, pourtant nécessaire. Michel Rocard justifie ainsi l'amnistie :
La fraude a été générale et tous azimuts. Il
faut sortir de l'alternative actuelle entre la fraude et la
mendicité.
Comme convenu, le Conseil des ministres adopte
deux projets de loi sur le financement des partis politiques et des
campagnes électorales. L'article 17 — que le Président a
soigneusement examiné — prévoyant une large amnistie, dont pourront
bénéficier des milliers d'élus, n'est pas même mentionné au cours
de la discussion. Chacun, pourtant, ne pense qu'à lui.
Le Président
: C'est un texte important.
Le Premier ministre,
hyperbolique : Ce sera sans doute un moment
de société et de civilisation.
Le Président commente
ensuite les élections européennes : Il fallait
s'attendre à ce fort taux d'abstentions. Cela se conçoit très bien
quand on ne perçoit pas l'enjeu. Les partis conservateurs sont
favorisés. Les agriculteurs, les petits notables, les chefs
d'entreprise connaissent mieux le sujet et y trouvent un intérêt
professionnel ; ils sont donc plus facilement mobilisables. Les
formations politiques dont les salariés constituent l'essentiel des
électeurs ont une tâche plus difficile. Quant à la presse
française, comme d'habitude, elle ne réfléchit pas. Dans les onze
autres pays, on compare des choses comparables, c'est-à-dire 1989 à
1984. Il n'y a qu'en France qu'on compare avec d'autres élections,
avec des sondages, avec des souhaits ou avec des
rêves.
La « victoire » de l'ancien
Président de la République se solde par la perte de huit sièges. La
« défaite » de la tête de liste socialiste se solde par un gain de
deux sièges. J'en suis désolé pour les journalistes, mais, dans les
assemblées, c'est avec des sièges que l'on travaille, pas avec des
impressions.
Au total, la droite perd six
à sept points en pourcentage si l'on compare le score des listes
Veil et Giscard au score de Veil en 1984. On constate qu'il y a
seulement 28 % pour l'alliance RPR-UDF. Cela me serre un peu le
cœur, cela ne mérite pas de sarcasmes,
mais pas non plus de compliments. Tout cela prouve que l'Europe a
besoin de se faire comprendre et aimer.
En ce qui concerne l'article 17, le Premier
ministre ne souhaite pas donner l'impression que le gouvernement
serait lui-même impatient de voir effacées des fautes commises par
ses amis.
Mercredi 21 juin
1989
Felipe Gonzalez envoie aux chefs d'État et de
gouvernement une lettre d'invitation rappelant l'ordre du jour
prochain du Conseil européen.
A l'Assemblée nationale, lors des questions
d'actualité, Jacques Toubon qualifie
l'amnistie projetée de scandale et conteste que le vote des députés socialistes puisse remplacer le verdict des juges. Les deux nouveaux
projets, dit-il, comportent deux dispositions
scandaleuses. Premier scandale : les membres de la commission
chargée de contrôler les comptes des partis politiques et des
campagnes électorales seront tous désignés par le Président de la
République... Nous demandons que ce projet fasse l'objet d'une
concertation entre les partis, comme cela avait été le cas pour la
loi de 1988, et qu'il ne soit pas présenté ni voté à la sauvette...
Second scandale : une disposition tend à amnistier les faits de
fausses factures au profit de certains hommes et de certains
partis.
Pierre Joxe répond :
J'étais président du groupe socialiste dans
cette Assemblée lorsque vous avez fait voter cette loi [celle
de 1988] à quelques semaines des
élections, à l'occasion d'une affaire qui, depuis, a reçu un
épilogue judiciaire que vous pouvez regretter, mais qui est
parfaitement clair: à savoir que vous avez voulu monter une
machination — je ne dis pas vous
personnellement, M. Toubon, vous n'en aviez pas les moyens !
—, que vous avez cherché à déshonorer des
hommes... Les juges ont examiné l'affaire pendant deux, trois ans,
et le résultat est là : votre machination est tombée à plat [sur
l'affaire Luchaire]. Ce gouvernement, lui, n'a pas le goût des
machinations politiques ou politico-policières, mais qui vous dit
qu'il n'en a pas les moyens ?
Michel Rocard assiste au congrès de
l'Internationale socialiste. C'est pourquoi le Conseil a été avancé
d'un jour.
Critiqué pour le récent non-lieu intervenu dans
l'affaire Luchaire, Pierre Arpaillange
déclare : En l'état actuel des choses, et
après un certain nombre de blocages qui ont été constatés par les
magistrats, il n'était pas possible d'aller plus loin. Si l'on
considère que, pendant deux années, la droite a eu entre les mains
ce dossier et n'en a rien fait, comment reprocher aujourd'hui à la
gauche d'en tirer les conséquences ? — avant de répéter, une fois encore, ce qu'a dit avant lui
M. Bézard, procureur de la République, qui a requis le
non-lieu : Le magistrat instructeur a demandé
des renseignements au ministère de la Défense en 1987 ; il a obtenu
des réponses, mais pas tous les éléments qu'il souhaitait, et le
procureur de la République a écrit au ministre de la Défense il y a
cinq ou six mois, mais, à ma connaissance, il n'a pas obtenu de
réponse... Si le juge d'instruction n'obtient pas les concours
voulus, il est évident que la procédure ne peut pas
prospérer.
Jeudi 22 juin
1989
Le Président revient de Normandie pour recevoir le
Chancelier Kohl à déjeuner. Dans l'avion qui le ramène à Paris, il
est prévenu par une note d'Élisabeth Guigou de l'accord du
Chancelier sur les points essentiels concernant l'Union économique
et monétaire. Mais le Chancelier est plus réticent que son ministre
des Affaires étrangères à fixer une date rapprochée pour la
Conférence intergouvernementale qui décidera de la réforme du
Traité de Rome. Le Président :
Ne vous inquiétez pas. Il cédera. Parce qu'il
ne peut faire autrement.
Le Chancelier et le Président décident d'obtenir
que la Charte sociale soit adoptée d'abord comme une déclaration
solennelle, suivie de décisions juridiques contraignantes.
Quatre nouvelles inculpations dans l'affaire de la
SAE, ce qui porte à trente-deux le nombre des prévenus. Parmi eux,
douze sont des responsables PS, UDF et RPR. Trois sont des
dirigeants d'Urba-Gracco.
Michel Rocard :
Il faut en finir avec tout ça.
Les enquêtes en cours risquent d'avoir un
effet désastreux auprès de l'opinion publique. Mieux vaudraient des
articles de presse dénonçant, pendant trois jours, une «
auto-amnistie », que six mois de révélations et de mises en cause
distillées au fil des instructions.
Vendredi 23 juin
1989
François Mitterrand reçoit Michel Rocard pour
discuter du calendrier du projet relatif au financement des partis,
et donc à l'amnistie. Le Premier ministre a le sentiment d'une mise
à l'épreuve de son dévouement à la « cause commune ». Il arrive
donc muni de deux calendriers : l'un, normal, en prévoit l'examen à
l'automne ; l'autre pourrait permettre son adoption dans de plus
brefs délais. Il souligne que cette procédure en urgence obligerait
à recourir au 49.3, ce qui pourrait être évité si l'on attendait
l'automne. Il souligne qu'en cas de recours au 49.3, une motion de
censure sera inévitablement déposée et qu'elle risque fort de
réunir la majorité constitutionnelle, donc de provoquer à la fois
la chute du gouvernement et le rejet du texte. Cela posé, il se
déclare prêt à le faire si le Président le lui demande.
Le Président le lui demande, ajoutant
dans un sourire : En cas de censure adoptée,
cela ne provoquerait qu'une crisette à l'italienne (ce qui
pourrait sous-entendre que le départ de Michel Rocard ne serait pas
grave ou que le même Premier ministre serait aussitôt renommé, mais
cela n'est pas dit explicitement...).
François Mitterrand :
Il faut que le Bicentenaire soit aussi
fastueux que possible. Le monde doit se souvenir de la fête de la
liberté.
Il voit la maquette du défilé de Jean-Paul Goude.
Il ne prétend rien contrôler, rien surveiller, et ne pose même pas
de questions. Belle marque de confiance en Jack Lang et Jean-Noël
Jeanneney.
Samedi 24 juin
1989
Coup de théâtre : le Président appelle Michel
Rocard pour lui dire que, tout bien considéré, il décide d'attendre
l'automne pour faire voter le texte. La session extraordinaire sera
limitée à quelques jours, juste pour l'achèvement des diverses
navettes. Cette volte-face renforce dans l'esprit du Premier
ministre l'idée d'une mise à l'épreuve, franchie avec succès.
Michel Rocard me dit :
Il a voulu me tester. Je lui ai montré
mafidélité. Ça va permettre à la police et à la justice de faire
leur travail. En conséquence, l'opposition devra tourner plusieurs
fois sa langue dans sa bouche avant de parler, d'ici à la
rentrée.
J'étais d'abord pour un débat
à l'automne, puis pour un débat dans l'immédiat. Le Président était
au départ pour l'automne, puis pour tout de suite, et, finalement,
à nouveau pour l'automne. Le PS, lui, a été le seul à ne pas
changer de position : il voulait l'amnistie tout de suite. Mon seul
problème a été que les autres changeaient d'avis, mais pas en même
temps...
Convention des « rénovateurs » RPR et UDF à Lyon.
Les « douze » prêtent serment de poursuivre leur entreprise jusqu'à
son terme : la constitution d'une
grande formation politique commune.
Pierre Mauroy insiste.
Il souhaite que la nouvelle loi sur le financement soit votée le plus rapidement possible, et ajoute :
Il appartient au gouvernement, au garde
des Sceaux, à chacun, de prendre ses
responsabilités sur le point de savoir s'il faut ou non une
amnistie. A mon avis, le problème est second. Le vrai problème,
c'est une loi nouvelle... Si le Parlement ne veut pas voter
l'amnistie, il ne vote pas l'amnistie. Il a tout à fait le droit,
pour certains de ses membres, d'être parfaitement hypocrite. Si le
Parlement ne veut pas voter l'amnistie, nous aurons une loi
nouvelle sans amnistie... Une forme de moralité dans un système
aussi pernicieux consiste à ne pas désigner des boucs
émissaires...
Il réaffirme qu'il n'est pas lui-même à
l'initiative de cette amnistie. Il regrette que le non-lieu rendu
dans l'affaire Luchaire n'ait pas permis de connaître les
coupables.
Lundi 26 juin
1989
Le gouvernement renonce à déposer à la session
extraordinaire et décide d'attendre la session d'automne pour
soumettre au Parlement les projets de loi sur le financement des
partis politiques et l'amnistie des délits liés à ce
financement.
La direction du Parti socialiste, apprenant ce
changement de calendrier, s'en désole: le report de la discussion
en octobre risque de repousser l'amnistie à décembre. Pierre Mauroy
envisage déjà de solliciter du Président une session extraordinaire
en septembre pour gagner du temps. Le Président : Pas question
de session extraordinaire ! Ni pour ça ni pour
autre chose !
C'est la seconde fois en quinze jours que Mauroy
essuie un échec sur l'amnistie.
Conseil européen à Madrid avec des gouvernements
démissionnaires en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, et un
gouvernement allemand affaibli. La Charte sociale est adoptée sous
la forme d'une déclaration solennelle par onze États, les
Britanniques restant opposés à toute charte, même sous cette
forme.
Sur l'Union économique et monétaire, les
Britanniques acceptent la première phase du rapport Delors, mais en
font une lecture restrictive. Ils refusent la Conférence
intergouvernementale et la négociation d'un nouveau traité.
Sur la fiscalité de l'épargne, la Commission a
proposé deux directives. La première, en février, prévoyait une
retenue à la source de 15 % ; les oppositions sont venues du
Royaume-Uni, du Danemark, du Luxembourg, enfin de la RFA par la
bouche de son nouveau ministre des Finances, [Theo Waigel]. La
seconde concernait la coopération fiscale entre États membres pour
lutter contre la fraude ; ce texte peut être examiné et amélioré.
La France souhaite que ces dispositions aillent le plus loin
possible. Sur la TVA, un groupe d'experts est créé afin d'examiner
les propositions de la Commission (jugées trop complexes) et des
États.
Le gouvernement irakien reconnaît vouloir expulser
les Kurdes des régions frontalières. Un nouveau génocide qui se
prépare ?
Mardi 27 juin
1989
A Madrid, la première étape de l'Union économique
et monétaire est fixée au 1er juillet
1990. Mais le texte ne fait pas référence aux deux autres phases.
Les travaux préparatoires à une réforme du traité par une
Conférence intergouvernementale vont pouvoir commencer, mais la
date n'en est pas fixée. Le Royaume-Uni accepte la tenue de cette
Conférence.
Margaret Thatcher refuse
les phases 2 et 3 : Cela reviendrait à
accepter un transfert de souveraineté monétaire.
Il appartiendra donc à la présidence française de
relancer l'idée et de fixer une date pour le début des
travaux.
Le Président s'exprime en dernier : On s'est engagé à construire une certaine Europe. La
question est de savoir si on le veut toujours, et quand... Si on ne
respecte pas le délai, on ratera la rencontre avec l'Europe qu'on a
souhaitée. Pourquoi s'engager sur la phase 1 s'il n'y a pas de
phase 2 ?... La France accepte la phase 1 s'il est précisé qu'une
deuxième phase est nécessaire.
