Pierre Mauroy demande à notre ambassadeur à Beyrouth de rappeler à Arafat l'invitation, transmise à Kaddoumi, de le recevoir à Paris dès qu'il aura quitté Beyrouth. Le Premier ministre craint que, compte tenu des circonstances, le message ne lui ait pas été transmis.
Discussion sur l'urbanisme de Paris. Depuis dix ans, reste à régler un problème particulier : quel bâtiment construire à la Défense, dans l'axe du Louvre et de l'Arc de Triomphe ? Cette affaire a toujours été considérée comme relevant de la compétence présidentielle. Pompidou eut un projet qu'il ne put mener à bien. Giscard a choisi à la place un bâtiment triste, de faible hauteur, pour n'être pas vu des Champs-Elysées. François Mitterrand reçoit Robert Lion qui lui propose de reprendre le projet à zéro. On trouve un nouveau thème : la Communication. On lancera un concours, sans limiter la hauteur du bâtiment. Le jury sera présidé par Robert Lion, avec un programme défini par un groupe de quatre experts — Lion, Dauge, Biasini et Sautter —, groupe qui suivra aussi l'Opéra, La Défense et La Villette.


Le pacte liant Havas à Bruxelles-Lambert dans la CLT bloque toute réforme de celle-ci. Le Président souhaite que Havas en sorte. André Rousselet n'y tient pas. Rigaud et Rousselet s'opposent violemment sur ce sujet.



Jeudi 8 juillet 1982

La loi sur l'audiovisuel est définitivement adoptée par l'Assemblée.

A Budapest, Janos Kadar reçoit le Président dans son immense bureau lambrissé. L'homme reste hanté par les souvenirs de 1956. Il raconte : Andropov, alors ambassadeur soviétique, lui avait donné sa parole qu'Imre Nagy ne serait pas exécuté s'il le livrait. Il le livra et Nagy fut exécuté. « La Hongrie a toujours été sous la tutelle d'un Empire, turc ou autrichien. Nous sommes revenus aujourd'hui sous l'Empire russe. Il y a en Hongrie plus de soldats russes que hongrois. Que puis-je faire ? Alors je fais le contraire de Ceausescu. Je ne fais pas de grandes déclarations d'indépendance politique, mais je libéralise l'économie. Et, comme cela, ils m'oublient, ils me laissent faire... »
L'homme est pathétique et sincère.

A l'ambassade, François Mitterrand précise, avec Claude Cheysson, les conditions de notre participation à une force multinationale à Beyrouth : demande libanaise expresse, accord explicite de l'OLP, agrément des Nations-Unies et définition claire du mandat.
Claude Cheysson les rappelle aux Américains, puis ajoute à l'adresse de notre ambassadeur à Washington : « Le vent fraîchit. Nous allons traverser une zone de forte mer. On nous critiquera, on nous dénoncera, on tentera de justifier des erreurs par notre attitude, on essaiera de nous faire changer de cap. Or, après m'en être entretenu avec le Président, je confirme nos positions et nos directions telles qu'elles sont. »

Les Israéliens maintiennent leur pression sur la ville. Ils contrôlent l'axe Beyrouth-Damas. Andréas Papandréou, nouveau Premier ministre de Grèce, appelle au téléphone François Mitterrand : « Il faut que la France reconnaisse l'OLP et invite Yasser Arafat à Paris pour renforcer sa position de négociation et faciliter les efforts des Libanais. » Le Président répète qu'Arafat peut venir à Paris quand il veut, mais qu'il ne sera reçu que par Pierre Mauroy.
Finale de la Coupe du monde de football. François Mitterrand, qui a invité ses ministres à dîner dans un restaurant de Budapest, regarde le match sans trop s'occuper d'eux. Michel Jobert tourne ostensiblement le dos à l'écran.

Le Président laisse enfin faire : le décret obligeant tous les établissements hospitaliers publics à pratiquer des IVG est signé (il ne paraîtra au Journal Officiel que le 27 septembre). Ces établissements devront fournir un rapport annuel sur le nombre d'actes pratiqués. Il devront assurer l'information sur la contraception.

L'affaire du statut de Paris est un désastre. Le gouvernement, à la recherche d'une porte de sortie, recule sur tous les aspects du projet.

A Genève, les négociateurs, l'Américain Nitze et le Russe Kvitsinski, évoquent un accord sur les fusées intermédiaires au cours de promenades dans les bois. Mais l'un et l'autre sont sans mandat. Ils rendent compte à leurs capitales. Nous ne savons rien de leurs conclusions. Inquiétant.


Vendredi 9 juillet 1982

Bombardements et duels d'artillerie à Beyrouth.

Le voyage à Budapest se termine par une conférence de presse. Un journaliste demande ce que le Président compte faire contre l'« Oradour de Beyrouth ». François Mitterrand : « Le propre des interventions militaires, lorsqu'elles rencontrent une résistance, c'est de provoquer, comme vous le dites, des Oradour (...). Pas plus que je n'ai accepté l'Oradour provoqué par l'occupation allemande, je n'accepterai les autres Oradour, y compris à Beyrouth. »

Brejnev répond à Reagan : « Pourquoi intervenez-vous ? Aucune raison ! » Le ton est plus serein.


Samedi 10 juillet 1982

Pierre Mauroy travaille à la fin de la période de blocage des prix, dans la hantise d'un retour de l'inflation en novembre. Pour l'éviter, il faut recevoir syndicats et groupes de pression, afin de créer une nouvelle atmosphère où l'inflation ne sera plus un élément du jeu social. Il s'y entend fort bien.

Dans une nouvelle lettre à Reagan, François Mitterrand confirme que, pour la France, la Force internationale chargée de surveiller l'évacuation des Palestiniens hors de Beyrouth doit être placée sous contrôle de l'ONU.

L'ambassadeur de France en Égypte est reçu par le Président Moubarak qui lui demande de transmettre au Président de la République un « conseil solennel et amical : que la France, sous aucun prétexte et à aucun moment, n'apparaisse comme pressant les Palestiniens de quitter Beyrouth. Les Arabes et surtout l'Union soviétique auraient vite fait de nous le reprocher si les choses tournaient mal. L'affaire, en effet, est loin d'être réglée ». Selon lui, « aucun pays arabe ne veut des Palestiniens ».
L'initiative franco-égyptienne a du plomb dans l'aile. Moubarak ne veut rien faire qui puisse gêner la manœuvre américaine.


Dimanche 11 juillet 1982

La Pravda met en garde la France contre l'« aventure, dictée par les ambitions impérialistes » de Washington, que serait une force d'interposition au Liban. Message adressé aux communistes français, qui ne s'en mêlent pas. La situation est néanmoins bloquée.



Lundi 12 juillet 1982

François Mitterrand, qui reconnaît la maladresse de sa déclaration à propos d'Oradour à Budapest, rédige lui-même une note en réponse aux protestations israéliennes. Elle est publiée par la Présidence de la République :
« Les autorités israéliennes, en s'élevant contre les propos prêtés au Président de la République lors de sa conférence de presse de Budapest, ont mis en cause ce dernier de façon incorrecte, sans avoir pris la peine de vérifier le bien-fondé de leurs protestations. En conséquence, le Président de la République, qui a toujours montré son attachement à Israël et à son peuple, n'a pas besoin de le réaffirmer et renvoie le gouvernement israélien à la réalité des faits. »
Malgré les messages de Shultz, les Américains confirment l'embargo sur les licences américaines dans l'équipement du gazoduc d'Ourengoï. La réaction anglaise est violente. Margaret Thatcher déclare devant la « Confederation of British Industry » (équivalent du CNPF) : « Il faut à l'avenir essayer de nous passer des brevets sous licence américaine à cause de cette affaire d'embargo. » Les Américains déclarent qu'ils ne comprennent pas l'étonnement européen, compte tenu de la situation en Pologne qui les oblige à la sévérité. Les assouplissements que le général Jaruzelski va probablement annoncer ne seront pas considérés comme suffisants ; il faudrait au moins la libération de Walesa.
George Shultz cherche cependant toujours une porte de sortie pour Reagan. Certains, à Washington, continuent à dire de temps à autre qu'un effort des Européens dans le domaine financier les amènerait à reconsidérer leur position sur le gazoduc. Shultz propose même à Cheysson de remplacer l'embargo par « une concertation permanente entre alliés avant toute opération commerciale avec l'URSS ». Cheysson accepte avec enthousiasme. François Mitterrand, informé, refuse : « Pas de compromis ! Les Américains doivent retirer leur embargo unilatéralement, sans l'échanger contre quelque concession de notre part. » Cheysson laisse quand même l'ambassadeur de France, Vernier-Pallez, se lancer dans la négociation d'un texte fixant une procédure de concertation sur les crédits à l'Est, en échange de la levée de l'embargo.
Étrange équipage : trois ambassadeurs commencent à négocier, tout fiers, avec le secrétaire d'État. Vernier-Pallez fait le plus gros des suggestions. Shultz est ravi : il a trouvé une porte de sortie à l'embargo et tient son COCOM financier, un mécanisme de contrôle à quatre des crédits bilatéraux à l'URSS...

La fin du blocage des prix s'annonce difficile : la croissance est très faible ; l'investissement ne sort que très partiellement de sa léthargie ; la remise en état des entreprises nationales et le Fonds spécial de grands travaux ne suffiront pas à créer des emplois ; les exportations sont ralenties et la dévaluation entraîne un transfert de richesses vers l'extérieur. Au total, les négociations sociales de novembre se feront sur la répartition d'un gâteau dont la taille n'augmente pas. Le choix est donc entre une négociation globale, sur tous les problèmes en suspens, avec tous les partenaires sociaux, ou une négociation graduelle dont les temps forts seraient les deux rendez-vous de concertation à Matignon, l'un après-demain, l'autre en octobre. Mauroy décide d'avoir, si possible, une négociation globale. Approche hasardeuse, qui risque de tout bloquer. Et pourtant, quelque chose se passe chez les salariés français qui semblent accepter de la gauche la désindexation qu'ils refusaient à la droite. Le patronat a bien plus de mal à l'accepter : l'inflation dévalorise les dettes ; sans elle, celles-ci sont plus élevées...



Mardi 13 juillet 1982

Après l'incident des explosifs introduits jusque dans le bureau du Président, Charles Hernu lui propose de voir le commandant Prouteau, le héros des libérations d'otages, et de lui demander de s'occuper de la sécurité de l'Élysée. Reçu pour la première fois par François Mitterrand, intimidé, il m'interroge : « Est-ce que je peux lui dire que je n'ai pas voté pour lui ? »

L'ambassadeur de France à Beyrouth est inquiet de l'évolution du siège. Il évoque « la menace de plus en plus claire d'un nouveau coup de poing israélien sur une ville en état de siège dont les défenses sont de mieux en mieux organisées et dont l'état de d'esprit n'est certainement pas celui qui mènerait à une capitulation sans conditions ».


Au Conseil des ministres, avancé en raison de la Fête nationale, Claude Cheysson, Jean-Pierre Chevènement, Michel Rocard et André Chandernagor expriment leur préoccupation au sujet de l'embargo américain. Chandernagor pense que « nous sommes devant un problème d'indépendance nationale. Il ne faut pas subir la loi américaine. Il faut créer un groupe de travail sur les aspects juridiques de la question ».
François Mitterrand : « Il faut distinguer la méthode et le principe. En ce qui concerne la méthode, il faut être solidaire des autres pays de la Communauté intéressés par ces contrats avec l'URSS. Mais, même si cette négociation échouait, c'est-à-dire s'il n'y avait pas de position solidaire, il faudrait refuser l'ingérence. Là, c'est le principe qui est en cause. Même si nous étions seuls, nous devrions refuser l'ingérence américaine. »
La seule négociation qu'il autorise est une négociation entre Européens pour organiser le refus de l'ingérence américaine. Cheysson n'entend toujours pas et croit qu'il est autorisé à négocier avec les Américains pour leur sauver la face !
Le Président revient, en Conseil, sur l'« affaire d'Oradour » : « Je n'ai évidemment jamais accusé Israël d'avoir commis un acte de cette nature au Liban. J'ai seulement souligné, en réponse à une question, que toute guerre, identifiée à une résistance nationale, expose les belligérants à commettre des violences contre les populations civiles, comme cela a été le cas dans de nombreux conflits récents, en Afghanistan, au Salvador ou ailleurs. »
La renégociation du contrat par Thomson est engagée avec les Soviétiques : elle aboutit à un protocole soumis à l'approbation des autorités françaises pour être signé au plus tard le 1er octobre 1982. La vente de l'usine de composants électroniques est annulée.


Mercredi 14 juillet 1982

Le défilé militaire traditionnel n'a pas lieu, comme d'habitude, le matin, à Paris, mais de nuit, précédé dans la matinée par une revue navale à Toulon.

Ronald Reagan répond à Leonid Brejnev en rejetant la responsabilité de la situation à Beyrouth sur les Palestiniens. Les Américains, répète-t-il, n'interviendront qu'à la demande du gouvernement libanais.

Shimon Pérès, interrogé par la presse, déclare que l'« affaire d'Oradour » « a été grossie ; M. Mitterrand n'est pas un ennemi d'Israël ». Itzhak Shamir déclare au contraire : « M. Mitterrand était notre ami, mais quelque chose a changé. »

A Londres, ainsi qu'il l'avait annoncé, Issam Sartaoui déclare que « l'OLP reconnaît officiellement le droit à l'existence d'Israël sur une base de réciprocité ». Le Foreign Office s'en réjouit.


Jeudi 15 juillet 1982

Gaston Defferre proteste auprès du Premier ministre contre la suppression du secteur privé dans les hôpitaux publics :
« Les décisions prises par le gouvernement sur la proposition de Jack Ralite et le projet de loi actuellement en discussion devant le Parlement peuvent avoir des conséquences très graves sur la qualité des soins donnés dans les hôpitaux publics. Depuis quelque temps, des médecins des hôpitaux et de jeunes assistants appelés à devenir plus tard médecins des hôpitaux abandonnent les hôpitaux pour le secteur privé. Ce mouvement risque d'attirer dans les cliniques privées des praticiens plus compétents que ceux qui resteront dans les hôpitaux.
La réforme Debré avait eu l'avantage, en créant le temps plein, d'imposer aux médecins et aux chirurgiens des hôpitaux de travailler uniquement pour le secteur public. Avant la réforme Debré, les médecins et les chirurgiens des hôpitaux pouvaient exercer à la fois à l'hôpital et dans le secteur privé. Il est à craindre désormais que les médecins et les chirurgiens des hôpitaux publics ne soient plus considérés comme les meilleurs professionnels.
Or, du fait des remboursements de la Sécurité sociale, dans le secteur privé notamment, les cliniques privées se sont développées considérablement, ce qui ne peut que creuser davantage le déficit de la Sécurité sociale.
Par ailleurs, la suppression des services privés des hôpitaux aura pour conséquence un manque à gagner qui peut être chiffré pour l'ensemble des hôpitaux à plus de 150 millions de francs (15 milliards de centimes). Les caisses de retraite encaisseront environ 800 millions de francs de moins. Si l'on ajoute à cela la question des couvertures sociales des non-CHU, la perte totale pour l'État sera de l'ordre de 200 millions de francs (20 milliards de centimes).
Est-il encore temps de revoir les décisions prises qui vont bouleverser les rapports entre les hôpitaux publics et les cliniques privées, abaisser la qualité des médecins et chirurgiens des hôpitaux publics et coûter près de 200 millions à l'État à un moment où il n'y a pas d'argent à gaspiller ? Je le souhaite. »

Après avoir un moment hésité, le Président reçoit une délégation de la Ligue Arabe composée de Taleb Ibrahimi, ministre algérien des Affaires étrangères, Rachid Abdallah, ministre d'État chargé des Affaires étrangères des Émirats Arabes Unis, et Farouk Kaddoumi, chef du Département politique de l'OLP. Madame Thatcher, elle, a refusé de les recevoir.
La délégation, élargie à MM. Yazid et Souss, a été reçue ce matin par Claude Cheysson. Elle a approuvé les initiatives françaises au Conseil de Sécurité. Mais, tout en marquant son accord sur l'essentiel du projet franco-égyptien, elle a demandé que la France dépose un nouveau texte à objectifs plus limités (cessez-le-feu à Beyrouth-Ouest — désengagement — Force internationale).
Pour la première fois, un homme de l'OLP entre à l'Élysée. Il ne dira pas un mot. Le Président expose le sens des récentes initiatives françaises : « Israël a commis une erreur en acculant un peuple à une résistance acharnée. Il fallait au contraire chercher la négociation, et alors l'OLP s'imposait comme représentant d'un des deux combattants ; je rends honneur à ce combat. Je m'étonne que les Arabes n'aient pas reconnu Israël, ignorant ainsi une réalité établie depuis 1948 et à laquelle la France est irrévocablement attachée. »

Une délégation du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), conduite par Alain de Rothschild, est reçue par Jean-Louis Bianco. Elle regrette la réception par le Président de la République de Kaddoumi, qui « redore le blason de l'OLP ». Par contre, dit-elle, « le malentendu à propos d'Oradour est réglé ».

Les positions syriennes implantées dans la Bekaa et à cheval sur la frontière syro-libanaise comporteraient deux à trois divisions, soit 45 à 50 000 hommes. Elles ne sont séparées que d'environ 400 mètres des positions israéliennes ou israélo-phalangistes. Et les troupes soviétiques ne sont pas loin. Jamais, depuis Cuba, l'affrontement direct Est/Ouest n'aura été aussi menaçant.



Vendredi 16 juillet 1982

En réponse à la question de Claude Cheysson, Charles Hernu indique qu'il donne « les instructions nécessaires pour interrompre toute livraison de matériels militaires à Israël ».


Séminaire de travail à Maisons-Laffitte entre le groupe socialiste de l'Assemblée et le gouvernement. Jacques Delors est très critiqué : « le blocage des prix ne fonctionne pas », « il n'y a aucune relance de l'emploi », « le chômage nous fera perdre les élections ». Joxe apprécie de moins en moins Mauroy et le laisse voir.


Réflexion sur la préparation du budget de la Culture. Jack Lang pense qu'il faut accorder davantage de moyens financiers au théâtre et à l'architecture. La musique — mise à part la musique populaire — ne l'intéresse pas. Il oublie, à mon sens, qu'un pouvoir politique ne peut pas grand-chose pour la Culture, sinon favoriser et protéger les pôles d'excellence et les mécanismes universitaires et sociaux qui permettent de les renouveler. Mais qui s'en soucie ? Pas Savary, en tout cas, tout occupé à séduire les syndicats sur l'université, parce qu'il va leur déplaire sur l'école privée. Le Président y est sensible ; mais il n'est pas ministre de l'Éducation nationale...




Lundi 19 juillet 1982

Le Colonel Kadhafi écrit à Paris pour dénoncer « l'immonde campagne militaire sioniste au Liban, qui vise l'extermination du peuple palestinien (...). Nous, au sein du Front de la Fermeté, comptons sur votre magnanimité et celle de votre pays ami pour soutenir la lutte légitime du peuple palestinien ».



Mardi 20 juillet 1982

La troisième motion de censure déposée contre le gouvernement à propos du blocage des prix et des salaires est repoussée. Danger d'une majorité trop large qui laisse un gouvernement sans contrôle, et ne le pousse pas à négocier avec le Parlement.


Bonne nouvelle : un mois après sa création, le Livret d'épargne populaire, permettant enfin l'indexation de l'épargne populaire, est un franc succès : 568 000 livrets ont été ouverts et ont drainé 2,3 milliards de francs. Enfin un peu de justice sociale en ce domaine !

Mauvaise nouvelle : le déficit de l'UNEDIC sera de 37 milliards de francs à la fin 1983. Conçue pour indemniser quelques centaines de milliers de chômeurs, elle n'est pas en mesure de supporter la charge d'un million et demi de sans-emploi. Des mesures exceptionnelles de financement devront être prises d'ici la fin de l'année : hausse des cotisations d'un point et demi, contribution des agents du secteur public, relèvement de la participation de l'État, économies. Avec cela, le gouvernement ne verra pas monter sa cote de popularité. Tant pis. Il faut vite mettre les comptes en ordre si l'on veut être prêt pour les élections de 1986.



Mercredi 21 juillet 1982

Le Conseil des ministres adopte un plan d'économies de 10 milliards pour la Sécurité sociale.


François Mitterrand : « Je désire obtenir le départ de l'OLP du Liban avec celui des autres forces armées ; je désire ne pas avoir de contacts officiels avec l'OLP avant qu'elle n'ait renoncé à détruire l'État d'Israël. Il faut avoir le souci de renforcer le processus de Camp David dans sa dimension israélo-égyptienne. Si Israël attaque Beyrouth, certains diront que c'est de la faute de la France, parce que notre action diplomatique aura empêché une reddition sans conditions de l'OLP il y a quinze jours. »
Le Président signe la loi instituant la Haute Autorité de l'audiovisuel. Il faut maintenant en choisir les membres.




Jeudi 22 juillet 1982

Conflit frontal avec Washington : Paris, Londres, Rome et Bonn annorcent qu'ils honoreront les contrats afférents au gazoduc sibérien malgré l'embargo américain. La France décide d'informer les Américains de la « configuration » des contrats, mais refuse de les présenter au COCOM. « Nous estimons que la renégociation du contrat l'a rendu acceptable au regard des règles du COCOM. Même si certains éléments du contrat, justifieraient un passage devant le COCOM, l'obstruction systématique des États-Unis est un facteur de blocage qui nous conduit à cette procédure. »

Dix-huit radios privées reçoivent un avis favorable de la Commission consultative. La liberté s'installe. Étrange, comme le monopole paraît loin !

Les « Négociations Globales » sont en panne. Aux réserves américaines s'ajoutent maintenant celles des pays producteurs de pétrole et des pays modérés du Tiers Monde. A moins d'un revirement des uns ou des autres — fort improbable —, on va vers un échec définitif lors de la prochaine session de l'Assemblée générale des Nations-Unies. Il faudra prendre acte de la fin d'un rêve qui aurait pu vraiment conduire à instaurer un nouvel ordre économique mondial. Avons-nous tout fait pour son succès ?
La France fait part de ses préoccupations aux pays les plus influents du Tiers Monde.


La hausse des prix en France est un peu inférieure à 10 %, ce qui représente un gain de 4 points par rapport à l'année dernière. Mais les autres indicateurs économiques sont de plus en plus mauvais : en 1982, la croissance du PIB ne dépassera pas 1,5 % (ce qui est loin des 3,3 % prévus par la Loi de finances et des 2,5 % que l'OCDE a prévus le mois dernier, mais plus que nos voisins) ; le chômage atteindra 2,2 millions de personnes ; l'investissement diminuera d'au moins 1 % en volume ; surtout, le déficit extérieur sera voisin de 80 milliards, contre 59 en 1981. Et cela, le marché le sait, qui attaque le franc dès cette semaine, un mois à peine après la dévaluation de juin ; il est clair que celle-ci ne suffira pas. Il faudra très vite un autre plan plus sévère. François Mitterrand enrage : « Le pouvoir d'achat des salaires a déjà baissé de près de 2 % cette année. » Il est furieux « contre le grand capital et les petits socialistes ». Il me redit qu'une solution léniniste eût été la seule capable d'imposer une victoire réelle contre le capitalisme et que toutes les solutions réformistes sont condamnées à l'échec.



Vendredi 23 juillet 1982

Le numéro trois de l'OLP, Fadl el Dani, est assassiné à Paris.

La loi fixant les compétences de la région Corse est adoptée.
Illusion : le Budget travaille déjà à annuler des dépenses budgétaires d'un montant équivalent à celles du Fonds pour les grands travaux, créé pourtant pour échapper à la rigueur budgétaire.



