Blocage des prix et des salaires. Christian Goux, en excellent analyste du capitalisme mondial, est le premier, à ma connaissance, à en évoquer la nécessité, alertant à la fois l'Élysée, Matignon et les Finances. François Mitterrand : « Faut-il vraiment le faire ? S'il le faut, on le fera, mais en veillant à ce que cela soit socialement juste. »

Le Président doit nommer trois membres de la Haute Autorité. Le Président de l'Assemblée, Louis Mermaz, doit en nommer trois autres. On agite des noms : Jean Darcy, Jacques Boutet, Michel Caste, Alain Decaux, Stéphane Hessel, Marcel Huart, Gilbert Lauzun, Jean Marin, Michel May, Jacques Pomonti, Yves Stourdzé, Jacques Thibau...

Cette semaine, les réserves de la Banque de France ont encore baissé de 3,7 milliards de francs.

Le rapport préparé pour Versailles, sur «Technologie et Emploi », s'élabore. Il contient les propositions suivantes : augmentation (chiffrée) de l'effort de recherche et de développement des Sept ; recherche conjointe sur des technologies de base ayant un impact précis sur l'emploi du Nord et sur le développement du Sud (fusion nucléaire, informatique, santé, alimentation) ; efforts parallèles de formation de tous les jeunes de seize à dix-huit ans ; mise au point de nouveaux programmes d'enseignement ; analyse de l'impact de l'informatique et de la robotique sur les conditions de travail.
Ces propositions sont personnellement revues par Jacques Delors, Claude Cheysson et Jean-Pierre Chevènement.


Samedi 24 avril 1982


Nouvelle réunion de sherpas à La Celle-Saint-Cloud. Je soumets aux autres le premier projet de déclaration du Sommet. Il est révélateur des ambitions françaises : nous espérons voir décider une stabilisation des taux d'intérêt américains, mais pas leur baisse.
«Nous avons décidé de mettre en œuvre immédiatement les cinq orientations suivantes :
— un développement concerté de l'économie mondiale sera préparé sur la base du rapport présenté ici par le Président de la République française. L'accent sera mis en particulier sur les trois actions que voici : engager un programme de croissance par la technologie, faire une part nouvelle à la formation des hommes et à l'amélioration des conditions de travail, favoriser partout l'affirmation des cultures. Ces propositions seront communiquées aux autres nations et aux institutions internationales concernées pour leur permettre de donner leur avis et de s'y associer. Elles seront approuvées définitivement lors du Sommet des pays industrialisés de 1983 qui se tiendra aux États-Unis, ce qui n'empêche pas de commencer dès avant leur mise en œuvre effective ;
— la stabilisation des taux d'intérêt et des taux de change, conforme à l'intérêt de chacun et dont l'urgence a été reconnue par tous les participants, sera activement recherchée, en particulier par une concertation aussi étroite que possible entre les trois pôles monétaires européen, américain et japonais ;
— le développement du commerce mondial, aujourd'hui menacé, est une nécessité, même s'il n'est pas la condition principale de la croissance. Pour le promouvoir, nous avons décidé d'assurer l'indispensable ouverture de nos marchés et d'examiner à cette fin, de façon libérale et multilatérale, les degrés d'ouverture de chaque économie. Le cas particulier des relations économiques avec les pays de l'Est a fait l'objet d'un examen qui sera poursuivi en tant que de besoin ;
— le lancement des "Négociations Globales", à très brève échéance, sur une base rééquilibrée, a été souhaité par tous les participants au Sommet, qui ont estimé que celui-ci pourrait se faire avant l'automne. Dans le même temps, nous sommes prêts à engager des actions concrètes de coopération entre le Nord et le Sud, notamment dans le cadre de la proposition pour le développement concerté de l'économie mondiale et par la création d'une "Filiale énergie" de la Banque mondiale ;
— le développement des économies d'énergie et des ressources énergétiques autres que le pétrole, dans une perspective à long terme, reste une impérieuse nécessité. Nous sommes dans le même temps disposés à engager avec tous les pays intéressés une concertation permanente dans le domaine de l'énergie. »

A Paris, Porte de Pantin, un meeting réunit 100 000 personnes en faveur de l'école privée. Pierre Daniel et Mgr Lustiger y assistent.

Le Président est à Hambourg. Discours important. Le soutien apporté à Helmut Schmidt pour l'installation des Pershing passe presque inaperçu :
« Il faut que l'Union soviétique sache que le point zéro n'est pas le point zéro jusque-là cité, que ce soit par les uns ou par les autres. Le point zéro ne peut pas être le simple retrait d'un type d'armement d'un côté, tandis que rien ne serait fait de l'autre. Le point zéro, c'est la force, la puissance, la portée des armes, l'endroit où elles se trouvent, les contrôles exercés, que les techniciens détermineront comme créant la situation où les deux camps s'observeront sans avoir le goût de s'attaquer... »
Jacques Delors, qui se trouve en RFA pour une autre raison, vient à Hambourg dire à François Mitterrand qu'il faut dévaluer dans les quinze jours, qu'on ne pourra attendre Versailles. Il est totalement paniqué par les sorties de devises d'hier.


Je revois James Buckley, à La Celle-Saint-Cloud, pendant une interruption de la réunion des sherpas. Je lui demande : « Quel objectif poursuivent les États-Unis en proposant de limiter les crédits à l'Union soviétique ? » Buckley: « Notre objectif est de nous assurer que nous n'édifions pas une vaste montagne de dettes en URSS, qui donnerait aux Soviétiques la capacité, par une "dépendance inversée ", d'influencer les politiques ou les institutions économiques de nos pays ; et, compte tenu du fait que la situation économique soviétique rend la décision d'accroître les dépenses militaires plus difficile, nous ne voulons rien faire qui puisse faciliter de telles décisions. La charge énorme et croissante que l'effort massif de défense soviétique impose à l'économie de l'URSS devrait être traitée franchement par les dirigeants soviétiques. Nous ne voulons pas atténuer les conséquences économiques de ce fardeau par des interventions gouvernementales sur les marchés financiers. »

Chacun trouve le projet de déclaration générale trop favorable aux thèses françaises. L'accord se fait pour décider à Versailles de la création de deux groupes de travail à Sept, l'un chargé d'étudier l'utilité des interventions sur les marchés des changes, l'autre pour mettre au point des projets précis de coopération sur les nouvelles technologies.


Dimanche 25 avril 1982


Entre sherpas, on esquisse la répartition des thèmes entre les séances du Sommet : samedi matin, rapport introductif de François Mitterrand; l'après-midi, macro-économie, monnaie et commerce ; dimanche matin, Nord/Sud, énergie et déclaration finale ; dimanche après-midi, relecture de la déclaration finale. Les problèmes politiques seront abordés au cours des dîners et déjeuners. Les Américains insistent pour que le Président Reagan dispose, au milieu de la journée de dimanche, d'un temps libre de deux heures. Il n'est pas possible d'amener les représentants de la Communauté à renoncer à leur double présence aux repas.
Les Américains proposent une dégressivité chiffrée des crédits à l'URSS : « On n'a pas à faire de cadeaux à son adversaire. » Cette proposition ne pénalise que les Européens et le Japon, car les céréales américaines sont payées au comptant ou avec un crédit inférieur à un an... Mais Bob Hormats n'insiste pas autant là-dessus que l'on pouvait craindre. Il est entendu que ce sujet sera approfondi à la prochaine réunion des sherpas et qu'au Sommet, il ne sera évoqué qu'au cours des repas, non en séance plénière. Pour l'instant, il n'y a d'ailleurs rien à ce sujet dans le projet de déclaration finale.
Sur le Nord/Sud, les États-Unis — et la Grande-Bretagne, sans doute à la suite de la médiation américaine sur les Malouines — s'opposent aux « Négociations Globales ». Selon le sherpa américain, on pourra peut-être obtenir au dernier moment l'accord de Reagan. On rappelle l'idée de la « Filiale énergie » de la Banque mondiale et de la nécessité d'une solution au financement de l'Agence internationale pour le Développement.
Au chapitre de la macro-économie, j'insiste sur la gestion concertée du dollar, du yen et de l'écu, techniquement possible.

Dans l'après-midi, François Mitterrand me téléphone : «Jacques Delors m'a dit hier qu'il est impossible de ne pas dévaluer avant Versailles. Qu'en pensez-vous? — On peut attendre juin. »

De retour en séance, je passe un mot à ce propos au nouveau directeur du Trésor, Michel Camdessus, qui m'assiste. Il me confirme : «Jacques Delors a tort. On peut très bien ne pas dévaluer avant Versailles. » Je lui demande de me l'écrire. Ce qu'il fait de manière détaillée.

Le soir même, dînant dans la cuisine de la rue de Bièvre, je montre cette lettre à François Mitterrand. La dévaluation est décidée pour le dimanche 12 juin. Pierre Mauroy travaillera sur le programme d'accompagnement. Le Président : « Qu'il fasse le nécessaire, mais pas de rigueur purement économique. Une rigueur socialement juste. Que cela ne soit pas le prétexte, pour le ministre des Finances, de reprendre tout ce que l'on a déjà donné. Et que personne ne me propose de revenir sur la moindre conquête sociale. »
Personne n'essaiera.




Lundi 26 avril 1982


Le Parlement va débattre dans quinze jours des lois sur les droits des travailleurs, qui deviendront les « lois Auroux ». Étrange : pourquoi une loi devient-elle ainsi la « propriété » d'un seul homme? Auroux n'est pourtant pas, comme d'autres, un maître ès relations publiques !
Les socialistes proposent des amendements qui radicalisent le texte. Par exemple, les syndicats ne seront plus limités à un rôle « exclusivement professionnel », et les salariés bénéficieront d'un crédit de deux heures par an et d'une heure par trimestre pour l'information syndicale. Le patronat proteste : les charges, toujours les charges !

Les députés examinent la réforme de l'audiovisuel. La Haute Autorité est créée par un vote à l'unanimité. La droite s'est abstenue.

Pierre Daniel, le président des parents d'élèves de l'enseignement catholique, et Mgr Lustiger font savoir au Président qu'ils ont été piégés à la réunion de Pantin : « Nous ne voulons pas de récupération politique de l'école privée. Nous voulons trouver un accord avec le gouvernement sur le texte du projet de loi, et c'est possible. »
Les problèmes sont maintenant réduits à trois, essentiels : pourra-t-on laisser créer des écoles privées en concurrence avec des écoles publiques, ou faudra-t-il rationaliser les implantations scolaires ? l'État et les communes seront-ils tenus ou libres de financer les écoles privées ? les maîtres du privé devront-ils, ou pourront-ils, à terme, devenir fonctionnaires de l'État ?
Georges Fillioud présente le projet de loi sur la Communication à l'Assemblée. La Haute Autorité n'est pas encore créée que, déjà, on s'y dispute les postes.


Mardi 27 avril 1982


Yvon Gattaz vient me dire qu'il s'inquiète des deux amendements apportés par le groupe socialiste à la loi Auroux.
Le Président demande au gouvernement de s'opposer à cette extension supplémentaire du rôle des syndicats dans l'entreprise. Jean Auroux en fait part sans déplaisir à Pierre Joxe, qui accepte en grommelant. Ainsi fonctionne le dialogue social...



Mercredi 28 avril 1982


Au Conseil des ministres, première discussion autour du projet de loi sur l'immigration, présenté par un secrétaire d'État, François Autain.
Gaston Defferre : Ils apportent la délinquance, et la population va réagir, le racisme va se développer ; il faut expulser les clandestins.
Charles Hernu : Chez moi, il y a des gens qui s'arment et achètent des chiens policiers.
Alain Savary abonde dans le même sens : L'école ne peut rester comme ça, ouverte à tous les vents.
Jean-Pierre Chevènement proteste : Ce qui est dit ici conduit à glisser sur la pente dangereuse d'un discours de droite.
François Mitterrand lit ostensiblement son courrier. En réalité, il ne manque pas une miette de la conversation.
Laurent Fabius demande que l'on distingue entre les étrangers en situation régulière et les autres.
Charles Fiterman ne veut pas d'un renvoi massif.
Algarade entre Gaston Defferre et Nicole Questiaux.
Gaston Defferre : Moi, je ne suis pas conseiller d'État et je n'habite pas Neuilly ! Remarque très injuste. Nicole Questiaux en est profondément blessée. D'autant plus que la plupart des ministres, et non des moindres, sourient.
On évoque l'idée d'un renvoi massif des immigrés en situation illégale et la création de parcs administratifs de transit.
François Mitterrand est choqué : Parcs administratifs? Pas question! Il faut intégrer les étrangers en situation régulière et être implacable avec ceux qui essaient d'entrer illégalement. Il faut certes expulser beaucoup plus les illégaux, mais pas de force...
Il demande à Gaston Defferre et à Claude Cheysson de rester avec lui après le Conseil : il les charge de prendre contact avec Alger et Rabat pour les aviser de la nouvelle politique.

La Grande-Bretagne annonce l'instauration d'un blocus aérien et naval total dans la « zone de guerre de 200 miles » autour des Malouines. L'Argentine réplique : tout navire ou tout avion britannique se trouvant dans ses eaux territoriales ou dans son espace aérien sera considéré comme « hostile ». La guerre est là pour qui en doutait encore. Elle prend les formes légales, comme il se doit entre vieilles puissances maritimes.
Ronald Reagan surprend : il décide d'envoyer George Shultz, président de la grande entreprise d'ingéniérie Bechtel, en Europe pour rencontrer les participants à Versailles. Visiblement, ni Hormats, comme sherpa, ni Haig, comme secrétaire d'État, n'ont sa confiance. Cette mission est sans doute une idée de Clark.
Le Président américain écrit à François Mitterrand :
« Je suis attentivement le travail de nos représentants personnels et je crois que la façon dont ils ont centré leurs efforts et la direction qu'ils leur ont donnée sont très positives. Pour améliorer encore le dialogue entre nous, il me serait utile d'avoir un tableau à jour de vos préoccupations personnelles. Je voudrais de mon côté vous faire connaître nos perspectives. J'ai demandé à George Schultz de discuter de ces affaires avec vous et avec d'autres collègues. Il me fera directement rapport de ces conversations. »

Et il fixe même la date : le 8 ou le 9 mai. Un week-end...
Encore une tournée européenne d'un envoyé américain, décidée et annoncée sans même l'accord de celui qui, présidant justement ce Sommet, est venu le voir il y a à peine un mois ! Conduite impériale qui, jour après jour, irrite et lasse. Naturellement, le Président recevra Shultz. Comment faire autrement?

Les entreprises nationalisées sont exsangues. Terrible héritage. Les pertes du seul secteur industriel public pour 1981 sont estimées par Jacques Delors et Pierre Dreyfus à 4,5 milliards, et à 3 milliards par Pierre Mauroy. Il leur faut 9 milliards en 1982. C'est la preuve — s'il en fallait une — que, sans les nationalisations, elles couraient à la faillite, ou à la vente à l'étranger.
Mais qui va payer ? L'Etat ? Les banques ?
A cela s'ajouteront en 1983, prévient Dreyfus, les pertes de 1982 (qui ne sauraient être inférieures à 6,5 milliards), et ce, malgré les efforts de restructuration de cette année.
Les réunions budgétaires se multiplient chez Pierre Mauroy. Elles sont chaotiques. Aux raisonnements financiers se mêlent le choix des sites à fermer, les promesses électorales, les ambitions futures. Aujourd'hui, par exemple, il est décidé de financer par l'emprunt des constructions scolaires... et de ne rien décider pour la sidérurgie !


Jeudi 29 avril 1982


Robert Hersant prend le contrôle du Dauphiné libéré. Nul ne peut lui reprocher de bien jouer, même sans règle du jeu ni véritable adversaire...

Conformément à l'avis du Conseil d'État, un projet de loi est préparé par les ministères des Droits de la femme et de la Solidarité nationale, sur l'IVG. Il se propose de compléter l'Article L-283 du Code de la Sécurité sociale. Jeannette Laot présente ce projet au Président dans une note. Elle ajoute des considérations d'opportunité : la période actuelle paraît bien choisie pour faire adopter le projet ; les élections cantonales sont passées, les élections municipales sont encore loin. Ce projet, dit-elle, pourrait être présenté au Conseil des ministres du 12 mai. Ainsi, il serait voté à temps pour pouvoir être appliqué, conformément aux promesses de Pierre Mauroy, dès le 1er septembre. Le Président ne commente pas.
Vendredi 30 avril 1982


Formidable progrès de la coopération planétaire : après dix ans de négociations, la Convention du Droit de la Mer est adoptée à New York par 130 voix contre 4 (États-Unis, Venezuela, Turquie, Israël) ; 17 pays se sont abstenus, dont les pays de l'Est. Les grands fonds marins sont, pensent certains, très prometteurs en nodules polymétalliques, c'est-à-dire en nickel. Mais la loi du marché aboutit à l'anarchie, les sites les plus prometteurs étant revendiqués par tous et exploités par les plus riches. Aussi les États-Unis ont-ils peur de perdre leur monopole et ne signent-ils pas.

