A propos de Yasser Arafat et de sa venue à
Strasbourg : La visite d'Arafat a provoqué dans les médias français une émotion
artificielle. Arafat n'est pas un inconnu. Tous les ministres des
Affaires étrangères, depuis Sauvagnargues, sont allés le voir à
Tunis. J'ai moi-même déjeuné avec Arafat au Caire, il y a quinze
ans. Le Premier ministre l'a rencontré. Et il serait devenu tout à
coup scandaleux de le voir ? ! Nous ne sommes pas israéliens... La
France n'est pas à la merci d'un froncement de sourcils d'un
certain nombre d'agents d'Israël ou de différentes associations.
Elle doit préserver sa capacité de dialogue. Ne soyons pas effrayés
par la peur de perdre quelques voix aux prochaines élections. Il
n'y a au contraire que comme cela qu'on en gagne !
Michel Rocard présente ensuite les trois volets du
plan « Agir pour l'emploi » : allégement du coût du travail,
aménagement et réduction du temps de travail, amélioration du
financement des entreprises, en particulier pour les PME et PMI,
premier gisement de créations d'emplois.
Jean-Pierre Soisson fait
une bonne intervention, très écoutée. Il précise que le plan Séguin
n'était pas financé au-delà du mois de mai : Il m'appartient de dire cela, venant d'où je viens.
Michel Charasse attaque durement le
projet de déplafonnement des cotisations patronales : On crée des emplois en or massif pour lesquels la France
va battre un record mondial de coût budgétaire. Roger
Fauroux objecte que ces mesures reçoivent un accueil favorable des
chefs d'entreprise. Jacques Chérèque et Jack Lang font des
interventions de caractère très technique. Pierre Bérégovoy dit
qu'il n'est pas d'accord avec Michel Charasse. Une fois de
plus.
François Mitterrand :
Monsieur le Premier ministre, j'ai peut-être
manqué d'attention, mais je n'ai pas entendu parler du
crédit-formation.
Michel Rocard :
Vous avez tout à fait raison, monsieur le
Président. On n'en a pas parlé. C'est une idée lourde, cela se fera
ultérieurement.
François Mitterrand, sur
un ton extrêmement aimable : Ultérieurement,
cela veut dire quoi ? En tout cas, il faudra que cela se fasse à la
première session de printemps.
Michel Rocard :
Entièrement d'accord, monsieur le
Président.
François Mitterrand,
avec un grand sourire : Vous avez dit que
c'était une idée « lourde ». C'est la vôtre ! Vous avez remarqué
que je m'étais beaucoup inspiré de vos propres idées sur le
sujet.
Alain Decaux fait une communication sur la
francophonie.
François Mitterrand :
Il n'y a qu'un seul ministre de la
Francophonie, à condition que les autres veuillent bien parler
français. J'ai observé que des ministres et des Premiers ministres
parlaient trop souvent anglais dans les repas officiels à l'Élysée,
malgré mes coups d'œil énergiques [pour autant que des coups
d'œil puissent être énergiques !]. Mais il
m'était difficile d'intervenir sans les humilier. Monsieur le
ministre d'État [il s'adresse à Roland Dumas], les délégations doivent quitter les réunions
internationales où l'on ne respecte pas les règles touchant à
l'usage du français. La francophonie est une priorité. La réussite
de la francophonie vaudrait bien la réussite de l'Europe. On
considère souvent la francophonie comme un gadget, et l'Europe
comme une œuvre majeure. En réalité, les deux sont majeures. Nous
jouons notre place pour des siècles. Le français est notre premier
patrimoine.
Il évoque alors son premier Sommet francophone, du
17 au 19 février 1985 : J'ai ouvert la séance.
J'ai donné la parole à qui voulait la prendre. Comme toujours, les
gens étaient un peu intimidés. Finalement, un délégué a levé la
main, a pris la parole ; c'était un représentant du Vanuatu, il
s'est exprimé en anglais, il ne parlait pas le français
!
Jeudi 15 septembre
1988
Nicolas Sarkozy
m'informe que Jacques Chirac lui a demandé de conduire une mission
du RPR en Nouvelle-Calédonie. Elle rencontrera aussi bien Lafleur
que Tjibaou. A son retour, elle devrait recommander une consigne de
vote pour le référendum. Le non est exclu. Il est lui-même très
favorable au « oui ». C'est une purge, il faut
l'avaler au plus vite, me dit-il.
Vendredi 16 septembre
1988
Vu François Bujon de
l'Estang, qui fut conseiller diplomatique de Jacques Chirac.
Il souhaite une ambassade. Il la mérite. On lui propose Le Caire.
Il refuse : Je ne joue pas en seconde division...
Samedi 17 septembre
1988
Ouverture des Jeux olympiques de Séoul.
A la réunion des douze ministres des Finances, en
Crète, Pierre Bérégovoy, épaulé par Jacques Delors, déclare que les
propositions de la Commission sur l'union fiscale et monétaire sont
trop rigides et qu'il faut les étaler dans le temps.
Dimanche 18 septembre
1988
En URSS, nouveaux heurts entre Arméniens et
Azerbaïdjanais dans le Haut-Karabakh, suivis de grèves et de
manifestations à Erevan.
Lundi 19 septembre
1988
En Pologne, la démission du gouvernement de
Zbigniew Messner est entérinée par le Parlement.
François Mitterrand :
Il faut que je lance une nouvelle idée de désarmement à New York.
Peut-être sur le chimique ?
J'y travaille avec Pierre Morel et Roland Dumas.
La France pourrait renoncer à posséder de telles armes et appeler à
leur disparition générale.
Mardi 20 septembre
1988
L'Armée de l'air a besoin, à l'horizon 1998-2005,
de remplacer ses Jaguar et ses FI, livrés à partir de 1973. Elle a
choisi un modèle unique, le Rafale, à construire à 250 exemplaires.
La Marine doit aussi remplacer ses 30 Crusader vieillissants
(livrés en 1964, comme les Mirage IV) à partir de 1993, et ses 56
Super-Étendard à partir de 2004. D'où l'idée d'un avion commun
Air-Marine livré à partir de 1996. La Marine fait savoir qu'elle
préférerait des F 18 américains, type d'appareils déjà existant et
permettant à court terme une moindre dépense (pas de «
développement » à financer à l'avance). Réponse nette du
Président : C'est
non.
Pour des raisons essentiellement industrielles,
l'Europe a été incapable jusqu'à maintenant de s'entendre pour
définir à cinq pays un seul modèle d'avion. Si les cinq chefs
d'état-major ont signé une fiche de besoin unique, le choix du
motoriste (Rolls Royce pour les Britanniques, la SNECMA pour les
Français) et les réticences des Avions Marcel-Dassault ont conduit
à un divorce. Le Royaume-Uni, la RFA, l'Italie et l'Espagne ont
décidé de s'associer dans l'EFA, la France s'engageant dans le
Rafale. Depuis lors, les deux projets voient leurs spécifications
se différencier de plus en plus.
L'achat de 30 F 18 pour remplacer les Crusader et
de 56 F 18 modernisés pour remplacer les Super-Étendard coûterait
32 milliards de francs, contre 34 milliards pour commander des
Rafale (dont 1,2 milliard pour la prolongation des Crusader) et 36
milliards si l'on ne prenait que des F 18 modernisés. Si l'on
achète pour 36 milliards de matériels à l'industrie française, une
part importante revient aux budgets nationaux au titre des
prélèvements obligatoires : TVA, charges sociales, impôts, etc.,
alors qu'aucun retour ne peut provenir des 32 milliards
d'importations (sauf accords de compensations industrielles, mais
celles-ci n'atteindront jamais 100 %). S'ajoutent les problèmes
d'emploi, dont l'importance n'est plus à souligner. Le maintien
d'un programme national d'avions de combat destinés à l'Air et à la
Marine paraît donc indispensable aux spécialistes, en raison de
l'absence de participation française au programme européen. En
effet, l'achat de F 18 aux États-Unis n'apporterait pas d'économies
sensibles au budget de la Défense, même si, à court terme, il est
moins cher pour la Marine ; il serait en revanche très pénalisant
sur le plan national et sur celui de l'emploi.
Le coût du programme Rafale est élevé, mais il est
du même ordre de grandeur que celui de ses concurrents. Il n'en
demeure pas moins qu'il faudra, d'une part, maintenir la pression
sur les industriels pour éviter l'envolée des coûts et, d'autre
part, revoir la loi de programmation afin d'étudier comment faire
passer ce programme au milieu de tous les autres.
Les grèves automnales dans la fonction publique
provoquent un premier décrochage de l'électorat de gauche : les
personnels des services de santé, les agents de la RATP et de la
SNCF, les fonctionnaires des impôts ont acquis la conviction que
non seulement le gouvernement socialiste, avant tout soucieux du
respect des grands équilibres, n'a pas de projet social, mais qu'il
est sourd aux revendications de ceux qui l'ont porté au
pouvoir.
Mercredi 21 septembre
1988
Début de la grève dans le secteur de l'audiovisuel
public (Antenne 2, FR3,
Radio-France).
Au Conseil des ministres, il ne se passe rien qui
mérite d'être relevé. D'une façon générale, François Mitterrand
laisse faire Michel Rocard. Il pense que la rigueur est certes
nécessaire, mais qu'il convient aussi de satisfaire les
revendications légitimes... Pas simple !
Jeudi 22 septembre
1988
Le Premier ministre s'apprête à autoriser
l'ingénieur général Bernard Rétat à effectuer une mission à Bagdad.
Celle-ci a pour objet la négociation de contrats avec l'Irak dans
le domaine de l'armement. Le ministère des Affaires étrangères a
donné un avis favorable à son envoi. Le montant des contrats
susceptibles d'être acceptés pourrait être compris entre 4 et 6
milliards de francs. Il s'agit de satisfaire les besoins courants
de l'armée irakienne (munitions, Exocet...). Cette mission sera
également l'occasion de demander aux Irakiens d'apurer les arriérés
de paiements qui atteignent aujourd'hui près de 1 milliard de
francs dans les commandes militaires (l'apurement de ces arriérés
sera présenté comme une condition suspensive pour l'entrée en
vigueur des nouveaux contrats). Le mandat de négociation ne devra
pas concerner d'engagements sur de grands contrats (tels que
l'éventuelle acquisition de Mirage 2000 par les Irakiens), à propos
desquels on devra se borner à prendre note des demandes que
pourrait formuler Bagdad.
Jacques Chirac écrit à François Mitterrand. Il
propose, en tant que maire de Paris, un terrain pour la Grande
Bibliothèque. Il est prêt à mettre gratuitement à la disposition de
l'État une emprise située sur la rive gauche de la Seine, dans la
zone d'aménagement concerté Tolbiac-Masséna.
Le Président :
C'est vraiment très élégant de sa part.
J'espère que les services de la mairie et de la Culture ne feront
pas tout capoter.
Vendredi 23 septembre
1988
Vu Émile Biasini. Il pense aussi que la
proposition de Jacques Chirac est très fair-play. C'est un terrain magnifique. Jack Lang,
lui, préfère un terrain à proximité du Bois de Vincennes, qui
présenterait l'avantage d'être entouré d'un espace permettant un
réel aménagement universitaire.
Vu Horst Teltschik à
Bonn. Il me fait un exposé de l'état des relations à l'Est :
En politique étrangère, notre priorité est
l'URSS. Le Chancelier ira à Moscou le 23 octobre. Il faut se
concerter entre nous avant ce voyage. La communauté de destins
entre la France et la RFA doit être comprise par l'URSS. Quelles
actions politiques communes pouvons-nous entreprendre à l'Est ? En
Pologne ? Ce doit être sur l'initiative de la France, pas de
l'Allemagne. Il faut faire entrer la Hongrie dans un projet Eurêka
choisi d'un commun accord. Il faut multiplier les conférences entre
intellectuels et artistes français et allemands avec leurs
homologues de l'Est. La situation économique en Hongrie s'aggrave,
et il y a en URSS des gens qui font tout pour l'aggraver ; ils
veulent empêcher toute chance de modification politique. La RFA ne
peut aider seule ces pays.
Il faut coopérer davantage
entre nous en matière de défense. Est-ce que l'UEO peut être une
filiale européenne de l'Alliance ? Quel est le lien entre l'UEO et
le Conseil de défense franco-allemand ? Quel rôle pourrait jouer
l'UEO au Proche-Orient ? Peut-on imaginer que des Allemands
viennent en France faire leur service militaire dans l'armée
française et que, plus généralement, on fasse son service militaire
là où on réside en Europe ? Le 1er septembre 1989 marquera le cinquantième anniversaire de la
déclaration de guerre : il faut faire quelque chose
ensemble.
Il y a naturellement là quelques arrière-pensées :
les Allemands sont haïs en Pologne et ont peur de notre regain
d'intérêt pour ces régions où ils souhaitent continuer à
représenter l'Ouest. Mais cela vaut la peine d'y réfléchir. Roland
Dumas enregistre les mêmes propositions et en retire les mêmes
impressions au cours d'un entretien avec Genscher.
On doit se revoir la semaine prochaine.
Samedi 24 septembre
1988
Au retour de Danielle Mitterrand du Bangladesh,
j'ai l'idée d'un grand projet consistant à édifier un énorme réseau
de barrages dans ce pays. Le Bangladesh est situé au pied de
l'Himalaya, au point de convergence de trois énormes fleuves qui
dépassent parfois 15 kilomètres de large : le Gange, le
Brahmapoutre et la Meghna. De plus, c'est là que la pluviométrie
est la plus élevée du monde. Il s'ensuit tous les trois ans une
inondation qui recouvre parfois plus de 50 000 km2. Cette année, plus de 90 000 km2 ont été recouverts, soit les deux tiers du pays ;
45 millions d'habitants (40 % de la population) ont perdu leurs
maisons ; 19 000 écoles, 13 000 kilomètres de routes, 700 ponts, 45
hôpitaux ont été détruits, sans compter des millions de tonnes de
riz et 3 millions d'hectares devenus incultivables. Imagine-t-on
tous les habitants d'un pays comme l'Espagne sans abri ? A cela
s'ajoutent les dégâts causés à intervalles réguliers par de
terribles cyclones, dans ce pays de 110 millions d'habitants dont
le revenu par tête ne dépasse pas 100 dollars. Le désastre se
reproduira aussi longtemps qu'une solution à long terme ne sera pas
trouvée. Elle implique une action dans tous les pays de la région,
et plus particulièrement au Bangladesh même. L'action régionale
suppose que les divers pays impliqués décident de coordonner la
gestion de leurs forêts, d'échanger des informations sur leurs
fleuves, d'étudier ensemble s'il convient de construire, très en
amont, des barrages de retenue et des digues, et d'améliorer le
système de satellites d'observation. L'action au Bangladesh exige
d'y draguer les rivières, pour permettre un meilleur écoulement des
eaux, et d'endiguer les rives des trois grands fleuves pour en
domestiquer le cours jusqu'à la mer. Ce qui requiert sans doute
deux grands barrages et 1 500 kilomètres de digues. Déjà, des
experts des Nations unies et de la CEE travaillent à certains
aspects de ces problèmes.
J'aimerais bien en faire un grand projet pour le
Sommet de l'année prochaine. Peut-être pourrais-je en glisser
l'idée dans le prochain discours de François Mitterrand à l'ONU, le
29 septembre ?
Dimanche 25 septembre
1988
Premier tour des cantonales : l'abstention atteint
50,87 %, taux le plus élevé depuis la Libération. Stabilité du
rapport de forces : 50,29 % pour la droite, 47,86 % pour la
gauche.
Le Président, à propos
des abstentions : Je ne crois guère à la thèse
de la lassitude. Si les gens ne vont pas voter, c'est une sanction.
Le corps électoral se cherche. Les gens n'y comprennent pas
grand-chose. Ils ont l'impression que les cartes sont brouillées.
Il en sera ainsi jusqu'aux municipales. On y verra plus clair
après. L'ouverture prendra alors tout son sens. Ce n'est pas un
mauvais résultat, mais, honnêtement, on vient de très bas [les
cantonales de 1982]. Les reports communistes ne sont pas très bons,
c'est vrai. C'est le résultat de la politique de la direction du
Parti communiste. Les communistes ne doivent pas oublier qu'ils ont
plus besoin de nous que nous n'avons besoin d'eux.
Lundi 26 septembre
1988
Frédéric Dard me dédie son dernier San Antonio :
Renifle, c'est de la vraie ! Rien ne
pouvait me faire plus plaisir. J'aime cet homme passionné,
désespéré et formidablement créatif. Je tiens La vie privée de Walter Klosett pour un très grand
roman.
A l'ONU, Ronald Reagan propose la convocation
d'une conférence internationale pour parvenir à l'interdiction
totale des armes chimiques. Cette initiative est accueillie
favorablement tant par l'URSS que par les pays de l'OTAN. François
Mitterrand proposera qu'elle ait lieu à Paris. Roland Dumas sera
chargé de l'organiser.
En Pologne, Mieczyslaw Rakowski, un fidèle du
général Jaruzelski, est nommé Premier ministre.
Mardi 27 septembre
1988
Me voici à Bonn avec Hubert Védrine, Élisabeth
Guigou et quelques collaborateurs du Premier ministre et du
ministre des Affaires étrangères, à l'invitation de Horst
Teltschik. Nous procédons à un tour d'horizon des diverses
questions d'intérêt commun (Est/Ouest, Europe de l'Est, Défense
européenne, CEE, Nord/Sud, questions bilatérales). Teltschik me
reparle d'une éventuelle rencontre à trois lors d'une future visite
de Mikhaïl Gorbatchev en France ou en RFA.
Les Allemands nous demandent dans quel sens nous
pensons souhaitable de renforcer l'Union européenne. Plus de
pouvoirs au Conseil de Défense franco-allemand (l'élargir à
l'Espagne ? à l'Italie ? permettre aux jeunes des pays membres de
faire leur service militaire dans le pays de leur choix ?
développer le nombre d'unités communes ?). Plus de pouvoir à l'UEO
(lui donner des moyens opérationnels en Europe ? hors d'Europe ?
l'élargir à l'Espagne ? à la Turquie ? fusionner son assemblée
parlementaire avec celle des communautés européennes ?).
J'insiste beaucoup sur les sujets économiques
(déficit franco-allemand, fermeture du marché allemand,
exportations françaises d'énergie, collaboration monétaire et
financière sur la dette). Mais, comme d'habitude, les Allemands
éludent. Horst Teltschik m'assure que le protocole sur le Conseil
financier franco-allemand sera ratifié par le Bundestag sans
modification, mais peut-être avec un exposé des motifs qui
rappellera le caractère constitutionnel de l'indépendance de la
Banque centrale allemande. Cette ratification ne pourra avoir lieu
avant le sommet franco-allemand du 4 novembre, ce qui rend
impossible la première réunion de ce conseil à cette date, alors
que le Conseil de Défense, lui, pourra se tenir. Voilà qui est
significatif des déséquilibres de nos relations : les Allemands
tiennent à la coopération de défense plus qu'à la coopération
monétaire.
Éditorial d'Alain
Peyrefitte dans Le Figaro : A terme, le
Premier ministre n'a pas tort de penser qu'une atmosphère apaisante
est favorable à ses desseins. La gauche, entre 1981 et 1986, a vu
ce qu'il lui en coûtait de jouer à la lutte des classes. En
endormant la méfiance, Michel Rocard travaille intelligemment à
installer la gauche pour longtemps.
Il y a cinq jours, Alain Peyrefitte a invité le
Premier ministre à déjeuner en compagnie de tous les membres de la
direction du quotidien (hormis Robert Hersant).
Le Président travaille à son discours à l'ONU. Il
annoncera deux nouvelles : la renonciation de la France aux armes
chimiques, dans la perspective du désarmement (Pourquoi faire des armes si c'est pour les détruire
?), et mon projet pour le Bangladesh.
Mercredi 28 septembre
1988
Avant le Conseil, le Président évoque avec Rocard
le remplacement du président d'Air France, que va proposer Michel
Delebarre.
Au Conseil des ministres, on parle de la nouvelle
norme pour la télévision. Michel Rocard déclare qu'il faut en tout
cas changer le nom dont les techniciens l'ont affublée : D2
MacPaquet.
Oui, approuve François
Mitterrand, nos techniciens sont
peut-être très savants, mais il faut qu'ils réapprennent la poésie
des mots !
A propos de l'évolution du Japon dans un sens
favorable au Tiers-Monde, évoquée par Michel Rocard, le Président : Les Japonais
pensent uniquement à leur intérêt national et se laissent rarement
égarer par des sentiments d'universalité. Cela fait sept ans que je
les vois, dans les sommets des pays industrialisés, faire semblant
de dormir au moment où l'on parle de choses sérieuses. Ils
proposent régulièrement des plans mirifiques. Si le Japon
commençait par porter son aide au Tiers-Monde au même niveau que
nous, c'est-à-dire s'il passait de 0,26 à 0,54 % de son PIB, cela
suffirait à combler un vide immense ; or il ne le fait pas
!
A propos du conflit en cours dans l'audiovisuel :
Le gouvernement se trouve placé dans une
situation politique qui déborde les simples débats corporatistes ou
professionnels. C'est tout à fait injuste, puisque le statut actuel
avait été adopté par le précédent gouvernement et dénoncé par
l'opposition de l'époque. Si le gouvernement s'engage, il risque de
dépasser le domaine dans lequel il doit se cantonner. Mais, en même
temps, l'État ne doit pas abandonner ses responsabilités. Il faut
expliquer et rappeler inlassablement ce qui a été fait et ce qui va
être fait. Cette nécessité d'expliquer est vraie pour beaucoup
d'autres cas. Par exemple, le remplacement du PDG d'Air France.
Tout comme il est normal de remplacer le dirigeant d'une grande
banque lorsqu'il atteint l'âge de la retraite [allusion à
Jean-Maxime Lévêque au Crédit Lyonnais]. Il est normal que les responsables d'entreprises publiques
soient sanctionnés lorsqu'il se produit des
accidents graves. Cela fut le cas pour la SNCF avec un PDG nommé
par les socialistes et qui a dû démissionner à la suite
d'accidents [André Chadeau en septembre 1985].
Départ pour une petite tournée américaine. A New
York, le Président rencontre Michael Dukakis, candidat démocrate
aux présidentielles de novembre. L'homme, de très petite taille,
est vif, intéressant ; ce n'est pas un visionnaire.
François Mitterrand :
Je suis souvent en conformité de vues avec
vous sur le futur de la société et sur la relation entre l'individu
et l'État. Les diplomates occidentaux devront mesurer que leur
intérêt n'est pas d'accélérer les mouvements de dissociation en
Europe de l'Est, ou de ne pas laisser à Gorbatchev le temps de
transformer l'URSS. Une fois cela fait, les problèmes des
nationalités en Europe de l'Est s'affirmeront un jour ou
l'autre.
Michael Dukakis :
Alors, que faire avec l'Europe de l'Est
?
François Mitterrand :
Il faut moduler, autrement dit encourager les
peuples à affirmer leur personnalité culturelle et économique, et
ne pas les pousser trop tôt à la remise en cause de la situation
politique. C'est par la culture que les révolutions se feront. Ce
n'est pas très visible, la culture, mais c'est l'essentiel pour la
Hongrie et la Pologne.
Michael Dukakis :
J'ai rencontré Grosz, le Hongrois ; il est très intéressé à se libérer
économiquement de l'Est et à se tourner vers l'Ouest. Que
faites-vous avec la Hongrie ?
François Mitterrand :
Les Hongrois n'ont pas de traditions
démocratiques ; nous essayons de les aider.
Ils passent au désarmement.
François Mitterrand :
Le désarmement nucléaire est une très bonne
chose. Il y a urgence à entamer la négociation sur les armes
chimiques ; j'ai l'intention de le faire.
Sur le Moyen-Orient : Israël
doit vivre sans être menacé. Souvent, pour se défendre, les
Israéliens ont dû attaquer. On peut les comprendre. Comment
pourraient-ils accepter que Jérusalem ne soit pas israélien ? Les
Palestiniens doivent avoir une patrie, Israël doit cesser de
réclamer toutes les terres. Mais il faut que les Palestiniens
reconnaissent Israël.
