Jeudi 21 octobre 1982


Hissène Habré devient officiellement Président du Tchad. François Mitterrand le traitera désormais comme tel, sans cesser de se méfier d'un homme dont il reconnaît par ailleurs les talents d'administrateur.

Le Prix Nobel de littérature est attribué à Gabriel Garcia Marquez.

Étonnante diplomatie américaine: alors que Ronald Reagan nous annonce un visiteur venu pour discuter de nos désaccords, voici que Wallis m'annonce qu'il va maintenant publier sans plus attendre la date du Sommet de Williamsburg. Et c'est encore une nouvelle date jamais évoquée jusqu'ici
La lettre est un monument d'impolitesse:
«Je sais que ces dates ne conviennent pas à tout le monde. Nous avons exploré de nombreuses alternatives ; certains disaient: "Pas avant le 1er juillet", d'autres: "Plutôt avant la mi-avril". Vous apprécierez notre problème (...). Après considération approfondie de ces éléments, le Président a décidé que les 28-30 mai conviennent à autant de ses collègues que possible. J'espère que vous pourrez vous en accommoder. La Maison Blanche annoncera ces dates demain matin. »

Nous partons pour Bonn pour le quarantième Sommet franco-allemand, le premier avec Kohl. Le thème essentiel est d'ordre économique: le déficit de notre commerce avec l'Allemagne devient inacceptable; il atteint 23,4 milliards pour les huit premiers mois de 1982, soit près du double des huit premiers mois de 1981 et plus que pour l'ensemble de l'année dernière. Une telle situation n'est pas supportable pour notre économie: la croissance en France a, l'an dernier et cette année, bénéficié aux exportateurs allemands. Le maintien de montants compensatoires monétaires positifs donne aux Allemands un avantage substantiel pour exporter leurs propres produits. Nous sommes toujours demandeurs de leur démantèlement afin de restaurer une juste concurrence entre les agriculteurs des différents pays. Le Chancelier réagit par de bonnes paroles. Nul ne parle de réévaluation. Les ministres allemands se montrent évasifs et rigolards.
Par ailleurs, la RFA souhaite faire aboutir les négociations d'adhésion de l'Espagne et du Portugal sous sa Présidence, c'est-à-dire avant juillet 1983. Le Président obtient qu'on inscrive ce problème dans une réflexion globale sur l'avenir de la Communauté: «Si vous voulez éviter, le moment venu, un veto de la France à l'élargissement, c'est maintenant qu'il faut en parler. » Il est convenu qu'un document pour le Sommet de Stuttgart, en juin prochain, fixera un cadre d'ensemble à la Communauté élargie. Décision essentielle qui enclenche les futurs progrès de la Communauté.
Le Président à Helmut Kohl: «Je refuse d'être mis devant le fait accompli sur la date du Sommet à Sept. La meilleure chose serait de réunir huit à neuf dirigeants à huis clos. Aucun contact avec la presse ne devrait être toléré jusqu'à la fin des conversations. »

Comme décidé entre François Mitterrand et Helmut Kohl, les quatre ministres des Relations extérieures et de la Défense se réunissent. On évoque la coopération en matière d'armement: les perspectives ne sont pas bonnes. L'hélicoptère antichar semble avoir plus de chances d'aboutir que le char. Mais devra-t-il s'agir d'un hélicoptère d'autoprotection ou d'un hélicoptère antichar? Les Allemands veulent s'en remettre aux États-Unis pour le moteur et l'électronique. Pas nous.
A l'occasion du vingtième anniversaire du Traité d'amitié franco-allemand, les 20 et 21 janvier prochain, nous soulignerons, au Bundestag ainsi qu'à Paris, l'importance de nos relations dans un cadre digne de l'événement.

L'Assemblée nationale aborde la discussion du projet réglant les séquelles de la guerre d'Algérie. Jospin présente avec le communiste Ducoloné un amendement excluant les généraux félons des mesures de réintégration.


Vendredi 22 octobre 1982


La Maison Blanche annonce les dates de Williamsburg. Personne ne nous demande si nous avions donné notre accord: c'est évident pour tous. Nous ne protestons pas. A quoi bon ?

Les réserves de la Banque de France — excepté l'or — ne sont plus que de 2 milliards de dollars. Quoi qu'il arrive, il faudra emprunter encore 6 milliards de dollars en 1983. Si nous avons de surcroît deux vagues spéculatives, nous serons à découvert. Malheureusement, connue du marché, cette faiblesse aggrave la probabilité de telles vagues.
François Mitterrand: «L'emprunt de Jacques Delors était absurde. Cela ne pouvait servir à rien. C'était comme jeter du petit bois dans un feu pour l'éteindre. »


Camouflet au Président, à l'Assemblée où 266 députés socialistes sur 289 refusent l'amnistie aux huit officiers généraux; le Président en veut beaucoup à Joxe.

Pierre Mauroy accepte d'accéder à la demande de l'Irak d'acquérir de 5 à 6 Super-Étendard équipés d'Exocet. Livraison et paiement avant la fin de l'année, espère-t-il.

Lors de sa visite au Salon de l'auto et de la moto, les motards remettent un texte au Président appelant à une grande manifestation, ce samedi.

A la veille du voyage du Président en Égypte et en Inde, ultime réunion préparatoire des ministres et des hauts fonctionnaires. Il faudra écarter toute demande d'achat d'uranium enrichi pour la centrale nucléaire de Tarapore.



Samedi 23 octobre 1982


Quatre arrêtés fixent les modalités de sortie du blocage des prix, qui prendront effet le 1er novembre Alea jacta est...
Lundi 25 octobre 1982


Jean-Pierre Chevènement s'inquiète toujours des licenciements dans les entreprises publiques. Il demande au Président de ne pas renouveler le mandat de certains présidents :
« Dans de nombreux cas, les directions des entreprises publiques continuent à se conduire, sur le plan de l'emploi, de la même manière qu'avant la nationalisation, quand ce n'est pas de manière plus provocante encore. Des licenciements concernant quelques dizaines de personnes, et qui pourraient aisément être évités, sont ainsi prononcés dans des villes comme Chalon-sur-Saône (Saint-Gobain) ou Saint-Nazaire (Alsthom). Absence de discernement? volonté systématique? Je m'interroge, mais une chose me paraît sûre: les dirigeants des entreprises nationales considèrent trop souvent comme fleur de réthorique la directive que je leur ai donnée le 31 août 1982 (...). C'est dans ce contexte que doivent être replacés certains changements à intervenir soit à l'Entreprise minière et chimique (EMC), soit à Alsthom-Atlantique. »
En clair, il demande le remplacement du président d'Alsthom, Pierre Desgeorges, par un syndicaliste. Alain Boublil parviendra à l'empêcher.

A Luxembourg, dix ministres des Affaires étrangères parlent du commerce Est/Ouest.

Le nouveau président de Havas, André Rousselet, fait savoir au Président que Tchetverikov, premier conseiller de l'ambassade d'Union soviétique, est venu lui dire: «L'Union soviétique apprécierait que la France renonce à mener ou à couvrir des activités antirusses en Afghanistan. En Pologne, ce sont des problèmes intérieurs dans lesquels les Soviétiques ne veulent pas s'ingérer. Les SS 20 ne sont là que pour répondre à la menace des multiples bases américaines placées dans les pays proches de l'URSS. La France dit qu'elle ne fait pas partie de l'organisation intégrée de l'OTAN, mais nous avons l'impression que, ces derniers mois, ses liens avec cette organisation intégrée ne cessent de se resserrer. Nous souhaiterions que la mise en valeur d'Astrakhan puisse être confiée à la France, mais nous ne souhaitons pas avoir à faire supporter aux contribuables soviétiques la différence entre le coût français et celui d'autres pays moins distants. Nous aimerions que le Président nous communique la liste précise de produits français qu'il souhaiterait voir acheter par l'URSS afin de rééquilibrer la balance entre les deux pays. »
Étrange message, transmis par un étrange circuit.

Malgré l'interdiction du Président, les réunions se poursuivent à Washington entre Shultz et les ambassadeurs européens. Selon les télégrammes diplomatiques, elles semblent même sur le point d'aboutir; la Maison Blanche voudrait pouvoir annoncer d'ici la fin de cette semaine la levée de l'embargo, qui pénalise plusieurs grandes villes américaines, avant les élections du 2 novembre. Claude Cheysson m'explique que l'accord à quatre consiste à «mener à bien des études, soit pas plus que ce que l'on a accepté à Versailles. De toute façon, ajoute-t-il, ce texte demeurera secret ».
Informé, le Président, réagit une nouvelle fois brutalement par une note manuscrite à Cheysson : « Pas de texte, c'est absurde ! Les politiques à long terme des Sept à l'égard de l'URSS vont devenir l'instrument d'une pression américaine. Il est vain d'espérer qu'un document quelconque puisse rester secret. Si nous y souscrivions, l'intérêt des États-Unis serait de le faire savoir par diverses fuites ou indiscrétions. Refuser tout cela. »


Mardi 26 octobre 1982


La sortie du blocage des prix s'annonce bien: les négociations avec les branches industrielles aboutissent à un ensemble d'accords selon un calendrier couvrant l'année prochaine, avec une clause de rendez-vous en janvier 1984 « afin de prendre les dispositions nécessaires si la situation économique le permet ». Les tarifs publics resteront strictement limités. Les revenus non salariaux seront encadrés. On sort ainsi de l'indexation. Pierre Mauroy a magnifiquement joué, et Pierre Bérégovoy avec lui. Aucune autre équipe n'aurait pu montrer une telle capacité de négocier avec les syndicats. Quoi qu'il arrive, 1982 restera dans l'Histoire comme l'année de la désintoxication de la société à l'égard de l'inflation.

Le Président rend visite à l'armée de terre au camp d'entraînement de Canjuers, dans le sud-est de la France. Il affirme le caractère complémentaire des forces nucléaires et des forces conventionnelles.




Mercredi 27 octobre 1982


Le Conseil des ministres délibère de la fin du blocage des prix et des salaires.
Pierre Mauroy : Nous ne renonçons pas à nos objectifs de croissance; la rigueur n'est pas une doctrine nouvelle.
François Mitterrand : La rigueur accompagne la réussite des réformes. La rigueur, c'est moi qui l'ai voulue pour réussir les réformes. A écouter certains, j'ai l'impression que chacun veut être premier au hit-parade de la rigueur !

Goukouni forme à Bardaï, au Tibesti tchadien, un gouvernement de Salut national. Kamougué, passé de son côté, est vice-président.

Régis Debray reçoit Serge Klarsfeld à propos de Klaus Barbie et en informe le Président. Klarsfeld pense qu'on peut obtenir son extradition des Boliviens, ou que ceux-ci l'expulsent vers une terre française. Le Président est d'accord pour mettre la procédure en route.

Je transmets au Président, pendant le Conseil, un télégramme diplomatique rendant compte d'une nouvelle réunion des quatre ambassadeurs européens avec le secrétaire d'État George Shultz. Le Président note encore : «Dites à Claude Cheysson que je n'accepte pas cette négociation, qui n'a pas lieu d'être tant que les Américains ne sont pas revenus sur leur décision à propos du gazoduc. » Sur un signe du Président, je reprends le télégramme que je passe à Cheysson, en ajoutant: «Nous sommes à deux jours de la limite mise par les Américains pour accepter le texte... ! »
Claude Cheysson demande alors à voir le Président après le Conseil et lui transmet une réponse: «Les Allemands et les Britanniques sont soucieux de ne pas rater cette occasion possible d'une levée des sanctions et sont prêts à accepter les conditions américaines. » Mais le Président n'a pas le temps de recevoir Cheysson aujourd'hui: il prépare le discours qu'il doit faire pour l'hommage rendu à Pierre Mendès France dans la cour de l'Assemblée.


Claude Cheysson renvoie alors au Président un autre message, cette fois sur le fond : « Il n'y a pas, il n'y aura pas de négociations sur la levée des sanctions américaines. Les Allemands et les Anglais eux-mêmes le reconnaissent. Shultz connaît votre position. Une décision américaine unilatérale — et erronée — ne peut être modifiée que par une décision unilatérale. » François Mitterrand le lit et se replonge dans son travail. Il profitera de son discours pour critiquer la hausse du dollar.


François Mitterrand sur Mendès France : « C'est ainsi qu'il a inspiré, suscité, favorisé l'éclosion d'idées, de réformes, de projets que le gouvernement de la France met aujourdhui en œuvre. On en retrouve les sillons dans les travaux des colloques de Caen, de Grenoble, dans les études des Cahiers de la République, dans les comptes rendus de séminaires discrets où il déployait le meilleur de son caractère et de son imagination. Témoignage qui reste vrai pour ceux qui, parmi nous, seraient tentés de concevoir ou de réaliser en ne pensant qu'à l'urgence ou bien au provisoire.
Un autre domaine où Pierre Mendès France s'est montré visionnaire a été celui du Tiers Monde. Il a vite dépassé sur ce sujet le sermon ou le prêche et n'a jamais évoqué ce problème en termes de charité. Il a simplement observé que sur cette planète, les pauvres restaient pauvres et qu'ils étaient de plus en plus nombreux ; et que les riches qui indéfiniment croyaient pouvoir le demeurer, en assurant leur domination, préparaient leur propre ruine. Et lui qui a si souvent proclamé notre dette, la dette de l'Europe et de l'Occident à l'égard des États-Unis d'Amérique qu'il aimait — comme je les aime —, il devait être le premier à dénoncer ce qu'on nomme par dérision ou bien par antiphrase l' "ordre monétaire international " et la suprématie du dollar, source de tant de troubles et de dommages dont les pays pauvres sont toujours les premières victimes. Encore une fois, le sort du Tiers Monde, pour lui comme pour nous tous, c'était insupportable. Mais c'était aussi une injure à cette raison humaine qu'il plaçait avant tout. L'homme ne peut pas construire de ses propres mains la fin de l'homme, répétait-il en parlant de la course aux armements, mais aussi et surtout en évoquant l'insupportable irrationnalité des rapports entre l'Occident et le Tiers Monde. On connaît ses propositions pour l'indispensable système monétaire nouveau, sur la garantie des cours des matières premières, sur le développement propre à l'identité de chacun... »