Après un tour de table qui laisse dans le flou la
convocation d'une conférence intergouvernementale, le Président reprend : Hanovre est
un acquis... Pour ceux qui ont donné leur accord à la première
phase, elle n'offre aucun intérêt si elle n'est pas suivie d'une
deuxième phase. Le processus est un tout... Si les uns veulent
tirer les autres en arrière, nous n'aboutirons pas... Je ne refuse
pas un compromis, mais on ne peut pas laisser la Conférence
intergouvernementale dans l'imprécision, comme un espoir
éloigné.
Le Président redemande que quelque chose soit fait
sur la fiscalité de l'épargne. Opposition de Jacques Santer, le
Luxembourgeois.
Finalement, le Conseil européen réitère sa
détermination de réaliser progressivement l'Union économique et
monétaire telle que prévue par l'Acte unique et confirmée lors du
Conseil européen de Hanovre. L'Union économique et monétaire doit
se situer dans la perspective de l'achèvement du marché intérieur
et dans le contexte d'une cohésion économique et sociale. Le
Conseil européen considère que le rapport du comité présidé par
Jacques Delors, qui définit un processus devant conduire par étapes
à l'Union économique et monétaire, répond pleinement au mandat
donné à Hanovre. Le Conseil décide que la première étape de la
réalisation de l'Union économique et monétaire commencera le
1er juillet 1990. Il demande aux
instances compétentes (Conseil économique et des finances, Affaires
générales, Commission, Comité des gouverneurs des banques
centrales, Comité monétaire) : a)
d'adopter les dispositions nécessaires au démarrage de la première
étape au 1er juillet 1990 ; b) de réaliser les travaux préparatoires en vue de
réunir une Conférence intergouvernementale pour définir les étapes
ultérieures ; cette conférence se réunira une fois que la première
étape aura commencé ; elle sera précédée par une préparation
complète et adéquate.
Le processus n'est plus global : il n'y a pas de
date fixée pour la Conférence intergouvernementale, mais elle peut
être convoquée à compter du 1er juillet
1990, début de la première étape.
L'issue est donc floue, incertaine. Seul point
relativement positif: le Royaume-Uni n'a pas bloqué les travaux. La
Conférence intergouvernementale pourrait finalement se tenir l'an
prochain à Onze.
Pour le défilé du 14 Juillet, Jean-Paul Goude a
préparé un programme superbe. La musique est écrite par le Béninois
Wally Badarou, 1 500 drapeaux, dont le palestinien, des
Britanniques sous une pluie artificielle, des constructivistes
russes avec des chaussures à soufflets, des valseurs sur patins à
roulettes, Jessie Norman chantant La
Marseillaise, une énorme locomotive clôturant le défilé...
Christian Dupavillon, le vrai concepteur du projet, accomplit un
travail magnifique.
Mercredi 28 juin
1989
Au cours du Conseil des ministres, à propos du
Sommet de Madrid, le Président :
La seule manière de procéder pour l'Union
économique et monétaire, c'est de réunir une Conférence
intergouvernementale. Il y faudrait l'unanimité pour décider
d'établir un nouveau traité, mais la conférence pourrait se
transformer et se borner à réunir les pays décidés à signer ce
nouveau traité.
Au cours des discussions à
Madrid, il est apparu que le Danemark était souvent acquis à la
cause britannique, avec, en plus, parfois le Portugal, parfois les
Pays-Bas. On retrouve là une clientèle traditionnelle. En tout cas,
l'enjeu était d'obtenir la Conférence intergouvernementale, et nous
l'avons obtenue. Les gouvernements néerlandais, grec, italien
étaient démissionnaires ; les Allemands et les Anglais, ébranlés.
La stabilité de la France a sans doute accru son
crédit.
Nous avons eu l'appui
constant et ferme de la Belgique, de la Commission, de
la RFA — sauf, en ce qui concerne cette
dernière, pour fixer la date de la Conférence
intergouvernementale — et un appui dans
l'ensemble ferme de l'Italie. La marche en avant
continue.
A propos de la fiscalité sur l'épargne :
J'ai dit à M. Santer, le Premier ministre
luxembourgeois : « Vous êtes assis sur votre trésor qui, pour une
bonne part, est constitué par la fraude internationale.
»
Sur la défense : S'il
s'agit de mener une guerre nucléaire, c'est Mme Thatcher qui
a raison. J'avais dit à M. Bush,
à Kennenbuck Port, qu'il n'aurait
aucune marge s'il restait sur le
terrain des forces nucléaires à courte
portée, mais qu'il aurait du champ s'il
prenait l'initiative sur le terrain conventionnel.
Mme Thatcher, qui a beaucoup
de force quand elle s'adresse à ses partenaires européens, est une
petite fille de huit ans quand elle parle au Président des
États-Unis. Alors il faut tendre l'oreille, elle est vraiment très
touchante. En tout cas, il est visible que le Président des
États-Unis n'est pas encore sous le charme.
La Grande-Bretagne, il faut
que vous le sachiez, n'a pas d'autonomie de décision. Peu importe,
dès lors, qu'elle espère avoir barre sur le Président des
États-Unis d'Amérique !
Je me réjouis de voir que la
France, dans sa continuité, quels qu'aient été les
Présidents, les gouvernements, les chefs
d'état-major, a su préserver, elle, son autonomie de
décision.
Lors de la dernière séance des questions
d'actualité à l'Assemblée, Michel Rocard,
interrogé sur l'amnistie par l'opposition, rappelle publiquement
une évidence : Une fois la loi votée, seul un
magistrat pourra décider si l'amnistie s'applique ou non. Il
veut convaincre ainsi les socialistes que le texte qu'ils
souhaitent se révélera inefficace. Pierre
Mauroy et Henri Emmanuelli restent
déterminés et convaincus : Mais non, avec ce
texte l'amnistie sera automatique !
Jean-Louis Bianco reçoit un responsable polonais
porteur d'une lettre du général Jaruzelski à l'intention du
Président pour que celui-ci plaide la cause de la Pologne lors du
Sommet des Sept. Le général se plaint des Allemands. Le Chancelier
Kohl a reporté sa visite à Varsovie. Jaruzelski indique que les
Allemands veulent lier les mains des Polonais : leur aide
financière sera subordonnée à des garanties démocratiques et au
statut de la minorité allemande de Pologne qui, d'après les
Polonais, est une « prétendue minorité ».
Nous recevons une demande pressante du Président
yougoslave pour être invité le 14 Juillet, afin de sauver l'unité nationale ! Il le
sera.
Un autre cas reste en instance : celui du Zaïre.
La présence de Mobutu me paraîtrait ternir de façon désastreuse
cette journée (l'imaginer le 13 juillet sur le parvis des droits de
l'homme !). J'explique au Président que si la raison d'État le
conduit à en décider autrement, il faudrait limiter l'invitation au
seul défilé du 14 Juillet.
Le Président :
Bonne idée. Le 14 Juillet, plus le 13 à
l'Opéra. Le lui présenter comme une grande faveur !
Et voilà : il sera là aussi le 13...
Grande effervescence à Matignon : des
collaborateurs de Michel Rocard annoncent presque ouvertement un
prochain remaniement ministériel.
A 12 h 30, rue de Rivoli, Pierre Bérégovoy
abandonne ses locaux au directeur des Musées de France. Alors que
le Président et sa suite ministérielle traversent le grand salon
d'angle Napoléon III, Michel Charasse
lance à la cantonade : C'est ici que Jack Lang
espérait faire son bureau ! L'intéressé, vexé, riposte :
Pas du tout, je suis trop bien rue de Valois
!
Derniers préparatifs du Sommet de l'Arche. La
logistique est énorme et a exigé beaucoup d'attention. Les projets
de déclarations politiques seront discutés entre sherpas à New York
vendredi, puis, vendredi en huit, à Rambouillet. Il est possible
que s'y ajoutent une déclaration sur le terrorisme, à la demande
des Américains, et une autre sur la Chine, à la demande du
Japon.
Vu Jean-Paul Goude. Magnifique d'enthousiasme.
Seul petit probléme : il insiste pour mettre un danseur
palestinien, avec son drapeau, dans le défilé des Nations, parmi
les représentants des autres pays. Incident diplomatique en vue ?
Non, prémonition. Je le laisse faire, sans en référer à
personne.
Grande manifestation nationale serbe au Kosovo
pour célébrer le 600e anniversaire de la
bataille du champ des Merles contre les Ottomans.
Jeudi 29 juin
1989
Dans un discours aux Communes, Margaret Thatcher présente le compromis de Madrid sur
l'Union économique et monétaire comme un succès pour elle. Elle
entend interpréter les conclusions de façon restrictive : le
rapport Delors a été accepté, dit-elle, uniquement comme une des
bases de travail, mais pas comme la seule. Et aucune décision n'a
été prise sur les étapes suivantes. Par ailleurs, elle souligne
avec force que les décisions de la Conférence intergouvernementale
devront être prises à l'unanimité.
Les projets de déclarations politiques sur les
droits de l'homme et sur les relations Est/Ouest pour le Sommet de
l'Arche, que je remettrai demain à New York aux sherpas, sont
prêts, de même qu'un projet de déclaration économique, résultat de
la longue négociation que nous avons menée depuis six mois.
Ce texte contient des décisions très concrètes,
telles que :
- une nouvelle
stratégie pour la dette ;
- une
définition d'une politique globale de protection de l'environnement
;
- la décision
de lancer les grands travaux au Bangladesh ;
- la
définition d'une politique internationale contre la drogue et le
blanchiment de ses profits.
Vendredi 30 juin
1989
Le Président est
exaspéré par les critiques dénonçant le faste des cérémonies du
Bicentenaire. Il en rend responsables la mairie de Paris et la
presse, et il est spécialement irrité par la manifestation du 8
juillet qu'organise Renaud : C'est injuste !
Devait-on mal recevoir en France ? Nous recevons plus de gens du
Sud que du Nord. Fallait-il les recevoir un autre jour
?
En Pologne, le général Jaruzelski renonce à se
présenter à la Présidence de la République et propose à sa place le
général Kiszczak.
Réunion des sherpas à
New York au consulat de France. Consensus sur le texte relatif à la
drogue : un groupe de travail, ouvert au-delà des Sept (le GAFI),
sera créé. Et encore, avec présidence française. Sur la dette,
Français et Américains se retrouvent seuls contre les autres.
Discussion sur les droits de l'homme. Les
Américains nous font la leçon à tout propos. Je suggère d'inclure
dans la déclaration une interdiction de la peine de mort.
L'Américain refuse, outré que j'aie pu émettre une telle
proposition (les États-Unis sont, avec le Japon, les seuls du G7 à
l'appliquer encore).
Textes vides sur la Chine.
Les Japonais proposent un texte sur les baleines
dont le massacre a déclenché une campagne de Greenpeace (ils
veulent les protéger en les chassant !). On débat sur le point de
savoir s'il faut parler de conserver la
faune maritime (France) ou de la gérer
(Japon). Compromis : préserver.
Malgré les réticences américaines, je fais
accepter un texte sur le Bangladesh (qui prévoit une conférence de
financement du projet en septembre).
David Mulford s'est mis en cheville avec Jo
Kennedy, parlementaire démocrate, pour que celui-ci dépose au
Congrès un texte prévoyant des sanctions fiscales frappant les
banques qui refusent de réduire les dettes du Tiers-Monde. Le
premier créancier français sur le Mexique, la Société Générale, qui
faisait de la résistance, s'est fait rappeler à l'ordre par
Jean-Claude Trichet. Seules les banques britanniques résistent
encore. La Lloyds, elle aussi, fait la mauvaise tête et bloque les
négociations avec Mexico.
Samedi 1er juillet 1989
Michel Rocard propose à la région Ile-de-France
l'élaboration en commun d'un livre blanc qui fasse l'inventaire de
la situation, en analyse les causes et suggère un programme
d'actions immédiates. Cela afin de réviser le schéma directeur qui
date de 1964 et est aujourd'hui totalement dépassé.
Les dangers que dénonçait Renaud ne sont pas vains
: la liste des invités qu'a préparée Jack Lang pour l'inauguration
de l'Opéra-Bastille prévoit 30 cartons pour le Président et 900
pour le ministre, plus les 350 journalistes accrédités à la Culture
! Le Président est partagé entre le rire et la fureur.
La France prend pour six mois la présidence de la
Communauté européenne.
Dimanche 2 juillet
1989
François Mitterrand réunit huit ministres à
l'Élysée pour préparer la présidence française (sur les affaires
sociales, la monnaie, la culture, l'environnement). Il n'y a pas
d'autres priorités que d'achever ce qui est en cours.
Le Comité directeur du PS est agité par de sourdes
luttes de personnes — Mauroy, Fabius, Jospin, Rocard... — dans la
perspective du futur Congrès qui redistribuera les cartes pour deux
ans.
Mardi 4 juillet
1989
Visite officielle de Mikhail
Gorbatchev en France, juste avant le Bicentenaire dont il
aurait tant voulu être... Dîner à l'Élysée. L'Europe de l'après-guerre a vécu, déclare le chef
de l'État soviétique. « L'URSS lui survivra-t-elle ? » pensons-nous
tous en l'écoutant.
Mercredi 5 juillet
1989
Entretien à l'Élysée entre François Mitterrand et
Mikhaïl Gorbatchev :
Mikhaïl Gorbatchev :
Vous avez fait un magnifique
travail pour le Bicentenaire. Il y aura
d'ailleurs aussi un grand programme soviétique pour fêter cet
événement.
Nous sommes à un moment où
nos pays [à l'Est] sont engagés dans de
très profonds changements. Cela va bouleverser à moyen terme
l'image du monde. Vous et nous, nous sommes interdépendants... A
des rythmes différents, les changements s'opèrent dans tous les
pays d'Europe de l'Est. L'Est va changer et ce sera profitable pour
l'Europe entière...
