1986
(du 1er janvier au 16 mars)
Mercredi 1er janvier 1986

Avant qu'il ne parte pour Israël, Charles Hernu reçoit un appel téléphonique de François Mitterrand qui passe le réveillon à Latché. Le Président insiste : « Plus un mot sur l'affaire Greenpeace ! »


Jeudi 2 janvier 1986

La décision de boycott de l'Afrique du Sud, prise en grande pompe il y a trois ans, n'est appliquée par personne, ni par la RFA, ni par les Anglais. Ni même par la France. Seuls les Belges et les Luxembourgeois l'ont respectée. Le projet de décret doit repasser en Conseil.


Vendredi 3 janvier 1986

A l'Élysée, les conseillers réfléchissent à l'intervention que le Président pourrait faire durant la campagne des législatives : on retient l'hypothèse d'un vendredi soir, en février. Trois dates possibles : le 7, le 14 ou le 21, à Lille. Les élus socialistes du Nord font remarquer que les 14 et 21 seront des dates de congés scolaires dans leur zone géographique. Le meeting aura donc lieu vendredi 7 février.


Dîner avec Maurice Faure, toujours aussi chaleureux et amical. Il en a visiblement assez d'être en campagne, il aimerait que «le Président le sorte de ses obligations de campagne électorale en lui donnant quelque chose à faire, à Paris ou ailleurs ». Il suggère par deux fois : « Tu ne pourrais pas m'envoyer huit jours en mission en Éthiopie ? »



Samedi 4 janvier 1986

Réponse d'Assad à la lettre de François Mitterrand du 31 décembre :
« Je suis heureux de pouvoir vous informer que nous sommes à présent parvenus à des résultats définitifs comprenant les éléments de solution à ce problème dans le sens des idées que nous avons échangées dans nos lettres (...). Je suis convaincu que tout ira pour le mieux de manière à assurer une exécution rapide, susceptible de nous conduire à l'issue heureuse que nous appelons tous de nos vœux. »
C'est pour demain. Enfin ! Nul n'est au courant et pourtant, par ondes successives, une sorte d'euphorie s'empare de tout Paris, et chacun fait mine d'être dans la confidence.




Dimanche 5 janvier 1986

Ce soir, Roland Dumas doit partir pour Damas chercher les otages. Le Mystère 50 présidentiel est prêt à décoller à Villacoublay. Mais Assad appelle le Président : « Il y a encore des difficultés à régler. » Le voyage est simplement retardé. Plus tard, dans la nuit, les Syriens indiquent à l'ambassadeur de France à Damas qu'ils ont envoyé des hommes dans la plaine de la Bekaa, à Baalbek, pour chercher les otages. « Nous vous appellerons dès que les otages seront là. » On attend. Tout est remis à demain. L'exaltation retombe.




Lundi 6 janvier 1986

Roland Dumas envoie un message à notre ambassadeur à Damas : « Que l'opération prévue ne prenne plus aucun retard. Celui-ci nous surprend et nous préoccupe. Nous n'en comprenons pas les raisons et en redoutons les conséquences. »


Mardi 7 janvier 1986

Au petit déjeuner, François Mitterrand glisse : «Après 1986, j'ouvrirai le champ de la naturalisation. » Fabius apprécie peu. Le Président poursuit : «Aux législatives, avec de bons candidats et sur un combat frontal, on ne peut pas faire moins de 150 élus. »


De Damas, Servant, notre ambassadeur, écrit : « Il est clair que les Syriens rencontrent des difficultés, dont ils préfèrent ne pas nous donner le détail, dans leur dialogue avec le Hezbollah et Téhéran. » Le Hezbollah craint de libérer les otages avant que Naccache n'ait quitté la France. Il propose le transfert de Naccache dans un pays tiers tel que l'Algérie où, sous garde algérienne et française, il attendrait la libération des otages. Refus français. Sadegh repart pour Téhéran où, promet-il, il va s'efforcer de plaider la cause de la France.
Malchance : à Téhéran les pourparlers franco-iraniens sur le contentieux Eurodif sont enlisés.


Après les attentats de Vienne et de Rome, Ronald Reagan annonce la rupture des relations économiques et commerciales avec la Libye.
Mercredi 8 janvier 1986

Ronald Reagan écrit à François Mitterrand pour dénoncer le rôle de la Libye dans le terrorisme international. Il propose à nouveau d'organiser une coopération à Sept contre la Libye. Coopération, oui. A Sept, non !

A la demande de Georges Lemoine, le Président accepte de se rendre à Chartres afin d'inaugurer une rue Maurice-Violette. Mais il refuse d'aller inaugurer un IUT à Montluçon. Jubilation ici, colère rentrée là.

Selon Servant, à Damas, « les négociations avec le Hezbollah et Téhéran sont difficiles, même si ni les uns ni les autres ne posent de nouvelles conditions. C'est le problème des relations de la Syrie avec ses interlocuteurs qui se trouve posé, en même temps que celui de l'influence iranienne au Liban. Sans doute aussi les ravisseurs du Hezbollah craignent-ils qu'en libérant les otages, ils ne se privent d'un gage essentiel pour leur propre sécurité ».

La Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège acceptent notre proposition d'étudier un avion de combat européen afin de préparer de longue main le remplacement, à la fin du siècle, de l'appareil américain F 16 dont ils se sont dotés.
L'accueil est, au contraire, négatif à Bonn, à Rome et à Londres, déjà lancés dans la conception de leur propre avion.



Vendredi 10 janvier 1986

Vu l'ambassadeur Grenier qui part prendre ses fonctions à Damas.

François Mitterrand : « On a vu de grands savants et de grands intellectuels qui allaient vers la foi par leur science ; on en a vu d'autres, du même gabarit, s'éloigner de la foi par la science. Je crois que, naturellement, la foi n'est pas rationnelle. »
Un piège évident de la foi, c'est le refus de savoir, le refus d'aller plus loin. On a déjà une réponse, pourquoi chercher plus loin ? Dans les autres siècles, on jetait l'anathème sur tous ceux qui savaient, sur ceux qui croyaient à la transmutation des métaux. On appelait très rapidement sorcellerie toute expérience nouvelle et toute découverte scientifique. Donc, le fanatisme est un piège. Je devrais plutôt dire : le dogmatisme entraîne le sectarisme, l'intolérance et donc la persécution.
Finalement, l'histoire des Églises montre que la manière la plus sûre d'assurer la pérennité de son propre enseignement, de sa propre foi, c'est de disposer du pouvoir et donc des moyens de l'enseignement. C'est sémantiquement incompatible si l'on se dit agnostique. On ne peut pas être agnostique et avoir une foi religieuse. Il y a bien entendu beaucoup d'hommes de haute stature qui ont une foi dans l'homme d'autant plus forte qu'ils se passent de l'explication surnaturelle. Pour moi, il est tout à fait conciliable d'avoir foi en Dieu et en l'homme, parce que l'homme est porteur d'un message qui le dépasse. La conquête de sa liberté, son affranchissement progressif, sa maîtrise du monde, le développement de son esprit sont tout à fait compatibles avec la foi. Il n'y a pas d'antinomie entre la foi en l'homme et la foi en Dieu. »
Lundi 13 janvier 1986

François Mitterrand envisage de tenir, avant les élections de mars, une série de dix déjeuners, par thèmes, avec « ceux qui font gagner la France », ou un grand « dîner pour la France qui gagne » réunissant à l'Elysée deux cents artistes, créateurs, entrepreneurs, animateurs sociaux de toute sorte. On voit d'où vient l'idée. Puis il se reprend : « Avancer avec prudence pour éviter des refus ». Fabius est contre.





Mardi 14 janvier 1986

Accident d'hélicoptère sur le Paris-Dakar : 5 morts, dont Thierry Sabine et Daniel Balavoine. Daniel avait toujours su garder la distance juste entre action et rébellion.


Une date est arrêtée pour le dîner de « la France qui gagne » : le 14 février. Puis François Mitterrand freine à nouveau : « Je crains des refus qui joueraient contre l'utilité de cette initiative. »




Mercredi 15 janvier 1986

Réunion sur le lien TransManche. Le choix est fait : ce sera un tunnel ferroviaire.


Nouvelles propositions de désarmement de Gorbatchev «pour libérer la terre des armes nucléaires d'ici la fin du siècle ». Il reprend intelligemment à son compte l'approche reaganienne de suppression de l'arme nucléaire, mais en sautant l'étape de l'IDS. Dangereux : cela laisserait, à terme, l'Europe à la merci de la puissance conventionnelle soviétique.
Selon ces propositions, les Etats-Unis et l'URSS renonceraient à créer, essayer et déployer les armements spatiaux de frappe. (Cela ne concerne pas les missiles antimissiles basés au sol.) L'URSS et les Etats-Unis stopperaient tous leurs essais nucléaires. Ils réduiraient de moitié, en cinq à huit ans (d'ici 1991 ou 1994), leurs arsenaux nucléaires. Ils garderaient un maximum de 6 000 ogives chacun. Les États-Unis retireraient, « dans la zone européenne », leurs Pershing II et missiles de croisière, l'URSS ses SS 20 et ses missiles de croisière. Les États-Unis ne fourniraient pas de missiles stratégiques à moyenne portée à d'autres pays. La France et la Grande-Bretagne gèleraient leurs armements nucléaires « correspondants ». Les autres puissances nucléaires gèleraient tous leurs armements « correspondants » et ne disposeraient pas de missiles sur le territoire d'autres pays.
Lorsque la réduction de 50 % serait atteinte, ils décideraient la suppression par toutes les puissances de l'arme nucléaire tactique. L'accord d'interdiction des armements spatiaux de frappe serait étendu à « toutes les puissances industrielles ». Toutes les puissances mettraient fin aux essais nucléaires. Enfin, on déciderait l'interdiction de mise au point d'armes nonnucléaires basées sur des principes physiques nouveaux.
Puis, à partir de 1995 au plus tard, jusqu'à la fin de 1999, liquidation des armements nucléaires encore conservés. Accord universel pour empêcher que l'arme nucléaire ne ressuscite. Contrôle par des moyens techniques nationaux et des inspections sur place.
«Au moment opportun », cessation de la fabrication des armes chimiques. Liquidation de la base industrielle de fabrication et des stocks avec vérification internationale, y compris sur place.