Samedi 24 juillet 1982

Raid de l'aviation israélienne contre les forces syriennes dans la Bekaa, pour détruire les rampes de lancement des missiles Sam nouvellement installées.

Béchir Gemayel est seul candidat à la Présidence libanaise. Les Phalangistes s'apprêtent à s'emparer de l'État dont sont chassés les Palestiniens.


Dimanche 25 juillet 1982

Pressé par Cheysson, Arafat signe un document « reconnaissant toutes les résolutions de l'ONU sur la question palestinienne ». Un grand pas vers la reconnaissance mutuelle des deux parties. Il passe à peu près inaperçu dans le violent vacarme en provenance de Beyrouth.
Philip Habib est au Caire. Boutros Boutros-Ghali appelle l'ambassadeur de France, Cuvillier, à midi, aussitôt après l'entretien de l'Américain avec le raïs. L'envoyé de Reagan aurait affirmé à son interlocuteur qu'il était à la veille d'aboutir, que rien ne devait donc être fait qui vînt troubler la négociation et risquer de provoquer une réaction d'Israël. Plus précisément, Philip Habib a demandé au Président Moubarak de retarder de trois à quatre jours la discussion du document franco-égyptien par le Conseil de sécurité. Boutros-Ghali a été chargé de transmettre cette demande, à laquelle il souscrit.
C'est clair : les États-Unis veulent en finir avec l'initiative franco-égyptienne. Elle les gêne, s'ils ne veulent pas faire un pas en direction des Palestiniens ; elle leur enlève la vedette, s'ils veulent le faire.



Mardi 27 juillet 1982

L'Assemblée supprime la dernière référence du Code civil au «délit d'homosexualité ».


Les ponts sont coupés. Shultz travaille maintenant à créer la Force multinationale sans les Français. Il refuse de recevoir Claude Cheysson, comme de répondre à son invitation à se rendre à Paris. Les Américains nous traitent en concurrents et non plus en partenaires.

Pour la première fois, les bombardements israéliens atteignent les quartiers résidentiels de Beyrouth, malgré la signature d'un septième cessez-le-feu. Arafat écrit à nouveau au Président français en décrivant la dureté du siège de Beyrouth : bombardements, coupures d'eau et d'électricité, obstacles à l'entrée de produits alimentaires et de fournitures médicales.
Adoption définitive à Bruxelles d'une organisation commune du marché des vins dont les principes ont été dessinés au Conseil européen de juin. Grand progrès qui dégage la voie pour un accord budgétaire de la Communauté.

A Mexico, dans un discours nuancé et subtil, lors d'une conférence organisée par l'UNESCO, Jack Lang appelle à une mobilisation contre « l'impérialisme financier et culturel » des Etats-Unis, qu'il ne nomme pas. Tollé des intellectuels et des médias.
Étrange, comme l'Amérique domine les pensées ! Et comme l'Europe est étrangère à elle-même... Nous qui nous battons tant, pied à pied, jour après jour, pour que la solidarité atlantique, si nécessaire, ne déborde pas de son champ de compétences et pour que les Européens, enfin adultes, définissent entre eux une attitude commune sur tous les sujets, sommes-nous à contre-sens de ceux des intellectuels qui connaissent mieux Stanford que Cambridge, Harvard que Tübingen ?

Jean-Pierre Cot obtient de Pierre Mauroy et de Jacques Delors que son ministère ait compétence sur l'ensemble des relations diplomatiques et financières avec le Tiers Monde. Il veut sortir la France de son pré-carré, lui ouvrir d'autres horizons. Cheysson n'en est pas content. François Mitterrand non plus, pour qui le ministère de la Coopération doit rester le ministère de l'Afrique et seulement de l'Afrique. Il en veut à Mauroy, à Cheysson et à Delors d'avoir accepté, et n'aura de cesse d'obtenir l'annulation de cette réforme. La seule bonne façon de l'obtenir serait de nommer Jean-Pierre Cot à un autre poste...

Matignon est toujours le lieu d'un aimable désordre. La négociation, si utile pour créer le consensus social autour de la désinflation, ne doit pas empêcher la décision. Il est urgent que le Premier ministre, si courageux, dévoué et généreux par ailleurs, démontre sa capacité de prendre des décisions et de s'y tenir, sans se réfugier dans un œcuménisme vague, en faisant croire à chacun qu'il lui donne raison. Il vaut mieux des choix contestables qu'une absence de choix. Enfin, il faut imposer le silence aux ministres avant que les décisions ne soient prises, et la discipline quand elles l'ont été.
Il manque un chef d'orchestre régissant la communication du gouvernement, planifiant les relations entre les ministres et les médias. Cela devrait être un ministre, porte-parole du gouvernement et du Conseil, doté d'un budget important. Le Président cherche pour cela un journaliste. Il a plusieurs noms en tête.



Mercredi 28 juillet 1982

Le Conseil des ministres dissout le SAC. Il est d'autre part informé par Jean-Pierre Chevènement d'un programme exceptionnel d'investissement pour la « filière électronique ».

En dépit de l'opposition américaine, la France et l'Égypte déposent au Conseil de sécurité leur projet de résolution qui traite à la fois du Liban et du problème palestinien. Les Américains se prononcent contre, tout comme ceux qui ne se soucient que de sauver les Palestiniens. Face à cette coalition d'intérêts contradictoires, aucune chance de recueillir les neuf voix nécessaires. De toute façon, si on les obtenait, les Américains opposeraient leur veto.
Jeudi 29 juillet 1982

Dans le cadre du programme sur la « filière électronique » annoncé hier, l'État rachète les principales filiales de ITT. Promesse politique sentimentale, après la tragédie chilienne. Trop cher payé.

Déjeuner du Président avec Guy Lux, venu lui demander d'intervenir pour qu'il retrouve du travail.


C'est officiel : l'OLP s'engage à évacuer Beyrouth-Ouest ; les 5 000 combattants palestiniens seront accueillis en Syrie, en Egypte — qui a finalement accepté —, en Irak et en Jordanie. Arafat, qui l'annonce, ne précise ni le calendrier ni la procédure de leur retrait. Le mandat de Sarkis se termine dans vingt jours. Il vaudrait mieux ne pas laisser ce problème à son successeur. D'autant plus que le seul candidat, pour l'instant, est le chef des Phalangistes, Béchir Gemayel.



Vendredi 30 juillet 1982

La discussion de la loi sur les radios libres et les télévisions privées s'achève. Elle met fin à un siècle de dirigisme. Le monopole sur la programmation est aboli. On fera éclater FR 3 en douze stations régionales, suggère Pierre Mauroy. François Mitterrand est contre.


Cynisme : reconduction pour un an de l'accord céréalier entre les États-Unis et l'URSS.


Explosion d'une bombe, place Saint-Michel à Paris. Un groupe arménien revendique l'attentat en évoquant la « rupture d'un accord secret » avec le ministre de l'Intérieur. Qu'y a-t-il là-dessous ?

Difficile de réformer la fiscalité, même avec la majorité absolue au Parlement. Le Président voudrait une réforme des droits de succession : « C'est le cœur du capitalisme. A la limite, je serais pour la suppression totale de l'héritage. En tout cas, le système actuel est très injuste. Il n'est même pas progressif! » L'impôt est de 10 % sur un héritage moyen, et de 19 % seulement pour un héritage important. Et la différence a été constamment réduite depuis 1959. Aux États-Unis, les taux vont de 0 à 33 % ; ils s'échelonnent de 12 % à 60 % en Grande-Bretagne. Et pourtant, on ne peut rien faire ! explique Laurent Fabius. « Je vous l'avais bien dit, sourit François Mitterrand, sans léninisme, on ne change rien. »



Samedi 31 juillet 1982

Un accident sur l'Autoroute A6, près de Beaune, fait 53 morts, dont 46 enfants. Le pouvoir politique en est accusé ; comme si, thaumaturge, il devait aussi faire en sorte que la société ait de la chance. Décidément, rien ne lui réussit.
Version douce de l'initiative franco-égyptienne : les Égyptiens demandent aux Américains des compensations politiques pour les Palestiniens.


Dimanche 1er août 1982


Le Conseil de sécurité décide de l'envoi d'observateurs à Beyrouth. Ce n'est pas encore la force d'interposition que Français et Américains demandent. Séparément, Philip Habib continue de négocier le processus d'évacuation des Palestiniens. Israéliens et Américains ne veulent pas de Français dans la Force multinationale, ni que celle-ci débarque avant le départ des derniers Palestiniens, de peur que ces derniers ne partent plus, des forces étrangères leur servant désormais de rempart. Enfin, les Américains ne veulent pas que l'ONU exerce un droit de regard. A l'inverse, l'OLP n'accepte de partir que si cette force d'interposition inclut les Français, en qui ils ont confiance, et si le Conseil de sécurité l'approuve. Pour réussir, les Américains vont donc devoir passer par nous et par le Conseil de sécurité. Amère victoire.

Après quatorze heures de bombardements, 165 morts et 400 blessés, les Israéliens prennent l'aéroport de Beyrouth, où atterrit Philip Habib. Le général Sharon affirme que « l'armée israélienne quittera le Liban lorsque le dernier terroriste et le dernier soldat syrien l'auront quitté ». L'ambassadeur de France raconte : « Plusieurs obus sont tombés dans le parc de la Résidence des Pins et quelques éclats ont frappé la résidence. Quant au parc, il a été à moitié incendié. La piscine est hors d'usage. Le mur d'enceinte s'effondre en plusieurs endroits. Le tableau général est celui d'un blitz impitoyable. »
François Mitterrand, informé dans la nuit par le permanent de l'Élysée, interdit toute prise de position publique de qui que ce soit sans qu'on l'ait consulté. «Je ne veux pas qu'on lance de nouvelle polémique. » Claude Cheysson est sous haute surveillance.



Lundi 2 août 1982


Les Américains commencent à s'impatienter des violences israéliennes. Reagan reçoit Shamir à Washington : « Le monde ne peut plus tolérer cette escalade sans fin de la violence. » Le tournant est pris. Nous sommes prêts à y participer. Le mandat reste flou. L'URSS ne dira rien. Pas de veto en perspective. Protéger le départ des Palestiniens ? Protéger Beyrouth des agressions israéliennes et des vengeances ? Rester jusqu'au départ de toutes les troupes étrangères ?

Face aux attaques de l'opposition contre le « laxisme » du gouvernement, la Chancellerie précise qu'aucun détenu gracié ou amnistié après le 10 mai 1981 n'avait commis de crime de sang.


Mardi 3 août 1982


Philip Habib obtient l'accord des Israéliens, des Libanais et des Palestiniens sur une force multinationale composée de Français, d'Italiens et d'Américains. A Beyrouth, Paul-Marc Henry est reçu par Élias Sarkis : « Le gouvernement libanais veut savoir d'urgence si la France est disposée à envoyer le premier contingent de la Force multinationale dont l'arrivée à Beyrouth déterminera en fait le démarrage effectif de l'opération. » Paul-Marc Henry ajoute : « Les Palestiniens sont convaincus que la présence française dès le début de l'opération est la garantie non seulement de leur protection physique, mais aussi de la sauvegarde de leur dignité morale. »
Le Président, informé, porte en marge : « Oui, agir vite. Accepter le plan Habib. »


A Paris, la préparation du Budget 1983 se passe mal. Les ministres n'ont pas encore compris que les réformes de structures sont l'essentiel et que la relance budgétaire est terminée. Dans une lettre au Président, Laurent Fabius s'affole : nul contrôle sur le Budget. Il propose un gel des recrutements et un blocage du pouvoir d'achat des fonctionnaires au salaire supérieur à 6 000 francs par mois :
« Une dynamique du déséquilibre budgétaire s'est créée. Cette évolution est inacceptable : elle conduit d'abord à revenir sur un de vos engagements, mais surtout elle suppose un recours de plus en plus important à l'endettement et à la création monétaire pour financer des déficits sans cesse plus élevés. Les risques sont alors multipliés : asphyxie du marché financier au détriment des entreprises publiques et privées, et donc de l'investissement ; aggravation des charges de la dette publique (2 % du PIB en 1986) ; alimentation de l'inflation par la création monétaire ; limitation autoritaire du crédit au détriment de la reprise économique. Le Budget de 1983 doit être un premier coup d'arrêt à cette dégradation de nos équilibres ; puisque doit être écartée la solution fiscale qui reviendrait à relever encore le poids des prélèvements obligatoires (44 % du PIB à la fin de cette année), seule demeure la maîtrise des dépenses (...). Dès le début 1983, il faut décider de ne pas créer de nouveaux emplois dans les trois prochains budgets, ne préserver le pouvoir d'achat que des seuls agents dont le traitement ne dépasse pas 6 000 francs par mois, remettre en cause le système des primes, établir une hiérarchie entre les grandes catégories d'interventions de l'État (...). Il faut une réunion rapide et restreinte sur ces aspects, dès la première semaine d'août, pour respecter la procédure budgétaire. »

Il faut en effet faire vite : janvier se décide en août.
Le Président refuse : « Pas question de rien faire avant les municipales. Ou c'est que vous vous êtes tous trompés. Et je sais alors ce qu'il me reste à faire. »

On a vu Barbie venir rendre visite au Président de la République bolivienne. Cela va forcer à sortir du placard administratif la demande allemande d'extradition. L'ambassade de France à La Paz fait savoir au gouvernement bolivien que la France appuie cette demande allemande formulée en mai 1982. Serge Klarsfeld vient rappeler à Régis Debray qu'ensemble, en 1973, ils avaient tenté d'enlever Barbie.




Mercredi 4 août 1982


Pendant le Conseil des ministres, Jack Lang passe un billet à François Mitterrand, lui demandant de lui donner la parole pour s'expliquer sur ce qu'il a déclaré à Mexico il y a quelques jours :
« J'aurais souhaité pouvoir en dire deux mots au Conseil des ministres et saisir cette opportunité pour faire quelques mises au point. Notre présence à Mexico a été un immense succès. Nos propositions ont été approuvées avec enthousiasme par plus de 120 représentants de gouvernements. Sous la pression des Américains, le représentant de l'AFP a totalement défiguré mon intervention. D'où les caricatures présentées par certains journaux français. L'autorité internationale de la France est sortie renforcée de la conférence. Le rapport général lui a été confié à l'unanimité. Je vous joins sous ce pli le texte de mon allocution. Vous pourrez mesurer le fossé qui sépare son contenu et son interprétation dans certaines gazettes françaises. Mon discours était principalement un appel à la création et non pas une mise en accusation exclusive des Américains, au demeurant non cités dans mon allocution. C'était un discours pondéré et équilibré. Ce sont les Américains qui ont manipulé et déformé l'information, et les agences européennes ont répercuté le seul écho américain. »
Le Président ne lui donne pas la parole. Il demande néanmoins à voir son texte : il est vrai que les Américains ne sont pas mentionnés. Tempête dans un verre d'eau.


Alain Savary présente au Conseil les bases sur lesquelles il entend mener ses négociations: intégration des écoles privées dans un établissement d'intérêt public, obligation de financer ces écoles, intégration des maîtres du privé dans le secteur public.
Les négociations secrètes commencent chez Geneviève Delachenal, la sœur du Président, très active dans le mouvement catholique. Le Père Guiberteau voit Jean-Louis Bianco.


Promulgation de la loi Auroux sur les nouveaux droits des travailleurs.

Les blindés israéliens pénètrent dans Beyrouth-Ouest. Très violents bombardements de la ville. François Mitterrand décide d'y envoyer un expert, le colonel Coullon, afin d'examiner, avec une commission libano-palestinienne, les modalités de participation de la France au départ éventuel des Palestiniens. Il réclame le secret le plus absolu.


Jeudi 5 août 1982


Le secrétaire d'État aux Rapatriés, Raymond Courrière, vient à Latché. Il rappelle au Président sa promesse d'une amnistie générale des participants à la guerre d'Algérie, y compris des généraux putschistes. Le Président : « De toute façon, ils n'ont pas été plus "Algérie française" que Michel Debré ou Michel Poniatowski. Préparez-moi un projet. »

Les propriétaires bloquent l'application de la loi Quilliot. Les quelques droits nouveaux accordés aux locataires dépriment, paraît-il, le marché de l'immobilier. L'épargne quitte la pierre pour se diriger vers la Bourse. On passe d'un capitalisme de rente immobilière à une social-démocratie du profit industriel.

François Mitterrand s'inquiète d'une éventuelle défaite de Helmut Schmidt aux prochaines élections en RFA, et d'une montée du pacifisme. Genscher peut aussi changer de camp avant le scrutin...
Le Conseil de sécurité adopte — moyennant l'abstention des États-Unis — une résolution qui « blâme » Israël et lui demande un « prompt recul » sur ses positions antérieures au 1er août. Reagan émet la même demande dans un message adressé à Begin — demande repoussée. Philip Habib transmet de nouvelles propositions aux différentes parties, dont la France, les États-Unis, le Mali, pour l'organisation de la Force d'évacuation des Palestiniens.


Le Liban, pris en otage il y a un an par les Palestiniens, est menacé d'être dépecé par Israël et la Syrie. Il ressemble aujourd'hui à l'Autriche des années 40 : occupée par l'Allemagne, puis champ de bataille, et enfin occupée par les Quatre Grands ; le traité d'État de 1955 y a créé une nation indépendante et démocratique. La France pourrait lancer l'idée d'une déclaration de neutralité du Liban sur la base de l'accord de La Haye du 18 octobre 1907, qui oblige les cosignataires à respecter la neutralité du pays qui l'invoque et impose le retrait des forces étrangères. Elle pourrait alors proposer de participer à la reconstitution du Liban sur la base d'un système fédéral dans lequel Beyrouth ne serait qu'un district fédéral.

Alain Poher fait savoir au Président qu'il a choisi, pour la Haute Autorité, Bernard Gendrey-Rety, Jean Autin et Gabriel de Broglie. Édouard Balladur, contacté, aurait refusé.



Vendredi 6 août 1982


Louis Mermaz, Georges Fillioud, André Rousselet et Claude Estier sont à Latché pour discuter du choix des six autres membres de la Haute Autorité. François Mitterrand veut nommer Paul Guimard à la présidence. Paul refuse : trop d'honneurs, trop de contraintes. On évoque les noms de Michèle Cotta, Jacques Boutet, André Holleaux, Stéphane Hessel, Marcel Huart et Marc Paillet. Au nom du Parti communiste, Pierre Juquin a proposé Daniel Karlin et André Stil. Il faudra sans doute en retenir au moins un.


La spéculation recommence contre le franc deux mois à peine après la dévaluation.


Bombardement aérien en plein centre de Beyrouth. Un immeuble de huit étages, abritant des Palestiniens, est entièrement détruit.

Proposition soviétique au Conseil de sécurité demandant l'embargo sur les armes à destination d'Israël. Veto américain.


Plusieurs officiers français sont à Jounieh pour régler avec les Américains, les Maliens et les Libanais les modalités d'un éventuel départ des Palestiniens de Beyrouth. Les Israéliens sont furieux contre la France. Ils ne veulent pas de nous dans cette affaire. Un accord est pratiquement réalisé sur la base des dernières propositions transmises par Philip Habib. L'OLP serait prête à partir entre le 12 et le 15 août. La date du 12 août est retenue, sans être définitive.

Yasser Arafat demande au Président français de hâter l'arrivée des forces françaises : « Étant donné les conditions actuelles, très périlleuses, je vous serais reconnaissant de bien vouloir déployer tous les efforts, avec toutes les parties concernées, afin de surmonter les obstacles qui empêchent l'arrivée le plus tôt possible des forces françaises, car nous nous attendons à des actions israéliennes. »
Les Palestiniens demandent que le premier détachement français arrive la veille de leur départ. L'armée libanaise sera présente aux côtés du premier élément de la Force internationale, qui se déploiera selon les instructions données par la commission mixte libano-palestinienne. Le premier contingent palestinien empruntera la voie maritime. Quatre navires commerciaux sont en cours d'affrètement par la Croix-Rouge internationale. Chaque navire gardera son pavillon national, destination Akaba. Parvenus dans ce port, les Palestiniens se répartiront entre Jordanie et Irak. Le transport par terre vers la Syrie ou via la Syrie n'est pas encore approuvé.
La réponse définitive des Israéliens sera donnée demain. Une réunion entre Philip Habib, les Libanais et la délégation française aura lieu dimanche 8 août à 9 heures. Le négociateur américain espère aboutir vers lundi prochain à un accord entre l'OLP et le gouvernement libanais. Selon ses calculs, et si tout va bien, l'évacuation pourrait commencer vers le 12 ou le 15 août. Quand il sera en possession de l'accord libano-palestinien, il s'efforcera de le faire endosser par les Israéliens. L'OLP paraît avoir renoncé à ses exigences de retrait israélien, même si les États-Unis préféreraient que Tsahal se replie sur ses positions du 1er août.
Arafat craint que le général Sharon n'attaque les combattants palestiniens pendant leur départ, ou que les familles palestiniennes restant au Liban ne soient l'objet de représailles avant l'arrivée de la Force internationale.
Begin, de son côté, redoute que si la Force en question arrive avant l'évacuation de l'OLP, celle-ci, « protégée » par les contingents français ou américain n'essaie de s'incruster à Beyrouth.
Dans ces conditions, Philip Habib se résigne à l'arrivée du contingent français le jour même du début du retrait palestinien.
Un premier détachement — 400 hommes du 2e REP basé à Calvi — est mis en alerte à 6 heures. Un renfort d'environ 800 hommes, constitué d'éléments répartis sur tout le territoire métropolitain, est mis en alerte à minuit. Le personnel sera acheminé en partie par avion, comme le premier détachement ; le matériel lourd, par le TCD Orage, stationné à Toulon. Les délais d'intervention respectifs sont estimés à quatre et six jours.

Je me rendrai la semaine prochaine à Mexico pour évaluer la crise financière avec l'actuel président, Lopez Portillo, et son successeur Miguel de la Madrid.



Samedi 7 août 1982


C'est fait : les Libanais et les Palestiniens acceptent le plan Habib. Le détachement français est prêt à partir pour Beyrouth. Le Président confirme à Reagan que « la France est disposée à assurer les responsabilités qui pourraient lui incomber dans la composition d'une force internationale d'interposition à Beyrouth ».

Dans une interview au Monde, Arafat souhaite la tenue « d'une conférence internationale réunissant toutes les parties après la fin des hostilités ». Il fait savoir à l'ambassadeur de France à Beyrouth que « les Israéliens font des préparatifs sérieux pour une certaine opération. Elle pourrait commencer dans les prochaines heures. La situation exige que nos amis français se montrent vigilants et redoublent leurs efforts. D'après les informations que nous recevons des Liba nais, les Israéliens font preuve d'obstination à l'encontre des Français. C'est une nouvelle surprise. Nous sommes par ailleurs stupéfaits par le retard des Libanais, après tout ce sur quoi nous nous sommes mis d'accord avec eux et avec Habib. La question à poser est la suivante : la position israélienne à l'égard de la Force française est-elle coordonnée avec celle des Américains ? ». Claude Cheysson rassure Arafat : « Aucun effort n'est ménagé du côté français, jusqu'au niveau le plus élevé de l'État, pour mettre en œuvre ce qui vient d'être examiné à Beyrouth avec vos représentants et ceux des autorités libanaises (...). Bien entendu, ceci ne nous fait pas perdre de vue la dimension politique... »

Revirement américain à notre endroit : ils nous demandent maintenant d'intervenir auprès des Égyptiens qui ne veulent toujours pas recevoir des Palestiniens ! Le Caire maintient sa position : pas d'accueil des Palestiniens sans une compensation politique permettant à ceux-ci de sauver la face.

