Mercredi 20 décembre
1989
Au Conseil des ministres, nouvelle discussion
introduite par Pierre Joxe au sujet des accords de Schengen. Le
ministre de l'Intérieur s'inquiète de ces accords qui posent le
problème des rapports des cinq pays signataires avec le reste des
Douze.
Le Président :
On fait l'Europe ou on ne la fait pas. Encore
faut-il naturellement une garantie à la frontière entre les cinq
pays et l'extérieur.
A la suite d'une intervention de Roger Fauroux sur
la filière électronique, le Président :
La mobilisation est d'autant plus nécessaire
que la situation industrielle est très grave pour l'ensemble de
l'Europe. Une bataille perdue pour l'industrie électronique, c'est
une bataille perdue pour toute l'industrie.
Jean Poperen dresse le bilan de la session
parlementaire.
Le Président :
L'absentéisme des députés bat tous les
records. Certains débats budgétaires se sont déroulés en présence
seulement de quatre ou cinq députés de la majorité. Mais les
ministres doivent aussi se montrer beaucoup plus respectueux du
Parlement. Seule une obligation internationale vraiment importante
peut justifier leur absence.
Rudd Lubbers écrit à François Mitterrand pour
proposer la candidature d'Onno Rudding, ancien ministre des
Finances des Pays-Bas, à la direction de la future Banque
européenne pour la reconstruction et le développement, si elle voit
le jour. Le Président transmet la lettre
à Élisabeth Guigou en lui recommandant, en marge, de donner une
réponse de principe.
Début de l'intervention américaine au Panama en
vue de renverser le général Noriega, inculpé de trafic de drogue
par la justice fédérale. François Mitterrand
: Des voyous, ces Américains ! Bush ne
m'a rien dit, encore une fois.
François Mitterrand se
rend en RDA. Il estime que la question de
l'unité allemande est dès à présent posée et exprime sa confiance
dans la maturité des Allemands, à l'Est
et à l'Ouest. Il propose de tenir la réunion au Sommet de la CSCE,
que Gorbatchev souhaite voir avancer d'un an, en décembre 1990 à
Paris.
Jeudi 21 décembre
1989
Conférence de presse de François Mitterrand à
l'université Karl-Marx à Leipzig. Il raconte à cette occasion,
comme il l'a souvent fait devant moi, son entrée dans la Résistance
en décembre 1941, dès son évasion d'Allemagne.
François Mitterrand :
Seules des élections libres, ouvertes,
démocratiques, permettront de savoir exactement ce que veulent les
Allemands des deux côtés. Il faut d'abord passer par cette épreuve,
qui est une bonne épreuve, avant de décider pour les Allemands...
Mais le peuple allemand doit se déterminer en tenant compte de
l'équilibre européen. Il ne peut pas faire fi d'une réalité qui
fait de lui, à l'Est, un membre très actif de l'alliance dite du
Pacte de Varsovie, avec des armées étrangères puissantes sur son
sol. Pas plus que l'Allemagne fédérale ne peut faire fi d'une
situation comparable avec ses alliés de l'Ouest. Je dis donc
que l'unité allemande, c'est ensuite l'affaire de vos
voisins, qui n'ont pas à se substituer à la volonté allemande, mais
qui ont à veiller à l'équilibre de l'Europe. Voilà presque une
contradiction. Je crois qu'il faut faire avancer en même temps les
formes d'unité allemande et européenne. Autrement, on va vers un
déséquilibre sur lequel vous aurez le devoir de réfléchir lorsque
vous voterez.
... La première fois que je
suis venu en Allemagne, c'était comme prisonnier de guerre en
Thuringe. Remarquez : la seule issue pour un prisonnier, c'est de
s'évader, c'est ce que j'ai fait. Comme je suis parti à pied, j'ai
pu visiter d'Allemagne, c'était la première fois. Je ne peux pas
dire que j'en garde un mauvais souvenir. M'ont été épargnées les
pires rigueurs ou les pires brutalités de la guerre. J'ai rencontré
beaucoup de braves gens parmi vos compatriotes. C'étaient
généralement des ouvriers, déjà un peu âgés, ou des soldats blessés
qui remplissaient la fonction de garder des prisonniers de
guerre.
... Bien entendu, lorsque je
me suis retrouvé en France occupée par les Allemands, fin 1941, au
mois de décembre, dans un pays coupé en deux — je sais ce que c'est ! —, je
ne pouvais choisir que le combat. Je suis allé en France, dans
toutes les provinces je suis allé un moment en Angleterre ;je suis
allé un moment en Algérie. Je suis revenu ensuite en France, au
début de 1944, et j'ai vu les grandes phases de la guerre. Terrible
guerre ! Au lendemain de cette guerre, je suis allé en République
fédérale, dès 1945, j'ai vu l'effroyable désastre des villes,
Francfort, Nuremberg et les autres, réduites à rien. Vraiment, la
guerre était abominable, et de part et d'autre nous nous sommes
détruits follement.