François Mitterrand accepte, avec prudence, la coopération proposée par Ronald Reagan à propos de la Libye :
« S'agissant des mesures que vous proposez, j'en ai prescrit, vous le comprendrez, un examen attentif. La France souhaite mener à ce propos une consultation approfondie entre Européens. C'est pourquoi elle a donné son accord à la récente proposition italienne de réunion ministérielle de coopération politique, afin d'examiner sans délai les possibilités de renforcer la coopération européenne dans la lutte contre le terrorisme, les relations des Douze avec la Libye, y compris les mesures adoptées par les pays concernés, ainsi que la situation en Méditerranée, et d'arriver à des positions communes.
S'agissant de la Libye, vous savez que la situation au Tchad et en Tunisie nous a déjà conduits depuis plusieurs années à faire certains choix draconiens et à mettre en place un important dispositif de sécurité, qui a fait ses preuves. Nos échanges avec ce pays, qui ne portent sur aucun matériel sensible, sont aujourd'hui trois fois moins importants qu'il y a quatre ans. C'est dire que nous n'avons aucune intention de compliquer la mise en œuvre des décisions américaines.
Les éléments que je viens de rappeler m'amènent à penser que notre coopération dans la lutte contre le terrorisme doit être intensifiée dans toutes les instances compétentes, dans le respect de la souveraineté de chacun. C'est pourquoi j'ai donné aux ministres compétents les instructions appropriées, qui conduiront rapidement, je l'espère, à des résultats concrets.
Je propose que les directeurs politiques américain, britannique, allemand et français procèdent à un échange de vues confidentiel et approfondi sur les divers aspects du terrorisme au Proche-Orient.
Nous réfléchissons également à ce que pourrait être la meilleure façon d'organiser une coopération régulière entre les pays européens et les États-Unis à ce sujet. »
Bettino Craxi proteste une seconde fois contre la prochaine réunion du G 5, prévue à Londres dans quelques jours. Cette fois, il n'écrit qu'à François Mitterrand :
« La prochaine réunion du Groupe des Cinq est désormais imminente, mais je n'ai pas encore eu de réaction formelle à notre demande. D'après les échanges d'informations que nous avons pu avoir avec les gouvernements des pays intéressés, il semblerait toutefois que les principales difficultés à une participation italienne proviendraient des membres européens.
... Vous êtes certainement au courant des lourdes charges supportées par l'Italie à la suite des décisions de la précédente réunion pour maintenir des conditions ordonnées dans le marché des changes. Les tensions provoquées dans le Système monétaire européen à la suite de la chute du dollar ont conduit à une cession importante de réserves de la Banque d'Italie. Il est objectivement douteux que l'Italie puisse continuer à participer, je le répète, d'une manière onéreuse, à l'application de décisions auxquelles elle n'est pas appelée à prendre part.
Je vous dirai en toute franchise que cela a réveillé les anciennes critiques sur notre,participation au SME. Ainsi se sont accrues les pressions de ceux qui plaident, en de semblables situations, pour le maintien de vastes pouvoirs discrétionnaires du gouvernement italien, lequel défendrait certainement mieux les intérêts économiques du pays. L'on souligne, non sans quelque logique, que l'économie italienne, en l'absence de liens avec le SME, serait en mesure de bénéficier de la conjoncture actuelle.
Il n'est pas difficile de prévoir que, dans l'hypothèse d'une nouvelle absence de l'Italie aux réunions du Groupe des Cinq, se manifesteront avec plus d'acuité les demandes de ceux qui, en guise d'alternative à une augmentation des taux d'intérêt, préjudiciable aux perspectives de reprise économique, réclament d'ores et déjà un relâchement unilatéral, bien que temporaire, de la discipline des changes prévue par le SME. »
Craxi cherche-t-il à préparer la sortie de la lire du SME ?

François Mitterrand sollicite l'avis de Pierre Bérégovoy, qui se déclare hostile : si le G 5 devait se transformer en G 8, pense-t-il, les États-Unis, la République fédérale et le Japon pourraient organiser entre eux des réunions à trois dont nous serions exclus. Cela s'est déjà produit à l'époque du Président Giscard d'Estaing. Bérégovoy propose de ne pas émettre d'avis négatif tout en laissant le soin au pays invitant, le Royaume-Uni, d'opposer à l'Italie un refus collectif.
Le Président : «Non. Prévenir l'Allemagne et la Grande-Bretagne que nous appuierons la demande italienne »et il répond à Craxi : « Vos deux lettres me sont bien parvenues. Je partage votre argumentation et comprends vos soucis. »



Jeudi 16 janvier 1986

Réflexion de François Mitterrand sur la cohabitation : « La question de savoir comment s'applique la Constitution à la lumière de la libre expression du suffrage universel relève du Président de la République et de lui seul, en vertu d'un texte clair et qui n'a jamais été critiqué par personne jusqu'à présent, personne n'ayant proposé de réécrire l'Article 5 de la Constitution.
Cet article dicte d'ailleurs les devoirs du Président et donc ses pouvoirs : il est le garant de l'unité nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des engagements internationaux de la France. Cela ne peut être discuté, pas plus que la responsabilité suprême du Président en matière de défense de la France.
Passé les premiers jours à discuter sur les attributions respectives des uns et des autres, une nouvelle discussion juridique va monopoliser les députés et les Français : l'opposition propose, dès le lendemain des élections, de récrire le Code électoral pour revenir au scrutin d'arrondissement.
Mais ce retour n'est pas aussi facile, car les interprètes de la Constitution ont récemment reçu, à propos de la loi sur la Nouvelle-Calédonie, un avertissement du Conseil constitutionnel: le découpage électoral précédemment appliqué ne peut être rétabli tel quel, car il est devenu, du fait des mouvements de population, contraire à la Constitution. Il n'assurerait plus l'égalité du suffrage populaire, puisque certaines circonscriptions (une vingtaine) ont un député pour moins de 50 000 habitants alors que d'autres (également une vingtaine au moins) ont plus de 200 000 habitants et n'élisent qu'un député.
... Or, le découpage est de la compétence des assemblées et chaque député essaie donc, à cette occasion, de se tailler la meilleure circonscription. On imagine les heures de discussions parlementaires pour aboutir à un accord : ils en auront au bas mot pour six mois, pendant lesquels on ne fera rien d'autre. »
Le Président et le Chancelier Kohl se retrouvent à Baden-Baden, au quartier général des forces françaises en Allemagne, pour mettre au point les grandes lignes du processus de consultation sur l'emploi éventuel des armes nucléaires à courte portée françaises en Allemagne : pas de consultation sur la déimition des cibles, ni sur les conditions d'emploi, mais, seulement en cas de crise, sur la décision d'emploi.
François Mitterrand : Pour l'emploi des armes préstratégiques françaises, c'est un problème de consultation entre nos deux pays. Je pense que, là-dessus, nous pouvons mettre au point un système.
Helmut Kohl : La meilleure chose serait que nous arrivions à une solution analogue à celle qui existe entre le Président Reagan et nous. J'ai une lettre de Reagan, je veux une lettre de vous. Nous en reparlerons à Paris.
Le général Saulnier, qui assiste à l'entretien, est absolument contre.

Après la décision du Conseil constitutionnel annulant la concession de la Cinq, la Haute Autorité entend à nouveau tout le monde, y compris Jacques Rigaud. Les dirigeants de la chaîne annoncent qu'ils ne feront pas d'information avant septembre...


Vendredi 17 janvier 1986

François Mitterrand à Grand-Quevilly. Décidément, il adore les meetings. Il arrive agacé, fatigué, et, à la tribune, il rajeunit de dix ans.

Signature des contrats de la Cinq, modifiés.


Samedi 18 janvier 1986

Nouvelle réunion des cinq ministres des Finances à Londres. Les Italiens n'ont pas été invités. Les États-Unis et la Grande-Bretagne font obstacle à une diminution concertée des taux d'intérêt.




Lundi 20 janvier 1986

Pour la première fois depuis 1979, le prix de référence du pétrole brut descend au-dessous de 20 dollars le baril. Le Mexique ne pourra pas payer sa dette. La crise est là.


Maurice Lévy, patron de Publicis, rencontre Georges Fillioud et lui présente son projet pour la Six.

Édouard Balladur souhaite rencontrer Roland Dumas en privé. François Mitterrand l'y autorise, mais l'invite à la «prudence ». La rencontre, chez un ami commun, sera l'occasion d'une vaste dissertation sur la cohabitation. Les grandes lignes d'un code de bonne conduite sont esquissées.
Les Allemands proposent qu'une lettre conjointe soit écrite par le Chancelier et le Président français au Premier ministre irlandais afin de proposer une procédure et un calendrier pour l'Union politique. François Mitterrand accepte. Je travaille au projet, de sorte qu'il soit prêt avant le Sommet franco-allemand du 23 février.

Premiers contacts du Président avec la droite avant les élections. Par l'intermédiaire de deux vieux amis de François Mitterrand, Pierre Guillain de Bénouville et Pierre Merli, Jacques Chirac fait savoir qu'il souhaite être Premier ministre. D'autres dirigeants de droite — Chaban par le sénateur Merli. Peyrefitte par Jean-Louis Bianco, Simone Veil par André Rousselet — font également savoir qu'ils ne diraient pas non si on leur proposait Matignon.

Au XXVIIe Congrès du PC à Moscou, Mikhaïl Gorbatchev écarte tous ceux qui se sont opposés à un moment ou à un autre à son ascension. Les hommes qui l'entourent portent sur le passé brejnévien un diagnostic sévère. Comme préalable à toute reprise, ils exigent une véritable « purge » des mécanismes fondamentaux du système : en fait, ils veulent introduire l'économie de marché. Une fraction de l'appareil techno-industriel (le Premier ministre Rijkov et son ancien adjoint Eltsine, à présent secrétaire du Parti communiste à Moscou) sont pour. Mais Gorbatchev, quant à lui, n'accepte pas de se lancer dans une telle révolution. Critique vis-à-vis des réformes hongroise et chinoise, il préfère une médecine plus traditionnelle. Il refuse une refonte du système des prix, notamment de celui de l'énergie. La chute accélérée du prix du pétrole conduit à un manque à gagner de 9 milliards de dollars. Gorbatchev n'est pas menacé de perdre le pouvoir, mais il sera contraint, comme l'avait été Brejnev en son temps, d'accepter une répartition du pouvoir qui entamera son autonomie. Il entend réduire l'influence politique de l'aile moderniste de l'armée qui, avec le maréchal Ogarkov, plaide pour une concentration des efforts vers l'espace, les ordinateurs, la modernisation du corps de bataille, au détriment de la marine traditionnelle, d'une présence excessive dans le Tiers Monde, des gros effectifs et de l'intervention en Afghanistan. Il va avoir d'autant plus besoin d'une « pause » à l'extérieur.



Mardi 21 janvier 1986

A la demande de Ronald Reagan, le numéro deux du State Department, John Whitehead, vient à Paris pour proposer une stratégie commune à Sept sur le terrorisme : « Les réserves de la France à l'égard d'une concertation à Sept sont bien connues à Washington. Un renforcement de cette concertation est néanmoins indispensable, et les six autres pays sont prêts à engager une coopération plus opérationnelle couvrant tous les aspects du terrorisme. La France devrait donc faire rapidement des contre propositions précises si elle veut prendre part au mouvement en cours. Les États-Unis envisagent en effet d'élargir le cercle des Six à d'autres pays intéressés (sans doute l'Espagne, la Turquie, l'Égypte) pour constituer un "groupe des pays partageant la même attitude ", afin d'améliorer la concertation en cas d'incident. »
Cette dernière proposition, encore vague, pourrait apparemment permettre de sortir du cadre formel des Sept. Mais cela ne nous garantira en rien contre des déclarations intempestives à ce sujet lors du Sommet des Sept, amplifiant la dimension politique de la démarche américaine et réduisant d'autant les possibilités de coopération efficace entre services.
Mercredi 22 janvier 1986

Bob Geldof, le fondateur de Band Aid, élu « Homme de l'année 1985 » par les grands journaux américains et Le Point, est à Paris pour les obsèques de Daniel Balavoine. Dans ses mémoires, il racontera son déjeuner à l'Élysée avec le Président en s'étonnant que l'interprète se mêle à la conversation. L'interprète, c'est moi.