Nouvelle réunion chaotique, chez Pierre Mauroy, sur le financement du secteur public. Il faut trouver 9 milliards tout de suite, et autant en septembre. Jacques Delors fait une crise : il refuse de demander aux banques de financer autre chose que la sidérurgie... et, bien sûr, les banques elles-mêmes : « Le cas de la sidérurgie, problème douloureux dans plusieurs pays industriels, et pour lequel le Président de la République a pris des engagements, est spécifique. Les sommes en jeu sont considérables, si l'on veut à la fois moderniser l'outil de production et assurer convenablement les reconversions nécessaires. Parce que le Budget 1982 est difficile à boucler, dans des conditions supportables, par notre économie et notre marché de capitaux, je suggère une opération exceptionnelle, étant entendu que je souhaiterais monter, pour les années suivantes, des procédures souples et diversifiées de financement du secteur public industriel. Les fonds propres des banques sont insuffisants, en situation (c'est le cas de toutes les banques de dépôt) ou en dynamique (c'est le cas des banques d'affaires). Là aussi, l'État actionnaire devrait assumer ses responsabilités. Mais, comme il y a des objectifs plus prioritaires que celui-ci, j'envisage d'autoriser — ou d'obliger — les groupes tels que Paribas et Suez à vendre certaines de leurs participations pour retrouver les capitaux nécessaires. Tel est le dispositif de bon sens et de rigueur financière que je vous propose. Pour l'avenir, j'ai d'autres idées, plus révolutionnaires, pour que les épargnants français puissent participer au financement du secteur public élargi. Des études sont actuellement menées dans la plus grande discrétion. »
Il préfère aider toutes les entreprises en allégeant la taxe professionnelle. Pierre Mauroy lui répond que cela ne ferait qu'aggraver le déficit!
Laurent Fabius veut faire payer par les banques 950 millions pour Honeywell, et une somme à préciser pour la sidérurgie, Roussel-Uclaf et ITT. Pierre Mauroy décide que la nationalisation de Roussel-Uclaf et CII sera financée par un emprunt d'État à des banques, au taux du marché, en attendant le collectif de fin septembre. Il ajoute que le Budget versera 2,1 milliards et les banques 3,9 milliards. Et encore, ces chiffres sont-ils « indicatifs », le montant exact devant être précisé après discussions entre Delors et les banques.
Jacques Delors : « On fait exagérément appel aux banques, qui ont elles-mêmes des besoins en fonds propres et dont, surtout, l'image à l'étranger risque d'être compromise par un financement direct de notre secteur public. »

Pierre Dreyfus, en grand patron éberlué par ce désordre, écrit au Président pour lui raconter la réunion et réclamer son arbitrage :
« Le montant et les modalités du financement que l'État doit apporter à ces entreprises dès 1982 revêtent une importance déterminante. Sur le plan politique : l'opinion nationale et les milieux internationaux seront très attentifs à la manière dont l'État actionnaire prendra ses premières décisions financières. Sur le plan économique et social : le rôle moteur confié au secteur industriel nationalisé dans la relance de l'investissement productif suppose que les travailleurs des entreprises et leurs équipes dirigeantes se sentent mobilisés et appuyés par l'État. Sur le plan industriel: le succès des nationalisations repose sur un engagement immédiat de programmes stratégiques de modernisation.
L'État actionnaire doit faire son devoir et apporter, en capital, les moyens d'une croissance respectant des équilibres de bilan qui permettent aux groupes de présenter des signatures de niveau international sans recourir à la garantie de l'Etat. »
Pour que Pierre Dreyfus, si délicat et pondéré, en vienne à se plaindre, il faut vraiment que le chaos soit à son comble, et le sujet d'importance !
Alain Boublil, qui a représenté l'Élysée à cette réunion, confirme le récit de Dreyfus et en rajoute sur le désordre et l'absence de conclusions inhérents à toute réunion de ce genre à Matignon.


Samedi 1er mai 1982


A l'aube, l'aviation britannique bombarde l'aéroport de Port Stanley, capitale des Malouines. Si le porte-avions britannique est touché, dit-on à Londres, Mme Thatcher devra démissionner. On parle d'Heseltine pour lui succéder.


Dimanche 2 mai 1982


Le General-Belgrano, seul croiseur dont dispose la flotte argentine, est torpillé par un sous-marin britannique. Sur les 1000 marins, plus de 600 sont portés disparus. La pression du Tiers Monde pour mettre fin à la guerre par un compromis honorable se fait plus forte. Cheysson demande au Président de cesser de soutenir la Grande-Bretagne. François Mitterrand refuse. Plus encore, à sa demande, les Anglais sont informés en détail des caractéristiques de celles de nos armes dont disposent les Argentins, en particulier les Exocet. Les marchands d'armes britanniques conseilleront immédiatement aux grands acheteurs du Moyen-Orient de ne plus acquérir d'armes françaises, puisque les Français en livrent les secrets aux adversaires. Informé, François Mitterrand ne modifie pas pour autant sa position d'un millimètre. Il réitère à Cheysson, mortifié, l'ordre de faire voter à l'ONU avec les Anglais, quelles que soient les réactions de l'Amérique latine.

Sur RTL, Christian Bonnet traite Robert Badinter de « moisissure d'une certaine société parisienne évoluée ». Le Président demande à Pierre Mauroy de prendre la défense du garde des Sceaux.


Lundi 3 mai 1982


Richard Allen doit démissionner de son poste de conseiller pour la sécurité du Président Reagan pour ne pas avoir déclaré la montre de pacotille que lui avaient offerte des visiteurs japonais. Le clan des Californiens, conduit par Nancy Reagan, qui le détestait, a gagné. Le juge ignare et prétentieux qui fut mon voisin à Williamsburg, William C. Clark, le remplace à la tête du Conseil national de sécurité. Le général Haig n'en a sûrement plus pour longtemps.
Selon les sondages, de 65 à 80 % des Français sont favorables au maintien de l'enseignement privé. Ce problème présente au moins une analogie avec le conflit des Malouines : on voit bien les concessions à la marge qui peuvent être faites et qui sont importantes aux yeux de chaque camp ; mais on voit très mal la ligne d'un compromis possible. Il y aura, comme aux Malouines, un vainqueur et un vaincu.

Le secrétaire général adjoint de l'Élysée, Jacques Fournier, indique au Président qu'il est difficile de ne pas donner suite à l'annonce faite par le Premier ministre du remboursement prochain de l'IVG. Il rappelle la proposition n° 67 du candidat aux élections présidentielles François Mitterrand, qui le prévoyait. Le Président n'a toujours pas réagi à la note de Jeannette Laot. Ce n'est pas dans ses habitudes de réfléchir aussi longtemps.


Mardi 4 mai 1982


Il n'a servi à rien d'informer les Anglais sur les qualités des Exocet : un de ces missiles touche le destroyer britannique Sheffield; une vingtaine de marins sont tués. Robert Armstrong me téléphone : « Mme Thatcher ne vous en veut pas. » Geste élégant. Je ne sais si Armstrong était vraiment mandaté pour m'appeler. Un autre tir au but, et Margaret Thatcher devra démissionner.

Comme avant tout voyage important à l'étranger, une mission de chaque pays vient à Paris préparer les aspects logistiques du séjour des chefs d'État, dans un mois, à Versailles. La mission américaine est dirigée par Michael Deaver, secrétaire général de la Maison Blanche. Elle visite les lieux du Sommet, et demande à me voir. Nous réglons quelques détails puis, devant toute la délégation américaine narquoise et les Français consternés, Deaver m'explique que ce que nous avons préparé à l'Orangerie pour les journalistes est fort bien, mais qu'ils préféreront installer leur propre centre de presse à l'hôtel Méridien, Porte Maillot. La stratégie d'Ottawa se répète : si leurs ministres parlent depuis le Méridien, les journalistes de tous les pays viendront les y entendre, et il n'y aura personne, à vingt kilomètres de là, à l'Orangerie, pour entendre les autres délégations. Le Sommet ne sera donc commenté en permanence que par les Américains. Inacceptable !
Je lui réponds donc avec un sourire aussi large que le sien que, par malheur, ces jours-là, les ascenseurs, le téléphone, l'électricité de cet hôtel seront en panne. Et, de surcroît, tout le personnel sera en grève.
Les douze Américains me regardent, incrédules. Michael Deaver : « Nous allons changer d'hôtel ! » Il n'a pas encore compris. J'enfonce le clou : « Ce sera la même chose dans tout endroit où un centre de presse privé, américain ou autre, serait installé pendant le Sommet de Versailles ! »
Il n'insiste pas. Il n'y aura pas de centre de presse américain.

On compte aujourd'hui 324 SS 20 soviétiques, dont 90 dirigés contre la Chine et 234 contre l'Europe, dont 45 implantés à l'ouest de l'Oural. Et ces chiffres ne cessent de grossir.

Pierre Mauroy confirme par écrit son arbitrage sur le financement du secteur public. Jacques Delors téléphone de Tokyo pour protester.
Mercredi 5 mai 1982


Au Conseil, le ministre de la Santé présente le projet de loi abrogeant l'Article L. 680 du Code de la Santé publique, relatif à l'exercice des activités du secteur privé dans les établissements hospitaliers publics.
Jack Ralite : Les observations de la Cour des Comptes au sujet de ce secteur privé des établissements hospitaliers ont été sévères. Le professeur Debré, qui a créé le système, estime qu'il ne devait être que transitoire. Les médecins n'ont aucun droit aux lits privés ; c'est ce qu'a constaté le Conseil d'État. Mais c'est la loi qui permet aux hôpitaux d'avoir ces lits. Il faut donc modifier la loi qui les supprime, et c'est ce que fait le projet que je présente, qui est une loi de justice sociale.
Gaston Defferre : Le Président avait annoncé que le système disparaîtrait par extinction ; l'extinction me paraît un peu rapide. En outre, les consultations animent les hôpitaux, amènent des clients aux hôpitaux publics. Si les grands médecins ne donnent plus de consultations dans les hôpitaux publics, leur clientèle ira dans le secteur privé. Cette mesure, qui risque finalement de porter préjudice aux hôpitaux publics, n'est pas populaire, même chez les médecins qui, cependant, votent pour nous.
Michel Jobert : Tout est dans les mesures de transition.
Le Président : Certes, M. Ralite accélère un peu un mouvement qui n'était pas prévu comme devant "filer" à cette vitesse. Mais la bataille a été livrée. Un recul raviverait le débat, ranimerait peut-être des illusions. On ne peut pas dire, d'ailleurs, que le texte contredise ce que j'avais annoncé pendant la campagne. Au bout du compte, il vaut mieux en finir, pourvu que l'on ménage les intérêts légitimes pendant la période transitoire.
Le Premier ministre: Il y avait tout de même quelques situations scandaleuses. Je connais des médecins qui se faisaient 10 millions par mois!
Le Président : Le projet est adopté.

Labarrère intervient avant la fin de la Partie A pour signaler qu'il y a un problème au Parlement. D'abord, une extrême lenteur des débats à l'Assemblée et au Sénat ; il cite comme exemples, à l'Assemblée, l'examen de la loi sur la réforme de l'audiovisuel, qui a traîné des semaines, et le fait que 3 500 amendements sont prévus pour les textes sur les droits des travailleurs ; autre exemple, au Sénat, l'enlisement de l'examen de la loi sur les bailleurs et locataires, du fait de l'obstruction systématique de l'opposition. Pendant que les débats sont ainsi ralentis sur les projets de lois déjà déposés, il n'en arrive plus, ce qui pose un problème d'alimentation des Commissions. Remède au premier inconvénient : ce peut être l'utilisation de l'Article 49 alinéa 3. Remède au second : transmettre au Parlement un certain nombre de projets de lois que les Commissions pourraient commencer à examiner.
Le Président : « Il faudra peut-être,en effet, faire passer quelques projets de lois en Partie A dans les deux ou trois prochains Conseils des ministres. »


Vendredi 7 mai 1982


Alain Savary annonce à Pierre Mauroy qu'il lui remettra vers la fin du mois de juin un rapport sur l'intégration de l'école privée dans le secteur public. Le gouvernement pourra décider au second semestre, ou au plus tard au printemps 1983, si l'on souhaite éviter tout incident avant les municipales. Il conseille au Premier ministre de tenir un discours très modéré, dimanche prochain, au Bourget, à la fête du Comité national d'action laïque. « Il y aurait des raisons d'aller vite : la situation est trop favorable au privé. Les dépenses de l'État pour l'enseignement privé augmentent plus vite que celles pour le secteur public. Même en 1982, c'est 22 % contre 18 %. Dans certains départements, dix fois plus de taxe d'apprentissage va à l'enseignement privé qu'au public. Dans des départements comme le Finistère, le Morbihan, la Vendée, il y a très peu d'écoles maternelles publiques. L'an dernier, la population s'est même opposée par la force à la création d'une école publique dans le Finistère. A long terme, le principal facteur de réussite réside dans l'amélioration de la qualité de l'enseignement public et dans sa diversification.»
Mauroy lui demande de continuer à consulter et d'arriver à un consensus. Il lui promet de se montrer modéré dimanche.

Le Premier ministre tunisien, M'Zali, indique à Pierre Mauroy, « à titre confidentiel, que, dans les prochaines semaines, l'OLP va reconnaître le droit d'Israël à l'existence, par le moyen, sans doute, d'un article de presse non démenti qui ouvrirait la voie à une déclaration d'Arafat, s'il est toujours vivant. »

Le débat sur le financement du nouveau secteur public prend un tour très vif. Comme prévu, Jacques Delors proteste contre la décision prise hier par Pierre Mauroy de financer en partie le déficit du secteur public par des prêts forcés des banques. Il écrit solennellement au Premier ministre :
«S'agissant d'une décision d'une aussi grande portée symbolique et d'une exemplarité certaine, je me dois de vous confirmer mon désaccord total sur la manière de procéder et de vous rappeler la philosophie du financement que j'avais développée devant vous au cours du Comité interministériel du vendredi 30 avril. Cette approche est également celle du ministre de l'Industrie, comme il vous l'a dit lui-même et comme il l'a depuis consigné dans une note qui a reçu mon complet accord.
Avez-vous songé au bilan des banques et au moral de leurs nouveaux dirigeants ? Savez-vous les conséquences dramatiques qu'aurait une baisse du crédit des banques françaises à l'étranger ?
Dans ces conditions, je vous dis solennellement que cet ensemble de décisions constitue un très mauvais départ pour l'ensemble du secteur public. Je ne saurais, pour ma part, m'y associer, soucieux que je suis de bien réussir nos nationalisations et d'en soigner l'image de marque en France et à l'étranger.
Je suis absent de Paris, mercredi prochain. C'est une coïncidence opportune. Car je ne pourrais me taire devant tant d'incompréhension des conditions de réussite de notre expérience sur un point capital: le secteur public. Mais devant quarante ministres et secrétaires d'Etat, il est difficile de parler nettement... et surtout d'éviter des fuites. Or, je ne voudrais pas provoquer une nouvelle affaire au sein du gouvernement. La France a besoin de calme... mais aussi d'une bonne gestion.
Dois-je vous rappeler mes alarmes successives sur les difficultés de financement interne et externe de notre économie, en raison de la structure et du déficit du Budget 1982, mais aussi en raison de la nécessité de soutenir l'investissement ? Dans ces conditions, il n'est pas raisonnable de prendre des mesures dont la philosophie sous-jacente est qu'il existe des possibilités illimitées de financement sur le marché des capitaux et des trésors cachés dans les banques. A moins de se laisser aller à un recours excessif à la création monétaire, ce qui est une menace constante et très dangereuse.
Le lundi 17 mai, à mon retour, je solliciterai une audience du Président de la République afin qu'il puisse tirer, avec vous-même en tant que chef du gouvernement, les conséquences d'un désaccord aussi fondamental. Car ce que je vous propose aujourd'hui comme principes directeurs de financement, est, je dois le souligner, dans le droit fil de la décision de nationaliser à 100 %. Je ne reviens donc pas en arrière. Je suis tout simplement logique avec les orientations que nous avons choisies. C'est donc bien, à travers le financement 1982, une question de principe qui engage l'avenir et conditionne la réussite de notre expérience. »

Il ajoute à la main : « Désolé de ce désaccord, mais la question est vitale. Amicalement. »
Sa démission est donc sur la table. Cette longue lettre, visiblement écrite pour être rendue publique au cas où il aurait à quitter le gouvernement, oblige Pierre Mauroy à lui répondre le jour même par une longue missive remarquable et pleine de subtilité — sans doute rédigée par Jean Peyrelevade —, dont il envoie aussi copie au Président :
« Les décisions que j'ai prises l'ont été après une large concertation interministérielle, plusieurs réunions tenues sous la responsabilité de mon cabinet, et un comité que j'ai moi-même présidé le 30 avril. Cette préparation se situait dans un contexte économique et budgétaire difficile. Pour contribuer à la relance de l'investissement privé, il convenait de faire un geste en faveur des entreprises, notamment du secteur privé. L'allégement de la taxe professionnelle et des charges sociales que j'ai finalement retenu, sensiblement moins élevé que celui que vous souhaitiez, rendait d'autant plus délicat l'équilibre en recettes et en dépenses du collectif (...). Pour ces différentes raisons, et en l'absence de toute proposition réelle d'économies budgétaires, je ne puis donc que maintenir les termes de l'arbitrage que j'ai rendu.
Reste l'avenir, et notre philosophie du financement du secteur public, industriel et bancaire, qui me paraît être de loin la question la plus importante. Je ne voudrais pas, de ce point de vue, que vous vous mépreniez sur le sens de mes décisions.
Je suis d'accord avec le principe que vous affirmez, suivant lequel il revient à l'actionnaire de combler les pertes et de rétablir les fonds propres. Ces pertes, pour l'année 1981, se montent à 4,5 milliards. L'État, à peine devenu actionnaire et alors même que l'arrêté des comptes 1981 vient tout juste de se produire, en couvre immédiatement les deux tiers. Je connais peu d'actionnaires privés qui fassent aussi rapidement leur devoir.
Il revient aux chefs d'entreprises publiques de faire également le leur, et de retrouver le plus vite possible un équilibre d'exploitation satisfaisant. Dès lors qu'ils déploieront en ce sens les efforts voulus, je continuerai, pour ma part, à faire que l'Etat remplisse ses responsabilités d'actionnaire.
Je partage également votre analyse sur la situation des banques françaises, qui sont des entreprises comme les autres, soumises aux mêmes règles d'équilibre. Je vous assure que je suis pleinement conscient des conséquences que pourrait avoir une détérioration de leur crédit à l'étranger. Il n'est donc pas question de mettre en danger l'ensemble de notre système bancaire par des décisions unilatérales. Nous sommes simplement tous d'accord sur le fait que le système bancaire français peut participer davantage, et mieux, au financement de l'investissement industriel, notamment dans le secteur public. Vous avez donc reçu un mandat de négociation pour voir avec les responsables des banques nationalisées comment elles pouvaient raisonnablement participer à cet effort, par exemple en vendant certaines de leurs participations ou en mobilisant les indemnisations de nationalisation auxquelles elles peuvent prétendre. Il vous revient de mener les discussions correspondantes et de m'en rendre compte, les chiffres qui ont été articulés n'ayant à ce stade qu'un caractère indicatif.
Je tire enfin de cette situation deux conclusions : la première est qu'il est évident que dans toutes les lois de finances à venir, et dès la préparation du Budget 1983, puis celle du collectif de fin d'année, le financement satisfaisant des entreprises publiques doit constituer pour le gouvernement une priorité décisive ; la seconde est la difficulté extrême où nous sommes de procéder à des économies budgétaires a posteriori. Je suis donc tout à fait convaincu que c'est dès la préparation du Budget 1983 que nous devrons procéder aux arbitrages nécessaires, si douloureux soient-ils, afin de dégager les sommes nécessaires au bon développement du secteur public. Je ne doute pas de rencontrer votre accord sur ces principes, et de votre aide efficace pour leur mise en œuvre. »
Pierre Mauroy ajoute à la main : « Je crois vraiment que nous pouvons faire l'économie d'un désaccord. Amicalement. »


Delors n'est plus démissionnaire.
Pierre Mauroy se révèle jour après jour un Premier ministre subtil et fidèle, soucieux de remplir son rôle sans en faire un tremplin pour une autre ambition. Mais sa façon de gouverner, par des réunions successives aux conclusions approximatives et changeantes, a de quoi stupéfier un Jacques Delors qui a connu, en d'autres temps, un Matignon moins désordonné.
Au-delà des questions techniques, cet incident révèle un mal plus profond : il est peu admissible qu'un ministre et un Premier ministre se parlent si peu et se comprennent si mal.