Je suis troublé par les idées
du Président Bush sur l'Europe de l'Est. On y trouve plus
d'idéologie que de politique réaliste. Il n'y a pas longtemps, Bush
a déclaré que l'Europe devait retrouver ses frontières de 1939. Le
Président Bush a peur des changements en URSS, peur que l'URSS soit
mieux perçue à travers le monde. Il a peur de la Communauté
européenne. Il y voit un danger pour les intérêts américains dans
le monde. Nous ne devons pas admettre les tentatives de freiner les
processus qui contiennent des éléments positifs et même
révolutionnaires.
François Mitterrand :
J'ai remarqué cette déclaration de Bush ; il
obéit à une idéologie sommaire. Ce que disait Reagan était encore
moins évolué. Les frontières de 1939, ce n'est pas sérieux. On ne
doit pas faire de guerre de revanche. Bush fait des concessions à
son électorat, qui est le plus conservateur des États-Unis. Au
cours des récentes conversations que j'ai eues avec lui, nous
sommes convenus tous les deux qu'il ne fallait rien faire pour
affaiblir votre autorité, mais tout faire pour intégrer l'URSS dans
l'économie mondiale et pour ne pas revenir à la guerre froide. Mais
Bush doit faire des concessions à son public... Voyez-le. Vous
aurez de l'influence sur lui. Il est sensible au contact direct. Je
l'ai vu dès 1981. Le monde est en train de bouger, ce n'est pas la
petite guerre, mais c'est le dialogue qui modifiera les conditions
d'évolution du monde.
Mikhaïl Gorbatchev :
C'est en cours de maturation. Il y a des
déclarations des deux côtés. Chez nous, nous pensons qu'on ne peut
rien bâtir de sérieux sans ce dialogue... La reprise des
pourparlers à Genève est trop longue à venir. On a l'impression
d'une tentative de faire traîner en longueur ces pourparlers, de la
part des Américains. Si on y ajoute le fait qu'un groupe du Conseil
national de Sécurité, animé par le Président, est chargé de me
discréditer et de saboter ma
perestroïka, je me demande où est la
politique de Bush...
François Mitterrand :
Je lui ai dit que la politique du pire ne
réussirait jamais. Elle donne des résultats que personne ne prévoit
!
Mikhaïl Gorbatchev :
Je suis tout à fait d'accord.
François Mitterrand :
La politique soviétique évolue vers la
perestroïka et la glasnost J'ai dit à Bush que vous imposiez des
évolutions positives et que des choses nouvelles s'annoncent en
URSS. J'ai employé cette expression, mais il faut en finir avec
l'esprit de croisade, il faut ne plus préférer l'idéologie à la
réalité politique. Votre réussite dépend à 90 % des relations avec
le peuple soviétique et à 10 % de l'environnement international.
Bush m'a répondu : « C'est l'opinion des autres Européens. » Il a
ajouté : « Je jouerai profil bas en Europe de l'Est. » Il parle
peut-être comme le dernier qu'il a écouté, mais j'espère que non.
Il a déjà dit tout ça devant l'OTAN ; d'ailleurs, je ne vous livre
pas là de secret.
Mikhaïl Gorbatchev
éclate de rire : Je vous en dispense, car je
suis déjà au courant !
Paul Quilès lance au conseil municipal du
XIIIe arrondissement l'idée d'un
établissement public type Défense pour aménager la rive gauche de
la Seine en amont d'Austerlitz. Jacques Chirac en est ulcéré :
l'État veut lui reprendre l'Est de la capitale, qui est sa chose
!
Au Conseil des ministres, Pierre Bérégovoy fait un
exposé sur la politique économique et cite le programme socialiste
de 1972, « Changer la vie », qui
insistait, dit-il, sur la nécessité de défendre la monnaie, de
lutter contre l'inflation, de rechercher le plein emploi.
Le Président :
Il faut d'abord produire pour partager, mais
il faut que les richesses soient mieux partagées.
Jean Poperen dresse le bilan de la session
parlementaire. Le Président se montre hostile à une session
spéciale en septembre pour réformer le Code pénal (c'est-à-dire
pour discuter et adopter l'amnistie). Il demande au Premier
ministre d'indiquer que le gouvernement a l'intention de modifier
le mode de scrutin pour les élections des sénateurs représentant
les Français de l'étranger. Aujourd'hui, avec le scrutin
majoritaire et pour une seule circonscription, on aboutit à ce que
12 sièges sur 12 aillent à la seule opposition. Il souhaite qu'on
le dise dès maintenant afin d'éviter de donner une impression de
revanche.
Le bouleversement continue en Afrique du Sud :
Nelson Mandela rencontre Pieter Botha.
Jeudi 6 juillet
1989
Jacques Chirac ne décolère pas après la
proposition de Paul Quilès sur le terrain destiné à la future
Grande Bibliothèque. Il fait savoir au préfet de région qu'il
entend diriger l'opération Tolbiac-Masséna comme celle de
Javel-Citroën. Il remettra au besoin en cause le don des 7 hectares
destinés à la Bibliothèque de France (les formalités juridiques ne
sont pas achevées) et n'accordera pas les dérogations nécessaires
aux règles d'urbanisme. La Bibliothèque en serait retardée de trois
ans. Sur instructions du Président, je dis à Paul Quilès, Pierre
Joxe et Olivier Philip que cette idée personnelle d'un député de
Paris n'engage ni le gouvernement, ni le Président. L'affaire est
close.
George Bush annonce l'annulation de la dette
publique de seize pays africains parmi les plus démunis (pour 1
milliard de dollars).
Devant l'Assemblée du Conseil de l'Europe à
Strasbourg, Mikhaïl Gorbatchev précise
son idée de maison commune européenne
et renouvelle sa demande de négociations sur les armes nucléaires
tactiques, qui est à nouveau repoussée par George Bush.
La façon dont les Américains veulent imposer sans
ménagement leurs vues à leurs alliés à propos de la négociation de
Vienne est tout à fait scandaleuse. Pour ne pas ralentir la
négociation, la délégation française se montre toutefois
accommodante.
Vendredi 7 juillet
1989
Roland Dumas propose la création d'un groupe de
haut niveau, formé de représentants personnels des ministres,
chargé de préparer le travail de la Conférence intergouvernementale
de la Communauté.
A Rambouillet, début de l'ultime réunion de
sherpas avant le Sommet. Comme d'habitude, elle commence, dans
l'après-midi, par une réunion des directeurs des Affaires
politiques. Concernant les droits de l'homme, violentes critiques
américaines et britanniques contre notre projet de déclaration. Les
Américains proposent de fusionner ce texte avec le texte de
politique générale, pour l'édulcorer. La France, elle, tient à une
déclaration de principe, déconnectée des situations
conjoncturelles. Je réponds aux Américains que s'ils campent sur
cette position, nous laisserons dans le texte, jusqu'au Sommet, un
paragraphe entre crochets réclamant l'abolition de la peine de mort
chez les Sept. Lourd silence. Ils n'insistent pas.
Au dîner des sherpas,
discussion sur la perestroïka. Bush
vient de demander le départ des troupes soviétiques de Pologne. Son
représentant, Richard McCormack, estime ouvertement que c'est une
erreur. Tous pensent qu'à Moscou Gorbatchev va bientôt échouer, que
le pouvoir va revenir aux communistes les plus durs, et qu'il ne
faut rien faire pour casser le Pacte de Varsovie, car il préserve
la paix. Richard McConnack : Si nous avons cette sagesse, si les Polonais et les
Hongrois sont patients, il y a une faible chance pour que, dans
quinze ans, Yalta disparaisse.
Les Italiens sont les seuls à résister à cette
tendance : ils veulent proposer l'entrée immédiate des Soviétiques
à la Banque mondiale et au FMI, et inclure les pays de l'Est dans
les nouveaux mécanismes de réduction de la dette.
Je tente d'organiser un dîner entre les
sherpas du Nord et ceux du Sud. Mais
ceux des États-Unis et du Japon refusent de venir. Il ne s'y dit
rien d'utile.
Dans la nuit, j'apprends par Richard McCormack,
embarrassé — lui-même vient d'en être informé par Washington —,
qu'à la veille de son voyage en Pologne et en Hongrie le Président
Bush a écrit à ses collègues du Sommet pour proposer un plan d'aide
économique à la Pologne. Cette initiative, improvisée au dernier
moment, sur laquelle les services de la Maison Blanche semblent en
désaccord entre eux, et à laquelle le sherpa américain n'a probablement pas été associé,
prendrait la forme d'un « consortium à Sept » destiné à coordonner
l'aide économique et le traitement de la dette polonaise, et auquel
s'ajouterait une fondation pour l'entreprise dotée de 100 millions
de dollars de fonds publics.
Impossible, pour nous, de décider de la création
d'un consortium à Sept que l'Amérique contrôlera. La suggestion ne
vise qu'à un effet d'annonce, demain, à Varsovie, pour ravir la
vedette au Sommet.
Samedi 8 juillet
1989
Juste après le petit déjeuner, les autres
sherpas prennent connaissance de
l'initiative américaine sur la Pologne. Je rappelle que la France
ne veut pas d'institutions issues du G7. J'explique qu'il y a des
risques, vis-à-vis de l'Union soviétique, à tenter de placer sous
protection économique occidentale un pays membre du Pacte de
Varsovie. Les autres délégations, Commission comprise, se montrent
plus positives que moi sur l'idée.
Après avoir vérifié les instructions du Président,
juste avant le déjeuner, je puis enfin parler au téléphone à Brent
Scowcroft, le conseiller de George Bush. Je lui explique notre
position et lui propose un compromis : si le Président Bush tient à
son idée de consortium, il faudrait que celui-ci soit ouvert à tous
les autres pays européens et qu'il n'apparaisse pas comme dirigé
contre l'URSS. Si le Président américain l'annonce à Varsovie, nous
serons contraints d'annoncer immédiatement notre désaccord.
Brent Scowcroft n'insiste pas et promet
que George Bush n'annoncera rien de précis à Varsovie :
On en reparlera à Paris. L'homme est
calme, pondéré. Un autre, avant lui, aurait explosé et aurait tenté
de nous forcer la main.
En attendant, notre projet de texte restera donc
également dans le vague.
Nous relisons les autres communiqués jusqu'à 3
heures du matin. Sur l'environnement, McCormack accepte que la
suppression des CFC soit réalisée avant l'an 2000. Il n'y a même
plus de crochets. La plupart des difficultés ont été levées. On
muscle un peu le passage sur l'inflation. De quoi vont donc
discuter les Grands, le 15 juillet ?
Ultime accrochage : les Anglo-Saxons voudraient
exalter les privatisations, la dérégulation. Je dois leur rappeler
qu'un gouvernement socialiste ne pourrait signer cela.
Manifestation Renaud-Perrault avec SOS-Racisme, le
PCF et la LCR, et concert contre le Sommet des
riches, la dette du Tiers-Monde, la faim et l'apartheid. Ils
annoncent pour le 14 un contre-Sommet des sept pays les plus
pauvres (Burkina Faso, Mozambique, Zaïre, Haïti, Amazonie,
Bangladesh, Philippines). Sur le pavé de Paris, la plupart sont nos
électeurs.
Dîner à Rambouillet de tous les sherpas ayant occupé ce poste depuis vingt ans.
Certains anciens sherpas sont
aujourd'hui à la retraite. D'autres, au contraire, connaissent une
carrière politique. Lord Armstrong est là ; Renato Ruggiero, ancien
sherpa italien et actuel ministre du
Commerce extérieur, a fait le déplacement. Les trois anciens
sherpas japonais sont venus de Tokyo.
Je leur parle d'un « club » qui honore ces anciens, quatorze ans
après que les pays industrialisés eurent découvert qu'il fallait
vivre ensemble : Ici, nous sommes dans un
château, mais nous savons tous que les difficultés nous attendent
dehors, juste à la porte.
A la fin du repas, le doyen, Renato Ruggiero, se lève : Le
Sommet de l'Arche marque la fin d'une ère. Les raisons politiques
pour lesquelles nous avions inauguré ces Sommets, et notamment la
crise pétrolière, ont disparu. D'autres apparaissent, comme
l'environnement. Nous avons eu ensemble des combats terribles.
Étaient-ils justifiés ? Je me rappelle qu'au premier Sommet de
Tokyo nous nous battions sur les quotas d'importation de pétrole,
afin de faire chuter le prix du brut. Et qu'au second Sommet de
Tokyo, en 1979, nous nous effrayions de le voir si haut... Dans un
an, je sais que ceux qui nous succéderont pesteront, exactement
comme nous l'avons fait, en souhaitant un Sommet où l'on puisse
travailler sérieusement, sans être assaillis par quatre mille
journalistes...
Dimanche 9 juillet
1989
A Varsovie, George Bush
présente son Action Plan for Poland.
Après ma discussion avec Scowcroft, les Américains ont renoncé à
proposer un consortium et n'évoquent plus qu'une action concertée. En sus de la fondation pour
l'entreprise (100 millions de dollars) sont envisagés des prêts de
la Banque mondiale (325 millions de dollars), un rééchelonnement de
la dette et une initiative pour l'environnement (15 millions de
dollars).
Lundi 10 juillet
1989
Le Président insiste bien pour qu'à la Concorde,
le 14, les places ne soient pas monopolisées par les officiels. Il
faut absolument éviter les accusations du type « cérémonies
réservées à la seule élite rose ». 4 400 places seront attribuées
aux politiques et 11 600 aux représentants de la société dite
civile (associations, sponsors, syndicats, ligues diverses,
etc.).