Dukakis se dit très inquiet de l'accumulation de
missiles au Moyen-Orient.
Jeudi 29 septembre
1988
A la tribune de l'ONU, François Mitterrand,
rompant avec la doctrine française constante en la matière, annonce
que la France renonce à réclamer la possibilité de constituer un
stock minimal de sécurité d'armes chimiques pendant les dix ans
prévus pour la destruction des arsenaux existants. Pierre Morel et
Roland Dumas sont à l'origine de ce revirement. Une grande
négociation va s'ouvrir à Genève ; Morel va y rester.
Le Président annonce aussi le projet de grands
travaux au Bangladesh, comme je le lui avais suggéré. La chose
passe inaperçue.
Le Président est à Washington en visite de
travail. Dernière rencontre avec le chef de l'État américain avant
les élections présidentielles. Ronald Reagan lit comme toujours des
notes avec humilité. Il explique qu'il n'y a pas eu de percée sur la réduction des armements
stratégiques lors de ses entretiens avec Édouard
Chevardnadze.
François Mitterrand :
L'accord sur les FNI est un bon accord. Beaucoup étaient contre, mais c'est
vous qui aviez raison.
Ronald Reagan :
La proposition soviétique de transformer le
site de Krasnoïarsk en centre international de l'espace n'était pas
une bonne solution. D'une part, le radar de Krasnoïarsk constitue
une violation du Traité ABM ; d'autre part, les Soviétiques, avec
leur proposition, se réservent la possibilité de violer le Traité
quand ils le veulent à l'avenir. Américains et Soviétiques sont
prêts à mettre au point le protocole sur les essais nucléaires.
Concernant les négociations nucléaires en général, je m'interroge
sur un lien possible entre l'attitude nouvelle, très ouverte, de M.
Chevardnadze, et l'accident de Tchernobyl. Et encore ! Les dégâts
de l'accident sont inférieurs à ceux causés par l'explosion d'une
seule ogive ! De mes conversations avec lui je retire le sentiment
que l'URSS souhaite que se termine rapidement l'actuelle Conférence
de Vienne. L'URSS est maintenant d'accord pour exclure les avions
de combat du mandat. Les États-Unis sont prêts à rester à Vienne
tant qu'on n'aura pas trouvé une issue équilibrée aux pourparlers
actuels. Pour ce qui est du projet de conférence sur les droits de
l'homme à Moscou, l'URSS a commencé à répondre à certaines des
conditions américaines.
François Mitterrand :
Si l'on veut rassurer l'Europe, il faut
rapidement entrer dans la réduction des armements conventionnels
afin de réduire les dissymétries actuelles... Il faut s'attaquer à
la concentration aux frontières tchécoslovaque et
allemande.
Ronald Reagan :
Il est vital de se lancer dans la négociation
conventionnelle pour aller à la parité. J'ai déclaré à M.
Chevardnadze qu'il est exclu que nous lui permettions d'avoir une
telle supériorité. Je lui ai dit que le choix était entre réduction
ou course aux armements, et j'ai souligné qu'il ne pourrait pas
gagner une course aux armements. Je vous remercie d'avoir soutenu
notre proposition de conférence consacrée à l'interdiction d'emploi
des armes chimiques. Les autres pays de l'OTAN ont eux aussi appuyé
ce projet. La France pourrait-elle envisager d'être le pays hôte
d'une telle conférence ? Nous y sommes très favorables.
[Mise en scène: Roland Dumas l'a précisément suggéré à George
Shultz.]
François Mitterrand :
J'approuve cette proposition. Je suis prêt à
tenir cette conférence très vite à Paris, ce qui honorera la
France. Cela permettra au monde de voir s'éloigner une menace
terrible. Dans mon discours d'hier devant les Nations unies, j'ai
considéré qu'il ne devait pas y avoir d'obstacle [de la part
de la France] à la signature de la convention.
En ce sens, la France renonce à la production d'armes chimiques dès
l'entrée en vigueur de la convention, mais on ne peut exclure que
les négociations durent des années et que les Soviétiques ne
continuent, pendant ce temps, d'augmenter leurs stocks, voire que
la conférence échoue.
George Shultz propose
alors : Pendant les années consacrées à la
destruction des stocks, on testera les procédures de vérification.
Et, si l'on est satisfait, on détruira les derniers stocks au bout
de huit ans.
Abordant la question des Kurdes, le Président condamne l'emploi par les Irakiens
d'armes chimiques contre ces populations : C'est un problème très sérieux ; si n'importe quel pays
peut vouloir régler ainsi ses problèmes intérieurs ou extérieurs,
il devient très dangereux que cet armement tombe entre les mains de
certains.
Ronald Reagan :
L'Alliance est en bonne forme, mais elle a à
prendre des décisions rapides et difficiles sur trois questions :
le désarmement conventionnel, le partage du fardeau et la
modernisation. Pour ce qui est des réformes intérieures en URSS, je
me demande si le changement annoncé se traduira de façon durable et
réelle dans l'effort de défense soviétique.
François Mitterrand :
Gorbatchev aura-t-il la force et les moyens de
poursuivre ses réformes ? Je pense que oui. Sa tâche sera très
compliquée au moment où il forcera le Parti, l'armée et son
administration à accepter une évolution qui change leurs habitudes.
En plusieurs endroits de l'URSS, on assiste à un réveil des
nationalités. Dans l'empire soviétique, la tentation la plus
naturelle de partenaires comme la Hongrie, la Pologne, la RDA est
de vouloir recouvrer plus de libertés dans leur appréciation
politique... S'il y a accélération des revendications locales,
Mikhaïl Gorbatchev sera en grande difficulté... Il faut développer
les relations culturelles, qui affirment l'identité d'un pays, de
même que les relations économiques ; il faut se montrer prudent
dans l'incitation politique à l'affirmation de chacun de ces
pays.
En ce qui concerne le Liban,
la logique actuelle va conduire au siège de Beyrouth. Le Liban tout
entier va tomber sous la dépendance de la Syrie. Ce sera la guerre.
J'aurais souhaité que les chrétiens s'entendent. Pour cela, il faut
conjuguer votre influence, celle du pape et celle de la France. Ce
sera très utile...
Ronald Reagan :
Les Syriens nous ont dit il y a deux ans
qu'ils considéraient le Liban comme faisant partie de la
Syrie.
François Mitterrand :
Si les chrétiens se réconciliaient, tout irait
mieux. Dans le vide actuel, les Syriens ont un alibi pour
rester.
Les problèmes agricoles sont évoqués. Ronald
Reagan rappelle qu'il déplore les subventions généralisées.
François Mitterrand déplore la petite
guerre que se livrent les deux pays sur les questions agricoles,
mais déclare que la France cherche plutôt la
paix.
Après avoir très rapidement évoqué l'Afghanistan
et le Proche-Orient où nous allons
continuer, Ronald Reagan indique
qu'il approuve l'action de la France dans le Golfe.
La conversation porte ensuite sur le Cambodge. Le
Président américain souligne qu'il trouve excellente la proposition
française de conférence internationale, et que Sihanouk est
la seule personne acceptable par tous les
dirigeants cambodgiens.
François Mitterrand
rappelle les liens historiques entre la France et le Cambodge :
Nous connaissons bien les principaux
dirigeants, notamment Sihanouk, que j'ai rencontré encore la
semaine dernière. Je le vois souvent. C'est un homme intelligent,
habile, peut-être trop... C'est le seul à avoir le prestige
suffisant et qui peut servir de point de rencontre entre les
différentes tendances. Le Président rappelle aussi que c'est
la France qui a organisé les rencontres entre Hun Sen et Sihanouk,
que ces derniers se reverront bientôt et que nous fournirons les
moyens matériels nécessaires au bon déroulement de ces réunions.
Mais ces rencontres ne suffisent pas ; le
Vietnam, la Chine, l'URSS, différents pays de l'ASEAN, d'autres
encore s'engagent. Il me semble qu'un accord entre le Cambodge et
le Vietnam seuls serait insuffisant. Il conclut :
Je suis plus optimiste aujourd'hui sur cette
affaire du Cambodge... Il reste à vérifier que la Chine et l'URSS
ont moins envie de se disputer à ce sujet. Elles pourraient
contribuer à trouver une solution. On est au début d'un
processus... S'il y a élargissement, les États-Unis, la France et
d'autres devront être présents. MM. Dumas et Shultz pourraient se
voir un jour à ce sujet. Le Président indique à nouveau que
la conférence sur le Cambodge pourra se tenir à Paris.
Ce soir, dîner de cinquante-trois convives à la
Maison Blanche (saumon, agneau, poire, vins de Californie). Je suis
à la même table que Nancy Reagan, François Mitterrand, Rudolf
Noureïev, le commandant Cousteau. Émouvants discours (sans notes)
des deux présidents, chacun debout à sa table, aux deux extrémités
de la petite salle à manger.
François Mitterrand :
Nous n'avons pas toujours été d'accord. Mais
dire non permet de dire oui. J'ai apprécié votre courtoisie et
votre élégance. Dans un mois, vous ne serez plus Président des
États-Unis, mais vous le serez toujours dans le cœur des
Américains. Et vous le resterez également dans le
mien.
Ronald Reagan :
Nous sommes des amis. Nous formons un vieux
couple. C'est toujours difficile de se séparer...
Après dîner, dans la petite salle où j'ai déjà
entendu, un autre jour, Julio Iglesias, Peggy Lee chante Léo Ferré
et la chanson de Johnny Guitare. Cousteau dessine Peggy Lee au dos
du menu que j'emporte en souvenir.
Je quitte la Maison Blanche très tard, laissant
Ron et Nancy dansant tout seuls dans le grand salon.
Une récompense pour les Forces des nations pour le
maintien de la paix : le prix Nobel de la Paix, qui échappe donc à
Perez de Cuellar. Celui-ci aura en plus l'amertume de devoir aller
le recevoir au nom de l'Organisation.
Vendredi 30 septembre
1988
Fin du conflit dans l'audiovisuel public (deux
semaines de grèves tournantes dans les différentes sociétés).
Une série de grèves longues et, pour certaines,
populaires, modifie le paysage économique et social : tour à tour,
infirmières, postiers, enseignants, policiers, agents des impôts,
contrôleurs de la navigation aérienne, salariés de l'automobile,
gardiens de prison, jusqu'aux gendarmes — qui adressent à leur
hiérarchie des lettres anonymes — et aux gardiens des phares et
balises ! C'est sans doute le prix à payer du retour de la gauche
aux affaires, au moment où la croissance économique s'annonce forte
et durable.
Samedi 1er octobre 1988
Le Soviet suprême nomme Mikhaïl Gorbatchev chef de
l'État en remplacement d'Andreï Gromyko. Gorbatchev annonce une
accélération du programme de réformes, notamment en ce qui concerne
la séparation entre le Parti et l'État.
Dimanche 2 octobre
1988
Second tour des cantonales : la gauche progresse
en voix (51,05 %) et en sièges, mais pas en présidences de
conseils. L'abstention a atteint cette fois 53%!
Robert Maxwell annonce qu'il est responsable, par
ses achats massifs, de la montée du cours de l'action Bouygues
depuis quelques jours.
Depuis des semaines, grèves massives dans
l'industrie algérienne. Elles atteignent aujourd'hui Alger. Les
experts, à Paris, disent que c'est marginal et que le FLN tient
bien la situation en main.
Lundi 3 octobre 1988
Pierre Bérégovoy organise une réception en
l'honneur de Samir Traboulsi, qu'il décore de la Légion d'honneur
en présence de Roger-Patrice Pelat et de Jean Gandois. François
Mitterrand l'a pourtant mis en garde contre une pareille
cérémonie.
Comme convenu avec Jack Lang, le préfet de police,
Pierre Verbrugghe, informe la mairie que la tenue, le 14 Juillet
prochain, du Sommet des sept pays les plus industrialisés rend
impossible le déroulement, le même jour, du concert de Jean-Michel
Jarre décidé par Edgar Faure, les effectifs policiers étant
débordés. C'est la meilleure façon, pense Lang, de substituer Goude
à Jarre dont Christian Dupavillon tient absolument à se
débarrasser. Jacques Chirac prend plutôt mal la chose. Il annonce
qu'il préfère annuler le concert plutôt que de le reporter au 16
juillet, comme on le suggérait. Contrairement à l'attitude plutôt
conciliante de Jean Tiberi, son premier adjoint, il adopte un ton
hostile sur la célébration nationale du 14 Juillet. Il avertit les
Parisiens : La vie va devenir tellement
insupportable pendant cette semaine-là que je leur conseille de
quitter la capitale. Le Président
en est très choqué : C'est stupide.
Il recommence comme pour l'Exposition
universelle. Il est incorrigible. Sa défaite ne l'a pas arrangé. Au
fond cet homme est fou, il dit et fait n'importe quoi. Il peut se
faire élire après moi, mais il serait vite la risée du
monde.
Grands travaux : un Centre de conférences
internationales manque cruellement à Paris. François Mitterrand
demande à Pierre Bérégovoy d'affecter les terrains dont l'État est
propriétaire, quai Branly, et qui sont actuellement occupés par des
services du ministère des Finances, à la construction d'un grand
Centre de conférences internationales. Il lui enjoint de faire en
sorte que les services des Finances aient quitté le quai Branly
avant la fin de 1989. Roland Dumas, qui pousse ce projet, a obtenu
satisfaction.
La « grogne » des Finances est considérable et se
traduit par une mauvaise volonté généralisée. Le Président nous
exhorte à ne pas en tenir compte. Le ministre des Finances envisage
de continuer de loger au Louvre jusqu'en 1990, l'hôtel du ministre,
à Bercy, n'étant pas terminé. C'est ennuyeux ; le Président me
demande d'en parler d'urgence à Biasini.
Le ministre a bien donné l'ordre à ses
fonctionnaires de quitter le quai Branly pour la fin 1989 si on a
trouvé d'ici là un lieu où les reloger. Mais le ministère ne
déploie aucun effort réel pour trouver ce site nouveau.
Si le transfert juridique du terrain au Quai
d'Orsay est accompli, les gens des Finances s'étranglent de rage
d'y voir s'installer le Quai. Ils prétendent d'ailleurs que le Quai
n'y créera pas un Centre de conférences, mais des immeubles de
bureaux. Sans doute faudra-t-il vérifier en temps utile que le Quai
d'Orsay affecte bien le terrain à l'usage prévu, mais il
n'appartient pas aux Finances d'y veiller. Ce serait une bonne
occasion de décentraliser en province certains services des
Finances, tout en rappelant aux Affaires étrangères que le terrain
du quai Branly doit servir à ce Centre et à rien d'autre.
En prévision du futur Sommet des Sept, je
réfléchis à nouveau avec Jean-Claude Trichet à une nouvelle
réduction de la dette, cette fois des pays à revenu intermédiaire
(c'est-à-dire en cours de décollage économique), oubliés à Toronto
: Mexique, Pologne, Inde, Argentine, Philippines. On pourrait
imaginer une allocation de DTS (droits de tirages spéciaux),
décidée par le conseil d'administration du FMI, qui serait
distribuée au prorata des quote-parts des pays membres. Les pays en
développement conserveraient leurs allocations, soit environ 36 %
du total ; les pays industrialisés placeraient les leurs dans un
fonds commun géré par le FMI, qui servirait à garantir le paiement
d'annuités d'intérêt, de dividendes ou de toute autre forme de
rémunération aux banques privées qui accepteraient de transformer
tout ou partie de leurs créances en actifs sur les pays à revenu
intermédiaire. Le bénéfice de la garantie serait ouvert aux pays à
revenu intermédiaire très endettés, en échange d'un programme de
redressement. La mise en œuvre de la garantie serait décidée au cas
par cas par le Conseil du FMI. La nature ou la dimension de la
garantie octroyée pourrait être proportionnelle aux efforts
d'ajustement des pays bénéficiaires. Les garanties ne seraient
accordées que si les banques acceptaient de réaliser un effort (par
exemple en consentant une décote et/ou une réduction des taux
d'intérêt sur leurs créances). Elle ne dispenserait pas les pays
concernés de procéder aux paiements qu'ils doivent ou au
remboursement du fonds en cas de mise en jeu de la garantie.
Le Président nous donne son accord de principe sur
cette formule.
Mardi 4 octobre
1988
Ouverture du Salon de l'automobile. François
Mitterrand rappelle son désir de voir la France s'engager sur la
voie européenne pour les voitures « propres ».
Mercredi 5 octobre
1988
Au Conseil des ministres, François Mitterrand
interroge Jean Poperen sur l'opportunité d'un message au Parlement
à propos de la discussion du projet de référendum sur la
Nouvelle-Calédonie. Poperen s'en montre partisan ; le Président
l'enverra donc.
Après l'exposé de Roland Dumas sur la situation
internationale, François Mitterrand intervient à propos de la
conférence sur les armes chimiques qu'il a proposée à l'ONU pour le
début de 1989 : Le Président Reagan en a parlé
avant moi, tout simplement parce qu'il est intervenu aux Nations
unies avant moi. Il n'y a pas de concurrence entre nous ;
d'ailleurs, il n'a parlé que de l'interdiction de l'emploi, alors
que j'ai proposé aussi l'interdiction de la fabrication, qui est
plus difficile. Pour ce qui est du choix de Paris, j'ai considéré
qu'il valait mieux qu'il soit proposé par un autre que par moi.
Cette proposition a un peu éclipsé les problèmes de développement
qui ont constitué au contraire, pour la presse du Tiers-Monde, la
partie la plus importante de mon discours.
Il évoque ensuite la Libye et le Tchad, qui ont
échangé des ambassadeurs : C'est notre œuvre.
Ai-je assez entendu des conseils comminatoires pour envoyer des
Jaguar dans le nord du Tchad ! Comme c'était Pierre Messmer qui les
avait employés autrefois, dans un cas voisin, c'était devenu
l'instrument de la victoire !
Mais le Tibesti est une zone montagneuse où
une telle intervention ne pouvait se faire sans appui au sol et sans une protection aérienne
importante. Il fait un rappel historique de l'évolution de
la situation au Tchad depuis 1981 et conclut : Aujourd'hui, le Tchad est libre, indépendant,
souverain, unifié, et ce, sans intervention
militaire directe de la France.
Sur le Liban : Ou bien les
chrétiens dans leur majorité se mettent d'accord sur un nom
[de candidat aux présidentielles], ou bien ils
ne pourront pas échapper au diktat syrien. Les États-Unis ont agi
avec beaucoup de légèreté. Ils ont cru bâtir un accord avec la
Syrie, comme si on pouvait avoir un accord avec la Syrie ! Nous
sommes au bord du renouvellement d'un drame plus grave peut-être
encore que celui que nous avons connu. Il ne faut pas que vous ayez
le sentiment que la France est absente de l'équilibre du monde,
comme le disent certains [allusion à des propos acides tenus
ce matin par Valéry Giscard d'Estaing sur Europe 1]. Il y a deux grandes
puissances, ce n'est pas moi qui les ai inventées. La crise de
Cuba, la crise de Berlin, ce n'est pas la France qui pouvait les
régler. C'est un état de fait qui résulte du suicide de l'Europe
pendant deux guerres. Nous refaisons peu à peu de la France une
puissance dont l'avis est nécessaire.
A propos du regroupement des élections, évoqué par
Pierre Joxe : Il est faux de penser que les
Français sont fatigués de l'acte de voter. Ils ont seulement épuisé
avec l'élection présidentielle leur capacité de se passionner. Il
en restait juste un peu pour les législatives. Comme dit l'autre,
je vous souhaite bien du plaisir...
Il n'y a pas que les dictactures communistes qui
sont ébranlées. 53 % des Chiliens refusent le maintien au pouvoir
de Pinochet, dans un plébiscite organisé quinze ans après la mort
d'Allende.
Désordres économiques, sociaux et politiques en
Algérie. Le centre-ville est saccagé par des groupes de jeunes
gens.
Jeudi 6 octobre
1988
Le mouvement de grève des infirmières, amorcé le
29 septembre, s'amplifie. Des manifestations ont lieu dans la
France entière à l'appel d'une coordination. Les syndicats
traditionnels sont dépassés.
François Mitterrand écrit à Jacques Chirac pour le
remercier de sa proposition de mettre un terrain à la disposition
de l'État pour la construction de la Grande Bibliothèque.
En Yougoslavie, incidents à Novi Sad (Vojvodine) à
la suite d'une manifestation en faveur du resserrement des liens
avec la république de Serbie. La direction politique de la province
présente sa démission.
Vendredi 7 octobre
1988
L'Algérie s'enfonce dans la crise économique. La
journée d'aujourd'hui sera décisive ; elle marquera le début d'une
reprise en main ou du pourrissement. L'actuelle explosion spontanée
de mécontentement social est sans doute alimentée par des courants
intégristes. Le Président Chadli va se trouver sous les feux
croisés de ceux qui lui reprochent d'en faire trop (dans le sens de
la libéralisation, de l'ouverture extérieure) et de ceux qui
l'accusent de n'en faire pas assez (sur le plan social). Si nous
voulons adresser un signe d'amitié à l'Algérie, il vaudrait mieux
ne pas tarder à nous montrer ouverts dans nos négociations
financières. Le Président algérien a impérativement besoin d'un
ballon d'oxygène pour desserrer les contraintes qui pèsent sur
lui.
En réponse à la note que je lui ai fait passer à
ce sujet, le Président demande d'agir énergiquement pour faire
aboutir l'accord sur le gaz ; il souhaite que Matignon intervienne
vite et fort.
Le poids de la dette extérieure est en effet au
cœur de la question politique algérienne. Or, elle dépend
entièrement de la France.
Les propositions de Claude Evin aux infirmières,
jugées insuffisantes, sont rejetées.
Bernard Attali va être nommé président d'Air
France à la place de Jacques Friedmann, qui part après l'accident
d'Hobsheim en juin dernier.
Samedi 8 octobre
1988
Dernière réunion des sherpas sous présidence
canadienne, à Rambouillet, en prévision du prochain Sommet de
Paris. Le sherpa américain est encore
Alan Wallis. Américains et Britanniques sont très émus des
déclarations de Jack Lang qui, lors de sa conférence de presse sur
le Bicentenaire, a donné, lyrique comme à l'ordinaire, le sentiment
que le Sommet des Sept serait transformé en Sommet Nord/Sud. Le
sherpa américain me dit que les
services de sécurité de son pays envisagent de remettre en cause
cette date, en raison des problèmes de circulation et de sécurité
que ne manquera pas de poser le Bicentenaire ! Washington découvre
enfin le piège que constitue le choix de la date du 14 Juillet
1989. Affrontement aussi sur la présence de pays du Sud à Paris :
veto absolu à tout ce qui ressemblerait à un Sommet Nord/Sud. Les
Britanniques, toujours prêts à emboîter le pas aux Américains, vont
même, eux aussi, jusqu'à remettre en cause la date du Sommet
!
J'explique que le Sommet des Sept restera celui
des Sept, mais que la France se réserve d'inviter, les 13 et 14,
d'autres chefs d'État à assister aux célébrations du Bicentenaire
auxquelles les Sept seront également conviés. Le moment est
difficile pour moi. Les six autres — sauf peut-être l'Italien — ont
le sentiment d'être tombés dans un traquenard. Ils voient que le
point délicat à régler concerne la soirée du 14 Juillet. En l'état
actuel du programme, le Sommet commencera, comme à Toronto, par une
réunion des chefs d'État, le 14 dans l'après-midi, qui devrait être
suivie d'un dîner restreint le soir. Or, ce soir-là, tous les
autres chefs d'État présents à Paris dîneront en fait aussi avec le
Président français et assisteront ensemble au spectacle, place de
la Concorde. Mais, si on le confirme trop tôt aux Sept, Américains
et Britanniques prendront ce prétexte pour retarder leur arrivée à
Paris au 15 au matin. Je leur dis donc que le Sommet commencera le
14 par une réunion à Sept en fin d'après-midi, mais je ne précise
pas la nature du dîner qui suivra. J'espère, par la suite, rendre
simplement « évidente » l'extension de ce dîner à tous les chefs
d'État du Sud présents à Paris. Naturellement, mes interlocuteurs
ne sont pas dupes. Visiblement, l'Américain, qui est en fin de
mandat, est ravi de laisser la gestion de ce problème à son
successeur. Je suis convaincu qu'en bout de course on obtiendra
l'accord des Sept pour quelque chose comme un « Cancún » au cours
de la journée du 13. Le Japonais m'a déjà transmis l'accord de son
Premier ministre pour être à Paris dès le 13. Je compte sur l'effet
« boule de neige » et la volonté des uns de ne pas laisser la
vedette aux autres. Seule la présence de Gorbatchev ferait fuir à
coup sûr les Sept. Pas question de l'inviter. Dommage...