Samedi 8 mai 1982


L'anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale redevient jour férié et chômé.


Encore une impolitesse américaine : dans une nouvelle lettre-circulaire, Ronald Reagan entend imposer aux Sept un agenda pour Versailles et pour le Sommet de l'OTAN qui aura lieu finalement à Bonn, au lendemain de Versailles, comme si le Président américain était lui-même l'hôte des deux instances. François Mitterrand et Helmut Schmidt apprécient!
« Un accord doit être trouvé à Versailles, écrit-il, sur une politique commune des crédits envers l'URSS. » Il en fait la condition d'une attitude plus souple des États-Unis sur le « contrat gaz » (« un succès dans ce domaine permettra d'aborder dans de meilleures conditions d'autres aspects des relations économiques Est/Ouest »). Il souhaite également discuter des grands sujets politiques et évoquer la nécessité d'un effort particulier auprès des jeunes générations. Les questions des relations Nord/Sud et de l'énergie ne sont évoquées qu'en une seule et brève phrase au début de la lettre.
Pour le Sommet de Bonn, Reagan propose trois thèmes: célébrer les valeurs de l'Alliance et sa vitalité, symbolisée par l'adhésion de l'Espagne ; répondre avec une résolution renforcée au comportement soviétique menaçant; confirmer l'engagement de faire progresser le contrôle des armements. Il considère enfin qu'il serait souhaitable de parler de la Pologne et de l'Afghanistan.
« Nous ne devrions laisser planer aucun doute sur le fait que nous partageons une perception commune de la conduite internationale soviétique, et conforter notre position selon laquelle des relations constructives Est/Ouest ne peuvent être basées que sur l'adhésion mutuelle aux principes de retenue et de responsabilité.
A cette fin, nous devons améliorer nos capacités de dissuasion vis-à-vis de toute agression ou intimidation soviétique.
Pour cette raison, je propose que ceux d'entre nous qui participent à l'organisation militaire intégrée de l'OTAN adoptent à Bonn, en annexe à la déclaration du Sommet, un document soulignant notre résolution d'améliorer nos efforts de défense conventionnels, en tant que contribution essentielle à la dissuasion de l'Alliance. »
Le dernier paragraphe, qui ne concerne pas la France, n'a même pas été rayé du modèle standard !
Qui prépare ce genre de lettres ? Qui se permet de penser que l'ordre du jour, décidé à Sept il y a un mois, pourrait être dicté aujourd'hui de Washington? La grossièreté de la forme est telle que le fond lui-même ne peut être discuté sereinement.




Dimanche 9 mai 1982


Violents bombardements israéliens contre des bases palestiniennes au Sud-Liban. Et réciproquement.

Devant 150 000 personnes réunies au Bourget pour le centenaire de l'École laïque, Pierre Mauroy prononce un discours modéré, conformément à la stratégie arrêtée avec Alain Savary : « Y aura-t-il dans ce pays maintien de la liberté de l'enseignement ? La réponse est oui. Y aura-t-il dans ce pays le droit à l'existence d'un enseignement privé ? La réponse est oui. Allons-nous maintenir telles quelles les formules actuelles qui associent au service public des établissements privés qui ne sont pas tenus d'en respecter toutes les obligations ? La réponse est non. Allons-nous du jour au lendemain, de façon autoritaire, changer cette situation ? La réponse est non. Il n'est pas dans nos intentions de résoudre ce problème dans la précipitation et dans le dogmatisme (...). La mise en œuvre progressive d'un véritable service public de l'Education ne sera pas décrétée, mais négociée. »

Le Président Reagan formule publiquement les propositions contenues dans sa lettre d'hier. Il avance une date pour la reprise des discussions avec les Soviétiques. C'est la première fois, depuis qu'il est Président, qu'il fait des propositions de négociations aux Soviétiques.

D'après Robert Armstrong, Margaret Thatcher a rabaissé ses prétentions. Elle ne veut plus que 1 008 millions d'écus pour 1982. Belle précision... Mais c'est encore beaucoup trop !


Lundi 10 mai 1982


Jacques Delors communique au Président de la République son échange de lettres avec Pierre Mauroy sur le financement du secteur public. Il ajoute : « Avec l'accord du Premier ministre, je transmets au Président l'échange de correspondance que j'ai eu avec le chef du gouvernement. En agissant ainsi, je ne souhaite nullement provoquer un superarbitrage, mais vous soumettre les éléments d'une importante discussion de principes sur l'avenir du secteur public élargi, tant industriel que bancaire...»
Le Président laisse le Premier ministre décider. «Ceci est de la compétence gouvernementale. L'Élysée ne doit pas s'en mêler. »
Le Premier ministre confirme sa décision : les banques devront faire un effort aussi important que possible ; mais ce financement devra rester confidentiel, pour ne pas affoler le marché des changes qui y verrait le signe d'un certain laxisme. On a nationalisé les banques et on s'en sert comme d'un substitut à l'impôt : à ne pas refaire.



Mardi 11 mai 1982


Le Président, piqué au vif de voir Ronald Reagan se comporter en maître de son Sommet, lui répond sèchement : « L'ordre du jour est décidé collectivement par les sherpas et pas par vous. Et si quelqu'un doit décider, c'est l'hôte, c'est-à-dire la France. » Ce long texte trace le cadre du Sommet à venir. Il annonce en outre que Pierre Mauroy présidera la délégation française au Sommet de l'OTAN à Bonn.
« Comme vous, je suis convaincu que la paix, la prospérité et la sécurité sont indivisibles. Nous sommes l'un et l'autre soucieux de progresser, à l'occasion de ces rencontres, dans la voie de la solidarité dans tous les domaines. En tant qu'hôte du Sommet des pays industrialisés à Versailles, j'insisterai d'ailleurs particulièrement sur la nécessité d'éviter tout affrontement entre des pays que tout doit rapprocher.
Bien que, sur la plupart des sujets, mes propres réflexions rejoignent ou complètent les vôtres, je crois utile, à mon tour, de vous préciser la façon dont j'envisage le Sommet.
Pour le commerce, je crois comme vous que nous devons résister aux pressions protectionnistes. Il y va de notre commune prospérité. Cela implique, entre autres, une bonne préparation de la prochaine réunion ministérielle du GATT. Il me paraît aussi souhaitable qu'un échange de vues très franc ait lieu à Versailles sur les problèmes commerciaux, notamment en ce qui concerne le degré d'ouverture de nos économies.
Il est indispensable que nous parvenions dès le Sommet de Versailles à une meilleure concertation entre nos politiques économiques. J'ai déjà eu l'occasion de vous dire de vive voix, en mars dernier, combien la stabilisation des taux de change et des taux d'intérêt me paraît nécessaire, et je n'y reviendrai donc pas en détail ici. Il serait important de parvenir à Versailles à un accord sur ce point et de poser les premiers jalons d'une concertation entre les grandes monnaies. Au-delà, il serait utile de réfléchir à la mise en œuvre d'une croissance concertée de nos économies, fondée sur les formidables ressources que laissent entrevoir les nouvelles technologies.
S'agissant des relations Nord/Sud, je me permets d'insister auprès de vous, mon cher Ronald, pour vous demander de réexaminer d'ici le 4 juin prochain cette question très importante. Lors de la conférence de Cancún, en effet, un engagement politique solennel commun avait été pris de contribuer au plus tôt, dans le cadre des Nations-Unies, au lancement des "Négociations Globales". Depuis, les discussions entre experts n'ont pas permis d'aboutir à un accord sur la procédure de leur déroulement. Récemment, les pays du groupe des 77 ont présenté, grâce à l'action des plus modérés d'entre eux, un texte commun qui contient de très substantielles concessions, notamment sur le nécessaire respect de la compétence des institutions spécialisées, auquel je suis comme vous très attaché. Ma conviction profonde est que les quelques problèmes encore en discussion peuvent être réglés positivement.
Vous évoquez brièvement la question de l'énergie, et il ne semble pas en effet qu'elle doive être au premier plan le mois prochain. Nous pourrons cependant confirmer la nécessaire poursuite des efforts de diversification et d'économies et manifester notre disponibilité à engager une coopération avec tous les pays intéressés.
La question des relations économiques Est/Ouest est d'une nature quelque peu différente, et mérite un examen approfondi. Chacun de nos pays est placé dans une position particulière ; aussi, un échange de vues sur les perspectives économiques des pays de l'Est et sur les objectifs communs que nous pouvons poursuivre à leur égard est-il nécessaire. Je constate que des progrès appréciables ont été enregistrés en ce sens dans le cadre du COCOM. En outre, les discussions en cours sur la question des crédits me paraissent bien engagées et devraient permettre d'aboutir à des résultats acceptables par tous à Versailles.
S'agissant des questions politiques générales, il va de soi que je souhaite comme vous que nous ayons à Versailles des conversations informelles et confidentielles sur les sujets importants du moment. J'ai personnellement veillé à ce que le programme du Sommet et le cadre du Grand Trianon favorisent de tels échanges.
En ce qui concerne le Sommet de Bonn, le Premier ministre du gouvernement français y participera avec la volonté de manifester l'esprit de solidarité sans faille qui nous anime à l'égard de l'Alliance, essentielle pour notre commune sécurité. Tout en occupant une position particulière, la France comprend et partage le désir des autres pays membres de témoigner de la solidité des liens qui les unissent à un moment où les relations entre l'Est et l'Ouest traversent une phase difficile.
Nous serons amenés à dénoncer la gravité des attaques que l'Union soviétique a portées au développement des relations Est/Ouest: atteinte à l'équilibre des forces, intervention en Afghanistan, incitation directe au coup d'État militaire en Pologne. Nous devrions saisir cette occasion pour aller au-delà d'un simple rappel et souligner la profonde différence de nature qui existe entre l'Alliance atlantique, association de nations libres, et l'ensemble dirigé par l'Union soviétique, qui se comporte comme un bloc soumis à une seule puissance.
En ce qui concerne la maîtrise des armements, j'ai pris connaissance avec le plus grand intérêt du discours que vous avez prononcé dimanche dernier sur les START. J'ai relevé en particulier la perspective d'une reprise rapide de ces négociations, et votre volonté de parvenir à un abaissement du niveau des armements stratégiques des États-Unis et de l'URSS. Il s'agit là d'une initiative très importante, et j'aurai prochainement l'occasion de le dire publiquement.
S'agissant de votre souhait de voir approuver à Bonn un document annexe sur la défense conventionnelle, la France, qui poursuit pour sa part dans tous ces domaines un effort important et régulier, ne pourra pas être engagée par ce texte en raison de notre position particulière vis-à-vis de l'organisation militaire intégrée. »

Le collectif de printemps est maintenant prêt pour être discuté demain en Conseil des ministres. Le Président en est informé par François-Xavier Stasse qui a assisté à toutes les réunions à Matignon : 5 milliards d'allégement de la taxe professionnelle ; suppression de la taxe d'habitation pour les personnes âgées de plus de 65 ans, et réduction de 10 % pour les locataires d'HLM. L'augmentation d'un point du taux moyen de TVA financera le débloquage d'une partie de la réserve budgétaire d'équipements publics (routes, télécommunications...) que divers ministres réclament. Un taux de TVA supermajoré pour la joaillerie, envisagé par Laurent Fabius, a provoqué des craintes dans d'autres secteurs. On y a renoncé.
Pierre Mauroy maintient la contribution des banques au financement des entreprises publiques tel qu'il l'a arbitré. Jacques Delors est à Tokyo.
François Mitterrand décide de tenir une conférence de presse juste après le Sommet de Versailles et avant le Sommet de l'OTAN. Donc, juste avant la dévaluation ? « Oui. Je ne veux pas avoir à la commenter, c'est l'affaire du gouvernement. »



Mercredi 12 mai 1982


Jacques Delors absent, le Conseil des ministres adopte le collectif budgétaire présenté par Laurent Fabius. La contribution des banques est annoncée assez discrètement : le communiqué précise seulement que « le financement des entreprises publiques se fera dans le respect des règles de gestion du secteur bancaire ». François Mitterrand : « Encore faut-il veiller à ce qu'aucune déclaration ou rumeur intempestive ne vienne accréditer l'idée d'un circuit de financement privilégié reliant banques publiques et entreprises publiques sur ordre de l'État. »
Le Conseil évoque aussi la politique de la Santé et la restructuration de l'industrie chimique. Le remboursement de l'IVG n'est pas mentionné. Chacun le croit décidé, alors qu'il ne l'est toujours pas.


Vendredi 14 mai 1982


Le Zaïre rétablit ses relations diplomatiques avec Israël. Plusieurs pays arabes rompent avec Kinshasa. Jean-Pierre Cot aimerait bien qu'on en fasse autant, mais à cause des violations des droits de l'homme perpétrées chez Mobutu !

Ultimes réunions préparatoires à Versailles : les directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères des Sept s'affrontent sur les crédits à l'Est (ils ne décident rien) ; les directeurs du Trésor des Sept sur la coopération monétaire (ils élaborent quant à eux un texte qui sera annexé au communiqué du Sommet et engagent une réflexion constructive sur les interventions sur les marchés des changes).

André Rousselet fait travailler chez Havas, par Nicolaÿ interposé, à la création d'une chaîne cryptée. Il dit en avoir vu tout l'intérêt pour l'État. Il a raison. Une liberté durable passe par l'éclatement des monopoles.



Samedi 15 mai 1982


A Rambouillet, dernière réunion préparatoire au Sommet de Versailles. Robert Armstrong et Bob Hormats conduisent une offensive, à partir des communiqués des réunions de l'OCDE et du FMI de la semaine dernière, qui citent l'inflation comme la principale difficulté, afin d'inverser l'ordre de priorité, dans le projet de communiqué du Sommet, entre inflation et chômage. Sur le protectionnisme, le Japonais promet d'annoncer des décisions positives avant le 1er juin. Sur le commerce Est/Ouest, Hormats réclame encore qu'il soit mis fin aux subventions aux crédits accordés à l'URSS. Les autres acceptent ; la France est isolée.
Voulons-nous participer à ces sanctions ? Si c'est le cas, mieux vaut les accepter avant Versailles, pour ne pas donner l'impression de céder en séance aux pressions américaines. Sinon, le Sommet restera comme le lieu de naissance d'un COCOM financier plaçant toute la politique des Européens vis-à-vis de l'Est sous contrôle américain.



Lundi 17 mai 1982


A Luxembourg, discussions entre ministres des Affaires étrangères sur le communiqué du prochain Sommet de l'OTAN. Pour Haig, le Sommet de Versailles n'est que le prélude à celui de Bonn. Les Américains veulent avoir tous leurs alliés derrière eux avant d'approcher Moscou. Nul, mis à part Cheysson, n'y met le moindre obstacle.
Claude Cheysson : « L'Alliance n'est pas un bloc au service des États-Unis. La déclaration préparée pour le Sommet atlantique de Bonn doit souligner que l'Alliance, contrairement au Pacte de Varsovie, réunit des nations libres, sans relation de domination. Le nécessaire retour à l'équilibre des forces ne doit pas inciter les États-Unis à prendre une sorte de revanche, à s'engager dans la voie du blocus économique, ou à instaurer une tutelle sur leurs alliés. Il s'agit au contraire de favoriser l'épanouissement progressif des nations dans leur diversité, en Europe, pour sortir de Yalta. »
Nous sommes les seuls, surtout en ce moment, à avoir une vision d'ensemble susceptible d'équilibrer la démarche américaine au sein de l'Alliance. Les Britanniques considèrent à peu près toutes choses par rapport au conflit des Malouines et tendent à rejoindre partout les positions américaines, même lorsque cela comporte pour eux des inconvénients (« Négociations Globales », crédits à l'URSS). Les Allemands, obsédés par le souci de préserver leur dialogue avec la RDA, espèrent avant tout que la reprise des contacts soviéto-américains et le lancement de la négociation START leur permettront d'élargir leurs relations avec l'Est. Ainsi, lors du Sommet de Bonn, la RFA souhaite faire avaliser sa conception du couple « dissuasion-négociation » et accentuer, avec l'aide des Pays-Bas, de la Belgique et du Danemark, le dégel des rapports Est/Ouest, bloqués depuis l'invasion de l'Afghanistan et les événements de Pologne.


Mardi 18 mai 1982

Impolitesse : l'ambassadeur britannique à Paris vient dire à Pierre Mauroy que si la France cesse de soutenir l'Angleterre dans l'affaire des Malouines, Margaret Thatcher mettra fin au projet de tunnel sous la Manche. J'ai du mal à y croire quand on me rapporte cette démarche. Menace mal venue et en tout cas superflue : François Mitterrand est décidé à soutenir la Grande-Bretagne sans limite, contre l'avis de Mauroy et de Cheysson.

Dégel: dans un discours prononcé devant les Komsomols, Leonid Brejnev répond à Reagan. Ce qu'a dit le Président américain « est un pas dans la bonne direction ». Pour la première fois, l'un donne l'impression de s'adresser véritablement à l'autre, et non plus seulement de prendre l'opinion internationale à témoin de sa mauvaise foi. Mais aucune date n'est encore fixée pour une rencontre.
Bonne surprise : malgré l'échec du Sommet de Londres, en décembre, et de celui de Bruxelles, en mars, l'accord se fait entre neuf ministres de l'Agriculture sur dix sur les prix agricoles. Mieux encore, le ministre britannique n'a pas été autorisé par les autres à considérer qu'il s'agissait pour lui d'un intérêt vital lui permettant d'opposer son veto à l'accord. La fixation des prix prive donc Margaret Thatcher de son seul instrument de chantage pour obtenir un remboursement de la contribution britannique au Budget. Cette contribution est, disent les Neuf, d'un intérêt vital pour l'Angleterre, mais pas les prix agricoles. Par contre, entre ministres des Affaires étrangères, aucun accord ne se fait sur le montant de cette contribution. L'Anglais, Pymm, réclame maintenant 1 500 millions d'écus ; la décision est renvoyée à la semaine prochaine. François Mitterrand suit la question de près. Politiquement, il tient absolument à arriver à un résultat meilleur que celui qu'avait obtenu Giscard d'Estaing. Le Président : « Le problème de la présence de la Grande-Bretagne dans la Communauté est posé. »


Mercredi 19 mai 1982


Partant pour sa première tournée en Afrique, François Mitterrand fait escale à Alger. De ses conversations en strict tête à tête, on ne sait rien. Le Président a renoncé à informer ses collaborateurs.



Jeudi 20 mai 1982


Après deux semaines de consultations entre Londres et Buenos Aires, Perez de Cuellar reconnaît l'échec de sa tentative de règlement pacifique du conflit des Malouines.


On va vers une reprise des relations Est/Ouest dans de nombreux domaines : rencontre au Sommet à l'automne ; démarrage prochain des START ; une nouvelle session s'ouvre à Genève sur les Forces nucléaires intermédiaires ; Haig verra Gromyko le 12 juin à New York; il y a aussi un certaine reprise des relations économiques, et la perspective d'achats de blé américain à grande échelle. Chacun des deux Grands recherche ce dialogue par nécessité : l'économie soviétique va mal ; Reagan rencontre des difficultés sur le budget militaire et doit faire face à la montée du pacifisme.