Au Conseil de Paris, Paul Quilès fait amende
honorable. Il recommande juste une conjonction des efforts de la
SNCF, de l'État et de la Ville pour construire de nombreux
logements, notamment sociaux, sur les terrains de Tolbiac.
Mardi 11 juillet
1989
Nouvelle lettre de Renaud
:
Me voici revenu auprès des
miens, au cœur de la Provence, entre monts du Vaucluse, Alpilles et
Lubéron, passant des jours tranquilles loin du bruit et de
la fureur de ces discours et de ces polémiques
qui ont été mon quotidien ces derniers temps. J'apporte un peu
d'eau aux arbres qui m'entourent et dont la compagnie m'est
définitivement infiniment plus agréable que celle de mes
contemporains, trotskistes compris...
Les lendemains de fête
laissent toujours un goût d'amertume au fond de l'âme, et malgré la
réussite de notre journée du 8 juillet, j'éprouve aujourd'hui plus
de tristesse que de joie. (Mais peut-être l'Adagio d'Albinoni, que
j'écoute en écrivant ces mots, n'est-il pas étranger à ce
blues...)
Car enfin, quel bilan tirer
de cette « aventure » dans laquelle je me suis lancé spontanément
avant que les manipulateurs et récupérateurs de tout poil ne
la pervertissent ? avant que ces charognards
falsificateurs des médias n'amplifient mes mots tout en s'efforçant
d'en réduire le contenu ?
J'ai, à mon corps défendant,
offert une tribune aux communistes qui ont saisi l'occasion pour
attaquer violemment François Mitterrand.
J'ai été amalgamé avec les
râleurs pour lesquels le Bicentenaire se résume à des embarras de
circulation et, plus grave, avec la droite qui nous a emboîté le
pas pour critiquer les fastes des cérémonies. J'ai été accusé de me
faire un coup de pub à bon compte. Je me suis brouillé avec le pote
Harlem Désir.
J'ai, face à l'assaut des
médias, tenu un discours malhabile, décousu, parfois agressif,
hésitant entre le langage de mon esprit, qui voulait dire sa colère
légitime à l'encontre du Sommet des Sept, et celui de mon cœur, qui
souhaitait exprimer malgré tout sa confiance en François
Mitterrand. Le premier discours l'emportant souvent sur le second,
peut-être par souci d'affirmer mon indépendance vis-à-vis de vous,
alors qu'on ne cessait de me rappeler mon soutien de jadis, comme
s'il avait été un serment d'allégeance.
Et pourquoi tout cela
?
Parce qu'on est venu
chatouiller ma bonne conscience de gauche, tiers-mondiste,
anticolonialiste, et que, pour manifester ma solidarité avec les
peuples affamés, j'ai pris le risque de me désolidariser de vous en
attaquant ce Sommet des riches dont la tenue à Paris me semble
déplacée.
Parce que je n'aime pas
Chevènement et ses crédits militaires.
Parce que le PS et le
gouvernement ne se sont guère mobilisés pour la libération d'Otelo
de Carvalho.
Parce que l'Élysée prend,
c'est vrai, parfois, des allures de Versailles, son occupant des
airs de monarque.
Parce que je cherche la
gauche de mes vingt ans, contestataire et insolente, et que je la
trouve plus chez Krivine que dans les ministères...
Et peut-être, et surtout
parce que je sais que vous êtes les meilleurs, qu'à ce titre vous
êtes là pour vingt ans, et qu'il faut savoir parfois vous secouer
un peu pour vous forcer à garder le cap
et les valeurs qui nous ont poussés à vous soutenir.
Cher Jacques, votre « mon ami
Renaud », dans le Libé d'hier, m'a fait chaud au cœur. Saurai-je
jamais vous prouver à nouveau mon amitié et ma fidélité après tous
les soucis que je vous ai causés ?
Mercredi 12 juillet
1989
Au Conseil des ministres, Michel Rocard déplore
que, depuis plusieurs semaines, une demi-douzaine de ministres
soient intervenus publiquement en dehors de leur domaine de
compétence ; ou dans leur domaine de compétence, mais avant qu'un
arbitrage n'ait été rendu par le Premier ministre ; cela n'est pas
admissible.
François Mitterrand:
C'est une règle gouvernementale qu'il faut
constamment rappeler, mais ce n'est pas propre à ce gouvernement.
Beaucoup de mauvaises habitudes ont été prises au cours de ces
dernières décennies.
Après que Roland Dumas est
intervenu sur la situation internationale, le Président : J'ai le plus vif
désir de voir entrer la Turquie dans la communauté des peuples
démocratiques liés à l'Europe, mais ce n'est pas encore un pays
franchement démocratique. Dans plusieurs pays, dont la Turquie, les
Kurdes sont dans une situation de quasi-génocide. La conscience
universelle, qui s'éveille si aisément sur d'autres problèmes,
reste muette sur celui-ci.
Il se justifie à nouveau sur le Sommet :
Aucun pays ne s'est occupé autant que la
France du Tiers-Monde et de ses dettes.
Le faste des cérémonies ? Si
nous avions organisé un Bicentenaire au rabais, on nous l'aurait
également reproché.
L'accusation de mégalomanie ? C'est injuste.
Ultime modification au programme : il avait été
décidé, il y a un mois, à la demande insistante des sherpas, que le soir du 14 Juillet, il y aurait
deux dîners de chefs d'État, l'un à l'hôtel Crillon, pour les chefs
d'État du Sud, présidé par Michel Rocard et Danielle Mitterrand,
l'autre juste à côté, à l'hôtel de la Marine, pour les Sept, avec
le Président. Finalement, je décide sans prévenir qu'ils mangeront
tous à l'hôtel de la Marine... Mais dans des salles différentes
!
Nous voici au plus près du Sommet Nord/Sud qu'il
est possible...
Pour la cérémonie de demain au Trocadéro,
consacrée au Bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme,
Jack Lang voulait que vingt et un coups de canon saluent l'arrivée
des chefs d'État en général et du Président en particulier. Refus
de l'intéressé.
Les chefs d'État commencent à affluer à Paris.
Énormes problèmes protocolaires et logistiques que gère
magnifiquement Loïc Hennekinne. François Mitterrand reçoit Cory
Aquiño. A son arrivée à l'Élysée,
celle-ci plaisante : Avant de partir, j'ai vu
le chef d'état-major, qui m'a assurée qu'à mon retour, je serais
toujours Présidente des Philippines.
Puis se succèdent les chefs de l'exécutif du
Bangladesh, du Mexique, de l'Inde. Rajiv
Gandhi déclare au Président : Bravo
pour cet anniversaire, le plus important de l'Histoire moderne
!
Jeudi 13 juillet
1989
Cérémonie au Trocadéro, la première. Elle se passe
bien. Margaret Thatcher est sifflée. Elle est assise juste derrière
Mobutu, qui s'est invité là aussi !... Dans une interview,
Michel Rocard l'a accusée de cruauté sociale. La Dame de fer a sa tête des
mauvais jours.
Enfin, les chefs d'État du Nord et du Sud
déjeunent ensemble à l'Élysée.
Mobutu, voyant arriver
Salinas de Gortari, Président du Mexique, se tourne vers un
ministre français : C'est lui qui a la plus
grosse de nous tous !
Silence interloqué du ministre.
Mobutu, apparemment très
fier de sa réflexion, d'expliquer : Oui, la
plus grosse dette... Je l'envie !
J'organise à côté un déjeuner entre sherpas du Nord et du Sud. Pour la première fois,
tout le monde est là. On s'astreint à ne parler de rien.
Dans l'après-midi, multiples rencontres
bilatérales à l'Élysée. Nous partageons les salons. Quelque chose
comme le forum Nord/Sud que j'espérais. Vers 16 heures, comme prévu
lors des réunions des sherpas du Sud,
l'Élysée publie le communiqué de presse des Présidents Abdou Diouf, Hosni Moubarak, Carlos Andrés Pérez et
du Premier ministre Rajiv Gandhi :
A la lumière des
consultations que nous avons eues avec les chefs d'État et de
gouvernement aussi bien des pays développés que des pays en
développement présents à Paris, nous sommes arrivés à la conclusion
que le moment est propice pour engager un processus de
consultations régulières au sommet entre pays développés et pays en
développement.
Nous estimons que des
démarches adéquates devraient être entreprises pour organiser une
réunion appropriée au sommet, le plus tôt possible, en vue de
discuter les questions économiques globales et d'environnement
d'intérêt mutuel.
Cette conférence marquerait
le début d'un processus de consultations continues entre les
dirigeants du Nord et du Sud sur de telles questions.
A cette fin, nous avons
invité le Président Mitterrand à engager les démarches nécessaires
à la concrétisation de cette idée. Le secrétaire général de l'ONU
sera pleinement associé à cette initiative, en coopération avec les
institutions économiques et financières internationales
compétentes.
Le Groupe des
Soixante-Dix-Sept ainsi que le Mouvement des non-alignés seront
informés.
François Mitterrand voulait signer lui aussi le
texte. Finalement, il est plus correct, vis-à-vis des Sept, de ne
pas se dissocier d'eux pour l'instant. Le processus de création
d'un Sommet Nord/Sud régulier est lancé.
Le Président reçoit George
Bush et l'encourage à rencontrer au plus vite Mikhaïl
Gorbatchev. Bush lui raconte un entretien qu'il a eu avec Lech
Walesa. Il a demandé au leader de Solidarnosc : Dans combien de temps pensez-vous que Solidarité siégera
au gouvernement de Pologne ? Réponse de Lech Walesa : Dans deux
ans.
George Bush :
Il est incroyablement optimiste.
François Mitterrand :
Même s'il a raison, jamais l'URSS n'acceptera
de lâcher le contrôle de la Pologne. Cela la couperait de
l'Allemagne de l'Est, à laquelle elle tient beaucoup, et nous
aussi. Il n'est pas de l'intérêt de l'Occident que la Pologne
s'oppose à l'Union soviétique et à la RDA.
Le Président reçoit le Président du
Bangladesh.
Mohammed Ershad:
110 millions de personnes se souviendront
toujours de vous !
Ce soir, inauguration de l'Opéra-Bastille, dont je
connais le déroulement minute par minute. Je n'y assiste pas : trop
de problèmes encore à régler et une ultime réunion des sherpas pour parachever certains détails.
Vendredi 14 juillet
1989
Organisé par l'extrême gauche — dans la foulée de
l'initiative de Renaud —, un « contre-Sommet » réunit des Haïtiens,
des Philippins, des Bengalis, des Indiens d'Amazonie, des Zaïrois,
des Burkinabés, des Mozambicains. Je les reçois au Louvre. Ils me
remettent sept rouleaux de papier : leur déclaration commune,
rédigée dans les langues des sept chefs d'Etat du Sommet du Nord.
Je promets de les leur remettre moi-même en mains propres.
Défilé militaire.
Somptueux déjeuner de tous les participants à
l'Élysée, dans la cohue de la réception la plus folle.
Au cours de sa traditionnelle interview,
le Président répond aux critiques sur les
« fastes » du Bicentenaire. Il se dit certain
que chaque Français, dans son village, dans son quartier, éprouve
en cette occasion un sentiment de fierté.
Début du Sommet, l'après-midi, au Louvre.
Discussion économique sans intérêt.
Dîner au ministère de la Marine, place de la
Concorde. Ce n'est pas un dîner de travail. Les Sept sont dans une
salle, les sherpas à côté, les autres chefs d'État dans une salle
voisine sous la présidence de Michel Rocard. A l'issue du dîner, la
plupart assisteront au défilé.
Jacques Delors annonce à Pascal Lamy [son
sherpa] qu'il s'est mis d'accord avec
George Bush, Helmut Kohl et Brian Mulroney : non seulement il faut
faire un « consortium pour la Pologne », mais, qui plus est,
celui-ci sera présidé par la Commission. Il demande à Pascal Lamy
de rédiger avec le sherpa allemand un
amendement à la déclaration précisant que la Commission prendra la
tête de l'aide alimentaire. Le texte de cet amendement est le
suivant :
Concernant la Pologne et la
Hongrie, nous demandons la réunion des pays intéressés dans les
prochaines semaines. Nous soulignons le besoin pour la Pologne
d'aide alimentaire dans les circonstances présentes. A cette fin,
nous demandons que la Commission de la CEE prenne l'initiative, en
relation avec les autres pays membres, et associe tous les pays
intéressés, hors du Sommet.
On évite un G7, mais on organise un consortium
!
Mis au courant, je laisse éclater ma colère : les
États-Unis préfèrent le diablotin bruxellois au diable français !
Choix nouveau, fait pour diviser, non pour construire.
Le Président, à qui j'en
parle et auquel je suggère de réclamer le secrétariat, en tant que
pays hôte, refuse de tenir bon : On ne peut
pas tout avoir.
Les sherpas font
semblant de « verrouiller » encore le communiqué politique, réglé
en fait depuis huit jours.
Tous se rejoignent ensuite sur la terrasse pour
assister au spectacle. L'ambiance n'est plus aux discussions
sérieuses. Le défilé imaginé par Jean-Paul Goude sur les
Champs-Élysées attire 500 000 personnes et est retransmis dans 102
pays. A ce défilé assistent 32 chefs d'État. Helmut Kohl, à côté de
qui je suis assis, trépigne au passage des valseurs et de la
locomotive. La télévision donne-t-elle une juste image de ce
magnifique spectacle ?
Samedi 15 juillet
1989
Le Sommet se réunit à l'Arche. Salle
impressionnante, à plus de cent dix mètres d'altitude. On approuve
promptement les communiqués politiques. Sur la Chine, le communiqué
est plat : c'est le plus petit commun dénominateur.