Dans l'après-midi, le Président reçoit Bill Clark, qui va sûrement parler de la négociation en cours à Washington. Or, justement, il n'en parle pas ! L'entretien est certes très important : il porte sur l'Amérique latine, l'Afrique, l'Est/Ouest. Mais rien sur le gazoduc. Clark restera une heure et parlera sans notes. Le Californien s'est amélioré :
Bill Clark: Le 12 mars, votre visite fut si courte que vous n'avez pu, avec le Président Reagan, aller assez loin dans tous les domaines. C'est dommage, car depuis lors, quelques problèmes ont surgi dans nos relations, au moins en apparence. Nous voulons vérifier que nos informations sont correctes, et, si c'est le cas, il faudra alors agir pour éviter que des événements aient lieu qui affectent nos intérêts nationaux et ceux de l'Europe occidentale. Sur tous les sujets que je vais aborder, je comprendrais que vous ne me répondiez pas immédiatement et que vous préfériez faire savoir ensuite directement votre sentiment au Président Reagan.
François Mitterrand : Je vous écoute.
Bill Clark: Je voudrais évoquer d'abord les points positifs de la coopération franco-américaine.
En premier lieu, je citerai les taux d'intérêt américains. Vous aviez dit le 12 mars que vous pensiez que les taux d'intérêt américains allaient baisser et que vous vous abstiendriez de les critiquer jusqu'au Sommet de Versailles. Vous avez tenu parole, et c'est très bien ainsi. Nos taux d'intérêt ont en effet baissé de 16 à 10 %. Simultanément, notre taux d'inflation est passé de 4,5 % à 0,2 % et peut-être 0 % à la fin de l'année. Par contre, notre taux de chômage reste à plus de 10 %.
En second lieu, vous avez appuyé publiquement la nécessité d'un réarmement américain. Comme vous, le Président Reagan pense que le réarmement américain est de l'intérêt de l'Occident tout entier.
Enfin, au Moyen-Orient, nous partageons le même souci d'un désengagement des forces hostiles au Liban et de la mise en place d'une Force multinationale. Au-delà de cette réussite actuelle, notre action commune la plus importante doit viser à réaliser la paix dans la région. De ce point de vue, on peut être optimiste, car la délégation arabe à Washington, la semaine dernière, a accepté tout ce que nous avons espéré. Voilà pour les aspects positifs.
François Mitterrand : Avant que vous n'en veniez à ce que vous appelez les points négatifs (et je suis sûr que vous allez me parler des relations économiques Est/Ouest), laissez-moi vous dire qu'ils sont sans importance au regard de ce que vous venez de rappeler et qui est l'essentiel.
Nous sommes en effet soulagés par l'actuelle baisse des taux d'intérêt américains: les États-Unis ont ainsi rendu un grand service à leurs alliés. De ce point de vue, votre politique économique et la nôtre vont d'ailleurs dans la même direction : notre inflation est passée de 14 % en 1981 à 10 % en 1982. Nous espérons 8 % en 1983 et 4 % ensuite ; nous ne pourrons descendre plus bas, car nous voulons réduire simultanément la croissance du chômage. Notre taux de chômage est d'ailleurs déjà le plus faible d'Europe. Si je voulais faire plus, je serais comme un monsieur dont le cœur est fatigué et à qui on recommanderait de courir. S'il le faisait, il serait vite au lit et ne pourrait se soigner ! Cette différence dans nos politiques économiques est donc une différence d'inflexion et non de nature. Nous ne pouvons faire plus, car notre situation sociale est différente de la vôtre: vous avez la chance d'avoir des syndicats moins politisés.
Notre conjonction est tout aussi positive dans le domaine militaire. Nous échangeons des informations beaucoup plus qu'avant. Nos ports, nos aéroports vous sont ouverts. Certes, nous souhaitons le succès de la conférence de Genève, mais, si elle échoue, nous encouragerons l'installation de fusées Pershing chez nos voisins européens. Pour ce qui nous concerne, nous avons accru notre budget militaire, qui augmente avec la croissance du reste de l'économie, car il est fixé à 3,895 % du PNB. Il augmente en particulier pour la marine et l'arme nucléaire. Nous ne réduirons pas nos effectifs en RFA. Nous avons rattrapé trois ans de retard dans la construction du sixième sous-marin et nous avons lancé le septième. Au total, notre armée est la troisième du monde, après la vôtre et celle de l'URSS. Elle a des liaisons avec la vôtre et reste disponible dans le cadre de l'Alliance. S'il y a des problèmes de détails, nous en parlerons avec vous.
Bill Clark: J'apprécie ce que vous dites et que M. Weinberger a confirmé lors de ses entretiens avec M. Hernu. Le Président Reagan considère d'ailleurs, sur ce point, vos entretiens avec le Chancelier Kohl comme très positifs.
Passons à l'Amérique latine. Nous avons appris de la guerre du Vietnam que nous ne voulons pas nous trouver engagés à fond dans une région. Nous tenons cependant à notre présence en Amérique latine. Hier, M. Reagan a annoncé qu'il irait au Brésil, en Colombie et au Costa-Rica. Or, des problèmes s'y posent à cause de l'action des Soviétiques: depuis janvier, Cuba a reçu deux milliards de dollars et 100 000 tonnes de matériel militaire. Il subventionne le Nicaragua et le Salvador. Il devient de plus en plus clair que la situation va s'aggraver au Costa-Rica, au Panama, au Honduras et peut-être même au Mexique, qui est à moins d'un mètre de chez nous. Nous avons apprécié que vous ayez fait ce que vous aviez dit concernant les livraisons d'armes au Nicaragua. Mais nous avons appris que M. Castro viendrait en France. Cela nous inquiète, car cela le rehausserait et ne faciliterait pas la solution des problèmes.
François Mitterrand : Sur le fond, vous avez de moins en moins tort, parce que votre politique aggrave la situation et pousse les dirigeants de ces pays, de plus en plus, dans les bras de Castro. Je suis donc réaliste et je ne suis pas le Tribunal suprême qui doit juger l'Amérique. Mais vous avez négligé ce que vous avez vous-même réussi en République dominicaine. Aujourd'hui, votre politique étant ce qu'elle est, la France ne veut pas être un facteur de troubles et n'a pas renouvelé son accord avec le Nicaragua. Nous voulions montrer que le Nicaragua n'est pas coupé de l'Occident : c'est fait. Mais nous ne voulons pas multiplier les problèmes avec les États-Unis, et le symbole devenait dangereux.
En résumé, mon analyse ne rejoint pas celle du Président Reagan, mais ma politique tend à réduire la présence française dans la région. Je regrette la situation, mais je ne peux rien pour la corriger. Nous avons de bonnes relations avec Castro. Si Castro vient en Europe, nous serons dans une situation difficile. Je le recevrai. J'ai appris que Castro envisage de se rendre en Suède. Dans ce cas-là, je vous en reparlerai en temps utile. M. Reagan rencontre bien M. Brejnev. Quand on rencontre les gens, on n'est pas forcément d'accord avec eux...
Bill Clark : Oui, mais la situation en Amérique centrale est grave. Il y a eu des élections démocratiques au Salvador, au Honduras et au Costa-Rica. Il y a 76 000 prisonniers politiques au Nicaragua. L'ambassadeur Enders a fait deux propositions sur le Nicaragua, mais elles ne sont pas encore acceptées par les Nicaraguayens.
Je voudrais maintenant vous parler de l'Afrique. Nous nous félicitons de vos efforts pour geler la pénétration soviétique en Afrique. Il y a cependant un problème: beaucoup de républicains ont été surpris que le Président Reagan ait manifesté son intérêt personnel pour la Namibie. Il l'a fait pour deux raisons distinctes : amener l'Afrique du Sud vers les droits de l'homme et faire accéder la Namibie à l'indépendance. Nous n'avons pas beaucoup de moyens de pression à notre disposition. Nous aimerions — mais nous ne pouvons pas, comme vous — vendre des armes à l'Afrique du Sud. Mais des progrès ont eu lieu avec le groupe de contact...
François Mitterrand: Nous voulons nous aussi le départ des Cubains hors de l'Angola.
Bill Clark : Le seul problème, à ce sujet, est dans les déclarations publiques : alors que le Président Reagan fait tous ses efforts pour que progresse la cause de la Namibie, certains Français déclarent que les Etats-Unis y constituent un obstacle à la paix.
François Mitterrand : Qui a dit cela ?
Bill Clark : Claude Cheysson a dit à Dar-es-Salaam que, si le processus échouait, ce serait la faute des Américains. Il a dit - et c'est dans le New York Times — que depuis cinq ans, nous n'assumons pas nos responsabilités en Afrique. C'est injuste et cela nous crée des problèmes avec les pays du Front. Notre aide à l'Afrique est quarante-huit fois supérieure à celle de l'URSS. En résumé, nos intérêts sur le continent africain sont parallèles. Nous souhaitons seulement qu'il y ait une meilleure coïncidence des déclarations publiques.
François Mitterrand : Je ne connais pas ces déclarations. Je veux vous dire que, sur la Namibie, nos objectifs sont les suivants: 1) indépendance de la Namibie; 2) élections libres; 3) départ des Cubains de l'Angola et même du Congo et de l'Ethiopie. Je crois que ce sont les mêmes que les vôtres.
Bill Clark : Je voudrais vous dire un mot de Kadhafi. Il n'est pas une menace pour les intérêts américains. Mais il finance la déstabilisation de vingt pays, du Niger à l'Irlande du Nord. Aussi avons-nous décidé l'embargo qui a atteint son but: il est isolé. Kadhafi envisage de venir en Europe. Il faut maintenant l'aider à prendre sa retraite.
François Mitterrand : J'ai fait partir la Libye du Tchad. Par ailleurs, nos relations avec Kadhafi sont ambiguës, voire inexistantes. Je ne connais pas de projet de voyage de Kadhafi en France. Je vous en parlerai en temps utile.
Bill Clark : Je voudrais maintenant évoquer la question de l'usine de centraux MT 20. Vous avez vous-même soulevé devant le Président Reagan cette question, le 12 mars. Vous aviez dit que vous étiez en train de dénouer ce contrat signé par votre prédécesseur. Nous ne connaissions pas ce contrat. Le Président Reagan n'est pas un ingénieur et nous ne comprenons pas tous les rapports des experts. Mais nos ingénieurs disent que ce contrat aura des effets négatifs sur notre capacité d'espionnage et que cela donne aux Russes des moyens militaires qu'ils n'auraient pas eu avant cinq ans. Or, nous apprenons que ce contrat est toujours en cours. Cela peut-il être reconsidéré ?
François Mitterrand : C'est de seul point sur lequel j'ai changé d'avis après ma rencontre du 12 mars avec le Président des États-Unis. Nous ne voulons pas, en effet, être le seul pays à ne pas avoir de relations avec l'URSS. J'ai fait moi aussi une enquête technique, et cela peut se discuter. Mais comme, en même temps, vous nous avez placé dans une situation difficile sur d'autres sujets, la France a changé de point de vue. En vérité, le commerce entre la France et l'URSS est très faible et très déséquilibré en notre défaveur. Notre ministre de la Défense m'a informé par une lettre d'aujourd'hui de ce qu'il est en relation avec le vôtre sur ce sujet. Laissons se poursuivre cette discussion entre les deux ministres. J'ajoute que vous n'aviez pas demandé cela à nos prédécesseurs. Les considériez-vous comme de meilleurs alliés ?
Bill Clark : Pas du tout. Nous sommes toujours attachés à ne pas marquer la moindre différence entre votre administration et les précédentes. Je voudrais relever à ce propos quelques autres déclarations publiques injustifiées nous concernant: la déclaration à l'ONU du Premier ministre français ; les déclarations en Afrique de M. Cheysson ; vos remarques sur Pierre Mendès France, ce matin...
François Mitterrand : J'ai cité une phrase de Pierre Mendès France qui était un ami de l'Amérique et qui ne disait rien de désobligeant. J'ai critiqué ce matin la hausse du dollar et je le referai sûrement un jour. Mais nous sommes alliés et nous apaiserons le vocabulaire. Je ne vous parle pas, moi, de ce que Mme Kirkpatrick, qui est pourtant francophile, a dit du choix du suffrage universel en France...
Bill Clark : Est-ce vrai ? Je suis très surpris. Je le vérifierai. Vous avez évoqué la question de l'embargo dont je pensais ne pas parler. Le Président Reagan ne croit pas à l'embargo ou aux sanctions. Il a d'ailleurs levé l'embargo sur le blé. Mais quand les Soviétiques sont intervenus en Pologne, le Président Reagan a voulu avoir une réaction clairement visible contre l'URSS. Il a demandé à ses principaux collaborateurs de faire une liste de sanctions possibles. La plus élevée dans la liste était l'embargo sur le contrat-gaz et la haute technologie. Nous avons espéré pouvoir ne pas le faire. Gromyko a promis à Haig la libération de Walesa. Elle n'a pas eu lieu. Nous avons attendu Versailles pour le décider.
François Mitterrand : La situation ne peut qu'empirer en Pologne. C'est dans la nature du système.
Bill Clark: Le 10 novembre approche, avec le risque d'une grève en Pologne. Comme il ne s'est rien produit depuis le 13 décembre dernier, il faut trouver quelque chose d'une visibilité équivalente. Nous avons demandé à nos alliés d'y réfléchir avec nous.
François Mitterrand : Je vous remercie de votre visite. Je ferai savoir au Président Reagan mes décisions sur tous ces sujets.

François Mitterrand note après cet entretien, comme il le fait parfois (mais de plus en plus rarement.) : « Clark, qui m'est envoyé, exprès par Reagan, me fait le compte rendu des relations actuelles entre les Etats-Unis et la France. Côté positif: l'alliance militaire, le Liban. Côté négatif: Amérique centrale, dénonciation dollar, protectionnisme ; au-delà de l'ensemble décor: Namibie, taux d'intérêt, gazoduc, etc. Je me suis promis de ne pas engager avec un intermédiaire — au demeurant sympathique — la moindre discussion de fond. Je communiquerai ma réponse directement à Reagan ; elle ne sera pas tendre. Pour Reagan, l'Occident est un protectorat qu'il administre comme le faisait autrefois notre administration coloniale dans l'Empire.»

Le Président me questionne : «Où en est-on avec les centraux téléphoniques à l'URSS ? » L'affaire du gazoduc a conduit à décider de laisser Thomson livrer le matériel, mais pas l'usine de composants. Mais faudrait-il informer les Américains lors de la signature firiale ? Avant ou après la livraison ? Faut-il lier cela à une éventuelle réunion du COCOM ?
Le Président demande à y réfléchir. Je me renseignerai.


Jeudi 28 octobre 1982


A 10 heures, je préviens le ministre des PTT, Louis Mexandeau, de ne rien signer sans me prévenir.
«Ton coup de téléphone tombe bien, car les négociateurs de Thomson sont justement à Moscou pour signer dans les quarante-huit heures. Je vais éviter que la signature ait lieu. Je reçois Gomez à Il heures. »
Et s'ils signent quand même ? J'appelle aussi Claude Cheysson pour lui demander de faire bloquer, de son côté, cette signature par l'ambassade de France à Moscou, sans lui parler de l'entretien du Président avec Clark, dont je ne sais s'il connaît l'existence. Il me dit faire le nécessaire.


Le Président Reagan réévoque l'« option zéro » dont il n'a guère soufflé mot depuis un an : « Ni Pershing, ni SS 20. » Clark n'en a pas parlé hier. Étrange missionnaire !
Le Président : «L'équilibre ne se fera pas sur cette base. Sinon, ce serait retrouver un déséquilibre antérieur, qui était favorable aux États-Unis. Il faudra trouver un point moyen entre les propositions de Reagan et celles de Brejnev. »
Comme Clark n'a pas parlé non plus de la date du Sommet, François Mitterrand répond donc à ce sujet, par écrit, à Ronald Reagan :
« Je regrette la façon dont a été fixée la date du Sommet de Williamsburg. Bien que mon représentant personnel ait indiqué à plusieurs reprises au vôtre que le calendrier de mes engagements rendait impossible pour moi la fixation d'une date avant le début du mois de juillet, je constate que ce fait n'a pas été pris en considération et que les États-Unis ont annoncé une date sans avoir recueilli l'accord de tous les participants. Pour avoir moi-même été confronté l'an dernier à cette difficulté, je garde le souvenir d'une discussion prolongée qui avait permis de trouver une solution convenant à tous les intéressés.
En ce qui concerne le déroulement de ces Sommets, je dois dire que mes réflexions rejoignent largement les vôtres. Instruit comme vous par l'expérience d'Ottawa et de Versailles, je crois que la meilleure chose serait de réunir les chefs d'État et de gouvernement à huis clos, dans un endroit calme, pour un échange de vues aussi libre et approfondi que possible. Il doit s'agir de conversations au sommet entre les dirigeants eux-mêmes, et non de négociations, qui sont de la responsabilité des ministres. Il me paraît enfin essentiel que tout contact avec la presse soit exclu, pour tous les participants, jusqu'à la conférence de presse finale. »
482 soldats français sont à Beyrouth.

Les socialistes espagnols remportent les élections législatives. Après la victoire en Grèce de Papandréou, la social-démocratie européenne ne se porte pas si mal.

Cette semaine, le marché a été calme. La Banque de France a rentré 4,6 milliards de francs.



Vendredi 29 octobre 1982


Ce que je craignais est arrivé: le contrat MT 20 est signé ! Les Russes ont accepté hier, sans aucune discussion, la totalité des réductions de livraisons demandées par la France. Cheysson, Mexandeau et Gomez affirment n'avoir pu joindre Moscou à temps.
J'apprends qu'en fait, c'est à l'insistance pressante de la direction des Affaires économiques du Quai d'Orsay que Thomson s'est rendu à Moscou pour signer l'avenant au contrat MT 20. Le Président peut néanmoins encore retarder ou même refuser son aval à cette signature. Rien de grave, au demeurant : le contrat ne porte plus sur les matériels sensibles dont le Président Giscard d'Estaing avait accepté la livraison aux Soviétiques.


Lundi 1er novembre 1982


Jean-Pierre Chevènement informe le Président : «Avec les Soviétiques, il y a une possibilité de contrat portant sur l'équipement du gisement de gaz d'Astrakhan : près de 5 milliards de francs. L'affaire bute sur le crédit. En face de Technip, la concurrence est allemande. u

Le Président n'a toujours pas admis le remboursement excessif de sa contribution à la Grande-Bretagne. Il me transmet une note manuscrite :
« J'ai multiplié les avertissements — y compris en Conseil des ministres — pour signifier mon refus de payer une note supplémentaire aux Allemands à propos de l'affaire anglaise. Cela suffit, maintenant ! C'est 300 millions de trop, en plus du trop-perçu antérieur. Il faut donc que le Quai d'Orsay exécute mes directives, ou bien que la hiérarchie du Quai s'en aille ! Je vous prie de communiquer cette note d'extrême urgence à M. Cheysson. »
A Washington, le relevé des discussions entre les Quatre évolue encore. Bernard Vernier-Pallez adore cette négociation à la hauteur de son ego.