Niamey, première étape de la première tournée africaine.


Vendredi 21 mai 1982


A Abidjan, le Président donne ses instructions à Claude Cheysson qui part pour Bruxelles participer demain aux négociations sur le chèque britannique.

Matignon travaille au plan qui accompagnera la dévaluation du 12 juin. Très peu de gens sont au courant : moins de dix. Le principal problème est l'inflation. On se prépare au contrôle des prix. Pierre Mauroy estime publiquement qu'il faut « modérer davantage l'évolution des revenus et des salaires ». Mais on ne touchera pas aux acquis sociaux.

Alain Savary annonce la titularisation des assistants non-titulaires, la cessation des créations d'emplois dans le corps des assistants, un plan de transformation des assistants en maîtres-assistants, et la poursuite du plan d'intégration des vacataires.

Les forces britanniques débarquent sur l'île malouine orientale. Les diplomates anglais exigent des Argentins qu'ils renoncent à toute revendication sur les îles. Buenos Aires refuse.




Samedi 22 mai 1982


De Dakar où il arrive dans la soirée, le Président téléphone encore à Cheysson, arrivé à Bruxelles, pour lui recommander la plus extrême fermeté face aux Anglais.


Lundi 24 mai 1982


A Bruxelles, durant la nuit, les ministres des Affaires étrangères s'entendent sur 850 millions d'écus. Pas mal ! Cheysson télégraphie triomphalement au Président :
« La pénible dispute avec les Britanniques s'est terminée très tard dans la nuit à Bruxelles. Je n'ai pas cru bon de tenter de vous joindre, car j'estimais être resté dans le cadre de ce que vous m'aviez dit à Abidjan, puis au téléphone de Dakar. Arguant du montant de + 400 millions d'écus accepté en mai 1980 pour l'année 1981 (à payer en 1982), les Anglais avaient d'abord demandé 1300 pour 1982 (à payer en 1983). Lorsque vous avez rencontré le Premier ministre britannique, ils étaient revenus à 1 008, avec une clause d'indexation les garantissant contre un accroissement de leur déficit. Non sans peine, nous les avons ramenés d'abord à 875, puis à 850, chiffre finalement retenu et qui sera inscrit au Budget de 1983. »
Ce que Cheysson ne dit pas, c'est qu'il a accepté de payer, en plus, la moitié de la part des Allemands, en échange de leur soutien sur la somme à rembourser aux Anglais. Genscher ne voulait d'ailleurs payer que le tiers de sa part, et il a même indiqué que, les années suivantes, ce serait le quart ! Si la répartition de la charge entre les Neuf était normale, des 850 millions d'écus, nous ne paierions que 240. Interrogé, Cheysson prétend que nous paierons en fait 290 ; Chandernagor, qui a été le spectateur impuissant de tout cela, parle, lui, de 320. Double erreur : nous paierons 400 millions d'écus, soit plus que Giscard n'avait payé en 1980 ! Exactement ce que le Président voulait éviter.
Le Président répond à Cheysson depuis Dakar :
« J'ai pris connaissance de la négociation qui a permis de fixer la compensation de la contribution budgétaire britannique pour 1982 à un niveau de 850 millions d'écus, sensiblement inférieur à celui qui avait été fixé par l'accord du 30 mai 1980 pour les années 1980 et 1981, et je vous en félicite. Il va de soi que le résultat final devra se traduire, pour la France aussi, par un coût sensiblement inférieur à celui que représentait pour notre pays l'accord de 1980. Les dispositions d'application en cours d'élaboration ne devront donc pas faire ressortir un transfert anormal de cette charge sur notre pays. En tout état de cause, nous ne saurions en supporter une part plus importante que celle de la République fédérale d'Allemagne. Je vous serais reconnaissant de veiller à ce que le texte final de l'accord soit conforme à ces orientations. »


Explosion d'une voiture piégée devant l'ambassade de France à Beyrouth : 11 morts. Un signe clair : nous sommes de trop ici aux yeux de beaucoup de gens. Quelque chose se prépare ?

Brejnev est mourant. Ni Ronald Reagan ni François Mitterrand — en tant que Président — ne l'auront rencontré. Le patron du KGB, Andropov, devient secrétaire du Comité central. Le signe est net : c'est lui le successeur. Nul ne le connaît vraiment à l'Ouest. Ce doit être un « dur », vu sa carrière, commencée comme ambassadeur à Budapest en 1956.
La situation économique du pays est catastrophique. La productivité s'effondre, la production agricole stagne. Peut-on espérer, comme Reagan, qu'une restriction des crédits obligerait l'URSS à choisir entre le beurre et les canons ? En tout cas s'annonce une période de très grande tension qui ne pourra qu'aggraver l'affaire des Pershing.


Mardi 25 mai 1982


François Mitterrand est à Nouakchott. Il entend la version du Polisario de l'affaire du Sahara espagnol.

Un porte-conteneurs anglais est coulé par un Exocet argentin.

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Shamir, sera à Paris début juin. Ayant appris que le Président recevra Shimon Pérès, le chef de l'opposition, dans trois jours, il demande audience. Le Président refuse.


Mercredi 26 mai 1982


Pierre Mauroy est à Beyrouth pour rendre hommage aux victimes de l'attentat d'avant-hier.


De retour à Paris, discussion avec François Mitterrand sur la future dévaluation. Il faut obtenir une décote d'au moins 12 % par rapport au mark et décider d'un programme sévère contre l'inflation et le déficit extérieur ; bloquer les prix de détail pendant six mois ; contrôler sévèrement les prix à la production ; renforcer les économies d'énergie ; encourager les implantations commerciales à l'étranger et l'expatriation de nos cadres ; convaincre les opérateurs étrangers du caractère définitif du réajustement ; limiter le déficit budgétaire à 3 % du PIB par le vote d'une loi organique sur cette norme.
Entendant cela, le Président prend des notes, puis, d'un geste qui lui est familier, tapote sur la table, visage fermé : «On a perdu trop de temps pour utiliser les moyens qu'on s'est donné. On a nationalisé une partie de l'industrie sans relancer l'investissement. On a nationalisé le secteur bancaire sans lui fixer de nouvelles règles du jeu. »
Visage encore plus fermé, le Président écoute la suite : « Une dévaluation doit suivre et non précéder la mise en place d'un nouveau gouvernement, car elle ne réussira que si elle annonce une nouvelle politique. »
François Mitterrand ne répond pas.


Jeudi 27 mai 1982


Au second Conseil de Défense de l'année, le débat reprend sur la loi de programmation. François Mitterrand : « Il nous faut décourager les tentatives de détournement de notre force de dissuasion par une attaque purement conventionnelle...
Un examen rigoureux montre qu'il sera nécessaire de diminuer les effectifs pour éviter d'avoir une armée mal équipée et mal entraînée. Je suis cependant soucieux de ne pas bouleverser totalement l'appareil militaire ; aussi cette diminution des effectifs sera-t-elle limitée et progressive : 35 000 hommes, soit 7 % des effectifs totaux des armées au bout de cinq ans. Il s'agit d'une décision saine, mais aussi courageuse, car une telle diminution d'effectifs signifie la remise en cause de quelques garnisons.
D'ailleurs, de nombreux représentants de l'opposition, dont Pierre Messmer, qui connaissent bien les problèmes de l'armement, ont reconnu le bien-fondé de cette mesure à laquelle il aurait fallu recourir plus tôt. Comme le dit le ministre de la Défense, "celui qui préfère garder une garnison en renonçant à un sous-marin nucléaire se trompe d'époque".
Le souci de maintenir un équipement moderne pour une armée légèrement réduite en nombre s'accompagne du souci de maintenir en état nos industries de recherche et de fabrication d'armements, qui représentent un intrument de l'indépendance de la France qu'il faut au moins préserver, voire développer.
Toutes les décisions nécessaires, de grande dimension, ont été différées sous le précédent septennat, alors que tous les éléments en étaient rassemblés et que le besoin n'en était contesté par personne. »

Versailles se profile à l'horizon. Beryl Sprinkel, directeur du Trésor américain, me confirme qu'il accepte notre proposition d'étudier comment stabiliser les taux de change du dollar, du yen et de l'écu. Cet accord, purement académique, mais néanmoins hautement symbolique, doit être tenu secret jusqu'au Sommet.
Le Japon annonce la suppression ou la réduction de 200 obstacles tarifaires. Cela fera illusion avant Versailles. Et donnera à Suzuki de quoi sauver la face.


Vendredi 28 mai 1982


Pour la première fois depuis octobre dernier, Pierre Mauroy adresse à François Mitterrand une note expliquant la nécessité de la rigueur et d'une nouvelle dévaluation. Il y parle de « changer de vitesse ». En principe, ni Bérégovoy, ni F.-X. Stasse ni moi ne devrions connaître l'existence de cette note, pourtant conforme à notre propre analyse.
A Matignon, certains considèrent l'Élysée comme un repère de gauchistes. Et le font savoir. Si les deux hommes n'étaient si proches, la guerre des entourages les auraient depuis longtemps brouillés.
Nouvelle réunion des directeurs des Affaires économiques des Sept pour parler des crédits à l'URSS. L'Américain répète qu'on doit relever les taux du crédit à l'URSS et limiter le volume global des crédits accordés : c'est d'un vrai blocus qu'il parle. La Grande-Bretagne, qui serait très pénalisée économiquement par cette décision, est pourtant prête à l'accepter ; le Canada et le Japon sont heureux : ils y gagnent ; la RFA et l'Italie s'y rallient avec réticence. La France s'y oppose.
On en reste à une solution boiteuse : le compte rendu des discussions de ce groupe sera tenu à la disposition des chefs d'État et de gouvernement à Versailles.
Les États-Unis veulent obtenir quelque chose à Versailles. Mais quoi ? Les ministres des Affaires étrangères en parleront au dîner du vendredi, les chefs d'État au déjeuner du samedi. Est-ce suffisant ? Les Américains rassurent : ils n'ont nul besoin que tout cela soit débattu au Sommet ni même inscrit dans le communiqué. Méfions-nous...

Parlant devant des journalistes américains, François Mitterrand n'exclut pas une réunion monétaire après Versailles. Naturellement, la chose ne passe pas inaperçue.

Claude Cheysson répond au Président à propos du chèque britannique :
« A Bruxelles, nous n'avons accepté qu'une directive. La Commission est chargée de proposer les mesures précises qui seront soumises au Conseil de fin juin, seul habilité à prendre une décision exécutoire.
Je rappelle en effet que notre réunion des Dix ministres était informelle, comme l'avait prévu le Conseil européen de Londres. Ses conclusions doivent être transposées sous forme de décisions de principe, décisions qui s'inscriront elles-mêmes dans le Budget de 1983, le moment venu (à l'automne).
Les dangers que vous rapportez ont été examinés longuement lors de notre discussion. Je me suis prémuni — et avec nous les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark — en précisant et répétant à gogo que tout se traiterait dans le cadre du Budget, selon les règles budgétaires, avec la clef budgétaire habituelle. Le chiffre allemand a été précisé (150 millions) et figure au procès-verbal. Il ne pouvait être inscrit dans la directive, mais je vous assure que tous les points sont couverts et le resteront. Cela ne peut différer des décisions exécutoires, car aucune n'est prise. Et le front des Neuf tiendra, je pense. Sinon, tout sera bloqué. »
Peu convaincant.


Dans sa prochaine conférence de presse, le Président souhaite annoncer la création d'une quatrième chaîne de télévision afin de répliquer sur le terrain des libertés à la droite qui l'accuse de préparer le totalitarisme.



Samedi 29 mai 1982


Un journal américain reproduit de façon inexacte les propos tenus vendredi par François Mitterrand : il fait dire au Président qu'il est pour la dévaluation du franc. Heureusement, lundi, c'est la Pentecôte, et plusieurs marchés seront fermés.
Dimanche 30 mai 1982


L'Espagne devient le seizième membre de l'Alliance atlantique. Elle est entrée dans l'OTAN avant d'entrer dans le Marché commun.


La pression américaine sur les crédits à l'URSS ne se relâche pas. Alexander Haig écrit à Claude Cheysson :
« Mon gouvernement considère comme vital d'arriver à un accord sur la restriction des crédits garantis et officiels à l'URSS. Je regrette qu'avant-hier, le haut fonctionnaire français ait refusé cette fixation d'un plafond en volume. J'espère que nous pourrons œuvrer ensemble aux progrès indispensables afin que le prochain Sommet soit un succès. »

C'est de plus en plus explicite : les Américains veulent la fixation d'un plafond en volume. Qui répartira alors ce volume des crédits à l'Est entre les différents exportateurs, sinon les États-Unis ?


Lundi 31 mai 1982


Le Président est à Solutré. Un rituel s'instaure. Devant des journalistes locaux, il improvise une conférence de presse. On l'interroge sur le franc. Haussement d'épaules.

Un des témoins du petit déjeuner, Flora Lewis, à qui je téléphone depuis Solutré, accepte aimablement de contredire demain l'article de son confrère sur le franc, paru samedi dans le même journal.

Washington et Moscou annoncent l'ouverture de négociations sur les armements stratégiques. Andropov va recueillir les fruits du dernier geste de Brejnev. Mais qu'en fera-t-il ?



Mardi 1er juin 1982

Le déficit commercial, depuis le début de l'année, atteint 30 milliards de francs. Désastre ! A ce rythme, c'est la faillite assurée dans moins d'un an. Et la prochaine dévaluation ne fera, dans un premier temps, que renchérir les importations et réduire la valeur des exportations. Où allons-nous ?
Notre industrie est décidément beaucoup moins compétitive que nous ne l'avions cru en arrivant.


Les États-Unis veulent faire de la prochaine réunion ministérielle du GATT, en novembre, le point de départ d'un « Reagan round » portant notamment sur l'agriculture et les services. Pas question pour nous d'accepter : la Politique agricole commune de l'Europe n'y résisterait pas.
L'ambassadeur De Commynes, qui m'aide à l'organisation logistique du Sommet de Versailles, croise dans un bureau André Bercoff, auteur, sous le pseudonyme de Philippe de Commynes, d'un livre de politique-fiction sur les élections présidentielles.
« Pourquoi ne m'avez-vous pas demandé l'autorisation d'utiliser mon nom ?
— Heu... Je ne vous ai pas trouvé!
Réponse somptueuse :
Nous, les Commynes, sommes dans l'annuaire ! »

Ultime réunion des sherpas à trois jours du Sommet : il est convenu qu'aucun communiqué politique ne sera préparé à l'avance ; si nécessaire, on le fera sur place. Tout semble « sous contrôle ».

A l'Élysée, le Président reçoit Margaret Thatcher.
François Mitterrand : « La solidarité avec la Grande-Bretagne est un des rares points solides pour la France dans le monde troublé où nous sommes. »
On parle Malouines, crédits à l'Est, URSS, Pershing. Sur le chèque, le Président: « L'accord de Bruxelles est excellent si chacun en paie sa juste part. » Curieusement, Mme Thatcher semble ne pas comprendre la merveilleuse traduction de Christopher Thierry...

La France participe désormais à deux forces multinationales : la FINUL, au Liban, et la Force multinationale dans le Sinaï.

Formation d'un nouveau gouvernement à N'Djamena sous le contrôle de Goukouni, dont le Premier ministre est M. Djidingar, avec la bénédiction des Libyens. Hissène Habré guerroie dans le Nord.



Mercredi 2 juin 1982

Pierre Mauroy rencontre Kaddoumi et lui dit qu'il souhaite recevoir Yasser Arafat à Paris. Celui-ci se trouve à Beyrouth, au milieu de ses hommes, véritable maître de la ville et du Sud du pays.

Mouvement à Matignon. Robert Lion ayant été nommé à la Caisse des Dépôts, son adjoint, Michel Delebarre, lui succède à la tête du cabinet du Premier ministre. Un politique succède à un haut fonctionnaire. Marceau Long prend la direction d'Air Inter; déjà, il est prévu qu'il ira plus tard à la vice-présidence du Conseil d'État, après Pierre Nicolaÿ, lequel quittera dans un mois la direction de Havas pour le Palais-Royal. Il sera remplacé à l'agence par André Rousselet. Jacques Fournier succède à Marceau Long comme secrétaire général du gouvernement. Il lui faut un successeur comme adjoint de Pierre Bérégovoy : douze candidats postulent, dont Jean-Louis Bianco et Christian Sautter.
Il faut aussi un successeur à André Rousselet. Jean-Claude Colliard, son adjoint, s'impose.
Jeudi 3 juin 1982

Attentat contre l'ambassadeur d'Israël à Londres. Begin menace de réagir au Liban. Les Américains semblent entrés en intenses conciliabules avec Tel Aviv. Quelque chose se prépare-t-il ?



Vendredi 4 juin 1982

Répondant à des lettres de protestation émanant d'associations familiales, Yvette Roudy expose une série d'arguments en faveur du remboursement de l'IVG, le principal étant la justice sociale.

Le Sommet de Versailles commencera ce soir par un dîner. Ronald Reagan est à Paris. Il déjeune à l'Élysée avant de rejoindre les autres participants à Versailles. Nous passons à table tout de suite, sans entretien préalable. François Mitterrand évoque la situation en Pologne et demande son avis à son hôte. Reagan sort ostensiblement des petites fiches rectangulaires de sa poche intérieure gauche, les compulse, trouve visiblement la bonne, la lit à haute voix, puis s'interrompt... Silence. Le Président français, surpris, passe à l'Afghanistan. Même manège. Nouveau silence. On passe à la guerre entre l'Iran et l'Irak. Là, Reagan feuillette ses fiches, ne trouve rien, les replace dans sa poche. Silencieux et souriant, il se remet à manger. Après un assez long moment, le général Haig répond à sa place.