Bleustein-Blanchet et Lévy, reçus par Fabius, se proposent publiquement pour créer une chaîne musicale, la Six.

François Mitterrand : « Vivre est absurde. Nous sommes comme les passagers d'un avion — avec plusieurs classesqui boivent du champagne alors qu'ils savent que l'avion va s'écraser sur une montagne. »


Dimanche 26 janvier 1986

En route pour la réunion des sherpas à Honolulu, je passe par La Havane. Dans le palais du vice-roi, à côté du trône réservé au souverain espagnol au temps de la colonisation, une grande photographie de Juan Carlos : farce ou... nostalgie ?
L'heure d'entretien annoncée avec Castro se prolonge. Je passe sept heures avec lui, d'abord en tête à tête, puis avec Gabriel Garcia Marquez, de 20 heures à 3 heures du matin. En étonnante forme physique, le lider maximo est manifestement heureux — et heureux de me recevoir. D'une extraordinaire vivacité, capable de beaucoup parler, mais aussi d'écouter et d'interroger avec une attention soutenue, cet homme qui a beaucoup lu fait preuve d'une curiosité intellectuelle, d'un appétit de savoir touchants. Résolu à tirer le maximum de son interlocuteur, rusé dans la discussion mais disposé à la conciliation, prudent (l'expression : « Nous faisons très attention à... » revient souvent) mais en même temps déterminé, il s'émerveille lorsque la pensée de l'autre rejoint la sienne, et jubile quand il pense détenir la vérité. Il affiche un comportement d'étudiant (fasciné par l'histoire de France), d'excellent élève avide d'apprendre pour mieux faire.
On parle d'abord de la dette du Tiers Monde. Il rappelle qu'il s'y est intéressé dès sa visite à la CEPAL, à Santiago du Chili, en 1971, alors que la dette latino-américaine n'était encore que de 30 milliards de dollars. La situation ayant empiré, il n'a cessé depuis lors, chaque fois qu'il en avait l'occasion, de la dénoncer, tant devant les non-alignés qu'aux Nations-Unies en 1979 (il cite même une lettre au Pape). Chiffres à l'appui, prenant des exemples concrets (ceux de tel ou tel pays : Uruguay, Tanzanie, Ghana, à telle ou telle époque), il dénonce l'aggravation de cette situation à partir du premier choc pétrolier (égratignant au passage le Japon qui réussit alors à la fois à faire des économies d'énergie et à augmenter le prix de ses exportations), campe solidement sur l'idée que la dette est impayable, appelle à un nouvel ordre économique mondial qui permette le développement et mette fin au tragique malentendu Nord/Sud. Pour le Tiers Monde, victime d'échanges inégaux, avec un pouvoir d'achat divisé par dix en dix ans (une tonne de sucre valait cinq tonnes de pétrole, il en faut maintenant deux contre une), il n'y a pas d'autre issue.
C'est « bouleversé par cette absurdité qu'au début de 1985, alors que l'ouverture démocratique latino-américaine risquait d'être défigurée par les mesures drastiques, inhumaines, imposées à de jeunes gouvernements », qu'il a décidé de parler. Tous les calculs et projections — y compris les perspectives de rééchelonnement et de réduction des taux d'intérêt — le confirment dans son analyse : impossible de payer une dette qui ne cesse de croître, et tous, les plus pauvres comme les relativement aisés, et « même un bon élève du FMI comme le Mexique », sont logés à la même enseigne. « La dette du Tiers Monde est impossible à payer. Les pays développés ont payé 100 milliards de dollars pour le pétrole et se sont adaptés. Ils pourraient s'adapter à l'annulation de la dette dans les pays pauvres. Les peuples ne doivent pas payer la dette des dictateurs. Si les Mexicains sont forcés de payer, il y aura une catastrophe. Il vaut mieux devoir de l'argent à un État qu'à une banque. On plaide l'internationalisme, et c'est gagné ! Mais l'Amérique latine n'ose pas. Carthagène n'est pas un club, mais un semi-club. »
Se défendant d'être un agitateur, de vouloir saper le système bancaire, il dit n'avoir pris une position dure que par souci tactique, en quête d'une solution politique et pour marquer sa solidarité. Reprenant sa thèse sur l'élimination des dépenses militaires, il l'abandonne aussitôt pour aller plus loin : «Ce n'est pas la peine d'en discuter plus longtemps. Il faut une solution rapide. L'effort attendu des pays industrialisés n'est pas supérieur à ce que leur ont coûté les chocs pétroliers successifs, et il s'en sont bien remis... En sens inverse, ils vont économiser, en 1986, 80 milliards de dollars du fait de la baisse du pétrole... » L'actuelle évolution des cours porte le coup le plus dur au pays qui a déployé le plus gros effort pour payer, le Mexique, dont les problèmes fascinent Fidel Castro : « Les Mexicains n'ont envoyé personne à la réunion de juin dernier à La Havane. Mais je ne leur en veux pas... Je fais très attention, je ne dis jamais un seul mot qui pourrait offenser ce pays, mais il court à une catastrophe sociale. » Finalement, Fidel Castro, qui prend grand soin, au passage, de dissocier le rêve de la réalité dans son approche du problème de la dette, estime que son initiative a été bien reçue en Amérique latine : «Nos frictions avec Alan Garcia se sont estompées, Cuba a retrouvé le Pérou (...). L'effort de réintégration au sein de la famille latino-américaine, clairement amorcé à partir de la crise des Malouines, demeure d'actualité. »
Le lider maximo reconnaît même un rôle positif à la Banque mondiale, « un bon Samaritain que nous respectons, bien qu'il ne nous ait jamais rien apporté, alors que nous attaquons le FMI».
Amené à préciser le rôle qu'il a entendu jouer, il indique : «Je n'ai pas cherché un premier rôle... J'ai voulu faire naître une idée, et non pas m'immiscer dans les affaires des autres... Qu'un autre pays, l'Argentine, le Brésil, le Mexique, prenne l'affaire en main ; j'appuierai tout autre pays qui reprendra l'initiative. »
Surtout, il conçoit bien la différence entre dette africaine et dette latino-américaine (dette aux États, dette aux banques), avec des risques très inégaux d'explosion sociale en raison des structures de populations différentes (villages et mégapoles). Dès lors, il ne fera rien qui puisse contrarier les projets français dans la recherche d'une solution spécifique pour l'Afrique. « Je coopérerai au succès de la session spéciale de l'Assemblée générale des Nations-Unies de mai prochain. Il faut mettre de côté un pourcentage de la baisse des cours du pétrole pour payer la dette du Tiers Monde. » Pour lui, la seule solution durable au problème de la dette du Tiers Monde est un moratoire accordé par les pays industrialisés et financé grâce aux fonds libérés par une réduction réelle du niveau international des armements.
Partisan d'une évolution qui éviterait des explosions imprévisibles et incontrôlables, il insiste en conclusion sur les raisons tactiques de sa démarche et souligne sa confiance dans notre pays, le mieux à même de comprendre les problèmes du Tiers Monde (« l'URSS n'a pas cette perception »), susceptible de convaincre l'Europe d'agir plus largement en faveur du développement de l'Amérique latine.
A propos de l'IDS, une formule fulgurante : « Pendant que les États-Unis rêvent d'acheter les étoiles, le Japon achète les Etats-Unis. »
On parle du Superbowl, des États-Unis, de l'organisation du travail à l'Élysée. Il pose force questions, parfois d'apparence naïve. Nostalgique, il évoque l'impossible rêve d'un voyage en Europe. Il amène négligemment la conversation sur ce sujet en s'exclamant : « Quel dommage que je ne puisse pas voir tout cela ! Mais vous ne m'accordez pas de visa... Non, je plaisante, je sais que je suis invité... Peut-être un jour...» Il y a à la fois de la rouerie et une réelle émotion dans cette démarche qui se veut sans insistance...



Lundi 27 janvier 1986

Au Mexique, la chute du prix du pétrole suscite de l'inquiétude : la négociation avec les banques est compromise et la stratégie économique du gouvernement vouée à l'échec. Politiquement, celui-ci ne peut aller au-delà des efforts déjà consentis et devrait au contraire saisir l'occasion des événements pétroliers pour desserrer l'étau des contraintes financières. Quand ? Comment ? La question n'est pas tranchée, mais pourrait l'être incessamment.
Sachant qu'une baisse de un dollar équivaut pour le Mexique, en rythme annuel, à 550 millions de dollars de perte, les besoins d'argent frais pour 1986 ne sont plus de 4,1 milliards, mais de 6,5 milliards de dollars. Il faut donc revoir tout le programme économique. D'ores et déjà, la perte de recettes fiscales impliquerait un déficit de 7 % du PIB, au lieu des 4,9 annoncés, et une dérive de l'inflation. Nouvelles restrictions des dépenses publiques, ventes d'actifs publics, limitation des importations. Beaucoup a déjà été fait. Le Mexique n'aimerait pas se résoudre à des actions unilatérales, mais il pourrait y être contraint, faute de solution négociée. Il y a bien sûr une autre hypothèse : que les créanciers prêtent les 6,5 milliards de dollars nécessaires...
A Mexico, longue conversation, au cours d'un dîner privé, avec mon ancien élève à Paris, José Cordoba, devenu secrétaire d'État, et son supérieur, le ministre du Plan et du Budget, M. Salinas de Gortari. Celui-ci, très proche du Président de La Madrid, m'explique que le chef de l'État, affaibli, pourrait être incapable d'empêcher son pays d'aller à la faillite financière. Politiquement et économiquement, le plan de stabilisation annoncé pour 1986 représente l'extrême limite de l'effort qui peut être demandé au pays après trois ans de crise. Pour fonctionner, ce plan suppose l'apport de 4 milliards de dollars net d'argent frais par la communauté internationale. Le plan Baker, loin de favoriser l'obtention de cet argent, complique les choses : banques et institutions internationales sont incitées à se renvoyer la balle sans agir. Dans le meilleur des cas, et avant les événements pétroliers, le Mexique n'aurait pas pu compter sur l'arrivée effective de ces financements avant le second semestre. Aujourd'hui, il ne peut même plus compter là-dessus. Il ne saurait être question de reprendre la négociation sur les bases antérieures : «La bureaucratie tatillonne du Fonds et de la Banque est insupportable! » se plaint le ministre. Il faut, dans les dix jours qui viennent, un geste politique qui modifie le rapport de forces entre le Mexique et ses créanciers, avant de mettre en place, pour le long terme, les formules qui permettent d'alléger le service de la dette.
Le Président de La Madrid hésite, me dit Salinas, entre trois possibilités. La première : exiger l'application immédiate et inconditionnelle du plan Baker à hauteur des nouveaux besoins du Mexique. La deuxième : ne pas honorer cette année les échéances et renvoyer à un an le paiement des sommes dues, pour bénéficier d'un répit (convoquer les banques à cet effet et leur remettre un «junked bond »). La troisième : établir un lien direct entre la chute du prix du baril et l'interruption des paiements, dont seraient déduites les sommes représentant la perte due à la différence entre le prix réel du pétrole et l'hypothèse admise dans les prévisions mexicaines pour 1986. Techniquement adaptée à la spécificité du cas mexicain, cette solution aurait le mérite politique de faire porter la responsabilité à ceux qui, à l'extérieur du Mexique, manipulent le marché pétrolier. Une fois ce coup frappé, l'avenir pourrait être envisagé plus à loisir. Il s'agirait alors de conduire au cours de l'année 1986 une négociation visant à la capitalisation des intérêts au-delà d'un certain seuil pour les années suivantes. Ce scénario en deux temps sera soumis dans les prochains jours aux autres membres du cabinet.
« Au point où il en est, me dit le ministre, le Mexique s'estime acculé à jouer cette carte. Sans elle, toute notre stratégie économique, fondée sur une libéralisation du marché intérieur et une ouverture sur l'extérieur, s'effondre, et, avec elle, tout espoir de moderniser l'économie mexicaine. Sans elle aussi, le cheminement adopté en vue d'une relance, indispensable au plus tard à la mi-1987, est voué à l'échec. Or, cette échéance est celle de la succession présidentielle, et il ne faut pas l'aborder en position d'échec. A la limite, la baisse du prix du baril apparaît comme une occasion à ne pas manquer pour desserrer les contraintes. Au point où en sont les choses, il vaut peut-être mieux que le baril chute — et sortir de cet étau. »