L'Élysée décline aimablement la proposition des Américains d'envoyer des officiers à Stuttgart pour se coordonner avec eux sur l'opération libanaise : nous sommes prêts à avoir tous les contacts nécessaires, mais à Paris. Cette opération ne doit pas glisser subrepticement de l'ONU à l'OTAN.
Le Président souhaite également que nous fassions valoir aux Américains que « notre vote de la dernière résolution du Conseil de sécurité ne relève pas de notre part d'une agressivité à l'égard d'Israël, mais que nous ne pouvions pas ne pas voter une résolution qui n'a rien de disproportionné dans la situation actuelle, et que notre désir est bien d'aboutir à un accord dans les meilleurs délais possibles ».

Comme les humeurs changent : dans une lettre à Claude Cheysson, Shultz exprime sa « gratitude » et son « estime profonde pour la décision ferme et sans équivoque » du gouvernement français « de déployer des troupes françaises dès que cela sera nécessaire, pour faciliter l'évacuation des forces de l'OLP de Beyrouth dans des conditions qui auront été déterminées (...). Cette décision commande le respect et l'admiration de tous ceux qui souhaitent que soit mis un terme à l'effusion de sang et qu'une possibilité soit donnée au Liban de survivre à cette terrible épreuve. La décision de votre gouvernement encourage chacun d'entre nous ». Les États-Unis condamnent « la réponse disproportionnée et intolérable des Israéliens à des prétendus tirs de leurs adversaires ».


Dimanche 8 août 1982


Élections à l'Assemblée régionale de Corse : 1037 candidats pour 61 sièges.
L'étau se resserre autour des camps palestiniens au Liban, et la date du départ des combattants approche. Yasser Arafat écrit au Président, comme presque chaque jour, désormais :
« L'armée israélienne est en train de perpétrer de terribles crimes contre la population palestinienne à l'intérieur et à l'extérieur des camps de réfugiés à Beyrouth. La radio israélienne, les agences de presse mondiales ainsi que les observateurs internationaux ont reconnu la véracité des faits. Je vous supplie, au nom du sang palestinien innocent, d'intervenir immédiatement pour faire arrêter ces massacres barbares et pour que l'armée israélienne se retire du Liban. »
Blocage : les Israéliens refusent toujours que le premier contingent de la Force d'interposition arrive à Beyrouth avant le départ du dernier Palestinien en armes. Shultz veut en parler d'urgence à Cheysson. Mais celui-ci est dans l'avion pour Delhi. Pourquoi ? Mystère... A son arrivée dans la capitale indienne, le ministre rappelle le secrétaire d'État, qui lui dit souhaiter « proposer à Begin que le détachement français soit le premier sur le terrain » et que « le départ pour Beyrouth ne s'arrête plus une fois commencé. Si l'OLP revient sur son engagement après les premiers départs, il y a rupture de l'accord ». Cheysson approuve : « Il est essentiel de faire tomber cette dernière exigence de calendrier des Israéliens. » Shultz : « J'ai contacté les Italiens. » Cheysson s'étonne : « Les Italiens ? Dans la Force multinationale ?... Première nouvelle. » La communication étant détestable, le ministre français ne peut poser de questions. Il rappellera.

Mais le rôle de cette Force n'est décidément pas semblable pour tout le monde. Menahem Begin écrit à François Mitterrand le même jour : « Nous avons totalement détruit le dispositif militaire palestinien, fait prisonniers près de 8 000 hommes, tué entre 2 000 et 3 000 combattants palestiniens. Quant aux survivants, ils quitteront le Liban. C'est une question de jours. » Il ajoute qu'il a demandé à George Shultz des garanties écrites que la Force internationale d'interposition « expulserait les Palestiniens restés à Beyrouth au cas où ils refuseraient de s'en aller de leur propre gré. Nous sommes prêts à admettre que jusqu'à 2 500 terroristes restent à Beyrouth après l'arrivée de la Force d'interposition. Mais cela à deux conditions : soit ils seront expulsés manu militari par ces contingents internationaux assistés par l'armée libanaise, soit ces contingents accepteront de se retirer et nous laisseront faire cette opération ».
Autrement dit, contrairement à ce que Shultz annonce exactement à la même heure à Cheysson, Begin accepte que les troupes internationales arrivent avant le départ de tous les Palestiniens. Shultz a-t-il inventé tout cela pour faire avaler la pilule italienne ? Ou Cheysson a-t-il mal compris ? Les Palestiniens, en tout cas, ne veulent pas commencer à partir avant l'arrivée des Français.


Lundi 9 août 1982


Les Israéliens exigent que l'OLP rende un de leurs pilotes, prisonnier, et les corps de quelques soldats tués au combat.

L'armée israélienne est à Jounieh, occupant les deux tiers du Liban et dominant la vallée de la Bekaa où sont concentrées les forces syriennes, et sans doute des officiers soviétiques. Le départ des Palestiniens est prévu pour dans trois jours. La tension est à son comble...


A Paris, vers 13 heures, rue des Rosiers, un tireur fait irruption dans le restaurant Goldenberg et mitraille au hasard : six morts, vingt blessés. Immédiate vague d'indignation. Pourquoi ? Quel message ? Quel lien avec la négociation en cours ? Pour obtenir quoi de la France ?
Informé, Menahem Begin ne fait pas dans la dentelle ; il retrouve les accents de sa jeunesse, du terrorisme et de la violence : « Le crime commis à Paris est le résultat de déclarations choquantes sur les "Oradour" et des propos inconsidérés de la presse française à propos de la guerre au Liban. Ces attaques anti-israéliennes qu'ont développées les médias ne sont pas différentes des attaques antisémites. De nouveau, le cri de "Mort aux Juifs ! " a été entendu dans les rues de Paris, comme au temps de l'Affaire Dreyfus. Je suis fier d'être le Président du Conseil israélien, mais je suis d'abord un Juif. Si les autorités françaises ne mettent pas fin aux actions meurtrières des néo-nazis contre les Juifs, visés parce qu'ils sont Juifs, je n'hésiterai pas à lancer un appel aux jeunes Juifs de France pour qu'ils assurent la défense de leur dignité humaine.»
Le même jour, dans un télégramme d'un tout autre style à François Mitterrand, Arafat : « C'est avec une grande peine et émotion que j'ai appris les tristes nouvelles de l'attentat criminel commis cet après-midi à Paris et dont ont été victimes des citoyens français de confession israélite... C'est à travers votre personne, Monsieur le Président, que je souhaite transmettre mes condoléances les plus sincères en mon nom personnel et au nom de l'OLP aux familles des victimes... »


Mardi 10 août 1982


Une bombe est désarmorcée dans un central téléphonique du 17e arrondissement. Le groupe arménien « Orly » prétend l'avoir déposée. Deux autres explosent dans une société d'outillage, rue Saint-Maur, et devant une banque parisienne: attentats revendiqués par Action Directe.

Brejnev parle fort, mais agit peu: c'est décidé, l'URSS ne mettra pas son veto à la création de la Force multinationale. Alors qu'elle aurait pu saboter l'accord, ou à tout le moins faire monter la tension d'un degré, la flotte soviétique de Méditerranée reste discrète. L'URSS passe par profits et pertes l'épisode actuel du conflit israélo-arabe. «L'apparent renoncement russe, note un télégramme diplomatique reçu de Moscou, s'explique par la reconnaissance réaliste que le Kremlin n'avait guère de cartes en main, par la conviction que l'affaire n'est pas réglée au fond, par la volonté de ne pas risquer dans un conflit périphérique de compromettre si peu que ce fût les chances du dialogue stratégique avec Washington. Enfin, Moscou doit déjà faire face aux crises d'Afghanistan et de Pologne au moment où, selon les apparences, la lutte pour la succession est ouverte. »

Le gouvernement israélien demande à Paris: «La France peut-elle intervenir auprès des autorités syriennes afin d'obtenir le nom des militaires israéliens disparus, notamment prisonniers, dont Damas aurait connaissance ? » Les relations de Paris avec l'OLP peuvent parfois apparaître utiles à Israël...

Discussion au petit déjeuner. Michel May prendra la présidence de TF1, Pierre Desgraupes celle d'Antenne 2, André Holleaux celle de FR3. Jacques Boutet quitte TF1 pour prendre la direction des Affaires culturelles au Quai d'Orsay.


Mercredi 11 août 1982


Le Président demande que notre ambassadeur à Beyrouth remercie Arafat pour son message après l'attentat de la rue des Rosiers. Le Président écrit : « Faire remercier par l'ambassadeur.» L'ambassadeur remerciera «au nom du Président ». Nuance...
Pierre Mauroy vient rue des Rosiers se recueillir sur le lieu de l'attentat. Plus tard, le Président assiste à un office à la mémoire des victimes. A sa sortie de la synagogue, il déclare: « Ce fanatisme-là, comme tous les fanatismes, me trouvera devant lui. » Quelques manifestants émettent des cris hostiles. Il ne l'oubliera pas.

Le Mexique, où j'arrive, est au bord du dépôt du bilan: 80 milliards de dollars de dette publique extérieure, une inflation annuelle de 80 %, une incapacité à payer les intérêts de la dette, supérieurs aux recettes pétrolières. Depuis janvier, pour éviter la panique des grandes banques américaines, qui ont 56 milliards de dollars de créances sur le Mexique sur un encours total de 220 milliards de dollars, la Réserve fédérale des États-Unis a dû consentir trois prêts à la Banque centrale du Mexique, de 600 millions de dollars à chaque fois. Au total, la Réserve fédérale américaine, le Département de l'Énergie et celui de l'Agriculture ont mis 3,5 milliards de dollars sur la table pour reconstituer les réserves de la Banque centrale mexicaine, en quasi-faillite.
Le Président Lopez Portillo, en place pour trois mois encore, me reçoit dans son bureau. Très fatigué, sinon absent, il impute la totalité des malheurs de son pays à une « conspiration du monstre américain visant à intimider son successeur en politique étrangère (...). Les médias américains créent la panique chez les riches Mexicains en annonçant tous les jours la proximité d'une crise politique majeure. Voilà pourquoi les capitaux quittent le pays. Ils veulent nous mettre à genoux. L'avenir de l'Amérique centrale est très sombre. Je m'attends, après l'encerclement du Nicaragua par des gouvernements de droite, à un golpe militaire parti du Honduras ». Pour le conjurer, il souhaite qu'une initiative conjointe du Venezuela, de la Colombie, du Mexique et de la France s'adresse au Honduras pour le menacer de sanctions en cas d'intervention au Nicaragua.
Une heure plus tard, au siège du parti dominant, le PRI, le candidat-désigné-élu, Miguel de la Madrid, très calme, m'explique au contraire que l'essentiel de la crise actuelle du Mexique est due à la croissance trop rapide des cinq dernières années. Il n'attend le salut que d'« une politique d'assainissement. Seul un gouvernement très fort pourra faire accepter au Mexique cette longue pause dans la croissance, qui a coûté son trône au Shah d'Iran dans des conditions économiques très voisines. Il faut calmer le jeu en demandant que, de part et d'autre, cesse l'outrance verbale ».
Miguel de la Madrid n'aura pas une politique étrangère très différente de celle de Lopez Portillo. Sans doute y mettra-t-il moins de fougue que son prédécesseur, afin d'obtenir que s'installe dans la région la sérénité dont il aura besoin pour régler ses très difficiles problèmes économiques intérieurs. Mais, à l'inverse, la politique étrangère sera le seul secteur où il pourra satisfaire l'aile gauche de son parti.
Étrange contradiction entre deux hommes dont aucun ne cite le nom de l'autre; le nouveau, choisi pourtant par son prédécesseur, en est l'absolu contraire. Grandeur du choix de Lopez Portillo : entre un politique et un financier, il a choisi, dans l'intérêt du pays, le financier, même si celui-ci est le plus éloigné de ses propres idées. En échange, La Madrid le protégera toujours des critiques rétrospectives.

Entre deux discussions sur la Force multinationale, Shultz répète à Cheysson qu'il veut mettre fin à l'embargo américain sur le gazoduc: « Nous allons trouver un habillage. Il faut en parler. — Très bien », répond Cheysson, toujours prêt à négocier.
Jeudi 12 août 1982


Robert Badinter propose au Président quelques principes en matière d'extradition: la France terre d'asile, mais non repaire ou sanctuaire; la France n'extrade pas vers un pays qui méconnaît les droits de l'homme, ni vers une démocratie dans le cas d'activités politiques ou intellectuelles, d'infraction matérielle ou lorsque la personne extradée risque la peine de mort. Le Garde des Sceaux préconise une nouvelle Convention européenne d'extradition qui ne distinguerait pas la lutte contre le terrorisme de la lutte contre toutes les autres formes de criminalité.

A Beyrouth, tout est retardé. Philip Habib revient voir « si l'OLP et le gouvernement libanais sont prêts à faire preuve de souplesse sur les demandes israéliennes ; s'ils consentent à partir avant l'arrivée des troupes et à communiquer la liste nominative des partants ». Il est accueilli sur l'aéroport par un terrible bombardement israélien, comme si l'on voulait rendre sa mission impossible. Reagan, furieux, proteste contre «l'action militaire massive d'Israël (...), les inutiles destructions et les nouvelles effusions de sang ».
Le cabinet israélien se réunit à nouveau. Cette réunion extraordinaire est orageuse: Begin critique vivement le général Sharon d'avoir décidé seul ce nouveau bombardement. Toute opération militaire importante devra être désormais soumise au Conseil des ministres. Sharon est enfin sous contrôle. Mais la santé de Begin est au plus bas.
Après neuf heures de tirs, un onzième cessez-le-feu est instauré.

Arafat fait savoir qu'il désire la protection de la flotte française pour son propre départ. Shamir dit à Bonnefous, ambassadeur de France en Israël, qu'il craint que le «contingent [français] ne soit utilisé comme bouclier par les Palestiniens s'ils changent d'avis et refusent de partir ». Cheysson rassure Shamir : « Dans ce cas-là, la Force française s'en irait. »


Vendredi 13 août 1982


A Latché, le Président me dit son amertume pour la façon dont il a été accueilli rue des Rosiers: «C'est très injuste, mais je les comprends. »

Yasser Arafat envoie au Président de la République un message particulièrement critique envers Habib qui, selon lui, ne réussit pas à faire accepter aux Israéliens la présence de la Force internationale à Beyrouth avant le début de l'évacuation des Palestiniens, et veut disposer de listes nominatives des Palestiniens partants :
« Les deux dernières demandes israéliennes transmises par P. Habib (déploiement de l'échelon précurseur après le départ des premiers contingents palestiniens et communication de listes nominatives) sont inacceptables par l'OLP. Elles confirment les dirigeants de l'OLP dans l'impression que les Israéliens ne cherchent pas d'issue autre que militaire et que la question de l'arrivée de l'échelon précurseur au jour J est primordiale. La présence française, dès le jour J, constitue toujours pour l'OLP une garantie sine qua non de son départ dans la dignité et la sécurité. »
Claude Cheysson en parle avec George Shultz, qui accepte de tenter de convaincre Begin de renoncer à ces deux conditions.


Samedi 14 août 1982


A Latché, François Mitterrand reçoit Michèle Cotta et lui demande de prendre la présidence de la Haute Autorité. Elle accepte immédiatement, sans chipoter. Il lui parle des nominations à la tête des diverses chaînes.


Dimanche 15 août 1982


A Beyrouth, toujours la même question qui bloque tout: et si les Palestiniens interrompaient leur évacuation une fois les Français arrivés, que ferait la France?
De Jérusalem, au milieu d'une réunion de Begin et Sharon avec Philip Habib, Shamir appelle Cheysson à Paris pour « avoir confirmation de votre position dans le cas où les Palestiniens arrêteraient soudain l'évacuation de Beyrouth-Ouest ». Cheysson confirme, à l'intention de Begin et Sharon, ce qu'il a dit, trois jours plus tôt, à Shamir: «La présence de nos forces perdrait son sens si l'objet en était modifié unilatéralement.» Les Israéliens ne sont pas pour autant convaincus. Ils préféreraient malgré tout que le détachement précurseur soit américain. Le ministre des Affaires étrangères italien, Colombo, confirme par téléphone à Cheysson que «les Italiens se récuseront si les Français sont écartés de la Force d'interposition ».
A la même heure, l'ambassadeur israélien à Paris, Meir Rosenne, rappelle Cheysson de la part de Shamir: « Shamir me confirme qu'il n'y a aucune exclusive à l'égard des Français, mais que le débat porte "sur le détachement précurseur".»
Aucun accord n'est encore passé entre les Israéliens et Habib, non plus qu'entre Habib et l'OLP. Tout demeure bloqué.


Mardi 17 août 1982


La situation du franc se raffermit. Depuis la dévaluation, plus de 2,5 milliards de dollars sont revenus dans les caves de la Banque de France... mais après avoir empoché la prime de dévaluation!

Le chef de l'opposition israélienne, Shimon Pérès, est à l'Élysée. Israël, dit-il, accepte la présence d'éléments français au sein de la Force multinationale. François Mitterrand réaffirme la position française sur le conflit: droit du peuple d'Israël à vivre en paix dans un État reconnu et respecté; droit des Palestiniens à disposer d'une patrie; droit du peuple libanais à recouvrer son indépendance.

Le Président convoque Gaston Defferre et lui impose la nomination comme secrétaire d'État à la Sécurité publique de Joseph Franceschi, qui avait parfaitement géré le service d'ordre de la campagne électorale présidentielle. Puis il intervient à la télévision à la fois sur la sécurité et sur le Liban. Une heure et demie de travail solitaire pour un texte de cinq minutes.
Mercredi 18 août 1982

Le Conseil des ministres dissout Action Directe.


Dans l'après-midi, juste avant que ne commence un Conseil restreint consacré au commerce extérieur et à la sortie du blocage des prix et des salaires, j'apprends le désastreux résultat du commerce extérieur pour le mois de juillet: déficit de 9 milliards. Quand il sera publié, demain au plus tard, les capitaux reflueront. L'embellie aura été de courte durée. Il faut agir sur ce déficit extérieur. Et d'abord sur les importations. Pour les réduire, le Conseil restreint décide l'interdiction du crédit à la consommation pour des produits importés (magnétoscopes, chaînes haute fidélité, matériels de photo et de cinéma), la réduction du crédit à la consommation pour les cyclomoteurs de plus de 240 cm3. Le Président refuse l'institution d'une taxe sur les ventes de produits électroniques (magnétoscopes, chaînes haute fidélité, jeux et jouets électroniques, caméras vidéo, machines à sous et jeux publics électroniques) et la hausse du taux de TVA sur divers produits agroalimentaires exclusivement importés. Delors pense que les mesures retenues devraient suffire à réduire le déficit.
Pour les salaires, il faudra arriver à des hausses de 8 % en 1982 et en 1983, avec un rendez-vous en octobre 1983. Les partenaires sociaux doivent décider avant le 30 septembre du financement de l'UNEDIC pour 1982 et 1983. S'ils n'y parviennent pas, il faudra préparer un scénario de crise. Bérégovoy y travaille. Le besoin de financement de la Sécurité sociale en 1982 est couvert à 90 % par des reports de mesures nouvelles.

Il faudrait changer le gouvernement, ou pour le moins opérer un remaniement ministériel avant le début du vote du Budget, soit le 25 septembre: il appartiendrait aux nouveaux ministres de faire voter leurs crédits.
Où va-t-on? Va-t-on buter sur le mur des Banques centrales? Peut-on encore redresser? Et tout cela pour une relance dérisoire, inférieure de moitié à celle de 1975 ! Il faut rectifier le tir ; on peut le faire sans renoncer aux réformes sociales ni à l'Europe.

L'ancien président de l'AS Saint-Étienne reconnaît que son club possédait une « caisse noire » dont des hommes politiques de droite auraient bénéficié.

Au Liban, un compromis se dessine enfin : l'OLP accepte de remettre aux Israéliens le pilote prisonnier et les corps des soldats tués. Israël se résigne à la présence de la France dans la Force multinationale. François Mitterrand renonce à la neutralisation de Beyrouth. Le gouvernement libanais donne son accord au plan Habib.
On prépare l'annonce. Un projet de texte, émanant du Quai d'Orsay, est soumis au Président: « La France ne participera à la Force multinationale que si le gouvernement israélien donne son accord au plan actuellement examiné avec Philip Habib. L'objet de ce plan est de faciliter l'évacuation des combattants palestiniens de Beyrouth...» Le Président note en marge, en face des deux mots «combattants palestiniens » : « N'aurait-il pu écrire: "de l'OLP" ? »

A Beyrouth, les forces israéliennes reculent de quelques pâtés de maisons pour permettre la tenue de l'élection présidentielle. Prévue d'abord pour demain, elle est reportée au 23. Incidents entre l'armée libanaise et l'OLP.
Jeudi 19 août 1982


L'accord au Liban est annoncé comme convenu: le gouvernement libanais demande à Washington, Paris et Rome l'envoi de contingents militaires; Israël accepte la présence d'une force multinationale d'interposition franco-américoitalienne. François Mitterrand écrit à Leonid Brejnev pour répéter qu'il ne s'agit que d'une opération humanitaire. L'ONU donne son aval.
Une autre résolution propose qu'une « session spéciale de l'ONU, au niveau des ministres, sur la question palestinienne, se tienne à l'UNESCO à Paris du 15 au 26 août 1983 ». Les États-Unis et Israël ont annoncé qu'ils n'y participeraient pas.

Notre ambassadeur au Liban écrit:
« La disparition de l'autorité coordinatrice exercée par l'OLP et les forces syriennes risque d'aboutir à une situation anarchique dans la ville la plus armée du monde par tête d'habitant. »

Nuit bleue en Corse. Ironie du sort : l'arrivée de Franceschi semble marquer la fin de la trêve.




Vendredi 20 août 1982


Le scénario continue de se dérouler comme prévu: Claude Cheysson confirme par lettre au secrétaire général des Nations-Unies l'accord de la France pour participer à la Force multinationale. Chaque contingent restera sous autorité nationale; la France envoie 833 hommes.
Au téléphone, George Shultz dit à Cheysson : « Il faut chercher le cadre politique de la suite des discussions au Proche-Orient, en insistant sur la nécessité de donner aux Palestiniens un avenir, la pleine jouissance de leurs droits. »

2 000 Syriens de l'armée régulière, de 4 à 500 hommes des forces spéciales commencent à partir, avec les 4 000 Palestiniens sous commandement syrien.

Pierre Mauroy est à Latché pour y discuter en détail des étapes de la sortie du blocage des prix et des salaires. On vise maintenant sérieusement une inflation inférieure à 10 % en 1982, et à 8 % en 1983. On examine minutieusement, quatre heures durant, les conditions des négociations qui s'annoncent: sur les prix agricoles, dans la fonction publique, sur la Sécurité Sociale, sur le commerce extérieur. Il est convenu que Mauroy mettra par écrit les résultats de cette réunion. Le Président répondra.

Le Groupe de coopération technologique de Versailles se réunit à Paris. Cinq autres réunions, de deux jours chacune, auront lieu avant décembre pour sélectionner les projets les plus intéressants. La France propose la création, à Lyon, d'un Centre international sur les biotechniques. Yves Stourdzé a accompli un magnifique travail.

Le Président demande une nouvelle fois qu'on réduise le service militaire. Une fois de plus, Hernu est contre.
La FAR (Force d'action rapide) va devenir réalité. On songe au général Forray pour la diriger.

Comme prévu, depuis l'annonce du résultat du commerce extérieur de juillet, le franc va mal. De nouveau, comme à chaque crise, on guette les résultats de change à 11 heures, 13 heures et 15 heures. Delors me téléphone encore: « C'est la Bérézina.» Le Président me demande de réunir lundi prochain, pour faire le point, Jean Riboud, André Rousselet, Pierre Bérégovoy, Charles Salzmann, Laurent Fabius, Gaston Defferre. Étrange équipage. Il l'appelle le « groupe informel ». On les appellera bientôt « les visiteurs du soir » !