Nous passons en revue les sujets économiques. En
1989, la situation mondiale devrait être bonne au Nord et
désastreuse au Sud. On s'attend à une croissance de 3 % avec une
inflation stable (sauf en Grande-Bretagne où elle augmente), un
pétrole baissant jusqu'à 15 dollars le baril, des mouvements de
change sur la livre et sur le dollar si Dukakis est élu. Au Sud, la
chute du pétrole, la montée de la dette et des taux d'intérêt, les
difficultés commerciales devraient créer de graves problèmes
sociopolitiques en Amérique latine et dans les pays à revenu
intermédiaire. La négociation commerciale s'enlise : la réunion de
Montréal, le 5 décembre prochain, deux ans après le lancement de
l'Uruguay Round, ne réglera rien, ni sur les services, ni sur la
propriété intellectuelle, ni sur l'agriculture, au sujet de
laquelle les États-Unis exigent toujours la réduction des
subventions, thème sur lequel l'Europe est divisée.
En revanche, mon idée de réduction de la dette des
pays intermédiaires est moins mal reçue que je ne le craignais. Le
Japon propose de créer un fonds garantissant le principal et les
intérêts des dettes, financé par les recettes d'exportation des
pays débiteurs et par des crédits du Japon, et non, comme nous, par
les DTS. La RFA est intéressée. Seuls les États-Unis et le
Royaume-Uni se montrent réservés.
De nombreuses conversations portent sur les pays
de l'Est. Il en ressort que l'URSS sera bientôt candidate au FMI ;
le Sommet de 1989 aura à en parler. Les Américains sont absolument
contre. On sent monter une surenchère du crédit et de
l'investissement des pays occidentaux à destination de
l'URSS.
Les Américains continuent de réunir un groupe à
Six sur la drogue auquel nous refusons de participer (nous n'avions
pas agréé le paragraphe correspondant du communiqué de Toronto). Il
faudra sans doute prendre des initiatives sur ce thème.
Les prochaines réunions de sherpas auront lieu en
Dordogne les 30 et 31 janvier (afin d'y impliquer immédiatement la
nouvelle administration américaine), puis les 8 et 9 avril en
Martinique (pour ne pas être trop éloignés du FMI où beaucoup de
sherpas auront à se trouver jusqu'au 6). Deux autres réunions
auront lieu les 3 et 4 juin (juste après celle de l'OCDE), et les 8
et 9 juillet, en France, en des lieux qui restent à préciser.
Plusieurs sherpas m'interrogent sur le nom du
Sommet : sera-ce le « Sommet de Paris » ? Je suis plutôt contre,
car les réunions ne se dérouleront pas à Paris intra muros, et se poserait, dans ce cas, le
problème du maire de la capitale. Je propose « Sommet de l'Arche
».
Notre ambassadeur à Damas vient m'expliquer que
l'Irak, et Saddam Hussein, sort affaibli de son conflit avec
l'Iran, mais fort de sa victoire relative. Il peut être tenté de
faire payer à la Syrie, qui a soutenu l'Iran, sa « trahison » en y
fomentant des troubles ou en la concurrençant au Liban, notamment
en consolidant financièrement et militairement le camp chrétien. La
décision du souverain jordanien d'abandonner à l'OLP ses
prétentions sur les territoires occupés de Cisjordanie affaiblit le
poids de l'opposition de Damas à l'organisation d'Arafat. Et la
Syrie sera sans nul doute le seul pays arabe à refuser son soutien
à la décision du prochain Conseil national palestinien d'annoncer
la création d'un État palestinien ou la nomination d'un
gouvernement en exil. Isolement prévisible de la Syrie et
triomphalisme conquérant de l'Irak.
Jean-Paul II est en Alsace.
Lundi 10 octobre
1988
Édouard Chevardnadze rencontre Roland Dumas à
Paris.
Mardi 11 octobre
1988
Vu John Fitzpatrick, le patron francophile de
Disney pour l'Europe, qui s'interroge sur les chances de succès
d'Eurodisney. Je lui recommande d'européaniser le parc. De faire en
sorte que ses visiteurs comprennent que les personnages de Disney
sont presque tous d'origine européenne (de Charles Perrault aux
frères Grimm en passant par Andersen). Il approuve.
Sur l'harmonisation de la fiscalité en Europe,
Pierre Bérégovoy se montre réticent. Une mesure de retenue à la
source de 15 % sur les revenus de l'épargne coûterait de 15 à 20
milliards de francs.
Conseil d'administration de TF1. Patrick Le Lay succède à Francis Bouygues
comme président de la chaîne.
François Mitterrand :
Faut-il renationaliser TF1 ?
Pourquoi pas ? Sa privatisation n'avait aucun
sens. On pourrait, à l'inverse, privatiser FR3 et constituer des pôles régionaux multimédias.
Malheureusement, le PS est contre. Chaque
petit notable provincial veut conserver ce qu'il croit être son
pouvoir d'intervention sur la télévision régionale.
Discours de François Mitterrand à l'Institut des
hautes études de défense nationale. La France, rappelle
le Président, ne se
privera d'aucun type d'arme qui serait détenu par les autres
puissances. Il insiste sur la particularité de l'Hadès, qui,
contrairement à ce qu'on entend parfois — dans l'opposition ou
parmi les militaires —, n'est pas la queue
d'une longue série d'armes conventionnelles, mais bien
le début du processus nucléaire.
Autrement dit, une arme stratégique. Le Président avertit son
auditoire que la France ne sera pas éternellement absente des
négociations sur le désarmement. Mais, pour cela, les grandes
puissances devront faire un effort beaucoup
plus considérable.
Michel Rocard est assez
pessimiste sur la participation du corps électoral au prochain
référendum sur la Nouvelle-Calédonie : Il
faudrait passer la barre des 50 % pour
le nombre des votants ; c'est là que se situe la barre
psychologique ; mais ce sera difficile. Le Premier ministre
reproche au Président de tarder à s'engager dans la bataille.
Mercredi 12 octobre
1988
Au Conseil des ministres, à propos de la réforme
de l'audiovisuel et de la création du Conseil supérieur de
l'audiovisuel, François Mitterrand :
A partir du moment
où les lois successives ont épousé les évolutions de notre vie
politique, elles ne pouvaient qu'être récusées par des
gouvernements d'autres tendances. On a commis beaucoup d'injustices
à l'égard de la loi votée en 1982 et que j'avais moi-même
préconisée. La Haute Autorité était une bonne institution avec une
bonne composition, mais des compétences insuffisantes. D'ailleurs,
la présidente [Michèle Cotta] avait
reçu des assurances du chef du gouvernement de 1986 [Jacques
Chirac], selon lesquelles elle serait
maintenue. Apparemment, il a changé d'avis. La nouvelle institution
a été extrêmement marquée par le choix de ses membres. Elle avait
l'avantage d'avoir des compétences plus larges.
Pour souligner la dépendance des membres de la
défunte CNCL à l'égard du gouvernement, le
Président raconte qu'ils ne se sont interrogés que sur
l'orthographe du nom des présidents de chaînes pour qui on leur
donnait instruction de voter ! Les membres de
cette institution ont eu dans leur majorité un comportement
domestique. Il ne faut pas que cela recommence. Il ne faut pas
céder à la passion politique. En 1981, vingt-cinq ou vingt-six
personnes, dont certaines très connues, ont été évincées, à tort.
Je regrette d'avoir laissé faire, mais pouvais-je l'empêcher ?
D'autant que cela résultait pour l'essentiel de conflits de
personnes ou de conflits syndicaux. Le système a été complètement
déséquilibré par la privatisation de TF1, et le secteur public a cru nécessaire d'imiter le secteur
privé dans sa médiocrité. Il ne s'agit pas, bien sûr, de vouloir
contraindre les Français à supporter les élucubrations de ceux qui
se prétendent seuls porteurs de la culture officielle.
L'information doit être indépendante. Je ne dis pas impartiale :
l'impartialité est faite d'une masse de partialités qui se
contredisent. Quand j'ai critiqué la CNCL, on a dit que j'avais
manqué de respect aux institutions de la République. La CNCL, ce
n'est pas une institution de la République, c'est une institution
publique. Et quand on critique le Président de la
République, le Parlement, le Conseil constitutionnel, est-ce que l'on ne manque pas à la
République ? Aucune institution n'est à l'abri de la critique, et
c'est tant mieux. Je ne pense pas que l'on puisse inscrire
immédiatement dans la Constitution le CSA. A ce propos, Raymond
Barre exprimait une pensée juste : il faut d'abord que le CSA fasse
ses preuves. Alors, l'opinion aura le sentiment de contribuer à un
nouveau fondement de la démocratie. Je souhaite que nous soyons en
mesure de « sanctuariser » cette institution.
A propos de l'Algérie, où le gouvernement réprime
très durement la contestation : Nous n'avons
pas à répondre aux sommations. Certains ne pensent qu'à régler
leurs comptes avec l'Algérie au nom des droits de l'homme. C'est
trop facile ! Que de rancunes, de regrets, d'occasions manquées on
essaie là de rattraper ! Bien sûr qu'il n'est pas supportable qu'on
tire dans la foule ! Pas plus supportable que de s'attaquer aux
mechtas avec des lance-flammes. J'entends un élu marseillais
[allusion à Jean-Claude Gaudin] gémir sur la perte de la démocratie
en Algérie alors qu'il est prêt, dans sa ville, à s'allier avec le
Front national ! Ce sont des comédiens, il ne faut pas s'y laisser
prendre ! Bien sûr, il y a aussi les réactions des milieux
sensibles, ils ont raison. Il n'est pas supportable qu'un pouvoir
frappe ainsi son peuple, mais nul ne sait, si Chadli partait, quel
pouvoir lui succéderait. C'est comme en Iran, le régime du Chah
n'était pas supportable ; mais la révolution ne l'est pas
plus, même si ses objectifs sont plus sympathiques. Un
gouvernement comme le nôtre n'a pas à se
prononcer sur l'événement dans les cinq jours. Les mouvements de
pensée, eux, sont libres d'agir et de réagir; ils le font
d'ailleurs au quart de tour.
Que se passe-t-il en Algérie
? Il y a une révolte. Cette révolte a des causes, ce qui conduit à
critiquer la façon de gouverner du gouvernement algérien. Mais
est-ce que cela ne vaut pas pour tous les pays du Tiers-Monde, à de
très rares exceptions près ? Avant 1973, on citait en exemple,
parmi les pays démocratiques du Tiers-Monde, le Chili. Voyez ce
qu'il en est advenu. Il ne faut pas se raconter d'histoires, tous
les pays d'Afrique, ou à peu près, vivent sous la dictature d'un
homme ou d'un parti unique. Cela prouve que le phénomène du
sous-développement est beaucoup plus fort que toute idéologie.
D'ailleurs, la révolution marxiste-léniniste était pour une part
liée au sous-développement de la Russie. Le sous-développement
engendre le cycle infernal révolte/répression. On n'en sortira
qu'en sortant du sous-développement. Je m'indigne autant que
quiconque, mais il faut pousser l'analyse un peu plus loin que la
simple expression d'une émotion.
En ce qui concerne l'Algérie,
ce pays est mal géré, cela crève les yeux. Boumediene a
pratiquement annihilé l'agriculture au profit de l'industrie
lourde. Chadli a naturellement les plus grandes peines à changer
cela. Avec le poids de la jeunesse, les rivalités ethniques, ce
pays n'est pas facile à gouverner.
Puis François Mitterrand
lit un projet de communiqué du Quai d'Orsay sur l'Algérie, qu'il
commente ironiquement : On déplore les
affrontements : très bien... On veut que le dialogue reprenne :
parfait... On n'est pas indifférent : tant mieux... Après avoir dit
ces belles choses, vous n'avez rien dit. Donc, pas de communiqué.
Rien n'est pire que de croire qu'on a une réponse à un moment où il
n'y en a pas. « Apaiser les souffrances », disiez-vous, monsieur le
secrétaire d'État [Bernard Kouchner] ? Oui, bien sûr. Si on nous le demande... N'oubliez pas que
l'Algérie est un pays souverain. Si j'osais plaisanter sur
un tel sujet, je dirais qu'on pourrait leur envoyer nos infirmières
!... Les devoirs de l'État ne permettent pas de prononcer un mot de
travers : il faut savoir supporter la
critique, au besoin en se taisant. Que voudrait-on que nous
fassions ? Va-t-on convoquer l'ambassadeur, lui dire que quand la
France était là, le maintien de l'ordre se passait mieux ? C'est
comme pour Jaruzelski : on s'indigne quand je le rencontre, et
pourtant on ne dit rien quand le pape va le voir ! En même temps,
on couvre Gorbatchev de louanges. On s'en prend aux exécutants et
on caresse le dos du principal inspirateur ! Tout cela est une
hypocrisie qu'il faut bien supporter, mais vous n'êtes pas obligés
de vous en faire les complices !
Que va-t-il se passer en
Algérie ? Je n'en sais rien. Mais, en tout cas, il y a une
hypothèse à laquelle il est interdit, pour l'heure, de penser :
l'établissement de la démocratie. Ce que je viens de dire peut
apparaître comme ne tenant pas suffisamment compte des sensibilités
en France, du sentiment profond que chacun a de l'injustice et de
la souffrance ; il faut naturellement en tenir compte. Monsieur le
Premier ministre, monsieur le ministre des Affaires étrangères,
vous le ferez. Les Algériens qu'on entend sont surtout ceux qui
vivent ici : par définition, ce sont des opposants, des
intellectuels. Quand je le pouvais, j'aimais mieux les
fréquenter que les chefs d'État. Ils sont sympathiques, leurs rêves sont démocratiques, mais j'ai appris
à me méfier des rêves.
Il faut faire attention au
Maghreb. Kadhafi est toujours là, le Front Polisario n'accepte pas
l'accord entre le Maroc et l'Algérie, l'intégrisme est présent
partout. Alors, monsieur le ministre [Roland Dumas],
à l'Assemblée, à ceux qui s'expriment
sincèrement vous répondrez sincèrement ; à ceux qui s'expriment par
calcul vous répondrez brutalement.
Jeudi 13 octobre
1988
Réunion à Matignon autour de Michel Rocard
(Bérégovoy, Fauroux, Dreyfus, Huchon, Lyon-Caen et Sautter) pour
discuter d'éventuelles renationalisations et de remise en cause des
noyaux durs. Discussion fondamentale sur l'avenir du capitalisme
français :
Michel Rocard :
Je suis pour une cohérence de l'action
gouvernementale. Il faut se mettre d'accord sur les « noyaux durs »
à défaire... Pebereau vise à reconquérir la Société Générale et
indirectement la CGE, Paribas est en train d'être acheté par des
Irakiens, des Saoudiens, des Koweïtiens et M.
Eskénazi...
Pierre Bérégovoy : Les
« noyaux durs »
mis en place par le RPR sont inacceptables. Il faut laisser faire
ceux qui agissent sur le marché et se contenter de lever, par un
projet de loi de deux articles, l'interdiction faite aux « noyaux
durs » de ne vendre des actions, les troisième, quatrième et
cinquième années, que par consensus. Cela suffira. Il faut aussi
moraliser la Bourse en sanctionnant les achats massifs non
déclarés, et faire émerger une nouvelle génération de dirigeants.
Il ne faut pas s'opposer aux achats étrangers : les capitaux
extérieurs sont bienvenus pour notre balance des paiements. Pour la
CGE, impénétrable directement, Pebereau essaie d'y entrer via la
Société Générale. Il a raison. Pour ce qui est de Suez, affaibli,
les Assurances du Midi cherchent à s'en rapprocher.
Roger Fauroux :
Les dirigeants de Suez, CGE, Paribas sont
faibles. Les socialistes ne doivent pas donner une impression
d'affairisme. Il faut rompre le lien intolérable entre la CGE et la
Générale Occidentale.
Tony Dreyfus cite L'Événement
du jeudi qui parle d'Harriri, Traboulsi et autres financiers
du Moyen-Orient.
Pierre Bérégovoy :
Je n'ai pas vu Eskénazi ! Conformément aux
instructions du Président, je lui ai fait savoir que sa tentative
de prendre Paribas serait vaine. Personnellement, je pense, au
contraire du Président, que nous aurions pu l'appuyer et tenter
ainsi d'avoir un grand groupe financier européen
franco-belge...
Roger Fauroux :
En France, l'État doit exercer une
magistrature morale.
Michel Rocard conclut :
Il faut réfléchir au projet de loi déliant les
« noyaux durs », éventuellement dès cet automne. Ce projet de loi
passera bien : nous diviserons les libéraux. Il faut mettre en
chantier la réforme de la Bourse, rendant les sanctions plus
strictes. Je propose une nouvelle réunion dans un
mois.
Manifestation d'infirmières à Paris (80 000
personnes).
A 16 heures, Claude
Evin, ministre de la Santé, vient d'apprendre que Michel
Rocard a prévu d'intervenir au journal télévisé de 20 heures pour
annoncer qu'il va prendre lui-même en main la négociation. Furieux,
il appelle le Premier ministre : Tu ne peux
pas faire ça ! D'abord, tu me fais perdre la face. Ensuite, comme
le problème n'est pas réglé, tu vas te planter ! Et de
menacer, si Rocard s'entête, de démissionner. Le Premier ministre
estime que, comme pour la Nouvelle-Calédonie, il est le seul à
pouvoir sortir le gouvernement du guêpier.
A 19 heures 40, Michel Rocard téléphone à Claude
Evin et l'informe qu'il renonce à prendre directement la direction
des opérations : A TF1, dit-il, je
vais
essayer de calmer le jeu. Tu
termines la négociation comme tu peux. J'avaliserai ensuite
l'accord à Matignon.
Sur TF1, Michel Rocard explique qu'il n'ira pas plus loin que
les propositions faites par Claude Evin, ministre de la Santé :
Si on va trop loin, ce sont toujours les
salariés qui perdent.
Vendredi 14 octobre
1988
A 2 heures du matin, Evin téléphone à Rocard. Le
ministre de la Santé affirme que la CFDT et FO sont prêtes à signer
un accord ; les autres syndicats et la coordination suivront, il
s'en porte garant. Le Premier ministre convoque aussitôt tout le
monde à Matignon. A 3 heures, les syndicats et la coordination le
rencontrent, persuadés qu'il a de nouvelles propositions à leur
faire ! De son côté, le Premier ministre croit que tout a été réglé
par Evin. C'est donc l'échec. Michel Rocard
: Encore un coup comme ça, et notre
crédit sera égal à zéro !
Sur TF1, Michèle Cotta commente les conflits sociaux qui
agitent la France depuis le début du mois : Conformément à l'habitude qu'il donne aux Français depuis
cinq mois, Michel Rocard, hier soir, est monté une fois de plus en
première ligne. Jamais, sans doute, un Premier ministre de la
Ve
République n'aura autant joué les fusibles,
prenant directement les coups, se battant successivement sur tous
les terrains, en laissant le Président de la République dans son
rôle d'arbitre et sans que les remous sociaux remontent jusqu'à
l'Élysée.
Samedi 15 octobre
1988
Le Président est en
visite à Bron, dans le Rhône. Aux élus socialistes il déclare :
Le climat social se dégrade, c'est l'évidence.
Les décisions sont prises trop tard. La gauche paraît oublier
qu'elle est la gauche. Les gens qui sont dans la rue, ce sont
ceux-là mêmes qui, toujours, nous soutiennent. Il faut en tenir
compte.
Puis, à Oullins : Je veux
simplement que le dialogue s'organise entre gens
compétents.
Michel Rocard téléphone aussitôt à François
Mitterrand qui est en train de dîner en compagnie de Jean Poperen,
Pierre Joxe et Louis Mermaz. Le Premier
ministre est furieux : Puisqu'il faut
des « gens compétents », les infirmières vont sûrement vous
demander audience...
François Mitterrand
l'apaise : Ce n'était pas de la défiance à
l'égard de votre gouvernement, je lui fais confiance, je l'ai dit
dans mon discours... Je n'ai pas l'intention de faire votre
travail... Mais je ne peux pas rester silencieux...
Revenu à table, le
Président commente : Nous sommes à un moment décisif. La méthode Rocard semble en train d'échouer...
Le gouvernement s'est engagé dans une stratégie
dangereuse. Quand on lâche 1 milliard, puis 1,4 milliard, puis 1,6
milliard, on s'expose à la surenchère.
Evin s'est pris pour un superman et il a pris tout le monde au piège... Quand j'entends Rocard expliquer qu'il y a des revendications
justifiées et que l'opinion publique approuve, c'est le plus bel
appel à la grève que j'aie jamais entendu.
Le soir même, l'Élysée fait publier un communiqué
réaffirmant que le Président fait confiance au gouvernement. Mais
les nouvelles propositions avancées en son nom par Claude Evin ont
été une fois de plus rejetées par la coordination des
infirmières.
Le Comité central du RPR appelle pour le
référendum sur la Nouvelle-Calédonie à une non-participation engagée et motivée. En français,
cela s'appelle l'abstention. L'UDF, en revanche, a déjà prôné le «
oui ».
Dimanche 16 octobre
1988
Dans Le Journal du
dimanche, Michel Rocard déclare :
Nous sommes confrontés à un vaste problème d'explication. Il a
des mots malheureux sur l'énervement
des infirmières.
Mardi 18 octobre
1988
Les infirmières accusent le Premier ministre et le
ministre de la Santé de les mépriser. Elles réclament un
médiateur.
Élisabeth Guigou, répétant des propos d'Édith
Cresson, accuse Pierre Bérégovoy de vouloir se dérober à la
discussion sur l'harmonisation de la fiscalité et d'essayer de ne
pas appliquer la directive européenne sur le sujet.
Voilà qui est sévère pour
Pierre Bérégovoy qui est au front, observe Christian Sautter, secrétaire général adjoint de
l'Élysée, lequel a un faible pour les métaphores militaires.
Mercredi 19 octobre
1988
Au Conseil des ministres, Lionel Jospin s'inquiète
de la rentrée universitaire. Manque de crédits. Il plaide pour une
loi de programmation pour l'éducation. Jean-Pierre Soisson approuve
vigoureusement.
Jack Lang, lui, s'inquiète des crédits des
bibliothèques universitaires, en diminution, et, par voie de
conséquence, de l'avenir du projet de Grande Bibliothèque.
François Mitterrand :
L'effort pour l'Éducation nationale et ce qui
va avec (recherche, formation) est l'engagement principal du
gouvernement. A l'intérieur de cette priorité, c'est au
gouvernement de voir ce qu'il convient de mettre en avant. S'il y a
de plus en plus d'étudiants, il n'y a aucune raison de se plaindre
: c'est tant mieux. C'est vrai que beaucoup d'universités sont en
très mauvais état, avec un entretien insuffisant, des locaux et une
architecture médiocres.
Sur l'idée d'une loi de
programmation, j'exprime mon extrême réserve. Ces lois deviennent
très contraignantes ; en même temps, elles ne sont pas respectées,
et vous permettrez à l'opposition d'avoir une attitude démagogique
dans le débat. Par contre, une programmation gouvernementale qui
ait valeur d'engagement, pourquoi pas ? Après tout, ce gouvernement
est fait pour durer...