Donc, ce que vous appelez
l'antifascisme, c'est aussi une certaine forme de défense de la
paix, et le refus d'une idéologie imposée par la force. Voilà ce
que cela veut dire. Les idéologies sont saines, il faut bien avoir
des idées. Il est même bon d'avoir un corps de doctrine pour
s'expliquer le monde, expliquer le rôle des individus dans une
société, la relation entre l'État et le citoyen. Chacun selon sa
préférence. Mais, quand on veut imposer son idéologie aux autres,
on commet un crime contre l'esprit, et c'était cela, le fascisme et
le nazisme.
L'abomination du nazisme se serait donc réduite,
selon lui, à imposer sa doctrine aux autres ? Ses concepts mêmes ne
seraient donc pas condamnables en soi ? Comme toute idéologie, ils
seraient « sains » ? !... Le nazisme ne serait pas un corps de
doctrine monstrueux en soi, indépendamment de la force utilisée
pour l'imposer ?... Comment peut-il développer un tel contresens
?
Horst Teltschik me téléphone : il s'inquiète de ce
que, lors de la conférence de presse tenue par François Mitterrand
et Mikhaïl Gorbatchev à Kiev, ce dernier a renouvelé sa proposition
de convoquer une Conférence des États participants à la CSCE
(Helsinki II) dans le courant de 1990. François Mitterrand a
déclaré qu'il avait donné une réponse positive à cette proposition.
A Berlin-Est, le Président français a suggéré d'organiser cette
conférence à Paris à la fin de 1990. Teltschik craint que Moscou ne
songe à discuter en une telle occasion du sort de l'Allemagne. Il y
est très hostile. A son avis, y discuter des questions relatives à
l'Allemagne serait reconnaître de facto un droit de participation
dans ces discussions aux États qui — à la différence des quatre
puissances — n'ont ni droits ni responsabilités vis-à-vis de Berlin
et de l'Allemagne dans son ensemble. Autrement, il craint que le
problème de la réunification soit entre les mains des Belges ! Et
aussi, qu'en renvoyant à cette conférence, on gèle leur dynamique,
visiblement plus rapide. Je prends note, sans plus.
Rencontre des trente-quatre ministres des Affaires
étrangères de la CEE et de la Ligue arabe à Paris.
En Roumanie, la foule appelée à soutenir le
Conducator se retourne contre lui.
Intervention des forces armées. Confusion. Ceausescu est en
fuite.
Helmut Kohl propose à François Mitterrand de
franchir à son côté un passage dans le Mur, à la porte de
Brandebourg. Le Président refuse :
C'est une affaire entre Allemands. Je n'ai pas
à y participer. Kohl ne m'a pas prévenu de son plan
en dix points ; il refuse de reconnaître la
frontière Oder-Neisse. Et il veut que
j'aille légitimer sa mainmise sur la RDA ? C'est trop gros ! Il ne
peut pas espérer que je tombe dans ce piège. Et la presse française
qui dit que je ne comprends rien... Les journalistes sont toujours
prêts à se coucher aux pieds du vainqueur, comme en
1940!
Vendredi 22 décembre
1989
L'Assemblée adopte définitivement le texte sur le
financement de la vie politique. Avec l'amnistie !... Détail
significatif: le vote de cet amendement permet peut-être de faire
échapper Christian Nucci à toute poursuite, sans obliger cependant
le juge à le faire bénéficier de l'amnistie. Lourd brouillard.
Rocard croit que Nucci est exclu de l'amnistie. Mauroy, lui, espère
qu'il est couvert.
François Mitterrand :
J'enrage contre ce texte!
Une décision de libération totale des
investissements étrangers en France doit intervenir le 1er janvier, car elle est liée à la suppression du
contrôle des changes. Les investissements communautaires libres,
conformément à nos obligations européennes, restent soumis à des
formalités déclaratives préalables. Pierre Bérégovoy propose de
supprimer la formalité de déclaration préalable et de maintenir la
procédure d'autorisation pour les investissements non
communautaires.
Le Président laisse faire.
Discussion avec François Mitterrand. Il faut
inventer un concept qui donne sens à la maison
commune et qui rassemble tous les pays d'Europe. La Banque
ne lui paraît pas suffire. Le mot communauté est déjà pris. Pourquoi pas confédération ?
Dimanche 24 décembre
1989
Une liberté totale de circulation est instaurée
entre la RFA et la RDA.
Proclamation de l'état d'urgence sur l'ensemble du
territoire roumain. Violents combats.
Le Président :
Et on voulait que j'aille sur la porte de
Brandebourg avec Kohl ? C'est grotesque !