Samedi 21 août 1982


Arrivée à Beyrouth des premiers soldats du contingent précurseur français.
Deux artificiers qui tentaient de désamorcer une bombe sont tués par l'explosion de la voiture de l'attaché commercial américain à Paris. Attentat à nouveau revendiqué par les FARL.
Les deux événements sont-ils liés?




Dimanche 22 août 1982


Annonce de la composition de la Haute Autorité, avec Michèle Cotta à sa présidence.

Le colonel Coullon, qui a organisé l'arrivée des troupes françaises à Beyrouth, écrit au ministre:
«L'ambassadeur et moi avons été l'objet d'une offensive de charme de M. Ariel Sharon, venu saluer nos troupes. Il m'a déclaré avoir une grande admiration pour notre armée et nous faire toute confiance pour l'accomplissement de notre mission. » Yasser Arafat adresse lui aussi ses « plus vifs remerciements au Président Mitterrand. Il demande que des forces militaires françaises soient installées à l'entrée des camps palestiniens ».
Déclaration choquante, à Bonn, du professeur Kurt Bidenkopf, vice-président de la CDU : « Nous nous sommes peut-être affreusement fourvoyés avec la stratégie de dissuasion nucléaire. Nous nous sommes égarés et, pour revenir dans la bonne voie, nous avons continué de faire toujours de nouveaux faux-pas, ce qui a conduit à un armement toujours plus poussé... »
Ce n'est point trop grave : l'homme n'est qu'un adjoint du chef de l'opposition. Tout de même, il ne faudra pas l'oublier.


Lundi 23 août 1982


Ronald Reagan adresse à François Mitterrand une lettre manuscrite:
« Je suis personnellement profondément reconnaissant envers la France de mettre des troupes à disposition pour une entreprise d'une telle portée humanitaire (...). Je m attenas a travailler en étroite concertation avec vous (...) afin d'assurer au Liban un avenir dans la sécurité.. »

A Beyrouth, l'élection à la Présidence de la République libanaise a lieu. Le quorum de 62 députés est atteint grâce à la présence — en dépit des consignes données — de 18 des 41 députés musulmans. Béchir Gemayel, candidat unique, est élu au second tour par 57 voix et 5 bulletins blancs.

Comme convenu, après la réunion de Latché, Pierre Mauroy propose au Président un plan économique sur dix-huit mois, énonçant des conditions précises de sortie du blocage. Document très important dont Jean Peyrelevade est l'auteur. Il propose d'abord une «hausse des prix agricoles de 3 à 4 % à laquelle s'ajouteront, à ce moment seulement, les suppressions des montants compensatoires monétaires pour arriver à une hausse de 9 % ».
Le Président annote: «Cela sera difficile à tenir, compte tenu de l'ambiance.»
Mauroy continue: « Les négociations salariales sur 1982 et 1983 doivent aboutir au maintien du pouvoir d'achat en niveau à la fin 1983, sur la base d'une hausse de 18 % des prix sur deux ans, avec gel des revenus supérieurs à 250 000 francs par an. Je veux conclure sur ces bases, avant la fin de la négociation de la Fonction publique, le 15 octobre, des contrats exemplaires. Après, la Fonction publique devra aboutir à une progression du pouvoir d'achat jusqu'à 45 000 francs.»
Le Président: « Oui.»
Mauroy : « La façon de fixer les normes de discussion dans la Fonction publique est trop imprécise. Avec un tel mandat, on peut aboutir à des hausses très supérieures à la hausse des prix. Il faut donc dire, en plus, que l'essentiel des hausses est en francs, et non en points pour les revenus supérieurs à 45 000 francs, et que, pour les très hauts revenus, elles sont versées en bons d'épargne. »
François Mitterrand en marge: « Oui. »
Pour le Budget, écrit encore le Premier ministre, « un déficit de 3 % en 1982 et 1983 est réaliste. Dès le début septembre, pour éviter à l'UNEDIC 38 milliards de déficit l'an prochain, l'État annoncera la création, le 1er novembre 1982, de la cotisation des agents publics et des indépendants au 1er janvier 1983, soit 8 milliards. Je demanderai aux partenaires sociaux de trouver en plus 18 milliards de cotisations et 10 milliards d'économies. Si je n'y arrive pas, le gouvernement les décidera lui-même par voie réglementaire ».
Le Président annote: «Ces cotisations frapperaient les salaires? A quel taux ? A partir du SMIC + 1/3 ? Tout cela à quatre mois des municipales? C'est trop. Pas possible! L'idée d'équilibrer l'UNEDIC par décret si les partenaires sociaux ne le font pas eux-mêmes me paraît très dangereuse. Cela revient à nationaliser l'UNEDIC et donc à s'engager à poursuivre ce formidable gaspillage. Il faut, me semble-t-il, au contraire, tenir prêt dès maintenant un mécanisme de remplacement en cas de crise... »
Mauroy: « Pour la Sécurité sociale, la prévision est un déficit de 32 milliards en 1983. Il faut réformer structurellement l'Assurance maladie ; lutter contre l'alcoolisme, le tabagisme, les accidents de la route ; transférer aux mutuelles certains risques lourds ; modifier le système d'indexation des retraites en augmentant le rôle des retraites complémentaires. Pour les familles, il faut développer les conditions de ressources pour le versement des allocations, harmoniser le régime général et les régimes particuliers, réformer l'assiette à préparer pour 1983. »
Enfin, pour le commerce extérieur, « l'objectif est de 30 milliards de déficit des paiements courants en 1983, et l'équilibre en 1985. Dans l'intervalle, pour défendre le franc, le ministre de l'Économie doit être autorisé à emprunter immédiatement les 2 milliards d'écus européens qui sont à notre disposition ».
Le Président écrit: « Quelles en seront les répercussions psychologiques? Il faut une politique de déconnexion des taux d'intérêt intérieurs et extérieurs. Me faire des propositions. »
Mauroy: « Sur l'emploi, réduction de la durée du travail par la seule voie contractuelle et sans compensation de salaire. »
Le Président note: « Attention! Il faut savoir de quoi on parle. C'est impossible. Quelles seront les dotations en capital des entreprises publiques dans le Budget 1983 ? Il leur faut au moins 11 milliards de francs et autant par financement non budgétaire. Les entreprises doivent le savoir au plus vite, car leurs investissements de 1982 en dépendent. Quelles réformes bancaires? Quelles grandes aventures industrielles propose-t-on au pays? La biotechnologie appliquée, l'agro-alimentaire, l'industrie de la mer? Nous avons entrepris la plus formidable décentralisation jamais tentée en Europe. Nul n'en a encore présenté la synthèse ni montré l'intérêt économique. Il conviendrait d'avancer vers une décentralisation financière des ministères et des banques. »

Un homme vient alors proposer un autre mode de pensée : Jean Riboud, le président de Schlumberger, ami de toujours de François Mitterrand. Devant quelques « visiteurs du soir» réunis pour la première fois, il propose une politique radicalement différente de celle de Mauroy. En cas de nouvelle crise, il suggère de faire flotter le franc. Non par laxisme, mais au contraire, par rigueur. Pour faire baisser les taux d'intérêt et donc les charges des entreprises, on défendra une parité du Franc en utilisant nos réserves de change et en appliquant des mesures protectionnistes. « La France doit retrouver sa liberté d'action, et cela passe par la mort du SME. Ou l'Allemagne et la France d'abord, la Communauté européenne ensuite doivent faire avancer ensemble le SME, en appliquant la coopération prévue des banques centrales pour gérer en concertation les réserves de devises, pour trouver ensemble des règles communes tendant à régulariser (soit attirer, soit dissuader) le mouvement des capitaux flottants, pour intervenir d'un commun accord sur les marchés des changes en visant à stabiliser les cours (soit à la hausse, soit à la baisse) du dollar vis-à-vis des monnaies européennes. Voilà ce que l'Europe peut faire si elle en a la volonté politique (...). Le déficit budgétaire en soi n'est pas la cause première de l'inflation; en revanche, le laxisme budgétaire l'est sans conteste. Les entreprises meurent beaucoup plus de mauvaise gestion, de laxisme que d'erreurs de jugement sur les investissements. Il en est de même pour l'État. Cela veut dire: la rigueur dans le budget opérationnel de l'État. Cela veut dire : l'assainissement financier des caisses d'allocations de chômage. Cela veut dire : une analyse objective, sans préjugés, mais sans indulgence, du laxisme dans les coûts de la santé et des pensions. Bien entendu, la rigueur dans la gestion des pouvoirs publics serait sans lendemain si l'on ne maîtrisait pas les coûts, en particulier les coûts salariaux. Ma conviction est que les syndicats seront réalistes s'ils croient à la réussite. Entre syndicats, entreprises et pouvoirs publics, c'est l'éternel problème de qui commence, l'œuf ou la poule. L'État a aujourd'hui les moyens de donner l'exemple et d'entraîner la conviction. Tous doivent savoir que l'on n'a plus le choix. Une nouvelle dévaluation ne sera plus un remède, mais le symbole de l'échec.»
Jean Riboud conclut la réunion: « La réussite de l'opération chirurgicale "blocage des prix et salaires" se précise. Des mesures spécifiques pour sortir graduellement du blocage s'imposent. Elles ne sont ni très difficiles à imaginer, ni très difficiles à appliquer. Pour réussir, il faut de l'audace et de la rigueur. Il y faut aussi de la chance. Or, précisément, la conjoncture mondiale est favorable. Nous ne sommes pas dans un cycle ascendant du prix des matières premières et du pétrole. La croissance du Japon et de l'Asie du Sud-Est est ralentie. Comme après la fin de la guerre de Corée, la tendance mondiale des prix est déflationniste. Certes, la France ne relancera pas seule l'économie mondiale. Mais la réussite du plan français permettra de rouvrir, dans de meilleures conditions, les négociations nécessaires sur le Système monétaire international, le désendettement des pays en voie de développement, la relance de la croissance économique du monde. »
Étrange mélange...
François Mitterrand, à qui je rapporte, sceptique, ces propositions, est enthousiasmé : « Il faut faire baisser les charges. En cas de crise, ce sera le flottement du franc! » De sa conviction, peu de gens sont alors conscients. Il en fait part, pourtant, à qui veut l'entendre. Mais chacun prend cela pour une boutade. Ou comme une façon de peser sur l'Allemagne afin d'obtenir une meilleure dévaluation, le moment venu. En cela, cette ambiguïté est utile, comme presque toujours en politique étrangère.

Danger: il aurait fallu mettre en place un plan de rigueur plus ample il y a un mois. Maintenant, le Président voudra attendre les municipales. Ou faire tout autre chose...



Mardi 24 août 1982

Le FLNC annonce la « fin de la trêve ». On avait déjà compris.

Jean-Louis Bianco et moi réunissons les trois directeurs de cabinet des Finances, de l'Industrie et du Budget, et Jean Peyrelevade, directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy, pour connaître le degré d'avancement des comités interministériels, d'où découle l'ordre du jour éventuel des Conseils restreints.

Nouveau Conseil restreint, cette fois pour préparer le prochain Budget. On parle de réduire impôts et aides, de lutter contre la fraude fiscale, de réformer les impôts sur les successions, de supprimer l'impôt sur les plus-values, de réviser l'assiette de la Sécurité sociale. Voilà sept mois que le Président a demandé que 1983 soit l'occasion d'une réforme fiscale majeure. Nous avons tous les pouvoirs, exécutif et législatif. Et nous ne ferons rien, ou presque! La société est trop lourde à bouger.

Début du départ des Palestiniens : 1 300 d'entre eux quittent Beyrouth par bateau à destination des deux Yémen.



Mercredi 25 août 1982


Le débat sur l'extradition des Basques continue. Robert Badinter précise à nouveau les quatre critères de l'extradition en général: nature du système politique de l'État requérant (refus d'extrader vers des pays non démocratiques) ; nature objectivement politique de l'acte (refus d'extrader pour des infractions politiques ou des activités intellectuelles) ; risque d'aggravation (refus d'extrader si la peine risque d'être aggravée pour une raison d'opinion, de race, de religion, d'action politique) ; proportionnalité entre la fin et les moyens (extradition des auteurs de crimes de sang ou de prises d'otages commis dans des pays démocratiques, quel que soit le mobile invoqué).

Au Conseil des ministres, le commandant Prouteau est nommé responsable à l'Élysée d'une mission contre le terrorisme.
Jane Kirkpatrick, représentant américain à l'ONU, confie à Hubert Védrine: «Ce n'est pas la politique de George Shultz qui a succédé à la politique du général Haig, mais la politique du Président qui a succédé à celle du général Haig. Le général Haig n'admettait pas que le Président ait sa politique. Dès avant le départ du général Haig, le Président Reagan voulait se saisir de ce problème. La volonté des États-Unis de rester maîtres du jeu au Proche-Orient explique leur attitude. Cette volonté se manifeste lorsqu'ils veulent foire comprendre aux Russes que "ce n'est pas leur affaire". Or cette volonté est battue en brèche par Israël qui pratique à l'égard de son puissant protecteur la politique du fait accompli. Cela, Washington ne veut pas l'admettre. »



Vendredi 27 août 1982


Les 2 700 Syriens de la Force arabe de dissuasion quittent Beyrouth avec les 2 630 Palestiniens de l'Armée de Libération de la Palestine, sans leurs armes lourdes. Au total, 14 500 combattants palestiniens auront quitté le pays avant la fin du mois. L'affaire libanaise semble réglée.

A Washington, Vernier-Pallez continue de négocier la levée de l'embargo américain sur les exportations à destination de l'URSS. Informé en parcourant des dizaines de télégrammes diplomatiques qui ne lui sont pas particulièrement destinés mais qu'il lit pourtant chaque jour, le Président écrit: «Ces dépêches signalent une action tout à fait inopportune de notre diplomatie. Il n'y a pas à quémander des explications. Ne pas recommencer, et même freiner la démarche commencée. »
Aux Américains de trouver une porte de sortie, s'ils le veulent.

Le remboursement du prêt de juin dernier de la Bundesbank, lorsque le franc était au plancher, se fera début septembre: soit 780 millions de dollars. Nos réserves en devises sont aujourd'hui de 4,881 milliards de dollars. 4,1 milliards de dollars resteront donc disponibles pour des interventions sur le marché. C'est peu, et surtout insuffisant en cas de flottement. Mais ce chiffre est ultra-secret. Pas question de le communiquer à qui que ce soit. Pas même à Laurent Fabius, ministre du Budget. Si le marché connaissait ce chiffre, la spéculation serait sûre de l'emporter et le flottement entraînerait le franc au plus bas.


Samedi 28 août 1982


Le professeur Olievenstein me remet un plan de lutte contre le développement de la toxicomanie en France:
« Il est évident, à la fin de l'été 1982, et malgré certains succès spectaculaires, que nous assistons à un développement massif tous azimuts de la toxicomanie. Toxicomanie légale avec l'invasion du territoire français par l'héroïne et l'implantation, notamment aux Antilles, d'une zone de marketing. Toxicomanie aux solvants organiques qui, sans atteindre les proportions catastrophiques redoutées, se développe lentement et sûrement. Retour en force des toxicomanies médicamenteuses et du LSD.
1 Le chef de la mission contre la drogue doit avoir des pouvoirs accrus de décision et non seulement de réflexion. Il doit pouvoir désigner dans les quatre ou cinq régions frappées un "Monsieur Drogue " chargé de dépasser les rivalités et les limites territoriales et coordonner aussi bien la lutte policière que l'information, que la répartition des toxicomanes dans les centres de soins.
2 L'action policière doit s'orienter vers des sanctions fiscales vis-à-vis des hôteliers, cafetiers, tenanciers de boîtes qui abritent ou tolèrent le trafic de stupéfiants ou le séjour prolongé de toxicomanes en leur sein.
3 Des mesures d'assignation à résidence en milieu non urbain doivent être envisagées pour les toxicomanes trafiquants récidivistes.
4 Tout étranger sanctionné pour trafic de drogue et faisant l'objet d'une mesure d'expulsion doit voir son arrivée dans son pays d'origine signalée à la police locale.
5 Une émission d'information hebdomadaire brève doit être envisagée à la télévision et à la radio, comme c'est le cas à Hong Kong.
6 Sous l'autorité de Monsieur Colcombet, la Commission interministérielle des stupéfiants doit être réactivée afin que l'action des différents ministères soit coordonnée.
7 Des sanctions devraient être prises contre les fabricants de solvants (en fait, une ou deux marques seulement) qui refusent d'altérer leur produit.
8 La prise en charge gratuite et payée par le contribuable devrait être supprimée à toute personne séjournant plus de dix-huit mois dans une même institution, ce qui éviterait la chronicisation de certains toxicomanes telle qu'elle est actuellement organisée dans certaines institutions.
9 Un groupe d'étude devrait étudier les modalités destinées à rendre efficace la procédure d'injections thérapeutiques.
10 Une plainte devrait être déposée par les autorités françaises vis-à-vis du médecin belge qui fournit du Burgodin aux toxicomanes français.
11 Un certain nombre de médecins et de pharmaciens qui délivrent par complaisance des produits toxiques devraient être officiellement et spectaculairement poursuivis. »

A 20 heures, un communiqué de l'Élysée annonce l'arrestation de trois Irlandais à Vincennes, qualifiés de « membres importants du terrorisme international ». Le porte-parole de l'Élysée, Michel Vauzelle, l'apprendra par la télévision.


Lundi 30 août 1982


Avec les derniers de ses hommes, Yasser Arafat quitte Beyrouth à bord d'un navire marchand battant pavillon grec, l'Atlantis, protégé par une escorte conjointe franco-américaine. Mille précautions sont prises pour éviter une attaque israélienne.
A Beyrouth, les Israéliens veulent maintenant fouiller eux-mêmes les camps palestiniens.
François Mitterrand rencontre ses «visiteurs du soir ». Il y a là Charles Salzmann, André Rousselet et Jean Riboud. S'y ajoutent aujourd'hui Pierre Bérégovoy, Laurent Fabius et J.J.S.S. Désormais, il les recevra régulièrement. En général vers 18 heures, dans la bibliothèque du rez-de-chaussée. Au début avec moi, puis sans moi. Ils comparent les stratégies de sortie du blocage de Mauroy et de Delors.
François Mitterrand : Que se passerait-il si la décision était prise de faire flotter le franc?
Jean Riboud : Les réserves de la Banque de France seraient protégées quoi qu'il arrive, et on pourrait ne plus se poser tous les jours la question de la sortie des capitaux. La dévaluation du franc par rapport au mark entraînerait une réduction du déficit de la France par rapport à l'Allemagne, et donc, à moyen terme, une réévaluation du rapport franc/mark.
Je suis sceptique : tout cela prendrait du temps. Au début, les importations seraient plus chères, et il faudrait dépenser davantage de réserves pour défendre le franc. Avec le flottement, il faudrait plus d'austérité qu'avec une dévaluation. Il s'ensuivrait une dévaluation d'où découlerait une hausse des prix et une augmentation du déficit extérieur, entraînant lui-même une nouvelle baisse du franc...


Mardi 31 août 1982

Le nouveau ministre de l'Industrie, Jean-Pierre Chevènement, écrit à tous les présidents d'entreprises publiques pour leur demander « d'intégrer à leur stratégie de compétitivité les exigences de la solidarité nationale, notamment en matière d'emploi et de balance commerciale ».
Ils reçoivent cela assez mal. Et d'abord Roger Fauroux, président de Saint-Gobain.


Que faire avec les centraux téléphoniques MT 20 ? François Mitterrand: « Puisque les États-Unis veulent nous interdire de construire le gazoduc, il n'y a pas de raison de ne pas vendre aux Russes les centraux MT 20. Pas les composants, mais les centraux. De toute façon, les États-Unis considèrent toujours une concession comme une marque de faiblesse. »


Mercredi 1er septembre 1982

Jacques Chirac, de Nouméa: «L'expérience socialiste ne durera pas deux ans. » Rendez-vous est donc pris pour le 21 mai 1983 !
Le Président: « Il a raison. La gauche, en France, n'a jamais été au pouvoir plus de deux ans. A nous de faire que cela soit différent, cette fois. »

Au Conseil des ministres, Fabius présente le projet de loi de finances pour 1983.
Après l'exposé habituel de politique étrangère au cours duquel Cheysson évoque des conversations en cours à Washington sur la levée de l'embargo, le Président intervient: « Reagan a pris une décision aberrante tant sur le plan politique que sur le plan du droit. Il convient donc qu'il revienne sur cette décision. La France n'a pas à en tenir compte. Elle n'a surtout pas à négocier avec les États-Unis. Il convient que des directives très fermes soient données sur ce point à tous les ministres.» Cheysson approuve d'un hochement de tête.
Tandis que s'achève l'évacuation des Palestiniens de Beyrouth, Reagan, dans un discours prononcé à Burbank, présente de nouvelles propositions en sept points pour la paix au Proche-Orient: 1) Fin des implantations israéliennes dans les territoires occupés; 2) Autonomie entière des habitants de Cisjordanie et de Gaza pour leurs propres affaires au cours de la période transitoire de cinq ans prévue par les accords de Camp David; 3) Au terme de cette période, il ne doit y avoir ni annexion ni contrôle permanent d'Israël sur ces territoires; 4) « Pas d'État palestinien indépendant » ; 5) Retrait d'Israël des territoires occupés; 6) Autogouvernement en Cisjordanie et à Gaza, « en association avec la Jordanie » ; 7) Jérusalem doit rester unie, mais son statut final doit être décidé par des négociations.
Ces propositions sont aussitôt rejetées par le gouvernement israélien.
Je repense au discours sur le même sujet dont m'avait parlé Dick Allen, le conseiller pour la Sécurité de Reagan, lors de notre première rencontre à Washington. C'eût été plus drôle.

L'OLP demande à la France d'accueillir dans ses hôpitaux « des blessés palestiniens ». François Mitterrand écrit en marge d'une note que lui a passée un collaborateur, lequel propose de ne recevoir que les « blessés civils » et non pas les « blessés militaires » : « Pourquoi cette distinction entre civils et militaires ? Ils sont tous, à nos yeux, redevenus civils. Ne la posons pas, et accueillons un nombre raisonnable de blessés. »


Le bateau de Yasser Arafat arrive en Grèce. Il est accueilli par le Premier ministre Papandréou et le ministre des Affaires étrangères, Haralambopoulos.
A la même heure, François Mitterrand décolle de Paris pour une visite officielle à Athènes, prévue depuis longtemps. Dans l'avion, Cheysson propose de lui faire rencontrer Arafat, demain, au Musée national d'Athènes où le Président donne une réception. Le Président: « Pas maintenant et pas à l'étranger. »



Jeudi 2 septembre 1982

Les ministres des Finances des Sept sont réunis à Toronto, en marge de l'assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale, afin d'examiner le premier projet de rapport du groupe de travail créé à Versailles pour réfléchir sur les interventions sur le marché des changes. Aux yeux de la France, ce groupe doit procéder à des études pratiques pouvant constituer un guide d'action. Pour Don Regan et Paul Volker, au contraire, il ne doit s'agir que d'études théoriques. Le rapport final doit être remis en janvier 1983 pour mise au point par les ministres courant avril, avant le Sommet prochain qui se tiendra aux États-Unis.
Une solution est trouvée au problème du financement de l'AID, l'Agence chargée de financer les plus pauvres des pays pauvres : les pays riches lui verseront 7 milliards de dollars d'ici la fin de 1984.