Fabius annonce à Bleustein-Blanchet qu'il sera le concessionnaire de la Six.


Mardi 28 janvier 1986

Explosion de la navette spatiale américaine Challenger. Tragédie en direct, vue par des dizaines de millions de personnes. Moins de deux heures plus tard, magnifique et émouvant discours de Reagan. Quel beau travail du speech writer !

J'informe le Club de Paris du projet mexicain. Panique. Coups de téléphone.



Mercredi 29 janvier 1986

A « L'Heure de Vérité », Giscard d'Estaing invite publiquement Raymond Barre et Jacques Chirac à un meeting commun à Clermont-Ferrand.

A Hawaï, surréaliste réunion de sherpas dans un palace, propriété japonaise, en bord de plage, au milieu des guitaristes.
Le Japon propose d'étendre le champ de la Déclaration de Bonn de 1978 sur les détournements d'avions à tous les aspects du terrorisme aérien. J'accepte, pour circonscrire le désaccord. Cela ne suffira pas pour bloquer le développement parallèle d'une action à Six qui peut conduire à une mise en cause de l'attitude de la France ; c'est pourquoi je propose de mettre rapidement au point une formule de dialogue régulier euro-américain en matière de lutte contre le terrorisme international, par exemple sous la forme d'une rencontre semestrielle entre la troïka des directeurs politiques de la Communauté et le sous-secrétaire d'État chargé de la lutte contre le terrorisme, accompagnés au besoin d'experts compétents. Au moins, la réunion ne sera pas à Sept !
Les directeurs des Affaires juridiques des ministères des Affaires étrangères des Sept pays, qui se sont déjà réunis plusieurs fois pour parler du terrorisme aérien, ont convenu de se réunir à nouveau à Tokyo les 18 et 19 février prochains pour examiner les suites du Sommet de Bonn. Cette réunion n'a pas à préparer le Sommet de Tokyo ni à prévoir, à notre insu, une autre date de rendez-vous. J'y veillerai.
Les Japonais proposent une déclaration de politique générale tentant encore une fois de faire entériner le concept d'alliance globale Atlantique/Pacifique. Je redis les raisons de notre opposition à une telle définition stratégique.
En matière économique, euphorie sur les conséquences de la chute du prix du pétrole dans les pays industrialisés, et pessimisme sur ses conséquences à moyen terme du fait des faillites probables du Mexique, de l'Indonésie, du Nigeria, de l'Égypte et de quelques autres pays en développement.
Les Italiens protestent vigoureusement contre la tenue de la réunion du G5. La Commission aussi est furieuse. D'autant qu'elle n'est pas non plus représentée au G7 des ministres des Finances.




Jeudi 30 janvier 1986

A la suite du refus de plusieurs invités de participer au dîner de « la France qui gagne » et au colloque « économique », Fabius annule ce projet à l'égard duquel il s'est toujours montré réticent.


Dimanche 2 février 1986


Raymond Barre décline l'invitation de Giscard à tenir un meeting unitaire avec Chirac.



Lundi 3 février 1986


Attentat à l'explosif dans la galerie Claridge des Champs-Élysées.

Mardi 4 février 1986


Attentat à l'explosif à la librairie Gibert Jeune.

Attentat à l'explosif à la FNAC-Sports, revendiqué, comme celui d'hier, par le CSPPA (« Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient », qui entend faire libérer le groupe Naccache). Au total, les attentats des 3, 4 et 5 février ont fait 19 blessés. Le signal ne peut être plus clair.
Le Président reçoit le rapport de la commission chargée fin 1984, par le ministre de la Défense, d'examiner les perspectives et les conséquences de l'éventuelle apparition d'armes à laser.
Un système de défense spatiale ne pourrait devenir réalisable qu'au prix d'un effort de recherche et de développement considérable. Ce n'est pas avant 2010 qu'une composante spatiale significative pourrait être mise en place, et elle serait loin d'être étanche. L'efficacité de nos forces stratégiques devrait subsister au prix d'une adaptation garantissant que le nombre d'ogives nucléaires pénétrant les défenses adverses reste suffisant pour une stratégie anticités, même dans l'hypothèse où un système de défense spatiale serait déployé par l'URSS.


Jeudi 6 février 1986


Les services d'écoute britanniques interceptent une communication-radio où il est question de la libération préalable de Naccache, suivie d'un troc « un contre un» entre ses quatre complices et les quatres otages. «Dans ce cas, comment régler le problème de Morqi, qui s'est envolé de sa cage ? » Qui est Morqi ? La France l'ignore. Le Quai pense que c'est Carton et qu'il est mort.

François Mitterrand reçoit le Premier ministre néerlandais, Lubbers, qui préside maintenant la Communauté pour six mois et doit se rendre avec nous à Tokyo. Seuls les Grecs et les Danois hésitent encore à signer l'Acte Unique.
Lubbers : Il faut signer le 17 sans attendre les Danois et les Grecs s'ils ne sont pas prêts.
François Mitterrand : Oui, absolument, sans attendre. L'Europe est capable d'accepter le départ d'un de ses membres.
Lubbers : Oui. On a dépassé l'heure de la diplomatie, c'est l'heure du droit.
François Mitterrand : Pour Eurêka, cela doit être hors CEE.
Lubbers : Il faut mettre le secrétariat d'Eurêka à Bruxelles, avec un secrétaire général français.
François Mitterrand : Je suis très hostile à ce que le siège d'Eurêka soit à Bruxelles.
On discute des excédents agricoles, du Sommet de Tokyo, du Moyen-Orient (François Mitterrand : « Je suis pessimiste, je ne vois pas en quoi cela peut bouger. »), et de l'IDS (« Les États-Unis n'y renonceront pas à Genève. »).
Teltschik m'appelle pour faire savoir au Président que le Chancelier Kohl recevra Raymond Barre aujourd'hui. Le Chancelier Kreisky m'appelle pour m'informer qu'il rencontre Kadhafi à Malte, samedi, et demande si le Président souhaite lui faire transmettre un message. Shimon Pérès m'appelle pour me dire qu'il est toujours désireux de rencontrer le souverain marocain ; il se tient prêt à venir à Paris quand celui-ci y sera, par exemple à l'occasion du prochain Sommet francophone qui va enfin concrétiser le travail de Brian Mulroney. Je crains qu'il n'obtienne jamais le feu vert présidentiel.


Vendredi 7 février 1986


Le général Saulnier rencontre son homologue allemand, le général Altenburg, pour parler des éventuelles consultations nucléaires. Celui-ci rappelle que la République fédérale d'Allemagne dispose, avec ses partenaires américain et britannique, de deux procédures de consultation de l'emploi du feu nucléaire « tactique » : l'une à travers l'OTAN, l'autre sur la base d'un accord intergouvernemental aux termes duquel le Président américain et le Premier ministre britannique informent le Chancelier allemand de leur intention d'y recourir. Compte tenu de notre position au sein de l'Alliance, c'est cette seconde formule que les Allemands souhaiteraient examiner avec nous.
Dans un tel schéma, la décision d'emploi reste une décision souveraine relevant exclusivement de l'État détenteur des armes nucléaires. Le concept d'emploi de l'arme nucléaire préstratégique française obéit à une logique politico-militaire et se traduit techniquement par des plans de frappe ayant certaines caractéristiques. Celles-ci sont-elles compatibles, en tout ou en partie, avec les desiderata allemands ? Tel est l'enjeu de la question qui nous est posée aujourd'hui. La consultation souhaitée s'étend également aux modalités techniques d'emploi de l'arme nucléaire. Les plans de frappe français seraient en effet assortis de certaines restrictions touchant d'une part à la nature des explosions (puissance et hauteur), d'autre part à la désignation des objectifs (points sensibles à éviter). La portée exacte de ces limitations ferait l'objet d'une négociation, et le général Altenburg doit transmettre au général Saulnier un texte précis énonçant les souhaits allemands en ce domaine.