Mardi 2 novembre 1982


Contrairement à ce que Cheysson avait espéré, Reagan n'a pas levé l'embargo aujourd'hui. On négocie toujours un texte.

Le Roi du Maroc fait savoir par son ambassadeur qu'il ne peut voir le Président à la date prévue... « parce que Mme Thatcher n'a pas d'autre date pour le recevoir » ! François Mitterrand n'apprécie pas. Il fait savoir que le rendez-vous n'aura plus lieu, car lui-même n'a pas d'autre date disponible.

Comment financer les entreprises publiques ? Comme au printemps, il faut un nouveau collectif. Le ministre du Budget écrit au Président, dans une lettre cruelle et lucide :
« Politiquement, économiquement et financièrement, la situation des entreprises publiques risque d'être, dans les années qui viennent, un enjeu plus important encore que le Budget de l'État. Politiquement, car les entreprises nationales seront notre "vitrine". Economiquement, car elles sont une des clés de l'investissement. Financièrement, car sur la lancée actuelle, plusieurs vont à la banqueroute (...). La SNCF, les Charbonnages, la sidérurgie sont des gouffres. L'informatique peut le devenir (...). En 1982, plusieurs entreprises (GDF, SNCF, Air France...) ont procédé à des recrutements importants alors que leur activité baissait (...). Dix-huit mois après, on ignore encore la stratégie de ces entreprises qui ne s'adressent à l'État que pour lui demander des dotations ou des augmentations de prix. On ignore également à quoi ont servi ou vont servir les sommes qu'elles réclament (remboursement de dettes ou investissements). Absence de maîtrise de l'Etat: plusieurs ministères (Industrie, Économie, Budget, Transports, etc.) s'occupent de tout et, en fait, personne de rien. L'État ne possède pas les informations nécessaires. Il ne sert qu'à solder les pertes. »
Puis Laurent Fabius passe à la politique économique et, reprenant le credo des « visiteurs du soir », qu'il a rejoints, explique :
« Il faut stabiliser les charges sociales des entreprises. Le système permettant de respecter cet engagement consisterait en la suppression progressive des cotisations familiales actuelles pesant sur les employeurs, et leur remplacement par une nouvelle cotisation proportionnelle, retenue à la source et appliquée à tous les revenus distribués aux actifs et inactifs, en incluant notamment les revenus du capital. A défaut de la mise en place d'un tel système, il n'y aurait d'autre solution que de continuer à augmenter les cotisations actuelles ou de dégager de nouvelles ressources fiscales au profit de la Sécurité sociale, aggravant ainsi le poids des prélèvements obligatoires. »
Autrement dit, transformer une cotisation sociale patronale en un impôt sur le revenu non progressif. Beau progrès social ! Je suis contre.
Le général de Bénouville vient demander au Président d'ordonner la commande de 5 prototypes du Mirage 4000 : « Tu dois montrer que l'État s'y intéresse. » Le Président sourit, sceptique.

Des savants américains viennent proposer un projet audacieux : des petites centrales nucléaires à fusion « pour avancer l'époque où elle [la fusion] pourra jouer un rôle significatif comme source d'énergie ». La voie officielle est coûteuse, lente et semble devoir conduire, à long terme, à des machines d'une taille considérable ; la leur est une sorte de coup de poker théorique qu'aucun pays n'accepte de financer.
Pour approfondir le projet, je réunis les meilleurs experts français en fusion nucléaire avec les promoteurs du projet. Choc de théories. Aucun Français ne garantit le succès, mais aucun non plus ne donne l'échec pour certain. Que faire ? Renoncer ? Financer l'expérience ? La décision engage beaucoup de choses. L'af faire des « renifleurs » est dans tous les esprits. Quand la science est en cause, le politique n'a presque aucun degré de liberté ; il doit se fier à la science officielle. J'ai toujours craint d'avoir un jour à regretter notre manque d'audace, ce matin-là.


Mercredi 3 novembre 1982


Le Conseil des ministres décide le lancement du programme de réseaux câblés. Immense espoir : « Dans un an, nous dit Mexandeau, il y aura deux millions d'abonnés au câble, et les satellites auront des centaines de milliers de clients pour leurs chaînes. »

L'ambassadeur du Maroc s'excuse de son impair : « Il y a eu un malentendu qu'il faut absolument dissiper. Le Roi songeait seulement à un report de quelques jours. Le Roi n'a pas été tenu informé de la manière dont a été proposée au Président une rencontre à Paris, sans date précise. Il est tout à fait évident que l'emploi du temps du Président est aussi compliqué que celui de Mme Thatcher. Le Roi n'aurait, quant à lui, voulu en aucune manière donner une priorité à Mme Thatcher sur le Président. S'il avait été informé, il aurait réagi immédiatement. Le Roi souhaite que la visite soit aussi rapprochée que le Président l'estimera possible. La date du Président sera la sienne. »

L'élégance royale ne saurait être prise en défaut.

Rémission. Pour les trois premiers jours de cette semaine, la Banque de France a rentré 357 millions. Aujourd'hui, le taux de l'Eurofranc à trois mois baisse à 12 3/4, et celui à six mois à 14,10. La crise est-elle passée ? Jacques Delors pense qu'il ne faut surtout plus rien réformer et que tout se calmera. Aussi ne fait-il rien pour appliquer les directives du discours de Figeac. A sa demande, Mauroy dira demain que « la baisse du taux de base bancaire, il y a cinq jours, rapportera 5 milliards aux entreprises et que la baisse du taux du Crédit National rapportera un milliard ». Les « visiteurs du soir » restent très critiques : « Cette déclaration va décevoir. Il n'y a là aucune baisse réelle des charges. » Ils proposent d'imposer aux banques une bonification à 8 % des prêts à moyen terme, la conversion des dettes au taux le plus bas, la déconnexion des taux d'intérêt interne et externe, la transformation programmée et progressive de la part patronale d'allocations familiales en impôt sur le revenu...
Le Président est pris entre son intuition (cette autre politique est la bonne) et ses principes (laisser le gouvernement gouverner). Ah, si seulement Pierre Mauroy voulait faire sien ce programme des « visiteurs du soir », comme tout serait simple ! Mais voilà, il n'en veut pas...



Jeudi 4 novembre 1982


L'ONU votera encore une fois ce soir sur le maintien ou la levée de l'embargo frappant l'Argentine. Cheysson plaide pour que la France vote la levée : « Vis-à-vis de la Grande-Bretagne, la France n'a rien à gagner ; Mme Thatcher est repartie sur l'idée que 1983 et 1984 lui rapporteront autant que les années antérieures, c'est-à-dire la contre-valeur de 1,7 milliard d'écus. Par ailleurs, pour la première fois depuis douze ans, le commerce franco-britannique se déséquilibre en raison de la baisse de nos exportations agro-alimentaires.
A l'inverse, en Amérique latine, nous sommes à la veille d'obtenir d'énormes contrats pour des entreprises de travaux publics concernant la construction de barrages ou de routes en Argentine, au Paraguay et au Brésil. D'autres énormes chantiers sont en jeu concernant les télécommunications du Mexique, du Brésil et de la Colombie. Nos principaux concurrents, les États-Unis et l'Italie, votent pour. »
Pourtant, le Président maintient l'abstention de la France. François Mitterrand : « Solidarité européenne d'abord. Et Cheysson est mal placé pour dire qu'on paie trop à la Grande-Bretagne. »



Vendredi 5 novembre 1982


Je rencontre Allan Wallis, le nouveau sherpa américain, arrivé en Europe. Délicieux vieillard, formidablement cultivé et incroyablement démodé. Il est venu préparer la prochaine réunion des sherpas à Paris, les 10 et 11 décembre. Sur le fond, Washington veut un sommet restreint, réservé pour l'essentiel à une conversation entre les seuls chefs d'État, sans ministres.
Sur la date du Sommet, je lui dis «qu'une invitation n'est pas une convocation ». Il me répond que Williamsburg, seul ensemble historique qui soit propriété de l'État fédéral... est loué aux autres dates ! Nous restons chacun sur nos positions. Il espère encore que nous pourrons donner notre accord avant la fin de l'année.


Le ministère des Relations extérieures et celui de la Défense informent les Américains de l'accord conclu entre Thomson et les Soviétiques. Colère au Pentagone. Limitée, car la partie sensible du contrat, signée en 1980, a été annulée.

François Mitterrand, à qui on parle des échecs économiques de Margaret Thatcher : « On ne se console pas des siens avec le malheur des autres, mais cela aide... »
Lundi 8 novembre 1982


Cheysson reçoit l'ambassadeur américain qui lui transmet le dernier projet de texte de « relevés de conclusions » négocié à Washington. Il est convenu de ne jamais le publier, mais d'annoncer seulement « bientôt» à Washington la levée unilatérale de l'embargo.
Cheysson vient montrer au Président ce texte, auquel les Italiens se sont ralliés à la dernière minute. Cheysson : « Il ne contient aucun engagement de contrôle supplémentaire par rapport à ceux existant dans le cadre du COCOM. Sinon celui de lancer des études exhaustives sur le commerce des pays occidentaux avec l'Est dans des domaines très larges : agriculture, énergie, haute technologie. Une phrase mentionne le désir commun de ne pas "subventionner" l'URSS. » D'où la nécessité, pour Claude Cheysson, d'une lettre interprétative sur ce point. « Mais ce n'est pas grave, ce texte restera secret. »
Le Président lit le texte :
« Ils [les signataires] reconnaissent la nécessité de conduire leurs relations avec l'URSS et l'Europe orientale sur la base d'une politique globale d'ensemble visant à servir leurs intérêts communs et fondamentaux de sécurité. Ils sont particulièrement conscients du besoin que l'action, dans le domaine économique, soit cohérente avec cette politique globale d'ensemble et soit par conséquent basée sur une approche commune.
Il n'est point dans leur intérêt de subventionner l'économie soviétique ; le commerce devrait être conduit de manière prudente, sans traitement préférentiel.
Ils se sont informés mutuellement de ce que, pendant la durée de l'étude sur les besoins énergétiques, ils ne signeront pas ou n'approuveront pas la signature par leurs compagnies de nouveaux contrats avec l'Union soviétique pour l'achat de gaz naturel. »
Contenu inacceptable: on arrêterait le développement du gazoduc aussi longtemps que les Américains jugeraient utile de poursuivre les études.
Pourtant, Claude Cheysson sort ravi de chez le Président. « Le Président n'a plus aucun problème sur le contenu du texte, seules comptent désormais les conditions de l'annonce par les Américains. » Il est persuadé qu'il va atteindre au bout du compte un objectif voulu par le Président. Formidable malentendu ! François Mitterrand a-t-il donné son accord à un texte qui bloque toute politique économique extérieure communautaire ? Il confirme le contraire.

Régis Debray propose la création d'une Communauté francophone dotée d'institutions. Le Président accepte, mais pour plus tard : « Je crois davantage à la réunion informelle des chefs d'État et de gouvernement qu'à une Communauté, mais pourquoi pas, plus tard... »
Régis Debray considère pourtant qu'il a obtenu un feu vert et s'attelle au projet. Rien n'est faisable sans l'accord préalable des Québécois et des Canadiens : à défaut, on ne pourra avoir de représentants des francophones d'Amérique du Nord, et le projet sera mort-né. Il faut donc faire s'entendre les Premiers ministres du Canada et du Québec, Trudeau et Lévesque, sur leurs statuts respectifs.

Impossible de ne pas publier aujourd'hui le montant de la dette extérieure de la France : 45 milliards de dollars. C'est plus que prévu dans les pires hypothèses. La crise de change reprend. Jacques Delors : « Il y a un complot international contre la France. On veut casser notre expérience en nous faisant dévaluer une troisième fois. »
Mardi 9 novembre 1982


Une décision capitale à prendre demain : la sortie du blocage des salaires des fonctionnaires doit-elle s'opérer en acceptant une clause de sauvegarde pour la fin 1983 afin que Force ouvrière et la FEN signent ? Et quelle sauvegarde : « en masse », c'est-à-dire sur le total des salaires reçus pendant l'année, ou « au niveau » des salaires à la fin de l'année ?
Le Premier ministre est prêt à accepter un accord « en niveau », retour déguisé à l'indexation des salaires. Le ministre du Budget et celui de l'Économie sont contre : tous les efforts déployés jusqu'ici n'auraient alors servi de rien. Le Président est plutôt d'accord avec Mauroy, mais finit par accepter le point de vue de Delors. Encore un choix courageux.

Allemands et Italiens mettent au point une esquisse d'Union européenne. Ils posent les problèmes de politique, de sécurité, de définition du cadre juridique, du rôle des institutions. Ils l'ont fait sans nous. Inquiétant. Après le plan Genscher-Colombo d'il y a un an, le Chancelier Kohl veut-il, comme Schmidt, remplacer l'axe Paris-Bonn par un axe Bonn-Rome ?

Depuis le début de l'année, la France n'a conclu avec l'Union soviétique que pour 1,1 milliard de contrats de biens d'équipement, contre 5,4 milliards pour l'Allemagne et 3,3 milliards pour l'Autriche ; notre déficit sera de 10 milliards de francs en 1982 et, si rien n'est fait, passerait à 14 en 1983, et à 20 milliards en 1984.




Mercredi 10 novembre 1982


Tchervonenko, reçu par Pierre Mauroy, souhaite que «la coopération entre les deux pays puisse prendre un tour plus important. Elle est insuffisante, elle décline, et un déficit se creuse au bénéfice de l'Union soviétique (...). L'Union soviétique est disposée à élargir cette coopération dans le domaine des échanges agricoles mais aussi des biens d'équipement ; il convient pourtant de régler au préalable les difficultés de financement ». Une ouverture semble se dessiner.
L'ambassadeur ne sait pas que Leonid Brejnev est mort ce matin. Une ère nouvelle commence.


Maussade, Robert Badinter travaille à l'élaboration des règles d'extradition des Basques.

Laborieuses négociations entre le PS et le PC sur les futures élections municipales.

Échec de la grève générale lancée en Pologne par Solidarité, contre l'avis de l'épiscopat.

Je travaille avec André Bercoff sur son manuscrit. Jubilatoire ! François Hollande lui fournit tous les chiffres qu'il veut.
Jeudi 11 novembre 1982

Ronald Reagan téléphone à François Mitterrand. Il laisse entendre qu'il fera bientôt un discours sur les rapports Est/Ouest après la mort de Leonid Brejnev, tenant compte des conversations avec les ambassadeurs. François Mitterrand s'inquiète: « Vous parlerez de la levée de l'embargo ? Ronald Reagan : « Oui, mais la question de la levée de l'embargo n'a aucun rapport avec les conversations en cours sur le commerce EstlOuest. » Le Président n'est qu'à demi rassuré.


Vendredi 12 novembre 1982


Comme prévu, Iouri Andropov devient Secrétaire général du PC d'Union soviétique. Romanov et Oustinov, les deux autres prétendants, sont sur la touche.

On reçoit dans la soirée à l'Élysée le texte du discours que prononcera demain le Président Reagan. Il est traduit dans la nuit.


Samedi 13 novembre 1982


Scandale ! Dans son discours, Reagan compte annoncer aujourd'hui la levée de l'embargo, « partielle ou totale », et son intention de publier ultérieurement le texte de « l'accord intervenu entre les ambassadeurs sur le commerce EstlOuest ». Il ne dit pas quand. Mais sans doute va-t-il profiter de la mort de Brejnev pour tenter de sortir au plus vite du piège où il s'est mis lui-même.
Le texte négocié n'est donc pas présenté par Reagan comme une déclaration unilatérale américaine, mais bel et bien comme un accord à Cinq de contrôle du commerce Est/Ouest. Désastre. Ce que, depuis le début, le Président ne veut pour rien au monde !
Je cherche Cheysson. Il est au Koweït, injoignable. Vers midi, je réunis les principaux hauts fonctionnaires du Quai d'Orsay (François Scheer, Francis Gutmann, Jean-Claude Paye et Jacques Andreani). Ils sont formels: la publication du texte négocié à Washington n'a pas été acceptée par le Quai d'Orsay. La Grande-Bretagne et la RFA sont pourtant prêtes à admettre sa publication, l'Italie semble pencher pour. Mais nos partenaires admettent qu'il faudrait un accord entre les Quatre Européens pour revenir sur la position définie à Quatre de ne pas publier. On décide de faire savoir dès que possible — c'est-à-dire vers 15 heures (heure de Paris) — à la Maison Blanche que la levée de l'embargo ne peut qu'être unilatérale, sans conditions, et sans publication d'un texte multilatéral. Pas de panique : Reagan n'annoncera aujourd'hui que la levée de l'embargo et ne publiera rien, nous dit-il, avant quelques jours.