Les relations entre le Président et son ministre des Relations extérieures ne revêtent pas la forme de rendez-vous réguliers, comme avec le Premier ministre et le ministre des Finances. Ils se voient sans cesse en voyage. François Mitterrand lit et annote une cinquantaine de télégrammes diplomatiques par jour. Parfois Cheysson adresse au Président de brèves lettres ou de plus longues, manuscrites. Aujourd'hui, à Athènes, il lui remet une note précisant sa conception d'une stratégie pour le Moyen-Orient. Remarquable document, révélateur d'un exceptionnel esprit d'analyse de Claude Cheysson :
« Supposons que, demain, le Liban ait recouvré indépendance et unité, sans perdre son intégrité. Supposons que la Syrie et la Jordanie d'une part, Israël de l'autre se soient mutuellement reconnus et que leurs frontières aient été garanties. Supposons que les Palestiniens aient le droit de constituer un Etat dans des territoires actuellement occupés. Comment évoluent alors les trois grandes préoccupations des peuples de la région: la sécurité, la souveraineté, le développement? C'est le problème essentiel pour beaucoup — Israël, évidemment, mais d'autres aussi, la Syrie, la Jordanie, le Liban, la nouvelle Palestine. "Reconnaître Israël, bien, mais qui garantira ma frontière orientale ?" me disait Assad il y a un an. Les frontières des différents États étant formellement reconnues, enregistrées aux Nations-Unies et par les États membres de l'ONU, des dispositions précises devront donc être adoptées pour créer objectivement et contrôler effectivement les conditions de la sécurité. Elles couvriront les secteurs les plus vulnérables et menacés. L'expérience acquise au Sinaï mérite réflexion par la conjugaison des obligations échelonnées sur le terrain, partielles puis totales, portant sur les armes et les troupes, par les interdictions plus ou moins complètes de mouvements, par la surveillance physique, humaine et électronique, qui y est établie, par l'implantation d'éléments étrangers de contrôle. Rien n'empêcherait d'étendre cette expérience tout autour d'Israël, en recourant à des forces multi ou internationales, en implantant des moyens modernes d'observation et de détection (un réseau Awacs international permettrait à Israël de porter loin son regard, mais donnerait aussi une bonne vision à la Syrie et à la Jordanie).
Contrairement aux thèses habituelles, je suggère que les forces armées et de surveillance garantissant l'équilibre et les modalités de la sécurité comprennent des contingents de quelques grandes puissances, afin de les engager physiquement sur le terrain et de conférer leur pleine signification aux garanties qu'elles auront données par ailleurs. Ceci n'exclurait pas, cependant, l'intervention d'observateurs des Nations-Unies choisis parmi les neutres et les non-alignés. Enfin, il est raisonnable de proposer que ce réseau de garanties, inter ou multinationales, soit complété par des garanties particulières bilatérales. Un engagement formel, public des États-Unis vis-à-vis d'Israël — symétrique de celui de l'Union soviétique au bénéfice de la Syrie — pourrait contribuer puissamment à créer le climat de sécurité.
L'État palestinien qui pourrait être esquissé demain, au terme d'une période transitoire d'autonomie, sera aussitôt confronté à un problème politique majeur dû à l'existence d'un très grand nombre de citoyens palestiniens au-delà de la frontière orientale, c'est-à-dire dans l'actuelle Jordanie et les autres. Il serait évidemment impossible de dénouer les liens qui existent à l'heure actuelle entre Palestiniens de Cisjordanie. Il serait dangereux de refuser à ces derniers la reconnaissance de la citoyenneté palestinienne une fois l'Etat palestinien créé... En bref, il est certain qu'un État palestinien cisjordanien devra chercher une formule d'union politique avec la Transjordanie largement palestinienne. Sera-ce une fédération? une confédération? ou une forme nouvelle sera-t-elle trouvée? Il importe peu. Les liens administratifs et politiques devront être si nombreux qu'en fait, on sera, au terme de l'évolution, très proche de ce que les Israéliens envisageaient sous le gouvernement Rabin et de ce que le Parti travailliste déclare encore pouvoir accepter, à savoir une Jordanie allant au-delà du Jourdain dans quelques territoires évacués par Tsahal. Dans plusieurs parties du monde, on voit apparaître la nécessité de reconnaître et garantir des espaces politiques relevant de plusieurs souverainetés, mais également neutralisés et placés sous surveillance internationale. L'État-croupion dessiné sur la carte à l'ouest du Jourdain n'a aucune possibilité d'existence économique autonome. La recherche d'une entité économique correspondant à l'ancien mandat britannique est un impératif évident. Ygal Allon, me parlant en privé il y a quelques années, envisageait d'ouvrir à la Jordanie (Trans et Cisjordanie) l'accès privilégié à une zone allant du lac de Tibériade à la mer; cette zone pourrait être dotée d'un statut international rappelant celui de l'ancienne zone de Tanger. Il y a quelques semaines, M. Begin a, sous une forme différente, repris une idée semblable (pour lui, la Transjordanie reste partie intégrante d'Israël). Il serait intéressant d'examiner plus attentivement cette perspective, d'en montrer les avantages indéniables, d'en étudier les formes. L'exemple fourni par la Communauté économique européenne mériterait d'être gardé à l'esprit (...). A terme, il ne fait pas de doute que les territoires évacués par les Israéliens en Cisjordanie et la Jordanie sont appelés à une union politique. »
Dîner à l'ambassade de France. Le président de Rhône-Poulenc, Jean Gandois, à ma table, me déclare non sans violence que la France a manqué à sa parole en ce qui le concerne. Sa véhémence me désole. L'homme est de grande qualité.


Vendredi 3 septembre 1982

A Washington, les diplomates continuent de négocier à propos de l'embargo et les conseillers diplomatiques à l'Élysée, comme le Président lui-même, reçoivent les télégrammes rendant compte de ces pourparlers. Les Italiens sont également dans la négociation, à présent, de même que la Commission, puisqu'il s'agit d'une question commerciale relevant de la compétence communautaire.

Se rangeant à l'avis de Gaston Defferre, François Mitterrand veut renoncer au découpage de Paris en vingt communes. Pierre Joxe et Pierre Mauroy, mécontents, cherchent une solution qui ne soit pas le retour au statu quo ante.

L'ambassadeur israélien vient dire au Quai d'Orsay que, les Palestiniens ayant quitté Beyrouth, plus rien ne s'oppose à ce que la Commission culturelle franco-israélienne, ajournée en juin, reprenne ses travaux. Le Quai répond que l'ajournement n'a pas été motivé par la présence palestinienne à Beyrouth, mais par l'invasion israélienne du Liban. Nuance.


Le général italien Carlo Alberto Dalla Chiesa, chargé de coordonner la lutte contre la Mafia, est assassiné à Palerme.

Barre dénonce « l'échec cinglant» du gouvernement. Les attaques de la droite se font de plus en plus virulentes. François Mitterrand enrage que personne n'y réponde. En quittant Athènes, il m'interroge: « Votre ami Bercoff, qui avait rédigé ce livre si drôle sous un pseudonyme, ne pourrait-il pas en faire un autre avant les municipales, un livre qui dirait sur la droite ce que ni les journalistes ni les socialistes ne disent ? » Je lui en parlerai.

Plans Câble: 1,4 million de foyers seront câblés en 1985. On ne sait toujours pas combien de canaux seront disponibles sur le satellite: deux? quatre? cinq?


Samedi 4 septembre 1982

Les combattants palestiniens partis, faut-il que la Force multinationale reste au Liban «pour éviter un massacre civil», comme le demande Arafat au secrétaire général du Quai d'Orsay, Francis Gutmann, qu'il voit à Turin: «L'OLP a tenu ses engagements quant aux opérations d'évacuation. Il appartient désormais à la Force d'interposition, et tout spécialement au bataillon français, qui a la confiance des Palestiniens, de remplir la seconde partie de son mandat: assurer la protection des populations civiles de Beyrouth-Ouest. L'OLP n'a aucune confiance dans le jeu américain et encore moins dans celui de Gemayel (...). Si la France se retire avant que la sécurité ne soit assurée à Beyrouth, il y aura massacre. »



Je parle à André Bercoff : « Le Président a pensé à toi pour un projet, mais je ne pense pas que cela t'intéressera. Il aimerait que tu écrives un autre livre de politique-fiction avant les municipales de 1983.
— Pas sous cette forme, répond André, je serais tout de suite découvert. Mais laisse-moi réfléchir. »


Dimanche 5 septembre 1982

Sur Europe 1, Pierre Mauroy évoque la nécessité d'une phase « d'assainissement de dix-huit mois», rendant ainsi implicitement publiques les conclusions de la discussion de Latché.




Lundi 6 septembre 1982

Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Boutros Boutros-Ghali, vient dire à Claude Cheysson que le gouvernement égyptien «va rendre publique une condamnation de la poursuite des implantations israéliennes dans les territoires occupés et qu'il souhaiterait que nous fassions de même». François Mitterrand, interrogé, annote : « Me consulter avant toute intervention. »

Le Président Sarkis demande à la France de laisser ses soldats à Beyrouth jusqu'au 21 septembre, date d'expiration de son mandat et de la prise de fonctions de Béchir Gemayel. François Mitterrand ne veut pas que la France reste seule. Quant aux Américains, ils souhaitent partir au plus vite. Au surplus, Sarkis n'entend pas formuler sa demande officiellement.


Mardi 7 septembre 1982

George Shultz téléphone à Claude Cheysson : «Pas question pour les Américains de rester, sauf si Béchir Gemayel le demande. » Gemayel, consulté, est clair : « Pas de troupes occidentales à Beyrouth. » Cheysson : «Je le comprends ! Il ne veut pas gêner Tsahal. »

La quatrième chaîne sera à péage. Michel Deheu, du cabinet de Pierre Dreyfus, l'étudie. André Rousselet trouve le projet trop théorique et souhaite s'en occuper lui-même.
Mercredi 8 septembre 1982

Shultz rappelle Cheysson : « Philip Habib se répand à travers Washington en compliments sur la qualité professionnelle, la discipline, la discrétion, le dévouement du contingent français de la Force d'interposition. Reagan m'a chargé d'en féliciter la France. »

Begin vient à Paris le 24 octobre pour un congrès sur la situation des Juifs en URSS. Il demande à rencontrer le Président.


Bercoff a une idée superbe: il écrira bien un livre sous pseudonyme, mais, cette fois, comme s'il était un homme de droite, cynique, lucide et critique vis-à-vis de son propre camp. Il me suggère un titre: De la Reconquête, et un pseudonyme, Caton. Le Président est enthousiaste. L'accord est passé avec Claude Durand, chez Fayard. Le livre devra paraître en janvier. François Hollande aidera André pour les chiffres.
Cinq personnes en tout sont au courant: le secret peut être gardé. Caton est né.


Jeudi 9 septembre 1982

Un Sommet arabe à Fès adopte un plan reprenant le plan Fahd, avec de légères différences aux points 4, 6 et 7, ainsi rédigés:
« 4/ Réaffirmation du droit du peuple palestinien à l'autodétermination et à l'exercice de ses pleins droits nationaux inaliénables sous la conduite de l'OLP, son représentant unique et légitime, et dédommagement de tout Palestinien ne désirant pas le retour.
6/ Création d'un État palestinien indépendant ayant Jérusalem pour capitale.
7/ Le Conseil de sécurité de l'ONU apporte des garanties de paix à tous les États de la région, y compris l'État palestinien indépendant. »
Notre ambassadeur à Washington rencontre un haut fonctionnaire du Département d'État qui prétend qu'il y aurait contradiction entre notre position actuelle sur le contrat Thomson-CSF et la position qui nous a été prêtée par Haig lors d'un debriefing organisé à l'issue des entretiens du Président avec le Président Reagan, au mois de mars. Le compte rendu cité dans le télégramme indique: «A propos du contrat téléphonique Thomson-CSF destiné à l'URSS, M. Mitterrand s'est engagé à annuler la partie sensible du contrat et à poursuivre sur le reste. Il s'interrogeait s'il n'en résulterait pas une annulation par les Soviétiques de la totalité du contrat. En tout état de cause, la France soumettrait cette vente au COCOM. La France considère cela comme un geste politique important. » Le compte rendu fait par Cheysson de cet entretien ne contient pas cette phrase sur le COCOM. Et, de toute façon, la décision est prise: la vente a lieu sans que soit demandé l'aval du COCOM.


Le franc est de nouveau attaqué. Depuis le 18 août, 6,1 milliards de francs sont sortis de nos caisses, à un rythme compatible avec notre déficit commercial mensuel. Mais, au rythme de ces derniers jours (511 millions de dollars du 1er au 9 septembre), la poursuite de ces sorties de devises serait impossible.
Vendredi 10 septembre 1982

Delors remet au Président un document très secret: les pronostics du FMI sur l'économie française: « Handicapée par une inflation rigide, la France a reculé dans la bataille de l'exportation et le seul chiffre disponible pour 1983, celui du déficit extérieur, est inquiétant. Le FMI manifeste un grand scepticisme vis-à-vis des effets à court terme de la nouvelle politique engagée avec le blocage des prix et des revenus. »
On ne fait pas plus net. Voici l'humiliation du pronostic; après viendra, si rien n'est fait, celle des recommandations, puis celle des contraintes.

Un nouveau projet de statut des grandes villes est prêt. Il ne s'agit plus que de créer, à Paris, ville unique, vingt conseils d'arrondissement aux compétences floues. Gaston Defferre, qui a reçu Place Beauvau les élus socialistes à l'Hôtel de Ville de Paris, demande au Président de les modérer.
A Marseille, il s'est, dit-il, choisi un successeur de moins de quarante ans. Le provincial parle en provincial. Il faut casser Paris, mais pas les métropoles. Sa lettre est prémonitoire:
« Il ne faut pas se le dissimuler, nous sommes arrivés à l'extrême limite sur le plan politique et sur le plan administratif. La création de conseils d'arrondissement d'une couleur politique différente de celle de la majorité municipale va alourdir, compliquer et ralentir considérablement le fonctionnement des municipalités des grandes villes. Nous risquons d'aboutir à un véritable monstre et de rendre ingouvernables certaines villes. La décentralisation a notamment pour objectif d'éviter les retards et les complications administratives, de permettre de gérer plus vite et mieux. Avec le système que nous préparons, s'il est poussé trop loin, nous aboutirons au résultat inverse. Et ceci, pour un résultat politique aléatoire. Paris est la ville de France dans laquelle le courant politique prévaut le plus sur les situations personnelles. Si nos amis sont — et cela risque d'arriver — assez largement battus aux élections municipales de Paris, tout cela aura été inutile (...). Je vais donc être amené à résister aux demandes de nos camarades de Paris et de Mauroy. Il ne s'agit pas pour moi d'une question personnelle, d'un problème marseillais. J'ai l'intention de me représenter aux élections municipales. J'espère bien être élu, mais, à mon âge, j'ai l'intention de préparer ma succession et de laisser assez vite la direction de la Mairie à un jeune socialiste entre trente et quarante ans. Mais je n'ai le droit ni de proposer un monstre administratif, ni de laisser le gouvernement commettre une faute politique dont vous supporterez les conséquences, puisque, si nous nous trompons, cela entamera le capital de confiance dont vous avez besoin pour redresser la situation économique, sociale et monétaire. »

Il poursuit en annonçant qu'il demandera au Président d'arbitrer, la semaine prochaine, entre lui et les socialistes parisiens alliés à Mauroy:
« Certains camarades, si intelligents soient-ils, ne pensent qu'à limiter les possibilités d'action de Chirac, sans mesurer les conséquences politiques nationales de leur comportement. Je suis allé à l'extrême limite de ce qui peut être fait. Aller plus loin serait une erreur politique et administrative majeure. Hélas, Mauroy, n'étant plus en cause, participe allègrement de cet état d'esprit des élus parisiens. Il regrette encore, parce qu'il pense que c'était politiquement possible, que nous ayons renoncé au système de la Communauté urbaine avec la création de vingt municipalités de plein exercice à Paris. »
Les troupes américaines quittent le Liban. Claude Cheysson est à Beyrouth. Le Premier ministre Wazzan — bloqué chez lui par des troupes israéliennes — critique violemment au téléphone ce départ et lui dit: « Nous avons été trompés. Nous avons apporté notre caution au plan Habib, au départ des Palestiniens en armes, obtenu l'acceptation des Libanais musulmans, parce que nous croyions à la parole des Américains. Aussitôt après, Tsahal avance, attaque les camps palestiniens, agit à sa guise, et nous avons une responsabilité... »
Pourtant, les autorités libanaises, malgré nos suggestions, ne présentent pas de proposition formelle de prolongation de la présence de la Force multinationale.
Cheysson: «La Force d'interposition n'avait pas pour mandat de protéger les populations civiles... Je regrette que la proposition française du 24 juin d'une force multinationale surveillant à la fois le départ des Palestiniens et des Israéliens ait été bloquée par le veto américain. »

Comme le dollar monte, le franc baisse; le marché prévoit la reprise de l'inflation à la sortie du blocage des prix, alors que rien ne la laisse encore présager. Les taux de l'Eurofranc sont d'impitoyables indicateurs (près de 20 % à six mois, contre 8 1/4 % pour l'Euromark). Cela indique que le marché prévoit une nouvelle dévaluation dans les deux mois.

Échec du premier tir commercial d'Ariane. Décidément, mauvaise journée.


Samedi 11 septembre 1982

Les troupes italiennes quittent le Liban. Les Français sont les derniers.

Le programme des « visiteurs du soir » est au point. En leur nom, Pierre Bérégovoy propose une autre politique économique, fondée sur le flottement du franc, pour permettre la réduction des charges et la relance de l'investissement. Sa lettre au Président, après les brouillons de Fabius et Riboud, fournit le meilleur cadre théorique de cette autre politique:
« La forte montée du dollar fera baisser le franc qui franchira le cours pivot. Que peut-on faire ? Je suis sceptique à l'égard de mesures limitées ; une hausse de 2 à 3 points du taux d'intérêt risque d'avoir peu d'effet dissuasif techniquement, mais de révéler notre inquiétude et d'encourager la spéculation. Deux options se présentent à nous:
1) engagement solennel de ne pas sortir du SME et mise en place de mesures drastiques: cette option, s'inspirant de l'attitude de De Gaulle, suppose un élément psychologique et politique (la solennité de l'engagement personnel du Président de la République de ne pas sortir du SME) et la mise en place de mesures drastiques (relèvement des taux de marché monétaire à un niveau de combat [20 %], durcissement de la réglementation — déjà sévère - sur les changes, renégociation avec la RFA des marges de fluctuation du SME, emprunts auprès de pays amis ou du FMI, de la BRI, etc., mesures déflationnistes de réduction des prestations sociales ou d'alourdissement significatif de l'impôt sur le revenu).
Les risques d'un tel scénario sont réels. Risque politique, dans l'hypothèse où ces mesures ne suffiraient pas et où la spéculation se révélerait plus forte. Or, ce risque ne peut être durablement écarté (la référence à 1968 montre que la dévaluation n'a pu être différée que de moins d'un an), pour les trois raisons suivantes : même si les mesures de désinflation de notre économie portent leur plein effet, il subsistera en 1983 un différentiel d'inflation substantiel entre la France (8 %) et la RFA (4 %) ; notre commerce extérieur connaît un déficit important et sans remède immédiat; les milieux financiers internationaux éprouvent une incontestable hostilité envers notre expérience. Risque économique, ensuite, car si ces mesures suffisent à nous maintenir au sein du SME, elles auront de graves effets sur notre économie: la hausse des taux d'intérêt (à un moment où le taux d'inflation sera redescendu à un niveau de 10 %, puis de 8 %) atteindra un tissu industriel déjà malade, et provoquera une recrudescence du chômage. A moyen terme (sortie du blocage), ces mesures auront épuisé leur efficacité ; et la sortie du SME, à mon sens inévitable à cette échéance, devra être préparée et revendiquée comme élément d'un plan d'ensemble qui doit être annoncé simultanément.
2) Un scénario d'apparence technique devrait être préparé: il suppose, à court terme, la mise en place de mesures discrètes et aussi efficaces que possible ; à moyen terme, à la sortie du blocage, la préparation technique et politique d'une sortie provisoire ou durable du SME, cette fois-ci revendiquée comme élément d'une politique plus globale, accompagnée d'une renégociation monétaire européenne. Autrement dit, ce serait d'abord le flottement. Tout en récusant l'idée que le flottement nous évite une contrainte et une discipline (la politique de désinflation devrait être poursuivie et amplifiée), une relance de l'investissement (par la baisse, enfin possible, des taux d'intérêt internes) et un soutien de l'activité générale et de la croissance, sur laquelle repose en fin de compte notre projet social, seraient les deux axes de ce plan d'ensemble sur lequel je continue à réfléchir.»

Pierre Bérégovoy sait bien que le flottement n'est envisageable que si la Banque de France dispose d'assez de réserves. Et que, sans réserves, rien n'est possible. Il ajoute:
« Si vous l'estimiez utile, je pourrais essayer de rencontrer discrètement Lanhstein pour négocier un prêt swap contre notre maintien dans le SME, et amorcer une réflexion avec lui sur les marges de fluctuation du Système monétaire européen. Dans un premier temps, le calme et la discrétion me paraissent des atouts décisifs. Je crois surtout qu'il vaut mieux précéder l'événement que le subir.
Je manque d'éléments d'information sur la situation exacte de nos réserves et sur les mécanismes techniques, n'ayant voulu alerter personne. »

L'option est claire. Elle n'est pas la mienne, non plus que celle de Jean-Louis Bianco, François-Xavier Stasse, Élisabeth Guigou, Christian Sautter, qui suivent cela à l'Élysée. Elle est cependant celle qui tente le plus le Président: s'affranchir des contraintes et ne pas procéder à une troisième dévaluation, favoriser l'entreprise, réduire les charges. Defferre, Chevènement, Rocard, Jobert, Riboud, Fabius, Bérégovoy, les communistes sont, pour des raisons contradictoires, de cet avis. Cela commence à faire du monde.



Au Comité directeur, la mutation du parti d'opposition en parti de gouvernement s'est manifestée concrètement. Des critiques limitées mais très nettes au gouvernement, qui passent pour un avertissement mais aussi comme la volonté du Parti d'affirmer son identité et sa liberté. Ces critiques se sont exprimées en direction de Pierre Bérégovoy (et le remboursement de l'IVG), Charles Hernu (et les ventes d'armes), Gaston Defferre (et les «bavures policières »), mais aussi à propos du manque de cohérence du discours économique du gouvernement.
Lundi 13 septembre 1982

Le Président Moubarak est reçu à l'Élysée. Il propose de renoncer au projet franco-égyptien : « Je pense gu'il vaut mieux appuyer l'initiative Reagan et encourager dans la mesure du possible les États-Unis à poursuivre le processus de paix. » Pas moyen de continuer sans lui.

Manifestation à Paris de quinze mille patrons des petites et moyennes industries contre le gouvernement.

Bernard Deleplace, secrétaire général de la Fédération autonome des syndicats de police, affirme qu'une partie de la hiérarchie policière organise « le sabotage ».

Pierre Bérégovoy commence à rédiger un projet de discours pour le Président dans l'esprit de la lettre qu'il a envoyée il y a une semaine. Il proposera de réduire les charges des entreprises et, en particulier, leurs dettes, particulièrement lourdes en période de désinflation. A l'Élysée, seuls Salzmann et Boublil travaillent à ce discours. Les « visiteurs du soir » sont de plus en plus nombreux.
Or l'action devient nécessaire. Nos réserves filent, l'accident approche. Jacques Delors m'appelle: « Il n'y a plus qu'un moyen, c'est de faire comme l'Amérique au temps de Carter et d'empiler les réserves pour montrer que nous sommes prêts à tout pour défendre la parité. » Michel Camdessus propose d'emprunter 4 milliards de dollars. L'emprunt est organisé avec les banques et gardé secret jusqu'à mercredi prochain. Jean-Yves Haberer, que je consulte, confirme : « Cela devrait marcher. »
Un expert monétaire, un de ces sages discrets que je consulte de temps à autre, me dit : « Le franc peut et doit gagner s'il sait se faire oublier. » Très jolie formule. Autrement dit, que le gouvernement cesse de parler à tort et à travers de réformes, surtout lorsqu'il ne les fait pas...