Meeting à Lille. « En-foi-ré ! » scande le public à l'arrivée de Coluche. A propos du Président, Michel me dit : « C'est un pro. Il sait tenir une foule. Et fais-moi confiance, je sais de quoi je parle! » Un dîner suit où sont réunies autour de François Mitterrand et de Pierre Mauroy un certain nombre de personnalités, dont plusieurs ministres. Le Président : « Plus on approchera du 16 mars, plus il faudra transformer ces législatives en un second tour de présidentielle pour parvenir à provoquer le réflexe du vote utile dans l'électorat du PC. L'UDF et le RPR vont peut-être obtenir une courte majorité à l'Assemblée, mais il y en a trois [Giscard, Barre et Chirac] qui, à force de s'étriper, ont déjà perdu. » Enfin « Je ne vais pas m'arrêter là. Je continuerai à intervenir dans la campagne sous des formes diverses. J'ai quelques idées... »
A la sortie, Coluche dédicace les épaulettes d'une haie de gardiens de la paix hilares. Il en est tout fier : « Si ma mère voyait ça ! »



Samedi 8 février 1986


Discours de Gorbatchev. Personne avant lui n'aurait pu tenir en URSS les propos suivants : « Bien que, d'après les plans envisagés, l'entreprise de la "Guerre des étoiles " doive être menée à bien dans plusieurs dizaines d'années et que seule une poignée d' "enthousiastes " croie sa réalisation possible, elle risque d'entraîner des conséquences très sérieuses si les États-Unis persévèrent dans cette voie. J'admets que, personnellement, le Président Reagan croie à la mission "salutaire" de la "Guerre des étoiles". Mais, s'il s'agit d'en finir avec la menace nucléaire, pourquoi les États-Unis n'accepteraient-ils pas, dans leur principe, les dernières propositions de l'URSS ? J'ai la certitude qu'on est conscient de cela à Washington où, pour une personne qui "croit" à ce plan surréaliste de liquidation de la menace nucléaire, on compte au moins dix esprits cyniques qui voient les choses tout autrement que le Président Reagan dans ses discours et ses rêves. Les uns, par exemple, sachant qu'on ne peut créer de "bouclier étanche ", sont disposés à voir moins grand, à concevoir une défense antimissiles limitéelaquelle engendrerait la possibilité d'une agression nucléaire impunie. D'autres courent tout simplement après les profits ou bien veulent entraîner l'URSS dans la course aux armements spatiaux pour saper son économie. D'autres encore aspirent à creuser l'écart technologique entre les États-Unis et l'Europe occidentale pour rendre ainsi celle-ci plus dépendante... Et ainsi de suite. »


Lundi 10 février 1986


Haïti est en révolte. Devant l'ampleur de l'émeute, « Baby Doc » Duvalier doit quitter l'île, et Roland Dumas comme George Shultz cherchent pour lui un pays d'accueil. Le Togo, sollicité par les Américains, n'a pas donné de réponse. On sonde les Seychelles, le Brésil.
L'opposition haïtienne de l'extérieur réunit ses assises après-demain, à New York, pour arrêter sa position face au nouveau gouvernement. Dans la partie incertaine qui se joue à Port-au-Prince, il importe que nous soyons dès maintenant présents. Il y va de l'avenir de notre influence et de la francophonie en Haïti. Le Président y envoie Christian Nucci.


Mardi 11 février 1986


M. Hu Yaobang, Secrétaire général du PC chinois, se propose de venir en France du 16 au 19 juin prochains. François Mitterrand accepte.

Hassan II refuse de venir à Paris pour assister à la conférence sur la francophonie, la semaine prochaine. Voilà qui met im à tout rêve de rencontre avec Pérès. Il écrit à François Mitterrand :
« Monsieur le Président de la République et Grand Ami,
Vous avez bien voulu nous convier à venir à Paris les 17, 18 et 19 février pour participer à la réunion des chefs d'État et de gouvernement ayant en commun l'usage de la langue française.
L'intérêt d'une telle rencontre ne nous échappe guère, tant nous estimons impérieux, dans la conjoncture mondiale actuelle, de ne négliger aucun moyen susceptible d'ouvrir et de renforcer la voie de la coopération entre tous pour un meilleur développement et un plus grand progrès de la science et de la connaissance.
Dès lors, nous aurions tant désiré être parmi les participants à cette importante réunion!
Malheureusement, des obligations auxquelles nous ne pouvons nous soustraire nous retiennent au Maroc, et nous regrettons bien sincèrement de ne pouvoir répondre à votre aimable invitation.
Le Maroc ne sera cependant pas absent de vos délibérations. Notre ministre des Affaires étrangères et de la Coopération l'y représentera.
Je saisis cette occasion pour vous dire combien je suis fasciné par la manière dont vous dirigez la campagne électorale des législatives. Elle confirme et dépasse ce que je savais de vous : l'art de la stratégie et les réflexes d'un grand homme d'Etat.
Navré, sincèrement, de ne pouvoir vous dire celaet beaucoup d'autres chosesde vive voix, je vous prie, Monsieur le Président de la République et Grand Ami, de croire en mon amitié sincère et ma très haute et sympathique considération. »
François Mitterrand : « Quelquefois, je dis à mes amis, pour rire : le seul Juif pas intelligent, c'est Jacob. C'est un naïf qui est toujours trompé, mais pourtant c'est lui qui a fondé l'Etat d'Israël... Moïse, lui, ne voulait pas devenir Moïse; mais il n'a pas obéi à la logique de son rang de prince égyptien. Il n'aurait été qu'un grand prince, alors qu'il est devenu Moïse. »



Mercredi 12 février 1986


La police, secondée par la DST, effectue une rafle dans les milieux militants pro-islamiques, qui se solde par une cinquantaine d'interpellations. Deux Irakiens, opposants au régime de Bagdad, font l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion pris le jour même. Le premier, Fawzi Hamza, demande à partir pour la Grande-Bretagne ; le second, Hassan Kheireddine, interpellé à Caen, souhaite gagner le Paraguay... Pierre Joxe a bien travaillé !


Samedi 15 février 1986


Pierre Messmer fait une visite discrète à Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l'Élysée. Sujet de la conversation : le Tchad et la situation en Afrique, où l'ancien légionnaire vient d'effectuer une tournée.



Lundi 17 février 1986


Un avion libyen bombarde la piste de l'aéroport de N'Djamena.

Le Foreign Office refuse d'accueillir l'Irakien expulsé Fawzi Hamza.

Sommet francophone. Enfin, on peut repérer, comme autour du Commonwealth, une communauté Nord/Sud unie par sa langue. On parle économie. Les Canadiens proposent un projet de résolution sur la Dette. Il est très éloigné des demandes du Sénégal et ne souffle mot de notre projet de conférence monétaire.


Mardi 18 février 1986


François Mitterrand donne l'ordre de préparer un nouveau dispositif au Tchad (« Épervier »).

Fabius songe à Crépeau pour succéder à Badinter, qui quitte le gouvernement demain pour présider le Conseil constitutionnel à l'expiration des trois années de mandat de Daniel Mayer.
Mercredi 19 février 1986


Clôture du Sommet de la francophonie.

Michel Crépeau : « Quand je suis arrivé à l'Élysée, le Président m'a dit : "Je vous verrai à la fin du Conseil avec le Premier ministre. " J'ai cru que j'allais me faire engueuler. Finalement, c'était pour me demander de remplacer Badinter. »

Robert Badinter est nommé Président du Conseil constitutionnel. Son bilan est magnifique : abolition de la peine de mort, abrogation de la loi « anticasseurs » et de la loi « Sécurité et Liberté », suppression de la Cour de Sûreté de l'État et des tribunaux permanents des forces armées, suppression du délit d'homosexualité, institution d'un habeas corpus, droit au recours individuel devant la Cour européenne des droits de l'homme, meilleure indemnisation des victimes d'infractions, accélération de la réparation des préjudices, renforcement des droits des victimes d'accidents de la circulation, accès à la justice facilité pour les plus défavorisés (le nombre des bénéficiaires de l'aide judiciaire a été multiplié par 1,5).

Asunción s'oppose à l'entrée de Duvalier au Paraguay. Les Paraguayens refusent aussi de recevoir Hassan Kheireddine, l'autre Irakien expulsé.
Honte : expulsion vers Bagdad des deux opposants irakiens ! La DST avait, «à toutes fins utiles », réservé pour eux des places à bord d'un appareil des lignes aériennes irakiennes à destination de Bagdad. A Orly, ils protestent et se débattent. Menottés dès leur arrivée à Bagdad où ils sont arrêtés par la police de Saddam Hussein.
Le Président est furieux de cette décision du ministre de l'Intérieur. Le gouvernement français multiplie les contacts avec le régime de Saddam Hussein pour obtenir, à défaut de leur retour en France, l'assurance que les deux Irakiens auront la vie sauve. Bagdad fait savoir qu'ils ne seront pas exécutés. L'ambassadeur Jacques Morizet et Jean-Claude Cousseran se rendent à Bagdad pour tenter de les ramener. En vain.


Le général Altenburg fait remettre au général Saulnier un projet de déclaration conjointe pour le prochain Sommet franco-allemand :
«Dans le cadre de la collaboration politico-stratégique avec la République fédérale d'Allemagne, le gouvernement français se déclare disposé à consulter le gouvernement allemand avant tout emploi d'armes nucléaires françaises dans la mesure où un tel emploi affecterait directement des intérêts vitaux de la République fédérale d'Allemagne.
Les gouvernements des deux pays ont donné leur accord à une coopération opérationnelle élargie. En cas de besoin, le gouvernement français emploiera des forces françaises sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne dans le but d'appuyer la défense de l'avant, tout en se réservant la décision sur la nature et l'ampleur de cet emploi. Selon la volonté des deux gouvernements, des options d'emploi opérationnel devront être expérimentées en temps de paix, à partir de 1986, sous la forme d'exercices de grandes unités.
Les deux gouvernements ont donné leur accord à une formation en commun, en ce qui concerne les personnels militaires supérieurs, dans les Ecoles de Guerre de Paris et de Hambourg, ainsi qu'à une formation avancée — dans une première phase, au Centre des Hautes Etudes militaires à Paris — de ces personnels dès 1986, dans le but de les préparer à des fonctions de commandement supérieures. En donnant son assentiment à cette solution, le gouvernement français part de l'hypothèse qu'en contrepartie, une formation avancée analogue pourra être dispensée dans un proche avenir à des officiers français dans le cadre d'une institution de formation avancée comparable en République fédérale d'Allemagne. »

Beaucoup à discuter avant d'accepter cela : en bref, le Chancelier demande à être associé à la décision d'emploi de l'arme nucléaire française.


Jeudi 20 février 1986


Une fois terminé le Sommet francophone, le Président reçoit Brian Mulroney. Il lui parle du voyage qu'il compte faire au Canada en septembre 1987 à l'occasion du prochain Sommet de la francophonie — façon de dire qu'il sera toujours là.
Brian Mulroney : « Vous avez favorisé l'unité canadienne. Votre visite chez nous sera inoubliable (...). Pourquoi Reagan se comporte-t-il ainsi sur la question du Nicaragua ? »
François Mitterrand cite l'exemple de Peña Gomez et de Carter qui ont réglé le problème de Saint-Domingue, lors du départ de Trujillo, sans crise.
Mulroney explique qu'il a appelé Reagan un samedi après-midi pour lui annoncer qu'il refusait de s'associer à l'IDS après que Weinberger eut évoqué l'hypothèse d'installer des Pershing aux États-Unis. Il s'attendait à une explosion de colère. Reagan se montra au contraire très « relax ».

A 20 h 30, la Cinq commence à émettre. Débauche de bulles et de paillettes. Le Président : «C'est peut-être une des meilleures décisions de mon septennat. » Antoine Riboud aurait voulu en être. Jérôme Seydoux a refusé.