A propos de la communication de Roger Fauroux sur
les entreprises publiques industrielles et le rôle de l'État
actionnaire, Jean-Pierre Chevènement
suggère : Il serait très bien de faire élire
les présidents des entreprises publiques par leur conseil
d'administration.
Édith Cresson appuie :
Excellente idée.
Michel Rocard est enthousiaste.
François Mitterrand :
Je vais peut-être vous surprendre, mais j'ai
un sentiment très différent de celui de Jean-Pierre Chevènement,
d'Édith Cresson, de Roger Fauroux et du Premier ministre. C'est
nous qui, pour l'essentiel, nommons déjà les administrateurs. Ou
bien ceux-ci choisiront qui ils voudront, et je ne vois pas, en ce
cas, pourquoi on a nationalisé ; ou bien ils feront comme on leur
dira, et cela ne trompera personne. Vous faites preuve d'une
ouverture d'esprit tout à fait excellente, mais elle me paraît
s'appliquer à un mauvais sujet. Cela dit, mon tempérament n'est pas
plus dirigiste que celui de ceux qui sont intervenus ; j'ai même eu
l'impression d'avoir trouvé le ministre de l'Industrie plus
interventionniste que moi ; j'ai cru retrouver le Jean-Pierre
Chevènement de 1982-1983, et vous savez que je m'étais un peu
gendarmé à l'époque ! Il est clair qu'ilfaut une stratégie pour les
entreprises, mais il ne faut pas une bureaucratie. Il ne faut pas
que les PDG soient obligés de demander à chaque instant une
autorisation aux sous-chefs de bureau.
Par ailleurs, l'état de notre
commerce extérieur avec la RFA a dépassé le stade de la
catastrophe. On devrait avoir 60 milliards de francs de déficit
cette année. Il n'y a aucune raison pour que nous renoncions à la
reconquête du marché allemand. Il faut donc se mobiliser là-dessus,
il faut une troupe spécialisée, aguerrie, qui s'acharne sur ce
pays, petit par la taille. Après tout, cela doit être moins
désagréable pour les cadres que de s'installer au Japon ou en Chine
: on peut revenir le week-end ! Là, les entreprises publiques
doivent jouer un rôle majeur.
François Mitterrand
déplore l'amateurisme de beaucoup de chefs d'entreprise. Il ajoute
: Il va y avoir quelques semaines un peu
délicates pour le gouvernement à cause des mouvements sociaux,
mais, en cinq ans, la France doit être en mesure d'arriver au bout
de ses difficultés.
A propos de la demande de recours à l'article 49.3
: Cette demande ne peut qu'être acceptée, même
si l'article 49.3 a donné lieu à des abus dans une période
récente. C'est un moyen constitutionnel que j'estime ne pas pouvoir
refuser au Premier ministre. Il faut que vous
ayez des annes dans votre gibecière ; avec celle-là, soyez
tranquille, cela marchera. Mais si vous pouviez vous en passer, ce
serait encore mieux.
Léon Schwartzenberg
présente à la presse le comité de soutien à la coordination des
infirmières, qu'il a formé : On parle de la
méthode Rocard. Mais la méthode Rocard, qu'est-ce que c'est ? Il
reçoit Tjibaou et Lafleur et, à 3 heures du matin, il aboutit à un
accord. Il reçoit les gardiens de prison et, à 3 heures du matin,
il leur fait signer un texte. Mais il oublie que les infirmières,
elles, travaillent la nuit. A 3 heures du matin, vendredi dernier,
elles étaient encore lucides... Rocard accuse les infirmières
d'être énervées. Mais il ne leur a pas fait ce reproche quand il a
eu besoin d'elles pour ses piqûres dans les fesses !
Au cours des « questions d'actualité », à
l'Assemblée, Michel Rocard annonce pour
dès cet hiver une revalorisation dans la fonction publique.
Pierre Bérégovoy, boudeur, précise que
l'État ne financera pas le progrès social par la planche à billets.
Jeudi 20 octobre
1988
Lionel Jospin, très surpris par la « proposition
de programmation gouvernementale » formulée la veille par François
Mitterrand au Conseil, rencontre le Président pour préparer
l'émission Questions à domicile, à
laquelle il participera ce soir. Il obtient l'autorisation
d'annoncer une loi d'orientation pour l'Éducation.
Grève nationale des fonctionnaires. Le PS les
soutient explicitement.
Le Président est mécontent d'un article du
Monde rapportant des propos qu'il
aurait tenus aux infirmières, que celles-ci auraient répétés et
selon lesquels le gouvernement en aurait déjà fait assez, sinon
trop, pour elles : Je n'ai jamais dit « trop
», si ce n'est peut-être « trop tout de suite » ou « trop d'un coup
»...
Vendredi 21 octobre
1988
Je suis à Manille afin d'inviter Cory Aquiño au
Sommet du 14 Juillet 1989. Réponse positive. Elle ne souhaite
cependant pas encore l'annoncer publiquement, mais nous autorise à
faire état de son accord auprès des autres invités. Elle me fait
visiter les appartements du Président Marcos. Le sommet du mauvais
goût est atteint par l'extravagante collection de chaussures de
Madame Marcos. Formidable frénésie d'accumulation, façon comme une
autre de lutter contre la mort.
Je vois vendredi prochain Rajiv Gandhi à Delhi
pour lui remettre la même invitation.
Il faudrait inviter encore deux Sud-Américains
(Mexique et Argentine), la Chine, et deux Africains (dont le
président du Zimbabwe, parce qu'il est aussi président des
non-alignés, et la Côte d'Ivoire).
Le Président, à qui je
fais mon rapport, note : Et le Gabon
?
Lundi 24 octobre
1988
Helmut Kohl est à Moscou pour sa première visite
officielle en URSS.
Georges Pebereau annonce son offensive financière
pour prendre le contrôle de la Société Générale, en accord avec
Pierre Bérégovoy.
La CFDT, FO et la CFTC acceptent les ultimes
propositions de Claude Evin (reconnaissance du corps des
infirmières, création d'un deuxième grade, indices de carrière).
Mais la coordination informelle des grévistes refuse de
signer.
Sur Europe 1, ce soir, Michel Rocard se félicite
d'avoir pu parvenir à un accord avec les infirmières et annonce
l'ouverture de négociations avec les syndicats de fonctionnaires.
Fin de la grève des infirmières.
Mardi 25 octobre
1988
Vu Emmanuel Le Roy Ladurie. La pression de la
Bibliothèque nationale, et des lecteurs privilégiés qu'elle
rassemble, s'accroît autour du projet de Grande Bibliothèque. Très
habilement, l'administrateur général souhaite récupérer la manne
qui s'annonce...
François Mitterrand est
en Égypte. Au bord du canal de Suez, il devise, off, avec des journalistes : Je vais intervenir dans la campagne sur le référendum. Le
Premier ministre a eu raison de durcir le ton. Ce sont ceux qui
veulent remettre en cause la décision du peuple qui l'ont durci en
premier. Je sais que beaucoup de gens ne sont pas d'accord. Eh
bien, ils devraient le dire un peu plus... A moins qu'après tout il
y ait là une logique : ils se sont donné M. Pons comme chef de
file, c'est-à-dire ce qu'il y a de pire, de plus bêtement
réactionnaire. Ou de plus bête, tout simplement...
François Mitterrand rencontre Hosni Moubarak à
Ismaïlia. Le Raïs intervient auprès des Palestiniens pour éviter
que ceux-ci ne prennent une décision sur un éventuel État ou un
éventuel gouvernement provisoire palestinien avant les élections
américaine et israélienne. Il estime que tout fait nouveau de cet
ordre poserait des problèmes à la communauté internationale et
risquerait de faire perdre à l'OLP une partie des soutiens dont
elle dispose. D'autre part, les candidats américains et israéliens
seraient amenés à réagir à ces décisions et à prendre, vis-à-vis de
leur opinion, des engagements sur lesquels il leur serait difficile
de revenir rapidement par la suite. Arafat a pris en considération
cette position, sans cependant se lier : il est probable qu'il
demandera au Conseil national palestinien un mandat d'orientation
qui sera précisé ultérieurement (après les élections) par les
instances exécutives.
Sur le Liban, Hosni Moubarak
: Je regrette vivement l'accord
Murphy-Assad, qui ne peut qu'aggraver les dégâts. Pourquoi, d'autre
part, renforcer la position de la Syrie au moment où celle-ci, qui
constitue le principal obstacle au processus de paix, est affaiblie
? Il existe enfin des complicités objectives entre Israël et la
Syrie, qui compliquent encore la situation au Liban.
François Mitterrand :
Nous ne sommes pas en charge d'assurer la
défense des chrétiens du monde, mais l'effacement ou la disparition
du petit noyau chrétien du Proche-Orient serait considéré par la
France comme un fait très grave.
Dans le conflit Irak/Iran, le Président Moubarak
explique la position de Bagdad en faveur du maintien du siège des
négociations à Genève : il se porte garant de la volonté des
Irakiens de parvenir à la paix, mais déplacer les négociations à
New York, compte tenu de l'éloignement et des influences qui s'y
exercent, ne leur paraît pas souhaitable.
François Mitterrand :
Peut-être pourrait-on rechercher une solution
de compromis qui consisterait à garder le siège des négociations à
Genève, mais à faire périodiquement référence et compte rendu à New
York ?
Hosni Moubarak :
L'aide que la Syrie apporte à l'Iran est un
fait très grave et provoquera des réactions arabes communes contre
la Syrie, car celle-ci a trahi son camp. La Syrie ne viole-t-elle
pas ainsi le pacte arabe de défense, alors qu'elle reproche à
l'Égypte de l'avoir fait en réalisant la paix avec Israël
?
Michel Rocard, Jean-Pierre Chevènement et Pierre
Mauroy entament, à Belfort, la campagne pour le référendum sur la
Nouvelle-Calédonie.
Mercredi 26 octobre
1988
Au Conseil des ministres, François Mitterrand intervient après l'exposé de
politique internationale de Roland Dumas : Sur
le Proche-Orient, je ne m'attends pas à une avancée sérieuse d'ici
longtemps. Le Plan Allon, que j'avais approuvé en son temps,
reprend du relief ; ça bouge un peu. Le Président Herzog préconise,
plutôt qu'une conférence internationale, une rencontre directe,
mais, en même temps, il récuse l'interlocuteur : ce n'est pas très
sérieux.
Il commente ensuite la récente rencontre
Kohl-Gorbatchev en URSS : On s'interroge sur
les véritables intentions allemandes. Il faut plutôt se demander
quels sont les véritables intérêts de l'Allemagne. Ce sont ceux de
sa géographie. Elle est entre les deux blocs : comment voulez-vous
qu'un tel pays n'ait pas le regard tourné des deux côtés ? Pour
l'URSS, il y a deux non possumus : la
réunification et la détention de l'arme nucléaire par l'Allemagne,
voire même un droit de regard de l'Allemagne sur son emploi. Le
rapprochement entre l'URSS et la RFA ne présente guère
d'inconvénients majeurs, et il présente quelques avantages. En
Allemagne, le nationalisme passe par le neutralisme, pour éviter la
dépendance des États-Unis.
Nous-mêmes, nous devons
revenir en force en Europe de l'Est. Il y a le problème polonais,
le durcissement tchèque, les folies roumaines, le suivisme
bulgare... Tout cela complique les choses, mais j'irai dans chacun
des pays d'Europe de l'Est, ou presque, dans les mois qui
viennent.
Par rapport à l'Allemagne,
notre problème est de trouver un meilleur équilibre en matière de
commerce extérieur. Comme on le disait il y a quelque temps en
politique intérieure, l'union est un combat. En tout cas, c'est une
concurrence qu'il faut gagner. Au-delà de l'intérêt pour notre
sécurité, notre arme nucléaire nous donne une capacité diplomatique
supplémentaire. Le général de Gaulle a eu le grand mérite de
concevoir l'indépendance à partir de la dissuasion nucléaire.
D'autres hommes ont joué aussi un rôle important, comme Pierre
Mendès France, dont j'ai relu récemment les décisions de
l'époque. C'est donc un mouvement français.
D'autres choix auraient pu être faits ; aujourd'hui, il n'en est
pas d'autres possibles.
Puis le Président fait
un exposé historique des relations entre l'URSS et la France. Il
termine par : C'est l'année même où l'Amérique
a été découverte que la Russie a envoyé ses premiers ambassadeurs
en Europe occidentale.
François Mitterrand
adresse, à propos du référendum sur la Nouvelle-Calédonie, un
message au Parlement dans lequel il déclare qu'il s'agit
d'assurer la victoire de la concorde et de la
paix.
Jeudi 27 octobre
1988
Mise sur orbite du satellite TDF 1.
Sommet franco-italien en Arles. François Mitterrand : Gorbatchev
s'est fabriqué une opposition de gauche pour devenir un personnage
au centre.
Débat houleux, hier, à l'Assemblée, à propos de la
Nouvelle-Calédonie. Ce qu'en a retenu le président du groupe RPR,
ce sont moins les mots « lâcheté » et « désertion » employés par
Michel Rocard à l'adresse du parti chiraquien que le comportement
de Raymond Barre. On me rapporte que Bernard
Pons aurait lancé : Avez-vous vu le
gros [Barre] ? Il n'a pas bougé ! Il
n'a même pas applaudi quand l'UDF et l'UDC ont critiqué Rocard !
C'est le traître dans toute sa splendeur, c'est le vrai traître
!
Vendredi 28 octobre
1988
Voyage à Dehli. Rajiv Gandhi accepte de se rendre
à Paris le 14 Juillet prochain.
Dimanche 30 octobre
1988
Altercation entre Michel Charasse et Pierre
Arpaillange devant le congrès du syndicat des avocats de France à
Clermont-Ferrand à propos de leurs conceptions divergentes sur la
justice, les prisons, les droits des uns et des autres. Il s'agit
surtout d'antipathie personnelle. Christian Sautter, secrétaire
général adjoint de l'Élysée, de permanence, prévient le Président
et Matignon. L'Élysée et Matignon se mobilisent pour dissuader le
ministre de la Justice de quitter le gouvernement. Jean-Louis
Bianco assure Pierre Arpaillange du soutien du Président. François
Mitterrand engueule Charasse et le fait savoir au garde des
Sceaux.
Lundi 31 octobre
1988
Pierre Arpaillange reste fermement décidé à
démissionner s'il n'obtient pas réparation. Dans la soirée, Michel
Charasse publie un communiqué dans lequel il dément les propos
qu'il a tenus devant la presse et assure le garde des Sceaux de sa
solidarité. Jean-Paul Huchon, directeur de cabinet de Michel
Rocard, téléphone à Arpaillange pour lui proposer de venir mercredi
à Matignon s'entretenir avec le Premier ministre et le ministre du
Budget. Refus du garde des Sceaux, qui demande à être reçu seul par
Michel Rocard.
Mardi 1er novembre 1988
François Mitterrand est
à Aix-la-Chapelle, où il doit recevoir, avec Helmut Kohl, le prix
Charlemagne, créé en 1949 pour récompenser des contributions à
l'unité européenne. Il évoque à nouveau l'importance culturelle du
projet Eurêka audiovisuel. La question sera évoquée au Sommet
européen de Rhodes. Il propose la tenue d'assises de l'audiovisuel
sur le modèle des assises de la technologie. Il déclare en outre :
L'Europe que nous bâtissons veut être
maîtresse de son destin et doit rester ouverte à toute autre partie
d'elle-même. L'Europe, c'est nous et quelques autres. Entre nous et
ces quelques autres, ne pensons pas rivalité : elle existe dans les
faits, les idéologies, les intérêts économiques, les
systèmes commerciaux, les formes de pensée ou de philosophie.
Mais pourquoi inscrire ces formes diverses
dans une fausse éternité ? Ce que nous faisons montrera ses valeurs
attractives à l'Europe qui n'en est pas. Et nous avons à retirer
beaucoup de cette Europe-là pour parfaire ce que nous sommes...
Nous sommes à l'orée d'une année, 1989, qui nous rappelle des
souvenirs, à nous particulièrement, Français, mais aussi au reste
du monde, et il se trouve que, précisément, après l'Allemagne qui a
vraiment bien rempli son rôle, l'Espagne et la France auront tout
au long de l'année prochaine à présider aux destinées de la
Communauté...
En remplacement de Claude Cheysson, qui quitte son
poste à Bruxelles, Simone Veil suggère au Président de nommer
Christiane Scrivener.
Mercredi 2 novembre
1988
Un seul fait à noter au Conseil des ministres.
François Mitterrand à propos du satellite
TDF : Il a été lancé et bien lancé. Je m'en
suis d'autant plus réjoui que je suis de ceux qui se sont battus
pour que cette décision soit prise. Il reste à déployer les
antennes. Il faut que, d'ici à la fin du mois de décembre, le
gouvernement cait fixé les règles du jeu et qu'ensuite l'organisme
qualifié procède à l'appel des candidatures. Il ne faut pas prendre
de retard pour bénéficier de cette technique nouvelle. C'est une
très grande opération.
Jacques de Larosière m'informe du résultat des
deux premières réunions du Comité Delors sur l'union monétaire dont
il est membre et nous expose les propositions qu'il doit lui
soumettre pour hâter et concrétiser l'achèvement de l'union
économique et monétaire. Un Fonds de réserves européen (FRE) serait
d'abord créé et interviendrait sur les marchés des changes en
monnaie des pays tiers (et en monnaies communautaires). Le FRE
disposerait de réserves données par chacune des banques centrales.
Il aurait pour mission de préparer l'avènement de la monnaie
commune et de faire réaliser des progrès concrets dans le
développement de l'écu. Seraient membres du FRE toutes les banques
centrales de la CEE, à la condition que leur monnaie participe au
mécanisme de change (ce qui exclurait pour l'instant le
Royaume-Uni) et que soit mise en commun une partie de leurs
réserves de change. La direction du FRE serait assurée par un
conseil d'administration composé des gouverneurs des banques
centrales et présidé à tour de rôle, tous les deux ans, par l'un de
ses membres. La création de ce Fonds de réserve implique un nouveau
traité.
Jean-Claude Trichet, le directeur du Trésor, est
opposé à ce schéma ; pour lui, les ministres devraient conserver le
contrôle politique et assurer la coordination des politiques
économiques. Actuellement, le Conseil des ministres des Finances ne
joue pas du tout ce rôle ; il n'est qu'une juxtaposition de
monologues.
Jeudi 3 novembre
1988
52e Sommet
franco-allemand à Bonn. Comme prévu, il consacre le projet de
création, au 1er janvier 1990, d'une
chaîne de télévision culturelle commune. C'est encore une
initiative du Chancelier.
Au cours des entretiens avec Helmut Kohl, le
Président confirme, à propos de la négociation sur le désarmement
conventionnel, qu'il n'est pas question de discuter à Vienne à
vingt-trois (c'est-à-dire OTAN contre Pacte de Varsovie). On parle
à trente-cinq (c'est-à-dire tous, avec les Européens neutres), et
rien d'autre.
Je rencontre à Dacca le Président du Bangladesh,
enthousiaste sur le projet des grands barrages. Dans la capitale et
aux alentours, pas traces de mendiants. Misère digne, révolte
muette. Dans la mise en œuvre du plan d'endiguement, il faudra
s'entendre avec les autres riverains sur l'usage de l'eau.
Difficile. L'Inde est sourcilleuse et voudrait garder ainsi un
contrôle sur Dacca.
Vendredi 4 novembre
1988
Moscou annonce une suspension du retrait des
troupes soviétiques d'Afghanistan en vue d'imposer la négociation à
la résistance.
Le Président confirme à Kohl qu'il n'est pas
question de discuter à vingt-trois. On parle d'un compromis très
compliqué pour une triple négociation en trois zones : Nord, Centre
et Sud, chacune avec des participants différents, mais cela ne
marche pas (États-Unis, Grèce et Turquie n'en veulent pas).
Dimanche 6 novembre
1988
Référendum sur la Nouvelle-Calédonie. Le « oui »
l'emporte avec 79,99 % des suffrages exprimés, mais l'abstention
atteint le niveau record de 62,96 %. Le « non » est majoritaire à
Nouméa et dans cinq autres communes caldoches.
Mardi 8 novembre
1988
George Bush est élu Président des États-Unis. On
jugera de sa politique au choix des hommes : gardera-t-il auprès de
lui les ministres de Reagan ?
Michel Camdessus vient me proposer la dévaluation
du franc CFA. Cela conduirait en Côte d'Ivoire (moyennant un
programme d'austérité très rigoureux) à un retour à l'équilibre des
comptes extérieurs, à une légère amélioration de la croissance (de
2,1 à 3,5 %) et à une réduction du déficit budgétaire de 10 à 8 %
du PIB. Mais cela entraînerait aussi une hausse des prix sensible
(de l'ordre de 15 %) et ne permettrait aucune amélioration ni du
poids, ni du service de la dette. Enfin, cela ne permettrait aucun
développement des exportations de matières premières ou de produits
de substitution.
François Mitterrand s'y oppose : pas question
d'une dévaluation du franc CFA. C'est pour lui un choix politique,
qui consiste à ne pas contredire le président Houphouët sur un
sujet aussi sensible.
Sur l'Éducation nationale, grâce à Lionel Jospin,
les engagements pris avant l'élection présidentielle ont été tenus
: son budget pour 1989 augmentera de 5,6 %, soit 11 milliards ; 12
382 emplois seront créés, dont 4 200 dans les lycées et 1000 postes
de maîtres de conférences dans les universités ; les postes offerts
au concours du second degré ont été augmentés de 40 % ; le taux des
bourses pour les étudiants a été majoré.
Reste à modifier les rythmes scolaires, à réduire
les taux d'échecs, à mieux accueillir et orienter les élèves et les
étudiants, de plus en plus nombreux à tous les niveaux. Une
priorité absolue : la formation des maîtres.
Notre ambassadeur à Alger nous envoie un rapport
confidentiel très alarmiste. La situation se dégrade de jour en
jour : la position du Président Chadli, unanimement considéré comme
faible et peu capable, ne cesse de vaciller. Le FLN, les
communistes algériens, l'essentiel de l'armée multiplient les
embûches contre lui, l'objectif étant d'empêcher à tout prix la
victoire de la ligne Chadli au Congrès du FLN, en mettant en
évidence la « complaisance » des hommes du Président vis-à-vis de
la France. C'est ainsi qu'il faut comprendre de nombreuses
escarmouches sur l'affaire des enfants de couples mixtes, sur la
francophonie, sur les établissements culturels français, etc. Le
ministre de l'Intérieur est critiqué pour avoir un entourage
francophone. L'équipe Chadli aurait vu dans les récentes émeutes la
possibilité de retourner la situation à son profit. Elle aurait
ainsi délibérément décidé de retirer la police devant les
émeutiers, pour obliger l'armée à intervenir et discréditer
celle-ci par ses excès prévisibles. Beaucoup d'Algériens sont
convaincus que les tireurs isolés disséminés dans la foule, qui
s'en prenaient aux militaires pour entraîner une riposte, étaient
en fait des policiers en civil. Grâce à cette utilisation des
émeutes, le Président Chadli a repris l'initiative : référendum,
limogeage du général responsable de la répression militaire et du
patron du FLN, Messaadia. Aujourd'hui, au sein de l'armée et du
FLN, la haine serait donc à son paroxysme contre le
Président.
Mercredi 9 novembre
1988
Au Conseil des ministres, à propos du référendum
sur la Nouvelle-Calédonie, François Mitterrand
: C'est le premier référendum qui soit
dépourvu de tout aspect plébiscitaire et semblable à ce qui se fait
dans certaines démocraties. La bataille politique a été
suffisamment atténuée de part et d'autre pour que les passions ne
viennent pas à la rescousse, ce qui a naturellement limité
l'ampleur du vote. Malgré tout, 12 millions de Français se sont
dérangés pour 165 000 de leurs compatriotes qui sont aux antipodes.