Mardi 14 septembre 1982

Le Président, au petit déjeuner avec Mauroy et Jospin: «Nul n'a le droit de s'exprimer sur la monnaie, en privé ou en public, sauf autorisation expresse du Président ou du Premier ministre. » Il réduit cette fois à presque rien le projet de loi sur le statut de Paris.


Shimon Pérès écrit au Président de la République: «Je ne crois pas à l'illusion qui prévaut dans certains partis israéliens, lesquels soutiennent qu'on pourrait faire la paix sans les Arabes. »

Georges Lemoine est à Beyrouth pour assister au départ des dernières troupes françaises. Reçu par Béchir Gemayel au siège des Phalangistes, un bunker fortifié, il note: «Béchir Gemayel m'est apparu à la fois très volontaire et très "léger". Encore chef de bande. Déjà un peu piégé par les Israéliens et les Américains. Son idée essentielle est d'appuyer son pouvoir sur l'armée. Son ambition est de la porter de 15 000 à 150 000 hommes. Il semble prêt à remettre en cause la présence des Palestiniens dans leurs camps du Liban par tous les moyens. »
Il est encore à Beyrouth lorsque l'explosion d'une bombe détruit le siège des Phalangistes et tue Gemayel. Beaucoup d'hypothèses sont avancées, mais aucune certitude.
Panique dans les chancelleries. Une heure plus tard, Shultz téléphone à Begin pour lui intimer l'ordre « de ne pas bouger ».


Mercredi 15 septembre 1982

Shamir a approuvé Shultz. Il n'empêche que, peu après trois heures du matin, le général Yavon, commandant le secteur sud de l'armée israélienne, annonce au commandement de l'armée libanaise la décision de Tsahal «de procéder à l'occupation de l'ensemble de Beyrouth à titre "préventif" ; l'armée libanaise est invitée à rester dans ses casernements ».

Au Conseil des ministres, François Mitterrand dénonce l'attentat: « Il appartient au Liban et à lui seul d'assurer la continuité de ses propres institutions. La France juge indispensable le retour immédiat de l'armée israélienne aux positions qu'elle occupait le 14 septembre dernier, afin que soit engagée aussitôt la négociation sur les conditions d'évacuation de toutes les forces armées étrangères du Liban. » Amère recommandation.


A Rome, Jean-Paul II reçoit Arafat, qui demande aux trois gouvernements de la Force multinationale de renvoyer immédiatement leurs troupes au Liban «pour protéger les camps palestiniens. Il y va de la dignité des trois armées et de l'honneur de leurs pays. Je pose à l'Italie, à la France et aux États-Unis la question suivante: qu'en est-il de l'engagement pris de protéger les habitants de Beyrouth? ».
Tout le problème est là. Pour certains, à Beyrouth, le mot «habitant» ne désigne pas les Palestiniens.

A Moscou, à l'issue d'un dîner en l'honneur d'un visiteur — le Président du Sud-Yémen —, Leonid Brejnev présente, en réponse au « plan Reagan », son plan en six points de règlement du conflit israélo-arabe. Élément nouveau: l'appel à une reconnaissance réciproque d'Israël et des Palestiniens. «La cessation de l'état de guerre (...) signifie que toutes les parties du conflit, y compris Israël et l'État palestinien, doivent s'engager à respecter la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale des autres.» Décidément, depuis un mois, les Russes sont bien modérés...




Jeudi 16 septembre 1982

Giscard lance à la télévision un appel aux «déçus du socialisme »...

Le Premier ministre préside une ultime réunion d'arbitrage sur le statut de Paris. Les observations formulées par le Président ont été portées à sa connaissance ainsi qu'à celle du ministre de l'Intérieur. Les conseils d'arrondissement comprennent les élus du Conseil municipal originaires de l'arrondissement et les élus de l'arrondissement. Ils sont élus au suffrage direct et à la proportionnelle en même temps que le Conseil municipal. Ils sont présidés par un «maire d'arrondissement», obligatoirement conseiller municipal. Le maire est assisté par des adjoints pris au sein du Conseil. Le maire n'a aucun pouvoir de nomination sur les fonctionnaires municipaux, mais le secrétaire général de la mairie d'arrondissement est désigné par le maire de la Commune sur proposition (et donc avec l'accord) du maire d'arrondissement.
Gaston Defferre est en désaccord avec les élus PS de Paris sur les effectifs des conseils d'arrondissement: il souhaite un petit nombre d'élus, en raison de l'effet psychologique sur l'opinion; les seconds veulent davantage d'élus. Le Premier ministre tranche en leur faveur.
Les conseils d'arrondissement reçoivent les recettes des services qu'ils gèrent et une dotation budgétaire accordée par le Conseil municipal, soit en accord avec l'arrondissement, soit en fonction de critères objectifs fixés par la loi. Leurs compétences consultatives sont très larges. Ils doivent être consultés par le Conseil municipal sur tout ce qui concerne l'arrondissement et peuvent faire des propositions au Conseil municipal ou lui sommettre des vœux ou des demandes.
L'exposé des motifs précisera que ce texte est l'un des volets d'une vaste réforme tendant à renforcer la démocratie locale dans les villes de plus de 100 000 habitants, qui sera déposée ultérieurement.
Le texte devrait être définitivement mis au point dans la journée de lundi prochain. Le calendrier parlementaire conduit à envisager de l'inscrire au Conseil des ministres du 29 septembre.


A Washington, « on est extraordinairement déçu et exaspéré au plus haut niveau de l'administration américaine par l'attitude israélienne », dit le sous-secrétaire d'État chargé du Moyen-Orient, M. Velioles, à l'ambassadeur de France.

François Mitterrand envoie Cheysson à Beyrouth. Il est reçu par Élias Sarkis et s'entretient au téléphone avec Wazzan, président du Conseil libanais, toujours bloqué à Beyrouth-Ouest. L'un et l'autre parlent du retour des troupes multinationales, sans vraiment le demander.
Cheysson explique: « L'envoi de cette force était destinée à assurer le départ de Beyrouth de l'OLP dans la dignité et l'honneur. Il ne s'agissait pas d'assurer la sécurité de la population de Beyrouth. La mission de cette force se termine donc avec l'achèvement de l'évacuation de l'OLP, c'est-à-dire jusqu'au 21 ou 23 septembre. Si on avait envisagé — ce qui ne fut pas le cas — de maintenir cette force, trois raisons s'y seraient opposées. Il s'agit d'une force multinationale fondée sur la juxtaposition de contingents de trois pays. Or, dès le début, il était clair que les Américains désiraient partir au plus tôt. Un minimum de troupes, leur peu d'empressement à débarquer: ils avaient annoncé leur intention. Les Italiens les suivaient. Si jamais la France avait décidé de rester, elle n'était plus dans le cadre de la Force multinationale. C'eût été une décision française dans un ancien pays sous mandat français, avec toutes les connotations de relent colonialiste qu'elle impliquait. La France avait toujours subordonné l'envoi d'une force quelconque à la demande des autorités légitimes du Liban. Or vous, par la seule autorité légitime, le Président Sarkis, vous ne nous l'avez jamais demandé. Tous, y compris les passants s'adressant à nos soldats, souhaitaient le maintien du contingent français. Sarkis ne l'a jamais exprimé. Quand bien même la France aurait demandé à rester, rien ne prouve — compte tenu des forces en présence, de la disposition géographique, etc. — que sa présence aurait empêché quoi que ce soit. »
Cheysson quitte la capitale libanaise dans la soirée. A ce moment, l'armée israélienne laisse entrer les miliciens chrétiens d'Amine Gemayel dans les camps palestiniens. Les accords avec Habib l'interdisaient formellement.


Au même instant, lors d'une réunion du Conseil des ministres israélien, le vice-premier ministre, David Lévy, met en garde: «Nous risquerions de ne pas être crédibles au moment où j'apprends que les Phalangistes sont déjà en train de pénétrer dans certain quartier et alors que je sais ce qu'est pour eux la vengeance : le massacre. »
De fait, au crépuscule, les miliciens chrétiens pénètrent dans les camps. Le « poste de commandement le plus avancé » de l'armée israélienne dans le secteur est situé sur le toit d'un immeuble, à deux cents mètres de Sabra et Chatila. Amnon Kapeliouk note: «Pour reprendre l'expression d'un officier israélien, du toit de ces immeubles, on voit "comme au théâtre au premier rang". »
Ariel Sharon affirme que, dans la nuit, des officiers israéliens ont « commencé à soupçonner que quelque chose n'allait pas bien » et que « des rumeurs au sujet de ce qui se passe dans les faubourgs [de Beyrouth] ne cessaient d'arriver ».


Vendredi 17 septembre 1982

Dans la matinée, soit moins de quarante-huit heures après le départ du contingent français, l'armée israélienne investit Beyrouth-Ouest à partir du port, du passage du Musée et de la zone des camps palestiniens. Les Américains exigent le retrait des Israéliens de Beyrouth-Ouest dans les quarante-huit heures. Au Conseil de sécurité, une résolution, adoptée à l'unanimité, condamne cette occupation de Beyrouth-Ouest par Israël.
Quatre obus, tirés depuis la mer, tombent en fin d'après-midi dans le parc de la Chancellerie de France, à proximité immédiate des bâtiments; aucune victime.

La voiture d'un diplomate israélien explose, rue Cardinet, à Paris, devant le lycée Carnot : 51 blessés. Les FARL revendiquent l'attentat.

La coalition SPD-libéraux, qui gouverne en République fédérale d'Allemagne, éclate. Le gouvernement d'Helmut Schmidt tombe. Helmut Kohl va le remplacer.

Le Président s'inquiète de la date du prochain Sommet des Sept qui aura lieu aux États-Unis: « Maintenant que Schmidt est parti, essayez d'obtenir qu'il ait lieu après le 1er juillet. La Communauté sera alors présidée par la Grèce et Papandréou pourra venir. Je ne serai pas le seul socialiste... »

De nouvelles spéculations sur la hausse du mark ne sont pas à exclure. Le Président remarque: «Le franc va souffrir. » Alors que, jusqu'à 15 heures, le marché est calme, la hausse du mark s'accélère. Le déficit de la balance des paiements doit être à tout prix réduit.

La détérioriation de la situation financière des pays en développement non pétroliers ébranle le système bancaire international. Exprimé en pourcentage du déficit de leurs paiements courants, le service de leur dette est passé de 54 % en 1975 à 92 % en 1981 et 114 % en 1982.
La Haute Autorité nomme les présidents de l'audiovisuel public. Comme prévu, ce sont: Michel May à TF1, Pierre Desgraupes pour A2, François Labrusse à la SFP, Jean-Noël Jeanneney à Radio-France et André Holleaux à FR3.



Samedi 18 septembre 1982

D'après une information reçue par notre ambassadeur à Tel Aviv et reprise ce matin par la radio israélienne, les milices chrétiennes ont procédé depuis hier soir à un millier d'arrestations dans les camps de réfugiés du quartier de Sabra. On peut donc s'attendre, pendant ce délai, à une intensification des opérations de police menées par Tsahal en collaboration avec les milices chrétiennes, en vue de débusquer et arrêter les éléments palestino-progressistes encore cachés dans l'agglomération.
Mais les nouvelles sont contradictoires. Selon les Américains, les milices ne se contentaient pas, hier, d'arrêter les Palestiniens: « La situation dans les camps de réfugiés est dramatique. Les forces israéliennes, aidées, semble-t-il, d'éléments des Kataeb et d'unités du commandant Haddad, procèdent à l'élimination sommaire des suspects palestiniens, tandis que des bulldozers rasent les dernières habitations debout. »
L'ambassadeur de France nous envoie ce télégramme de Beyrouth:
« Les combats se sont poursuivis une bonne partie de la nuit, les chars ouvrant la voie à l'infanterie, écrasant tout sur leur passage. Les Israéliens atteignent le secteur de l'ambassade, rue Clemenceau, vers huit heures, se heurtant à cet endroit à la résistance des miliciens de gauche réfugiés dans plusieurs immeubles. Au niveau du Musée, la progression semble plus lente. La radio libanaise annonce que les camps palestiniens de Sabra et de Chatila ont été investis dans le courant de la nuit. Partout sur son passage, l'armée israélienne s'applique à éliminer brutalement toute forme de résistance. Les chars tirent à coups de canon sur les immeubles abritant miliciens et francs-tireurs. Les destructions sont considérables, de nombreuses artères de la capitale sont dévastées; à l'heure qu'il est, les combats se poursuivent. En ce qui concerne la Résidence des Pins, j'ai pu moi-même constater qu'une dizaine d'obus avaient atterri dans le parc ; le portail d'entrée et le mur d'enceinte, récemment restaurés, ont à nouveau été détruits. »
Des milliers de morts. Abominable.


François Mitterrand pense alors que les Israéliens sont les auteurs du massacre. Il déclare: « Les nouvelles qui me parviennent de Beyrouth provoquent une réaction d'horreur. Ceux qui portent la responsabilité de tels excès trahissent la cause qu'ils croient servir. La Communauté internationale doit se dresser contre de tels massacres et arrêter les mesures nécessaires pour les prévenir.»
On apprendra plus tard que les gardes israéliens postés à l'entrée des camps ont laissé pénétrer les Phalangistes.



Dimanche 19 septembre 1982

« Le mal est fait, il ne fallait pas partir de Beyrouth.» François Mitterrand décide immédiatement le retour de nos troupes. Shultz informe Cheysson du retour des marines américains. Les Italiens acquiescent. Les trois ministres se mettent d'accord pour annoncer ensemble leur décision dès demain.
Ces quelques jours d'absence des Occidentaux ont coûté de 2 000 à 3 000 vies.
Pour le Président, il s'agit cette fois de protéger Beyrouth, et non pas tout le Liban.




Lundi 20 septembre 1982

Claude Cheysson, Michel Rocard et Catherine Lalumière s'inquiètent du projet de réforme de l'ENA. Ils pensent que Le Pors en est l'instigateur. Quand je leur annonce que, derrière ce projet, il y a François Mitterrand, ils ne renoncent pas: ils feront tout pour que la réforme soit enterrée.

Le franc va mieux. Le cours est revenu en deçà du pivot. Les «visiteurs» se manifestent encore. L'un d'eux, un expert discret dont le nom ne paraîtra jamais nulle part, m'écrit:
« La crise aiguë du franc est passée. Notre monnaie dispose d'un répit opportun, mais coûteux. N'est-ce pas le moment de mettre en place les mesures propres à prévenir la répétition des troubles que nous venons de traverser (...), telles les possibilités de "déconnexion" de l'Eurofranc ? »

Surréaliste diplomatie américaine ! Alors que la tragédie se joue au Liban et que, d'un moment à l'autre, les deux Présidents, français et américain, vont annoncer à la télévision le retour de leurs troupes dans des termes identiques, Ronald Reagan écrit à François Mitterrand pour demander... l'annulation du contrat Thomson-CSF de vente de centraux MT 20 à l'URSS:
« Vous vous souvenez qu'au cours de votre visite à Washington, en mars dernier, nous avions évoqué la vente prévue par une firme française, Thomson-CSF, d'un commutateur téléphonique digital à l'Union soviétique. J'ai beaucoup apprécié la décision que vous m'aviez alors communiquée de modifier l'accord afin de tenir compte d'une certaine inquiétude des États-Unis concernant la défense.
Ces jours derniers, on a attiré mon attention sur une préoccupation majeure de nature différente, résultant de ce transfert proposé, concernant les renseignements. Ce danger est si sérieux que j'estime nécessaire de le porter à votre connaissance de la façon la plus urgente. Nous avons été négligents, je le reconnais, de ne pas avoir porté plus tôt cette affaire à votre attention. Malheureusement, comme je l'ai souligné, c'est seulement au cours de ces derniers jours que mes principaux conseillers et moi-même avons eu connaissance des implications de ce transfert pour nos capacités de renseignements. »
Il demande au Président de recevoir l'ambassadeur itinérant, Vernon Walters, la semaine prochaine. Nous savons très bien ce que celui-ci veut nous dire de si secret: la technologie du MT 20 rend plus difficile les écoutes téléphoniques; la chose est étalée dans tous les journaux.
François Mitterrand est irrité : il y aurait vraiment d'autres sujets de discussion, en ce moment, avec les Américains: « Qu'il voie Cheysson ! »

Comme convenu, à 23 heures (heure de Paris), Reagan, Spadolini et Mitterrand annoncent le retour à Beyrouth des forces américaine, italienne et française: «A la demande du gouvernement libanais, et pour répondre aux appels venus de toutes parts, notamment du monde arabe, la France, les États-Unis et l'Italie participeront à la formation d'une nouvelle force multinationale qui aura pour charge de contribuer au retour à la sécurité et au respect du droit des gens (...). Les soldats français qui assureront cette mission se trouveront une fois de plus côte à côte avec des soldats américains et italiens. Nos premiers contingents seront prêts à prendre leurs responsabilités au Liban même dans les trois jours qui viennent. »



Mardi 21 septembre 1982

Le répit monétaire aura été de courte durée. Le franc est de nouveau attaqué: Michel Jobert vient d'annoncer qu'il prévoyait 100 milliards de déficit extérieur pour 1982. Delors proteste: «C'est du sabotage que de dire ça ! Jusqu'ici, il ne servait à rien. Maintenant, il nuit! »
Michel Jobert souhaite réunir tous les mois les ministres concernés par le commerce extérieur — Jacques Delors, Laurent Fabius et Jean-Pierre Chevènement — pour décider discrètement de mesures de protectionnisme. Aucun d'entre eux n'entend y aller. Le Premier ministre suggère qu'un comité de hauts fonctionnaires placé auprès de lui s'en occupe, de manière plus efficace et plus discrète. François Mitterrand: «Non. C'est Jobert qui est en charge: le cabinet ministériel, cela n'existe pas ! » Attitude constante qu'il renouvelle en chaque occasion.

Conseil restreint, comme chaque mardi. Cette fois, sur les grands équipements. Étrange, de parler de relance en pleine crise de change ! C'est l'agenda qui veut cela. Delors expose que la croissance pour 1983 sera de 2 %. C'est déjà trop. Il refuse une nouvelle tranche de grands travaux. François Mitterrand aurait pu, ce jour-là, accepter sa démission — s'il l'avait alors proposée.

Le frère aîné de Béchir Gemayel, Amine, est élu à sa succession, au premier tour de scrutin, par 77 voix et 3 bulletins blancs. Il entrera en fonctions après-demain.

François Mitterrand rumine : «Sommes-nous responsables? Si nous avions été à Beyrouth pendant les massacres, cela aurait été pire, car nous n'aurions pu sortir de notre zone pour les empêcher, et on nous aurait considérés comme responsables ! » Il approuve l'idée d'une commission d'enquête internationale, persuadé que le massacre est le fait de soldats israéliens. «Avec Begin, on ne pourra rien faire. Il veut le Grand Israël. Je le comprends, mais aucune paix n'est possible sur ces bases. » Quand Cheysson lui fait remarquer que « la France n'a rien dit jusqu'ici sur la responsabilité et la culpabilité dans cette affaire », il répond: « Il n'y a pas urgence. » Et quand Cheysson suggère que le porte-parole du Quai d'Orsay s'exprime à ce propos, le Président répond: «Non, je n'ai pas confiance dans ce que dit ce porte-parole...»

André Rousselet envoie deux de ses collaborateurs enquêter sur les chaînes cryptées existant aux États-Unis.
Mercredi 22 septembre 1982

Les premiers éléments du détachement français — 350 hommes — reviennent dans le port de Beyrouth. Charles Hernu et le général Saulnier sont avec eux.

Au Conseil des ministres, François Mitterrand, expliquant le retour des soldats français, prévient: « Il pourra y avoir au Liban des soldats français tués. »


Vendredi 24 septembre 1982

Pierre Joxe, au nom des députés socialistes, et Charles Salzmann, au nom des sondages, demandent instamment au Président de renvoyer Pierre Mauroy.

Le Président suit les indices d'inflation au millimètre. Je reçois maintenant chaque semaine le directeur général des Prix, Jouven, qui accomplit un magnifique travail. Il faut être en-dessous de 10 % par an. Chaque dixième compte!
Hubert Védrine note:
« Sur notre force et notre présence au Liban, il est impératif de : ne pas être pris dans des engrenages, c'est le sens des instructions du Président; ne pas risquer d'être placé à découvert par un nouveau retrait américain prématuré.
Il faut prévoir dès maintenant les conditions du retrait de notre force pour éviter la situation de la mi-septembre. Un programme assez "spectaculaire" d'aide au Liban, en accord avec le Président Gemayel, et incluant un volet d'aide à l'armée libanaise, serait annoncé avant ou au moment même du retrait de notre contingent. »
Guy Lux fait le point sur le résultat de ses démarches après son déjeuner avec le Président, il y a quelques semaines : « Côté TF1, et comme l'avait prévu le Président, un silence total, presque "méprisant", s'est installé. L'annonce des futurs programmes, même ceux de janvier, ne fait en rien allusion à l'émission qui devait m'être confiée. Est-ce bien utile de nourrir actuellement la mauvaise humeur du public par la seule faute de quelques directeurs qui semblent avoir oublié, volontairement ou non, ce qu'ils avaient formellement promis? Que dois-je répondre à la presse? Côté FR3, les choses sont plus favorables. A plusieurs reprises, les proches collaborateurs de Serge Moati m'ont rencontré pour envisager la mise en place d'une émission qui serait programmée le samedi soir à partir de janvier. »



Samedi 25 septembre 1982

Étrange connivence! Les Russes tardent à signer le contrat MT 20: comme s'ils avaient passé un accord avec les Américains... Deux possibilités: soit faire un geste à l'égard de l'URSS, ce que Michel Jobert suggère dans une lettre au chef de l'État (« accepter que la dix-septième session mixte permanente franco-soviétique se tienne à Moscou, alors que la règle de l'alternance voudrait qu'elle ait lieu à Paris»), soit se montrer ferme. Le Président choisit la seconde option.

Robert Hersant est l'invité de « Droit de Réponse », sur TF1 : comme un lapin convié à un dîner de chasseurs. Mais il s'en sort sans la moindre égratignure.
Lundi 27 septembre 1982

Inutile frayeur: les Russes acceptent l'annulation du premier contrat et signent. Ils achètent des centraux, sans communication des procédés de pointe.