Vendredi 21 février 1986


Stupeur : le Chancelier demande l'accord du Président sur le texte transmis avant-hier par Altenburg, lequel « aurait été négocié entre Saulnier et son homologue ».
Mais rien n'a été négocié ! Le général Saulnier n'a vu qu'une fois son homologue. Celui-ci a décommandé le rendez-vous suivant tout en lui faisant remettre un projet de déclaration conjointe. Mais ils n'en ont jamais discuté !
Teltschik vient me voir lundi matin à ce sujet.

François Mitterrand enrage contre Poher qui a fait une déclaration d'une rare violence après la nomination de Robert Badinter au Conseil constitutionnel : «Je ne veux plus voir ce minable ici. »


Samedi 22 février 1986


TV 6, chaîne musicale, commence à émettre.
Lundi 24 février 1986


Cinq Français sont arrêtés à Téhéran.

Bilan de la législature : de 1980 à 1985, la croissance française aura été en moyenne de 1,2 % par an, soit autant que celle constatée dans la CEE. Mais, au contraire de chacun des autres pays, nous n'avons jamais connu de diminution du PIB pendant cette période. L'écart d'inflation avec la moyenne de la CEE a été annulé; l'écart d'inflation avec la RFA est tombé de 8,1 points à la fin de 1980 à 3,1 points en septembre 1985. Et ces résultats ont été obtenus malgré un dollar élevé et une libération progressive des prix. Le déficit du commerce extérieur en 1984 et 1985 est quatre fois moins important que celui de 1980, dernière année de la gestion de M. Barre ; le solde des transactions courantes est pratiquement équilibré en 1984 et excédentaire en 1985, alors qu'il était négatif en 1980. Un déficit global du secteur public (État, Sécurité sociale, collectivités locales) inférieur au déficit moyen des pays industrialisés. Un endettement de l'État parmi les plus faibles du monde occidental. L'État a d'ailleurs remboursé par anticipation, en août 1985, une partie de sa dette extérieure (15 %). L'effort de recherche a connu un très sensible accroissement : de 1,8 % du PIB en 1980 à 2,25 % du PIB en 1985. Les résultats des entreprises se redressent : tombé à 23,1 % à l'issue de six années de dégradation, le taux de marge des entreprises dépasse 25 % en 1985. Les entreprises industrielles nationalisées en 1982 sortent du rouge ; déficitaires de 1,7 milliard de francs en 1981, elles sont bénéficiaires avec plus de 5 milliards de francs de résultat positif en 1985.

Je vois Teltschik à Paris. On commence à négocier le texte d'un éventuel accord militaire à partir du projet proposé par Altenburg. Le débat porte sur la décision d'emploi de l'arme nucléaire.

François Mitterrand répond à Gorbatchev sur son plan de désarmement :
«... Aux yeux de la France, l'objectif ultime de l'élimination de l'arme nucléaire est légitime s'il n'est pas séparé de la suppression des autres armes. Il serait artificiel d'isoler le problème de l'arme nucléaire en Europe, comme ailleurs, des équilibres d'ensemble dont elle est partie prenante. Pour parler plus particulièrement de l'Europe, j'ai noté que vous proposiez un certain nombre de mesures quant à la limitation de l'arme chimique. Vous évoquez également la conférence sur le désarmement en Europe et le problème des mesures de confiance. Je crois que c'est par là qu'il faudrait commencer. Il serait très intéressant que vous précisiez ces propositions et avanciez un calendrier en ce qui les concerne.
Vous connaissez les conditions que j'ai posées en septembre 1983, à la tribune des Nations-Unies, à une participation de la France à un processus de désarmement nucléaire, par exemple sous la forme d'une conférence sur le désarmement des Cinq puissances.
La situation présente n'a pas suffisamment évolué pour que la France ralentisse son effort d'adaptation de sa force de dissuasion dans un but évidemment défensif. »

François Mitterrand répond à Ronald Reagan sur le même sujet :
«... La démarche de M. Gorbatchev est assurée et inventive, du moins quant à la forme, car ses objectifs demeurent ceux que nous connaissons. Hormis les questions liées aux armements stratégiques et à l'espace, je relève que la préoccupation prioritaire des Soviétiques reste d'obtenir la disparition des armes nucléaires d'Europe. Faute d'avoir pris les précautions indispensables, aller dans ce sens serait accroître la possibilité pour l'URSS d'exercer des pressions sur notre continent en usant de la menace des forces de toute nature, y compris conventionnelles et chimiques, qu'elle y a accumulées.
Néanmoins, le plan de M. Gorbatchev comporte des éléments intéressants et, tel qu'il est présenté, il est propre à séduire certains. C'est pourquoi j'estime, comme vous, qu'il mérite une réponse sérieuse. Il est nécessaire de rappeler à l'URSS et aux opinions que la paix découle de l'équilibre de toutes les forces, et que tout désarmement doit prendre en compte l'ensemble des armes existantes. C'est pourquoi je souscris entièrement à votre remarque selon laquelle la suppression finale des armes nucléaires est un objectif louable, qui sera difficile à réaliser, et qu'il faut pour cela nous "pencher sur les conditions qui ont rendu ces armes nécessaires".
C'est bien pourquoi mon pays estime, comme vous le savez, qu'en Europe il conviendrait de corriger en premier lieu le déséquilibre conventionnel, armes chimiques incluses. M. Gorbatchev avance quelques propositions dans ces domaines, mais elles demeurent imprécises et ne comportent pas de calendrier. Nous pourrions lui demander des précisions sur ce point décisif. Il en va de même des éventuels moyens de vérification des accords conclus.
S'agissant enfin des tentatives réitérées des Soviétiques d'imposer à mon pays des contraintes sur ses moyens nucléaires, vous connaissez nos positions. La France n'acceptera pas d'interrompre la modernisation nécessaire de sa force de dissuasion alors même qu'aucune des conditions de bon sens que j'ai posées en septembre 1983 à la tribune des Nations-Unies à une éventuelle participation de mon pays au processus de désarmement, par exemple sous la forme d'une conférence des Cinq puissances nucléaires, ne serait remplie ou même en voie de l'être. Il faudrait pour cela qu'ait été réalisée effectivement une réduction significative des arsenaux américain et soviétique, mais aussi qu'aient été corrigés les déséquilibres dans le domaine conventionnel et éliminée la menace chimique, et enfin que n'aient pas été développées d'autres armes susceptibles de peser sur la crédibilité des politiques de dissuasion nucléaire.
A fortiori, aucune réduction ne saurait être envisagée si ces conditions n'étaient pas réunies.
Je n'ai jamais douté de votre détermination à refuser tout arrangement avec les Soviétiques qui ne tiendrait pas compte des préoccupations fondamentales de mon pays. Je me félicite à cet égard de votre engagement selon lequel "il n'y aurait pas, dans le projet d'accord que vous proposez, de contraintes agréées s'agissant des forces du Royaume-Uni ou de la France".
Mon pays n'est pas partie à la négociation de Genève mais, d'un simple point de vue logique, je partage également votre analyse quant à la nécessité de ne pas ignorer, pour tendre vers une véritable "option zéro ", les missiles SS 20 stationnés en Asie, mais mobiles, ni, par ailleurs, les missiles à courte portée en Europe, ni, ajouterai-je, les armements conventionnels et chimiques.
Je me réjouis du climat de confiance qui règne entre nous sur ces problèmes si déterminants pour l'avenir de nos peuples et vous prie d'agréer, Monsieur le Président, cher Ron, l'expression de ma très haute considération. »
On ne fait pas plus aimable et conciliant.


Mardi 25 février 1986


Au petit déjeuner, François Mitterrand, sur la cohabitation :
« S'ils choisissent eux-mêmes un Premier ministre, je ne le désignerai pas. Le RPR, ce sont des hommes de violence, qui piétinent les institutions qu'ils ont fondées.
Ce serait amusant de nommer un Premier ministre par jour, entre le 16 mars et le 2 avril : l'union de l'opposition s'en porterait sûrement bien ! Ils ont trahi les hommes ; maintenant, ce sont les institutions qu'ils trahissent. »

Le Président approuve la suggestion de Mary Seurat : envoyer quelqu'un à Téhéran. Les contacts actuels peuvent en effet ne pas avoir suffi à donner le signal politique éventuellement nécessaire.

François Mitterrand reçoit Vernon Walters, ambassadeur américain à l'ONU, qui vient lui parler de la Libye : « Fin mars, nous entrerons dans le Golfe de Syrte. Si vous voulez, vous pouvez réfléchir à une attaque terrestre simultanée. Parlons-en. » Le président l'écoute, sans plus.
Le Président sur Fabius : « C'est au total un très bon Premier ministre, compétent, lucide et, au-delà. Il lui aura manqué six mois pour gagner les élections. »


Mercredi 26 février 1986


Maurice Duverger espérait bien rejoindre son collègue Georges Vedel, nommé, lui, par Giscard, autour de la table des « Sages » du Palais-Royal. Beaucoup ne veulent pas de lui. Ni maintenant, ni plus tard.

Jacques Chirac pose ses conditions pour gouverner. Le Président hausse les épaules.


Jeudi 27 février 1986

Dernier Sommet franco-allemand de la législature à l'hôtel Marigny. Même rituel. Le sujet d'aujourd'hui est celui de la coopération dans la décision d'emploi de l'arme nucléaire, aboutissement de quatre années de rapports confiants :
Helmut Kohl : L'ambiance est difficile pour moi. Je suis victime d'attaques personnelles.
François Mitterrand : J'ai pensé à vous durant cette campagne calomnieuse.
En France, le PS a eu seul la majorité une seule fois en un siècle et demi. La question est de savoir si la droite sera majoritaire ou non. Selon les sondages, ils auront la majorité absolue. Mais ils font un jeu à trois, comme chez vous où j'irai d'ailleurs bientôt prendre des leçons !
Helmut Kohl : Vous avez déjà traversé beaucoup de tempêtes...
François Mitterrand : Parlons des questions militaires. J'ai tenu compte, dans mon livre1, de vos idées. Quant à la note que vous m'avez donnée hier, je vais l'étudier ce soir.
Helmut Kohl : Ça ferait très bien dans le contexte général.
François Mitterrand : Je suis d'accord pour une coopération politico-stratégique avec le gouvernement allemand dès lors que le territoire allemand est affecté. Cela ne peut être confondu avec une codécision sur l'arme nucléaire, qui exige une très grande rapidité de décision. C'est une affaire de minutes. Il faut donc avoir une bonne liaison. Je suis prêt à organiser cette consultation ou à rédiger une lettre sur ces bases. Pour ce qui est de la coopération opérationnelle, je suis aussi d'accord. La première armée et la FAR sont habilitées par moi seul à dépasser la ligne Rhin-Danube-Main, et à aller vers la frontière. Il faut donc faire attention au vocabulaire et éviter l'expression de "bataille de l'avant". Il y a 50 kilomètres entre la ligne RDM et la frontière. C'est très court. Ce sont des batailles sur des mots, mais l'opinion française est très sensible.
Helmut Kohl : On peut les laisser tomber.
François Mitterrand : Je vous propose d'aller à la frontière, mais sans commandement de l'OTAN.
Helmut Kohl : Pas de problème.
François Mitterrand : Dans ce cas, il faut rédiger une lettre secrète d'une page.
L'affaire est entendue.
Puis la discussion reprend sur la Déclaration commune franco-allemande préparée par Teltschik et moi la veille, à partir du projet Altenburg. Un paragraphe est particulièrement discuté :
« Dans les limites qu'impose l'extrême rapidité de telles décisions, le Président de la République se déclare disposé à consulter le Chancelier de RFA sur l'emploi éventuel des armes préstratégiques françaises sur le sol allemand. Il rappelle qu'en cette matière, la décision ne peut être partagée. Le Président de la République indique qu'il a décidé, avec le Chancelier fédéral, de se doter des moyens techniques d'une consultation immédiate et sûre en temps de crise. »

Le point crucial de la discussion, réglé in fine, est l'expression «sur le sol allemand », qui inclut l'Allemagne de l'Est, alors que le texte d'Altenburg prévoyait seulement le territoire de la RFA. Genscher a beaucoup insisté là-dessus.