On ne sait pas par quelle magie on aurait pu faire mieux. Ce n'est
pas une consultation de même nature que celles qui mettent en jeu
le pouvoir. Je ne prends pas du tout ce résultat comme fâcheux et
je ne considère pas qu'il comportera des conséquences désagréables
pour la majorité ou pour le gouvernement. Je regrette évidemment
qu'on n'ait pas atteint un niveau plus élevé. En tout cas, vous
n'avez nul besoin de verser des pleurs sur le passé. L'important
est que cela entraîne une situation de droit nouvelle. Ceux qui
estiment que la portée du vote dépend du nombre des votants
manquent aux principes élémentaires de la démocratie. Dirait-on
qu'un texte de loi parlementaire a plus ou moins de portée
juridique selon le nombre des députés en séance ? Combien de débats
de société, une fois passé l'émotion, auraient mobilisé 40 % de
l'électorat ? Au fond, contrairement à ce qui est souvent dit, il
n'y a sans doute pas d'aspiration profonde à la multiplication des
référendums...
Michel Durafour rend ensuite compte des
négociations dans la fonction publique. Cela avance. Michel Rocard
précise qu'une clause de rendez-vous est admise, mais qu'il n'y
aura pas d'indexation.
François Mitterrand :
J'insiste sur cet élément. Tout ce qui
ressemblerait à une indexation reviendrait sur les très difficiles
décisions prises par le gouvernement de Pierre Mauroy en 1983 et
qui ont été salutaires. Certes, la frontière est souvent imprécise
dans le vocabulaire, mais, même si elle n'est pas clairement
formulée, elle devrait être respectée. dl est vrai qu'on ne peut
réserver les avantages de la croissance aux plus aisés. S'il y a
une plus grande richesse, il faut que ses fruits soient
équitablement partagés. Que les progrès soient partagés par toutes
les couches sociales de la nation ? Oui ! Automatiquement ? Non.
D'autant plus que vous avez, avec sagesse et prudence, à réaménager
ce qui a été décidé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ce
qui vous conduira à apprécier l'utilité de tel ou tel groupe social
pour les années 90 [allusion à la grille de la fonction
publique].
Déjeuner avec Jack Lang, Émile Biasini, Dominique
Jamet, Christian Dupavillon, Christian Sautter, Michel Melot et
Patrice Cahart. Nous faisons le point sur le projet de Grande
Bibliothèque. Cahart propose dans son rapport que celle-ci reprenne
tous les livres entrés à la BN à partir de 1945. Il en coûterait
autour de 2 milliards de francs, auxquels il faudrait ajouter de 1
à 1,5 milliard pour la logistique technologique. Coût total du
projet : 3,5 milliards. Le rapport recommande la fusion avec la BN
en un seul établissement public doté du même président.
Sitôt le rapport remis, sera préparée la
consultation d'architectes, laquelle sera lancée le 30 mars.
L'architecte sera choisi avant le 1er
septembre et les travaux commenceront en décembre 1989.
Pour le terrain, Émile Biasini propose de choisir
entre le quai Branly, la caserne Dupleix (à racheter à la Ville),
Tolbiac, un terrain à Vincennes (entre le fort et la caserne), qui
a la préférence de Jack Lang, et un autre à Saint-Denis.
Le Président, à qui je
rapporte ces diverses possibilités, commente : Dans l'ordre : Tolbiac, Saint-Denis. Dupleix serait bien,
mais quelle négociation ! Branly, non : c'est pour le Centre
de conférences.
Je reviens à la charge auprès du Président, à qui
j'adresse une note, à propos de la libre circulation des capitaux
en Europe. Je n'arrive pas à m'y faire. Elle ne se limitera
évidemment pas à une libération à l'intérieur de l'Europe des
Douze, mais sera une libération erga
ommes, c'est-à-dire à l'égard du monde entier, en raison de
la libération des capitaux déjà en vigueur entre la RFA et la
Grande-Bretagne d'une part, la Suisse d'autre part. Concrètement,
cela veut dire que si cette directive est appliquée, l'épargne
française fuira les banques françaises en 1992, à moins qu'à cette
date n'aient été créés dans toute l'Europe, comme c'est le cas en
Suisse, des comptes à numéros ! J'ajoute par ailleurs que la RFA
est ici d'une grande hypocrisie : elle prône certes une
harmonisation des taux d'imposition sur l'épargne, mais alors que
l'impôt sur l'épargne existe en principe en RFA, il n'y est pas
appliqué, en raison de la pression du lobby bancaire. Tout cela
paraît fou ! A mon sens, il faudrait faire savoir dès le Sommet
européen de Rhodes que la France ne peut accepter une telle
évolution qui reporterait tout le poids de l'impôt sur le revenu
sur les seuls revenus du travail. Et qu'elle demande que soit mise
en place une protection contre les fuites de capitaux hors de
l'Europe des Douze.
Le Président se dit de mon avis. Il en parlera au
Sommet de Rhodes. Il demande que Rocard et Bérégovoy soient saisis
de la question.
Transfert des cendres de Jean Monnet au
Panthéon.
Jeudi 10 novembre
1988
Pour ce qui est des fonds propres dont souhaitent
disposer les banques nationalisées, j'ai remarqué qu'elles n'ont
reçu de l'État actionnaire aucune augmentation de capital depuis
1945, et que, par surcroît, elles versent plus de 500 millions de
dividendes par an à l'État depuis 1982 ! Malgré cela, le ministre
des Finances refuse une augmentation de leur capital par la voie du
budget, qui pourrait atteindre un montant égal au total des
dividendes versés par ces établissements à l'État depuis 1982. Il
n'y a, à mon avis, aucune raison de procéder à une ouverture du
capital de ces banques au privé avant que l'État fasse son
devoir.
Je fais remarquer au Président que la Communauté
européenne est la seule à lier l'ouverture de son marché aux
produits tropicaux à la réciprocité de la part des pays
bénéficiaires, et la seule à exclure un certain nombre de ces
produits, telles les fleurs coupées. Renoncer à cette
conditionnalité constituerait un geste politique substantiel à
l'égard du Sud et permettrait de contrer la manœuvre américaine qui
entend mettre à profit nos réticences sur les produits tropicaux
pour demander au Tiers-Monde de s'opposer à la Communauté sur le
reste de la négociation du GATT à propos de l'agriculture.
Le Président recommande d'agir dans ce sens.
Vendredi 11 novembre
1988
François Mitterrand reçoit le comédien Michel
Creton qui souhaite pouvoir créer une « maison » pour handicapés
mentaux où les enfants pourraient séjourner au-delà de dix-huit
ans. Cela serait possible en utilisant l'article L 162.31 du Code
de la Sécurité sociale qui permet les actions expérimentales
lorsqu'elles sont agréées par le ministère. Les dépenses feraient
l'objet d'un forfait global de prise en charge par les caisses
d'assurance-maladie. Des conventions passées entre les caisses et
les promoteurs du projet fixeraient les modalités du règlement.
Pour les problèmes de limite d'âge, il faudrait arriver soit à un
montage administratif, soit à une dérogation en bonne et due forme,
ce qui n'est pas très difficile. Le terrain administratif est donc
à peu près dégagé. Jusqu'ici, l'acteur n'a pas réussi à obtenir le
« feu vert ». Le Président donne des instructions pour que tout
soit résolu rapidement.
François Mitterrand est à Rethondes pour
l'anniversaire de l'Armistice.
Au cours d'un déjeuner des « éléphants » auquel
participent Jospin, Fabius, Mermaz, Mauroy, Poperen, Bérégovoy,
entre autres, Joxe fait une dernière tentative pour obtenir un
compromis municipal à Marseille où les socialistes se disputent la
succession de Gaston Defferre : il suggère que Michel Pezet accepte
d'être premier adjoint pendant quelques années, étant entendu qu'il
succéderait comme maire à Robert Vigouroux à mi-mandat de celui-ci.
Mais Pezet ne veut pas en entendre parler. Or, comme le même Pezet
représente entre 8 et 10 % des 180 000 militants du PS et qu'aucun
Premier secrétaire, voire aucun candidat à la candidature à
l'Élysée ne saurait se passer de son appui, tout paraît
bloqué.
Après le rétablissement, hier, des relations
diplomatiques entre le Royaume-Uni et l'Iran, Roland Dumas informe
François Mitterrand de la situation pour ce qui nous concerne. Nos
relations avec l'Iran progressent normalement, conformément aux
orientations définies à la mi-juillet. Deux problèmes se posent
toutefois : celui de l'embargo pétrolier et celui du contentieux
nucléaire.
Pour Roland Dumas, l'embargo pétrolier — instauré
en 1987 — n'est plus nécessaire aujourd'hui. Mais, s'il était
décidé de le lever, il conviendrait de prévoir un mécanisme de
surveillance a posteriori propre à
prévenir une modification soudaine et forte de nos achats dans la
zone.
En ce qui concerne le contentieux nucléaire, les
Iraniens réclament qu'on accepte de leur livrer de l'uranium
enrichi. Certaines questions relèvent du Conseil de politique
nucléaire extérieure, présidé par le chef de l'État. Roland Dumas
recommande que soit organisée dès que possible, sous l'autorité du
Premier ministre, une réunion destinée à préparer les décisions, à
laquelle seraient invités les ministres des Finances, de
l'Industrie, de la Défense, ainsi que l'administrateur général du
Commissariat à l'énergie atomique.
Le Président répond de façon lapidaire : oui à la
levée de l'embargo ; non à la réunion projetée à Matignon, la
question étant de son seul ressort.
Révélateur de la méthode Mitterrand : le moins de
réunions possible, surtout sans lui.
Dimanche 13 novembre
1988
Pierre Bérégovoy célèbre, Chez Edgard, ses
quarante ans de mariage. Roger-Patrice Pelat et Samir Traboulsi
sont de la fête.
Le Président, informé,
est furieux : Il ne devrait pas. Il ne devrait
pas...
Lundi 14 novembre
1988
Déjeuner autour de François Mitterrand, avec
Pierre Joxe, Paul Quilès, Pierre Bérégovoy et Laurent Fabius. La
conversation roule d'abord sur les négociations PC-PS pour les
municipales de l'an prochain.
François Mitterrand :
Le Parti se comporte avec une faiblesse
invraisemblable à l'égard du Parti communiste. Il faut refuser tout
accord local jusqu'au 15 janvier. Je pense que les communistes ont
trop besoin de leurs municipalités pour ne pas
craquer.
Il dit beaucoup de bien de Robert Vigouroux. Il
avait chargé Pierre Mauroy de négocier sur les bases suivantes :
Vigouroux tête de liste ; pour Pezet, la succession d'ici à
quelques années à la mairie et un poste immédiat au gouvernement.
Pezet a refusé. Il préfére tout perdre. Tant
pis pour lui ! fulmine François
Mitterrand.
Paul Quilès parle du conflit aux P et T. Il
précise que 250 000 agents perçoivent moins de 6 000 francs par
mois (ce qui est exagéré !). Le Président
trouve que ce n'est pas admissible pour un gouvernement socialiste
: Il faut planifier les augmentations de
salaire nécessaires.
François Mitterrand apprécie beaucoup la formule
de Pierre Bérégovoy : Il faut tenir les deux bouts de la chaîne. D'un côté, nous
devons être justes ; de l'autre, il ne faut pas
déraper.
Le ministre des Finances rappelle que l'on a déjà
fait beaucoup : la hausse du SMIC plus importante que prévu, 8
milliards pour les accords Durafour, 1,5 milliard pour les
infirmières...
Tout le monde déplore que ces mesures ne soient
pas mieux perçues par l'opinion et en rend responsable Matignon.
Tout le monde tombe aussi d'accord pour déplorer la guerre des
clans au sein du Parti socialiste, qui prend des proportions
inquiétantes.
Il convient d'accorder aux décisions du Conseil
national palestinien, cette nuit, l'importance qu'elles méritent :
l'acceptation par l'OLP des résolutions 242 et 338 de
l'Organisation des Nations unies lève enfin le plus grand obstacle
à la reconnaissance mutuelle d'Israël et de la Palestine. Pour
l'obtenir, Yasser Arafat a dû rompre avec le principe de
l'unanimité au sein de la centrale palestinienne. Les « durs » du
mouvement, dont le FPLP de Georges Habache, entrent en opposition
officielle.
Selon Roland Dumas, la reconnaissance par la
France d'un État palestinien ne soulèverait aucune difficulté de
principe, même s'il est contraire à notre jurisprudence de
reconnaître un État qui ne dispose pas d'un territoire défini. En
tout cas, le débat juridique ne saurait modifier une constatation
de fond, à savoir qu'on ne parviendra à une solution pacifique du
conflit que par le dialogue et la négociation. Dans ce but, la
France continuera à oeuvrer pour la réunion, dans les meilleurs
délais possibles, d'une conférence internationale.
François Mitterrand est
très tenté par la reconnaissance immédiate de l'État palestinien :
Il fallait que l'OLP réponde à certaines
conditions et la première, la plus importante, était l'adhésion aux
résolutions de l'ONU. Tôt ou tard, nous reconnaîtrons l'État
palestinien. Mieux vaut tôt que tard. Évidemment, le fait de
choisir Jérusalem comme capitale est une agression caractérisée
contre Israël. Il faut que la ville soit sous statut international.
Par ailleurs, il y a un problème juridique. Nous ne pouvons
normalement reconnaître un État qui ne dispose pas d'un territoire,
sans quoi nous aurions déjà reconnu maints Etats plus sympathiques
que celui de l'OLP...
Jack Lang suggère de réunir en 1989 à Paris les
intellectuels des deux Europes, pour faire de Paris la capitale
intellectuelle de la grande Europe.
Mardi 15 novembre
1988
Petit déjeuner chez Michel Rocard. Pierre
Bérégovoy et Laurent Fabius répètent ce que François Mitterrand a
dit la veille à déjeuner.
Jean-Pierre Chevènement réclame des crédits plus
importants pour la Défense dans le collectif budgétaire. Michel
Rocard se tait et c'est Jean-Paul Huchon
qui tranche : Un collectif ne se discute
pas.
Long débat sur l'OLP. Faut-il se rapprocher
d'Arafat ? Jean-Pierre Chevènement
développe une vigoureuse critique : Nous
n'avons pas de politique arabe depuis quinze ans. Jean-Louis
Bianco rappelle qu'à trois reprises le Président a sauvé les
Palestiniens : à Beyrouth, à Tripoli et en évitant un deuxième
Sabra et Chatila.
François Mitterrand
reçoit à déjeuner Pierre Mauroy, Henri Emmanuelli et Louis Mermaz.
Il leur parle assez durement du PS, mais veille à ne pas donner
l'impression qu'il critique tout le Parti.
Sur les pourparlers avec le PC en vue des
municipales de mars prochain : L'accord
national, les communistes n'en veulent pas ; il faut trouver un
autre mot et parler par exemple, le moment venu, d'un accord
global.
Il est très mécontent qu'André Lang, successeur
d'André Boulloche à la mairie de Montbéliard, ait été battu à cause
de la candidature dissidente de Guy Beche, soutenu par Laurent
Fabius. Il indique qu'il ne faut pas accepter d'interdit communiste
sur les candidats de la majorité présidentielle que nous voulons
faire figurer sur nos listes.
Je reviens de nouveau à la charge, auprès du
Président, contre la libération des mouvements de capitaux en
Europe. S'il n'y a pas simultanément harmonisation des législations
fiscales, du droit bancaire et de la protection accordée aux
placements hors d'Europe, elle aura les conséquences suivantes :
alignement des pratiques fiscales sur l'épargne au taux le plus
bas, c'est-à-dire zéro (la RFA, par exemple, qui a en principe une
taxe de 15 % sur les revenus de l'épargne, vient de décider de la
suspendre pour trois ans afin de lutter contre la concurrence
britannique, et contrairement à la promesse d'Helmut Kohl) ; il
sera possible à chaque citoyen d'Europe de placer son épargne dans
un pays tiers, donc en Suisse ou aux Bahamas ; pour éviter de
perdre leurs clients, les banques européennes se préparent donc à
pratiquer le secret bancaire (qui n'est illégal qu'en France) ; par
suite, non seulement les revenus du capital ne seront pas taxés,
mais ceux qui feront verser leurs revenus sur des comptes à numéros
en RFA pourront même échapper à l'impôt sur le revenu !
Certes, Édith Cresson est convaincue qu'il y aura
un lien strict entre l'harmonisation fiscale en Europe et la
libération des capitaux. Mais ce n'est pas le point de vue de
nombreux experts ni de la Commission : tous considèrent que la
libération des capitaux se fera même s'il n'y a pas harmonisation
fiscale. Enfin, même s'il y avait harmonisation des fiscalités
européennes, il resterait à procéder à l'harmonisation des
législations à l'égard du secret bancaire et des sorties de
capitaux hors de l'Europe des Douze.
Inutile de préciser qu'il serait particulièrement
choquant de voir se créer de la sorte l'Internationale du capital
au moment où s'enlise l'Europe sociale !
Je suggère au Président d'écrire à ce sujet au
Premier ministre. Ce qu'il fait, indiquant que la France doit
demander que, d'ici à 1990, des progrès parallèles soient accomplis
dans l'harmonisation de la fiscalité et dans la libération des
capitaux. Il ne devrait pas y avoir d'extension automatique aux
pays tiers du bénéfice des mesures intracommunautaires de
libération des mouvements de capitaux.
En fin d'après-midi, Didier Oury, conseiller du
Président pour la politique industrielle, reçoit un responsable de
Pechiney qui lui fait part du rachat imminent par cette société de
la firme American National Can.
Jack Lang propose de « panthéoniser » l'abbé
Grégoire et Lafayette en 1989.
Mercredi 16 novembre
1988
Dans le bureau de Jean-Louis Bianco, avant le
Conseil des ministres, Michel Rocard fait
une vague allusion à une très grosse
affaire que Pechiney mène aux États-Unis. Il en parle au
Président. Mais ce dernier n'a pas encore pris connaissance de la
note que Didier Oury termine en ce moment.
Au Conseil des ministres, François Mitterrand, à propos de la décision de l'OLP
de créer un État palestinien : Le problème qui
nous est posé par la décision de l'OLP est un problème très
sérieux. Nous en avons parlé avec le Premier ministre, nous en
reparlerons à nouveau avec le ministre des Affaires étrangères,
après le Conseil. Il ne faut pas renvoyer notre décision aux
calendes grecques.
La reconnaissance des droits
des Palestiniens n'est pas synonyme de la reconnaissance d'un État.
Un État suppose un territoire. D'ailleurs, le général de Gaulle,
lorsqu'il était en Grande-Bretagne, n'a pas été reconnu par les
Britanniques et les Américains, mais par les Soviétiques. Il n'a
été reconnu par les Occidentaux que comme chef de
l'administration.
Il faut examiner cette
question de façon très réaliste et, le cas échéant,
audacieuse.
Claude Evin parle du projet de création du revenu
minimum d'insertion adopté il y a quelques jours en première
lecture à l'Assemblée nationale. François
Mitterrand : La loi doit être votée
pendant cette session et appliquée aussitôt après. C'est une
obligation qui s'impose à tous.
Durant le Conseil, vers 11 heures, la note de
Didier Oury parvient par mon intermédiaire entre les mains du
Président. Aucune copie n'en est diffusée. Oury y annonce que
Pechiney, s'il obtient l'accord du gouvernement, conclura et
annoncera lundi 21 novembre deux opérations considérables : l'une
est la création d'une nouvelle usine d'aluminium en France (200 000
tonnes par an) ; l'autre, l'acquisition d'American National Can,
premier producteur américain d'emballage en aluminium, que des
raiders se trouvent contraints de
revendre, compte tenu de leur endettement. Avec sa filiale Cebal et
American Can (six fois plus gros), Pechiney deviendrait le numéro
un mondial de l'emballage, obtiendrait un débouché de masse pour
son aluminium et, par cette intégration en aval, limiterait les
conséquences des fluctuations du cours du métal. Le chiffre
d'affaires total de Pechiney s'accroîtrait de 50 %. Le coût
d'acquisition est de 5 milliards de francs versés aux actionnaires
actuels (payables en dix ans, moyennant un intérêt annuel) et 3,5
milliards de francs pour financer l'OPA sur les titres dispersés
dans le public. Pour couvrir ces opérations sans dégrader
durablement sa structure de bilan, Pechiney souhaite augmenter ses
fonds propres de 5 à 7 milliards. L'émission de certificats
d'investissement et une dotation de capital de l'État ne suffisant
pas (2 milliards environ), le groupe propose d'introduire en Bourse
une société à créer, Pechiney International, qui regrouperait ses
filiales étrangères. La vente dans le public de 33 % de son capital
rapporterait environ 6 milliards de francs. Ce serait une façon de
faire appel à l'épargne sans privatisation au sens strict,
puisqu'il s'agirait d'une filiale (comme Thomson-CSF pour Thomson,
par exemple). Didier Oury informe le Président que Pierre Bérégovoy
et Roger Fauroux sont d'accord.
Le Premier ministre n'a pas encore pris position
et s'étonne d'avoir si peu de temps pour le faire, puisque sa
décision doit être rendue pour ce vendredi 18 novembre.
Lisant cette note, je ne suis pas, pour ma part,
convaincu. Le problème est de savoir si ce rachat, dans la mesure
où il fait intervenir une filiale à l'étranger de Pechiney, ne
constitue pas une privatisation « rampante ».
A l'issue du Conseil, le Président remet à Michel
Rocard, selon la tradition, la grand-croix de l'ordre du Mérite. Il
lui fait quelques sobres compliments.
Michel Rocard, pour sa part, estime que
l'opération, à laquelle il est très favorable, peut se faire sans
dotation en capital et en vendant 25 % seulement de Pechiney
International (pour 4 milliards de francs). Sans en informer les
ministères concernés, il rédige une lettre dans ce sens au
Président.
Le Parlement estonien proclame la primauté de ses
lois sur celles de l'URSS. Moscou juge cette décision contraire à
la Constitution.
Le parti de Benazir Bhutto, le parti du peuple,
remporte les législatives au Pakistan.
Jeudi 17 novembre
1988
A 10 heures, Michel Rocard sollicite par lettre
manuscrite le « feu vert » du Président pour l'opération souhaitée
par Pechiney. Celui-ci me demande mon avis.
A mon sens, s'agissant de la construction de la
nouvelle usine en France, il y faudra des fonds propres venus du
Budget ; à défaut, ce serait la privatisation qui commencerait.
Évaluons-les à 1 milliard de dotation budgétaire. Il faudra 4
milliards supplémentaires pour l'achat d'ANC aux États-Unis. La
solution proposée consiste à créer une filiale internationale
partiellement privatisée. C'est, à mon avis, une fausse bonne idée.
L'intérêt de l'opération industrielle est de permettre de vendre
l'aluminium de Pechiney à une compagnie d'emballage à un prix
supérieur au cours mondial. Or, si on ouvre le capital à d'autres
actionnaires, Pechiney ne pourra pas lui vendre son aluminium plus
cher : les actionnaires privés s'y opposeront. L'affaire n'est donc
avantageuse pour Pechiney que si ANC est achetée par une filiale
possédée à 100 % par elle. Malheureusement, l'État n'a pas les
moyens de lui fournir ces capitaux. L'opération est
industriellement moins intéressante que Pechiney ne le croit.
A 18 heures, Alain Boublil, directeur de cabinet
de Pierre Bérégovoy, m'appelle à propos de l'affaire Pechiney. Il
m'éclaire sur divers aspects industriels. Je lui dis que j'étudie
le dossier à la demande du Président.
A la même heure, le Président reçoit un projet de
réponse, rédigé par Élisabeth Guigou et moi, et le signe. Cette
réponse autorise l'émission de certificats d'investissement et
n'émet pas d'opposition à la cession de 25 % du capital de Pechiney
International, tout en exprimant de fortes réticences sur
l'ensemble.
A 20 heures, les Finances s'inquiètent auprès de
moi de savoir si le Président a répondu au Premier ministre, et en
quel sens.
Robert Badinter suggère au Président une formule
qui permettrait de réduire le coût, pour la collectivité, de
certaines grèves. Bien entendu, les mesures à prendre ne devraient
pas apparaître comme des atteintes, même indirectes, au droit de
grève.