L'après-midi, après avoir constaté que le franc est au plancher du SME, on part pour Versailles. Le spectacle y est surréaliste.
Dans les sept pays ici réunis, il y a cinq millions de chômeurs de plus qu'en juillet dernier ; la croissance mondiale est nulle, au lieu des 1,25 % prévus ; au Liban, la guerre gronde ; en Europe, la guerre froide risque de se durcir ; en France, la dévaluation est pour dans huit jours. Et l'on s'apprête à se disputer sur les taux de crédits à l'URSS dans le château du Roi-Soleil, somptueusement rénové !
Au Trianon, le premier dîner des Sept — qui sont neuf, Thorn et Martens étant là !... — est l'occasion d'une conversation très générale. Au menu : Moyen-Orient et négociations Est/Ouest.
Après ce dîner, François Mitterrand me fait appeler dans l'appartement qu'il occupe à Trianon. On discute des communiqués en cours de négociation, de la dévaluation de la semaine prochaine, du plan de rigueur en voie d'élaboration. Nous passons plus d'une heure à mettre au point le plan de table du grand dîner du surlendemain, dans la Galerie des Glaces. Trois cents personnes à placer. Deux doivent être particulièrement bien traitées : un célèbre avocat parisien et sa femme qui ont fait le siège des mille et un secrétariats possibles pour être invités. Ils ont fini par l'être. L'avocat écrira quelque temps après un livre dans lequel la réussite du Sommet de Versailles apparaîtra comme son œuvre, l'occasion pour lui de mener à bien de délicates négociations et de subtiles médiations. Alors qu'il ne fut que le figurant muet d'un dîner de trois cents couverts, qu'il passa assis entre la femme d'un haut fonctionnaire japonais et celle du conservateur du Château. Prodiges de l'imagination littéraire...
Samedi 5 juin 1982

Petit déjeuner au Trianon. Jacques Delors n'attend rien des Américains. Moi non plus. Il m'explique que la prochaine dévaluation doit être accompagnée de coupes budgétaires et d'un blocage des prix. Indiscutable.

Le Sommet commence dans une des salles du premier étage où trône le tableau de David représentant le couronnement de Napoléon. Chaque délégation est composée de trois personnes, deux ministres et un sherpa. François Mitterrand explique l'œuvre d'art à ses hôtes : « La mère de Napoléon est représentée sur le tableau, mais, en réalité, elle n'était pas là. Elle a refusé d'y être en prononcant la phrase célèbre : "Pourvu que ça dure. " Cela me fait penser à nos sociétés. Il nous faut changer le monde. C'est notre responsabilité à nous qui sommes riches, et ne pas se contenter de dire : "Pourvu que ça dure! "»

Le Président passe à son rapport sur l'emploi et la technologie, préparé depuis un mois par trois experts, Yves Stourdzé, Érik Arnoult (l'écrivain Erik Orsenna) et Jean-Hervé Lorenzi :
« Si nous réussissons, par notre action commune, à entreprendre ces projets, aurons-nous résolu les problèmes que nos sociétés affrontent? Assurément non ; le progrès technique n'assure pas par lui-même le progrès économique et le progrès social. Il ne peut qu'y concourir, dans les sociétés qui sauront le mettre au service d'une volonté politique. Il restera bien du chemin à faire pour établir une croissance équilibrée et juste, pour en finir avec toutes les formes de misère et de servitude : il nous faudra reconstruire un système monétaire stable, procurer aux entreprises les moyens d'un financement peu coûteux, imaginer des rapports économiques et politiques équitables entre les continents, éliminer tous les obstacles au commerce. Il nous faudra enfin, et c'est l'essentiel, permettre à chaque homme d'utiliser librement le temps que le progrès dégagera.
Nous aurons alors rempli notre rôle de gouvernants. Chacun aura ensuite plus de moyens matériels à sa disposition pour vivre à sa façon la condition humaine, avec ce qu'elle a de limité et d'exaltant, d'inachevé et de grandiose, de fugitif et d'éternel. Nous aurons seulement, pour ce qui nous concerne, en prenant à bras le corps les problèmes qui nous assaillent et en accélérant leurs solutions, assuré à nos nations l'essentiel: la confiance en elles-mêmes.
S'il est des domaines où notre accord est difficile, il en est où nous pouvons avancer. J'ai retenu celui de la technologie.
Si nous ne pouvons éviter la crise actuelle liée à la transition technologique, nous pouvons raccourcir cette transition. Je crois au rôle de l'initiative et de la création. Il faut lancer des grandes aventures comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Mon pays est un de ceux qui ont le moins de succès contre l'inflation, mais nous avons la plus forte croissance. Il y a beaucoup d'expérience à tirer des uns et des autres. Ceci permettra de donner à la jeunesse le goût d'un idéal. »
François Mitterrand conclut son rapport en déclarant : «Nous sommes des démocraties fondées sur des valeurs d'échange, de communication et de culture. »
Suzuki : La technologie a permis d'élever la productivité du travail. Le rapport de François Mitterrand a su finement dégager la relation entre croissance, emploi et dynamisation de l'être humain. Au Japon, la robotisation s'effectue sans heurts. En 1985 se tiendra l'Exposition technologique au Japon. Je lance un appel vibrant pour que, comme l'a proposé François Mitterrand, nous coopérions. Nous devons établir un groupe de travail dans tous ces domaines. Le Japon est prêt à coopérer dans les domaines suivants : biologie, nucléaire, espace, énergies renouvelables. Le Président François Mitterrand a raison de souligner les dangers de l'uniformisation des cultures. Prenons le commerce comme autre exemple : c'est une fois reconnue la position de l'autre que l'on peut définir une coopération technologique et commerciale. Nous avons à optimiser ensemble la technologie.
Helmut Schmidt : Vous avez enrichi les grands thèmes de nos réunions. Je suis très heureux que nous fassions connaître dans le communiqué notre accord sur votre rapport. Mais vous oubliez l'essentiel: la démographie. On a assisté au passage de 2 à 6 milliards d'hommes au cours de ce XXe siècle. C'est pour moi un problème essentiel (...). Le groupe de travail doit étudier la relation entre technologie, population et épuisement des ressources.
Margaret Thatcher, qui fut ingénieur-chimiste, se sent à l'aise avec ces sujets : La science a toujours créé beaucoup plus d'emplois qu'elle n'en supprime. Or le premier effet des nouvelles technologies est de réduire les emplois, mais, comme le dit François Mitterrand, la transition ne doit pas faire peur.
Spadolini : Nous devons relever ce défi. Cela exigera des sacrifices. Le thème des nouvelles énergies est essentiel. Le thème de la technologie est un thème central. Les libres forces du marché donneront l'impulsion.
Pierre Trudeau : Nous savons que les deux précédentes révolutions ont entraîné des crises. Évitons-en une troisième. Il y a une question morale derrière ce rapport.
François Mitterrand : La charge la plus lourde en France est due aux dépenses sociales. L'État paie des dépenses dont il ne décide pas (...). Les biotechnologies vont bouleverser les données de santé en réduisant les dépenses dans ce secteur. C'est l'enjeu essentiel. Le développement de l'agriculture du Tiers Monde permettra de changer la nature de notre développement...
Ronald Reagan prend la parole pour lire une longue note très caustique: Dans les années 30, le Président Roosevelt avait fait faire une étude de ce genre pour tenter de savoir ce que donnerait le développement scientifique dans les vingt-cinq années à venir. Ce document, si on le relit aujourd'hui, ne mentionne ni la télévision, ni le rôle des matières plastiques, ni les avions à réaction, ni les transplantations d'organes, ni même quelque chose d'aussi simple et d'aussi banal que le stylo à bille que je tiens à la main... Nous ne pouvons pas prédire ce que les vingt-cinq années futures nous apporteront comme nouveautés et, par conséquent, il nous est impossible d'étudier les conséquences des innovations technologiques sur la société de demain. Nous n'avons pas peur de la technologie et nous n'avons pas à craindre que les innovations scientifiques ou technologiques nous amènent le chômage. On aurait pu redouter que l'automatisation du téléphone aux États-Unis, en faisant disparaître les standardistes, n'augmente le taux de chômage féminin. Mais les femmes ont tout simplement trouvé du travail dans d'autres secteurs de l'économie. Tout ce qui concerne la recherche est, aux États-Unis, essentiellement du ressort du secteur privé, et je ne vois pas ce que l'on peut faire ici à ce sujet.
Malgré cette douche froide, un groupe de travail est créé pour étudier en commun des projets de haute technologie. S'ensuivront dix-huit opérations concrètes, en particulier un réseau de biotechnologies de pointe et un programme franco-japonais sur les robots. Là se trouve la genèse d'Eurêka.
On passe à la situation économique.
Helmut Schmidt : Selon les prévisions de l'OCDE, dans nos sept pays, le PNB en 1982 sera égal à celui de 1981. Nos économies déraillent. Mais il existe des lueurs d'espoir: les prévisions pour 1983 sont plus favorables, les prix commencent à baisser, les balances de paiements s'améliorent. Nous dépendons d'une consultation efficace entre nous. Notre alliance politique dépend de notre force économique. Nous devons parler ici de notre responsabilité conjointe de la stabilité en matière de commerce et de monnaie. Les taux d'intérêt trop élevés sont inacceptables; leur niveau aux États-Unis (6,5 %) est le plus élevé depuis un siècle ; et nous ne pouvons que nous aligner sur les taux d'intérêt américains, cette politique nous lie. Seule une réduction du déficit budgétaire américain permettra une baisse de ces taux.
Ronald Reagan réplique, toujours en s'aidant d'une note : Nous sommes tous confrontés au chômage. C'est la huitième récession depuis la Seconde Guerre mondiale (...). Aux États-Unis, on diminue les dépenses gouvernementales. Nous n'avons pas pu aider l'industrie automobile, le bâtiment et les travaux publics. Nous avons aujourd'hui, en même temps, un maximum de chômeurs et un maximum de gens au travail, en raison de la situation de nos sociétés: les femmes travaillent de plus en plus. 800 000 Américaines ont trouvé un emploi en un an. Les taux d'intérêt sont élevés pour des raisons psychologiques. Il y a encore de grandes menaces erratiques devant nous. Nous devons lancer une étude sur les taux de change. Les taux d'intérêt n'ont pas suivi, en raison du pessimisme financier, car notre Congrès est retombé dans son ornière budgétaire. Nous essayons de lutter contre cette tendance. Nous voulons faire décroître le déficit budgétaire (...). Nous allons nous en tenir au programme mis en place.
Pierre Trudeau l'interrompt : Le temps commence à manquer. Nos pays vont s'effondrer. Je vous le demande, Ronald, sur la réduction du Budget, comment parviendrez-vous à convaincre le Congrès?
Ronald Reagan répond, cette fois de manière improvisée : Depuis cinquante ans, le pouvoir au Congrès appartient aux démocrates. Aussi les dépenses augmentent-elles. Certes, il faut stimuler l'économie pour lutter contre le chômage. Mais les aides publiques ne sont que des piqûres de cocaïne qui ne résolvent rien. Chez General Motors, 20 000 employés ne servent qu'à suivre les règles fixées par l'État. Cela est un frein à la compétitivité. Les taux d'intérêt sont trop hauts à cause de la cocaïne des aides publiques antérieures. Nous voulons réduire les aides, sauf pour les personnes réellement nécessiteuses. Mercredi prochain, le Congrès devrait voter le Budget en réduisant le déficit. Deux cents millions d'heures de travail bureaucratique inutiles vont être supprimées. Il existe déjà des signes de reprise. Dans les mois à venir, les mises en chantier vont croître. Ceci se traduit par la hausse de la capacité du privé à créer des emplois. General Motors a pu récemment remettre au travail des ouvriers en chômage technique. »
Il a dit cela avec une telle conviction que François Mitterrand conclut : Nous sommes au moins deux à dire que nous ne voulons pas changer de politique!

Au cours du déjeuner, la discussion tant attendue s'engage sur les crédits à l'Est. Reagan réclame un contrôle du volume total. François Mitterrand réplique : Nous ne pouvons pas accepter que vous mettiez en place une sorte de COCOM financier avec un contrôle a priori de nos exportations et, en fait, une première sélection de toutes les opérations, selon un critère politique. C'est inacceptable pour nous.
Helmut Schmidt renchérit : Dès le début de ces négociations, nous vous avons dit que cette affaire du commerce Est/Ouest nous paraît secondaire. Il est beaucoup plus important de renforcer la cohésion de l'Occident, et, pour cela, il faut que vous modifiiez votre politique monétaire. Vous vous livrez à un chantage entre taux de crédit et gazoduc. Nous autres Européens, nous lançons un appel à la raison. Nous vous disons : il faut garder le sens des proportions (...). On peut résumer ainsi le débat d'aujourd'hui : prévoit-on un régime spécial des crédits à l'exportation vers l'Est bénéficiant d'un soutien public, ou bien se contente-t-on d'une recommandation générale de prudence pour les crédits à l'exportation de toute nature vers l'URSS ? La mise en place d'un COCOM financier serait pour nous inacceptable.
Schmidt, en aparté, désigne Reagan à François Mitterrand : «Ce type me fatigue. Il est nul! »

Après déjeuner, la discussion reprend sur l'économie.
Spadolini : Il y a un lien entre nos choix politiques et notre solidarité politique. L'ordre social et l'Alliance dépendent de notre stratégie économique. Nous devons envisager un dessein organique, comme l'a proposé ce matin François Mitterrand. Accroître la productivité est primordial. La lutte contre l'inflation exige la baisse des taux d'intérêt et des politiques fiscales plus strictes.
Pierre Trudeau : Dès que votre chômage se réduira, les salariés demanderont une hausse des salaires.
Suzuki : Il faut renforcer le système monétaire. Les interventions sont indispensables pour créer la confiance.
Wilfried Martens : Il y a eu des progrès notables dans la lutte contre l'inflation. Trois priorités existent aujourd'hui: la baisse des taux d'intérêt, celle des taux de change, l'équilibre entre le Nord et le Sud. Il faut diminuer les taux d'intérêt et les déficits publics. Il faut une coopération des monnaies entre Europe, USA et Japon. Il faut faire un effort sur les taux de change et revenir à plus de stabilité.
Margaret Thatcher : Il faut réduire durablement le déficit en maintenant les impôts au niveau nécessaire. Il faut "lisser" les marchés désordonnés. Le FMI n'est pas une agence pour le développement. Il doit rester indépendant des "Négociations Globales".
Helmut Schmidt : Nul ne pense que je défends l'inflation ; on ne saurait me faire dire que l'inflation a quelque utilité pratique. Mais l'inflation a commencé avant la hausse des prix du pétrole. Elle est due à une absence de discipline. Elle ne peut plus durer. Les banques centrales font des profits énormes grâce à l'inflation. Il faut des interventions de temps en temps pour lisser les fluctuations, lisser la courbe du dollar. Comme cela, personne ne paiera pour ajuster le dollar. C'est une question politique. Si j'étais Premier ministre au Bengladesh, je me plaindrais plus encore. Il y a 1 600 milliards d'eurodollars qui se baladent! C'est à vous, Américains, d'en prendre la charge.
Ronald Reagan : Nous acceptons d'intervenir sur le marché des changes. C'est réglé. Nous acceptons la proposition des sherpas.
François Mitterrand : L'inflation a tué l'Empire romain. C'est une maladie mortelle. Nos sherpas proposent un texte. En juin sera mise en place l'étude monétaire. A Toronto, en septembre, sera décidée l'application par le FMI de notre déclaration de tout à l'heure. Le Groupe des Cinq va travailler à cette application.

Impolitesse : le ministre des Finances américain, Donald Regan, sort parler aux journalistes au centre de presse de l'Orangerie. Il annonce qu'il s'attend à une dévaluation de 10 % du franc et qu'il ne fera rien pour freiner la montée du dollar. Tout l'effet attendu de l'annonce de l'étude des interventions sur le marché des changes est ruiné.
Une autre, de Haig, un peu plus tard, qui se plaint de la chaleur régnant dans l'Orangerie : « Ces Français, au lieu de parler de haute technologie, ils feraient mieux d'apprendre à installer la climatisation ! » Climatiser l'Orangerie ? Sommet de la civilisation...


En fin d'après-midi, une fois la séance levée, une brève promenade sur le Canal est prévue. Mais Gaston Defferre est formel : ses limiers auraient repéré des tireurs au bazooka dans le parc... « Ils sont », dit-il en désignant une hauteur. François Mitterrand trouve cela grotesque et souhaite maintenir la promenade. On annule : de toute façon, Reagan ne serait pas venu. Naturellement, il n'y a personne dans le parc...

Plus tard, tandis que les présidents et les ministres dînent, les sherpas se réunissent dans une aile du Trianon pour mettre au point le communiqué économique qui sera approuvé demain matin. Les collaborateurs de Reagan (Clark, Baker et Deaver) exigent de dîner à la table des ministres. Mais y installer plusieurs Américains alors que les autres pays n'ont qu'un ministre est impossible. Je les convie à la mienne. Ils préfèrent dîner entre eux à l'ambassade.
Vers 11 heures, traversant le jardin de Le Nôtre, Ségolène Royal, qui m'assiste, tombe sur un homme couvert de paillettes, accompagné d'une otarie et de deux chiens : c'est l'un des artistes venus divertir les chefs d'État et de gouvernement.

Cette nuit, le communiqué est long à mettre au point. Discussion mot à mot : en anglais, naturellement, et Robert Armstrong trouve toujours l'élégante formulation qui nous mettra d'accord.
Dans le paragraphe monétaire, on écrit qu'il faut « maîtriser les déficits et contrecarrer les situations de désordre. Il est essentiel d'intensifier la coopération économique monétaire. A cet égard, nous travaillerons à une évolution constructive et ordonnée du Système monétaire international par une coopération plus étroite entre les autorités représentant les monnaies d'Amérique du Nord, du Japon et des Communautés européennes, en vue de poursuivre des objectifs économiques et monétaires à moyen terme. A cet effet, nous avons pris l'engagement contenu dans le texte ci-joint.» On discute sur le point de savoir s'il faut dire, dans cette annexe, que les interventions sur le marché des changes auront lieu « si nécessaire » ou « quand nécessaire ». La première expression — moins contraignante que la seconde — l'emporte après une heure et demie de discussion. Le texte dit que « nous acceptons la responsabilité conjointe qui est la nôtre de travailler à une plus grande stabilité du Système monétaire mondial (...). Nous sommes prêts, si nécessaire, à procéder à des interventions sur le marché des changes pour contrecarrer des situations de désordre. » C'est la première fois depuis 1971 que les Américains acceptent de reconnaître l'utilité d'une intervention sur le marché des changes.
A propos des « Négociations Globales », on se met d'accord sur un amendement à proposer au paragraphe 5 de la proposition des 77, pour affirmer que les groupes de travail créés « ne devront pas faire double emploi avec les organes actuels ». Ce qui revient en fait à n'autoriser que la création d'un seul groupe, sur l'énergie, domaine où il n'existe pas d'institution internationale. C'est la « peau de chagrin ».
Sur le commerce Est/Ouest, le bref paragraphe que j'ai rédigé est adopté sans difficultés, à ma grande surprise. Il se contente d'inciter chacun à la prudence. Hormats n'a pas insisté pour obtenir davantage, mais il fait inscrire qu'il n'a pu consulter le Président à ce propos.
On va se coucher, traduction faite en français, vers six heures du matin.
Dimanche 6 juin 1982

Petit déjeuner au Trianon ; je rends compte à François Mitterrand de l'état du texte. Pas de problème. On entre dans la salle. Mais ni Cheysson, ni Haig, ni les autres ministres des Affaires étrangères ne sont là. Le Président s'impatiente, puis ouvre la séance par la discussion du communiqué, paragraphe par paragraphe. Un quart d'heure plus tard, Cheysson fait irruption, triomphant. Sans en aviser qui que ce soit, il a décidé hier soir, au cours de son dîner, d'une réunion des ministres des Affaires étrangères pour ce matin, afin de rédiger un autre texte sur les relations commerciales Est/Ouest, qu'il fait distribuer sans rien demander à personne :
« Nous sommes d'accord pour poursuivre une approche économique prudente à l'égard de l'URSS et de l'Europe de l'Est, tenant compte de nos objectifs politiques et de sécurité. D'abord, nous échangerons des informations entre nous et avec d'autres sur nos relations économiques, commerciales et financières avec l'Union soviétique et l'Europe de l'Est. Ensuite, nous avons décidé de [réglementer et] réviser nos relations Est/Ouest en ayant à l'esprit que de telles relations doivent se dérouler sur des bases économiques saines et tenir compte pleinement des considérations de sécurité dans les domaines technologique, économique et financier, y compris [des limites sur] les crédits à l'exportation. Enfin, nous poursuivrons activement le développement et la diversification de nos sources d'énergie afin d'éviter toute dépendance. »
Les crochets indiquent les modestes réserves formulées par Cheysson. Il est content de lui. Par ce texte, pourtant, l'Europe se met entre les mains des Américains !
François Mitterrand le parcourt et sursaute : « Mais ce texte est inacceptable ! Il vise à exclure la France et l'Italie du commerce avec l'Est. Ce texte n'a pas mon accord ! »
Haig, tout sourire, remarque suavement : « Je ne comprends pas ; c'est Claude Cheysson qui nous l'a proposé ce matin... »
Moment difficile.
La négociation reprend. Au bout d'une heure de discussion tendue, au cours de laquelle le gazoduc n'est pas évoqué, on parvient à un compromis : « Le commerce aussi bien que les crédits, les crédits privés aussi bien que les crédits bénéficiant d'un soutien public, sont à examiner ». Ce texte est vide. Chacun continuera donc d'agir à sa guise. Les échanges d'informations se dérouleront dans le cadre normal des institutions de l'OCDE, et non pas dans un cadre spécifique, à Sept ou plus. Ils porteront sur l'ensemble des relations, et non pas sur les seuls crédits export subventionnés ou garantis.
Le Président de la République précise que les mesures adoptées par la France l'engagent déjà largement dans la voie d'un ralentissement et d'un renchérissement des crédits, et qu'il attendra que les autres pays aient suivi notre exemple avant de passer, si la prudence commerciale l'exige, à une seconde phase de restrictions.