Déjeuner avec François Mitterrand et quelques « visiteurs du soir ». Il y a là Laurent Fabius, Jean Riboud et Jean-Jacques Servan-Schreiber, lequel remet au Président une lettre de l'avocat Samuel Pisar lui conseillant de se rendre aux obsèques de Brejnev :
« Si vous vous y rendiez vous-même, vous obtiendriez — et j'ai des raisons de penser que cela est maintenant possible — la libération du symbole vivant et universel qu'est Chtcharanski comme signal d'une nouvelle politique dont vous pourriez vous entretenir à fond, et le premier, avec M. Andropov qui cherche, j'en suis sûr, ce contact et cette occasion.
Dans la mouvance de l'événement actuel, toute une nouvelle dynamique peut permettre à l'URSS de sortir de son ghetto culturel et technologique dont elle souffre quotidiennement de plus en plus ; et aux pays ex-industriels de l'Ouest d'ouvrir enfin les grands marchés du monde à leur créativité au lieu d'étouffer ensemble comme aujourd'hui. »
Le Président a déjà décidé : il ne se rendra pas pour la première fois à Moscou pour assister à des obsèques. Cela reste vrai. Et cet «enlèvement» de Chtcharanski, malheureusement bien improbable, rappelle trop celui de Théodorakis par J.J.S.S. en d'autres temps...

Le déjeuner tourne naturellement autour du déficit extérieur. Tous plaident pour le protectionnisme et la baisse des charges sociales des entreprises.
Laurent Fabius propose : Une hausse du Tarif extérieur commun pour s'aligner sur les droits de douane japonais et américains, et le paiement en or, avec une réduction significative, de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les grandes fortunes.
Jean Riboud : Il n'y a presque rien à attendre de l'investissement industriel privé, sauf par entraînement des entreprises publiques.
Laurent Fabius: Il faut faire des crédits à l'investissement à taux réel négatif, reporter sur la Caisse nationale de l'Industrie les dettes des entreprises publiques, mettre les industries naissantes à l'abri de la concurrence européenne pendant trois ans.
Jean-Jacques Servan-Schreiber : Augmenter massivement les tarifs des entreprises publiques en déficit ; augmenter les bas salaires par des points payés plus tard et payer les hauts revenus en bonus réinvestis dans l'entreprise ou en dépôts bloqués dans des livrets d'épargne-industrie.
Jean Riboud : Rendre les prestations sociales dégressives avec le revenu ; éliminer tous les obstacles administratifs au partage d'un poste de travail en deux emplois à mi-temps ; transformer les prestations chômage en une assurance et les compléter par des aides accrues à la formation.

Après le déjeuner, le Président, prévenu de ce qui se prépare à Washington, part se promener au fond du parc de l'Élysée avec J.J.S.S. pendant plus d'une heure. Sans doute ce dernier lui explique-t-il les exploits que le Centre Mondial, sauveur électronique de la France, s'apprête à accomplir...
A 15 heures, Wallis est injoignable.
A 15 h 45, coup de théâtre. Allan Wallis me rappelle : « Le Président des États-Unis a l'intention d'annoncer, dans son discours hebdomadaire à la radio, à 18 heures, heure de Paris, la levée d'embargo. Mais il annoncera aussi l'accord de Washington sur le commerce Est/Ouest. Il hésite néanmoins entre deux textes de discours: l'un faisant état de l'existence d'un accord à Quatre en le publiant séparément dix minutes plus tard ; l'autre, si vous restez opposés à la publication de cet accord, dans lequel le Président des États-Unis en donnerait la substance comme émanant de lui. »
Je lui réponds que cette procédure est invraisemblable, car il n'y a aucun accord ni sur la publication du texte d'un accord, ni même sur son contenu, qui devait de notre point de vue rester une position unilatérale. «Je vous rappellerai au plus tard dans une heure pour vous faire connaître la position exacte du Président. »
François Mitterrand, informé, explose : « C'est inadmissible, inacceptable ! Le Quai d'Orsay n'en fait qu'à sa tête. J'ai dit que je ne voulais pas qu'on négocie ce texte. On nous fait miroiter la levée de l'embargo en échange d'un texte dit secret, et voilà que le texte secret devient public et fixe une doctrine Est/Ouest qui nous échappe. Il établit un leadership américain. C'est un véritable traité définissant tout le commerce avec l'Est. C'est l'alignement sur les thèses américaines. L'Alliance n'a rien à dire sur les questions économiques. Dites non : au texte et à sa publication ! »
Simultanément, Jean-Louis Bianco appelle le secrétaire général du Quai d'Orsay, Francis Gutmann, qui prévient Bernard Vernier-Pallez à Washington. Celui-ci est hors de lui, se dit désavoué: « Je n'ai rien fait sans l'autorisation de mon ministre. » Prévient-il le Département d'État ?
Je rappelle en tout cas Wallis à 16 h 45 : « Le Président de la République n'est pas d'accord sur le contenu de ce texte. Il n'y a d'ailleurs pas d'accord possible sur un texte quelconque d'accord international au seul niveau des ambassadeurs. En conséquence, la publication ou même l'annonce d'un accord euro-américain par le Président des États-Unis est impossible. Pour ce qui concerne la levée de l'embargo, nous avons toujours pensé qu'elle serait unilatérale. Notre ambassadeur recevra en temps utile les instructions nécessaires sur les points de désaccord qu'il transmettra au Département d'État.»
Allan Wallis : «Je suis stupéfait de ce que vous dites ; je croyais l'accord sur le texte conclu depuis le début de la semaine. Cela change tout pour la déclaration à venir du Président. Le malentendu doit venir de ce que les pays européens étaient, dans la dernière semaine, représentés dans la négociation par le représentant des Communautés Européennes et non pas par leurs propres ambassadeurs... »
Première nouvelle !
Il raccroche, fort aimable ; puis me rappelle, plus nerveux : « J'ai parlé avec Bill Clark. Ronald Reagan veut parler à François Mitterrand. »
Le Président refuse sans hésiter: « Si je le prends au téléphone une heure avant sa déclaration, il peut me faire dire n'importe quoi sur l'amitié franco-américaine, l'Alliance, etc., et invoquer ensuite mon accord.»
Je transmets : fureur intense à la Maison Blanche. Clark et Shultz conseillent à Reagan d'annoncer quand même la levée de l'embargo et l'accord sur le texte. Ce qu'il fait :
« Maintenant que nous sommes parvenus à un accord avec nos alliés, qui offre des mesures plus fortes et plus efficaces, il n'y a plus besoin de ces sanctions. L'accord sur les conditions du commerce Est/Ouest porte sur les points suivants : aucun nouveau contrat d'achat de gaz soviétique ne sera signé tant qu'une étude décidée par les pays alliés sur les alternatives énergétiques occidentales n'aura pas été terminée ; les Alliés se sont engagés à "renforcer les contrôles existants sur les transferts de biens stratégiques à l'URSS " ; des procédures seront établies "sans délai pour assurer le contrôle des relations financières avec l'URSS" ; et les pays occidentaux "travailleront à harmoniser leurs politiques de crédits d'exportation".»
Il est 18 h 30 et Cheysson est toujours injoignable. François Mitterrand à propos de Reagan : « Ce sont des procédés de voyou, de gangster ! » Il faut réagir. Le Président convoque le plus haut responsable du Quai d'Orsay disponible, le secrétaire général, Francis Gutman, dans son bureau.
Le Président : « Le Général de Gaulle a fait sortir la France de l'OTAN parce qu'il refusait l'intégration militaire atlantique. Moi, je refuserai l'intégration économique. Ce texte américain est un traité léonin qui détruit toute possibilité de construction européenne. Notez... »
Et Francis Gutmann prend sous sa dictée le texte d'un communiqué publié un quart d'heure plus tard comme émanant du Quai d'Orsay : « La France, qui a fait connaître en temps utile à ses alliés sa position sur le commerce Est/Ouest, n'est pas partie à l'accord annoncé cet après-midi à Washington. Elle prend acte de l'annonce par Reagan de la levée de l'embargo américain sur les fournitures destinées à l'Union soviétique, en relation notamment avec le gazoduc eurosibérien.»
Dans la soirée, Bernard Vernier-Pallez souhaite démissionner : « Le Quai aurait pu publier un communiqué précisant seulement que nous n'avions pas à nous sentir liés par ce qui n'était d'ailleurs pas un accord. J'ai fait changer douze formules. Il s'est créé une sorte de front européen. Autrement, nos alliés européens acceptaient tout ce que voulaient les Américains et nous aurions été beaucoup plus isolés. »
Le Président aurait accepté avec plaisir cette démission si le signal ainsi donné n'avait été que toute l'affaire résultait d'un différend franco-français plutôt que franco-américain. Francis Gutmann appelle l'ambassadeur pour l'assurer qu'il n'est pas personnellement désavoué.


Dimanche 14 novembre 1982


Dans l'avion qui le conduit du Koweït à Moscou pour les obsèques de Brejnev, Claude Cheysson écrit au Président... pour dénoncer les procédés de Reagan !
« La déclaration du Président Reagan hier en dit long sur les modes de faire à Washington. Elle ignore résolument ce qui avait été catégoriquement dit par plusieurs de ses alliés, principalement les Européens. Elle insinue et parfois affirme des contre-vérités. Dès le début, il a été convenu qu'il n'y aurait pas d'accord entre nous. Au terme de conversations qui avaient lieu à Washington dans des cadres variés, des conclusions pouvaient être relevées. Les Quatre Européens ont souligné que leurs conclusions ne pouvaient évidemment être publiées, puisqu'il ne s'agissait pas d'un acte formel, bien moins encore du "plan d'action" cité par Reagan (...). J'ajoute enfin que le ton de la déclaration est à peine supportable à l'égard de ses partenaires et dans l'ambiance d'une véritable guerre économique qu'aucun de nous n'accepte (et que le "relevé de conclusions" rejette expressément). »
Texte ambigu. Cheysson reconnaît l'existence d'un accord à Cinq, mais pense qu'un tel accord pouvait rester secret et être présenté comme une décision américaine unilatérale. Le diplomate croyait avoir en face de lui des diplomates.

Sur la place Rouge, les obsèques de Leonid Brejnev se déroulent selon une liturgie impériale bien établie. Pierre Mauroy et Claude Cheysson représentent le gouvernement. Le compte rendu qu'en fait Pierre Morel, qui y représente l'Élysée, est remarquable :
« L'arrivée à pas lents du cortège, la dépose du cercueil ouvert sur son catafalque de velours rouge, la montée des hiérarques au fronton du mausolée de Lénine, l'enchaînement des discours, le piétinement de la queue des officiels devant la tombe où flottait l'insistante odeur des branches de sapin fraîchement coupées pour les couronnes, furent les temps forts d'un rituel solennel et grave, mais mécanique. Nulle trace visible d'affliction, ni même de simple émotion sur les visages ronds et un peu ahuris des centaines de très jeunes soldats attendant en groupes dans les escaliers de la Maison des Syndicats de pouvoir s'incliner devant le corps, ni sur celui des officiels, ni sur celui, bien sûr, des quelques Moscovites rencontrés, vaquant à leurs occupations au-delà du périmètre interdit. Seuls l'attente pendant laquelle la musique funèbre emplissait la place, les cinq minutes où hurlèrent les sirènes des usines et le passage bruissant de centaines de porteurs de couronnes, véritable forêt en marche, furent des instants d'une densité inhabituelle. Rien dans ces cérémonies, aucun des détails dans la ville ne traduisait les troubles d'une succession ni les incertitudes du lendemain. Dans une ostensible pérennité, le système venait juste de ressentir le léger à-coup qui s'imprime à un vaisseau glissant depuis longtemps sur son erre et auquel une direction effective s'applique à nouveau.
Tout, depuis le spectacle de ces gérontes côte à côte, militaires et civils intimement imbriqués, jusqu'au ballet des limousines aux rideaux tirés, accusait l'impression de puissance collective, décourageant — en tout cas, le premier jour — toute spéculation sur ce que pourraient être le rôle de tel ou tel dirigeant en particulier, ou la personnalité de Iouri Andropou »
Comique : Ronald Reagan écrit à François Mitterrand, comme à tous les responsables de l'Alliance atlantique, une lettre-circulaire tirant les conséquences de la mort de Brejnev, lettre particulièrement mal venue après l'incident d'hier :
« Dans les circonstances présentes, je pense que nous, Occidentaux, devons, dans nos prises de positions publiques et privées à l'intention de la direction soviétique, affirmer l'opportunité d'une amélioration des relations Est/Ouest. Dans le même temps, nous devons mettre l'accent sur le fait qu'une telle amélioration ne peut s'envisager que si les Soviétiques font preuve avec une solide évidence d'une volonté de se soumettre aux normes acceptées des comportements internationaux (...). Je pense qu'il est particulièrement important en ce moment que le comportement occidental soit marqué par une unité d'objectifs. Ce serait vraiment tragique si la direction soviétique percevait des divisions entre les Occidentaux. »
On ne saurait mieux dire: « Maintenant, taisez-vous, c'est moi qui parle ! »


Lundi 15 novembre 1982


Cheysson, rentré à Paris, me dit : « Je ne comprends pas. Ce qui s'est passé dans cette affaire entre le Président et moi me paraît beaucoup plus grave que ce qu'il y a pu avoir entre nous sur le Proche-Orient. Nous avions sur le Proche-Orient des sensibilités différentes qui sont arrivées à se fusionner. Dans une lettre, au début d'octobre, j'ai expliqué au Président la très grande tâche qui nous attendait. Or, il y a eu un désaccord total. Je n'ai pas compris ce qui s'est passé. » Puis, découvrant que le Président le considère comme responsable de ce désordre, il s'excuse par une lettre dans laquelle sa stratégie se révèle remarquable et subtile, quoique à l'opposé de celle du Président:
«Je regrette de ne pas avoir bien compris votre préoccupation majeure. Ce serait la première fois depuis dix-huit mois (...). J'ai cru venue l'occasion de faire reconnaître la principe de la concertation. Les Anglais pensent comme moi que nous devons pouvoir interroger les Américains, dans un cadre informel et de manière non conclusive, sur leur politique économique. Cela me semble un complément indispensable de ce qu'est actuellement l'Alliance. Certes, nous ne serons que rarement entendus. Mais, quand les Trois seront d'accord, leurs voix ne seront pas toujours sans écho. Je me demande maintenant si l'expérience des dix-huit derniers mois ne vous a pas convaincu que cette concertation était totalement vaine et ne pouvait tout au plus mener qu'à des interférences plus nombreuses des Américains. Je crois qu'elle vaut d'être tentée et que le groupe des Quatre (au niveau des directeurs politiques ou économiques plus que des ambassadeurs, et au niveau des ministres) est bon. Renoncer à compléter ainsi l'actuel dispositif de l'Alliance me préoccuperait. »
François Mitterrand ne veut pas en entendre parler : « Surtout pas d'Alliance informelle économique ! Cela se termine toujours par un diktat américain. Gardons cette énergie pour un rapprochement entre Européens. Rien d'autre. »
Clarification majeure, ce jour-là, de notre politique étrangère. Résigné à n'être que rarement entendu des Super-Grands, Cheysson accepterait volontiers que la France prenne place dans le directoire économique à Quatre dont rêvent les Américains ; le Président, lui, le rejette.