La loi de 1963 oblige les syndicats représentatifs
à déposer un préavis avant tout déclenchement d'une grève. Ce
préavis est en principe destiné à susciter la négociation, rendue
obligatoire depuis 1982. Mais, dans les faits, cette négociation
n'a pratiquement jamais lieu ou bien reste purement formelle.
L'échec semble avoir trois explications au moins : la brièveté du
délai de préavis (cinq jours) ; la relative imprécision des
revendications ; le faible contrôle syndical sur le mouvement. Le
projet propose de rendre automatique la désignation d'un médiateur,
ce qui pourrait sans doute donner de meilleures chances à la
négociation ; sa mission s'inscrirait dans le préavis légal de
grève.
Conclusion d'un accord sur les salaires dans la
fonction publique. La CGT et la CGC refusent de le parapher.
Le président de la Banque mondiale, John Conable,
vient plaider pour une ratification par la France du traité créant
l'Agence multilatérale de garantie des investissements privés dans
les pays du Tiers-Monde, l'AMGI (en anglais MIGA). Le Président
refuse de soumettre cette ratification au Parlement, la convention
étant rédigée en anglais. Des mesures seront prises, promet
Conable, pour faire reconnaître officiellement par le conseil
d'administration de l'AMGI l'authenticité de la traduction en
français et éviter que de tels problèmes se posent à
l'avenir.
François Mitterrand lui parle du projet de
stabilisation des fleuves du Bangladesh, qu'il a évoqué à New York.
Une fois l'étude faite, la Banque mondiale devra jouer un rôle dans
le financement de ce programme.
Vendredi 18 novembre
1988
A la suite des entretiens de Bonn avec le
Chancelier Kohl sur le désarmement conventionnel, le Quai d'Orsay
présente à la Conférence de Vienne une série de demandes visant à
raffermir le lien entre la négociation globale (à trente-cinq pays)
et la négociation OTAN-Pacte de Varsovie (à vingt-trois pays), et à
mieux insérer la négociation à Vingt-trois dans le processus global
de la CSCE. Les réactions de nos partenaires occidentaux ont été,
depuis lors, très vives. La RFA, qui souhaite que ces négociations
sur le désarmement conventionnel s'engagent au plus vite, craint
que les nouvelles demandes françaises (qui marginalisent l'OTAN) ne
soient utilisées par les États-Unis (qui cherchent un prétexte pour
ce faire) pour retarder l'ouverture de ces négociations.
Le Département d'État américain réagit à nos
propositions en faisant savoir à nos partenaires occidentaux qu'il
n'est pas question de remettre en cause le compromis de juin 1987,
confirmé par le sommet de l'OTAN de mars 1988.
La Côte d'Ivoire se trouve dans une situation
financière dramatique, en raison notamment de l'obstination du
Président Houphouët-Boigny sur le problème du prix du cacao.
Samedi 19 novembre
1988
En URSS, manifestations nationalistes à Tbilissi
(Géorgie), Bakou (Azerbaïdjan) et Erevan (Arménie). Les
affrontements inter-ethniques font officiellement 28 morts.
James Baker écrit à Roland Dumas pour protester
très violemment contre la position française hostile à l'autonomie
de la négociation sur la stabilité conventionnelle (CST) entre les
vingt-trois membres de l'OTAN et du Pacte de Varsovie. Il rappelle
qu'il y a dix-huit mois, à Reykjavik, les ministres des Affaires
étrangères alliés étaient parvenus à cette formule plaçant la
négociation autonome dans le cadre du processus de la CSCE. Cette
formule de Reykjavik a été réaffirmée au Sommet de l'OTAN du 4
mars, auquel participait le Président Mitterrand. Maintenant, alors
que l'aboutissement paraît proche à Vienne, la France demande des
clarifications sur le lien entre la CST et le processus de la CSCE,
qui, prétend-elle, mettrait gravement en cause la formule convenue
à Reykjavik. La France propose que les négociations à Vingt-trois
s'arrêtent lors de la prochaine réunion de la CSCE, et que les
Trente-cinq décident alors de la forme et du cours futurs des
pourparlers. Les États-Unis sont furieux : ces dispositions
altéreraient l'autonomie de la négociation en cours, essentielle à
son succès. Celle-ci se déroulerait en quelque sorte sous une épée
de Damoclès, ce qui, selon Baker, pousserait à accepter un mauvais
accord. Les propositions françaises, ajoute-t-il,
déséquilibreraient en outre le processus de la CSCE en l'éloignant
de la question des droits de l'homme et en le faisant
principalement porter sur les questions de sécurité.
La décision de la France risque de retarder la fin
de la réunion de Vienne de six mois, voire peut-être plus ; les
États-Unis sont néanmoins disposés à rester à Vienne aussi
longtemps que nécessaire pour parvenir à une solution équilibrée et
juste.
Baker se dit d'autant plus surpris par la décision
française qu'il pensait que Paris et Washington partageaient la
même approche conceptuelle des problèmes. Il souligne que les
États-Unis ne considèrent pas la CST comme une négociation de bloc
à bloc, mais comme une négociation entre vingt-trois nations
souveraines, au sein de laquelle — il veut l'espérer comme, à son
avis, la France — les pays de l'Europe de l'Est finissent par jouer
le rôle qui leur revient.
James Baker demande donc à Roland Dumas que Paris
reconsidère sa position sur cette question.
Lundi 21 novembre
1988
Pechiney va annoncer le rachat d'American Can et
la construction d'une usine d'aluminium à Dunkerque. 1 milliard de
francs de certificats d'investissement seront émis, à quoi il
faudra ajouter un autre milliard de dotation en capital.
L'introduction en Bourse de Pechiney International et la vente
d'une part de ses actions sur le marché seront en outre
nécessaires.
A 13 heures, Matignon découvre que le communiqué
de Pechiney, qui doit être diffusé à 15 heures, parle de 6
milliards de ressources tirées de Pechiney International, ce qui
est incompatible avec la limite de 25 % mise à la participation
privée. D'autre part, à la demande de Pierre Bérégovoy, Alain
Boublil a annoncé à Jean Gandois qu'il peut parler d'une dotation
en capital de 1 milliard de francs, alors que le Premier ministre y
est hostile (pour des raisons budgétaires et parce qu'il serait mal
compris que l'argent de l'État serve à une opération à l'étranger).
Jean Gandois n'entend pas limiter la cession au privé à 25 % sur
une instruction officieuse de dernière minute. Reste donc pour
l'avenir une ambiguïté sur le plafonnement autorisé (25 ou 33 %
?).
Jean-Noël Jeanneney, Jack Lang et Jean Tiberi
décident de proposer à Jean-Michel Jarre d'organiser un grand
spectacle, le 14 Juillet 1990, pour la commémoration de la fête de
la Fédération. Mais ils souhaitent... que ce soit moi qui le lui
dise !
Mardi 22 novembre
1988
A Madrid, un attentat à l'explosif revendiqué par
l'ETA, devant le siège de la Garde civile, fait deux morts.
Mercredi 23 novembre
1988
Au Conseil des ministres, Jean-Pierre Chevènement se plaint du budget :
Ça ne passe plus, on va détruire le consensus
sur la défense. Est-ce qu'il faut que cela aille mal dans un
secteur pour qu'on le traite avec quelques égards ?
Jack Lang se plaint lui aussi.
Michel Charasse réplique que les armées ont une
trésorerie dormante de 4,5 milliards de francs, que la Culture en a
une de 1,5 milliard.
Jean-Pierre Chevènement
: Rien ne devrait opposer l'Armée à la
Nation. François Mitterrand :
Rien ne devrait opposer l'Armée d la Nation,
sauf précisément cela [les
questions financières].
Michel Rocard :
Je suis très content de ce débat, c'est un
signe avant-coureur de ce que le budget 1990 sera aux limites de
l'infaisable. Ceux qui se plaignent ne sont pas ceux dont la
situation est la plus mauvaise.
Après la communication de Jean-Marie Rausch sur le
commerce extérieur, François Mitterrand
critique vigoureusement la carence des entreprises publiques en la
matière. Il demande qu'il y ait éventuellement des sanctions.
Sommet franco-espagnol à Montpellier. La
coopération dans la lutte antiterroriste occupe l'essentiel des
travaux.
Jeudi 24 novembre
1988
Fin du Sommet franco-espagnol. François Mitterrand affirme que la solidarité des
deux pays dans la lutte antiterroriste doit être sans faille.
Rétablissement des relations diplomatiques entre
l'Algérie et l'Égypte (rompues en 1979, après Camp David).
En Hongrie, Karoly Grosz renonce au poste de
Premier ministre. Il est remplacé par Miklos Nemeth. Un communiste
repenti succède à un autre.
Pierre Bérégovoy, Roland Dumas et Ahmed Ghozali,
ministre des Finances algérien, tombent d'accord sur un règlement
intelligent et global du contentieux financier entre Alger et Paris
: versement immédiat par Gaz de France du reliquat dû depuis le
début du contentieux, calculé sur la base du prix dit « italien »
de 2,14 dollars (ce reliquat, de janvier 1987 à décembre 1988, est
de 135 à 140 millions de dollars) ; facturation des enlèvements
futurs sur la base de ce même prix de 2,14 dollars ; aides
financières additionnelles de l'État — hors du contrat gaz —
assurant finalement des recettes équivalant à un prix du gaz de
2,32 à 2,35 dollars.
La paix sociale en Algérie paraît à ce prix.
Vendredi 25 novembre
1988
Voyage de François Mitterrand en URSS. Une
importante délégation l'accompagne. Il n'est que temps : la France
vient en effet de se faire dépasser par l'Italie en matière de
relations commerciales avec les Soviétiques ! Le Président décide
d'inviter Mikhail Gorbatchev à Paris juste avant le 14 Juillet, de
façon à ne pas avoir à convier à fêter les libertés un homme qui
reste le responsable suprême d'une dictature.
Petit déjeuner avec des opposants soviétiques,
dont Sergueï Grigoriants, rédacteur en chef de Glasnost.
L'essentiel de l'entretien Mitterrand-Gorbatchev
porte sur le désarmement :
François Mitterrand :
A partir d'un certain moment et au-delà d'un
certain point dans le désarmement stratégique, la France acceptera
de participer. Nous sommes encore dans une situation trop inégale,
mais, si on va dans ce sens, un jour nous irons aussi.
En ce qui concerne la
réduction des armes conventionnelles, soyez-en sûr, la France y
prendra sa part. Le désarmement chimique, nous sommes
d'accord — je crois...
Il ne faut pas relâcher la
pression pour le désarmement à Vienne, à Genève, partout... La
France est disponible dans tous ces domaines. Mais la France ne
peut désarmer nucléairement qu'à partir du moment où les potentiels
deviendront vraiment comparables. Vous parlez d'un monde débarrassé
de l'arme nucléaire : vous êtes romantique !
Mikhail Gorbatchev,
riant : Romantique ? Remarquez, j'accepte
l'expression, mais je suis aussi réaliste !
François Mitterrand :
Certes ! Mais vous savez que si l'on y arrive,
cela enfoncerait les sept travaux d'Hercule ! Mais cela
signifierait aussi qu'il y a eu un désarmement nucléaire très
poussé.
En fait, ce n'est pas le
désarmement en soi qui m'intéresse, c'est la paix, et donc
l'indépendance de nos peuples dans la coopération.
Je l'ai dit également :
échangeons ! Faisons travailler nos ministres, nos techniciens, nos
industriels. Notre commerce extérieur est trop déficitaire. Je dis
aux industriels français : Travaillez mieux ! J'ai emmené avec moi
une quinzaine de très grands industriels et je leur ai dit :
Personne ne fera le travail à votre place. Les crédits publics sont
ouverts ; les crédits privés, c'est à vous de voir.
J'ai parlé aussi de l'avenir
de l'Europe. Nous, nous sommes déjà Douze, nous allons arriver à un
marché intérieur de près de 320 millions de personnes. Les
prochaines étapes concerneront la monnaie, le social (le
rapprochement des situations des uns et des autres), le culturel et
l'audiovisuel. Est-ce que l'Europe des Douze travaille pour
s'isoler ? Bien sûr que non, même si certaines forces
réactionnaires voulaient en profiter pour isoler l'URSS de l'Europe
de l'Ouest. Vous parlez, à propos de l'Europe, de « maison commune
», c'est une belle expression. Mais comment la traduire dans les
faits, multiplier les échanges, les accords, les liens entre la CEE
et le COMECON ?
En fait, le véritable
objectif, c'est l'Europe tout entière. Il faut tenir compte, pour
l'avenir, de l'importance de ce qui peut impressionner, marquer le
cerveau humain, c'est-à-dire avant tout l'audiovisuel. Les pays
occidentaux, qui reçoivent 125 000 heures d'images, n'en produisent
que 5 000. Est-ce que ce problème de la production d'images ne se
pose pas aussi pour les Soviétiques ? Nous allons vers des images
et des langages nippo-américains. Nos cultures risquent de
s'effacer...
Nous devons au contraire
sauvegarder nos moyens d'expression !
Nous avons mis au point une
nouvelle norme de télévision européenne haute définition, elle est
supérieure au SECAM et aux normes japonaises. Pourquoi ne
pourrions-nous pas créer en la matière une grande entreprise
européenne avec vous ? Dans ce domaine, il n'y a pas de frontières,
pas d'interdits entre vous et nous, et, dans votre logique
européenne, c'est fondamental.
Même chose pour
l'environnement. Les atteintes à l'environnement ne connaissent pas
de frontières et la lutte doit être internationale.
Dans un autre domaine encore,
regardez ce que nous avons fait avec Eurêka. Pourquoi
n'aurions-nous pas, sur ce projet, un accord avec l'URSS
?
Mikhail Gorbatchev :
J'allais vous le demander. Nous frappons à la
porte, mais ça ne s'arrange pas.
François Mitterrand :
J'ai la volonté d'avancer dans le domaine de
la technologie, de l'audiovisuel, de l'environnement. Je vous
remettrai un projet pour l'environnement, auquel j'aimerais que
l'URSS soit mêlée, ainsi qu'un projet sur l'audiovisuel. Nous
n'avons à en demander la permission à personne. Nous pouvons
faire des projets à géométrie variable.
Quant à la « maison
commune », je partage cet objectif, sans me dissimuler les
difficultés.
Mikhail Gorbatchev :
Je peux vous répondre. Nous pourrions coopérer
ensemble sur ces bases. Tout cela est très proche de nos propres
idées pour que cette « maison » se bâtisse. Il faut accroître les
échanges, utiliser nos ressources culturelles, politiques,
etc.
François Mitterrand :
Un jour, l'Europe aura sa propre identité.
L'année prochaine, nous fêterons l'anniversaire de 1789, la France
assurera en même temps la présidence du Sommet des Douze. Les sept
grands pays industrialisés se réuniront à Paris le 14 Juillet. J'ai
invité en plus, à cette occasion, une dizaine de chefs d'État du
Tiers-Monde. Il y aura beaucoup de monde à Paris en cette
circonstance. Je sais que vous viendrez à Paris plus tôt.
J'aimerais beaucoup qu'il puisse y avoir une manifestation commune
avec vous. Les dates, les anniversaires ne manquent pas :
l'ouverture des États généraux, le 14 Juillet, la Déclaration des
droits de l'homme. Il faudrait qu'il y ait un signe...
Mikhaïl Gorbatchev :
Nous allons célébrer avec ampleur ce
bicentenaire de 1789 en hommage à la Révolution française. Nous en
profiterons pour exprimer notre attitude amicale à l'égard de la
France. J'accepte cette proposition de coopération. Réfléchissons
maintenant à ses aspects pratiques.
Nous pourrions commencer le
travail de préparation de ma visite à Paris afin que celle-ci ait
une valeur d'étape. Il faut intensifier le travail préparatoire de
sorte que nous puissions être présents tous les deux pour signer
des documents et des accords concrets.
Les commémorations du
Bicentenaire pourraient avoir lieu autour de ma visite. Il faudrait
que ces dates soient fixées au début de l'année.
Je voudrais maintenant faire quelques remarques
sur le désarmement. Nous avons l'intention de continuer de la même façon à coopérer
avec les États-Unis. Nous ne cherchons pas à semer des
embûches sous les pas des Américains. Ils le
croient et le disent souvent. Mais c'est faux. J'ai eu avec Reagan
de vives discussions. Nous reconnaissons le rôle actif des
États-Unis dans le monde, mais pas leurs diktats. Je n'accepte pas
que le Président des États-Unis soit un procureur, et moi un
accusé. Au contraire, il faut faire preuve de réalisme et
d'entente. Il y a encore beaucoup de réserves de coopération avec
les États-Unis. Il y a notamment des possibilités d'accord avec eux
sur START, mais subsistent des problèmes : l'Initiative de défense
stratégique, les missiles de croisière tirés depuis des navires ou
des avions...
Je comprends la position de
votre pays sur la réduction des armes nucléaires, et je note que,
le moment venu, vous vous joindrez à ce processus.
François Mitterrand :
Je l'ai toujours dit. Je n'ai d'armes
nucléaires qu'à cause de vous : parce que vous en
avez.
Mikhaïl Gorbatchev :
Et nous, nous en avons à cause de vous
!
François Mitterrand :
Vous en aviez avant nous !
Mikhaïl Gorbatchev :
Vous avez dit tout à l'heure que, sur ce
sujet, j'étais romantique. Mme Thatcher va plus loin, elle dit : «
utopiste » ! Mais je suis réaliste aussi. J'ai dit à Mme Thatcher :
« Vous m'avez pris pour un utopiste, mais il y a déjà un accord de
désarmement nucléaire. » Je peux comprendre Mme Thatcher quand elle
évoque des dates ultérieures auxquelles elle se joindra au
processus, mais je ne peux pas être d'accord quand elle essaie de
justifier le maintien de l'arme nucléaire avec des arguments
moraux.
Je voudrais aborder une autre
question. Si les négociations conventionnelles commencent, ne
serait-il pas raisonnable d'arrêter toutes les modernisations,
nucléaires et conventionnelles ?
François Mitterrand :
Il faut distinguer entre les négociations. Le
problème des armes nucléaires à très courte portée ne peut être
résolu qu'en commençant à se débarrasser de celles qui
existent...
Mikhaïl Gorbatchev :
Nous nous prononçons pour l'aboutissement des
pourparlers de Genève avant la fin de l'année ; nous sommes
d'accord avec le mandat destiné à lancer la négociation
conventionnelle. Il faut donner des impulsions périodiques. Vous
connaissez mon idée de Sommet. Je crois savoir que vous ne verriez
pas d'inconvénient à un tel Sommet, quelque temps après le début de
la négociation conventionnelle.
François Mitterrand :
C'est une bonne méthode... J'ai constaté avec
plaisir que, pour vous, les paroles étaient des actes.
Mikhaïl Gorbatchev :
Je dis souvent à mes amis que je dors
tranquille, car je dis et je fais ce que je pense. Mais,
évidemment, la nuit est courte...
François Mitterrand :
Je dis à mes collaborateurs, qui pensent
souvent le contraire : les plus dangereux, ce sont ceux qui font ce
qu'ils disent !
Quelques minutes avant l'heure prévue pour
l'interview télévisée Gorbatchev-Mitterrand de ce soir, le chef du
protocole du Kremlin prétend n'accorder qu' « une minute » aux
journalistes français Georges Bortoli, Christine Ockrent et
Jean-Pierre Elkabbach pour mener l'interview. Et encore, à
condition qu'ils restent debout ! François Mitterrand intervient
auprès de Mikhaïl Gorbatchev, qui manifeste quelques réticences
:
François Mitterrand :
Alors, nous allons ensemble devant la
télévision française.
Mikhaïl Gorbatchev :
Ah bon ?
François Mitterrand :
C'était prévu comme ça... Ne vous inquiétez
pas, vous allez être bien meilleur que moi.
Mikhaïl Gorbatchev,
souriant : Ah, je ne le crois pas ! Vous, avec
toutes vos élections, vous avez l'habitude...
François Mitterrand : C'est
vrai, vous en avez moins que nous...
Samedi 26 novembre
1988
A Bai'konour, au Kazakhstan, François Mitterrand
assiste au départ du vaisseau spatial Soyouz TM 7, qui emporte
trois cosmonautes, dont le Français Jean-Loup Chrétien, vers la
station orbitale Mir. Impression mêlée de dénuement et de
super-bricolage. Hergé était décidément un génie de l'anticipation
: tout ressemble à ce qu'il a imaginé, jusqu'à l'étrange pétarade
de la fusée au décollage.
Les services de sécurité soviétiques tiennent les
journalistes français à l'écart de la base de lancement. Avant le
lancer, un Soviétique tient à précipiter le départ des journalistes
en les menaçant : Si vous ne voulez pas
regagner les cars, la milice va vous y faire monter de
force. Pour ne pas les laisser voir, les cars sont envoyés
se perdre dans la steppe ! Après le tir de la fusée, les
journalistes sont empêchés d'accéder au centre de presse construit
tout spécialement par la France pour leur permettre d'envoyer leurs
reportages.
Dimanche 27 novembre
1988
Vu Boutros Boutros-Ghali. Nous parlons de la
prochaine réunion de sherpas Nord/Sud.
Je rêve de l'organiser avec un sherpa
par continent. Nous décidons : un Égyptien, un Indien, un
Sénégalais, un Vénézuélien.
Lundi 28 novembre
1988
Turgut Ozal, Premier ministre turc, est à Paris.
Il plaide vigoureusement pour l'entrée de son pays dans la CEE
:
Turgut Ozal :
Nous avons été parmi les membres fondateurs du
Conseil de l'Europe, de l'OCDE et de l'OTAN : nous avons fait le
choix de l'Occident. Avec la CEE, nous avons également des
relations, un conseil d'association et une demande d'adhésion
formulée l'an dernier. Nous avons effectué un redressement
économique très rapide au cours des cinq dernières années. Dans les
huit à dix années à venir, la Turquie aura une apparence totalement
européenne et deviendra un pays européen dans tous les sens du mot.
Point très important pour les relations avec le Moyen-Orient et le
Golfe : la Turquie constitue un élément de stabilité dans cette
région. Nous avons de très bonnes relations avec l'Iran et l'Irak ;
une frontière commune avec l'URSS, avec qui nos relations
s'améliorent. Nous avons la volonté d'adhérer à la CEE et demandons
votre soutien. Nous pouvons jouer un rôle plus important avec la
France dans la région, car il y a de graves problèmes : Palestine,
Liban, entre autres...
Pour ce qui est de nos
relations avec la Grèce, notre gouvernement souhaite avoir des
relations de bon voisinage avec tous. D'où la rencontre avec
Andhréas Papandhréou, à Davos, où il a été décidé de résoudre les
problèmes par le dialogue.
François Mitterrand, qui
noie joliment le poisson : Je connais la
Turquie, mais très mal... J'y suis allé deux fois à titre
personnel, car j'ai beaucoup d'intérêt pour son histoire. Ce que
j'en connais : la côte méditerranéenne
d'Asie Mineure. La Turquie est un des très beaux pays que j'ai vus.
Beaucoup des chemins de la civilisation sont passés par chez vous
pour venir jusque chez nous. Parmi la population de l'Anatolie qui
s'est installée vers le Bosphore, beaucoup ont compté dans
l'évolution culturelle et religieuse de l'Europe. Saint Paul,
fondateur de l'Église catholique, a beaucoup fréquenté vos villes
anciennes. La conquête de Constantinople par les Turcs est une date
charnière de l'Histoire moderne. Deux civilisations se sont
heurtées, l'une puissante, l'autre montante. Mais la France a su
garder de bonnes relations avec vous.
Je lisais récemment un texte
sur les relations entre François Ier et Soliman le Magnifique. Ce ne fut pas seulement une
anecdote historique : cela représentait, de la part de la France,
une certaine audace, car la Turquie constituait une force
considérable. Pourtant, le Roi très catholique n'a pas hésité à
traiter avec Soliman. Je suis sensible à cette
histoire.