Comme convenu la semaine dernière avec Zagladine,
Gorbatchev a écrit à François Mitterrand. Sa lettre, que je reçois
en début de séance, est identique au projet que j'avais esquissé
avec son conseiller. François Mitterrand la lit aux Sept, gênés de
cette intrusion. Mikhaïl Gorbatchev
demande une participation pleine et entière de
l'URSS à l'économie mondiale. Il annonce des réformes
politiques et économiques de grande ampleur et sollicite l'aide de
l'Ouest. Les Soviétiques demandent en outre une réunion des
ambassadeurs des Quatre à Berlin. Premier « dialogue » entre l'URSS
et le G7. Le fait de lire ce message lui a conféré une solennité
particulière.
Sur la Pologne, le projet d'amendement voulu par
Jacques Delors est proposé par le Chancelier Kohl. Le texte est
retenu. La Commission se voit attribuer la coordination de l'aide à
l'Est. J'obtiens du Président qu'il demande sa limitation à la
Pologne et à la Hongrie. Margaret Thatcher insiste pour que ce
nouveau rôle de la Commission soit bien circonscrit à l'aide
alimentaire.
Renversement radical : pour la première fois, la
Commission est considérée comme un interlocuteur plein par les
Américains. Gros succès de Delors. Je ne peux m'empêcher de penser
que la crainte de voir grandir l'influence de la France y a
aidé.
François Mitterrand expose avec beaucoup de
circonspection la demande de Sommet Nord/Sud présentée la veille
par les chefs d'Etat du Sud. Personne n'est pour. On promet de
l'étudier. Enterrement poli.
Discussion sur la dette du Tiers-Monde : pour les
transactions impliquant une réduction importante de la dette et du
service de la dette, le Fonds monétaire international et la Banque
mondiale accorderont un financement complémentaire qui constituera
un soutien au paiement des intérêts. A cette fin, l'utilisation de
comptes bloqués est agréée.
Décisions très importantes sur l'environnement: la
conclusion d'une convention-cadre sur l'évolution du climat,
destinée à fixer des orientations ou des principes généraux, est
décidée afin de mobiliser et rationaliser les efforts déployés par
la communauté internationale. Accord sur la création d'une Agence
internationale pour l'environnement.
Sur la drogue, le Sommet demande à tous les pays,
en particulier à ceux où la production, le commerce et la
consommation de stupéfiants sont importants, de se joindre aux
efforts des Sept afin de s'opposer à la production de stupéfiants,
d'en réduire la demande, de poursuivre la lutte contre le trafic
lui-même et le blanchiment des gains qu'il procure. On crée un
groupe de lutte contre le trafic financier de la drogue (le GAFI),
mais pas à Sept.
Tout cela a été mis au point depuis
longtemps.
Tandis que les sherpas
travaillent encore sur le projet de déclaration économique, dîner
des chefs d'État et de gouvernement, toujours au Sommet de l'Arche
: repas succulent, conversations légères.
Accord sur le financement de la réduction de la
dette publique par le FMI, la Banque mondiale ; choix, pour les
créanciers, entre déclaration du capital et bonification des taux
d'intérêt. Échec sur le financement de la dette par les DTS.
La discussion entre sherpas s'achève vite. Pour la première fois en dix
ans, il n'y a pas de texte « entre crochets », donc rien à régler
demain entre les chefs d'État.
Dimanche 16 juillet
1989
La séance reprend à l'Arche à 9 h 30. Les
cinquante-six articles du communiqué défilent à grande vitesse. On
en a terminé à 10 h 45. Un seul problème bloque tout : De Mita
souhaite un paragraphe spécial sur l'aide à la Yougoslavie. Les
autres n'en veulent pas. Pourquoi la Yougoslavie plutôt qu'un autre
pays ? Il n'y a pas d'urgence. Le pays va bien
! De Mita explique les risques d'explosions ethniques. Nul
ne l'écoute. Chacun ne voit là que la lubie préélectorale d'un
candidat en quête des voix de quelque lobby. Le compromis sur ce
point prend une heure. Tout est bouclé à 11 h 30. C'est le plus
court Sommet des Sept.
Après les remerciements de George Bush : Fantastique
Sommet... fête extraordinaire... manière merveilleuse dont notre
hôte a animé le Sommet..., le Président : Ce qu'on vient
d'entendre n'est pas la lecture du 58e article de la déclaration commune des Sept ! Mais nous
sommes des pays de droit et une parole du Président des États-Unis
vaut bien un écrit...
Margaret Thatcher a annoncé qu'elle partirait à 12
h 30. Elle est extrêmement nerveuse : elle a hâte de s'en aller, et
le dit. La conclusion de François Mitterrand dure cinquante minutes
alors qu'en général, ce genre d'exercice ne dépasse guère un quart
d'heure. J'entends Margaret Thatcher
murmurer : C'est interminable, et ce n'est pas
correct !
Petite fête pour remercier les mille et un
services qui se sont magnifiquement dévoués — et d'abord la police
— à ce succès.
Lundi 17 juillet
1989
Déjeuner avec José Córdoba. Il vient me dire sa
gratitude pour le formidable cadeau fait par le Sommet au Mexique
avec l'annulation de sa dette. Il n'y est pas pour rien, il a très
bien négocié.
Rétablissement des relations diplomatiques
(rompues depuis 1945) entre la Pologne et le Vatican.
Dans la foulée du Sommet de l'Arche, les Douze
accordent à la Pologne une aide alimentaire d'urgence (770 millions
de francs), tandis que la Commission européenne engage l'opération
d'assistance à la Pologne et à la Hongrie dont les Sept lui ont
confié la coordination.
Vienne dépose officiellement la demande d'adhésion
de l'Autriche à la Communauté européenne. C'est Roland Dumas, pour
la France, en charge de la Présidence, qui la reçoit d'Aloïs Mock.
Il la transmet le même jour à la Commission pour hâter la
procédure.
Mardi 18 juillet
1989
Le général Jaruzelski se ravise et déclare qu'il
sera candidat à la Présidence de la République.
D'après un grand expert du Moyen-Orient en fin de
mission, Alain Grenier, notre ambassadeur à Damas, contrairement
aux impressions engendrées par un examen superficiel — et commode —
de la situation, les Syriens n'étaient pour rien dans l'enlèvement
des otages au Liban, tout comme ils n'ont été quasiment pour rien
dans leur libération.
Le mystère reste donc entier.
Mercredi 19 juillet
1989
Nomination en Conseil des ministres : Gisèle
Charzat, ancien pilier du CERES et ex-parlementaire européenne du
PS, est nommée par le Président conseiller d'État en service
ordinaire. Ou comment passer discrètement de la révolution aux
privilèges de la République, en principe accessibles par
concours...
Le Parlement polonais élit le général Jaruzelski à
la Présidence de la République à une seule voix de majorité. Le
pays semble repris en mains.
Vendredi 21 juillet
1989
En URSS, retour progressif au travail chez les
mineurs de Sibérie, après accord avec le gouvernement.
Samedi 22 juillet
1989
Polémique entre Juifs et catholiques à propos du
carmel d'Auschwitz qui refuse de quitter les lieux, comme prévu.
Quel blasphème que cette croix fichée sur le lieu le plus
essentiel, le plus monstrueux jamais produit par
l'antisémitisme.
Dimanche 23 juillet
1989
En Italie, Giulio Andreotti forme le nouveau
gouvernement.
Première conséquence concrète du Sommet de l'Arche
: un accord de principe est signé par le Mexique avec ses banques
créditrices.
Mardi 25 juillet 1989
Interview de Jérôme Seydoux dans Le Nouvel Économiste: critiques très dures contre
La Cinq; il s'interroge sur sa
participation à l'augmentation de capital en cours.
En Pologne, Solidarité refuse le principe d'une
coalition avec le POUP. Il n'y a donc toujours pas de
gouvernement.
Enrique Baron Crespo, socialiste espagnol, est élu
président du Parlement européen dès le premier tour.
Mercredi 26 juillet
1989
Accord entre Bruxelles et Kinshasa : annulation de
la moitié de la dette zaïroise (1,7 milliard de francs).
Michel Rocard présente au Conseil des ministres un
plan de réorganisation de la Région Ile-de-France, pour réviser le
schéma directeur de 1964, élaboré par Delouvrier et entièrement
dépassé. Jacques Chirac fera tout pour le faire capoter.
Jeudi 27 juillet
1989
Interview accordée par François Mitterrand à cinq
journaux : Le Nouvel Observateur, The
Independent, El País, La Republica et la Suddeutsche Zeitung. Le
Président affirme que l'orientation vers une union monétaire
est antérieure à son arrivée à la Présidence, et que l'Union
économique et monétaire est le passage obligé vers l'Europe
politique. Les obstacles peuvent venir du Royaume-Uni. Il rappelle
d'ailleurs que Margaret Thatcher a été hostile aux conclusions de
Fontainebleau en 1984, hostile au lancement de la conférence
intergouvernementale à Milan en 1985, hostile à l'Acte unique, mais
que tout cela ne s'en est pas moins fait. Pourtant, il n'exclut pas
qu'un nouveau traité soit conclu à Onze.
On lui pose une nouvelle fois la question de la
réunification de l'Allemagne. Sa réponse reste traditionnelle :
Réunifier l'Allemagne est la préoccupation de
tous les Allemands. C'est assez compréhensible. Ce problème, posé
depuis quarante-cinq ans, gagne en importance à mesure que
l'Allemagne prend du poids : dans la vie économique, c'est fait ;
dans la vie politique, c'est en train de se faire. Une sorte de
basculement allemand vers les pays de l'Est ? Je ne le pense pas.
Que l'Allemagne fédérale veuille entretenir de meilleures relations
avec l'Union soviétique et les pays qui l'entourent, qui s'en
étonnera ? La géographie et l'Histoire l'y poussent. Je ne vois pas
là matière à scandale. L'Allemagne n'a pas intérêt à renverser ses
alliances, ni à sacrifier sa politique européenne pour une
réunification à laquelle l'URSS n'est pas prête ! Elle n'en a pas
l'intention non plus, du moins je le crois... L'aspiration des
Allemands à l'unité me paraît légitime. Mais elle ne peut se
réaliser que pacifiquement et démocratiquement... Il est juste que
les Allemands aient la liberté de choix. Mais le consentement
mutuel entre l'Union soviétique et les puissances de l'Ouest
supposera un vrai dialogue.
Rien de nouveau. C'est le discours classique
depuis quarante ans. La réunification allemande suppose l'accord de
l'Union soviétique ; l'URSS n'y est pas prête, et cet accord ne
viendra donc pas. Le Président confirme ainsi que, pour lui, la
question n'est pas du tout d'actualité, mais qu'il ne s'y opposera
pas lorsqu'elle le deviendra.
Concession peut-être majeure : le Parlement
soviétique accepte le principe d'une autonomie économique pour les
républiques baltes, à partir du 1er
janvier prochain.
Vendredi 28 juillet
1989
Après la mort de Khomeyni, élection à la tête de
l'Iran de l'ayatollah Rafsandjani, avec 94,5 % des voix.
Approbation de la réforme constitutionnelle visant à renforcer les
pouvoirs présidentiels.
Lundi 31 juillet
1989
La presse publie des lettres anonymes rédigées par
des gendarmes, mettant en cause Jean-Pierre Chevènement et le
secrétaire d'État Gérard Renon, à propos des conditions de travail,
des relations humaines au sein du corps, de ses rapports avec la
police.
Le désordre commence à gagner le cœur de
l'État.
Mardi 1er août 1989
Libération des prix agricoles en Pologne, hausse
des prix de détail et mouvements de grève. Et toujours pas de
gouvernement. Personne ne paraît plus craindre Moscou.
Buenos Aires lève les barrières commerciales
imposées aux produits britanniques depuis la guerre des
Malouines.
Mercredi 2 août
1989
En Pologne, élection par la Diète de Czeslaw
Kiszczak, ancien ministre de l'Intérieur, au poste de Premier
ministre. Il propose à nouveau à Solidarité d'entrer au
gouvernement, mais essuie un refus.
La crise s'annonce de nouveau avec le retour des
communistes aux postes de commande au moment même où l'Occident a
décidé d'aider le pays.
Jeudi 3 août
1989
Réunion à Tunis du Ve
Congrès du Fath : L'État palestinien est à
portée d'un jet de pierre, déclare Yasser
Arafat. Formule particulièrement bien choisie...
Vendredi 4 août
1989
Quelques jours dans le Chiapas, au Mexique. Une
autre planète. Une misère sans fin, sans espoir, sans rémission. Un
monde précolombien éloigné de tout, cerné de champs pétroliers et
de villes en pleine croissance. La frontière Nord/ Sud ne passe
plus entre les États-Unis et le Mexique, mais là, à la frontière du
Guatemala, sur cette rivière qui charrie tant de cadavres de
rebelles, d'immigrants malheureux, de trafiquants de drogue, en
serpentant autour des plus beaux temples mayas de Bonampac et
d'Iaxilan, de Palenque et d'Uxmal.
Dernières réflexions de François Mitterrand avant
de choisir l'architecte pour construire la Bibliothèque de France.
Il préfère le projet de Dominique Perrault : quatre tours
transparentes autour d'un cloître.
Dimanche 6 août
1989
Décès de Hubert Beuve-Méry, fondateur du
Monde en 1944. Il a créé une
institution qui lui survivra, même si le journal n'est pas, en ce
moment, à la hauteur de ses exigences. François
Mitterrand : Le Monde est mon
adversaire. Heureusement, il est très mauvais. Il reste l'organe
des chrétiens de gauche, qui me
haïssent plus que la droite. Moi, je ne les hais pas. Ils
m'indiffèrent. Je ne comprends jamais rien à ce qu'ils
racontent.