Amnesty International annonce que l'un des deux Irakiens renvoyés à Bagdad a été exécuté. Nous sommes effondrés.




Vendredi 28 février 1986


Jean-Claude Héberlé transmet son projet de Carrefour international de la Communication, qui complète et précise les différentes études réalisées depuis 1982 pour la Tête Défense.
Les trois axes que privilégie ce projet sont la représentation de la riposte française et européenne en matière de communication, la recherche sur les sujets clés de l'avenir, enfin l'établissement d'une véritable Cité de la Communication accueillant un grand nombre de télévisions du monde, lieu de recherche et de référence pour les nouveaux produits et les nouveaux usages du secteur de la communication.


Assassinat d'Olof Palme. Trop seul ? Trop menacé ? Trop radical ?...

Adoption de la loi Delebarre sur l'aménagement du temps de travail. Dernière loi de la législature.

Canal-Plus atteint le nombre d'abonnés (800 000) nécessaire à son équilibre. Magnifique succès.
Michel Camdessus, nouveau gouverneur de la Banque de France, propose de créer un nouveau billet à l'effigie du Général de Gaulle. François Mitterrand hausse les épaules : « C'est trop tôt. »


Samedi 1er mars 1986


Jacques Chirac a l'intention, dit-on, s'il en a un jour les moyens, de retirer la Cinq à Seydoux pour la confier à RTL. C'est possible, le contrat de la Cinq ne prévoyant aucune indemnisation précise autre que celle que pourraient fixer ultérieurement les tribunaux.

L'hiver, très rude, se termine. Les « Restos du cœur » auront servi huit millions de repas gratuits. Magnifique !


Dimanche 2 mars 1986


Le Président joue avec l'idée de démissionner avant les élections de mars. Et de se représenter...

Show télévisé Mitterrand-Mourousi (« Chébran »).


Lundi 3 mars 1986


Le Président me confie : « Je choisirai Chirac : c'est le plus dur. Il faut l'affronter de face. »

Le successeur de Saulnier, Gilbert Forray, reçoit quatre officiers américains et discute du plan d'une attaque militaire contre la Libye en cas de nécessité.

Je reçois le premier projet de future déclaration générale du Sommet de Tokyo, proposé par les Japonais :
«Nous, chefs d'État et de gouvernement des sept grandes démocraties industrielles des régions du Pacifique et de l'Atlantique, ainsi que les représentants des Communautés européennes, avons saisi l'occasion de cette rencontre à Tokyo pour définir nos objectifs tant pour ce siècle que pour le prochain (...). L'heure est venue pour l'Atlantique et le Pacifique d'unir leurs énergies dans la quête d'un ordre international plus sûr, plus sain, plus civilisé et plus prospère... »
Bavardage globalisant. Pas difficile à maîtriser.


Mardi 4 mars 1986


Au petit déjeuner, François Mitterrand : « Après le 16 mars, je serai moralement à Rambouillet. Mais il est évident que je m'occuperai et contrôlerai tout ce qui touche à la sécurité de la France. Avec Chirac, la corde se tend toujours, mais elle ne casse jamais. »
Mercredi 5 mars 1986


Le Djihad annonce l'exécution de Michel Seurat, en riposte à l'expulsion des deux Irakiens. Terrible vengeance. Honte sur la République, même si c'est faux.

Hachette acquiert les parts de la Sofirad et prend le contrôle d'Europe 1. Retour à la case départ...

Jeudi 6 mars 1986


Baisse des taux d'intérêt allemands, suivie par tous les grands pays.

Réflexions sur un éventuel usage des ordonnances par un gouvernement de droite : la décision du Conseil constitutionnel du 1er janvier 1967 permet d'exiger que, dans la loi d'habilitation, le champ des ordonnances soit à l'avance délimité de façon très précise. Cette loi d'habilitation peut donc être l'occasion d'un débat parlementaire approfondi et d'une intervention du Président en tant que gardien de la Constitution.


Lettre de François Mitterrand à Jean-Claude Héberlé :
« Parmi les grands projets auxquels je suis très attaché, à Paris comme en province, le Carrefour international de la Communication devra tenir la place qui lui revient. Aujourd'hui, la construction de la "Grande Arche" est engagée dans des conditions architecturales, techniques et financières satisfaisantes. Il est donc temps d'accélérer la mise en œuvre du programme que vous me proposez. Il conviendra de mettre en place dès 1987 les équipements nécessaires qui n'avaient pu jusqu'ici être précisément définis. Je demande au Premier ministre, aux ministres responsables et au président de la Mission interministérielle d'y veiller. »


Vendredi 7 mars 1986


Pierre Verbrugghe me dit que Joxe a reçu l'ambassadeur d'Irak juste avant l'expulsion des deux Irakiens. Pourquoi ?

Mary Seurat est reçue par le Président. Elle est le visage même de la tragédie. La compassion ne suffit plus.

Nouvelle réflexion de François Mitterrand sur la cohabitation : « Les ambassadeurs de France sont les ambassadeurs du chef de l'État auprès des chefs d'État étrangers. Le Général de Gaulle recevait d'ailleurs, quelques minutes avant leur départ en poste, tous "ses" ambassadeurs. Est-ce qu'il ne serait pas intéressant de restaurer cette pratique tombée en désuétude, sauf exception, depuis Georges Pompidou, afin de renforcer le lien personnel entre le Président et "ses" ambassadeurs ? »


Je suis à Londres à compter de ce soir, jusqu'à dimanche, pour la réunion des sherpas préparatoire au Sommet de Tokyo. La dernière de la législature.

Après que Georges Fillioud lui a fait demander de trouver une solution autre que le projet Pomonti pour le satellite, Berlusconi rencontre Maxwell à Londres.
Samedi 8 mars 1986


L'horreur s'approfondit. Enlèvement de quatre journalistes d'Antenne 2 à Beyrouth : Philippe Rochot, Georges Hansen, Jean-Louis Normandin, Aurel Cornea. François Mitterrand charge Éric Rouleau, notre ambassadeur à Tunis, de demander aux Palestiniens basés dans la capitale tunisienne d'intervenir de façon à assurer au moins la sécurité des otages. Le chef de l'OLP promet d'user de son influence. Il dit à Rouleau qu'à sa connaissance l'opposition française s'emploie à contrecarrer l'action du gouvernement. Abou Iyad assure même qu'un accord a été conclu entre un représentant de l'opposition et Téhéran sur le sort des otages.

A la réunion de sherpas, j'explique qu'après mars le Président conservera la totalité du pouvoir en politique étrangère. Le Sommet de Tokyo laissera un maximum de temps aux réunions rassemblant les seuls chefs d'Etat et de gouvernement. Il y aura un problème avec la presse américaine qui rompt les accords antérieurs et installe un centre de presse à part, comme à Ottawa. Je proteste, et menace de rendre publique cette protestation, mais je crains que cela ne reste sans effet, en raison de la connivence américano-japonaise.
M. Nakasone insiste à nouveau pour que la notion de « dialogue Atlantique/Pacifique » soit inscrite comme une façon de signifier une sorte d'extension de l'Alliance atlantique au Pacifique. Je m'y oppose, comme les Allemands et les Italiens, en expliquant que la France et l'Europe ne se réduisent pas à leur façade atlantique. Est également en préparation une déclaration sur le terrorisme. Je réserve totalement notre approbation sur l'existence même de ce texte. Il ressort de la discussion un projet très court, sans problème.
L'ambiance est toujours à l'euphorie en raison de la chute des cours du pétrole et de la possibilité qu'elle offre de masquer tous les problèmes commerciaux, monétaires et financiers du moment. Les problèmes posés par la Conférence monétaire internationale et la dette du Tiers Monde ont disparu. Les Japonais souhaitent voir aborder deux sujets nouveaux : éducation et biotechnologie. Sur la biotechnologie, ils ont l'intention d'introduire leur projet « Frontières humaines » et de lancer un appel aux autres nations pour s'y associer, un peu comme les Américains l'ont fait l'année dernière pour l'IDS. Ce projet est très intéressant. Les experts japonais viennent m'en parler à Paris dans une semaine.
La prochaine et dernière réunion de sherpas aura lieu en France, au château de Rambouillet, les 17, 18 et 19 avril, soit après les élections législatives. Elle sera restreinte à un seul représentant par pays, à la demande expresse de nos partenaires qui souhaitent que cette réunion soit consacrée à la mise au point définitive de l'ordre du jour et des éventuelles déclarations. Voilà qui nous rend plutôt service...


Dimanche 9 mars 1986


Le Dr Raza Raad est de nouveau à Beyrouth ; l'ambassadeur de France à Tunis, Éric Rouleau, est invité secrètement à Téhéran par le ministre des Gardiens de la Révolution, Rafigh Doust.

François Mitterrand est à Lisbonne pour l'investiture de Mario Soares. Déjeuner officiel réunissant les chefs d'État et de gouvernement.
Accord Berlusconi-Maxwell-Seydoux-Kirch sur le partage des canaux de TDF 1
Lundi 10 mars 1986

L'inflation est tombée à 5 %. Le déficit extérieur est passé de 93 milliards en 1982 à 24 milliards en 1985. Le pouvoir d'achat a augmenté de 5 % en cinq ans.
Mais la justice sociale ?

Le Djihad islamique fait parvenir à la presse les photographies du cadavre de Michel Seurat. Mary Seurat accuse la France d'être responsable de la mort de son mari : « J'impute la responsabilité de l'exécution, du meurtre de mon mari, à M. Pierre Joxe. » Rien à répondre.