J'ai observé qu'il y avait un
grand attachement aux établissements français en Turquie. Nous
avons vécu une période d'ignorance mutuelle, en raison des
problèmes du système politique intérieur ; pendant ce temps, la
Grèce est entrée dans l'Europe ; les conflits gréco-turcs (mer
Égée, Chypre, Thrace) y ont contribué. J'en parle d'autant plus
librement que je suis ami des Grecs, mais je l'étais aussi de M.
Ecevit, votre Premier ministre au moment de l'affaire chypriote.
J'étais dans l'embarras. D'où l'idée d'avoir recours aux principes
du droit international, aux Nations unies. J'ai reçu Vassiliou il y
a peu de temps. Chypre est un problème délicat. On ne peut pas
inventer de solution comme cela, parce qu'on a envie de régler un
problème. Il y a une réalité turque et une réalité grecque sur un
même territoire. C'est un des conflits les plus difficiles à
résoudre. Je souhaite que l'île retrouve sa dignité au
travers d'un système politique souple que les diplomates
sauront inventer. Je sais que vous avez adopté
une attitude ouverte, plus ouverte que celle de votre compatriote,
M. Demirel. Ce ne sera pas facile pour vous, mais il le faudra
bien, car ce serait une gêne pour vos relations avec la Communauté
et les États-Unis. Il faut admettre que les Grecs chypriotes et les
Turcs chypriotes sont chez eux, et exclure l'idée de la domination
d'une partie de la population sur l'autre, trouver les moyens de
vivre ensemble sans empiéter l'un sur l'autre. Il faut mettre le
train sur les rails. La solution n'est pas de
s'entre-tuer.
Du côté de la Communauté, mon
point de vue est qu'elle n'a pas intérêt à accueillir de nouveaux
membres avant 1992. C'est déjà très difficile entre les Douze. Le
marché unique est une opération d'une grande audace qui pose de
nombreux problèmes monétaires et fiscaux. Il y a des obstacles qui
ne sont pas encore surmontés. Si la Turquie désire entrer dans la
Communauté, il lui faut profiter de ces quatre années pour en
établir les bases. Pour l'instant, nous avons nos propres embarras.
Il existe un argument tiré du fait que la Turquie connaît encore
des problèmes de développement. Cela ne paraît pas suffisant pour
refuser. Vous avez raison de dire que la Turquie a un potentiel
considérable. Elle devrait devenir un pays important et fort. Elle
a été l'un des plus importants du monde. Elle a connu, avec Kemal
Atatürk, un sursaut considérable. Elle a tous les atouts pour être
un pays qui n'a rien à demander à personne.
Il est sûr qu'au
Proche-Orient aucun pays n'a un avenir aussi important que le
vôtre. La Turquie est un môle, un point fort. Je ne mésestime pas
la Turquie, mais nous devons avancer avec réalisme.
Sur le plan culturel, vous
avez des lettres de noblesse européennes. Vous exercez une
influence sur l'Europe, et réciproquement. Votre façon de voir le
monde en a été influencée.
Turgut Ozal :
... Gorbatchev a-t-il des chances de réussir
?
François Mitterrand :
Oui, avec un énorme obstacle, qui est l'éveil
des nationalités. C'est cela qui peut compromettre la
perestroïka. Le Parti, l'administration
suivent à reculons. Il faut suivre avec beaucoup d'attention ce qui
va se passer dans les républiques pour affiner le pronostic. La
faille est là. Mikhail Gorbatchev est obligé d'être dur sur la
question des nationalités.
Extension des grèves, notamment dans les
transports publics ; le RER est quasiment bloqué depuis dix
jours.
A 15 h 15, François Mitterrand convoque Michel
Rocard et Michel Delebarre. Il y a trois fauteuils devant le bureau
du Président. Rocard s'assied sur le fauteuil de droite, Michel
Delebarre et Jean-Louis Bianco lui font signe d'occuper le siège
central, et François Mitterrand renchérit
avec un grand sourire : Mettez-vous au milieu,
entre les deux larrons. Lequel est le bon, lequel est le
mauvais ? et quelle faute y a-t-il à expier ?... Nul
n'insiste...
Michel Delebarre fait un point très précis de la
situation. Le Premier ministre se félicite des bonnes relations
entre son cabinet et celui du ministre du Travail.
François Mitterrand :
Ce qui intéresse les gens, c'est que ça roule.
Nous sommes dans un conflit qui va se durcir et qui, pour cela,
tirera prétexte des mesures que vous allez prendre. Le premier
front est l'opinion publique.
Je suis pour la sévérité.
Bien entendu, étudiée à la loupe de la sensibilité publique.
Qu'est-ce qui passe, qu'est-ce qui ne passera pas dans le monde du
travail ? Que veut la CGT ? Veut-elle nous amener au bord de la
crise jusqu'aux élections municipales ? Veut-elle la déflagration ?
En tout cas, je crois qu'il faut jouer dur. Il ne faut pas que le
Parti communiste tienne l'accord municipal pour acquis. Le
gouvernement commence à jouer gros.
Mardi 29 novembre
1988
Dans le conflit du RER, échec total de la mission
de conciliation confiée à Bernard Brunhes. La grève s'étend aux bus
et au métro.
Jack Lang alerte le Président sur le délabrement
du Mont-Saint-Michel.
Mercredi 30 novembre
1988
Au Conseil des ministres, communication de Claude
Evin sur la Sécurité sociale et son financement.
François Mitterrand :
La réflexion est rnenée depuis longtemps sur
ce sujet difficile. Il y a des inquiétudes qui sont complaisamment
répandues. J'ai encore entendu ce matin à la radio que les
retraites ne seront plus payées. Maîtriser ce dossier, même si
c'est difficile, est à notre portée. Depuis de longues années, j'ai
entendu beaucoup de jugements définitifs et d'un pessimisme absolu
qui étaient ensuite démentis par la réalité.
Je ne suis pas sûr que
certains responsables administratifs n'aient pas quelques idées
derrière la tête, et comme je connais leur curriculum vitae, je me
méfie et pense qu'il faut d'urgence les changer.
Le RMI est définitivement adopté.
Le petit déjeuner offert par le Président aux
opposants soviétiques lors de son voyage à Moscou n'aura pas servi
à grand-chose. A peine François Mitterrand est-il parti que Sergueï
Grigoriants, rédacteur en chef de la revue dissidente Glasnost, ainsi que son collaborateur Andreï
Chilkov, ont été emprisonnés. Romantique, Gorbatehev ?
Michel Rocard transmet à François Mitterrand le
rapport de Patrice Cahart et Michel Melot sur la Grande
Bibliothèque. Il prévoit une salle de lecture de 2 000 places pour
le grand public, avec 500 000 ouvrages en accès direct ; un
catalogue national informatisé ; la mise sur disques numériques de
40 millions de pages, soit 10 % des collections (sur 100 disques
numériques peuvent être enregistrées 5 millions de pages) : ce sera
une première mondiale, le disque pouvant être lu à distance ;
l'installation — en France, puis à l'étranger, — de 300 postes de
consultation à distance, avec possibilité d'impression de documents
(le Minitel donnera un très large accès au catalogue, mais pas aux
ouvrages) ; la robotisation du stockage du quart des collections ;
l'articulation avec la bibliothèque du CNRS de Nancy (périodiques
de sciences humaines), celle de La Villette (histoire des
sciences), celle d'Angoulême (bandes dessinées), etc. ; la
modernisation des bibliothèques universitaires, où sera installée
une partie des terminaux de consultation de la Grande Bibliothèque
(actuellement, il y a 20 livres par étudiant ; l'université de New
York en propose 60 ; Harvard et Princeton, de 750 à 800).
Fixer à 1900 l'année de parution à compter de
laquelle les ouvrages de la BN passeront à la Grande Bibliothèque
supposerait le transfert de 5 millions de livres et brochures, dont
de nombreux livres acidifiés et fragiles. Les auteurs du rapport
proposent donc, à juste titre à mon avis, de ne transférer que les
livres publiés après 1945, ce qui limiterait le déménagement à 3
millions d'ouvrages. Dans ce cas, il faudra 130 000 m2 (contre 100 000 m2
pour Richelieu).
Les auteurs suggèrent un établissement unique
regroupant BN et GB. Personnellement, à voir les difficultés de
l'Opéra-Bastille, qui n'arrive pas à se dépêtrer du personnel de
l'Opéra-Garnier, je recommanderais plutôt de faire du neuf, avec
une structure juridique indépendante mais coopérant avec la rue de
Richelieu.
Le budget : 3,5 milliards de francs
d'investissements (sans le terrain) et 600 millions de francs de
fonctionnement annuel (pour la Nationale : 280 millions ; pour la
Bibliothèque britannique, avant transformation : 650 millions ;
pour la bibliothèque du Congrès américain : 1,9 milliard).
Le gouvernement s'apprête à lever l'embargo sur
les importations de pétrole iranien, conformément aux instructions
du Président.
Il est prévu de demander que l'approvisionnement
iranien reste quelque peu inférieur à celui en provenance d'Irak
(les quotas de production des deux pays à l'intérieur de l'OPEP
sont maintenant égaux).
Jeudi 1er décembre 1988
Nouvelles générations : Benazir Bhutto devient
Premier ministre du Pakistan. Carlos Salinas prend ses fonctions de
Président du Mexique.
Après le Comité central du 28 novembre, le Soviet
suprême approuve à Moscou les amendements à la Constitution
soviétique visant à démocratiser les procédures électorales et à
instituer une présidence de l'État aux pouvoirs étendus.
Les ministres des Finances européens demandent à
la Commission de faire des propositions sur l'harmonisation des
fiscalités de l'épargne avant la fin de 1988 et se prononceront sur
celles-ci avant le 30 juin 1989.
A Hanovre, François
Mitterrand avait dit : Nous ne faisons
pas un préalable de l'harmonisation de la fiscalité de
l'épargne. Mais, avec la libération des mouvements de capitaux et
la fin du contrôle des changes, il y a un tel risque de fuite des
capitaux que les deux problèmes (liberté des capitaux, fiscalité)
doivent être traités en parallèle.
Chaque pays doit faire une partie du chemin.
Jack Lang souhaiterait être le copilote du projet
de Grande Bibliothèque. Le Président :
Il me semble que ce serait plus clair si M.
Biasini en avait l'entière responsabilité, Dominique Jamet étant
intégré au cabinet du secrétaire d'État.
Le Président a personnellement choisi Dominique
Jamet pour superviser la bonne exécution du projet. Il précise sa
pensée : Il faut que Jamet soit sous Biasini.
Lang n'a pas à s'en mêler.
Je me rends de nouveau au Bangladesh avec une
mission d'experts qui va y travailler jusqu'au 31 mai 1989 pour
fournir un rapport d'ensemble sur les grands travaux nécessaires.
Je souhaite que ce groupe d'experts devienne européen, et suggère à
nos partenaires de désigner ceux de leurs propres spécialistes des
barrages, des digues et en hydraulique qu'ils souhaiteraient y
associer. Ils pourront constituer ensemble un groupe européen
d'études des Grands Travaux du Bangladesh. Naturellement, la France
doit en conserver la direction. Les Bangladais en sont
d'accord.
Sur la base du rapport de ces experts, on pourra
établir le programme des grands travaux à entreprendre, et leur
coût. Celui-ci sera sans nul doute considérable : on parle déjà de
sommes avoisinant, pour les seuls travaux au Bangladesh, 15
milliards de dollars sur dix ans. D'ici là, il convient de
réfléchir à leur financement.
La Banque mondiale, le FMI, les États-Unis, le
Japon ont déjà fait savoir qu'ils étaient prêts à participer à la
solution à long terme de ces problèmes. L'Europe sera-t-elle
absente ? Si, au contraire, elle se rassemble tout entière autour
de cette initiative, elle pourra donner l'exemple de ce que peut
être, à l'avenir, une coopération Nord/Sud efficace, en ce qu'elle
aidera à la fois à résoudre une des plus grandes calamités de cette
planète et à mobiliser les capacités créatrices et industrielles de
nos pays.
Au XIXe siècle : le
canal de Suez, après les deux guerres : les grands travaux de
reconstruction constituèrent de puissants facteurs de croissance de
l'Europe et des États-Unis. Des projets comme celui-ci peuvent
jouer le même rôle.
Je suis magnifiquement accueilli en compagnie des
quinze experts et des six journalistes qui m'escortent. Nous
sillonnons le pays de long en large, en hélicoptère et en bateau.
Je suis reçu à deux reprises par le Président Ershad. Jamais je
n'ai vu autant d'extrême misère et d'adversité accumulées,
supportées avec une telle dignité. Ces gens méritent que l'Occident
s'occupe d'eux plus qu'il ne le fait. Si on les aide à démarrer,
leur travail en fera, d'ici un demi-siècle, une importante
puissance économique.
Vendredi 2 décembre
1988
Conseil européen à Rhodes. Les divergences sur la
mise en oeuvre du marché unique ne sont pas abordées.
L'intervention du Président porte surtout sur
l'harmonisation fiscale et la liberté de circulation des capitaux,
sur Eurêka audiovisuel et sur le siège du Parlement européen à
Strasbourg.
Sur l'harmonisation fiscale, le
Président déclare : La concurrence doit
être juste, et non reposer sur des avantages artificiels...
Personne ne peut accepter de dire que la liberté de circulation des
capitaux peut se passer de l'harmonisation fiscale.
Le Conseil européen décide la tenue d'Assises
Eurêka de l'audiovisuel à Paris, en 1989, pendant la présidence
française.
Helmut Kohl évoque la dimension culturelle, appuie
la proposition d'un Eurêka audiovisuel auquel tous les pays
européens seraient invités à participer.
Ne pas penser qu'à l'économique et au social, mais
aussi à la culture : tel pourrait être le message final de ce
Sommet.
L'Assemblée générale de l'ONU décide, par 154 voix
contre 2 (États-Unis et Israël), de se réunir à Genève, du 13 au 15
décembre, après le refus de Washington d'accorder un visa à Yasser
Arafat, chef de l'OLP, refus contraire aux termes de l'accord de
siège entre les Nations unies et les États-Unis.
La France lève officiellement son embargo sur le
pétrole en Iran.
Samedi 3 décembre
1988
Petit déjeuner entre François Mitterrand et Helmut
Kohl à Rhodes.
Ce Conseil était annoncé comme un Conseil de
transition. C'est ce qu'il a été. Aucune décision n'était attendue,
aucun drame n'était prévu, aucun affrontement n'était envisagé. Ce
fut le cas. La déclaration sur le rôle international de la
Communauté a été acceptée parce qu'elle ne disait rien qui
préjugeât des positions des uns et des autres. Un fossé existe
entre ceux qui considèrent que l'harmonisation des réglementations
est une condition de l'Unité et ceux qui estiment que la
dérégulation est, en elle-même, le facteur d'unification. Les deux
pages consacrées à la « dimension sociale » ouvrent la voie, mais
la véritable négociation n'est pas amorcée. Le dossier monétaire
n'a pas été ouvert.
Le combat va changer de nature : il n'aura plus
pour thèmes l'agriculture, le budget, la compensation britannique ;
il va se concentrer sur les relations avec les Etats-Unis et la
nature du marché intérieur.
Au cours de la conférence de presse, François Mitterrand : A Hanovre,
j'ai dû rappeler en termes très fermes que la libération
[des capitaux] et l'harmonisation
[fiscale] sont liées et que ce serait
compromettre les décisions déjà prises en faveur de la libération
que de ne pas ouvrir les discussions sur l'harmonisation. A partir
de là, je m'arrête, je ne prétends imposer aucune mesure
particulière.
Lundi 5 décembre
1988
Le conflit franco-américain sur les négociations
de désarmement conventionnel se règle. Le « lien » dont nous
demandions le maintien entre la négociation à Vingt-trois
(OTAN-Pacte de Varsovie) sur le désarmement conventionnel et la
négociation à Trente-cinq (en y ajoutant les « neutres ») qui
s'ouvrira parallèlement sur les mesures de coopération et de
sécurité, sera réel, conformément à nos souhaits. Nous en sommes
maintenant à un schéma à peu près analogue à celui d'octobre
dernier, à savoir : séance d'ouverture commune aux futures
négociations à Trente-cinq et à Vingt-trois sur le désarmement
conventionnel ; négociations dans deux ailes distinctes d'un même
bâtiment ; information régulière des Douze par les Vingt-trois ;
examen par les Trente-cinq, lors de la prochaine CSCE à Helsinki,
en 1992, de l'état d'avancement des négociations à Vingt-trois...
Byzantin ou chinois ? Toujours est-il que l'honneur de chacun est
sauf !
Échec de la conférence ministérielle du GATT à
Montréal, marquant le mi-parcours de l'Uruguay Round. Le débat sur
l'agriculture va pourrir.
A la demande du Président, je vois Émile Biasini.
Le projet de Grande Bibliothèque doit être rapidement concrétisé
afin de lancer la consultation d'architecture. Biasini me parle à
nouveau de ses démêlés avec Jack Lang. Enfantillages !
Mardi 6 décembre
1988
A l'invitation du gouvernement suédois, Yasser
Arafat est reçu en chef d'État à Stockholm. Il y rencontre une
délégation de personnalités juives américaines. Le communiqué final
précise que l'OLP a accepté l'existence
d'Israël. L'idée, chère à Roland Dumas, qu'il pourrait venir
à Paris l'an prochain n'est plus invraisemblable.
L'ambassadeur de Pologne à Paris me dit des choses
révélatrices sur le dégel à l'Est : Les
peuples d'Europe centrale [car, pour lui, l'Europe de l'Est,
c'est l'URSS !] veulent en finir avec ces
quarante-cinq ans d'utopie qui ont échoué. Nous y avons sacrifié
deux générations, il faut maintenant tourner le dos à tout
cela. Des négociations sont en cours afin que la Pologne
puisse diffuser chez elle les émissions de TV
5 (cocktail d'émissions de TFI
et d'Antenne 2 diffusées dans un
certain nombre de pays d'Europe et du Maghreb).
Concernant le rééchelonnement de la dette de la
Pologne, il plaide pour que le Club de Paris accepte à présent un
rééchelonnement de très longue durée, de dix à quinze ans, qui
permette à son pays de redémarrer sur des bases saines. Il souligne
que les actuels ministres des Finances et de l'Industrie polonais
sont de vrais capitalistes décidés à rompre avec les errements
anciens. Il suggère que Michel Rocard invite le Premier ministre,
Mieczyslaw Rakowski. Il espère que les médias français ne
transformeront pas la venue de Lech Walesa à Paris (il me dit que
le professeur Geremek aura son visa et que Walesa n'aura évidemment
aucun problème pour revenir dans son pays) en un festival
anti-Jaruzelski. Il pense que l'affaire des nationalités en URSS
est bien plus grave pour Mikhaïl Gorbatchev que tout le reste :
Elle peut être contenue, mais pas résolue. En
Europe centrale, la Pologne va être maintenant à la pointe du
changement ; dans un second groupe (réformes économiques, mais
évolution politique mesurée), on trouve la RDA, la Tchécoslovaquie
et la Bulgarie ; la Roumanie est une honte pour ce qu'on appelait
autrefois le camp socialiste.
Mercredi 7 décembre
1988
François Mitterrand à
Michel Rocard, avant le Conseil des ministres : Ne croyez-vous pas qu'il vaut mieux quelquefois concéder
plutôt que se laisser arracher des concessions ?
Au Conseil, le Président
prononce l'éloge de Laurent Schwartz, qui préside le Conseil
d'évaluation des universités.
A propos de la situation internationale et du
problème des visas : Il faut les supprimer
pour les ressortissants des pays du Conseil de l'Europe. Les
terroristes sont toujours difficiles à atteindre ; ce n'est pas aux
frontières qu'on les arrête.
Sur l'OLP : Cela s'est mal
passé à Rhodes. Avec passion, le Premier ministre britannique s'est
fait l'interprète du refus de faire quoi que ce soit, épousant
ainsi les arguments des ultras américains et israéliens. Pour elle,
il ne pourra jamais y avoir de négociations, si ce n'est avec des
responsables élus démocratiquement dans les Territoires occupés.
Vous imaginez des élections dans les Territoires occupés avec des
soldats israéliens ? Ce sont des arguments que je n'avais plus
entendus depuis Robert Lacoste [à propos de l'Algérie],
en 1957 ! En tout cas, la position de l'OLP
comporte des faits nouveaux considérables.
Michel Rocard demande
l'autorisation de recourir à l'article 49.3 pour faire voter la loi
instituant le Conseil supérieur de l'audiovisuel et éventuellement
les DMOS (mesures budgétaires). Il déclare souhaiter en
user modérément.
François Mitterrand le
rassure : C'est l'application normale de la
Constitution. Vous vous en êtes servi très modérément, très, très
modérément. L'opposition va vous rendre un signalé service avec sa
motion de censure. Je crois qu'il ne faut pas être ballotté au gré
des vents, mais que soient nettement marquées les frontières entre
majorité et opposition.
Un violent séisme ravage le nord de l'Arménie,
particulièrement les villes de Spitak et de Leninakan. On dénombre
55 000 morts et 500 000 sans-abri. Les secours affluent du monde
entier, mais leur efficacité est amoindrie par l'inadaptation des
moyens locaux et le manque de coordination.
L'Assemblée adopte l'amendement Schreiner imposant
la coupure publicitaire unique [des
films diffusés] à la Cinq et à M6. TF1
respecte déjà cette règle à laquelle elle s'était engagée lors des
auditions devant la CNCL.
Mikhaïl Gorbatchev annonce devant l'Assemblée
générale des Nations unies une réduction unilatérale de 500 000
hommes ( 10 %) des forces militaires de l'URSS, ainsi que le
retrait d'Europe de 10 000 chars, le tout avant 1991. Concernant
l'Afghanistan, il propose un cessez-le-feu à partir du 1er janvier et l'envoi de forces de paix de l'ONU,
mais ces offres sont rejetées par la résistance afghane.
Jeudi 8 décembre
1988
Michel Rocard se trouve
à Limoges en compagnie de Lionel Jospin, au côté duquel il passe la
journée à faire le point sur les différents niveaux d'enseignement.
Il parle de la vie quotidienne des élèves et de leurs familles :
Une première difficulté de notre enseignement,
peut-être la plus grave : il ne s'occupe pas assez du travail des
élèves. Tous les parents s'en sont fait un jour ou l'autre la
remarque. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau. Les lycées et collèges
organisent des cours ; les devoirs et les leçons sont pour la
maison. Avec quelle aide ? Dans quelles conditions de travail ? Ce
n'est pas mon affaire, répond traditionnellement l'Éducation
nationale...
En quatre ans, le nombre de
jeunes de dix-huit à vingt ans scolarisés dans les lycées ou les
universités a augmenté de 300 000. Les gouvernements successifs
n'ont cependant pas fait tout ce qui était nécessaire pour
accueillir correctement ce flux montant et massif d'élèves
supplémentaires. On s'est contenté d'ajouter en moyenne un élève
par an dans les classes de lycées. La surcharge est allée
croissant... Pour les professeurs de lycée, cette situation ne peut
durer. Aucune catégorie sociale ne peut accepter une dégradation
durable de ses conditions de travail. Plus encore, cette
dégradation est aussi celle des études...
Il ressort d'une réunion entre Roland Dumas et
Émile Biasini qu'il serait utile d'inclure officiellement le projet
de Centre de conférences internationales de Branly parmi la liste
des Grands Travaux. Cette inclusion n'est pas nécessaire pour que
le projet voie le jour, mais pour qu'il se réalise dans les cinq
ans. L'inconvénient est d'ajouter un autre grand projet à la liste
actuelle. Je pense cependant qu'il convient de le faire.