Lundi 7 août
1989
Heure de vérité en Pologne : Lech Walesa appelle
les partis paysan et démocrate (ZSL et SD) à former un gouvernement
avec Solidarité. Les non-communistes revendiquent le pouvoir face à
un Président communiste.
En Nouvelle-Zélande, David Lange, Premier ministre
depuis 1984, renonce à ses fonctions. Notre interlocuteur, si
difficile dans l'affaire Greenpeace s'efface. C'est avec lui que
Michel Rocard avait soldé l'affaire du Rainbow Warrior en mettant
sur pied un fonds pour la promotion de l'amitié entre les deux
pays.
Mardi 8 août
1989
Date limite de dépôt des candidatures pour la
présidence commune d'Antenne 2 et
FR3. C'est au CSA de décider. Le
Président souhaite que Georges Kiejman l'emporte. D'autres, au sein
du gouvernement, préféreraient Hervé Bourges.
Jeudi 10 août
1989
Le CSA élit à la surprise générale Philippe
Guilhaume président d'Antenne 2 et
FR3. Georges Kiejman est furieux contre
Hervé Bourges, contre le CSA, contre le Président.
La grogne des gendarmes s'amplifie, s'étend sur la
place publique. Le directeur de la Gendarmerie, Régis Mourier,
rappelle ses troupes au devoir de réserve. En vain... Le Président : Cette affaire est
honteuse.
Dimanche 13 août
1989
Rumeurs de fermeture du Mur, d'arrêt du passage
entre les deux Allemagnes. Accélération de la fuite des Allemands
de l'Est par le sud. Bonn ferme son ambassade de Hongrie occupée
par des Allemands de l'Est en quête de visas.
Lundi 14 août
1989
Face aux désordres croissants et aux menaces
pesant contre nos intérêts, le Président décide de renforcer la
présence navale française au large du Liban.
Le directeur de cabinet de Michel Rocard,
Jean-Paul Huchon, organise une réunion sur les problèmes des
gendarmes. Au départ devaient y assister Michel Charasse,
Jean-Pierre Chevènement, Gilles Ménage, Jean-Louis Bianco et Michel
Durafour. Michel Charasse prévient Pierre Joxe de la tenue de cette
réunion : il pense que Joxe, dont il connaît l'hostilité à
Chevènement, s'opposera aux demandes budgétaires de ce dernier.
C'est le contraire qui se produit. Tous les ministres rappliquent
avec des pléiades de collaborateurs. La réunion donne lieu à un
grand désordre. Chevènement fait état d'un accord du Président pour
augmenter l'indemnité militaire de 50 %. (Renseignement pris, le
Président ne l'a jamais donné.)
Jean-Pierre Chevènement
: Il faut raisonner en
politiques.
Michel Charasse :
Tout cela doit être financé par le
redéploiement.
Jean-Pierre Chevènement
: Je ne suis pas fils de gendarme, mais
neveu... Cela dure une heure. Tout le monde connaît
l'arbitrage préparé à l'avance par Jean-Paul Huchon et sait qu'on
finira par là.
Mardi 15 août
1989
Frederik De Klerk est le nouveau chef d'État de
l'Afrique du Sud, après la démission effective de Pieter Botha,
annoncée hier soir.
Mercredi 16 août
1989
A New York, première rencontre entre Argentins et
Britanniques depuis la guerre des Malouines.
Conseil des ministres. A propos de la
communication du ministre de la Coopération, Jacques Pelletier, sur
l'Afrique, Michel Rocard : Je dois vous dire mon désarroi et mon pessimisme sur la
situation en Afrique. L'écart avec les pays développés s'accroît :
l'Afrique est le tonneau des Danaïdes. Il faut renflouer Air
Afrique, aider la Côte d'Ivoire pour le cacao... On ne s'en sort
plus et je dois dire que le commandement politique tel qu'il
s'exerce dans ces pays n'est pas compatible avec le
développement.
Le Président :
La difficulté, c'est que la politique
extérieure qui est la nôtre ne peut pas se substituer sans risque à
la politique intérieure de ces pays. La ligne générale est bien
conforme à ce que vous dites, mais l'action quotidienne est
infiniment délicate.
Je regarde le Président regarder Michel Rocard
comme il observerait un athlète qui, ployant sous une charge de
deux cents kilos, marcherait sur une planche étroite au-dessus d'un
ravin. Je me dis que si l'athlète s'en sort indemne, la prochaine
fois, le Président fera passer la charge à quatre cents kilos.
Quant à la planche, elle sera remplacée par un fil.
Après le Conseil, Jean-Pierre
Chevènement revient à la charge auprès du Président :
Le Premier ministre est tout à fait d'accord
pour augmenter les indemnités militaires de 50 %. Bianco
appelle Huchon, qui dément.
Le choix de Dominique Perrault, pour construire la
Bibliothèque de France, est annoncé officiellement.
Jeudi 17 août
1989
Jean-Pierre Chevènement
adresse à tous les gendarmes une lettre dans laquelle il affirme
que la ligne jaune a été franchie. Il
annonce qu'il rencontrera le 23 août une délégation pour
discuter d'homme à hommes.
Samedi 19 août
1989
En Pologne, Lech Walesa a gagné. L'épreuve de
force a payé. La crise se dénoue. Pour la première fois depuis la
création du Pacte de Varsovie, un non-communiste accède au pouvoir
à l'Est : le général Jaruzelski désigne comme nouveau Premier
ministre Tadeusz Mazowiecki (Solidarité). Il n'y a pas eu
d'effusion de sang. Contrairement au pronostic des Occidentaux — y
compris de François Mitterrand, mais à l'exception de George Bush
—, Mikhaïl Gorbatchev accepte sans réagir que le pouvoir dans un
pays de l'Est échappe aux mains des communistes.
La RDA se raidit. On parle de fermeture de ses
frontières. Panique. Alors que de nombreux Allemands de l'Est se
sont déjà réfugiés, ces dernières semaines, dans les ambassades de
RFA, profitant d'un « pique-nique » d'amitié austro-hongrois, ce
sont cette fois 500 Allemands de l'Est qui franchissent d'un coup
la frontière à Sopron, par crainte des réactions des « durs »
devant l'évolution polonaise.
Lundi 21 août
1989
Manifestations à Prague pour le 21e anniversaire de l'intervention des troupes du
Pacte de Varsovie : 376 arrestations. Les « durs » sont toujours
là, aux aguets.
Mardi 22 août
1989
Libération conditionnelle des trois derniers
militants nationalistes corses emprisonnés.
L'emprise syrienne sur Beyrouth se desserre, faute
de pouvoir légal au Liban. François Mitterrand ironise : Maintenant
Rocard veut envoyer là-bas une mission humanitaire...
Mercredi 23 août
1989
Au Conseil des ministres, le
Président, à propos du Liban : Nous
n'avons qu'une politique et non pas deux, celle qui consiste à
desserrer l'étreinte syrienne. Nous employons la méthode
diplomatique. Elle a donné des résultats, mais nous sommes les
seuls à tenter vraiment d'agir. L'envoi de navires ne représente
pas une autre politique. Vous imaginez plusieurs milliers de
personnes sur les plages du Liban, et que personne ne bouge ? Ce
serait insupportable pour la France. Ce n'est là qu'une hypothèse.
Elle a reculé depuis qu'il y a un cessez-le-feu, mais ce
cessez-le-feu est fragile. Il n'est donc pas question de revenir
sur l'ordre donné avant le cessez-le-feu.
Il lit ensuite un texte qui sera rendu public un
peu plus tard : Il n'appartient à aucun pays
ni à aucun groupe de dicter à la France ce qu'elle doit faire à
propos du Liban. Quand la France annonce une mission de sauvegarde,
et seulement de sauvegarde, les uns ne veulent pas entendre le sens
des mots et feignent de confondre sauvegarde et action militaire ;
et les autres s'imaginent bien à tort que la Marine française est
ou sera à leur disposition.
La France agit et agira
conformément au droit international, d'abord pour protéger ses
ressortissants, avec le souci d'aider toutes les communautés
libanaises qui souffrent, quelle que soit leur confession, et en
étroite concertation avec le comité tripartite des chefs d'État
arabes et avec ses partenaires européens.
Nous serions, le cas échéant,
à la disposition des uns et des autres comme nous l'avons été dans
les opérations précédentes. Cela dit, je ne fais aucun
pronostic.
Ces décisions doivent rester secrètes pendant
vingt-quatre heures, car elles doivent être annoncées préalablement
à la Syrie, aux États-Unis, à l'URSS et aux pays de la CEE. Le
Président demande que Roland Dumas et Jean-Louis Bianco voient
comment éviter de donner à la nouvelle un caractère « dramatique
».
Le Président se rend en
Auvergne à l'invitation de Michel Charasse, maire de Puy-Guillaume,
mais aussi ministre du Budget. A propos de la prochaine loi de
finances : Ce budget n'est pas assez social.
Il faut utiliser l'essentiel de l'argent correspondant aux
allégements fiscaux [15 milliards, en principe] au profit des plus défavorisés, et se préoccuper
sérieusement du niveau de vie des fonctionnaires. Au
passage, il s'étonne qu'une nouvelle baisse de l'impôt sur les
sociétés soit prévue, alors que les entreprises font de
substantiels bénéfices.
Nouvelle fuite massive d'Allemands de l'Est vers
l'Autriche, par la Hongrie et la Tchécoslovaquie. La RFA décide de
fermer son ambassade à Prague pour tenter d'enrayer l'afflux de
réfugiés.
En URSS, chaîne humaine de 560 kilomètres à
travers les pays Baltes pour condamner le Pacte germano-soviétique
du 23 août 1939.
Jean-Pierre Chevènement reçoit 87 gendarmes tirés
au sort parmi les 4 900 qui se sont portés volontaires pour parler
au ministre. Il leur annonce la création de 4 000 emplois en quatre
ans, la création de commissions permanentes de concertation, ainsi
que l'amélioration de la condition militaire.
Le Premier ministre, en route pour l'Australie,
annonce aux journalistes qui l'accompagnent, non sans une certaine
« dramatisation », les décisions prises au Conseil sur le Liban.
L'un d'eux, journaliste de RTL, descend
à l'escale de Colombo pour téléphoner l'information à Paris. D'où
un communiqué rédigé à la hâte par l'Élysée pour rattraper
l'affaire...
Vendredi 25 août
1989
Voyager II s'approche
à 4 900 kilomètres de Neptune.
Jean-Pierre Chevènement
me dit à propos de la crise de la gendarmerie : La presse jette de
l'huile sur le feu. Elle détruit la
démocratie. Il faudrait interdire la publication de ces
déclarations anonymes [de gendarmes]...
Samedi 26 août
1989
Pour le Bicentenaire de la Déclaration des droits
de l'homme, François Mitterrand inaugure la Fondation de l'arche de
la Fraternité, installée au sommet de l'Arche de la Défense.
Dimanche 27 août
1989
Comme prévu, nous envoyons un émissaire à Damas et
à Beyrouth pour exposer nos vues et prévenir de notre action au
Liban.
Lundi 28 août 1989
Sur Europe 1, Jean-Pierre Chevènement attaque violemment la presse qui, en
publiant les lettres anonymes des gendarmes, a, selon lui,
manqué à une déontologie élémentaire.
Le PC juge les propos du ministre consternants.
Mardi 29 août
1989
Au cours du petit déjeuner des « éléphants » à
Matignon, Pierre Mauroy met violemment en
cause ceux qui prendraient le risque de
ne pas voter une amnistie à l'occasion de la loi sur le financement
de la vie politique qui doit venir en discussion à la rentrée, cet
automne.
Michel Rocard vient me
voir pour me parler de cette amnistie qui lui empoisonne la vie :
Je sais que je suis le seul en
mesure, à condition d'y consacrer énergie et talent, de faire passer ce texte. Si
je ne fais pas de zèle, l'amnistie ne sera pas adoptée ; les
socialistes m'en rendront responsable avec d'autant plus d'aigreur
que la litanie des « affaires » se poursuivra, alors qu'eux-mêmes
resteront absolument et sincèrement convaincus que l'amnistie
aurait permis de l'éviter. Si je fais du zèle, je ferai passer une
mesure que je sais moralement discutable, politiquement coûteuse et
judiciairement inefficace, acceptant ainsi de me transformer en bon
soldat d'une mauvaise cause. Mais les pressions très explicites des
socialistes - et à peine implicites de l'Élysée —
sont si fortes que je n'ai guère le
choix.
Par ailleurs, je suis très
conscient d'avoir l'obligation de réussir. Je viens donc demander
que, dans cette affaire, Matignon soit seul à la manœuvre et qu'au
moins, garantissant le résultat, on me laisse libre du
déroulement.
Je transmets le message.
Mercredi 30 août
1989
Conseil des ministres. François
Mitterrand, à propos de la nomination de François Stasse à
la direction générale de l'Assistance publique : C'est un très bon choix. Choussat était un homme de grande
valeur, qui part pour des raisons personnelles.
Le Président ne trouve pas le prochain budget
assez « social » Il en fait grief aux députés socialistes, qui se
contentent de ne faire payer qu'un peu les riches ; à Pierre
Bérégovoy, qui ne souhaite pas voir son projet initial,
ultra-orthodoxe, mis en pièces ; au patronat, qui espère encore
quelques allégements fiscaux supplémentaires.
Émile Biasini et Dominique Jamet, responsables du
projet de la Grande Bibliothèque, ont prévu de tenir, tous les deux
seuls, une conférence de presse. Jack Lang fait scène sur scène à
Biasini, exige de présider, demande à relire les documents qui
seront distribués à la presse.