Le Président confirme à Ronald Reagan que la France signera la Convention sur le Droit de la Mer : «J'estime que ce Traité représente une étape importante dans la mise en place d'un nouvel ordre économique international auquel, vous le savez, je suis tout particulièrement attaché. »

Le Roi Hussein de Jordanie est à Paris. Il propose de passer de l'état de belligérance à l'état de paix en établissant des relations bilatérales entre les États, y compris Israël. Il est très prudent sur un éventuel État palestinien. Le Président explicite la position de la France face aux diverses initiatives de paix.
Hussein : Le confiit arabo-sioniste s'aggrave. Il faut obtenir le retrait des territoires occupés par Israël depuis 1967, l'arrêt des implantations, la liberté de culte à Jérusalem, le droit des Palestiniens à l'autodétermination, y compris le droit au retour, le contrôle international pendant six mois des territoires occupés et une garantie du Conseil de sécurité pour la mise en œuvre de ce projet (...). L'OLP est le représentant unique et légitime des Palestiniens. L'État israélien occupe déjà 78 % de la Palestine. Nous n'en réclamons que 22 %. C'est le minimum de ce que nous pouvons demander.
François Mitterrand: Nous ne voulons pas nous substituer aux pays de la région. La France a reconnu l'État d'Israël. Depuis lors, avec des guerres, celui-ci a institué son pouvoir sur des terres qui ne lui ont pas été accordées par l'ONU. J'ai approuvé les accords de Camp David pour leur dimension bilatérale israélo-égyptienne. Pour les territoires occupés et Jérusalem, nous souhaitons qu'on en revienne à la situation antérieure, juridiquement reconnue. J'ai reçu des maires de ces territoires ; leur situation est inacceptable et rappelle celle que nous avons vécue en France pendant la guerre. Je ne me mêle pas, au-delà, du choix final, car nous ne sommes pas un pays arabe. La France n'est pas un arbitre, c'est un pays de bonne volonté qui garde son droit de pensée. Il y a là un peuple qui n'a pas de patrie, un peuple en déshérence. S'il veut un État, c'est à lui de le décider. Ce peuple a droit à une patrie. Le plan de Fès comme le plan du Prince Fahd constituent une utile façon de faire avancer le dialogue. Mais rien ne progressera tant que l'OLP n'aura pas accepté le droit d'Israël, tel que défini par les Nations-Unies, en le liant à sa reconnaissance propre. Ilfaut qu'une initiative soit prise, peut-être sous cette forme conditionnelle. Si on ajoute cette condition à celle du plan de Fès, on arrivera à la paix. Sinon, rien n'est possible. La France sera toujours aux côtés de ceux qui s'engageront sur ces thèses. La reconnaissance réciproque de l'OLP et d'Israël se fera.
Hussein: Nous sommes d'accord sur ces principes. Aucun territoire ne doit être occupé par la force. Israël doit se retirer des territoires occupés. Les garanties doivent être internationales. Nous sommes heureux que la France soit favorable à une reconnaissance réciproque d'Israël et de l'OLP, de façon à garantir les droits des deux pays de manière raisonnable et équitable. L'OLP doit jouer le rôle principal. La Résolution 242 du Conseil de sécurité contredit les accords de Camp David qui donnent le droit à Israël de disposer des territoires occupés. Nous pensons que seul le peuple palestinien peut dire ce qui lui convient. L'OLP doit participer à l'élaboration de la paix. Laissons l'Histoire parler, dégageons-nous du piège. Le peuple palestinien est menacé par des dangers considérables. Nous espérons l'appui de la France.
François Mitterrand : Je reconnais la résolution de Fès comme une méthode. Je me réserve de juger des objectifs. Il faut distinguer ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Il faut éviter les positions extrêmes. Ce qui compte, c'est de réaliser des progrès.

Fait très exceptionnel pour un ambassadeur, Bernard Vernier-Pallez écrit directement au Président, sans passer par son ministre :
« Il est vain, à mon sens, d'épiloguer sur les responsabilités qui ont conduit à l'affrontement public franco-américain de samedi, mais il faut être conscient qu'il aura des répercussions durables et profondes sur les relations franco-américaines. En nous distinguant avec éclat de tous nos partenaires européens, nous réalisons ici l'unanimité dans le mécontentement : les ultra-conservateurs d'abord, rassemblés notamment autour de Weinberger, Ikle et Pearle au Département de la Défense, ce qui ne manquera pas de rendre plus difficiles nos relations avec celui-ci ; le Président Reagan et son entourage à la Maison Blanche, qui considèrent, à tort ou à raison, qu'il s'agit d'un affront personnel ; le secrétaire d'État, M. Shultz, qui avait pris l'initiative de l'exercice et pouvait penser, après les conversations de La Sapinière, que nous n'étions pas fondamentalement opposés à sa manière de trouver une porte de sortie au Président. Il va se trouver sur la sellette et ne manquera pas de nous en vouloir. Si cette détérioration des relations entre Paris et Washington était le but que nous recherchions, il faut que l'on sache qu'il est atteint au-delà des espérances. »
Au reçu de cette missive, François Mitterrand dit à Cheysson: « Je ne veux plus de déclarations des ministres sur cette question ; plus de réunions entre l'ambassadeur et ses interlocuteurs jusqu'à la levée effective des sanctions ; il faut refuser de participer à des études sur les relations économiques Est/Ouest sur la base de ce relevé de conclusions.»


Alain Savary entame des négociations avec les syndicats sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur. Il précise ses intentions : deux corps (professeurs, maîtres de conférence) divisés chacun en deux classes ; un service horaire annuel identique pour tous les enseignants-chercheurs, quels que soient le corps et la classe ; une thèse unique (remplaçant les thèses de troisième cycle et d'État) ; l'extinction du corps des assistants (par non-renouvellement et transformations). Flou sur l'agrégation ; le ministère ne paraît pas particulièrement attaché à son maintien.
Voyant cela, les syndicats appellent à la grève pour les 25 et 26 novembre.


Vendredi 19 novembre 1982


Le Président reçoit Jacques Delors, comme presque tous les vendredis. Celui-ci lui remet une note inquiète, dans son style habituel :
« Le déficit de la balance des paiements de 1983 sera très lourd et très difficile à financer, ce qui nous met à la merci d'une crise grave de paiement, avant ou après les municipales. En raison de la hausse du dollar (une hausse de 5 % nous coûte 10 milliards de francs de devises) et d'une croissance trop rapide de la consommation des Français (+ 3,7 % par an, soit beaucoup plus que la production : 2 %), il est donc très important de se doter de munitions nécessaires pour s'opposer à une crise de change et d'être très rigoureux dans la politique suivie. Je suis prêt, pour "éviter la crise cardiaque ", à exposer au Président dans le détail un ensemble de décisions. »

Puisque le ministre le saisit par écrit, le Président lui demande, par écrit, de faire des propositions plus précises :
«J'ai reçu votre note et l'ai lue avec beaucoup d'attention. Vous savez que les préoccupations que vous évoquez sont les miennes et que j'ai demandé au gouvernement d'y consacrer tous ses efforts. Si vous estimez que les mesures qu'il a prises ne suffisent pas à réaliser ces objectifs, en particulier ceux qui concernent le rétablissement de l'équilibre de la balance des paiements et le développement de l'épargne, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me faire connaître, ainsi qu'au Premier ministre, les mesures complémentaires que vous jugeriez utiles. »

Autrement dit : vous ne m'apprenez rien sur les problèmes, et vous ne me proposez pas de solution.



Samedi 20 novembre 1982


Les lettres s'échangent très vite entre Paris et Washington, sur des sujets multiples, poursuivant des dialogues parallèles aux tonalités diverses et parfois contradictoires.
Ronald Reagan répond aujourd'hui à la lettre de François Mitterrand sur la date du Sommet de Williamsburg :
« Je comprends et regrette votre insatisfaction. Je vous assure que votre préférence pour une date en juillet n'a pas été ignorée. Tous les participants ont manifesté clairement leur préférence pour une date dans la première moitié de l'année, et une telle date est conforme au principe selon lequel, si possible, le Sommet se tient lorsque c'est l'un des pays participants qui est président en exercice des Communautés Européennes. Dans l'esprit de coopération et d'amitié qui est essentiel pour un tel Sommet et pour sa préparation, je vous demande de vous joindre à nous à Williamsburg. »
Autrement dit : nous savons très bien pourquoi vous vouliez que le Sommet ait lieu en juillet ; c'est justement pour cela que nous n'en voulons pas. C'est à prendre ou à laisser.
Ignorant cette lettre, et pour clore l'incident de la semaine dernière sur le gazoduc, François Mitterrand écrit à Washington :
« C'est en respectant la personnalité nationale de chaque État, profondément compatible avec la solidarité nécessaire sur l'essentiel, que nous favoriserons l'enracinement dans chaque pays de la volonté commune de défense (...). S'il y a pu à cet égard avoir un malentendu, je souhaite qu'il soit désormais dissipé. Chacun d'entre nous, Monsieur le Président, est bien conscient de la prudence que requiert la conduite des relations avec les pays de l'Est. Chacun d'entre nous est bien conscient de ses intérêts nationaux à cet égard, dont il est le meilleur juge et le premier garant dans le respect des procédures de concertation existantes. Notre intérêt commun, en tant que pays membres de la même alliance, me semble être que celle-ci puise ses forces dans notre diversité. »
« Chacun d'entre nous » est la formule que le Président a trouvée pour éviter de dire «nous », et qu'il essaie d'imposer ici. Elle revient à dire : solidaire sans pour autant s'impliquer dans une décision collective.


Lundi 22 novembre 1982


Étrange visite, ce matin : l'ambassadeur Galbraith et cinq sénateurs de passage à Paris, dont le sénateur Dole, se présentent à l'Élysée sans rendez-vous. Je les reçois. Un café est servi. Nous n'échangeons que des banalités sur les rapports franco-américains. Conversation mondaine au milieu d'une crise profonde.

A Bruxelles, ultime incident franco-allemand à propos de l'accord du 25 mai. Lors de la discussion budgétaire, Chandernagor convient avec son homologue allemand d'attendre la mi-décembre pour faire d'éventuelles concessions au Parlement sur la croissance des dépenses. Plus tard dans la journée, les Allemands changent d'avis, craignant que, lorsque le Parlement examinera le collectif pour 1982 par lequel doit transiter l'aide à la Grande-Bretagne, celui-ci ne se venge et ne supprime leur allégement. Averti, Bianco téléphone au secrétaire général de la Chancellerie à Bonn, Schreckenberger, qui prend note ; il rappellera. Mais il ne rappelle pas. Déjà, cet homme, supposé être le principal collaborateur du Chancelier, est appelé le « Triangle des Bermudes » pour son étonnante capacité à enterrer les dossiers.
Isolé à Bruxelles, Chandernagor ne peut pas rassembler la minorité de blocage nécessaire. Le texte est adopté. Il fait inscrire au procès-verbal du Conseil la déclaration suivante : « Il est très mauvais pour la Communauté de se laisser entraîner dans un engrenage qui conduit à payer des allégements au profit de certains États, puis à accepter une augmentation inconsidérée des dépenses communautaires pour faire adopter par le Parlement la traduction budgétaire de ces allégements. La délégation française a déclaré nettement qu'elle ne participerait plus, pour sa part, à un mécanisme aussi dangereux pour la Commuanuté. »
Informé, François Mitterrand répète : « Nous sommes obligés d' "avaler" les 300. J'espère qu'on n'ira pas plus loin. Je vous prie de mettre le Quai en garde ! »

Le gouvernement aura pris à la fin de cette semaine les mesures d'équilibre de l'UNEDIC : économies de 10 milliards ; hausse de 1,5 % des cotisations, partagée entre les entreprises et les salariés. Le franc reste faible.

Nouvelle réunion des « visiteurs du soir » ; deux scénarios de sortie du SME sont discutés :
- soit tout de suite, au prochain Conseil des ministres, avec les mesures suivantes : maintien du déficit budgétaire à moins de 100 milliards en 1982, soit 2,8 % du PIB, et moins de 3 % du PIB en 1983 ; équilibre du budget social de la nation jusqu'à la fin de 1983 ;
- soit après les élections municipales, si l'inflation américaine et la récession en Allemagne s'aggravent, et sans plus de souci d'être considéré par les autres comme un bon élève. Cela suppose de négocier les hausses de prix et de salaires sur une base de 5 % d'avril 1983 à avril 1984 ; de créer un « livret d'épargne-emploi » pour compléter la garantie de l'UNEDIC ou de ce qu'il en restera ; de déconnecter les taux d'intérêt interne et externe ; de mettre en place le dépôt de devises égal au coût des importations ; d'augmenter de 3 points la TVA et de supprimer les contributions des entreprises aux allocations familiales ; de créer une Caisse nationale de l'Investissement pour financer sur bons du Trésor les investissements des entreprises publiques ; de lancer des grands travaux ; d'accélérer les économies d'énergie dans le logement.
Ce second scénario exigerait « une formidable mobilisation et quelques réformes de structures : la constitution d'un vrai ministère du Commerce extérieur, le remplacement du gouverneur de la Banque de France, la mutation du ministère du Plan en cadre d'explication du projet à long terme ».
François Mitterrand écoute sans conclure. Ce programme le tente. Le choix est entre une troisième dévaluation — avec ce qu'elle aurait d'humiliant — et le flottement — avec ce qu'il aurait de panache, au service des entreprises et de l'emploi. Difficile de démontrer que la route la plus étroite est la plus sûre.

Allan Wallis esquisse l'agenda de Williamsburg : « La reprise économique (y compris l'emploi, l'investissement, le commerce, l'endettement et les questions financières); les relations économiques avec l'Union soviétique et l'Europe de l'Est et la revitalisation des institutions économiques internationales. » Le Sommet doit être un moyen d'affirmer une stratégie commune face à l'Union soviétique. « Pas de communiqué formel, mais seulement la possibilité pour les chefs d'État et de gouvernement de faire une déclaration s'ils en éprouvent le besoin ; désignation pour chaque session d'un seul chef de délégation ou d'un ministre qui serait chargé par ses homologues d'informer la presse après chaque session (...) : il faut revenir à la conception originale du Sommet et le débarrasser des "traditions" qui se sont accumulées...»
J'interroge le Président sur la date: tous nos partenaires se sont finalement ralliés. Si nous ne le faisons pas, il en résultera un incident majeur.
François Mitterrarid : « Marquer notre surprise et ne pas faire de drame. »


Mardi 23 novembre 1982

Le Président insiste, au petit déjeuner, pour que la loi d'amnistie, qui revient demain en seconde lecture à l'Assemblée, soit adoptée, par 49-3 si nécessaire, y compris pour les généraux. Le Président en veut aussi à Jospin d'avoir laissé en Arles, aux municipales, la tête de liste aux communistes.

François Mitterrand: « Quand y a-t-il eu, dans l'histoire de l'humanité, plus de vivants présents sur la planète que de morts accumulés dans le passé ? » Joli sophisme ; la réponse, évidente («A l'aube des temps »), ne le convainc pas.


Mercredi 24 novembre 1982


Au Conseil des ministres, le gouvernement décide de 10,5 milliards d'économies sur l'assurance-chômage.

La loi sur la réintégration des officiers généraux est adoptée par le 49-3 en seconde lecture. Rejet d'une motion de censure sur la politique de défense.
Première rencontre entre Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac depuis janvier 1980. Ils déjeunent ensemble chez Drouant, terrain neutre.

Dans la soirée, nous partons pour l'Égypte et l'Inde.

Jeudi 25 novembre 1982

Au Caire, après son entretien avec Moubarak, le Président note : « Moubarak juge les Israéliens sans foi ni loi, et, qui plus est, inconsistants. Il ne se contente pas de les soupçonner d'avoir négocié le partage du Liban avec les Syriens, il affirme que ses négociateurs l'ont entendu de la bouche d'Assad qui, on le voit, n'en fait pas mystère. Les Syriens auraient annexé la Bekaa, les Israéliens le Golan et la bande frontalière. »

Le nouveau Chancelier allemand fait une déclaration très chaleureuse devant le Bundestag :
« La coopération franco-allemande, institutionnalisée il y a bientôt vingt ans par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle dans le Traité de l'Elysée, n'a pas seulement fait ses preuves: elle n'a cessé de s'étendre à de nouveaux domaines. Mais, à nos yeux, ce n'est pas seulement une coopération dans la Communauté Européenne. Elle favorise aussi la stabilité de l'Alliance atlantique dont nos pays font tous les deux partie (...). Nos préoccupations communes à ce sujet nous ont amenés à évoquer les questions intéressant la sécurité. A l'avenir, des entretiens à quatre entre les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays seront partie intégrante de la coopération franco-allemande. Pour la première fois au bout de dix-neuf ans, nous avons ainsi relancé un élément important dont nous étions convenus dans le Traité de l'Élysée. Pour nous, il s'agit là d'un échange de vues avec un grand et important voisin. Et, grâce à cet instrument, nous rendons également service à la sécurité commune de l'Occident.
Nous comprenons fort bien les préoccupations que causent à nos amis français certaines évolutions dans leur balance commerciale. A ce sujet, nous leur avons dit qu'entre amis, précisément à une heure difficile, il faut parler et rechercher ensemble des solutions solides. Nous savons qu'il est nuisible pour nous de cloisonner nos marchés, que cela compromet à long terme les emplois, au lieu de les garantir à court terme. »


Vendredi 26 novembre 1982


A Assouan, je reçois copie de la réponse du secrétaire général allemand à l'appel téléphonique de Jean-Louis Bianco de lundi dernier. « Comme vous le savez, d'autres obligations ne m'ont pas permis de répondre le soir même à votre appel téléphonique. Cependant, j'ai aussitôt fait transmettre votre demande à la délégation allemande en négociation à Bruxelles. Je trouve regrettable que nos délégations qui, comme on me l'a fait savoir, ont entretenu des contacts bilatéraux constants, n'aient pas pu s'entendre sur une orientation commune. » La machine de la Chancellerie est d'une incroyable lenteur.