Mardi 11 mars 1986


François Mitterrand n'a pas pardonné à Joxe l'expulsion des deux Irakiens : « Un crime infamant commis par la France. Joxe devra en porter le poids. On est trop lié à l'Irak. Depuis le début, je suis contre cette politique. J'ai condamné la décision de vendre des armes à l'Irak en 1982. »
Contrairement à beaucoup, il voit venir la cohabitation sans crainte excessive. « On peut espérer soit conserver le gouvernement avec le PS et 80 dissidents de droite, soit mener une grande bataille sur quelques grands principes. Ce sont les six premiers mois qui seront les plus durs. Après, on entrera dans la campagne présidentielle. »

Georges Fillioud annonce la création du consortium chargé de l'exploitation de TDF 1.



Mercredi 12 mars 1986

Dernier Conseil des ministres de la législature, qui s'ouvre par un long exposé de François Mitterrand sur l'expulsion des deux Irakiens : « Ce qui a été fait là est une inexcusable négligence, à moins qu'il ne s'agisse d'une malveillance. Le gouvernement suivant sera confronté au même devoir cruel dont la France a la charge. Je fais confiance au Premier ministre. Nous agirons et parlerons en conséquence. Je n'ai pas connu depuis cinq ans de situation plus difficile. Gouverner est difficile. Certains disent qu'il faut que j'intervienne à la télévision. D'autres voudraient des mesures spectaculaires. Sur les otages, la France n'a pas cédé. Pour les sauver, elle fera tout, sauf céder.
Au total, je vous remercie du travail accompli. C'est l'Histoire qui écrira le reste. »


En mémoire de Michel Seurat, radios et télévisions observent une minute de silence au cours de leurs journaux de la mi-journée. A la même heure, les cloches de Notre-Dame de Paris sonnent le glas. Les entendre du cœur du pouvoir d'État a quelque chose de terrifiant.

Bagdad annonce que les deux opposants expulsés par Paris sont graciés. Qui peut savoir ?...
Éric Rouleau et Pierre Lafrance, notre chargé d'affaires, rencontrent Rafigh Doust à Téhéran. Un scénario d'échange Naccache/otages est de nouveau examiné. Rouleau et Lafrance sont optimistes.
Nabih Berri reçoit Serge Boidevaix et lui dit qu'il condamne le meurtre de Michel Seurat. Il rappelle qu'il a beaucoup œuvré pour la libération de Seurat et Kauffmann au moment de l'affaire du Boeing de la TWA. Il avait obtenu la promesse du Jihad islamique d'une libération de nos deux compatriotes, mais les Hezbollah n'ont pas tenu parole. L'affaire des deux Irakiens renvoyés à Bagdad, pour regrettable qu'elle soit, ne justifie pas, à son avis, un tel assassinat, qu'il qualifie d'incroyable.
En ce qui concerne l'enlèvement des quatre journalistes d'Antenne 2, il a obtenu des informations selon lesquelles cette opération avait été menée non par des Hezbollah, mais par des Irakiens opposés au régime de Saddam Hussein. Ses hommes ont capturé « trois ou quatre» membres de cette organisation aux fins d'interrogatoire. L'un d'eux semblait être le principal responsable ; il espère pouvoir en tirer quelques renseignements intéressants dont il nous fera part. En tout cas, sa dernière déclaration à la presse demandant la libération immédiate et inconditionnelle de nos compatriotes a entraîné une mise au point à peu près similaire du Cheikh Hussein Fadlallah. C'est là un signe encourageant.

Comme il l'avait promis, Cheikh Chamseddine envoie aujourd'hui à « Clemenceau », siège des forces françaises, son conseiller politique, Mehdi Mahfouz, chargé d'un message : le Cheikh se dit vivement contrarié de n'avoir pu recevoir l'émissaire du gouvernement français, mais il a craint que sa sécurité ne puisse être assurée. La France, selon le Cheikh, a commis « une grave erreur » en expulsant vers leur pays d'origine les deux opposants au régime irakien. Cette opération a gêné son action : il se trouvait à Téhéran au moment même de cet incident et plaidait alors pour la libération de nos otages en insistant sur le rôle bénéfique de la France et le sacrifice de ses soldats au Sud-Liban. Mais ses interlocuteurs les plus modérés, qui auraient pu avoir une influence sur les responsables iraniens, ont été réduits au silence par ces expulsions. L'erreur du gouvernement français est d'autant plus grave que le Jihad islamique, opposé au régime du Président Saddam Hussein, ne pouvait laisser passer cela. De toute façon, il pense que le Jihad n'a jamais eu l'intention de relâcher les otages, ne serait-ce que pour ridiculiser la Syrie dans son rôle d'intermédiaire. Les ravisseurs défendent uniquement les intérêts de l'Iran sans se préoccuper de ceux du Liban, qu'ils ne mentionnent jamais dans leurs revendications.


Jeudi 13 mars 1986


Inauguration de la Cité des Sciences et de l'Industrie à La Villette. Magnifique réussite.

Rafigh Doust aurait décidé de repousser au lendemain des élections législatives du 16 mars ses démarches en faveur de la libération des otages, en raison, nous dit-il, de propositions «plus avantageuses» émanant de l'opposition française. Éric Rouleau envoie de Téhéran ce message terrible :
« Le ministre des Pasdarans m'a signifié cet après-midi qu'il ne pouvait rien entreprendre pour obtenir la libération de nos otages (...). Mohsen Rafigh Doust n'a formulé aucune contre-proposition, aucune suggestion pour régler le problème des otages. Au cours de deux conversations, l'une avant, l'autre après ma rencontre avec le ministre, son homme de confiance chargé des missions spéciales, Mohammed Sadegh, m'a fourni les indications suivantes: c'est un "consensus" au plus haut niveau de l'État qui a interdit à Rafigh Doust d'intervenir auprès des ravisseurs pour qu'un règlement intervienne tel que nous le souhaitions. Compte tenu du rapport de forces, nos propositions ont été jugées trop modestes et trop tardives. "La bourse des valeurs a atteint son zénith ", a remarqué Sadegh en se référant à des propositions émanant de l'opposition. Cette dernière, selon lui, entretient des relations suivies depuis trois mois avec les ravisseurs et avec des milieux proches du gouvernement iranien, en leur promettant un règlement beaucoup plus avantageux que celui élaboré par l'actuel gouvernement. L'opposition aurait encore mis en garde les intéressés contre tout accord qui valoriserait l'actuelle majorité aux yeux de l'opinion française à la veille des élections législatives. »



Vendredi 14 mars 1986


François Mitterrand : « Un Premier ministre ? Je n'ai que l'embarras du choix. »


Le Président téléphone de nouveau à Assad. Éric Rouleau prend sur lui de relancer la négociation en acceptant l'idée que la libération de Naccache précède celle des otages. Il adresse un message à Paris «pour le Président de la République seul » :
« Le détenu Anis Naccache, gracié par le Président de la République, serait remis dès ce soir à Damas au représentant du Président syrien. Le Président Mitterrand s'engagerait simultanément à faire libérer les quatre autres prisonniers selon un calendrier prévoyant une première libération au plus tard dans trois mois, et les trois autres échelonnées sur les six mois suivants. Dès que le Président Assad serait averti du départ de France d'Anis Naccache, le chef de l'État syrien et les responsables donneraient l'ordre aux ravisseurs de remettre les otages français aux autorités de Damas. »

La télévision diffuse chaque jour des photos de Fontaine, Carton, Kauffmann, Rochot, Normandin et Cornéa.



Samedi 15 mars 1986


Veille d'élections. Voyage à Stockholm pour les obsèques de Palme. On y voit Craxi, Pérès, bien d'autres. Triste et digne.

Le Président n'attend plus beaucoup de son coup de téléphone de la veille. Son envoyé en Syrie n'a rien obtenu non plus.

François Mitterrand, sur la cohabitation : « Je ne veux pas être mouillé dans leurs histoires. Je les laisserai gouverner. »
Dimanche 16 mars 1986

En France, élections législatives et régionales. A 16 heures, nous savons que le PS est déjà à 27 %. La droite obtiendrait 42 % des voix et 288 sièges. Avec Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et Tahiti, elle dépasserait de 2 voix la majorité absolue à la Chambre. Le Front national, grâce à la proportionnelle, entrerait à l'Assemblée nationale avec 35 députés.

Le PS dépasse en fait la barre des 30 % et atteint son record historique (hors la vague de juin 1981). Avec 215 députés, il reste le premier groupe parlementaire.
Laurent Fabius trouve le mot juste en arrivant à l'Élysée : « Ce soir, cela va mieux qu'hier et... mieux que demain ! »
François Mitterrand, à Château-Chinon : « La démocratie est faite pour que les gens vivent ensemble dans les mêmes institutions. Il faut que les deux camps fassent preuve de sagesse, c'est en tout cas ma disposition d'esprit... »

Jacques Chirac déclare qu'en « confiant au RPR et à l'UDF la majorité absolue à l'Assemblée nationale, les Français ont manifesté leur volonté de voir se constituer un gouvernement nouveau pour mener une politique nouvelle.
Maintenant, c'est à tous les responsables de notre vie nationale d'assurer le respect de la volonté populaire et de la mettre en œuvre sans faiblesse. Si les résultats permettent de constituer une majorité, il faudra conduire une alternance ferme et raisonnable, sans rancune et sans rancœur, pour faire redémarrer notre pays. »

Vers minuit, réunion dans le bureau du Président avec Jospin, Fabius, Joxe, Mermaz, Pisani, Bianco et moi.
François Mitterrand : « Je ne connais pas ce monde. Je veux choisir un Premier ministre qui me garantisse qu'il n'y aura pas de Front national au gouvernement ; pas de ministre contre moi ni à l'Intérieur, ni aux Affaires étrangères ni aux Finances. Mais, dès que je nommerai un Premier ministre, il sera libre de choisir ses ministres. Difficile à concilier ! »

Tard dans la nuit, François Mitterrand sur la prière : «Il faudrait vraiment beaucoup de vanité pour prétendre conduire toute sa vie en ne comptant que sur ses propres forces. Je crois qu'on a besoin de prières, c'est-à-dire de rechercher une communication, par la pensée, avec quelque chose de plus haut. C'est peut-être déraisonnable. Une des belles choses de la religion catholique, c'est ce qu'on appelle la "communion des saints ", qui est au fond la communauté de la prière, ce qui rejoint beaucoup de pratiques ésotériques.
Le fait de prier ici et d'exprimer la même prière au même moment à mille kilomètres, et puis partout sur la Terre, est considéré comme pouvant établir un pouvoir de transmission, de communication entre tous ces gens. Et, pour prendre un exemple simpliste, en voyant la manière dont les ondes portent le son et l'image, on peut se demander pourquoi elles ne porteraient pas aussi une très grande intensité de pensée...
Tout cela ne me paraît pas absurde. Je trouve que c'est une belle idée, en tout cas.

Il m'arrive de prier, dans le vrai sens du terme, pas au sens étroit. Je ne me pose pas en homme plus détaché de son sort qu'il ne l'est. »
1 Réflexions sur la politique extérieure de la France, Fayard, 1985