Un peu plus tôt dans la matinée, à la frontière israélo-libanaise, le général Callaghan, patron de la FINUL, a vu des chars israéliens passer la frontière. Il téléphone à tous les bataillons le nom de code « Rubicon » afin qu'ils appliquent les consignes prévues en pareille éventualité : opposer une résistance symbolique et rester sur leurs positions tant que leur sécurité n'est pas mise en péril.
A 10 heures, Yasser Arafat fait téléphoner à l'Élysée, de Beyrouth, et laisse le message suivant au permanent : « Depuis hier soir, Israël a commencé l'assaut sur Beyrouth, attaquant sur tous les fronts avec une intensité de feu sans précédent. Je m'adresse à vous, Monsieur le Président, pour vous demander de venir au secours des peuples libanais et palestinien afin de faire arrêter la destruction et le massacre préparés par le général Sharon contre la ville résistante de Beyrouth. Je suis confiant que vous n'épargnerez, comme d'habitude, aucun effort pour aider le peuple palestinien et sa juste cause. Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération, ainsi que mes remerciements. »
François Mitterrand en est informé pendant la laborieuse discussion du paragraphe sur le commerce Est/Ouest. Il annonce la nouvelle aux Sept. Chacun est surpris. En tout cas, Ronald Reagan fait comme s'il l'était. Les ministres sortent téléphoner.
On me passe alors en séance le message suivant :
« Le Conseil de sécurité se réunira en séance de consultations à 16 h 30, heure de Paris. Le secrétariat des Nations-Unies remettra un rapport sur les événements aux pays membres dans environ deux heures. Les Américains ont annoncé l'évacuation dans les jours prochains d'une partie de leur personnel au Liban. Nous ne pouvons pas joindre Beyrouth par téléphone. La Défense essaie sans succès de se mettre en contact avec le bataillon français. D'après Nanteuil, notre ambassadeur à l'ONU, outre la colonne qui se dirige vers Tyr, il y aurait une deuxième incursion près de la trouée, qui pourrait écorner le secteur français. »

A 12 heures, les colonnes blindées israéliennes progressent vers Tyr. Je passe au Président, toujours en séance, une lettre de Menahem Begin, portée de l'Élysée, exposant les raisons de l'entrée de l'armée israélienne au Sud-Liban, avec copie de celle qu'il a adressée le même jour à Ronald Reagan. Dans les deux messages, Begin plaide « la légitime défense » contre « un agresseur assoiffé de sang » et annonce « qu'il veut faire reculer les terroristes de l'OLP à 40 kilomètres vers le nord ». Il affirme son respect de l'intégrité territoriale du Liban, dénonce le rôle de l'Union soviétique dans les agressions terroristes perpétrées contre Israël, et se sert de l'exemple des Malouines : « Y a-t-il une nation au monde qui tolérerait une situation dans laquelle, après un accord de cessez-le-feu, les attaques se répètent sans cesse ? La réponse est clairement donnée dans l'action toute récente du Royaume-Uni, qui poursuit à l'heure actuelle une guerre en bonne et due forme à une distance de 15 000 kilomètres de ses côtes, en vertu de l'Article 51 de la Charte des Nations-Unies. »
Chaque mot est pesé, jusqu'aux formules de politesse adaptées aux usages en vigueur dans le pays destinataire : « Avec l'aide de Dieu, écrit-il à Reagan, nous remplirons notre devoir sacré. » Pour François Mitterrand, une courtoisie plus laïque...


Pendant que se termine la discussion sur les crédits à destination de l'Est, le Président demande à Claude Cheysson de préparer un texte sur le Liban. Il est prêt à tolérer une incursion jusqu'à 40 kilomètres si elle est suivie d'un retrait, comme il l'a laissé entendre à Begin en mars. Cheysson, en grand professionnel, improvise le texte suivant : « Nous appuyons fermement les appels urgents du Conseil de sécurité et du secrétaire général pour un arrêt immédiat et simultané des violences, et nous appelons toutes les parties à écouter ces appels afin que soient sauvegardées la paix et la sécurité dans toute la région. Chacun de nos gouvernements utilisera tous les moyens à sa disposition pour atteindre ce but. » Le texte est approuvé presque sans discussion.
On apprendra plus tard que les Américains savaient déjà tout à l'avance et que la surprise de Reagan, quelques minutes plus tôt, était une preuve de ses talents de comédien.


Le Sommet se termine par un déjeuner rapide, ministres et présidents mêlés, suivi de conférences de presse séparées. Allant à la sienne dans la Salle du Congrès, François Mitterrand remarque qu'il est déjà venu là en 1939, comme simple soldat, chargé de garder l'hémicycle lors de l'élection du Président Lebrun.

Sur le Liban, François Mitterrand : « La France n'hésite pas à condamner l'intervention israélienne, pas plus qu'elle n'a hésité à condamner les autres interventions militaires sur le territoire du Liban dès lors qu'elles se faisaient contre la volonté des dirigeants légitimes du Liban. Nous n'avons jamais cessé, par notre diplomatie, de contribuer à défendre ces principes d'unité, d'indépendance, de souveraineté, d'aide. Nous nous sommes bornés aux actions diplomatiques, parce que tel est notre rôle. »
Il explique que le texte sur le commerce Est/Ouest n'implique pas d'engagement nouveau. Dans une autre salle, au même moment, Reagan dit exactement le contraire.


A Beyrouth, à 18 h 15, le Président de la République libanaise reçoit l'ambassadeur de France, Paul-Marc Henry. Sarkis réitère sa « demande d'intervention de la part des puissances occidentales et de la France en particulier, pour obtenir un cessez-le-feu effectif qui ne préjugerait pas d'un règlement politique, mais qui allégerait les souffrances des populations martyres ». Il pense que les forces israéliennes vont poursuivre leur invasion jusqu'à Beyrouth. D'ores et déjà, « elles ont rendu impraticables toutes les communications avec la Zone Sud, en violant en particulier tous les barrages des contingents de la FINUL, y compris des deux bataillons français ».

A Versailles, juste après que la merveilleuse voix d'Esther Lamandier a masqué pour un bref instant les grondements de la guerre à Beyrouth, le Président confirme à Pierre Mauroy que la dévaluation sera pour le week-end prochain.

La soirée doit se poursuivre par un court opéra qui sera simultanément diffusé en direct à la télévision et interprété par la compagnie des Arts Florissants de William Christie devant toutes les délégations et la classe dirigeante française. Le rideau de scène ne se lève pas : panne du réseau électrique. Une heure de retard. Reagan s'impatiente, Poher s'endort. François Mitterrand, très calme, me demande d'aller sur scène annoncer que le spectacle est annulé. J'y vais sans hâte excessive. Juste avant que je n'entre en scène, le rideau se lève : quelqu'un s'est souvenu opportunément de l'existence d'un groupe électrogène.

A 23 heures, après l'élégant dîner, les feux d'artifice nous laissent un goût amer : on meurt en ce moment même à Beyrouth ; la rigueur est devant nous. Et pourtant, bien des choses importantes viennent de se jouer ici : on a jeté les bases d'un retour à une coopération des banques centrales, le premier depuis 1971 ; on a lancé la première grande coopération technologique internationale...
Lundi 7 juin 1982

De retour à Paris, François Mitterrand : « Ces Sommets sont des rings de boxe. On cherche un vainqueur et un vaincu. Nous sommes isolés et cela offre une tribune de propagande à nos adversaires. Mais je ne regrette pas d'avoir choisi Versailles. Il faut bien recevoir les hôtes de la France. Qu'aurait-on dit si le Sommet avait eu lieu à Hénin-Liétard ? Que nous faisions honte à la France... »


Israël occupe maintenant Tyr, Nabatieh, Hasbaya. Selon Paul-Marc Henry, l'OLP ne s'attend pas à ce que Tsahal essaie d'atteindre la banlieue de Beyrouth.
L'Émir du Qatar demande « avec la plus grande insistance à la France d'agir » en exerçant sans délai la plus forte pression possible sur Israël pour l'amener à accepter un cessez-le-feu immédiat et un retrait de ses troupes hors du territoire envahi.


L'envoyé spécial américain, Philip Habib, part en mission de bons offices. Il veut obtenir le retrait des Israéliens en échange du départ des Palestiniens.

Même si peu de résultats doivent être attendus de la deuxième session spéciale des Nations-Unies sur le désarmement, qui s'ouvre aujourd'hui, c'est un rendez-vous important. Schmidt s'y rend avec l'intention de prononcer un grand discours et de faire des propositions sur les mesures de confiance. Suzuki y parlera également et soulignera l'importance que le Japon accorde au désarmement. Le général Haig, de son côté, saisira cette occasion pour rencontrer Gromyko. Représentée par son ministre des Relations extérieures, la France y fera aussi entendre sa voix.

Le Président est mis au courant par Gaston Defferre de l'enlèvement fictif, par la DST, d'un exilé roumain, Virgile Tanase, menacé par la Securitate. Il doit rester à l'abri. Cet enlèvement, immédiatement rendu public, fait scandale : on l'attribue à la Securitate.


Goukouni Oueddeï quitte N'Djamena pour Tripoli. Hissène Habré entre en vainqueur dans la capitale tchadienne. François Mitterrand : « Je n'aime pas cet homme. Il est entre les mains des Américains. Mais nous devons le soutenir parce qu'il incarne maintenant le pays dans son ensemble. Ce qui compte, c'est l'unité du Tchad. Si on ne la protège pas, toutes les frontières africaines voleront en éclats. »


André Rousselet s'apprête à quitter l'Élysée pour la présidence de Havas, avec le projet d'y récupérer le projet d'une quatrième chaîne qu'il veut, lui, cryptée.


Mardi 8 juin 1982

La seconde dévaluation se prépare. Pierre Mauroy demande au Président d'annoncer demain, en conférence de presse, la réunion prochaine des partenaires sociaux. Mais pas de dire, évidemment, qu'il s'agira d'y instaurer le blocage des salaires et des prix.
Charles Hernu reçoit l'ambassadeur d'Arabie Saoudite, venu lui faire part de la crainte du Roi Khaled d'une victoire de l'Iran sur l'Irak : « On ne peut plus exclure que cette guerre débouche sur un affrontement international. L'URSS a des relations étroites avec la Syrie, Israël aide ouvertement l'Iran, et les États-Unis d'Amérique savent tout cela. Une partie biaisée se déroule donc sous nos yeux. Les Saoudiens, qui ont des intérêts considérables en France et savent que, grâce à vous, la France ne joue pas le jeu des deux grandes puissances, pourraient donc, dans cette affaire, tenir un rôle international de première ampleur. Quel rôle politique la France va-t-elle décider de jouer dans une situation qui se dégrade rapidement ? Les Iraniens n'ont pas encore précisé leurs intentions, mais Bagdad pense que l'URSS peut les pousser à passer les frontières de l'Irak. Après la conquête du Sud-Liban, la guerre entre l'Iran et l'Irak fait craindre aux dirigeants saoudiens une explosion dans le monde arabe, une accumulation de rancœurs et des gestes inconsidérés et dangereux, y compris pour la sécurité des Européens. » Bien vu...

Le Président Moubarak écrit au Président de la République « pour obtenir le retrait immédiat des forces israéliennes et le rétablissement du cessez-le-feu qui a été violé ».
Veto américain à une résolution du Conseil de sécurité exigeant le retrait « immédiat et inconditionnel » d'Israël du Liban.




Mercredi 9 juin 1982

François Mitterrand donne sa seconde conférence de presse. Fausses confidences. Virgil Tanase est à l'abri ; mais pas question de le reconnaître. La dévaluation est pour après-demain ; mais pas question de l'annoncer. Il parle seulement d'une « deuxième phase » du changement, annonce une table ronde avec les syndicats.
A une question sur Tanase, le Président répond comme il peut, sans mentir ni rien dévoiler. A propos du Liban : « La politique de la France n'est pas, dans la plupart des régions du monde, de se faire gendarme, même si ce gendarme est fondé à intervenir au nom de la paix civile et militaire. Tout appel du gouvernement légitime du Liban sera entendu par la France. Je rappelle la condamnation sans réserve que nous portons contre l'agression israélienne au Liban. Si les pays arabes ont refusé de reconnaître l'existence d'Israël, de mon point de vue, ils ont eu tort. Qu'Israël ne veuille pas reconnaître la réalité palestinienne et le droit de ce peuple à disposer d'une patrie, c'est aussi une erreur historique. Je n'ai pas cessé de le dire aux uns et aux autres, et je le répète (...). Je ne suis pas en train d'examiner une responsabilité historique, elle serait souvent partagée (...). Le pourtour d'un futur État palestinien, je n'en suis pas juge, je n'en sais rien. Il importera aux négociateurs de le dire. Par contre, j'ai toujours dit que si la question se posait, elle se posait d'abord en Cisjordanie et à Gaza, et que, s'il m'est impossible d'en définir les contours, j'en aperçois quand même bien le centre. Je souhaite que ces frontières soient déterminées de sorte que les autres frontières, celles d'Israël, soient intégralement défendues par la société internationale. »


La réunion des chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN commence à Bonn, accompagnée de manifestations pacifistes. Le Président n'y vient que pour le dîner, au cours duquel rien ne se dit.
L'aviation israélienne détruit des rampes de missiles palestiniennes dans la Bekaa. L'armée israélienne est à 100 kilomètres de Beyrouth. François Mitterrand se montre encore indulgent à l'égard de ce qu'il croit être une simple opération de sauvegarde élargissant la zone de sécurité d'Israël. Le Roi Khaled d'Arabie Saoudite lui écrit (comme à d'autres, sans doute) :
« En raison de votre souci constant de la paix, nous vous exhortons à poursuivre votre effort pour mettre un terme à l'agression israélienne. Les États membres de la Communauté Européenne condamnent vigoureusement la nouvelle invasion israélienne du Liban, tout comme les bombardements qui l'ont précédée et qui ont causé un nombre intolérable de pertes en vies humaines. Cette action est injustifiable. Elle constitue une violation flagrante du droit international, ainsi que des principes humanitaires les plus élémentaires. En outre, elle compromet les efforts en vue d'un règlement pacifique des problèmes du Proche-Orient et présente un risque imminent de déboucher sur un conflit généralisé. »

Dans la nuit, Brejnev écrit à Reagan ; il lui demande d'intervenir auprès des Israéliens pour qu'ils arrêtent les combats et se retirent du Liban. Le Président américain répond immédiatement qu'il le fera si l'URSS agit de même auprès de Damas.




Jeudi 10 juin 1982

Brejnev écrit de nouveau à Reagan, plus menaçant : « La préparation de l'intervention israélienne était visiblement si élaborée que les États-Unis en avaient certainement eu connaissance à l'avance. » C'est vraisemblable.

Les négociations entre les États-Unis et la CEE sur la sidérurgie sont rompues.
Le Parlement adopte la loi Quilliot.

La crise des changes est à son paroxysme. La dévaluation est devenue un secret de polichinelle. Jacques Delors fait convoquer le Comité monétaire européen pour demain soir.




Vendredi 11 juin 1982

La Commission européenne confirme que la contribution allemande au remboursement consenti à la Grande-Bretagne est réduite de moitié : Claude Cheysson avait bel et bien engagé la parole de la France, contrairement à ce qu'il a écrit au Président.

A la demande de Jacques Delors, le Comité monétaire, composé des dix directeurs du Trésor de la Communauté, est réuni. Il n'accepte qu'un écart de 7 % entre le franc et le mark. C'est insuffisant pour nous. Il faudrait au moins le double pour réussir. Tout est renvoyé à une réunion des ministres.

L'OLP demande à la France d'empêcher les Israéliens d'entrer dans Beyrouth, et de pousser Béchir Gemayel et les Phalangistes à un dialogue avec l'OLP. Israël propose un cessez-le-feu à la Syrie, qui l'accepte.
Samedi 12 juin 1982

Les ministres des Finances des Dix discutent de l'ampleur de la dévaluation française. Consulté par Manfred Lahnstein, appelé par Delors, le Chancelier Schmidt accepte un écart de 10 % : la dévaluation du franc est de 5,75 %, la réévaluation du mark, de 4,25 %.
Qu'a promis Delors en échange aux ministres ? « Rien », répond-il à François Mitterrand qui l'interroge au téléphone depuis Latché.