Dans l'avion d'Assouan à Delhi, François Mittertand : « Le point moyen ne peut pas être le gel soviétique annoncé par Brejnev. Il suppose qu'on n'installerait plus de SS 20. Comme, déjà, il y en a deux fois plus qu'il n'en faut eu égard à la sécurité européenne, cela ne veut pas dire grand-chose. De plus, ces fusées pourraient être retirées à quelque distance. Les moyens de transport sont rapides et la portée des fusées s'allonge en permanence. Cela ne peut pas être non plus le point zéro indiqué par Reagan, car ce point zéro pourrait laisser entendre que les Russes renonceraient à l'ensemble de leurs SS 20, c'est-à-dire de leur armement tactique moderne, tandis que les éléments avancés tactiques nucléaires occidentaux resteraient en place. Il y a un point moyen que la sagesse des négociateurs trouvera, j'imagine. Impossible que l'un des deux négociateurs puisse imposer entièrement son point de vue à l'autre. »

A Delhi, rencontre avec Indira Gandhi. Lasse et rebelle, passionnée et désespérée : « Les "Négociations Globales" sont abandonnées. »
La France est prête à livrer de l'uranium enrichi à l'Inde.

Dans sa chambre, le Président reçoit, parmi la masse de télégrammes transmis par l'aide de camp, un câble cinglant de notre ambassadeur à Washington :
« J'ai eu ce matin un entretien privé à la résidence avec M. Eagleburger qui vient de rentrer de son long voyage en Extrême-Orient. Il m'a confirmé ce que je savais sur l'état d'esprit du Président et du secrétaire d'Étax Ses propos montrent que les Américains sont parfaitement au courant de la différence d'optique entre le Quai d'Orsay et l'Elysée sur la question. Le Département d'État avait reçu un câble de M. Galbraith, le 8 novembre, mentionnant que le ministre lui avait indiqué au cours d'une conversation, ce jour-là, son acceptation de la dernière version du relevé de conclusions. L'irritation des Américains est accrue par le fait qu'ils pensent que la France s'est dégagée, à l'occasion de l'incident concernant l'annonce, de sa participation aux études à entreprendre. Ils ne peuvent pas les démarrer avec les autres partenaires sans la France, et ils n'envisagent pas de les entreprendre sur une base autre que celle du relevé de conclusions, ce qui les met dans la situation la plus désagréable. J'ai souligné à mon interlocuteur qu'il était indispensable que, compte tenu de l'état des relations entre les deux Présidents, la visite du secrétaire d'État ne conduise pas, du fait d'un échec, à un accroissement de la tension, mais, au contraire, permette un rétablissement de la confiance. Pour cela, il fallait que fussent abordés avec le Président de la République les vrais problèmes. M. Eagleburger m'ayant demandé quelle était notre position actuelle concernant la concertation sur les relations économiques Est/Ouest, j'ai répondu que c'était un sujet qu'il était préférable de garder au frigidaire pendant les prochaines semaines. Le secrétaire d'Etat pourrait en parler au ministre au cours de leur conversation du 14 dans l'après-midi, à Paris. M. Eagleburger ne m'a pas caché que la persistance de l'incertitude sur ce point contribuerait à accroître l'irritation ici. Mon interlocuteur, qui rapportera cette conversation au secrétaire d'État, va essayer de m'organiser un rendez-vous avec lui qui se situerait pendant la très étroite période allant de son retour d'Amérique du Sud à son départ pour l'Europe. »
Le Président est furieux. Comment Vernier-Pallez ose-t-il parler d'un désaccord entre le Quai et l'Élysée ? Il demande à Cheysson de le faire réprimander.
Le dîner d'État de ce soir à Delhi est le plus beau de tous les dîners d'État auxquels j'aie assisté. Des Sikhs au turban orné d'une grande plume blanche, rangés derrière chaque convive, s'inclinent pour servir. Le rythme est si précis que les plumes restent parfaitement alignées tout au long du dîner. Le rite colonial au service d'un empire nouveau.
La position de l'État sur l'extradition se précise. Un discret signal est envoyé aux Espagnols : la Lettre de Matignon publie cinq critères dont chacun peut fonder un refus d'extradition.




Samedi 27 novembre 1982


Le secrétaire général du Quai, à qui Cheysson a téléphoné depuis Delhi, répond à Vernier-Pallez :
« Nous prenons connaissance avec surprise de l'observation figurant dans votre message 2906, selon laquelle les Américains seraient "parfaitement au courant d'une différence d'optique entre le Quai d'Orsay et l'Elysée ". Comme vous le savez, il n'y a pas eu et il ne peut y avoir de différence d'optique entre la Présidence de la République et le ministère des Relations extérieures. Il se peut que les Américains croient habile d'entretenir à cet égard une ambiguïté. Il faut qu'ils sachent au contraire qu'une telle attitude ne pourrait qu'altérer davantage nos rapports avec Washington en ce qui concerne les relations Est/Ouest, alors même que le Président de la République, par sa lettre au Président Reagan, vient de faire savoir dans quel esprit et de quelle façon cette question paraît, pour la France, devoir être abordée.
Nous sommes d'ailleurs bien convaincus qu'il n'y a, dans votre esprit, aucun doute à ce propos, et je me permettrai de vous téléphoner pendant le week-end. »
Dîner de retour à l'ambassade de France à New Delhi. Trente couverts seulement. Indira Gandhi, plus détendue que jamais, parle de son éducation suisse. Son fils et sa belle-fille l'accompagnent. Elle: « Je hais la politique, j'espère que Rajiv n'aura jamais à en faire. » A la fin du dîner, Mme Ross, l'ambassadrice, fait chanter une Marseillaise approximative à son perroquet. Lors de mon dernier passage, j'avais déjà subi la performance éraillée de l'oiseau. Debout, nous écoutons le massacre, vaguement amusés, vaguement furieux. A la fin, Indira Gandhi applaudit et murmure en français: « Mais c'est très bien ! »
La politesse est exquise. Gênés, nous avançons vers le salon quand Claude Cheysson, se tournant vers Mme Ross, s'écrie : « C'est magnifique. Et, en plus, il a exactement la même voix que vous. » Gaffeur impénitent !


Dimanche 28 novembre 1982


Nous courons de ville en ville. Visitant Elora, à cinquante kilomètres d'un aéroport, le cortège est si étiré que lorsque le Président quitte le site, la dernière voiture du cortège y arrive à peine et doit faire demi-tour. Colère des invités.


Mardi 30 novembre 1982


La CNIL autorise la création d'un fichier informatisé pour la lutte anti-terroriste.

Suspension des négociations américano-soviétiques sur les euromissiles.

Le Président revoit les « visiteurs du soir » ; il leur confirme son intention de ne rien faire d'ici les municipales. Il faut donc conforter le franc : réduire les réserves pétrolières stratégiques des compagnies nationales ; faire monter de gros emprunts en dollars par les entreprises publiques. Le Président insiste sur le caractère urgent et secret de ces mesures.


Mercredi 1er décembre 1982


Pendant ce temps, le bateau court sur son erre : au Conseil des ministres, augmentation du SMIC de 3,3 % (soit 14,2 % pour l'année et 3,2 % en termes réels). C'est trop, beaucoup trop.

L'extradition de Klaus Barbie bute sur quelques manques de zèle. Genscher n'est pas très pressé de réactiver la demande allemande. Il suggère à la France une mesure d'expulsion vers Paris. Perplexité au Quai d'Orsay, qui n'est pas non plus enthousiaste.


Jeudi 2 décembre 1982

André Bercoff remet son manuscrit à Claude Durand. Je le lis. Le Président aussi. Caton, « homme de droite », a beaucoup d'allure. Si le canular n'est pas éventé trop vite, on va s'amuser.

François Mitterrand écrit à Gemayel pour l'interroger sur «la nécessité du retrait de toutes les forces étrangères présentes au Liban, et à propos des modalités de la reconstruction de votre pays»:
«A cet égard, la France est disposée à examiner les conditions dans lesquelles son aide pourrait être renforcée ou mieux déployée. Une telle intervention suppose toutefois que soit précisé à nouveau le rôle des différents contingents composant la Force multinationale.
Comme vous le savez, nous estimons qu'en dehors d'actions dictées par des considérations humanitaires qui imposent l'urgence, un effort accru de notre part devrait de préférence se placer sous l'égide des Nations-Unies qui se trouvent en mesure d'exercer au Liban des responsabilités plus grandes, du reste conformes à leur vocation. L'occasion d'en débattre pourrait être d'autant plus facilement trouvée que le Conseil de sécurité sera amené à se prononcer bientôt sur le mandat de la FINUL, qui vient à échéance le 19 janvier. »
Le Conseil constitutionnel déclare non conforme la loi sur la décentralisation dans les DOM/TOM.

A Madrid, Felipe Gonzalez devient Président du Conseil des ministres. Il faut y envoyer un grand ambassadeur. Le Président fait proposer par Mauroy — qui l'a suggéré — l'ambassade à Savary, qui refuse.


Vendredi 3 décembre 1982


Madrid est proposé à Jean-Pierre Cot, qui refuse également et souhaite voir François Mitterrand au plus vite. Rendez-vous jeudi prochain.
A peine rentré d'Asie, il faut repartir pour le Sommet européen, cette fois à Copenhague. Un agenda assez lourd. D'abord l'élargissement : comme convenu avec Kohl, la France, plus favorable depuis l'élection de Gonzalez, obtient que l'adhésion de l'Espagne soit subordonnée au règlement des problèmes agricoles et de ceux liés au financement du Budget. Ensuite l'investissement : la France n'obtient pas l'accord de l'Allemagne sur le lancement des 3 milliards d'écus d'emprunt communautaire. Enfin le commerce international : la France n'obtient pas l'affirmation d'une volonté commune d'utiliser le Tarif extérieur commun comme un instrument de politique industrielle. Le reste est renvoyé au Sommet suivant, sous présidence allemande.


Dimanche 5 décembre 1982


Jean-Pierre Chevènement est à Moscou. Il s'entretient avec Baïbakov, président du Gosplan et vice-président du Conseil, du projet d'Astrakhan.

Libéré de prison le 2 décembre, l'écrivain sud-africain Breyten Breytenbach s'installe en France.




Lundi 6 décembre 1982

Shultz, qui sera à Berlin demain pour un dîner à quatre préludant à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Alliance, arrive, prévient-il, avec trois questions : «
1 Comment faire front à la pression considérable que les Soviétiques vont exercer sur les Européens en 1983 pour empêcher le déploiement des fusées américaines en Europe ?
2 Comment éviter les conséquences des politiques de déflation générale pratiquées progressivement, bon gré mal gré, dans tous les pays du monde ? En particulier, comment faire face éventuellement à un accident de parcours, dans un pays fortement endetté, qui risquerait d'ébranler la communauté financière internationale ?
3 Comment doivent se comporter les États-Unis et la France, partenaires égaux d'une même alliance, mais dont le niveau de puissance n'est pas le même ? »

Nouvelle lettre de Bérégovoy au Président sur la politique économique. Cette fois, il prend ouvertement parti contre la politique de Delors et Mauroy, et propose une politique alternative : augmenter la TVA de 2 points (soit 46 milliards) et baisser les cotisations d'allocations familiales des entreprises de 5 points.
« La situation du franc est largement déterminée par celle de notre commerce extérieur. Un déficit annuel de 90 à 100 milliards de francs ne peut être financé sans concours extérieurs. Leur importance affecte notre monnaie autant, sinon plus, que les déficits du Budget et des comptes sociaux (...). La limitation de nos importations est possible. Des modalités techniques la faciliteraient (dépôt à l'importation, plafonnement des crédits bancaires aux importateurs, etc.). D'autres, plus politiques, telles que la mise en oeuvre des clauses de sauvegarde du GATT et du Traité de Rome, sont certainement à retenir.
Mais l'idée la plus répandue consiste à réduire le pouvoir d'achat de telle sorte que le commerce extérieur retrouve naturellement son point d'équilibre. J'y suis franchement hostile. Cette voie est politiquement périlleuse. Elle est économiquement incertaine. Une baisse du pouvoir d'achat contribuerait à ralentir encore plus l'activité, aggraverait le chômage, et les comptes de nos régimes sociaux s'en trouveraient sérieusement affectés (200 000 chômeurs nous coûtent plus de 12 milliards de francs par an), et ces nouveaux déficits ne seraient pas sans incidence sur la santé du franc, avec pour conséquence de nouvelles mesures d'économies. Ainsi, dans une sorte de cycle infernal, on serait alors contraint de prendre aux travailleurs deux fois : d'abord par la baisse du pouvoir d'achat, ensuite par la hausse des cotisations ou la baisse des prestations sociales.
Je ne souhaite pas revenir sur la question du flottement du franc ou d'un nouvel ajustement monétaire au sein du SME. Je ne dispose pas des éléments qui me permettent d'en juger.
Mais je tiens à attirer votre attention sur le point suivant: dans l'état actuel des choses, le seul moyen de toucher au taux de change sans le modifier expressément consiste à agir sur la TVA par augmentation de son taux, liée à une baisse des cotisations sociales.
La logique voudrait qu'une hausse de 2 % de la TVA s'accompagne d'une baisse de 4 % des charges sociales. Je suggère pourtant que la baisse soit de 5 points. C'est un pari à prendre : la différence de recettes, d'après les calculs du Plan, étant compensée par les effets positifs sur l'emploi, notamment dans les entreprises de main-d'œuvre et le secteur des PME-PMI. Ce point supplémentaire serait alors attribué au bénéfice des salariés qui verraient ainsi leur salaire direct augmenter de 1 %. Ainsi, on privilégierait les actifs.
Je recommande enfin que cette mesure soit décidée le plus tôt possible et appliquée au début de l'année, le 1er janvier ou le 1er février au plus tard, si l'on redoute les incidences éventuelles sur le mouvement des prix avant les élections municipales.
J'ajoute que l'annonce d'une telle mesure aurait des effets psychologiques importants, notamment pour les entreprises. Elle pourrait favoriser la négociation sur l'application de la retraite à 60 ans. »
Toujours la même obsession : baisser les charges des entreprises et, pour cela, sortir du SME.




Mardi 7 décembre 1982


Jean-Pierre Cot envoie sa démission à François Mitterrand, qui pensait qu'il prendrait comme une promotion l'offre de l'ambassade de Madrid. Jean-Pierre s'est montré formidable dans sa tentative de défense des droits de l'homme et de transformation de son ministère, laquelle ne pouvait que déplaire aux dirigeants africains. Des fuites concernant sa démission sont soigneusement organisées à Matignon, accompagnées de l'annonce imminente d'un remaniement concernant cinq ou six ministres. Toute la presse de demain en sera pleine. Mauroy veut reprendre le contrôle d'un gouvernement qui se délite. De très nombreux ministres n'obéissent plus à ses ordres : soit qu'ils refusent de les exécuter, soit qu'ils ne prennent même plus son avis avant de lancer leurs actions. Matignon expédie les affaires courantes, renvoie à plus tard les choix difficiles et refuse toute mesure impopulaire. Tout se passe comme si Pierre Mauroy se considérait lui-même comme partant.
Le temps ne travaille pas pour nous ; toute action qui n'est pas entreprise maintenant sera plus difficile à mettre en œuvre ultérieurement.
Au petit déjeuner, on parle encore de la nécessité d'une baisse des taux d'intérêt et des charges des entreprises, et, comme chaque mardi, de nominations.



Mercredi 8 décembre 1982


Reçu par François Mitterrand, Jean-Pierre Cot confirme sa démission. Après l'avoir raccompagné fort aimablement, le Président me dit: « Je ne comprends pas. Il ne m'a pas dit pourquoi il voulait partir. » Rocard, reçu après lui, proteste contre ce départ; il veut une « compensation pour les siens ». Le Président hausse les épaules. Nucci succédera à Cot.