A Figeac, place Vival, François Mitterrand improvise un discours à partir de deux fiches préparées par Pierre Bérégovoy, Alain Boublil et Charles Salzmann. Discours très important, reflet de ses conversations avec les « visiteurs du soir »:
« Il y avait deux sortes de moratoires pour les entreprises en péril, surendettées: l'inflation ou la faillite. Et moi, je ne veux pas choisir entre la faillite et l'inflation! Ma préoccupation est que l'esprit d'initiative des entreprises puisse échapper aux trois menaces du moment: l'alourdissement de leurs charges, la lourdeur des taux d'intérêt et la surcharge de leur endettement financier. C'est dans ces trois directions que je demande au gouvernement d'agir pour, dans le courant de 1983, écarter ces trois menaces.
J'ai donné l'ordre que soient lancés de grands travaux pour soutenir les Travaux publics et le Bâtiment: 4 milliards tout de suite, dont la moitié pour les économies d'énergie ; 4 milliards à la fin du premier trimestre 1983, dont la moitié encore pour les économies d'énergie. Si cela avait été fait, nous n'aurions pas à le faire...
Il a fallu naturellement serrer la vis, il a fallu veiller à tout, il a fallu rogner sur des dépenses parfois bien nécessaires, mais j'ai demandé qu'en dépit de cette orientation, quatre budgets soient accrus : le budget de la Recherche, le budget de la Culture, le budget de l'Éducation nationale et le budget de l'Industrie, c'est-à-dire — et ce n'est pas un pari, c'est une volonté —, c'est-à-dire que la volonté de la France, celle que j'exprime en son nom, est de prendre position sur la capacité de créer, de transformer, d'inventer sous toutes les formes.
(...) Ah, cette diversité, ce pluralisme, comme j'y tiens! Le pluralisme des pensées, des philosophes, le pluralisme spirituel, celui des idéologies, le moyen, des philosophies, le pluralisme spirituel, celui des idéologies, le moyen de les exprimer... Ah, comme je veux que la France reste en ses profondeurs aussi diverse et colorée — contraire, mais non pas contradictoire! Ah, comme j'aime ceux qui me contestent dès lors que je trouve avec eux le langage commun de ceux qui veulent servir la France et qui l'aiment! Rien ne se refait, rien n'a jamais été fait, rien ne sera fait sous mon autorité qui puisse en quoi que ce soit altérer cette diversité! »
Le moratoire qu'annonce ce discours est à peu près inapplicable, sauf si le Président a l'intention de laisser flotter le franc. Le veut-il vraiment?




Mercredi 29 septembre 1982

Au Conseil des ministres, on décide de mesures permettant d'équilibrer les comptes de la Sécurité sociale en 1983 : une contribution de solidarité est demandée aux fonctionnaires pour financer l'indemnisation du chômage. Delors y tient. Fiterman s'y oppose, parlant au nom des ministres communistes, comme il le fait parfois.
On adopte le projet de loi sur Paris, ou ce qu'il en reste.
Pendant le Conseil, le Président relit et annote le discours que Mauroy doit prononcer à l'ONU demain.

Les soldats israéliens évacuent enfin Beyrouth. Sharon n'a plus le contrôle de la situation. Mais le mal est fait.
A La Sapinière, au Canada, où commence demain la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN, un dîner réunit, comme d'habitude, les ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de France, de Grande-Bretagne et de République fédérale d'Allemagne. Le secrétaire d'État George Shultz rend compte de sa récente rencontre avec Gromyko: « L'état général des relations américano-soviétiques s'est détérioré, mais l'Union soviétique ne change rien à sa politique. Le problème n'est pas que Reagan n'aime pas le socialisme, mais que l'Union soviétique a un type de comportement de moins en moins acceptable: surarmement, SS 20, Afghanistan, Pologne, Cambodge, violations de l'Acte d'Helsinki, usage d'armes chimiques. Nous sommes prêts à défendre nos intérêts, mais nous préférons des relations constructives fondées sur un comportement raisonnable. Sur la question: "Qu'est-ce qui intéresse les Russes? ", les droits de l'homme les laissent complètement indifférents. J'ai pourtant lu quelques passages des accords d'Helsinki (...). Ce qui les intéresse vraiment, ce sont les négociations de limitation des armements: quatre minutes sur les droits de l'homme, une heure sur l'arms control. Ils doivent penser que s'ils peuvent arrêter les déploiements en Europe et affecter nos programmes militaires, ils seront dans une position très puissante. S'ils n'y parviennent pas, ils seront prêts à négocier : ce sont de vrais professionnels. Sur l'Afghanistan, apparemment, rien de nouveau. On n'a pas parlé de l'Afrique du Sud. Il a écarté toute discussion sur la Pologne. Il faut que nous restions fermes. S'ils obtiennent quelque chose, ils doivent le payer. Une relation constructive suppose un modèle de comportement. Nous, nous avons l'Alliance, qui n'est pas si mal. Réduire les armements est de l'intérêt mutuel: il faut que les Soviétiques en paient le prix... »



Jeudi 30 septembre 1982

Pierre Bérégovoy prévient le Président que les députés socialistes veulent absolument voter le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. Mauroy aussi y tient beaucoup. Le Président est hostile. Il demande que l'on ne fasse rien avant les élections municipales.

Journée nationale de protestation des professions libérales et des professions de santé: 50 000 personnes à Paris.

Déjeuner avec le Président pour étudier les conditions de la sortie du blocage. On doit s'assurer que les instructions et les normes élaborées par le Premier ministre en matière de salaires seront correctement appliquées dans le secteur public et dans la fonction publique. Matignon s'engage à bloquer les rémunérations supérieures à 25 000 francs. Un projet de loi doit être déposé dans un délai assez bref. Enfin, un échéancier précis des hausses de tarifs publics doit être proposé, et des priorités doivent être fixées (EDF, GDF, SNCF) en fonction des contraintes financières pesant sur ces entreprises. Une nouvelle enveloppe du Fonds spécial de grands travaux doit être prévue dès le début de l'année prochaine pour entamer la deuxième phase des grands projets d'investissement, tels le câblage d'une ville et le TGV Paris-Francfort.

Nouvelle réunion des «visiteurs du soir » avec François Mitterrand. Laurent Fabius parle aujourd'hui en leur nom. Comme le Président l'a dit à Figeac, ils proposent de réduire les charges des entreprises et, pour cela, de baisser les taux d'intérêt, donc de laisser flotter le franc. Mais comment? Il faut entrer dans les détails.
Jean Riboud propose: « Au lieu de doter les entreprises publiques de nouveaux fonds propres au niveau réclamé par elles, avec tous les inconvénients que cette dotation entraîne d'un point de vue budgétaire, on pourrait leur consentir des prêts à long terme (cinq à dix ans) à intérêt nul, que les entreprises auraient le droit de classer dans la rubrique "Fonds propres". »
Mais qui consentirait ces prêts? Quelles banques?
Réponse de Jean Riboud : « La Banque de France fait une avance gratuite au Trésor de 35 milliards. Le Trésor accorde des prêts aux entreprises très endettées à la même hauteur, sans intérêts et sur cinq ans, sous réserve d'un engagement de modération de prix. Les entreprises concernées remboursent aux banques les 35 milliards: les crédits consentis par le Trésor se substituent à ceux des banques.
De plus, s'agissant du secteur privé, l'État, ayant au préalable fait son devoir pour ses entreprises, pourrait plus facilement demander aux actionnaires privés de faire le leur.
A titre illustratif et afin de mieux faire saisir l'importance de ce dont nous parlons, on peut estimer à 6 milliards de francs l'endettement de la CII/HB et à 8 milliards celui du groupe Thomson. Au total, celui de la filière électronique serait de l'ordre de 20 milliards. »
Le grand tournant idéologique est pris: on ne parle plus que d'allégement des charges des entreprises, de moratoire, de baisse des taux d'intérêt. Quelques grands patrons de gauche ont fixé la direction. Reste à la suivre. Mais personne ne sait vraiment encore comment.
Il est convenu que Bérégovoy réunira les « visiteurs du soir » jeudi prochain à son ministère, et le mardi suivant à l'Élysée, autour du Président, à son retour d'Afrique, pour élaborer une série de propositions concrètes pour le 15 octobre.

A la tribune de l'ONU, Pierre Mauroy dénonce « l'aveuglement des deux grandes puissances» et «la montée des égoïsmes nationaux ». Les Américains n'apprécient pas.

Incroyable impolitesse : sans aucun préavis, le Président des États-Unis informe ses partenaires de son intention d'annoncer aujourd'hui même que le prochain Sommet des pays industrialisés se tiendra du 10 au 12 juin à Williamsburg. Je fais savoir à l'ambassadeur des États-Unis que les dates proposées paraissent bien difficiles, compte tenu de l'emploi du temps du Président: «Le mois de juillet serait préférable. » J'obtiens de Clark qu'on retarde l'annonce.

Comme il le fait après chaque mission, Jean-Pierre Chevènement, de retour des États-Unis, rend compte de son voyage au Président: «Il est aisé de constater que, du point de vue des "reaganiens", notre échec ne peut qu'être non seulement attendu, mais inconsciemment désiré, car notre réussite signifierait qu'eux-mêmes sont dans l'erreur. Si M. Verniez-Pallez fait un bon travail de relations publiques, bien souvent nos pires ambassadeurs sont nos propres compatriotes. La maison de couture Saint-Laurent n'a pas trouvé de meilleur slogan que "Vive the poor french franc !" Bien des Français résidant aux États-Unis, hostiles au nouveau cours de la politique française, jouent le rôle d'une médiation négative. »

Helmut Kohl, président de la CDU, succède à Helmut Schmidt comme Chancelier de la RFA. Est-ce la fin de la fermeté face aux Soviétiques? Le Président s'inquiète. Genscher fait savoir à Cheysson que la politique étrangère allemande ne sera pas modifiée: il en conservera la charge.


Vendredi 1er octobre 1982


Réunion tous les jours à l'Élysée entre Élisabeth Guigou, Christian Sautter, François-Xavier Stasse, Jean-Louis Bianco et moi-même. Les notes se multiplient: comment réduire les importations sans sortir du SME? Comment dévaluer sans aggraver le chômage? Comment convaincre que le flottement de la monnaie nous fera entrer dans un cercle vicieux?



Samedi 2 octobre 1982


Les ministres des Affaires étrangères de l'OTAN sont réunis à l'hôtel de La Sapinière, au Canada. Avant que le conclave ne commence, Shultz invite Cheysson à un petit déjeuner. Il lui montre un document informel, un « non-paper» sur le commerce Est/Ouest, qui commence par : «Nos gouvernements reconnaissent la nécessité de conduire leurs relations avec l'URSS sur la base d'une politique globale destinée à servir nos propres intérêts fondamentaux de sécurité... » Puis le document souligne « la volonté américaine de concertation sur les domaines suivants: produits stratégiques et technologiques de caractère militaire (COCOM) ; technologie avancée, défense stratégique, y compris les équipements pour le pétrole et le gaz ; produits agricoles, politique de crédits ; énergie. » Et, à l'avant-dernière page, cette ultime précision : « Pendant la période de l'étude sur l'énergie, les gouvernements alliés ne signeront aucun nouvel achat de gaz naturel avec l'URSS. » Par ce document, les Européens prendraient des engagements en matière de transferts de technologie stratégique, de crédits et d'énergie, plus contraignants que ceux qu'ils ont refusés à Versailles.
Pourtant, Cheysson approuve l'esprit du « papier » et remarque: « Les contraintes que nous accepterons sur nos échanges avec l'URSS ne peuvent être liées qu'au renforcement du potentiel militaire soviétique », et il ajoute : « Il n'est pas question de le corriger, car c'est un texte qui doit rester américain.» Les deux ministres descendent, en retard. A la réunion à quatre qui suit, Shultz lit le « non-paper » aux deux ministres allemand et anglais. Selon un témoin — l'ambassadeur de Grande-Bretagne au Canada —, « on a eu le sentiment que M. Shultz et M. Cheysson étaient parfaitement d'accord à La Sapinière lorsque le Secrétaire d'État a donné la teneur d'un non-paper sur l'approche globale Est/Ouest ». Les Anglais, du moment que la France n'y voit pas d'obstacle, sont d'accord.
Par une lettre manuscrite, Claude Cheysson rend compte immédiatement de cette conversation au Président: « Je joins à cette lettre la lettre personnelle dont Shultz s'est servi pour résumer les conclusions auxquelles il aimerait aboutir [le "non-paper"]. Je lui ai dit votre intérêt pour cette orientation, qui comporte enfin la recherche d'une cohérence entre les économies individuelles de nos États et une politique d'ensemble de l'Alliance, qui entraîne aussi la nécessité de la consultation entre alliés avant que ne soient prises des décisions unilatérales affectant les intérêts des autres. Le texte est actuellement étudié par les services compétents. Bien qu'il n'ait aucune existence, j'ai déjà émis quelques réserves. »
Sur la première page du « non-paper » annexé, le Président note simplement: « Pas question. »
François Mitterrand me dit: «Mais il continue! C'est fou, cette histoire! Dites-le-lui! Je ne veux pas d'un organisme nouveau qui gérerait nos relations commerciales avec l'URSS. L'Europe disparaîtrait.»
J'en parle avec Cheysson, qui insiste: «Je crois que nous avons raison d'accepter la concertation. Nous serions lâchés par nos partenaires si nous refusions. L'embargo est spécialement grave pour la Grande-Bretagne et la RFA ; les Italiens s'en moquent, car, de toute façon, ils sont bien décidés à détourner tous les interdits (...). Un tel texte ne nous lie pas, parce que c'est une déclaration unilatérale des Américains. »
Je suis sceptique. Comment les Américains pourraient-ils annoncer unilatéralement le résultat d'une discussion multilatérale!


Pour sa première visite à l'étranger sitôt après avoir formé son gouvernement, le Chancelier Kohl est à Paris. Genscher l'accompagne. Beaucoup décrivent le nouveau Chancelier comme un homme lourd et rudimentaire. Je le trouve cultivé, direct, passionné par l'Europe et grand admirateur de la France. Il voit loin en avant — l'unité de l'Allemagne — et en arrière — l'héritage d'Adenauer. «Ne vous y trompez pas, dit-il à François Mitterrand qu'il voit pour la première fois, je suis le dernier Chancelier allemand pro-européen. Vous êtes un homme d'histoire et de littérature, moi aussi; et je crois que, dans l'Histoire, il y a plusieurs périodes. Si je ne me trompe, il semble que les années à venir seront des années où des décisions majeures devront être prises; surtout dans le domaine de la politique étrangère et de la sécurité. J'espère que les négociations de Genève accéléreront le désarmement, car si, cet automne, il n'y a pas eu de résultats, nous sommes absolument décidés à installer les fusées Pershing, quelle que soit la résistance que nous rencontrerons. Nous connaissons la valeur de la paix, je l'ai dit à Brejnev quand je l'ai vu, à l'automne dernier. Je veux vous dire quelque chose: mon grand-père avait un fils qui est mort à la guerre de 1914. Son autre fils, mon père, a nommé son fils aîné comme lui, et ce garçon, mon frère aîné, donc, est mort à la guerre de 1939-1945. Mon fils porte le même nom que ce frère et commence aujourd'hui son service militaire: il sait très bien, lui aussi, ce que c'est que la paix. Mais nous savons aussi ce que c'est que la liberté. Et nous voulons relever le défi qui consiste à préserver à la fois la liberté et la paix. En tant que député de l'opposition, je dois dire que j'étais étonné de voir que le gouvernement ne s'inquiétait pas plus du stationnement des SS 20 à l'Est. J'espère que les États-Unis négocieront sérieusement à Genève. Mais si l'URSS ne met aucun contenu dans ses concessions, comme elle le fait souvent, je ne vois pas comment nous éviterons d'installer les fusées Pershing l'an prochain. Bien sûr, il ne faut pas non plus que les États-Unis ne fassent que semblant de négocier, pour pouvoir installer leurs fusées envers et contre tout. Nous devons être extrêmement attentifs. L'équipe au pouvoir aux États-Unis en ce moment ne connaît pas l'Europe, sauf peut-être Shultz. Ils ne comprennent pas que l'Allemagne est assise sur une poudrière, et que cela inquiète la population allemande. »
Tout est dit: l'angoisse, la détermination, la solitude, le sentiment, mille fois répété plus tard, que le pire est devant nous. Le même souci que Helmut Schmidt, mais exprimé avec beaucoup plus de sincérité, d'humanité et de volonté. François Mitterrand sera profondément marqué par cette première rencontre. Face à lui, le Chancelier allemand n'est plus un homme sceptique et résigné. Un vaste chantier s'ouvre. Il est décidé qu'au prochain Sommet franco-allemand, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense tiendront une session commune.
Mardi 5 octobre 1982

Au petit déjeuner hebdomadaire avec le Premier ministre, Lionel Jospin proteste contre le fait que le projet de loi d'amnistie concerne aussi les généraux putschistes d'Alger. François Mitterrand: «Ne soyez pas naïfs ! Ces généraux en ont fait beaucoup moins que Michel Debré. » L'après-midi, Raymond Courrière présente le texte au groupe socialiste. Lionel Jospin prend contre son gré, à la demande du Président, la défense du projet, déplorant seulement que le Parti n'ait pas été consulté. La plupart des députés sont hostiles et veulent modifier au moins l'exposé des motifs, jugé trop indulgent à l'égard de l'OAS et des officiers factieux. Ils demandent que Raymond Courrière s'en tienne devant le Parlement à une présentation aussi dépouillée et laconique que possible. Ce texte ne doit pas avoir valeur de «pardon », mais de réconciliation nationale. Il s'agit de tourner une page de notre Histoire, pas de la récrire. «Les engagements du Président de la République doivent certes être tenus; mais il y en a d'autres dont la réalisation est au moins aussi urgente... »

Investiture en Bolivie de Hermán Siles Suazo, Président démocratiquement élu de l'Union démocratique populaire. Klaus Barbie est peut-être de nouveau accessible. Régis Debray continue de négocier avec le ministre de l'Intérieur bolivien, son ami Gustavo Sanchez; Klarsfeld a une idée: les Boliviens livreraient Barbie à Cayenne où nous en prendrions livraison.


Mercredi 6 octobre 1982


Le Conseil des ministres approuve le document d'orientation du IXe Plan. Savary rend publiques les principales orientations de son projet de loi sur l'enseignement supérieur.

Robert Armstrong vient à Paris me parler du « chèque » britannique: «Il est impossible, démontre-t-il, d'augmenter la part de la RFA sans remettre en cause formellement l'accord du 22 mai. » Il a raison. Genscher s'est personnellement porté garant de cet accord. Et il est toujours là. Impossible de revenir sur la parole donnée par Cheysson, quoi qu'il dise. Nous financerons donc 39 % du remboursement, et la RFA 17 %.
Mises à part les devises qu'il faudra sortir — et nous en avons peu ! —, cette concession donne à nos partenaires l'image d'une France faible, avide de compromis. Très ennuyeux.

On peut espérer maintenant que la hausse des prix restera voisine de 8 à 9 % en 1982, et sera de 8 % en 1983 (sans mouvements sociaux). Deux premiers accords sont signés, l'un dans les laboratoires de prothèses dentaires, l'autre dans les jeux et jouets; ils sont excellents. Deux conflits importants lancés à l'initiative de la CGT retiennent particulièrement l'attention: Citroën et Job Bastos.
Pourtant, depuis ce matin, le franc est attaqué. Compte tenu de la guerre du Liban, des Falkland et des grondements soviétiques, nul ne peut prédire jusqu'où va monter le dollar. Il peut aller lundi jusqu'à 7 francs. Le cynisme de Washington est total: le Trésor américain dit maintenant que les taux d'intérêt resteront durablement élevés, car leur déficit budgétaire est incontrôlable. Et cela pousse le dollar à la hausse.
S'il faut lâcher le système monétaire et « flotter » dans les jours qui viennent, il faut surtout éviter de le faire alors que le Président se trouverait déjà à l'étranger.
François Mitterrand demande donc qu'on étudie les possibilités de flottement du franc pour ce soir, avant son départ pour l'Afrique, en attendant que les désordres du dollar se calment.
Pourquoi cette précipitation? Est-on prêt, dès ce soir, à opérer une ponction importante sur le pouvoir d'achat? à réduire le déficit budgétaire? à viser une réduction à 5 % du rythme annuel de hausse des prix et des revenus? à équilibrer la Sécurité sociale et l'UNEDIC? à bloquer les prix et les revenus pour deux mois de plus, en attendant le résultat d'une grande négociation sociale?
Le choix entre dévaluation et flottement dépend de la confiance dans les capacités du gouvernement à appliquer une politique de rigueur. A défaut, l'effet bénéfique d'une nouvelle dévaluation serait mangé avant les municipales, et un flottement serait un désastre.


Nouveau Conseil de Défense. Pour la première fois, l'armement chimique est abordé; le Président demande que l'on continue à développer nos connaissances sur la technologie des produits binaires, sans décider la fabrication d'un armement chimique avec des stocks importants. La France respecte ainsi le protocole de Genève dont elle est dépositaire.

François Mitterrand part dans la soirée pour sa deuxième tournée africaine: Burundi, Rwanda, Zaïre, Congo.


Jeudi 7 octobre 1982


Dans la Communauté comme aux États-Unis, le chômage, pour la première fois depuis quarante ans, franchit la barre des 10 %.

A l'atterrissage au Burundi, je raconte au Président, devant Cheysson, la plaisanterie qui courait sur le ministre des Relations extérieures, à Bruxelles, lorsqu'il était Commissaire européen: «Quelle est la différence entre Dieu et Claude Cheysson ? A priori aucune, car tous deux savent tout. Mais il y en a une: l'un est partout, et l'autre est partout... sauf à Bruxelles ! » Claude Cheysson éclate de rire. Je lui dis: « Ici, au moins, c'est la première fois que tu viens. » Il réfléchit gravement : « Non, c'est la trente-quatrième. »


Vendredi 8 octobre 1982


A Kinshasa, ville de cauchemar, de misère et de corruption, je découvre la tradition qui nous conduit à recevoir dans notre chambre le grand cordon d'un Ordre national. En échange, nos hôtes reçoivent des Légions d'honneur au mètre.

Avant que ne s'ouvre le Sommet franco-africain, petit déjeuner avec le Président du Zaïre. Jean-Pierre Cot donne une leçon sur les droits de l'homme à un Mobutu ahuri devant tant d'audace.
Hissène Habré est là: cela vaut reconnaissance de fait. Le Président, s'adressant à lui: « Avant le 10 mai 1981, la France vous livrait des armes. Je vous ai coupé les vivres. Vous savez par conséquent que je ne soutiens pas les rebelles! »
On dénombre trente-sept délégations, alignées dans un grand Palais des Congrès financé par les Chinois, construit par les Belges, entretenu par les Français, à côté d'une gigantesque tour de télévision au financement aussi éclectique, le tout dans une ville sans eau courante ni tout-à-l'égout. Symbole du désastre des rapports entre l'Europe et l'Afrique où les dictatures sont soutenues sous prétexte d'une hypothétique menace rouge.

Dîner avec les journalistes à l'ambassade de France, qui donne sur le fleuve. François Mitterrand critique les sommets des Sept: «Cela ne sert à rien, et je ne sais pas si j'irai au prochain. »
Longue conversation avec le Président: « Tout sera très difficile pendant deux ans, mais la crise ne peut durer toujours. Mon vrai projet, c'est de construire l'unité de l'Europe pour qu'elle ait le courage et les moyens d'aider le Sud, en particulier l'Afrique. Il est presque inquiétant de voir la somme d'espérances qui repose sur notre pays. On peut se demander si celui-ci est capable de la satisfaire. C'est une situation que même de Gaulle a rarement rencontrée dans ses rapports avec l'Afrique, qui ont varié suivant les périodes. Le discours de Brazzaville n'a pas eu du tout la signification qu'on lui donne aujourd'hui: on y trouve une condamnation du self-government. Et, pendant quelques années, de Gaulle a brisé les chances d'une évolution en Afrique. Mais, quand il a constaté ses erreurs, et comme c'était un grand stratège, il en a tiré les conséquences.
Aujourd'hui, les Africains savent que la France n'est ni colonialiste, ni impérialiste. Ils savent très bien que partout où les Américains ou les Russes apparaissent, l'autre arrive aussitôt. On le constate du côté de l'Angola, on le constate du côté de l'Éthiopie, et même du côté de la Libye. La France apparaît comme moins dangereuse que les autres. En plus, il y a toute une histoire, des affinités. Ce fut une puissance colonisatrice, mais elle a été humaine, elle a formé des hommes.
Au Zaïre, la situation est dramatique. Toutes les machines sont grippées. Tout est concussion. Nous avons affaire à un personnel politique fragile et à des États qu'un rien peut faire basculer. Il faudra constamment retisser la toile, mais la France représente quelque chose de grand pour tout ce continent... »

La Diète polonaise dissout le syndicat Solidarité. «Jaruzelski, pense François Mitterrand, va être débordé. »



Samedi 9 octobre 1982


Attentat contre une synagogue à Rome: un mort, 36 blessés.