A New York, 750 000 personnes manifestent contre l'installation des Pershing.
Haig rencontre Gromyko. Le dialogue américano-soviétique reprend, dans le sillage de la double négociation de Genève, sur les armements stratégiques et sur les armements en Europe.
Les Américains se disent convaincus que les Soviétiques recherchent véritablement un accord, d'abord à cause du réarmement américain, puis par souci de restaurer certains éléments de stabilité, enfin en raison d'une certaine foi dans la détente, nourrie chez les dirigeants soviétiques par la conscience des avantages de la coopération économique avec l'Ouest. Chacun s'attend à une négociation longue ; Gromyko confirme à Haig la nécessité de progresser « pas à pas, avec patience ». Les deux parties redoutent une lassitude des opinions publiques face aux surenchères verbales des uns et des autres.
Dans son intervention à la session spéciale de l'ONU, Reagan réveille de vieilles polémiques (armes chimiques, violations des accords de Yalta par les Soviétiques). Certains membres de l'Administration américaine maintiennent l'offensive : Stoessel, le secrétaire d'État adjoint, fait une déposition devant la commission des Affaires étrangères du Sénat sur « les tentatives soviétiques de déstabiliser le Pacifique et l'Asie orientale » ; il parle d'une « menace croissante » contre les intérêts des États-Unis et de leurs alliés et amis en Extrême-Orient.

Les Israéliens investissent Beyrouth-Est et encerclent Beyrouth-Ouest. François Mitterrand est furieux : « Begin m'a menti. Il m'avait écrit qu'il n'irait pas plus loin que 40 kilomètres ! » A Damas, un responsable syrien rappelle à notre ambassadeur le mot de Bonaparte, en l'appliquant à Begin : « Je ne peux pas gagner, mais je ne veux pas perdre. »

Claude Cheysson prévient le Président qu'Alexander Haig, au téléphone, lui « a fait part des efforts, enfin couronnés de succès, pour obtenir de M. Begin [en fait, de Sharon] l'extension du cessez-le-feu aux Palestiniens, c'est-à-dire la renonciation au nettoyage de Beyrouth ». Cheysson ajoute : « Il m'a aussi parlé de la dernière idée qui est ébauchée à Washington et à Ryad: la constitution d'un "groupe de contact" de quatre pays : deux de la région, l'Arabie Saoudite et le Koweït, deux extérieurs, les États-Unis et la France. » Le général Haig esquisse aussi l'idée de la création d'une force multinationale à Beyrouth, qui gérerait les retraits simultanés des Israéliens et des Syriens. François Mitterrand y est d'emblée favorable. Cheysson pose mille conditions, parfaitement sensées. Il n'y a pas, pour l'instant, de démarches formelles. Elles viendront plus tard.

Les lettres de dirigeants arabes continuent de parvenir dans les chancelleries occidentales. Le Roi Hussein de Jordanie écrit au Président de la République :
« Au nom du respect de l'humanité, je fais appel à vous pour exercer au nom de votre pays un effort immédiat et maximum afin de mettre un terme à l'holocauste sans précédent qui se déroule aujourd'hui sur le sol libanais... »



Dimanche 13 juin 1982

Tôt le matin, le Président revient de Latché à l'Élysée pour entériner le plan de rigueur : d'abord avec Mauroy, Delors et moi, dans son bureau ; puis, un peu plus tard dans la matinée, dans le Salon des Ambassadeurs, en Conseil restreint que je convoque en l'absence de Bérégovoy, alors à Fès avec le Roi du Maroc. La discussion est sereine ; chacun ressent l'humiliation de cette seconde dévaluation et écoute surtout, abasourdi, sonner la fin des largesses sociales. Heureusement, pas de remise en cause des réformes de structures.
Conversation importante, que je rapporte ici en détail, car elle marque un tournant majeur dans l'attitude des différents acteurs à l'égard de la rigueur : désormais, elle est légitime ; elle doit être massive pour faire effet rapidement. Le tournant est pris.
Jacques Delors : La France a connu une grave crise. Vous nous avez donné mandat d'obtenir un réalignement monétaire. Je l'ai obtenu. Mais, maintenant, nous avons à redresser la croissance, à arrêter la marée noire du chômage, à nous donner les outils de notre politique économique. Nous avons à nous donner les moyens de la deuxième phase.
Il y a trois causes à cette crise des changes. D'abord des causes économiques : l'attitude égoïste des États-Unis a créé une récession mondiale ; le chômage a augmenté de 50 % en RFA, mais la désinflation s'y est accélérée ; l'appareil de production français n'a pas répondu à la demande des ménages ; les hausses excessives des salaires et des charges, par laxisme du patronat, ont créé un écart de 10 % avec la RFA. Il faut aussi y ajouter des causes psychologiques et des causes politiques, tel l'incivisme de l'opposition. La priorité est de réduire l'inflation.
Pierre Mauroy l'interrompt. Il propose de décider le blocage des salaires pendant trois mois par la loi. Delors préférerait le négocier avec les syndicats.
François Mitterrand : Quitte à le faire, décidons-le vite, pour que cela fasse effet au plus tôt ; on le fera pendant quatre mois, et non trois.
Pierre Mauroy, qui tient à tout exposer lui-même : Je propose une réunion des partenaires sociaux jeudi prochain et l'adoption du projet de loi le mercredi suivant. Il faut ramener le taux d'inflation de 12 % en 1981 à 10 % en 1982 et à 8 % en 1983. Pour cela, je propose le blocage de tous les prix jusqu'au 30 septembre — sauf pour les prix agricoles, les prix alimentaires frais, les prix pétroliers. La sortie du blocage se fera par la négociation. Pour les revenus, suspension pendant trois mois des clauses conventionnelles, sauf le SMIC. On maintiendra les dispositions légales du SMIC et le pouvoir d'achat des prestations familiales. Pour les finances publiques, le déficit du Budget 1982 sera limité à 108 milliards ; le Budget 1983 connaîtra un déficit de 120 milliards, avec une réserve de 20 milliards. La lutte contre le chômage sera intensifiée par un programme en faveur des 16-18 ans, une réforme du service public de l'emploi, la mise en place de mécanismes pour les chômeurs de longue durée et la relance de l'investissement par les entreprises nationales et de grands travaux.
Jacques Delors : Il faut arriver à un niveau de chômage inférieur à 2 millions avant la fin 1983. Mais le déficit du commerce extérieur sera de 70 milliards en 1982, et de 42 milliards en 1983. On ne pourra donc pas faire des miracles tous les jours.
Charles Fiterman : Le changement de 1981 n'a pas dégagé de ressources suffisantes. Le pouvoir d'achat n'a pas augmenté autant que Jacques Delors le dit. La spéculation a accéléré ce processus. Comment être sûr que le blocage des prix sera réellement efficace et que le pouvoir d'achat sera maintenu ? L'indice des prix est truqué, c'est inacceptable.
Michel Rocard trépigne : Depuis mai 1981, je suis en désaccord avec la stratégie monétaire suivie. La stratégie générale aurait dû être définie à froid J'étais pour le flottement. Je ne crois pas que le déficit budgétaire annoncé pour 1983 sera tenu. Il faut soumettre les dépenses publiques à des choix explicites. Mais les choix faits ici mettent en cause l'emploi et la croissance. Monsieur le Président, si l'on s'en tient à cette politique, c'en est fini du rayonnement de votre septennat.
Jean-Pierre Chevènement : Je suis, moi aussi, contre cette politique. Nous chaussons les bottes de Barre. La France du travail s'affole. Nous devons nous donner plus de liberté, déconnecter notre politique financière interne pour mobiliser mieux nos richesses. Pour cela, peut-on garder l'actuel gouverneur de la Banque de France ? Non, évidemment. Il faut décider du flottement du franc, mettre en place un contingentement des importations.
Rocard approuve. Étrange alliance !
Nicole Questiaux, très professionnelle : Il n'y a qu'une façon de réussir, c'est de casser toutes les indexations. Il faut casser l'inflation au plus vite.
Laurent Fabius : Il faut réduire les charges et remplacer les allocations familiales par des déductions fiscales, et augmenter la TVA pour réduire le déficit.
Jacques Delors : Pas question ! Les prix deviendraient incontrôlables.
Nul ne parle de revenir sur les nationalisations, les trente-neuf heures, la retraite ou les lois Auroux. Il ne s'agit que d'une nouvelle phase de la gestion conjoncturelle. Cela, même les communistes l'admettent. Mais personne ne voit qu'au-delà de l'inflation, il faudra s'attaquer au déficit extérieur, c'est-à-dire à la croissance et à l'emploi.

Au quarante et unième Congrès de la CGT, Krasucki succède à Séguy. Les attaques contre le contrôle des prix et des salaires y sont plutôt modérées.

Les Israéliens font leur jonction avec les milices chrétiennes au palais présidentiel de Baabda. C'est clair maintenant pour tous : Béchir Gemayel et Ariel Sharon ont partie liée depuis longtemps. Blocus de Beyrouth-Ouest, la partie musulmane de la ville.


Le Président américain calme le jeu avec Moscou. Il assure Brejnev de l'appui de son pays aux résolutions du Conseil de sécurité, dément que M. Habib ait pu jouer un rôle contraire aux intérêts de la paix et que Washington ait eu connaissance à l'avance des projets de Tel Aviv.

Aux Malouines, les troupes britanniques reprennent Port Stanley. La guerre s'achève par la déroute de la dictature argentine, qui ne veut cependant pas renoncer à sa revendication historique sur les îles.
Lundi 14 juin 1982

Le Roi Khaled meurt. Le Prince Fahd accède au trône d'Arabie Saoudite : un maître en politique étrangère, subtil et ouvert.

Après dix jours de très violents combats, Tyr et Saïda tombent aux mains de l'armée israélienne, cependant que Damas rejette un ultimatum de Jérusalem lui intimant de retirer ses quelque 2 000 soldats de Beyrouth.
Devant Beyrouth assiégée, le paquebot Azur embarque 1 200 personnes, dont 800 Français. Un communiqué de l'Elysée demande solennellement l'arrêt des opérations israéliennes.
Les relations entre la France et Israël sont évidemment gelées : la réunion qui devait se tenir à Jérusalem aujourd'hui à propos de l'accord culturel et scientifique est annulée ; la négociation d'un protocole de protection et d'encouragement des investissements est suspendue, comme la négociation d'achat d'une centrale nucléaire.
Le Président écrit à nouveau à Begin :
« Devant l'aggravation de la situation à Beyrouth et dans le Liban tout entier, devant l'amoncellement des ruines et les victimes innocentes, la France ne peut rester indifférente. Très préoccupé par les risques que tout ceci comporte pour la paix du monde, j'estime de mon devoir de m'adresser personnellement et directement à vous. J'ai gardé souvenir de nos rencontres à Jérusalem et de votre souci d'alors de rechercher les voies d'une paix durable dans la région. Je souhaite que vous puissiez faire la preuve que telle est plus que jamais votre intention. Mon amitié pour votre pays et les relations personnelles que nous avons nouées m'autorisent à vous demander de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que cessent au plus tôt les combats au Liban ; ainsi seront créées les conditions d'un retrait de toutes les armées étrangères présentes dans ce pays, et d'une restauration de la souveraineté nationale libanaise. »


Itzhak Shamir est reçu à l'Élysée. Pour lui, « l'opération israélienne au Liban était justifiée par la menace terroriste. Elle n'est une surprise pour personne. Elle permet maintenant de rechercher une solution politique en favorisant l'émergence d'un gouvernement libanais indépendant s'appuyant sur des forces multionationales. Je ne comprends pas la sympathie de la France pour les terroristes ». Le Président est pessimiste : « Au moindre accrochage entre Israël et les Syriens, les Russes peuvent entrer dans la bataille et la guerre mondiale se déclencher. »
Shamir rencontre aussi Cheysson. La conversation se passe mal : les deux hommes sont entiers, passionnés et brutaux.

Capitulation des troupes argentines. Toujours sans renonciation de Buenos-Aires à sa revendication sur les îles.


Les Américains reviennent à la charge sur le commerce avec l'URSS dans toutes les instances possibles, pour donner un sens contraignant au texte de Versailles. Jacques Delors vient expliquer au Président que notre représentant à une réunion de niveau moyen à l'OCDE, tout à fait isolé, a accepté « ad referendum » la réduction des subventions aux crédits publics à l'Est, que nous avions repoussée lors du Sommet. François Mitterrand : « Je refuse tout engagement de la France en ce sens. »
Mardi 15 juin 1982

A l'ONU, Gromyko annonce que « l'URSS ne sera pas le premier utilisateur de l'arme nucléaire ». Formidable acte de propagande, qui ne réduit en rien la force dissuasive des 10 000 ogives soviétiques.

Pierre Bérégovoy semble s'ennuyer à l'Élysée. Dès son retour du Maroc, il demande au Président l'autorisation d'accompagner Claude Cheysson aux obsèques du Roi Khaled. Accepté.


Mercredi 16 juin 1982

Au Conseil des ministres, Jacques Delors rend compte de la dévaluation et présente le plan de rigueur. Deux ministres seulement s'expriment contre : Chevènement, ministre de l'Industrie, et Delelis, ministre du Commerce. François Mitterrand : « La situation est difficile. Nous ne pouvons compter sur personne. Si la situation s'aggrave, cela pourrait nous conduire à quitter le SME, qui nous lie à ceux qui nous combattent. Mais, vivant en économie libre, il faut en payer les conséquences. » Naturellement, la phrase centrale sera connue à l'extérieur. Il faudra tout faire pour démontrer à la presse qu'elle n'a pas été dite.

Dans l'après-midi, départ pour l'Autriche. Énorme délégation, parfaitement inutile. Rencontre avec l'éblouissant Kreisky : « Il faut éviter l'anéantissement de l'OLP à Beyrouth : sans Arafat, ce serait pire, les désespérés l'emporteraient; pourquoi les Israéliens ne le comprennent-ils pas ? »


Jeudi 17 juin 1982

Au petit déjeuner à la résidence de France à Vienne, discussion avec François Mitterrand et Laurent Fabius sur la situation intérieure.
François Mitterrand s'inquiète : Avec cette dévaluation, n'est-on pas en train de se mettre entre les mains des inspecteurs des Finances ? Avons-nous perdu notre liberté ?
Laurent Fabius : Pas encore. Mais on est en train de la perdre. On pourrait faire autre chose. La France est un des pays occidentaux dont la dette interne est la plus faible (12 % du PIB contre 60 % en Italie, 30 % aux États-Unis et près de 20 % en RFA). Mais, en raison des taux d'intérêt, le service de la dette augmente fortement et l'endettement extérieur, encore faible, est de plus en plus coûteux (5 % du PIB, contre 30 % pour la RFA, 26 % pour le Royaume-Uni, 38 % pour l'Autriche). Il faut baisser la charge qui pèse sur les entreprises et l'investissement repartira.
François Mitterrand : Oui. Il faut relancer la croissance par de grands travaux, et les investissements des entreprises publiques.
Laurent Fabius : Mauroy et Delors n'en veulent pas et vont geler les réformes.
Le Président décide d'écrire en ce sens au Premier ministre. L'idée progresse qu'on peut aller plus loin, mélanger rigueur et volontarisme, conservatisme social et léninisme politique.
Claude Cheysson, dans un coin, bavarde avec des journalistes : « Israël mène une politique suicidaire qui peut se retourner contre le peuple israélien sous la forme du terrorisme le plus sauvage. » Naturellement, il sera cité. Une vérité de plus — une gaffe de plus. Personne n'a encore osé rappeler à Claude Cheysson qu'il était diplomate.

A Paris, Pierre Mauroy reçoit les syndicats ; tous refusent de s'engager à l'avance sur la modération des revendications salariales lors de la sortie du blocage, en novembre. Sortir du blocage occupera toutes les énergies : il faudra éviter qu'il n'ait été en fait qu'une réduction artificielle des prix et que l'on retrouve la même inflation après. Il faut donc casser les mécanismes accumulés depuis vingt ans et créer un consensus sur une répartition artificielle des richesses.

A la suite de Versailles, le groupe d'experts à Sept chargé d'étudier l'intervention sur les marchés des changes se réunit à Paris pour la première fois, sous la présidence d'un haut fonctionnaire français, numéro trois du Trésor, Jean-Claude Trichet. Par ailleurs, nous rappelons aux Canadiens, qui ont présidé à Cancún, qu'ils doivent engager rapidement les consultations avec le Groupe des 77 — les pays du Sud —, comme convenu à Versailles, pour se mettre d'accord sur le nombre de forums à créer. Se met aussi en place le groupe de travail prévu sur la coopération technologique à Sept. Yves Stourdzé, infatigable et magnifique, en prend la direction.

Le Président envoie des messages à plusieurs chefs d'État, en particulier ceux qui étaient à Cancún, pour leur expliquer les résultats de Versailles. Il ajoute lui-même à la liste : Gabon, Guinée, Togo, Nicaragua, Panama, Équateur. Il est convenu que j'irai à Mexico et à Alger.

Ségolène Royal, qui m'a aidé, avec Jean-Louis Bianco, Pierre Morel et François Hollande, à préparer Versailles, reste officiellement à l'Elysée. Remarquable compétence au service d'une conviction sincère.

A Beyrouth, le commandant en chef des Forces phalangistes, Béchir Gemayel, s'adresse à ses partisans : « Le Palestinien a un seul choix : c'est de sortir du Liban de son plein gré. Et nous sommes même prêts à l'aider à sortir de Beyrouth-Ouest, par pitié pour ses habitants qui supportent les agissements des Palestiniens depuis 1967. Nous allons construire le Liban et élaborer un nouveau Pacte national afin que ce pays puisse vivre et se développer entre ses voisins dans le respect total. » Un avertissement qui ne passe nulle part inaperçu.

A Buenos Aires, le chef de l'État, le général Galtieri, est démis de ses fonctions par la junte militaire. En éliminant l'un des leurs, les militaires essaient de se sauver.






Vendredi 18 juin 1982

Selon les prévisions faites après la dévaluation, les prix n'augmenteront en 1982 que de 9,5 % si le gouvernement parvient à imposer un blocage effectif des salaires. Ce n'est pas si mal. Mais on doit s'attendre à un déficit commercial de plus de 85 milliards, parce que la croissance n'est pas ralentie et que la dévaluation renchérit les importations. Catastrophique.
Pierre Mauroy reçoit le CNPF : « La sortie du blocage, leut explique-t-il, doit s'effectuer sans rattrapage des prix et des salaires. » Grincements de dents ; haussements d'épaules.

A la suite de la lettre adressée par François Mitterrand à Pierre Mauroy après le voyage à Vienne, l'idée d'un Fonds pour les grands travaux se concrétise. François Mitterrand s'inquiète néanmoins : « Dire à qui de droit que je souhaite que l'on consacre au moins 100 millions du Fonds des grands travaux au Patrimoine (monuments historiques, etc.). »

Le Président n'entend pas voir la lutte contre l'inflation interdire toute réforme. Il travaille avec Bérégovoy et Boublil à une nouvelle lettre à Mauroy qui relancerait les réformes sociales. Jean Riboud vient lui expliquer que la lutte contre l'inflation est mortelle pour les entreprises : leurs profits baissent, mais pas leurs charges, en particulier la charge de leur dette. Il faut baisser les taux d'intérêt et, pour cela, ne pas avoir à s'en servir pour maintenir le cours du franc.