Désignation de la Cour suprême bolivienne, appelée à trancher de la demande d'extradition de Barbie. Les membres sont en majorité des conservateurs hostiles à cette extradition.


Le dîner des Quatre à Berlin est l'occasion d'une sévère mise au point : Cheysson explique qu'il n'accepte plus que ce Club parle des rapports économiques avec l'Est, alors qu'il avait lui-même été à son origine avec Shultz, à La Sapinière. Il définit ainsi la ligne du Président : « Nous n'acceptons une contrainte de l'Ouest que lorsqu'il est établi qu'une fourniture à l'Est a une portée militaire. Nous sommes prêts à des discussions générales, au niveau bilatéral, à l'occasion de rencontres informelles entre chefs des exécutifs, voire entre ministres des Affaires étrangères. » Shultz explose. Il propose, lui, de donner une existence quasi permanente aux réunions d'ambassadeurs à Washingon: « Le cercle des Sept est le seul où les conclusions des études entreprises ailleurs peuvent être regroupées, synthétisées, transformées en éléments de stratégie commune. » Shultz propose la définition d'une stratégie commune dans nos relations économiques avec l'Est. Pymm le soutient. Genscher n'ose exprimer son désaccord. Cheysson : « Nous refusons catégoriquement de transformer un groupe occasionnel en directoire politique et économique. »



Jeudi 9 décembre 1982


Cheysson télégraphie :
« Dans son exposé de ce matin en séance restreinte entre les seize ministres de l'Alliance, G. Shultz ne reprend pas l'idée d'un COCOM financier dont il nous a parlé hier soir. Pour le moment, l'intention annoncée ne va pas au-delà des études au COCOM et à l'OCDE, ainsi qu'à la poursuite de ce qui se fait à l'OTAN. Mais la gravité, la tension même manifestées par le secrétaire d'État, hier soir pendant le dîner, indiquent clairement que le débat n'est pas terminé et qu'il n'a pas renoncé à mener les gouvernements de l'Alliance là où nous n'irons pas. »
La pression montera jusqu'à Williamsburg, où Shultz cherchera à se venger de nous.
Vendredi 10 décembre 1982


Le Brésil est au bord de la cessation de paiements. Les Trésoreries paniquent. La Banque mondiale s'inquiète.

La France signe la Convention sur le Droit de la Mer.

La dernière réunion des sherpas sous présidence française commence à La Celle-Saint-Cloud. Allan Wallis, dont c'est la première réunion, n'intervient que deux fois. Sur l'orientation générale du Sommet de Williamsburg, il faut, dit-il, « faire tout ce qui est possible pour un Sommet moins structuré, fait de contacts personnels. Remplacer la déclaration par un bref compte rendu à la presse, émanant d'un porte-parole unique. Et si le Sommet était réservé aux seuls chefs d'État? Le Président réagirait peut-être favorablement à cette idée ». Tiens-tiens...
Sur les rapports Est/Ouest, tout le monde considère l'embargo comme une affaire close. Mais Wallis souhaite qu'une discussion à Williamsburg s'appuie sur le résultat des études menées, en ce moment même, dans les institutions existantes. Les Américains voudront-ils, comme Shultz l'a dit hier à Berlin, recréer un COCOM financier? Wallis n'en parle pas. Mais cette idée de « renforcer les institutions internationales » cache peut-être quelque chose.
Il partage maintenant avec les Européens une très grande angoisse face aux dangers d'une faillite du Tiers Monde. Armstrong s'inquiète de la hausse des taux d'intérêt et plaide sur la nécessité d'un développement du commerce mondial, sans lequel il n'y aurait plus d'investissement.

Le groupe de travail sur la technologie créé à Versailles rendra son rapport à la fin de l'année. François Mitterrand l'adressera aux autres chefs d'État et de gouvernement afin que les décisions annoncées soient appliquées avant Williamsburg. De même pour le groupe travaillant sur les interventions des banques centrales sur les marchés des changes.

Le Sommet se tiendra à Williamsburg sur les lieux mêmes utilisés pour la rencontre franco-américaine de Yorktown l'an dernier. La date des 28-29 mai est acceptée par tous les participants. Je fais une dernière fois état de notre protestation devant une invitation qui n'est qu'une convocation. On fera connaître dès maintenant à la presse qu'il n'y aura pas de communiqué final, même si l'on ne peut exclure qu'il en soit préparé un au tout dernier moment.


Dimanche 12 décembre 1982


Négociation conclue : la société Technip vendra une usine de désulfurisation et l'équipement associé pour le champ pétrolifère d'Astrakhan. Les Soviétiques, qui rejetaient une offre française de financement en francs indexé sur un panier de monnaies, acceptent aujourd'hui une offre, toujours en francs, au taux fixe de 7,80 %, sans bonification. Si les termes du contrat sont agréés — ce qui n'est pas encore le cas —, ils pourront être publiés demain par les Soviétiques. George Shultz fera certainement part mardi de sa désapprobation lorsqu'il sera à Paris. Jean-Louis Bianco conseille de retarder la signature du contrat d'une dizaine de jours.
Dégel ? En tout cas, suspension de l'« état de guerre » en Pologne, un an exactement après sa proclamation.


Lundi 13 décembre 1982


Nervosité : les Russes menacent de rompre les négociations si le contrat Technip n'est pas signé aujourd'hui, comme convenu. Comme nous n'avons dans ce contrat rien à nous reprocher par rapport aux règles du COCOM et qu'une signature peu après la visite de Shultz serait aussi mal vue à Washington, le Président décide de donner son accord : les négociations rompues hier matin reprennent en fin d'après-midi.

Le Président Reagan répond à la lettre de François Mitterrand sur la levée de l'embargo :
« A coup sûr, je respecte ce que vous avez dit à propos de la souveraineté française, car nous ressentons la même chose à propos de la nôtre. Mais je crois profondément, comme vous, que nous avons de puissants intérêts communs qui, alliés à la bonne volonté et à un travail intelligent, prouveront qu'une approche commune n'est pas en contradiction avec les responsabilités nationales de chacun. »
« Approche commune » : c'est mieux que le texte précédent, mais cela reste pour nous inacceptable. Il y a pourtant mieux à faire : trouver un accord sur les euromissiles, par exemple.
Le Président reçoit un journaliste américain influent, Jo Kraft, et lui dit : « Une solution acceptable pourrait être quelque part entre le gel des 300 missiles SS 20, que proposait Brejnev, et l'option zéro de Reagan. Une réduction du nombre des SS 20 soviétiques en échange d'un accord de non-déploiement des Pershing par les alliés me satisferait. Mais, de toute façon, la France soutiendra la position américaine en Europe si les Russes n'arrivent pas à une offre de compromis. »
Hubert Védrine s'inquiète : « Cette déclaration relancera l'inquiétude des Allemands sur l'option "zéro plus" et la tentation des Britanniques et des Allemands d'accepter le maintien d'un nombre de SS 20 équivalent (150, 160?) aux missiles français et britanniques, ce qui nous fait entrer implicitement dans la négociation. »
Le Président de la République s'irrite: « Nous ne sommes pas condamnés à servir de perroquet à M. Reagan ! J'ai maintenu devant M. Kraft ce que j'ai dit ailleurs. »



Mardi 14 décembre 1982


Le Président reçoit George Shultz. C'est l'occasion d'un tour d'horizon sur le désarmement, sur la défense de la RFA et l'influence soviétique en Afrique. A ma grande surprise, il est à peine question des rapports économiques Est/Ouest. Le Président dit seulement regretter d'avoir autorisé l'ouverture de conversations entre ambassadeurs.
François Mitterrand : J'ai dit que je considérais que le déséquilibre en faveur de l'Union soviétique était grave depuis l'installation des SS 20 et des bombardiers "Backfire ". J'ai dénoncé ce déséquilibre avant et après mon arrivée à la Présidence. J'ai dit que, si ce déséquilibre n'était pas corrigé par la négociation, il ne serait que juste que les fusées Pershing soient déployées, et je maintiens ce raisonnement, en dépit de ce que j'ai pu lire dans la presse. Je n'ai pas changé de point de vue.
J'espère que les négociations de Genève seront un succès, mais je n'en suis pas sûr. Les Soviétiques discutent rarement sérieusement. Mais alors, il faut qu'ils se rendent compte que le prix à payer sera le déploiement des fusées Pershing. Il m'est naturellement plus facile d'en parler que pour les Italiens, les Danois ou les Néerlandais, par exemple ; car il n'y aura pas déploiement sur le sol français. Mais nous avons une force nucléaire que nous allons renforcer. Nous avons augmenté notre budget militaire de 21 % cette année. Nous allons démarrer la construction du septième sous-marin nucléaire et augmenter la portée des armes tactiques à partir du sol français, qui passeront d'une portée de 120 à 400 kilomètres, ce qui nous permettrait de pouvoir atteindre la République démocratique d'Allemagne et la Tchécoslovaquie sans pénétrer sur le sol de la République fédérale d'Allemagne. Nos fusées sol-sol seront prêtes en 1988. J'ai d'autre part donné des ordres pour qu'il y ait toujours trois sous-marins nucléaires en mer.

Ceci a pu être réalisé en faisant des économies sur l'armée de terre, mais pas au détriment de la première armée française qui dispose d'armes tactiques nucléaires basées en Allemagne. Nous allons également améliorer nos hélicoptères porteurs de roquettes. Donc, vous voyez que nous ne relâchons pas nos efforts.
Naturellement, je préférerais que les négociations de Genève soient un succès ; mais quel succès ? Il y a d'autres possibilités que le point zéro du Président Reagan et que le gel du Président Brejnev. C'est évident. Il semble que les Soviétiques n'aient pas l'intention de se défaire des 350 SS 20 qui pourraient détruire en un quart d'heure l'Europe, du nord de la Norvège au sud de l'Italie, à cause de la présence des forces stratégiques américaines en Europe. Mais il faut trouver un point où l'URSS cesse d'être maîtresse stratégique de l'Europe.
Sur le reste, la France est loin d'avoir la puissance nucléaire des États-Unis. Nous avons une puissance qui est proportionnelle à la taille de la France et de l'Europe. Nous sommes un pays membre de l'Alliance, ce qui signifie que nous y consacrons des efforts de défense. La difficulté dont j'ai héritée, et qui est inhérente à notre force de dissuasion nucléaire, est de concilier nos engagements vis-à-vis de l'Alliance et notre force de dissuasion nationale. C'est une question que mes prédécesseurs n'ont pu résoudre, ni le Général de Gaulle, ni M. Pompidou, ni M. Giscard d'Estaing. C'est une question difficile. Nous disposons d'une force de dissuasion nucléaire à laquelle nous ferons appel en cas de menace grave, mais nous avons également des engagements vis-à-vis de nos alliés, et le problème est de savoir à quel moment utiliser notre force de dissuasion, par exemple en cas de menace grave pour l'un de nos alliés - je pense en particulier à la République fédérale d'Allemagne. C'est quelque chose dont nous discutons depuis vingt-cinq ans.
La France doit-elle utiliser sa force nucléaire à d'autres fins que la défense du territoire national ou non ? Parce que le sort de la France est dans la balance, j'ai tenu à ce qu'il y ait des négociations entre la France et l'Allemagne à ce sujet.
Nous étudions la possibilité de produire la bombe à neutrons qui, si j'en donne l'ordre, pourrait être fabriquée très rapidement. Vous savez qu'il s'agit d'une arme nucléaire tactique qui pourrait détruire une armée de terre sans faire entrer en jeu tout l'arsenal nucléaire.
Vous voyez que nous ne négligeons aucun moyen. Et, à ce sujet, je note que nous n'avons aucune difficulté avec votre pays. Nous ouvrons nos ports aux sous-marins américains, ce qui était refusé par mes prédécesseurs. Nous acceptons, dans certaines conditions, le survol du territoire national, sans exiger aucune taxe, ce que faisaient mes prédécesseurs. Nous avons également échangé des renseignements, comme vous le savez, avec votre prédécesseur, le général Haig, et nous avons pu informer les Etats-Unis de cas très importants, les plus importants depuis la guerre. Je ne spécifierai pas lesquels, car telle est la nature de ces choses. Donc, nous n'avons aucune difficulté avec votre pays.
Trois pays en Afrique pourraient fournir des bases navales aux Soviétiques: Madagascar, le Cap-Vert, qui dispose d'une rade magnifique, qui est un pays très pauvre et serait donc sensible à l'argument monétaire, et les Seychelles. Madagascar a un gouvernement progressiste et est notre ami, non l'allié des Soviétiques. Les Seychelles ont également un gouvernement progressiste. Pour le Cap-Vert, c'est difficile à dire. Il y a donc trois zones à surveiller. Nous avons de bonnes relations avec ces pays. J'ai rétabli de bonnes relations avec le Président Ratsiraka, de Madagascar, et avec le Président René, des Seychelles. J'ai vu à plusieurs reprises le Président du Cap-Vert et c'est un homme bien. Ils m'ont tous promis qu'ils n'accepteraient jamais de bases soviétiques dans leurs pays.
On m'a dit que les vaisseaux soviétiques faisaient escale dans le port de Diego-Suarez, mais il n'y a pas de base. Ratsiraka sait très bien que s'il accepte ces bases, il y aura rupture de nos relations.
Le Cap-Vert est le pays le plus dangereux, à cause de ses nombreuses îles qui pourraient fournir des abris considérables pour les sous-marins. D'autre part, c'est un pays où tout le monde meurt de faim. C'est un point faible. Le Président est un homme très honnête, qui ne veut pas se trouver pris en tenailles dans un conflit international. Vous pourriez facilement l'aider à dissiper ce danger. C'est un pays qui ne compte en effet que 300 000 habitants...
Aux Seychelles, plusieurs tentatives ont été faites par des opposants au gouvernement progressiste, en s'appuyant sur les Sud-Africains, pour renverser le gouvernement. L'ambassadeur que j'ai envoyé dans ce pays est un ami personnel proche. C'est une petite ambassade, mais je l'ai envoyé à cause de ce problème. Quant à l'océan Indien, il n'est pas nécessaire que je mentionne l'équilibre des forces et l'importance de cette zone, qui n'est éloignée ni du Golfe Persique, ni de la mer Rouge...
George Shultz : Abordons maintenant les relations économiques Est/Ouest pour lesquelles il y a eu plusieurs malentendus. Plusieurs études ont été mentionnées à Versailles et se déroulent déjà dans le cadre du COCOM et de l'OCDE.
François Mitterrand: Je me suis reproché d'avoir permis l'ouverture de conversations au niveau des ambassadeurs. Pourquoi les ai-je permises ? Pour montrer que je ne refuse pas le dialogue. Je ne veux pas de tension avec les États-Unis. Toutefois, je ne veux pas non plus que l'on préjuge le succès de ces conversations. Je me suis donc trompé. J'aurais dû refuser le dialogue.
George Shultz : Il s'agit là de malentendus. Mais pouvons-nous discuter du problème des produits industriels d'importance stratégique qui ne sont toutefois pas militaires au sens strict du mot ?
François Mitterrand: Tout ce qui dépend du domaine militaire est traité par le COCOM. Mais je sais que d'autres domaines peuvent être d'importance stratégique. Je ne refuse donc pas un examen sérieux et exhaustif, mais je ne veux pas que tous les échanges soient soumis à un directoire international. Il y a un point auquel il faut savoir s'arrêter. Il ne doit y avoir d'a priori pour aucun produit. Chaque produit d'importance stratégique directe ou indirecte doit être discuté au niveau des diplomates.
George Shultz : Nous dépensons énormément pour notre défense et d'aucuns se demandent si nous dépensons assez. Pourquoi, dans ce cas, faire toutes ces dépenses si, dans le même temps, on fait des cadeaux en subventionnant les Soviétiques ?
François Mitterrand : Les achats français de gaz représenteront 5 % de nos ressources énergétiques en 1990. Nous ne sommes donc pas dépendants. Mais nous ne voulons pas interrompre le courant des échanges entre la France et l'URSS. Il est d'ailleurs très faible. La France vend moins à l'URSS que la RFA ; et elle vend moins à l'Union soviétique qu'elle ne vend à la Belgique.
On descend déjeuner. François Mitterrand résume la conversation à l'intention de Claude Cheysson : «J'ai expliqué au secrétaire d'État que l'une des raisons pour lesquelles nous avons eu toutes ces difficultés tient à ce que j'ai eu tort d'autoriser notre participation aux conversations de Washington. J'ai cependant laissé faire, car j'avais le désir de montrer que nous étions ouverts au dialogue. Finalement, à la fin de ces conversations, vous avez voulu presser le pas et cela a donné de très mauvais résultats. »
Le voyage de George Shultz marque donc le retour à la normalité après la crise de l'embargo. Une étude sur les échanges Est/Ouest aura lieu dans le cadre de l'OCDE. Une autre se fera sous l'angle plus strict de la sécurité, au sein de l'OTAN; et une autre, au COCOM, entre mars et avril. Depuis Ottawa, en janvier 1982, a d'ailleurs commencé une révision des listes des produits soumis au COCOM.