Refus du Président, saisi du problème.
Déjeuner avec le Président et Jacques Tajan chez
J. Guérin, grand bibliophile, à Luzarches. Des livres
uniques.
Vendredi 1er septembre 1989
Devant les militants socialistes, Michel Rocard
présente son « pacte de croissance » Il entend répartir la richesse
nationale en trois parts égales : un tiers pour l'emploi, un tiers
pour la formation et l'éducation, un tiers pour le pouvoir
d'achat.
Bernard Pivot annonce qu'il interrompra
Apostrophes en juin 1990. Il sera
irremplaçable. Nul doute que le livre en pâtira.
Le Président a une longue conversation avec
Margaret Thatcher aux Chequers. La Dame de fer voudrait voir
définir ce que sera l'Union économique et monétaire avant d'envoyer
ses représentants en groupe de travail chargé de préparer le projet
de traité. François Mitterrand la prévient : Le groupe qui prépare la Conférence intergouvernementale
se réunira, quel que soit le nombre des participants.
Margaret Thatcher tente de gagner du
temps et demande qu'il ne se réunisse pas avant le 9 ou le 10
octobre.
Au sujet de l'Allemagne, elle se montre très
hostile à la réunification, qu'elle pense néanmoins possible :
Kohl ment tout le temps. Il en veut, et
Gorbatchev est un faible. François
Mitterrand déclare qu'il est pour des frontières sûres à
l'Est, et qu'il convient de poser des questions aux Allemands. Mais
il considère cette réunification comme impossible : Jamais Gorbatchev n'acceptera une Allemagne unie dans
l'OTAN. Et jamais les Américains n'accepteront que la RFA sorte de
l'Alliance. Alors, ne nous inquiétons pas : disons qu'elle se fera
quand les Allemands le décideront, mais en sachant que les deux
Grands nous en protégeront.
Dans l'avion du retour, le
Président donne ses consignes à Élisabeth Guigou. Il tranche
: Le groupe se réunira le 5 septembre, que la
Grande-Bretagne en soit ou non. Il ne devra pas aborder les
questions de fond, mais se borner à dresser une liste des questions
à soumettre à la conférence. La stratégie du fait accompli sera,
une fois de plus, la meilleure.
Les pilotes d'UTA se mettent en grève.
Samedi 2 septembre
1989
Profitant d'une matinée paisible, je fais part au
Président d'une idée à laquelle je réfléchis depuis le Sommet de
l'Arche. Pourquoi ne pas créer une institution qui regrouperait
tous les pays européens, ceux de l'Est comme ceux de l'Ouest, y
compris l'URSS ? Gorbatchev n'est pas allé plus loin que son vague
concept de « maison commune » Cette institution, pour être
crédible, ne devrait pas seulement être une assemblée ou un forum,
mais être dotée de ressources propres. La France, selon moi,
devrait proposer la création d'une banque qui financerait des
projets d'intérêt commun. On l'appellerait « Banque de l'Europe ».
François Mitterrand trouve l'idée intéressante et me demande de
l'étudier.
Lundi 4 septembre
1989
Neuvième Sommet des pays non alignés à Belgrade.
La Yougoslavie, qui préside le mouvement, semble décidée à jouer à
fond la carte de la perestroïka et de
l'ouverture aux pays industrialisés. Elle se joint au groupe des
Quatre (Venezuela, Sénégal, Inde, Égypte) qui a pris l'initiative
du Sommet Nord/ Sud.
A L'Heure de vérité où
il passe aujourd'hui, Lionel Jospin a invité parmi l'assistance
Michel Pezet, inculpé dans l'affaire Urba. Interrogé sur le projet
de loi d'amnistie, Jospin élude et ne parle que du volet «
financement de la vie politique ».
Mardi 5 septembre
1989
Conseil d'administration de Bouygues SA : Francis,
le père, laisse sa place à Martin, le fils.
Première réunion du groupe des « représentants
personnels » en vue de préparer le nouveau traité européen. Tous
sont présents, y compris les Britanniques qui avaient dit qu'ils ne
viendraient pas, ce qui constitue en soi un succès. Le groupe
définit ses méthodes de travail et ses objectifs. Les Allemands
offrent le spectacle affligeant de leurs divisions internes (entre
ministres des Finances et des Affaires étrangères). Les
Britanniques paraissent conciliants (il semble que ce soit le
résultat des entretiens entre François Mitterrand et Margaret
Thatcher), mais tentent d'affaiblir le groupe en multipliant les
questions techniques. Le représentant néerlandais est désagréable
et négatif. Voilà qui s'annonce mal.
A Peugeot-Mulhouse, le tiers des ouvriers cessent
le travail. Ils réclament des hausses de salaires après celles (2,5
%) accordées chez Renault.
Dans l'actuel projet de budget, le ministre des
Finances propose de réduire l'imposition sur les plus-values
réalisées à 17 % si les cessions dépassent 288 400 francs dans
l'année ; en deçà de ce montant, il propose que les plus-values
soient exonérées, de même que les cessions de titres non cotés
portant sur une participation inférieure à 25 %.
Je ne suis pas d'accord avec ces mesures. Je
suggère de taxer les plus-values des sociétés non cotées comme les
autres ; d'abaisser le seuil d'exonération à 200 000 francs ;
au-delà, de porter le taux de 17 à 25 % afin de se rapprocher du
taux britannique. Le Président acquiesce. Pierre Bérégovoy accepte
avec beaucoup de réticences les deux premières suggestions mais
rejette la troisième, sous prétexte de protéger l'épargne. Or,
protéger l'épargne n'a rien à voir avec favoriser les gains
spéculatifs !
Je propose en outre de réintégrer les plus-values
à long terme dans l'impôt sur les sociétés, comme il en va dans les
autres pays.
Débat sur l'augmentation des fonctionnaires, que
souhaite le Président, par souci de justice sociale.
Dans une note à François Mitterrand, Pierre
Bérégovoy explique que les fonctionnaires gagnent en moyenne
plus que les salariés du secteur privé
et qu'il ne faut donc procéder à aucun rattrapage de leurs
salaires. C'est inexact, à mon avis, sauf si l'on inclut dans la
comparaison les salariés (exploités) des PME et du petit commerce.
En fait, il convient de comparer le sort des salariés de l'État,
vaste organisation, à celui des salariés des grandes entreprises.
Or là, la comparaison s'inverse radicalement, tant pour les bas que
pour les hauts salaires.
Bérégovoy fixe comme objectif pour la fonction
publique la préservation du pouvoir d'achat en 1990, comme cela a
été fait en 1989. La prime de croissance évoquée pour 1989 se
révèle dérisoire : elle ne sera que de 0,7 %, alors que la
croissance du PIB en 1989 se montera à 4 %. Ce qui veut dire que la
part des salariés du secteur public dans le revenu national
diminuera. C'est à mon avis injustifiable.
J'explique au Président que si aucun plan
d'ensemble n'est proposé pour réduire ces écarts par la fiscalité
et par la hausse des revenus, la qualité de l'État se dégradera et
l'hémorragie des cadres du secteur public se poursuivra. Une telle
politique conduira à de graves déboires, à un affaiblissement de la
nation.
Le Président me donne raison et répond par lettre
à Bérégovoy que sa note sur les salariés de la fonction publique
repose sur des bases inexactes. Il reprend les arguments que je lui
ai fournis. Il faut, insiste-t-il, réduire les inégalités entre les
salariés du secteur public et ceux du privé. Il constate que dans
l'actuel projet de budget pour 1990, il est question de réduire
l'imposition sur les plus-values. Il indique que, tout au
contraire, il convient de l'augmenter. Il s'agit là en effet d'un
argent « facile », qui ne correspond à aucun travail ni à aucune
richesse créée et dont la taxation s'impose, d'autant plus que les
comparaisons internationales montrent que cet impôt est plus bas en
France que dans nombre de pays industrialisés comparables. Il
souhaite que soit examinée la possibilité de taxer les personnes
physiques sur les plus-values de cessions de titres de sociétés non
cotées, d'abaisser le seuil d'exonération des cessions de titres de
sociétés cotées et d'augmenter le taux de cette taxation. Il
demande également qu'on étudie la possibilité de réintégrer les
plus-values à long terme des sociétés dans l'impôt sur les
sociétés.
Pierre Bérégovoy, furieux, décide de n'en faire
qu'à sa tête. Le Président n'insistera pas. La directive
présidentielle n'aura aucun impact sur la préparation
budgétaire.
Jean-Louis Bianco prévient le Président que Michel
Rocard souhaite évoquer demain, en Conseil des ministres, les
querelles de plus en plus nombreuses, sur tous les sujets, entre
socialistes. Elles s'inscrivent en fait, sans que quiconque le
dise, dans les préparatifs du prochain Congrès. Le Premier ministre
nous a fait parvenir le texte de l'intervention qu'il a esquissée à
ce propos : Depuis une quinzaine de jours, une
nervosité de mauvais aloi semble avoir gagné les rangs du
gouvernement. Rien ne la justifie et rien ne l'excuse.
Rien ne la justifie, car la
situation d'ensemble du pays et l'état de l'opinion publique ne
sont pas mauvais. Et s'il existe, à l'évidence, des sujets de
préoccupations ou d'interrogations, ils doivent d'autant plus
inciter les ministres à montrer sang-froid et
solidarité.
Injustifiée, cette nervosité
est également inexcusable. Il est bien normal que des débats se
tiennent entre nous, mais ils doivent se dérouler autour de cette
table, ou lors des nombreux contacts que nous avons entre nous, et
non par journalistes interposés.
Beaucoup d'entre nous
appartiennent à la même formation qui prépare son Congrès. Mais les
divisions qui peuvent se manifester à cette occasion ne doivent ni
se répercuter sur le gouvernement, ni même en nourrir, à tort ou à
raison, le soupçon.
Or, j'ai le regret de dire
que, de parenthèse à refermer en déficit à combler, de chasses
gardées à préserver en réformes à engager ou à ne pas engager, je
n'ai pas eu récemment le sentiment d'une solidarité en
œuvre.
Les membres du gouvernement
sont des femmes et des hommes libres, libres notamment de le
quitter s'ils le souhaitent. Mais aussi longtemps qu'ils y
appartiennent, ils doivent avoir un sens et une pratique aigus de
ce qui est décent ou ne l'est pas, de ce qui est solidaire ou ne
l'est pas.
Vous ne devez songer qu'à ce
qui sert vos fonctions actuelles, et non à celles auxquelles vous
pourriez aspirer.
Chacun sait que je n'ai pas
le goût d'un fonctionnement autoritaire. Chacun se doute que je
n'ai nul plaisir à faire cette mise au point.
En nous nommant tous, le
Président de la République nous a honorés de sa confiance. Je n'en
serais pas digne si j'omettais de faire ce rappel à l'ordre. Vous
n'en seriez plus dignes si vous omettiez d'en tenir
compte.
Le Président, lisant ce
texte : Qu'il dise ce qu'il veut. Pas de
problèmes. Il adore les règles, les procédures. Il se croit chez
les scouts. Le Congrès sera très dur. Il doit s'y
faire.
Négociation entre le Président et le Premier
ministre, par l'intermédiaire de Michel Charasse, sur les
nominations au Conseil économique et social. Michel Rocard a tenu à
y nommer quelques amis, notamment certains de ses financiers.
François Mitterrand grince : Il critique mon népotisme, mais il en fait lui-même dès
qu'il peut !
Après Lionel Jospin et Laurent Fabius,
Louis Mermaz affirme à son tour que le
groupe socialiste n'est plus demandeur
d'une amnistie des délits financiers commis pour motifs politiques.
Ce sujet est out, déclare-t-il aux journalistes.
Mercredi 6 septembre
1989
Conseil des ministres. Michel
Rocard fait le speech prévu et
ajoute : Bien qu'il y ait eu une accalmie
depuis deux ou trois jours, je dois évaluer le problème de la
météorologie politique. Si les vertus de la démocratie conduisent
au débat et si le débat prend plus d'intensité selon un rythme
propre aux institutions, les désaccords entre ministres doivent
être débattus en réunion interministérielle ou en Conseil des
ministres et n'ont pas à l'être sur la place publique. Une fois les
décisions prises, elles n'ont pas à être critiquées par des
ministres.
Le Président ajoute :
Il est en effet souhaitable que l'harmonie,
sinon dans les pensées, au moins dans les déclarations, prenne le
pas sur toute autre considération. Visiblement, ces rappels
à l'ordre ne l'intéressent pas.
Le Président commente en revanche avec beaucoup de
flamme les propos tenus par Alain Decaux sur la place de la langue
française en Bulgarie. L'influence de la France est surprenante
dans ce pays, libéré par deux fois en un siècle par la Russie. Il
est de fait que c'est le pays d'Europe orientale qui est sans doute
le plus imprégné de culture française ; or nous avons tendance à
l'oublier.
A propos du rapprochement entre les deux
Allemagnes, le Président répète que, pendant longtemps encore,
l'Union soviétique refusera la réunification : Mais il faut cependant en envisager froidement la
possibilité. La défaite de 1945 n'a pas mis fin à la profonde
aspiration à l'unité allemande. Cette tendance profonde doit aussi
être présente à nos esprits lorsqu'on considère la demande
d'adhésion de l'Autriche à la CEE. Cette adhésion de l'Autriche
pourrait favoriser la constitution d'un bloc allemand puissant, sur
les plans économique et démographique, au centre de l'Europe. Et il
faut l'éviter.