A Panama, le général Noriega, assiégé par les
marines, s'échappe et se réfugie... à
la Nonciature ! Décidément, sous tous les cieux et à toutes les
époques, le Vatican pratique beaucoup la charité envers les grands
criminels.
Lundi 25 décembre
1989
Le monde apprend en même temps le procès, la
condamnation à mort et l'exécution immédiate des époux Ceausescu.
Malaise devant la tenue des condamnés et l'embarras des
bourreaux.
Mardi 26 décembre
1989
Mise en place en Roumanie du Conseil du Front de
salut national, présidé par Ion Iliescu. Petre Roman devient
Premier ministre.
La lettre de François Mitterrand invitant à
négocier à Paris la création de la BERD est expédiée aux
Trente-Cinq, y compris aux Soviétiques. La conférence de
négociation aura lieu le 15 février. Les Américains seront furieux,
en la recevant, d'apprendre qu'on ne les a pas consultés avant de
lancer cette procédure. Et, surtout, que les Soviétiques y sont
invités.
Mercredi 27 décembre
1989
Pressés par Roland Dumas d'intervenir en Roumanie,
contre les hommes de Ceausescu qui menacent encore, les Soviétiques
refusent, usant de deux arguments que l'on peut résumer ainsi : le
Conseil du Front de salut national n'a rien demandé ; une
intervention militaire risquerait de raviver les litiges
territoriaux à propos de la partie de la Moldavie récupérée par
l'URSS au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Lors d'une réunion qu'on croyait finale, le projet
d'accord entre l'État et la CGE sur Framatome n'a pas été conclu,
Pierre Suard voulant que la CGE ait un rôle d'opérateur industriel
prépondérant. Alors que l'accord faisait passer l'équilibre
public/privé de 45/52 à 47,5/47,5, (le reste étant neutre) ces
déclarations ont semé la confusion sur le thème de la
privatisation, alimentée par Jean-Claude Leny, le patron de
Framatome, hostile à l'idée d'un accord entre ses actionnaires et
souhaitant un dégagement de la CGE et une renationalisation de
Framatome. Après une pause au cours de laquelle le ministre de
l'Industrie et Pierre Suard ont décidé d'éviter toute annonce
publique, le gouvernement a proposé de tenter de conclure un accord
amélioré avant d'envisager d'autres solutions (rachat coûteux des
parts de la CGE par l'État, épreuve de force aux conséquences
juridiques incertaines).
Mais la situation actuelle ne peut se prolonger :
la CGE, forte de son accord d'actionnaire avec Dumez, pourrait
reprendre le contrôle complet de Framatome, nommer l'ensemble des
administrateurs et le président, avec de faibles possibilités de
contestations juridiques par les autres actionnaires, dont l'État.
S'il n'y a pas d'accord, il faudra choisir entre cette prise de
contrôle totale par la CGE et un rachat par le secteur public des
parts privées (que Pierre Suard accepterait, mais à un prix élevé).
C'est-à-dire nationaliser la part de la CGE et celle de Dumez au
prix fort. Leny le souhaite, mais cela ne suffit pas à mon avis
pour prendre ce risque financier et politique.
De toute façon, il faut trouver une solution pour
que le problème de Framatome n'entretienne pas une méfiance
permanente entre l'Etat et la CGE. Les enjeux industriels à
l'exportation (télécommunications, TGV) et l'importance des achats
publics poussent à la normalisation, sans faiblesse, des
relations.
Le Président :
Framatome a été indûment privatisée. C'est,
avec TF1, mon regret. On aurait dû les
renationaliser en 1988.
Rétablissement des relations diplomatiques entre
Le Caire et Damas.
Jeudi 28 décembre
1989
L'incroyable s'accélère ! Élection d'Alexander
Dubcek, l'homme du Printemps de Prague, à la présidence de
l'Assemblée fédérale tchécoslovaque.
En Roumanie, le Front de salut national supprime
la mention « république socialiste » du nom du pays et décide la
tenue d'élections libres et multipartites.
Vendredi 29 décembre
1989
L'Assemblée fédérale tchécoslovaque élit Vaclav
Havel à la Présidence de la République.
Le Comité central du Parti communiste bulgare met
fin à la politique d'assimilation forcée des Turcs.
Qui peut encore penser que, dans ce tourbillon,
qui que ce soit résistera à la réunification allemande ?
Samedi 30 décembre
1989
Limogeage d'Ezer Weizman, ministre israélien de la
Science, par Itzhak Shamir, pour contacts avec l'OLP. Encore un
pionnier victime — provisoire ?... — de son audace.
Les troubles se généralisent en URSS :
Manifestation des nationalistes azéris qui revendiquent la liberté
de circuler entre l'URSS et l'Iran. Que fera Gorbatchev ?
Dimanche 31 décembre
1989
François Mitterrand
évoque dans ses vœux la perspective d'une grande confédération européenne associant les Douze aux
pays de l'Est venus ou revenus à la démocratie.