Jean-Louis Bianco rencontre de manière confidentielle le Père Guiberteau, responsable de l'enseignement privé, qui donne l'impression d'être un modéré en même temps qu'un politique. Il est d'accord sur les principes d'Alain Savary, s'inquiète des étapes intermédiaires et souhaiterait une déclaration apaisante du ministre sur les litiges en cours, à l'occasion de l'annonce de l'ouverture des négociations.

Laurent Fabius écrit de nouveau au Président pour que le discours de Figeac, devenu la véritable charte des « visiteurs du soir », soit appliqué :
« Je ne crois pas que l'annonce de mesures radicalement nouvelles soit opportune. Le risque serait en effet, quelle que soit la qualité de ces mesures, de donner le sentiment que nous changeons sans cesse de pied ou que nous modifions nos décisions. Or les entreprises, pour investir, ont avant tout besoin d'un horizon stable, d'une stabilité des règles du jeu. C'est pourquoi l'annonce la plus positive serait que "1983 verra l'application du programme de réduction des charges financières des entreprises ". En d'autres termes, n'ajoutons pas de nouvelles mesures, mais appliquons effectivement — ce qui n'est pas encore le cas — les orientations annoncées à Figear. En revanche, sur le plan de la vie quotidienne, une série de décisions, la plupart non coûteuses, pourraient être annoncées dès janvier. Cette liste n'est pas exhaustive. Elles contribueraient à mobiliser notre électorat qui regrette souvent l'insuffisance de changements dans la vie quotidienne :
1 campagne publicitaire (télévision) contre le travail clandestin sur le thème : "Le travail clandestin coûte à la France x milliers d'emplois, y milliards de francs". C'est un excellent terrain de rencontre avec les artisans et les commerçants;
2 institution à l'école d'une heure de "découverte de la nature";
3 organisation en février d'une Journée nationale du Sport (vélo-cross, football, gymnastique, etc.) en liaison avec les municipalités;
4 ouverture à la population de tous les établissements sportifs dépendant de l'Etat (PTT; armées, etc.), selon des modalités à définir;
5 doublement du temps d'antenne (télévision) pour la défense des consommateurs ;
6 interdiction pour l'État, les collectivités publiques et parapubliques, de payer les entreprises à plus de trois mois;
7 programme décennal d'économies d'énergie dans les domiciles (à l'exemple du programme passé de ravalement), qui permettrait à terme de diminuer le poids des charges locatives;
8 programme décennal de rénovation des grands ensembles (comme cela a été fait, il y a quelques années, pour les centres villes) ;
9 enfin, le choix entre deux mesures coûteuses : gratuité des fournitures scolaires jusqu'en terminale (actuellement, elle est assurée jusqu'en troisième) ou gratuité de l'installation et de l'abonnement au téléphone pour les personnes âgées titulaires du Fonds national de solidarité.
Ces mesures pourraient occuper la totalité d'un Conseil des ministres en janvier. »
François Mitterrand : « Oui, pour l'essentiel. Prévoir un rapide calendrier de ces mesures. »






Mercredi 15 décembre 1982


Au Conseil des ministres, Alain Savary propose notamment la refonte des statuts des personnels enseignants-chercheurs de l'enseignement supérieur en deux grands corps, celui des maîtres de conférences et celui des professeurs. Le Président : «A lire de près. Me signaler les difficultés. » Cela deviendra bientôt un grand sujet de dispute entre le Président et le gouvernement : le ministre souhaite unifier l'ensemble des corps universitaires ; le Président entend préserver l'exigence de qualité qu'implique la différenciation.


Jeudi 16 décembre 1982


« Marche pour la Démocratie » en Argentine. La dictature vacille.

A Moscou, le contrat pour l'usine de désulfurisation d'Astrakhan est finalement agréé, après quatre ans de préparation et quinze jours de négociations difficiles. La signature formelle du contrat aura lieu mardi prochain. Shultz est parti, pas de problèmes.


Vendredi 17 décembre 1982


Conseil restreint sur le financement de l'industrie. On reparle encore des propositions visant à alléger le poids de la dette des entreprises. Pierre Mauroy demande au Président que l'ensemble des taux d'intérêt versés aux épargnants (y compris ceux du livret A) soit revu à la baisse, du fait de celle de l'inflation. Rien d'autre. C'est déjà bien. Bérégovoy et Fabius reparlent de la diminution des charges patronales.

La loi relative à l'organisation administrative de Paris, Lyon et Marseille est votée.
La Banque de France est exsangue. Elle a déboursé 1,6 milliard de dollars cette semaine. Aujourd'hui, elle fait monter les taux jusqu'à 250 % pour casser la spéculation. Nous avons en face de nous une tendance défavorable, un « coup de poker » et une rumeur. La tendance défavorable vient de ce que notre croissance est supérieure à celle des autres et orientée vers des biens importés. Le « coup de poker » concerne le montant de nos réserves : le marché spécule à terme sur leur épuisement, pour nous forcer à « lâcher la rampe » en dévaluant ou en sortant du système monétaire. Enfin, la rumeur est qu'après mars notre politique économique changera avec le flottement et deviendra moins rigoureuse.
Jacques Delors vient dire au Président que « le risque d'une crise financière à court terme est réel. La poursuite des tendances actuelles aboutit à porter le total des dépenses publiques à près de 50 % du PIB, ce qui est politiquement intolérable ». Il propose de remplacer une partie des cotisations sociales par une prime unique d'incitation à la création d'emplois nouveaux: « Le Premier ministre doit dire au plus vite que la politique économique engagée depuis six mois se poursuivra jusqu'à ce que notre inflation atteigne le niveau de celle de nos partenaires et que notre commerce extérieur, les comptes économiques de l'État et de la Sécurité sociale soient équilibrés, c'est-à-dire au moins jusqu'à la mi-1984. Il faut annoncer la mise en œuvre, dès le début de janvier, de la mise en réserve budgétaire de 20 milliards, que les administrations tendent déjà à oublier, et équilibrer les comptes de la Sécurité sociale de 1983, qui laissent apparaître un déficit prévisionnel de 20 milliards. Il faut aussi décider d'un grand emprunt forcé de l'ordre de 20 milliards de francs sur trois ans, dont les salariés pourraient se libérer par des prêts à l'entreprise où ils travaillent. On pourrait également opérer un relèvement massif des plafonds des livrets A de Caisse d'Épargne. Ces mesures, appliquées brutalement dès janvier, devraient suffire à réduire à moins de 40 milliards le déficit commercial en 1983 et à éviter d'être poussé à des mesures plus dramatiques en 1984. »
Le programme de l'autre camp se précise: une ponction de 40 milliards sur le pouvoir d'achat dès janvier. Le Président préfère attendre jusqu'à mars. Jacques Delors, candidat aux municipales, peut le comprendre.


Lundi 20 décembre 1982


Le Président reçoit l'ambassadeur soviétique et lui répète qu'il est autant contre l'option zéro de Reagan que contre les propositions d'Andropov : « Le démantèlement des SS 20 pourrait être considéré par la France avec intérêt à partir d'un chiffre inférieur à 162 SS 20 menaçant l'Europe, pour casser le lien avec le nombre de missiles français et britanniques. D'éventuelles propositions seraient donc à rechercher entre un nombre de Pershing II et de missiles supérieur à zéro mais inférieur au nombre prévu (108 et 464). Une distinction entre les Pershing II (5-6 minutes, première frappe) et les missiles de croisière (plusieurs heures, seconde frappe) pourrait être envisagée à un stade ultérieur de la négociation. »
Avec 324 SS 20, dont 242 visant l'Europe (189 à l'ouest de l'Oural), les Soviétiques ont conquis une marge de supériorité. François Mitterrand craint qu'un retrait américain n'amène les Allemands à demander la protection du parapluie français: « La France n'a pas la taille ni la vocation à risquer son existence pour un incident de frontière en Allemagne. » Il craint que, devant son refus, l'Allemagne ne s'oriente alors vers le neutralisme. Aussi est-il décidé à tout faire pour soutenir l'installation des Pershing. Étrange : les Allemands ont demandé aux Américains les Pershing en 1979 et ce sont les Américains qui donnent le sentiment de vouloir les imposer aujourd'hui !

Alam Savary présente publiquement les propositions gouvernementales sur l'école privée.

Le Président signe deux lois, l'une prévoyant le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale, l'autre élargissant le recrutement de l'ENA. La première avec répugnance, la seconde avec jubilation.


Mardi 21 décembre 1982


Le père Guiberteau rejette les propositions Savary : il ne veut pas de l'intégration des écoles privées dans un EIP (Établissement d'intérêt public) assurant la cohérence dans une région donnée du développement du privé et du public, ni de la faculté laissée aux communes par le projet Savary de ne pas financer les écoles privées.

La Haute Autorité autorise 800 radios locales à émettre sur le territoire français, dont 17 à Paris et une centaine dans la Région parisienne. Il est impossible d'en autoriser davantage, compte tenu de la saturation des ondes.

Andropov propose maintenant que l'URSS conserve autant de missiles SS 20 qu'il y a de missiles stratégiques français et anglais. Il se dévoile. C'est exactement ce que le Président français ne veut pas. Les Américains jugent eux aussi « inacceptable » l'offre d'Andropov. Le Quai propose : « Pourquoi ne pas alors revendiquer un statut d'observateur (avec la Grande-Bretagne) au sein des négociations stratégiques ? Observateur, pour marquer la différence entre les grandes puissances surarmées et les autres qui n'ont pas de marge de manœuvre, et ne pas être pris dans des réductions. »
François Mitterrand refuse : « C'est de la folie. »
La réaction allemande est plus ambiguë. Les sociaux-démocrates estiment possible d'accepter 150 à 200 SS 20 pour compenser les forces françaises et britanniques. Willy Brandt suggère que les forces françaises et britanniques soient prises en compte dans les négociations stratégiques START.
En Hollande et en Belgique, des communes se déclarent « dénucléarisées » — Liège, la dernière en date — en apprenant que des missiles de croisière risquent d'être implantés sur leur territoire.
François Mitterrand : « En faisant dépendre le "déploiement" de l'éventuel échec des négociations, les pays de l'OTAN se sont placés dans une nasse dont il leur sera difficile de sortir sans dommages. Comment prouver aux opinions occidentales que les négociations ont échoué ? En déployant pour moderniser et corriger un déséquilibre, les Américains apparaissent comme les initiateurs d'une nouvelle escalade. La focalisation sur le déploiement (comme s'il devait avoir lieu en une seule fois, en un jour) facilite d'ailleurs la propagande soviétique et l'action pacifiste.
Il aurait été préférable que la modernisation des Pershing I et leur remplacement par les Pershing II soient entamés et menés sans tapage, sans dépendre d'une date fatidique. L'incitation à négocier sur ce théâtre européen aurait été beaucoup plus forte pour les Soviétiques. Les Américains auront-ils l'audace de devancer l'échéance en déployant avant l'automne prochain quelques missiles en raison de la disproportion actuelle des forces en Europe, comme l'intention leur en est déjà prêtée à titre préventif par les Soviétiques ? »

Le PCF dénonce « l'antisoviétisme de la radio et de la télévision ».




Jeudi 23 décembre 1982


Promulgation de la loi Auroux sur la prévention des risques du travail.

Accord PC/PS pour les municipales de 1983.



Vendredi 24 décembre 1982


Charles Hernu écrit au Président :
«J'ai été frappé de lire dans le Livre blanc britannique sur le conflit des Malouines que nos voisins s'engageaient à augmenter chaque année leur budget militaire de 3 % en termes réels ; cet engagement, pris solennellement devant le Parlement, leur est apparu comme la conclusion naturelle des nombreuses leçons retirées de la conduite du conflit (...). Les choix engagent l'avenir très tôt. Ainsi, le missile M 4 qui, dès 1985, doublera la capacité dissuasive de notre force océanique stratégique, a été lancé sous le Président Pompidou. Vous-même, vous avez décidé en 1981 du lancement du système Hadès, qui sera opérationnel en 1992, au cours du prochain septennat (...). La rigueur est nécessaire. J'y ai préparé les esprits depuis juin 1982, et les chefs militaires y sont prêts. Vous avez sans doute remarqué qu'à mon instigation, ils ont développé cette notion de rigueur budgétaire dans leurs messages de fin d'année à leurs subordonnés. »

François Mitterrand avait promis la construction de 450 000 logements cette année. On n'en a construit que 343 000. On ne peut à la fois construire des logements et réduire l'inflation.


Mort de Louis Aragon. Le dandy me mettait mal à l'aise, le militant m'étonnait, l'écrivain compte parmi les plus grands.



Mardi 28 décembre 1982


Sept attentats en Corse. Au total, environ 800 pour l'année.

Ouverture de négociations israélo-libanaises à Khaldé, au Liban, et à Kiryat-Shmona, en Israël.

Arafat est de retour à Beyrouth.
Mercredi 29 décembre 1982

On a réussi en douceur la désindexation des salaires. Inflation : 9,7 %. Croissance : 2,3 %. Par contre, le déficit extérieur de l'année est de 93 milliards ; c'est maintenant le paramètre majeur. L'heure du choix approche.

Brusque déblocage : au total, les entreprises françaises auront recueilli pour 5,350 milliards de francs de commandes soviétiques en 1982. La France est en deuxième position, derrière la RFA, devant le Japon et l'Italie. Mais près des trois quarts de ces contrats ont été conclus dans les deux dernières semaines de l'année !


Jeudi 30 décembre 1982

Laurent Fabius décrit au Président trois scénarios pour 1986, à partir de trois hypothèses de croissance : 1 %, 2 % ou 3 % par an.
« La situation budgétaire se caractérise non seulement par le déséquilibre, mais — ce qui est beaucoup plus préoccupant — par une dynamique du déséquilibre. Cette dynamique n'est pas imputable au fait que le collectif 1981 et le Budget 1982 ont été fondés sur l'idée d'une relance économique : elle découle à la fois de notre faible croissance et de ce que la relance a pris la forme de mesures irréversibles (créations d'emplois, augmentation des prestations sociales, etc.). Les projections réalisées ne prennent pas en compte — ou seulement de façon très partielle - quatre catégories majeures de "menaces ", à savoir le financement des régimes sociaux et de l'UNEDIC, la couverture des déficits considérables accumulés par certaines entreprises publiques traditionnelles, les besoins de financement du secteur public élargi, l'accumulation "souterraine" de dettes de l'Etat au titre des opérations de débudgétisation. Il faut être conscient, à cet égard, que ni l'exécution du Budget de 1982, ni le projet de Budget 1983 ne réflètent réellement la pente naturelle de la dépense publique. Des ressauts importants se produiront nécessairement à partir de 1984.
... Le Budget de 1983, malgré sa rigueur sur certains points, n'est pas "en ligne " avec l'objectif d'une maîtrise des finances publiques à l'horizon de quatre ou cinq ans. La question se pose de savoir s'il faut le "durcir" encore. »
Ce qui n'est pas dit là, c'est que "durcir", pour Laurent Fabius, doit s'accompagner du flottement de la monnaie.

L'an prochain, avec les Pershing, la dévaluation, le Liban, l'Europe, le pouvoir sera plus que jamais à l'Élysée.
La Présidence est une machine légère sans moyens propres, au budget dérisoire, qui n'intervient que si le Président désire ressaisir tous les fils d'un dossier. Il peut le faire d'un coup de téléphone, et tout converge alors vers lui ; mais, sans cela, il n'a pas les moyens de décider vraiment. Il ne peut que choisir entre des options qu'on lui propose, jamais commanditer lui-même rapports, études, analyses.
Ailleurs, il en va de même. En 1983, le sort de la planète se jouera sur la solidité et le sang-froid de cinq, peut-être six ou sept individus, pas plus. Terrifiant...

A propos de l'annonce de la levée de l'embargo par les Américains, François Mitterrand : « C'est un peu comme quelqu'un qui vous a volé votre portefeuille et vous le rend à condition que vous lui donniez votre montre ! »