Au Bangladesh, les experts français commenceront
leur travail dès le 5 janvier ; ils seront une quinzaine,
supervisés par un comité de très grands spécialistes (hydrologie,
sismologie, électronique) français, néerlandais, allemands,
espagnols et « communautaires ». J'ai pris contact avec Jacques
Delors à Bruxelles et Michel Camdessus à Washington. L'un et
l'autre sont d'accord sur le principe de leur participation au
financement du projet. Il suffirait de 500 millions de dollars par
an pendant dix ans pour faire quelque chose de crédible. Pour
réaliser le tout, 3 milliards de dollars par an seraient
nécessaires. Le Président du Bangladesh, qui sera en visite d'État
en Grande-Bretagne le 17 février prochain, demande à être reçu en
France vers le 20. Cela permettrait de lui montrer nos réalisations
en matière de barrages et de digues sur le Rhône.
Pour le Bicentenaire sont déjà invités les chefs
d'État ou de gouvernement du Mexique, de l'Argentine, du Venezuela,
du Sénégal, de l'Égypte, du Gabon, de la Côte d'Ivoire, du
Zimbabwe, de l'Inde, des Philippines, ainsi que le secrétaire
général de l'ONU.
Reste à inviter, outre les sept participants au
Sommet, Deng Xiaoping et les autres chefs d'État de l'Europe des
Douze (Espagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Danemark, Grèce,
Irlande, Portugal).
Gorbatchev écourte son voyage aux États-Unis et
ajourne sa visite à Cuba et en Grande-Bretagne pour se rendre en
Arménie après le séisme qui vient de ravager cette
république.
Visite officielle de François Mitterrand en
Tchécoslovaquie. Le Président insiste sur le nécessaire
rapprochement entre les deux Europes.
Un petit déjeuner avec les dissidents est organisé
à l'ambassade de France. Cette rencontre est une « première »
absolue : aucun chef d'État ou de gouvernement en visite officielle
à Prague n'a encore rencontré personnellement des opposants. Le
Chancelier Kohl et le Chancelier Vranitzky ont laissé ce soin à des
membres de leur entourage. Les Présidents autrichien et grec, tout
comme le Roi d'Espagne, n'ont prévu aucun contact de cet ordre.
C'est un geste qui va au moins aussi loin que celui qu'a fait
Margaret Thatcher en Pologne en rencontrant Walesa.
Puis le Président se rend à l'université de
Bratislava. Les autorités tchécoslovaques se sont fait tirer
l'oreille. Elles ont d'abord prétexté la vacance des cours, le
vendredi, pour ne pas donner suite à notre demande. Il s'agit là
encore d'un geste inédit d'un chef d'État occidental en direction
de la société civile.
En revanche, les autorités de Prague ont
catégoriquement refusé l'idée même d'une rencontre avec Alexander
Dubcek.
Pour le dîner francophone qui doit avoir lieu le
14 décembre 1988 à Casablanca à l'occasion du Sommet
franco-africain, le Roi du Maroc considère finalement que la
meilleure solution est que le Président soit l'invitant. Lui-même
s'y rendra, bien évidemment...
Vendredi 9 décembre
1988
C'est décidé, le Président en est d'accord : pour
en finir avec les « noyaux durs » et dans la ligne de l'attaque sur
la Société Générale, Pierre Bérégovoy présentera au Conseil des
ministres du 21 décembre un projet de loi visant à rompre
l'obligation qui était faite aux investisseurs composant les «
noyaux durs » des sociétés privatisées de conserver pendant deux
ans 80 % au moins de leurs participations dans ces sociétés. Le RPR
tentera sûrement de montrer qu'en rendant leur liberté de cession
aux actionnaires des « noyaux durs », on fragilise les sociétés
privatisées. En fait, ces « noyaux durs » sont politiquement
puissants mais économiquement inefficaces, du fait de leur
émiettement entre un grand nombre d'investisseurs ne détenant le
plus souvent que 1 ou 2 % du capital. Une recomposition de ces «
noyaux durs » est indispensable, dans le sens d'une plus grande
cohésion de l'actionnariat des sociétés privatisées et de
l'émergence d'« actionnaires de référence » puissants, qui
préservent nos intérêts nationaux.
La constitutionnalité du projet de loi semble être
assez solidement établie. On peut toutefois prévoir un recours du
RPR. La décision du Conseil constitutionnel de juin 1986 imposait
au gouvernement de veiller, lors des privatisations, à la
protection des intérêts nationaux : les « noyaux durs » ont été
alors la principale réponse d'Édouard Balladur aux objections
touchant à l'indépendance nationale. Il est donc indispensable,
pense Pierre Bérégovoy, d'insister, lors de la discussion
parlementaire, sur le fait que la liberté de cession rendue aux
membres des « noyaux durs » n'a pas pour effet d'accroître le
risque d'une prise de contrôle étrangère des sociétés privatisées.
Il pourra faire valoir que si l'ensemble des participations des
actionnaires publics dans un « noyau dur » est regroupé entre les
mains d'un seul actionnaire public de référence (qui aurait de 15 à
20 % du capital), la protection des intérêts nationaux sera mieux
assurée. Le projet de loi permettra un tel regroupement.
Michel Rocard à
l'Assemblée, sur les mouvements sociaux : Il y
a d'abord un malaise que je dirais qualitatif. Par le triple effet
des compressions de personnel, des fréquentes surqualifications par
rapport aux emplois occupés, et des lourdeurs administratives dont
les agents eux-mêmes sont souvent les victimes premières et
permanentes, le service de l'État n'est pas le plus propice à
l'épanouissement personnel. Certes, les agents publics sont en
règle générale à l'abri du chômage, ce qui n'est pas un mince
acquis. Mais de combien de frustrations et de déconvenues cet
avantage est-il payé ? Croyez-moi, sachez-le, c'est souvent au prix
fort !
Célébration du quarantième anniversaire de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, qui a commencé à
Paris avec Walesa et Sakharov.
Dimanche 11 décembre
1988
Mise sur orbite du satellite luxembourgeois
Astra.
Lundi 12 décembre
1988
Vu François Bujon de
l'Estang. Il refuse résolument l'ambassade du Caire. Il veut
un poste dans une des capitales des Sept. A la
rigueur Moscou...
Mardi 13 décembre
1988
Interdit de Nations unies à New York par les
Américains, Yasser Arafat se rend devant
l'Assemblée générale à Genève. Il propose une initiative de paix en trois temps. Israël et
Washington la rejettent.
Par le plus grand des hasards, je découvre que,
depuis avril 1987, un groupe de travail à Sept (les pays du Sommet)
composé de diplomates a été mis en place dans le plus grand secret
pour coordonner l'action de ces pays dans la lutte contre la
prolifération balistique. On a inventé un COCOM à Sept ! On parle à
ce propos de « zone de confiance » à Sept, sorte d'alliance floue.
Il est à l'évidence nécessaire de lutter contre la vente de
missiles à n'importe qui, mais pas par ce genre de groupe informel
à sept où les Américains entendent tout dominer. Encore une
turpitude de la cohabitation...
J'apprends que la Commission des opérations de
bourse, alertée par les Américains, décide d'ouvrir une enquête sur
d'éventuels délits d'initiés lors du rachat de Triangle par
Pechiney.
Mercredi 14 décembre
1988
Dans son bureau, avant le Conseil, le Président s'indigne d'un projet de décret
supprimant la forclusion pour les titres de Résistance et
autorisant donc des gens à revendiquer encore aujourd'hui ces
droits : C'est immoral, c'est nul ! Qui va
pouvoir maintenant trouver des preuves de ses supposés actes de
Résistance, sinon quelques dénonciateurs qui ont mis du temps à se
faire connaître comme résistants ? [Levant les bras au ciel
:] Découvrir des résistants en 1988 ! Enfin,
la mort va régler tout cela...
Au Conseil, Pierre Joxe
parle de l'Arménie (au sujet du tremblement de terre) :
Tout le monde veut y aller ! Tout le monde
veut qu'on parle de lui, mais personne ne suit le dossier, personne
n'est prêt à payer !
Henri Nallet, à propos
du GATT : Certes, nous avons été fermes. C'est
surtout parce que les États-Unis ne voulaient pas aboutir. Nous ne
pourrons pas défendre éternellement une position dont le seul
véritable enjeu est de maintenir nos restitutions céréalières. Il
faut continuer à habituer nos agriculteurs à l'idée qu'ils devront
affronter le marché tel qu'il est, sans compter sur des aides
publiques, renoncer aux illusions des conférences agricoles et
réduire les charges sur l'agriculture pour qu'elle reste
compétitive, sinon la Politique agricole commune deviendra un
système de quotas généralisés et notre excédent agricole
alimentaire s'effondrera.
Protestation des États-Unis contre notre récent
protocole d'intention préludant à un accord commercial avec Moscou.
Ils persistent à vouloir l'élimination des crédits subventionnés à
l'URSS.
Les États-Unis acceptent l'ouverture d'un
dialogue au fond avec des représentants de
l'OLP.
Jeudi 15 décembre
1988
Sommet franco-africain à Casablanca. Le Maroc y
renoue avec les pays de l'OUA, qu'il a quittée depuis 1984.
Le projet de loi substituant le CSA à la CNCL est
adopté par l'Assemblée (recours au 49.3).
Vendredi 16 décembre
1988
Première rencontre américano-palestinienne à
Carthage.
Samedi 17 décembre
1988
Le PSU se saborde. C'est là, dans ce petit bureau
de la rue Borromée, que j'ai rencontré pour la première fois Michel
Rocard il y a presque vingt ans...
Dimanche 18 décembre
1988
A 7 sur 7, Michel Rocard
parle prudemment des conflits dans la fonction publique. En tant
que socialiste, il comprend les
revendications, mais, en tant que chef du gouvernement, il
ne peut compromettre l'avenir en cédant
aux revendications salariales. Il appelle les organisations
syndicales à accepter un service minimum dans les services publics, lequel, dit-il,
sera forcément institué, soit par la négociation, soit par la
loi.
Lundi 19 décembre
1988
Concernant la Grande Bibliothèque, le Président
accepte l'appellation proposée par le rapport Melot-Cahart : «
Bibliothèque de France ». C'est l'équivalent en français de la
British Library. Il s'agit bien de la
Bibliothèque nationale transformée.
Jack Lang demande qu'avant toute décision
définitive sur le site en faveur de Tolbiac, on explore d'autres
pistes. Dimanche, il s'est promené dans le quartier du château de
Vincennes. Il persiste à penser que le terrain militaire situé à
proximité du fort serait une excellente situation : la surface est
vaste (6 à 7 hectares), l'environnement est beau (le château, le
parc), les liaisons excellentes (métro, autobus), les bâtiments à
détruire sont laids et récents ; leurs usagers (des appelés du
contingent en sélection) pourraient être relogés ailleurs sans
problème.
Le Président ne voit pas d'objection à ce qu'on
examine d'autres sites. Mais il préfère Tolbiac à toutes les autres
solutions envisagées jusqu'ici et attend une décision rapide.
Le Président recommande
aux dirigeants du PS de durcir le ton face au PC, dans la
perspective des prochaines municipales : Le
Parti communiste ne comprend que la force. Il fonctionne toujours
comme ça : combien de divisions ? Il faut lui parler fermement.
Mieux vaut organiser cent primaires et perdre, s'il le faut, vingt
villes, plutôt que de brouiller notre image. On ne peut
faire ami-ami avec des gens dont il est
évident qu'ils cherchent avant tout à nous perdre... Si le Parti
socialiste perd vingt villes, le Parti communiste risque d'en
perdre trente ou quarante. Le Parti socialiste peut vivre avec
vingt villes de moins, le Parti communiste ne le peut pas. Ça,
c'est un langage qu'ils comprennent!
En Israël, sept semaines de tractations entre le
Likoud et les travaillistes pour reconduire le gouvernement de
coalition. Au bout du compte, le gouvernement israélien prévoit de
nouvelles implantations juives dans les territoires occupés, refuse
la création d'un État palestinien et exclut toute négociation avec
l'OLP.
Mardi 20 décembre
1988
Le Président évoque une
phrase prononcée dimanche par le Premier ministre à 7 sur 7 (« La société est impossible à transformer très
vite ») : Mais qu'a fait Rocard depuis qu'il est là ?
Rien.
C'est injuste. Ont été décidés — pas forcément par
lui — : le revenu minimum d'insertion, l'impôt sur les grandes
fortunes, 11 milliards de francs pour l'Éducation nationale, un
accord sur les salaires dans la fonction publique, l'impulsion
donnée au logement social, le référendum sur la Nouvelle-Calédonie,
le Centre de conférences internationales à Branly, la Grande
Bibliothèque, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'annulation
du tiers de la dette africaine, Eurêka audiovisuel, la Conférence
sur l'armement chimique... Ont été annoncés et sont en cours de
négociation : le Fonds spécial de garantie pour la dette des pays
intermédiaires, les grands travaux au Bangladesh, les grands
travaux en Afrique (Observatoire du Sahara, lutte anti-acridienne,
recherche). Sans compter la nouvelle politique en direction de
l'Europe de l'Est...
Je suggère au Président un thème majeur pour son
second septennat : pour que les forces du marché ne fassent pas
partout la loi, pour que l'identité de l'Europe ne se dissolve pas,
pour que les rapports sociaux ne se réduisent pas à ce qui s'achète
et à ce qui se vend, la France, pays développé et démocratique,
propose au monde un autre modèle de développement que ceux du
libéralisme et de l'étatisme, un modèle où la recherche de la
justice et le plein respect des droits de l'homme seraient pris
sans relâche en considération.
En marge de ma note, le Président signifie son
accord.
Pierre Bérégovoy propose en violation du principe
de « ni-ni » présidentiel d'autoriser trois opérations de
privatisation partielle de petites banques nationalisées. Deux
d'entre elles concerneraient des prises de participation de 10 % de
banques étrangères, l'une allemande, l'autre italienne, dans deux
banques régionales appartenant au groupe nationalisé du CIC ; la
troisième autoriserait la Banque de Bretagne, banque de premier
rang nationalisée à 100 %, à ouvrir son capital au Crédit Mutuel de
Bretagne.
Bérégovoy estime que ces opérations passeraient
inaperçues en raison de leur modeste importance. Mais elles
engageraient en réalité le gouvernement dans des privatisations
partielles, sans même qu'une cohérence d'ensemble ait été définie.
Comment refuser demain au Crédit Lyonnais d'ouvrir son capital, par
une participation croisée, à la Kommerzbank allemande si la même
opération a été approuvée entre le Crédit Industriel
d'Alsace-Lorraine et la Banque du Bade-Wurtemberg ? Comment refuser
demain à la BNP d'ouvrir son capital à des personnes privées si la
même opération a été autorisée pour la Banque de Bretagne ?
L'Algérie demande à Gaz de France d'effectuer le
versement des sommes dues au titre du passé, tout en refusant les
autres termes de l'accord et le prix de 2,14 dollars. Pierre
Bérégovoy déclare à l'ambassadeur d'Algérie que Gaz de France va
donc s'acquitter immédiatement des sommes dues, tout en renonçant
au règlement global. Il accepte, en outre, le montant de l'aide
financière envisagée (1 milliard de francs par an pendant quatre
ans, dont 350 millions d' élément-don).
Or, il ne faudrait pas qu'on arrive à un accord
sur l'aide financière alors que la question du prix du gaz pour les
livraisons futures resterait entière !
Par ailleurs, le règlement du contentieux gaz
devait permettre de rétablir des relations commerciales normales
avec l'Algérie (ce pays doit mettre fin aux mesures
discriminatoires contre les entreprises françaises, dont certaines
sont engagées dans de lourds contentieux).
Mercredi 21 décembre
1988
Au Conseil des ministres, François Mitterrand, à propos d'une nomination
d'ambassadeur : Il faut choisir comme
ambassadeurs des spécialistes des pays où ils sont nommés et dont,
de préférence, ils parlent la langue.
Une vive discussion suit, entre Roland Dumas et
Pierre Bérégovoy, à propos de la remise de la dette aux pays les
plus pauvres.
François Mitterrand,
agacé que Pierre Bérégovoy semble vouloir revenir sur cette affaire
: C'est une décision politique. Personne ne
peut s'y opposer. La seule question est celle de la dette privée
garantie par l'État : est-ce qu'elle entre dans le paquet
d'allègements ou non ?
Une cellule de coordination contre les violences
racistes est créée à Matignon.
Pierre Bergé est au bord de la crise à l'Opéra.
Deux solutions : soit un compromis est trouvé avec Daniel
Barenboïm, celui-ci gardant le pouvoir pour deux ans, mais s'en
allant ensuite ; soit c'est la rupture. Mais Pierre Bergé n'aura
pas de directeur musical pour le remplacer aussitôt. Le grand chef
anglais, Jeffrey Tate, auquel il a pensé, a été dissuadé par Pierre
Boulez, qui soutient Daniel Barenboïm. Dans ce cas, l'Opéra serait
dirigé par Pierre Bergé et le nouveau directeur administratif,
Alain Pichon. Cela reporterait le début de la saison 1990 à mars ou
avril. Jack Lang ne souhaite pas aller à l'affrontement, alors que
Pierre Bergé, qui est prêt à l'assumer et le souhaite même, a
besoin d'instructions dès ce soir pour en finir.
De toute façon, c'est désolant. Cette affaire n'a
pas été gérée depuis trois ans, ni même depuis six mois. Et, si un
compromis n'est pas trouvé, se priver de Barenboïm serait un
désastre. Pourtant, l'État n'est pas le Bourgeois gentilhomme et ne
peut se permettre de payer trois fois plus cher qu'ailleurs.
Discussion avec le Président, toujours sur le même
thème : chercher pour ce second septennat de grandes actions qui
marqueraient les esprits et seraient économiquement utiles, comme
le furent naguère le projet de TGV, la promotion de Strasbourg
comme capitale européenne, le canal Rhin-Rhône.
Je suggère de lancer de grands travaux qui
marqueraient la France et l'Europe pour longtemps : les
ports.
Au moins depuis Fernand Braudel, on sait qu'un
pays n'est grand que par ses ports. L'Europe, depuis le
XVe siècle, n'a existé que grâce à une
succession de ports dominants ; dans l'ordre : Bruges, Venise,
Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres. Cela reste, comme depuis cinq
siècles, un enjeu majeur. C'est par les ports qu'affluent les
hommes, les idées, les projets. C'est à partir de là que rayonnent
les richesses. Aujourd'hui, la Méditerranée périclite et l'Europe
du Nord se structure autour de Rotterdam (concurrencé par Londres
et Anvers). Or, tous nos ports meurent, les petits comme les
grands, et leur arrière-pays avec. Je propose donc de dire que
l'ambition de la France, à l'horizon de l'an 2000, est de faire de
Marseille le premier port de la Méditerranée, et de l'ensemble Le
Havre-Dunkerque le premier port de la mer du Nord. Cela exigera
d'énormes efforts d'investissement (jetées, digues, hangars,
logements, Bourses, informatique, autoroutes, gares). C'est
d'ailleurs ce que font Italiens, Espagnols, Britanniques,
Néerlandais et Belges pour Gênes, Barcelone, Londres, Rotterdam et
Anvers. J'ajoute qu'on pourrait utilement combiner ce projet avec
un TGV marchandises Dunkerque-Marseille, voire
Dunkerque-Strasbourg-Marseille.
Michel Delebarre, ministre de l'Équipement et élu
de Dunkerque est évidemment enthousiaste.
(L'affaire sera difficile à conduire : comment
privilégier un ou deux ports parmi tous ceux qui se concurrencent
sur nos côtes. Mieux vaut, pour certains, ne pas choisir
qu'exclure...)
En Pologne, Mieczyslaw
Rakowski, Premier ministre, présente Lech Walesa comme un
homme de compromis et propose de
reprendre les discussions sur le rétablissement
du pluralisme syndical.
Jeudi 22 décembre
1988
Signature à l'ONU des traités sur l'évacuation de
l'Angola et sur l'indépendance de la Namibie.
Un Boeing 747 de la Pan Am s'écrase sur la ville
de Lockerbie en Écosse. Aucun survivant parmi les 258 passagers.
Les services disent que les Anglais « savent » que c'est un coup
des Libyens.
Vendredi 23 décembre
1988
Conformément à l'appréciation positive portée par
la France sur les décisions récentes de l'OLP, Roland Dumas propose
que la mission de liaison et d'information de l'OLP en France porte
désormais le titre de « Délégation générale de Palestine en France
». La France n'ayant pas reconnu l'Etat de Palestine, ce changement
positif de dénomination n'entraîne pas l'octroi à l'OLP d'un statut
diplomatique. Pas plus que la Délégation du Québec, la Délégation
générale de Palestine ne sera inscrite sur la « liste de MM. les
Membres du corps diplomatique » publiée par le Protocole, et le
délégué n'aura pas vocation à participer à la cérémonie de
présentation des vœux du corps diplomatique.
En revanche, afin d'octroyer à l'OLP plus qu'un
changement de dénomination, Roland Dumas propose de faire
bénéficier la Délégation générale de privilèges de caractère fiscal
et douanier.
Samedi 24 décembre
1988
Jack Lang ne veut pas se résigner au choix du site
de Tolbiac pour la Grande Bibliothèque. Il organise des réunions
dans son bureau, sans Biasini, pour choisir un terrain ! Cela
retarde tout. François Mitterrand lui
téléphone : On m'informe qu'une réunion s'est
tenue ce matin dans votre bureau à propos de la Grande
Bibliothèque, en l'absence de M. Biasini, secrétaire d'État chargé
des Grands Travaux. Je vous rappelle que ce dossier doit être suivi
par le secrétaire d'État, qui doit naturellement vous en informer.
J'ai donné mon accord au choix du terrain proposé par la Ville de
Paris, soit sept hectares sur l'emprise de Masséna-Tolbiac, tel que
M. Biasini l'a défini dans la note qu'il m'a remise. Il est
essentiel de tenir les délais fixés, ce qui exige le lancement, le
15 février, de la consultation d'architectes.
Manifestation à Tel-Aviv en faveur d'un dialogue
avec l'OLP.
Dimanche 25 décembre
1988
Itzhak Shamir accueille avec satisfaction la
proposition d'Hosni Moubarak de se rendre en visite en
Israël.
Jeudi 29 décembre
1988
Libération des deux petites filles de Jacqueline
Valente, détenues depuis novembre 1987 par Abou Nidal. Encore un
succès pour le général Rondot, l'un de nos meilleurs experts du
Moyen-Orient, qui rend compte régulièrement à Roland Dumas.
Visite de Rajiv Gandhi au Pakistan ; signature
d'un accord de non-agression nucléaire avec Benazir Bhutto.
Vendredi 30 décembre
1988
Branko Mikulic, Premier ministre yougoslave
démissionne. L'impasse politique s'ajoute à la crise
économique.
Samedi 31 décembre
1988
Vœux du Président :
Le 31 décembre 1992, 320 millions d'Européens
auront à vivre ensemble, toutes barrières abattues, libres
d'échanger leurs biens et leurs services, de circuler, de
s'installer, de travailler là où ils voudront. C'est un risque, me
dira-t-on. Sans doute. Eh bien, ce risque est pris et je l'assume
en votre nom... Le vrai risque serait au contraire de s'isoler, de
se replier sur soi-même...
Il annonce les thèmes qui seront ceux de la
prochaine présidence française, qui commence demain :
- Union
économique et monétaire : à Hanovre, le Conseil européen a confirmé
sa volonté d'aboutir, et un comité présidé par Jacques Delors
examine les moyens d'y parvenir ;
- Charte
sociale ;
- Europe
audiovisuelle : après avoir lancé l'idée d'Eurêka audiovisuel à
Hanovre, des Assises européennes de l'audiovisuel ont été décidées
à Rhodes ; elles se tiendront à Paris à l'automne 1989 ;
- Protection
de l'environnement ;
- Pays en voie
de développement : la convention de Lomé-IV sera négociée sous
présidence française (Lomé relie la Communauté à soixante-six États
d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) ;
- Espace sans
frontières : avancée vers la réalisation du Grand Marché ; mesures
pour l'Europe des citoyens ; reconnaissance des diplômes.
1989... L'année sera lourde : Sommet des Sept,
Bicentenaire, Sommet européen. Autant de paris qu'on ne peut se
permettre de perdre !