Par note, Pierre Bérégovoy revient à la charge pour que le remboursement de l'IVG soit décidé toute de suite. Pierre Mauroy l'appuie, évidemment. François Mitterrand ne veut toujours pas d'une banalisation de l'acte médical. Il rechigne.

Claude Cheysson est à Dar-es-Salaam. Il retrouve le problème angolais, qui le passionne, et déclare: « Les Angolais n'ont jamais caché le fait qu'ils espèrent un jour se trouver dans une situation où ils n'auront plus besoin de troupes étrangères. Nous ne voyons donc aucune justification à une demande précise adressée au gouvernement angolais. Nous savons que les Américains n'ont pas la même opinion et qu'ils ont entamé une sorte de négociation avec les Angolais. C'est là leur affaire. Comme je l'ai dit, tout est prêt et personne ne peut soulever un prétexte, s'agissant de la préparation de l'application de la Résolution 435. Si un pays étranger prend la responsabilité de bloquer l'application de cette décision internationale alors que tout est prêt, ce pays doit en porter seul la pleine responsabilité. Nous verrons bien. J'espère qu'aucun pays ne souhaitera agir ainsi. »
Les Américains sont furieux. Et d'abord Bill Clark, le nouveau conseiller pour la sécurité. Il a commencé sa brève carrière diplomatique, il y a un an, en s'occupant de ce dossier sans même savoir localiser le pays sur la carte.


Dimanche 10 octobre 1982


Reagan écrit à François Mitterrand pour demander à la France de s'opposer, comme les États-Unis l'ont fait, à la ratification du Traité de la Mer, qui vient d'être signé. Conformément à une technique désormais classique, il prie tous les dirigeants européens de recevoir un même envoyé. Cette fois, c'est le brillant Don Rumsfeld, qui fut ambassadeur à l'OTAN à quarante ans et secrétaire à la Défense de Gerald Ford trois ans plus tard.
« Les stipulations qui concernent la recherche minière au fond des mers, telles que prévues par le traité, seront contraires aux intérêts de nombreux pays, et notamment des États-Unis et de nos proches amis et alliés. La mise en œuvre des ressources du fond des mers selon des critères économiques, en conformité avec le Traité, serait très difficile, si ce n'est impossible. En d'autres termes, le Traité créerait des précédents qui sont contraires à une vaste gamme d'intérêts, et ceci affecterait négativement les positions des pays développés pour ce qui concerne le développement futur des institutions internationales en général.
Enfin, laissez-moi vous dire que, bien que le droit de la mer soit le sujet qui m'a conduit à proposer cette mission à Don Rumsfeld, je la conçois dans le contexte plus large de nos relations en tant qu'alliés faisant face à de nombreux problèmes. Dans la mesure où chacun d'entre eux a sa complexité propre, je crois profondément que nous sommes capables, aujourd'hui comme peut-être jamais auparavant, de les résoudre et de démontrer un degré de cohésion entre alliés sans précédent jusqu'ici. Pour cette raison, Don sera disposé à vous écouter sur tous les autres aspects de nos préoccupations communes. Inutile de dire que j'attacherai beaucoup de prix à vos réflexions et que j'attends avec impatience de recevoir le rapport que me fera Don. »
On envoie « Don, qui est disposé à vous écouter », afin « de faire un rapport ». Encore une fois, la conception américaine de l'Alliance refait surface: l'OTAN a vocation planétaire et exige la solidarité sur tous les sujets. Alors que, pour la France — la France seule —, l'Alliance est limitée géographiquement à l'Atlantique et à la défense de l'Europe.
François Mitterrand accepte néanmoins de recevoir Rumsfeld pour ne pas ajouter un sujet de friction par ces temps difficiles.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne considèrent que les dispositions relatives au régime des fonds marins internationaux sont incompatibles avec les principes de l'économie de marché. Par ailleurs, ils ont peur qu'au sein de la future Autorité, le Tiers Monde et l'Est soient dominants. Ils souhaitent la remplacer par des accords de réciprocité avec les États ayant déjà effectué des travaux de recherche dans les fonds marins et s'étant antérieurement dotés d'une législation nationale, sorte de traités permettant la reconnaissance mutuelle des permis d'exploration délivrés par chacun de ces États. De tels accords videraient de tout son sens la notion de «patrimoine commun de l'humanité » qu'a créé la Convention.
Les dispositions de la Convention font de la France la troisième puissance maritime mondiale (11 millions de km2 d'espaces marins placés sous notre juridiction) et protègent nos intérêts militaires en garantissant notamment le libre passage de nos flottes de guerre et de commerce et de nos aéronefs dans les détroits internationaux. Cependant, l'exploitation des nodules — si elle a un jour un sens économique, ce qui est douteux — et la mise en place de l'Autorité internationale des fonds marins risquent de conduire à la paralysie totale de toute décision d'exploitation si la règle du consensus y est appliquée.
C'est dans un an, au vu des travaux de la Commission préparatoire, après signature, que nous déciderons de soumettre la ratification au Parlement.


Lundi 11 octobre 1982

Pierre Joxe est déchaîné. Il considère l'amnistie des généraux comme « une injure personnelle à sa famille ». Vision dynastique de la politique! Il demande à être reçu par le Président. Il fait tout pour obtenir que le groupe socialiste vote contre. « Je quitterai la politique si ce texte est voté. » Le Président n'en croit rien.

Bataille minutieuse sur les prix, dixième de point par dixième de point.
François Mitterrand n'apprécie pas que Jacques Delors ait accepté la hausse des prix de l'automobile demandée par les industriels, qui fragilise la lutte contre l'inflation à la veille de la fin du blocage. Cela ne lui ressemble pas.

Les Américains prétendent que tous les autres participants sont d'accord pour que le Sommet de Williamsburg ait lieu début juin... Ils insistent pour annoncer la date. Il faut décider: céder ou ne pas y aller. Ayant encore la présidence des sherpas jusqu'à fin décembre, je convoque une réunion pour passer le relais aux Américains et tenter de fixer un agenda conforme aux intérêts européens.

A la suite du discours de Figeac, le ministère des Finances est mis en demeure d'étudier les modalités possibles d'une réduction de la dette des entreprises. Jacques Delors est horrifié: on ne peut demander aux banques de remplacer leurs prêts à court terme aux entreprises par des prêts à très long terme et à bas taux d'intérêt. « C'est un moratoire de fait d'une partie de la dette privée, nécessitant la renégociation des contrats de crédits passés depuis des années entre entreprises et banques! »


Mardi 12 octobre 1982

La grogne du groupe socialiste est à son comble. Le projet d'amnistie y est à nouveau évoqué, alors qu'il ne figure pas à l'ordre du jour de sa réunion. Un amendement excluant les officiers généraux, proposé par le jeune député rocardien Alain Richard, est rejeté de justesse, par 39 voix contre 37; Lionel Jospin s'est abstenu. Le projet du gouvernement étant adopté, Guidoni est mandaté pour le soutenir, seul, en séance.

Le grand économiste anglais Nicholas Kaldor vient me proposer un programme qu'il n'a pu convaincre Harold Wilson d'appliquer en 1967, lors de la crise de la Livre: il s'agit de mettre en place des quotas d'exportation pour éviter de toucher à la parité et en faire un instrument de politique industrielle. Il tombe bien! Un Conseil restreint sur le commerce extérieur a lieu dans l'après-midi, pour préparer des mesures destinées à réduire le déficit extérieur. On envisage tout. On ne retient que la vérification obligatoire de l'origine, permettant de bloquer discrètement l'importation de certains produits. Le Président n'entend pas remettre en cause la dynamique européenne, même pour le bénéfice des entreprises françaises.

Journée d'action des artisans et des commerçants: de 30 à 40 000 manifestants à Paris.


Arrestation de Frédéric Oriach, d'Action Directe.

Michel Jobert reçoit l'ambassadeur d'URSS, Tchervonenko, pour lui dire: «Si les mesures nécessaires de rééquilibrage de nos échanges n'intervenaient pas, la France réduirait ses importations de gaz. Je n'irai à Moscou que si je reçois des assurances formelles sur le rééquilibrage de nos échanges. » Terrible menace qui effraiera sans nul doute le Kremlin !...




Mercredi 13 octobre 1982


Au Conseil des ministres, le Président accepte enfin le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. C'est assurément la décision pour laquelle il aura le plus traîné les pieds.
Le Conseil adopte aussi la loi prévoyant la disparition du secteur privé dans les hôpitaux publics. Là encore, le Président trouve qu'on va trop loin.

Cheysson rencontre Arafat à Tunis et lui transmet de nouveau la proposition de Shultz: «Reconnaissez Israël et vous devenez un interlocuteur de la négociation. » Arafat refuse une fois de plus.


Vendredi 15 octobre 1982


Interrogé par un journaliste du New York Times, le nouveau Président bolivien, Siles Suazo, confirme: la Bolivie donnerait une suite favorable à toute demande d'extradition de Klaus Barbie si celle-ci venait à être renouvelée. Il faut donc le faire. Verra-t-on enfin s'ouvrir le grand procès de la Collaboration? Devant cette perspective, beaucoup masquent leur hostilité par l'indifférence, et leur panique par la passivité.

Le franc est encore attaqué. Il faut s'y faire. Cela ne cessera plus, désormais, jusqu'en mars. On tiendra à coups de taux d'intérêt élevés, qui aggraveront le chômage. Trois causes : la hausse du dollar, qui a renchéri l'énergie des deux tiers en deux ans, la croissance du pouvoir d'achat et de l'inflation, plus forte qu'en Allemagne, et la chute brutale de nos exportations industrielles. De tous les pays développés, nous sommes le seul soldat hors de la tranchée, sous la mitraille. Aussi, contrairement aux premières prévisions de l'OCDE, trop rassurantes, le déficit de la balance des paiements sera-t-il de 14 milliards de dollars et notre endettement atteint-il déjà 40 milliards de dollars. Il faut rembourser 6 milliards par an. Et nos réserves sont quasi nulles, mis à part l'or. Le temps ne travaille pas pour nous: chaque jour qui passe nous coûte au moins 100 millions de dollars.
Si nous ne changeons pas de politique, même sans nouvelle hausse du dollar, le déficit de la balance des paiements pour 1983 sera égal à celui de 1982. Nous ne pourrions le financer que par des emprunts à l'étranger — ce qui nous ferait atteindre une zone très dangereuse pour notre indépendance politique — ou par une vente d'or. Mais si nous ne redressons pas la situation, dans deux ans au plus tard, le FMI nous imposera bien davantage. Le fonctionnaire du Fonds chargé de la France est d'ailleurs revenu faire un tour, fort discrètement, à la Direction du Trésor.
Jacques Delors, qui attend d'être reçu par François Mitterrand, me dit : « Mauroy doit partir. Il faut cesser de promettre tout à tout le monde. C'est ça qui tue le franc. » Bien vu !

Devant la fonte rapide des réserves, y compris de l'emprunt du mois dernier, Delors vient proposer au Président un nouveau plan de rigueur qui permettra, dit-il, d'éviter une troisième dévaluation.
La facture est sévère. Il faut annuler au plus vite 7,5 milliards de francs de crédits publics. Pour 1983, placer en réserves 20 milliards de francs, au besoin en pratiquant une réduction proportionnelle de toutes les lignes budgétaires. Toute dépense supplémentaire serait gagée par des économies ou par un prélèvement sur cette réserve. Pour la Sécurité Sociale, il propose de rendre public, avant la fin du mois d'octobre, un plan de financement complet, avec des mesures chiffrées et datées. Un autre prélèvement serait décidé pour l'UNEDIC, réparti par moitié entre les employeurs et les salariés, par négociation ou sinon par décret, au 1er novembre.
Il en vient ensuite au discours prononcé par le Président à Figeac. Il propose tout simplement de ne pas l'appliquer: «La part la plus importante (70 %) de l'endettement des entreprises non agricoles du secteur concurrentiel est à taux variable ou révisable. La baisse progressive des taux d'intérêt, au fur et à mesure que la réduction de l'inflation est constatée, et à un rythme compatible avec la défense du franc, sera donc le moyen essentiel de réduction des frais financiers: la réduction d'un point du taux de base bancaire fait économiser 4 à 5 milliards aux entreprises en année pleine. » Autrement dit, la réduction de l'inflation réduira les charges des entreprises. Il ajoute: «Enfin, comme le Premier ministre l'a récemment réaffirmé, il doit être clair que cette politique de rigueur devra être continuée tant que la crise durera et tant que l'assainissement de notre économie et le renforcement de notre appareil industriel n'auront pas été achevés. Il faudra donc viser pour 1984 une nouvelle réduction significative de l'inflation, ramenant celle-ci à 5 ou 6 %. Il en résulte qu'aucun relâchement ne pourra être admis en 1983 dans la maîtrise des finances publiques et sociales, dans la gestion des entreprises publiques qui devra au contraire être vigoureusement corrigée ou améliorée, et dans la maîtrise des prix, coûts et rémunérations de toute nature. »
François Mitterrand me demande de faire étudier ce programme par les « visiteurs du soir» qui se réunissent justement aujourd'hui.
Réponse nette: «Tout cela ne suffit pas. C'est un programme de pure déflation ; rien n'est proposé pour annuler les dettes des entreprises. Pour défendre le franc, il ne nous reste que deux moyens, le dépôt à l'importation et la vente de l'or, en attendant que notre commerce extérieur soit redressé. Ces mesures doivent être annoncées la semaine prochaine, avec le flottement (...), en dramatisant et en insérant celui-ci dans un paquet de mesures économiques, par un ministre du Commerce extérieur qui se batte et qui dispose à part entière de la DREE (...), de ses implantations régionales et internationales. Il faut un resserrement de la politique économique de sortie de blocage, le bouclage d'ici la fin octobre de l'UNEDIC, un allégement massif des charges financières des entreprises industrielles, un allégement des cotisations sociales de l'industrie payé par un relèvement de la TVA, un serrage des prix et des salaires du secteur public, la concentration de moyens massifs sur le développement industriel (Budgets 1982 et 1983). Et, enfin, un grand programme d'économies d'énergie, et un comportement plus responsable des partenaires sociaux: la CGT doit s'engager dans la bataille de la production et ne pas faire la grève du zèle. Pour défendre le pouvoir d'achat et s'implanter, le CNPF doit accepter un paquet de cotisations UNEDIC, compensé par une baisse des charges financières et de la TVA. »
François Mitterrand approuve. C'est en fait la stratégie qu'il préfère: l'économie de guerre. Et il ne voit pas d'autre Premier ministre que Pierre Mauroy pour la réaliser. Dans une telle hypothèse, Jean Riboud lui a refusé de devenir ministre de l'Industrie. Mauroy, quant à lui, ne sait rien de ces idées, qu'il devine et redoute.
Mais la consommation est toujours trop forte. Comment la réduire sans réduire le pouvoir d'achat? Je conseille au Président de décider le lancement, au prochain Conseil restreint, mardi prochain, d'un emprunt forcé pour qu'une part du revenu, maintenu, soit investie et non plus consommée. Et aussi de tenter d'obtenir du Chancelier Kohl, dans dix jours, lors du Sommet franco-allemand, une réévaluation immédiate du mark.


Dans une nouvelle lettre aux Sept, Ronald Reagan propose un agenda pour le prochain Sommet. Elle sonne comme une critique de Versailles:
«Le risque de faire naître des attentes excessives est également inhérent aux rencontres des dirigeants des sept économies les plus puissantes. Nous avons besoin d'examiner comment faire comprendre la vraie nature de ces rencontres sans donner l'impression qu'elles ne mènent à rien.
La situation sérieuse de l'économie mondiale et de la plupart d'entre nous, pris individuellement, nous contraint à rechercher des réponses. Le Sommet devrait nous aider dans cette recherche. Tel est mon objectif. Les démocraties industrielles et notre engagement en faveur de la liberté, de la paix et de la prospérité sont certainement plus qu'à la hauteur des défis auxquels nous faisons face.
Allan Wallis, que j'ai désigné comme mon représentant personnel pour le Sommet, sera en Europe dans la semaine du 25 octobre pour discuter certaines de ces idées avec vos représentants. Je serais également très intéressé de recevoir directement de vous vos réactions à ces réflexions préliminaires. »
Le nouveau sherpa est donc un professeur de statistiques à la retraite à Roches-ter, Allan Wallis, vieil ami de Shultz. Il a largement dépassé les soixante-dix ans. Brillant anachronisme... Il m'appelle pour fixer rendez-vous. Le prochain Sommet, m'annonce-t-il, aura lieu à Williamsburg. Il ajoute: «Quelle date proposez-vous ?
Après le 1er juillet.
Impossible. Nous ne voulons pas des Grecs. »
Au moins, voilà qui est clair.


Dimanche 17 octobre 1982


Jacques Delors dîne avec Pierre Mauroy et lui communique copie de la note qu'il a remise vendredi à François Mitterrand.
En rentrant au ministère, Delors rédige un résumé manuscrit de leur conversation, «pour l'Histoire », et l'envoie à Mauroy:
« Au cours de notre séance de travail de ce dimanche soir, nous avons évoqué les divers aspects politiques, économiques, sociaux et financiers de notre situation et dressé le bilan de l'action entreprise pour assainir l'économie française sans perdre de vue nos objectifs essentiels: le sursaut industriel, la lutte contre le chômage, la reconquête du plein emploi (marché intérieur et équilibre commercial), la lutte contre les inégalités. Dans l'ensemble, nous sommes sur la bonne voie, notamment en matière de lutte contre l'inflation, sans pour autant que notre effort s'en ressente en ce qui concerne le chômage. Et je demeure persuadé qu'avec une politique active et moderne de l'emploi, nous pourrions faire mieux encore, à taux de croissance inchangé. Si bien qu'en dehors de toute considération sur la confiance des acteurs — que nous nous attachons, non sans succès, à inverser dans le bon sens —, notre "talon d'Achille" demeure le déséquilibre des échanges commerciaux. D'où la nécessité, au-delà des actions traditionnelles vis-à-vis des pays de l'Est, des pays en voie de développement et des nations membres de l'OPEP, d'une politique tenace, patiente et de tous les jours sur le commerce courant, notamment avec les pays industrialisés. Le redressement est à notre portée si nous réalisons l'intégralité du programme de dix-huit mois mis en œuvre en juin dernier (...). Aucun dérapage ne pourrait être accepté, sans dommages sérieux, par rapport à la ligne en cours.
Je demeure à votre entière disposition pour la mise en œuvre d'un ensemble de dispositions concernant l'action interministérielle. »
Le ministre de l'Économie et des Finances ne veut ni dévaluation, ni flottement. Il pense qu'une action têtue, entreprise par entreprise, peut réussir. Sinon, il démissionnera. Il constitue déjà son dossier.



Lundi 18 octobre 1982


Mort de Pierre Mendès France. Robert Badinter suggère qu'on lui fasse une place au Panthéon. Le Président est réservé: « Un jour, peut-être. Mais deux personnes devraient y aller avant lui: René Cassin et Léon Blum.»

Une fois de plus, Claude Cheysson explique au Président l'intérêt des discussions de Washington sur la levée de l'embargo américain sur le gazoduc:
« L'absence de toute concertation sérieuse entre les principaux alliés, qui caractérise la situation actuelle, est détestable. Dans nos rapports avec les Américains, c'est la pire situation. Une conclusion s'impose: nous avons intérêt à convenir de modes de concertation sur les politiques menées vis-à-vis de l'Union soviétique et de ses alliés européens. La volonté de concertation étant affirmée, il serait relativement aisé de traiter du reste. Le Groupe des Sept pays industrialisés (auquel la Communauté est associée) est capable de discuter des grandes options économiques. Les représentants désignés par les Sept peuvent se réunir, à Washington ou à Paris, pour en discuter et examiner les problèmes (tels que la différenciation entre pays de l'Est, la nécessité de procéder à des études communes sur tel sujet, etc.). Je propose donc que nous confirmions et fassions confirmer la volonté de tous, Américains compris, de procéder à une concertation dans l'avenir, de renoncer à prendre des décisions unilatérales majeures blessantes pour les autres, et que les Sept plus la Communauté s'efforcent d'examiner les principes de cette concertation et d'arrêter la liste des sujets à faire étudier par les organes existants. »
La demande est claire: Cheysson souhaite organiser une concertation régulière à Sept sur tous les sujets économiques, pour éviter des décisions unilatérales. Pour François Mitterrand, ces discussions sont très dangereuses: à Sept, dans un cadre informel, les Américains peuvent imposer leurs décisions. En dehors de nous, personne ne leur résiste, et, de surcroît, ils le feraient sous couvert d'une solidarité globale allant jusqu'au Japon. Le Président confirme : «Pas de négociation à Sept, sur aucun sujet. Et encore moins sur celui-là. Les Américains ont décidé un embargo. Nous n'en tenons pas compte. S'ils veulent revenir sur leur décision, qu'ils le fassent, nous n'avons pas à leur sauver la face. »
Certes, le G7 existe entre ministres des Finances, pour gérer les taux de change. Cheysson aimerait avoir droit aux mêmes réunions avec ses collègues. Mais ce que le Quai y gagnerait en influence, la France et l'Europe le perdraient en liberté.

Il faut se résigner à payer le chèque britannique: 1,75 milliard de francs, auquel Cheysson a ajouté, par son cadeau à la RFA, 550 millions. Pour limiter les dégâts, le Président demande à Chandernagor d'affirmer à Bruxelles qu'on ne paiera pas cette somme aussi longtemps que la Grande-Bretagne n'aura pas remboursé ce qu'elle a perçu en trop par ailleurs.

L'affaire des généraux n'est pas réglée. Malgré le vote du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Pierre Joxe obtient du Bureau exécutif du Parti de mettre le Président en demeure de choisir entre retirer ce texte ou accepter l'amendement d'Alain Richard. Le Bureau refuse même d'entendre les arguments de Raymond Courrière. Colère froide du Président.


Pour Barbie, la décision est prise: la France demandera son extradition en commençant par soutenir la demande allemande.


Mercredi 20 octobre 1982


A quatre heures du matin, un télex de la Maison Blanche parvient à l'Élysée. Après avoir rappelé «à quel point nos vues coïncidaient à propos de tous les grands problèmes qui se posent de nos jours... », Ronald Reagan note : «Au fur et à mesure que nous avons abordé les problèmes particuliers, il est apparu des différences fondamentales (...). Il se peut aussi que le consensus qui, je pense, a existé entre nous ait disparu. » Il demande à François Mitterrand de recevoir « son ami intime et conseiller» Bill Clark, afin de «permettre une meilleure compréhension ».
De quel désaccord s'agit-il ? Ni au Liban, ni en Amérique latine, ni en Afrique, il n'y a de différend assez important pour justifier une telle démarche. Sans doute s'agit-il encore du gazoduc, pense le Président. On recevra Clark.

Le directeur d'Amérique, Dorin, télégraphie à notre ambassadeur à La Paz et lui demande de faire une nouvelle démarche de soutien à la demande allemande d'extradition de Barbie.


Au déjeuner des socialistes, le Président est furieux: «Vous ne comprenez rien! L'extrême droite est aujourd'hui à l'intérieur du RPR Et, pendant la guerre d'Algérie, Debré et Massu ont fait pire que les généraux félons. » Joxe est très amer. Il en veut au Premier ministre, au Président. Il traite même Mauroy d'« imbécile ». Le Président: «Ça suffit, Joxe ! »