Cet après-midi, le
Président m'entraîne pour une promenade et me parle de la
rivalité Fabius-Jospin : Mais qu'est-ce que je
vais faire de ces deux-là ? C'est un couple impossible ! Ils ne
s'arrêteront donc jamais ? Quand je pense qu'on a parlé pendant des
années de mon opposition à Rocard... A côté de leur haine, c'était
de la gnognote!
A propos du volet « amnistie » du projet de
financement des partis, un ministre commente : C'est indigne ! Les soutiers des sociétés liées au PS vont
se retrouver en justice alors que les dirigeants socialistes, qui
en ont tous profité, se donnent le beau rôle en refusant de voter
l'amnistie... Mais renoncer à ce vote pourrait avoir une
autre conséquence : Si l'amnistie n'est
pas votée, les camarades de la fédération des Bouches-du-Rhône vont
être fous furieux et le feront payer à qui de droit. Ce n'est pas
un hasard si Michel Pezet, dans son interview au Nouvel
Observateur, s'est découvert une vieille amitié pour Rocard. Si les
responsables de la fédération ont le sentiment d'être trahis par
Matignon, ça risque de faire du vilain
au moment du Congrès...
Toute cette affaire de financement est en effet
partie de Marseille. De la volonté des uns de protéger Pezet, de
celle des autres de lui faire la peau !
Le petit déjeuner du mardi entre « éléphants »
socialistes va dorénavant être remplacé par un déjeuner à Matignon
à l'issue du Conseil des ministres. Première tentative
aujourd'hui.
Trois ministres plaident : Chevènement pour « ses
» gendarmes et « ses » cadres militaires, Joxe pour « ses » flics,
Bérégovoy pour « ses » agents des impôts. Après ces trois exposés,
Jean Poperen lance, cinglant :
Intéressante réunion syndicale... Mais à
quelle heure arrivent les ministres ?
Michel Rocard s'énerve :
Si vous croyez que
je vais accepter sans réagir de me faire traiter de gestionnaire
libéral et d'homme de droite, vous vous trompez grossièrement !...
Moi aussi, je peux accuser publiquement les irresponsables qui
s'imaginent qu'ils vont pouvoir faire un Congrès à gauche à mes
dépens ! S'il y en a qui voient une autre politique possible,
qu'ils le disent clairement ! [Un silence, puis :]
Tu vois ce que je veux dire, Emmanuelli
?
Réponse glaciale d'Henri
Emmanuelli : On peut sans doute en trouver une
qui ne fasse pas du tiroir-caisse un objet de culte.
Décidément, l'approche du Congrès autorise toutes
les haines entre des gens qui ont pourtant du temps pour gouverner
et bénéficient de surcroît d'une forte popularité et d'une
croissance économique inconnue depuis quinze ans... Quel gâchis
!
Le Président de la République indique au Premier
ministre qu'il ne voit pas d'objection de principe à la mise en
commun des activités de construction de satellites de
l'Aérospatiale (publique) et d'Alcatel (privée) sous forme d'une
société détenue à 50 % par chacune. Par ailleurs, la complexité du
cas Framatome conduit à reporter toute décision afin de ne pas
bloquer les autres opérations industrielles entre la CGE et
l'État.
Le Premier ministre autorise donc l'accord relatif
aux satellites.
Jeudi 7 septembre
1989
C'est au tour de Michel
Sapin, rocardien et président de la Commission des lois à
l'Assemblée nationale, de monter au créneau. Dans Le Quotidien de Paris, il affirme que si l'amnistie doit
être un obstacle à la discussion globale sur le financement des
partis, alors il est préférable qu'elle disparaisse.
Formidable ! On se demande vraiment qui a pu avoir une idée
pareille...
Pierre Bérégovoy est très déstabilisé. Alors
qu'ils les refusent à ceux de tous les autres ministères, Michel
Charasse et lui ont, en réunion de concertation avec les syndicats,
promis aux fonctionnaires des Finances des concessions financières
que le Premier ministre estime à juste titre trop élevées et
n'entend pas honorer.
Quant au Président, il
persiste à trouver le budget beaucoup trop à
droite. Il le dit à Bérégovoy ; celui-ci sort de son bureau
très secoué. La lettre que le Président lui a adressée après ma
note ne simplifie pas son problème.
Devant la 42e session
de l'Institut des hautes études de défense nationale, Michel Rocard expose les raisons pour lesquelles le
gouvernement a révisé la loi de programmation militaire :
La loi initiale, celle de 1987, se fixait trop
d'objectifs. Lorsque j'ai appelé le groupe socialiste, alors dans
l'opposition, à la voter, je l'ai fait tout en dénonçant l'ambition
excessive de la loi proposée : des
choix s'imposaient rapidement; ils se sont effectivement imposés,
sans surprise.
Vendredi 8 septembre
1989
La grève lancée à l'usine Peugeot de Mulhouse
s'étend à Sochaux. Jacques Calvet, PDG du groupe, refuse de
négocier sur les salaires. Il a proposé 1,5 %, pas plus : c'est à
prendre ou à laisser.
Samedi 9 septembre
1989
Mikhail Gorbatchev
annonce un programme extraordinaire
d'assainissement de l'économie soviétique. François Mitterrand :il fait
vraiment un travail très courageux. S'il réussit, il fera de son
pays la première puissance
d'Europe.
Dimanche 10 septembre
1989
Date peut-être historique : les autorités de
Budapest décident de laisser les Allemands de l'Est se trouvant en
Hongrie gagner le pays de leur choix.
Plus de dix mille Allemands de l'Est passent en Autriche, la
plupart au volant de leur Trabant.
Le Président :
Combien de temps Gorbatchev va-t-il tolérer
cela ? C'est le désordre dans le Pacte de Varsovie. Entre ce que me
déclare Gorbatchev et ce qu'il fait, le fossé se creuse. A croire
que son pouvoir est bien moindre que ce qu'il dit.
Lundi 11 septembre
1989
Le président commun des deux chaînes publiques,
Philippe Guilhaume, rencontre André Rousselet, le président de
Canal + et lui parle de la nomination
des directeurs d'Antenne 2 et de
FR3, qui sont de son ressort. Il évoque
Jean-Pierre Elkabbach pour Antenne
2.
Mardi 12 septembre
1989
Après avoir vu Jacques Delors, Roland Dumas fait
le point à l'intention du Président. Pour ce qui concerne l'Union
économique et monétaire, le travail de préparation a bien commencé.
L'attitude de Helmut Kohl sera décisive. Pour ce qui est de
l'Europe sociale, Delors est inquiet. de l'attitude de Jean-Pierre
Cot et du groupe socialiste au Parlement européen ; celui-ci fait
de la surenchère au moment même où montent les oppositions entre
Européens. Delors suggère enfin une rencontre avec George Bush en
vue d'amorcer un dialogue entre la Communauté européenne et les
États-Unis.
Manifestation à Paris des fonctionnaires des
Finances qui réclament l'augmentation que leur ont promise leurs
ministres.
Mercredi 13 septembre
1989
François Mitterrand
: Beaucoup de journaux ont écrit que je
reprochais à Michel Rocard la version initiale du budget, qui a été
retouchée depuis lors. En fait, c'est surtout à Pierre
Bérégovoy qu'allaient mes reproches,
car c'est lui qui avait préparé cette première version et elle ne
prenait pas assez en compte le souci de justice
sociale.
Serge Klarsfeld dépose plainte contre René
Bousquet pour crimes contre l' humanité.
Michel Rocard présente un deuxième plan pour
l'emploi en Conseil des ministres.
Jeudi 14 septembre
1989
Philippe Guilhaume informe Catherine Tasca et Jack
Lang qu'il a choisi Jean-Michel Gaillard et Jean-Pierre Elkabbach
pour diriger respectivement Antenne 2 et FR3. Il n'en a pas encore
parlé aux intéressés. J'appelle Elkabbach ; il hésite. Je lui passe
le Président. François Mitterrand lui conseille d'y aller. Dans la
nuit, Elkabbach appelle Claude Lemoine, qui conseille Guilhaume,
pour décliner la proposition de ce dernier.
Accord franco-irakien sur le rééchelonnement de la
dette de Bagdad.
Le Président:
Il n'y a rien de pire que les socialistes qui
rêvent de se voir décerner des brevets de bons économistes par des
hommes de droite. Ils finissent par oublier qu'ils sont de
gauche.
Vendredi 15 septembre
1989
Les nominations de Jean-Michel Gaillard à
Antenne 2 et de Dominique Alduy à
France 3 sont rendues publiques, ainsi
que celles d'Ève Ruggieri et de Jean-Marie Cavada comme «
directeurs d'antenne » sur la deuxième et la troisième
chaînes.
J'apprends par Boutros Boutros-Ghali certains
détails sur la conférence des non-alignés qui s'est tenue il y a
quinze jours à Belgrade. Les quatre chefs d'État qui ont appelé au
Sommet Nord/Sud le 14 Juillet dernier (Venezuela, Sénégal, Inde,
Egypte) se sont montrés très désireux qu'une suite rapide soit
donnée à leur initiative. Ils y ont associé la Yougoslavie en tant
que président du mouvement des non-alignés sans que, pour autant,
le mouvement en tant que tel soit partie prenante à cette
préparation. Le Président Moubarak a multiplié les contacts en ce
sens. Le Sommet de Belgrade, dit-il, a réagi favorablement à
l'initiative d'instaurer une consultation régulière entre les chefs
d'État du Nord et du Sud sur les problèmes économiques et
écologiques globaux. Il a discuté de ce projet avec le ministre
canadien Joe Clark, qui a confirmé son appui. La RFA ainsi que
l'Italie ont manifesté la même attitude positive. Mais les
États-Unis se déclarent toujours sceptiques, tandis que le
Royaume-Uni rejette carrément cette initiative. Quant au Japon, il
demeure hésitant. Ces trois derniers gouvernements craignent que le
dialogue proposé se cantonne uniquement au problème de
l'endettement.
Boutros et moi décidons de réunir en France, dans
les jours qui viennent, les représentants personnels des quatre
chefs d'État initiateurs du projet avec celui de la Yougoslavie. Je
leur proposerai d'organiser un groupe informel de préparation du
futur Sommet Nord/Sud associant des représentants personnels des
chefs d'État de la Yougoslavie, de l'Inde, du Venezuela, de
l'Égypte et du Sénégal pour le Sud, de la France, de l'Italie, du
Canada et de la RFA pour le Nord, ainsi que la Communauté
européenne et le secrétariat général des Nations unies.
Naturellement, je proposerai aussi à la Grande-Bretagne, au Japon
et aux États-Unis de s'y joindre et je m'engagerai à les tenir
informés s'ils ne souhaitent pas y participer. Ce groupe définira
de façon tout à fait informelle la suite à donner à l'initiative.
Il faudra commencer par aborder des sujets qui n'entraînent pas le
risque de remettre en cause les compétences des institutions
financières internationales — ce que redoutent le plus les
Américains —, c'est-à-dire des problèmes qui s'imposent à tous,
comme l'environnement et la drogue. On pourra y ajouter le problème
de la croissance mondiale, ce qui conduira naturellement à parler
aussi de la dette. Mais je pense qu'il vaut mieux laisser « monter
» cette demande, sans chercher en rien à l'imposer.
Nous aurons ensuite à résoudre mille problèmes :
liste des participants, procédure des préparatifs, lieu et date
d'une éventuelle réunion. Nous en sommes encore loin, mais nous ne
pouvons pas ne pas prendre au moins ces initiatives minimales si
nous voulons donner une véritable chance au dialogue
Nord/Sud.
Ce sera un des sujets abordés lors du dîner de
travail des ministres des sept pays les plus industrialisés, qui
doit se tenir à New York le 28 septembre sous la présidence de
Roland Dumas. Boutros-Ghali se dit prêt à exposer aux sept
ministres comment le Sud, pour sa part, conçoit un tel Sommet. Les
Américains ne voudront probablement pas en entendre parler.
Samedi 16 septembre
1989
Le triumvirat arabe de Taëf devrait rendre
publiques aujourd'hui ses propositions en vue d'un règlement du
conflit entre libanais. D'après Roland Dumas, elles auraient reçu
l'accord des Syriens. On a besoin de nous pour convaincre le
général Aoun, le dirigeant actuel des chrétiens, de les accepter.
Nos forces navales doivent-elles venir comme signe politique
accompagnant ces propositions ? L'alternative est la suivante
:
- maintenir le
porte-avions en Méditerranée centrale ou orientale ;
- renvoyer le
porte-avions à Toulon tout en le laissant en alerte afin qu'il ne
soit qu'à cinq jours du Liban.
Le reste du dispositif naval mouillant au large du
Liban (un grand bâtiment pour le soutien de la communauté française
et le TCD/Orage pour une éventuelle
évacuation) resterait en place. Le Président donne son assentiment
à la seconde option.
Lundi 18 septembre
1989
La Hongrie rétablit ses relations diplomatiques
(rompues en 1967) avec Israël.
Visite éclair de Shamir, Premier ministre
israélien, au Caire pour discuter des propositions
égyptiennes.
D'après Roland Dumas, l'Égypte va s'efforcer
d'introduire ces discussions par une formule « inoffensive » sur
les Palestiniens. Elle espère lui donner une « coloration
internationale », rappelant l'idée, émise en son temps par George
Shultz, d'une séance d'ouverture de la conférence internationale en
forme de « cocktail diplomatique ». Le processus débouchera
nécessairement sur une telle conférence.
Itzhak Rabin admet le principe d'un dialogue
direct entre Israël et une délégation élargie de Palestiniens. Il
admet aussi que ce dialogue ait bien lieu au Caire et que les
invitations soient lancées par l'Égypte, autrement dit que la
composition de la délégation palestinienne soit annoncée par
l'Égypte — mais avec accord préalable d'Israël.