Coup de tonnerre : Ronald Reagan décrète l'extraterritorialité de l'embargo vers l'Est. C'est-à-dire un embargo sur l'usage, dans la construction du gazoduc eurosibérien, de tout matériel utilisant des licences américaines, très exactement de « tout produit fabriqué à partir de données techniques américaines, lorsque celles-ci ont fait l'objet d'un accord de licence avec toute personne soumise à la juridiction des États-Unis et lorsque la société licenciée s'est engagée par contrat à respecter la réglementation américaine ». Cette décision vise à empêcher en particulier la livraison à l'Union soviétique de 50 rotors d'Alsthom et de compresseurs de Creusot-Loire et Dresser-France, utilisant des licences de General Electric. Si les entreprises passent outre à la décision américaine, elles courent le risque d'amendes de cinq fois la valeur de la transaction, soit 2 milliards de dollars, et la dénonciation des accords de licence, qui interdirait à Alsthom de travailler aux États-Unis et lui ferait perdre un chiffre d'affaires de 1,2 milliard de francs par an. L'extension des sanctions à la maison mère, la CGE, pourrait toucher une vingtaine de filiales et coûter 4 milliards de dollars.
Cheysson au téléphone : « Haig avait évoqué cette menace à Versailles dans notre discussion du matin. »
Pourquoi ne l'a-t-il pas dit alors ? Par peur de la réaction du Président devant ce chantage ? Jamais Hormats n'en a soufflé mot. Ce que Reagan n'a pu obtenir par le communiqué de Versailles, il nous l'impose ici, sans préavis.
Michel Jobert écrit à son homologue américain, Malcolm Baldridge, sa « vive surprise et sérieuse préoccupation... ». Il évoque une « interprétation abusive des règles du jeu communément admises dans le commerce international ».

Un nouveau Conseil de gouvernement est nommé en Nouvelle-Calédonie.

Shimon Pérès dit à Willy Brandt avoir la certitude que l'invasion du Liban « avait été arrangée avec les Américains ».

Test : un sac d'explosifs a pu franchir les grilles de l'Élysée, arriver jusqu'à mon bureau, le traverser et être déposé dans celui du Président. Il faut faire quelque chose !
Samedi 19 juin 1982

Kaddoumi est reçu à Paris par Pierre Mauroy et Claude Cheysson, qui insistent sur la nécessité d'une négociation entre les deux parties, ce qui suppose leur reconnaissance réciproque. Kaddoumi répond que « l'OLP est plus que jamais ouverte au dialogue. Mais, quant à l'exigence de la reconnaissance, l'OLP ne peut, dès le départ, se dessaisir d'une carte aussi importante ». Pierre Mauroy lui redit qu'il est prêt à recevoir Arafat à Paris. Un Arafat assiégé et mal en point à Beyrouth.

Les Américains étaient certainement prévenus avant Versailles de l'imminence de l'invasion israélienne. Ronald Reagan écrit à François Mitterrand que celle-ci présente quelques avantages :
« Un retour à la situation qui prévalait avant le 5 juin ne servirait pas les intérêts de la région dans son entier. Avec le temps, je le crains, la même situation instable, qui a abouti à la tragédie actuelle, réapparaîtrait d'elle-même. Au lieu de cela, il faut saisir cette opportunité pour restaurer l'intégrité territoriale du Liban, et le gouvernement libanais doit être mis en mesure d'étendre son autorité sur l'ensemble du pays aussi vite que possible. »
Devant les journalistes, Claude Cheysson qualifie sa dernière conversation avec Itzhak Shamir, le 15 juin dernier, d'« hallucinante ». « Cet entretien a révélé entre nous un divorce total sur le fond. »

Hissène Habré se proclame chef de l'État tchadien. Il est à N'Djamena, donc légitime.

Le cadavre du premier banquier privé d'Italie est retrouvé à Londres : pendu sous un pont ! Le scandale de la Banque Ambrosiano commence. Il éclaboussera le Vatican.




Dimanche 20 juin 1982

Une « marche pour la paix », organisée par le PCF et la CGT, rassemble 200 000 personnes à Paris.

L'ambassadeur d'Israël proteste contre les propos de Cheysson et contre la réception à Paris de Farouk Kaddoumi : « On s'interroge à Jérusalem sur l'éventualité d'une participation française à un règlement du problème du Proche-Orient, en raison des positions anti-israéliennes adoptées par la France ces derniers jours. »

Les diplomates partout s'affairent. Nouvelle déclaration du Conseil de sécurité sur le Liban : « Profondément ému par les souffrances des populations civiles libanaise et palestinienne, se référant aux principes humanitaires des conventions de Genève de 1949 et aux obligations résultant des règlements annexes à la Convention de La Haye de 1907, réaffirmant ses Résolutions 508 (1982) et 50 (1982) :
1 enjoint à toutes les parties au conflit de respecter les droits des populations civiles, de s'abstenir de tout acte de violence à l'encontre de ces populations, et de prendre toutes mesures utiles pour atténuer les souffrances engendrées par le conflit, en particulier en facilitant l'acheminement et la distribution des secours apportés par les agences de l'ONU et par les organisations non gouvernementales, notamment par de Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ,
2 fait appel aux États membres pour qu'ils continuent à apporter l'aide humanitaire la plus large. »

A Luxembourg, les Dix ministres des Affaires étrangères « suivent avec anxiété la situation au Liban, qui s'est gravement détériorée depuis leur déclaration publiée à l'issue de la réunion ministérielle de Bonn du 9 juin ; ils rappellent également qu'ils ont demandé au gouvernement israélien une série d'assurances portant sur des problèmes immédiats soulevés par la situation dramatique qui existe dans la région, mais doivent constater qu'ils n'ont pas reçu jusqu'à présent de réponse satisfaisante ».
Des mots, des mots...



Lundi 21 juin 1982

Première fête de la Musique. Grand succès. « Fête de la Musique, Faites de la musique », avait dit Jack Lang. La culture n'est pas un divertissement ; elle exige un apprentissage. Sa pratique ne saurait se substituer à son enseignement. Ne pas l'oublier...

A Washington, Begin rencontre Reagan qui, semble-t-il, ne critique pas la politique de Jérusalem au Liban. Lawrence Eagleburger, sous-secrétaire d'État, dit à notre ambassadeur : « Le moment est venu pour les Etats-Unis d'avoir recours à certains pays qui pourraient s'entremettre auprès de l'organisation palestinienne : l'Arabie Saoudite, l'Egypte et peut-être la France. » L'idée revient de négocier le départ des uns et des autres.

Nouvelle réunion des ministres des Affaires étrangères des Dix à Bruxelles sur la contribution britannique. Pas de conclusion. Cheysson est coincé entre ce qu'il a accepté le 22 mai et ce que le Président lui a écrit le 23.

Répondant enfin à la lettre du Président lui enjoignant de mettre en œuvre la réforme de la Haute Fonction publique, le ministre Anicet Le Pors propose : « Elle doit être un meilleur reflet de la réalité sociale de la nation ; elle doit s'adapter en permanence à l'évolution des sciences et des techniques ; elle doit rationaliser ses structures en favorisant les liaisons interministérielles. Elle doit prendre toute sa place dans la décentralisation... » Tout cela annonce un bel enterrement !

La lettre au Premier ministre, à laquelle le Président travaille depuis une semaine pour éviter que la stabilisation économique n'interdise toute réforme, est maintenant au point. Sur les quatre sujets majeurs — inflation, investissement, commerce extérieur, emploi —, le Président fixe des directives radicales. Elles susciteront à Matignon colère et commisération :
« La mise en œuvre de la seconde phase de notre politique économique implique le lancement immédiat d'un certain nombre d'actions qui pourront utilement compléter le plan que le gouvernement vient de décider.
Il est important en effet de s'attaquer immédiatement et profondément aux causes structurelles de l'inflation, de relancer l'investissement industriel, de réduire notre déficit extérieur et d'adapter notre appareil de lutte contre le chômage.
Sur le premier point, je vous demanderai de bien vouloir faire préparer immédiatement l'ensemble des mesures qui permettront d'approfondir la lutte contre l'inflation, lorsque la période de blocage des prix et des revenus aura pris fin. En particulier, il importe d'obtenir que l'ensemble des mécanismes d'indexation qui incitent à l'inflation soient réexaminés afin que, dès le mois de novembre, il soit clair pour chacun que l'inflation est un obstacle à une croissance réelle et durable des revenus. Dans le même temps, une réforme de la Commission de la Concurrence et de la Direction générale de la Concurrence pourra être envisagée.
La relance des investissements industriels et un grand programme de travaux devront être entrepris. Pour cela, la réforme du secteur bancaire devra être accélérée de façon à ce que soient immédiatement créées les conditions de la nécessaire baisse des taux d'intérêt sur le marché intérieur. Il importe par ailleurs d'accélérer la répartition des ressources affectées aux entreprises publiques pour leurs investissements. Je vous demande de vous assurer que les dirigeants des entreprises publiques sont conscients des responsabilités qui sont les leurs dans cette période et de vérifier qu'ils s'emploient à réaliser au plus tôt leurs programmes d'investissement. En complément, un grand programme de travaux devra être préparé, en particulier dans les transports collectifs, les routes, le logement, les économies d'énergie et les télécommunications. Il devra pouvoir attirer les capitaux dont disposent les institutions publiques et privées. Lorsqu'il aura été établi et sans qu'il soit nécessaire de créer de nouvelles structures, le ministère des Transports pour une part, et la DATAR pour une autre part, pourront en être les animateurs principaux.
Au-delà de la lutte contre l'inflation, la défense de la monnaie passe par le rétablissement durable de notre équilibre extérieur. Outre le renforcement de la capacité commerciale de la France à l'étranger, auquel s'est déjà attaché votre gouvernement, je vous demande de mettre en œuvre immédiatement toutes les mesures qui pourront se révéler utiles à la reconquête de notre marché intérieur et au freinage des importations, en particulier par une action énergique auprès des différents organismes ou entreprises dépendant de l'autorité de l'État.
Enfin, une révision des mécanismes de l'ANPE et des conditions d'indemnisation des chômeurs pourrait être entreprise de façon à garantir que, là comme ailleurs, la justice sociale et l'efficacité sont assurées.
Conscient de l'ampleur de la tâche qui vous attend dans la mise en œuvre de l'ensemble de la politique économique du gouvernement, je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier ministre, l'expression de ma haute considération. »

Pierre Bérégovoy, lui, est très content de cette lettre dont il fait comprendre, à mots plus ou moins couverts, qu'il en est l'auteur. Il se voit bientôt aux Finances ou, à défaut, aux Affaires étrangères.

Dans l'après-midi, François Mitterrand reçoit une note très alarmiste de Laurent Fabius sur la situation de la Sécurité sociale : « Le besoin de financement du régime général, évalué avant la dévaluation à 35 milliards d'ici la fin 1983, peut être estimé aujourd'hui à 45, voire 50 milliards. C'est dire l'étendue du problème posé. »
Le Président l'annote ainsi avant de me la renvoyer : « Remettre une photocopie de cette note à M. Bérégovoy et garder celle-ci pour un prochain Conseil restreint. »
Pourquoi remettre au secrétaire général de l'Élysée cette note très alarmiste sur la Sécurité sociale ? C'est que François Mitterrand a décidé de le nommer ministre des Affaires sociales.
Pierre Bérégovoy l'ignore encore, ou ne veut pas en entendre parler.

Protestation des ministres de la Communauté contre les restrictions imposées par les États-Unis aux exportations européennes d'acier à destination de l'URSS et contre l'embargo vis-à-vis de ce pays.



Mardi 22 juin 1982

François Mitterrand est en voyage officiel en Espagne. Il est question des Basques, de l'adhésion au Marché commun. Tension. Le Premier ministre espagnol, Calvo Sotelo, remet une note au Président : « Des cartes de réfugiés politiques ont été accordées malgré l'engagement du gouvernement français ; si la France ne veut pas extrader, au moins qu'elle assigne à résidence de façon efficace. La loi française devrait être appliquée ; les contrôles français ne sont pas efficaces ; l'échange d'informations entre les polices doit s'intensifier. » Le Président assure le président du gouvernement espagnol que nous allons tenter d'améliorer les choses. Maurice Grimaud, directeur du cabinet de Gaston Defferre, est chargé d'y veiller.
L'ETA a assassiné 29 personnes depuis mai 1981, et l'opinion publique s'émeut de voir des assassins remis en liberté en France, du fait de notre législation. Le Président souligne que ce problème des extraditions n'est pas propre à l'Espagne.

François Mitterrand au dîner offert par le Roi : «... Je dirai que c'est la liberté et le droit qui doivent l'emporter, que les hommes de violence doivent être écartés (...). Seulement voilà : le droit c'est le droit, et nous avons nos propres lois (...). La France entend vous tenir un langage honnête et ne pas permettre, dans la mesure de son pouvoir, c'est-à-dire chez elle, qu'aboutissent les tentatives engagées contre la renaissance de la démocratie espagnole... »

Le Cheikh Zayed ben Sultan al Nayane, chef de l'État des Émirats Arabes Unis, écrit au Président français afin qu'il œuvre à faire cesser le « massacre inhumain des peuples libanais et palestinien ».

A Washington, le général Haig reçoit notre ambassadeur : « La situation que connaît le Liban (...) ne peut se prolonger indéfiniment. Les États-Unis se sont donc concentrés sur deux points : l'organisation d'élections présidentielles libres, en dehors de toute pression syrienne, et un effort pour dissuader les Israéliens d'intervenir militairement. Cette politique a eu quelques succès, au début. Par trois fois, l'intervention a été arrêtée in extremis. »
Enfin l'aveu tant attendu : tout ce qui s'est passé en juin était donc parfaitement contrôlé et connu par les Américains, qui se sont bien gardés de nous en prévenir.
Haig ajoute : « Le destin de l'Amérique est d'être tenue pour responsable de ce qu'elle ne peut contrôler. » Très profond commentaire, et bonne définition de l'imperium. L'homme est amer, distant, et semble de moins en moins en charge. On voit souvent Shultz à la Maison Blanche, ces temps-ci.
Mercredi 23 juin 1982

Dans une conférence de presse à Madrid, le Président : « J'ai à défendre des notions de droit et de justice ; j'ai aussi à tenir compte du fait que la France ne peut pas être le refuge des actes de violence. »

Le Conseil des ministres adopte le projet de loi sur le blocage des prix et des revenus — SMIC excepté — pour quatre mois.

Le Livret d'épargne populaire est institué après le vote de la loi qui le rend possible. François Mitterrand en parlait depuis 1974 !

Lancement à Cherbourg du sixième sous-marin nucléaire, L'Inflexible. Trois sous-marins seront désormais en permanence en patrouille, pour deux mois et demi chacun, ce qui paraissait impossible jusqu'à ce jour.

Le gouvernement obtient la confiance de l'Assemblée pour sa politique économique. Vote sans problème : 329 voix contre 157.

La France présente à l'ONU un texte proposant « la neutralisation de Beyrouth-Ouest sous le contrôle des observateurs de l'ONU ». Haig téléphone à Cheysson pour lui dire qu'il est « terrifié par cette initiative ».
Les Américains veulent le départ des Palestiniens. La neutralisation fausse ce plan.

Tandis que la dictature argentine est encore sous le coup de sa défaite, la Grande-Bretagne insiste auprès des Européens pour qu'ils maintiennent leurs sanctions économiques et l'embargo sur les armes aussi longtemps que le vaincu n'aura pas accepté sa reddition. François Mitterrand, encore une fois contre l'avis de tous, accepte le point de vue britannique.

Le remboursement de l'IVG n'est toujours pas confirmé. Le Président n'en veut pas. Cela va finir par se savoir ! Jeannette Laot propose à Jacques Fournier une lettre type de réponse au courrier reçu à l'Élysée. Elle modifie la réponse type précédemment utilisée : au lieu d'annoncer que des dispositions « devraient être prochainement fixées », elle se borne à indiquer que ces dispositions « ne sont pas encore fixées ». Mais Pierre Bérégovoy, secrétaire général, arrête ce projet de réponse : « Non, m'en parler. »


Jeudi 24 juin 1982

L'astronaute français Jean-Loup Chrétien participe à une mission spatiale soviétique.

Le déficit de la Sécurité sociale s'aggrave. Laurent Fabius conseille au Président de remplacer Nicole Questiaux par Jacques Delors, dont il convoite le poste. Le Président téléphone à Delors pour le lui proposer. Celui-ci refuse et, se sentant désavoué, propose sa démission. François Mitterrand hausse les épaules et envisage plutôt de changer de Premier ministre. Puis il se ravise : « Ne serait-il pas dangereux d'user vite un nouveau gouvernement sur les dossiers difficiles des mois à venir ? Ne vaut-il pas mieux attendre de voir comment se passe le bocage et mettre un nouveau gouvernement en place au moment de la sortie du blocage, à la rentrée ? » Aucune décision n'est prise.

Selon un télégramme diplomatique en provenance du Caire, l'OLP dit savoir qu'Israël donnera l'assaut à Beyrouth-Ouest dans les quarante-huit heures. François Mitterrand : « L'assaut de Beyrouth compromettrait l'avenir du Liban et la paix dans la région. » Claude Cheysson a encore une idée : après en avoir parlé au Président, il propose au Conseil de sécurité «d'ordonner le repli des troupes israéliennes et des éléments armés palestiniens de Beyrouth », tandis que s'interposeraient des forces de sécurité libanaises et que seraient mis en place « des observateurs des Nations-Unies, voire une Force internationale ». Cela prendrait de court une initiative américaine, unilatérale, dans le même sens.
Naturellement, Haig est contre, parce que Begin est contre. Si des forces internationales débarquent à Beyrouth, les Palestiniens ne partiront plus et, surtout, pas question d'un plan français quand un plan américain se prépare !
De son côté, Habib discute en effet, à Beyrouth, d'un autre plan d'évacuation de l'OLP, protégé lui aussi par une Force multinationale. Mais les points en litige sont sérieux : les Palestiniens emporteront-ils leurs armes ? garderont-ils une présence politique au Liban ? faut-il que les Israéliens se retirent eux aussi ? Les Israéliens craignent, s'ils se retirent, que les Palestiniens ne partent plus. Du coup, il ne s'agit plus que de négocier le départ des seuls Palestiniens et, dans l'esprit de Sharon, de la manière la plus humiliante possible.

Selon l'OCDE, la croissance française sera cette année de 2,5 %. Encore un pronostic trop optimiste ? Désormais, on n'y croit plus !


Vendredi 25 juin 1982

Nouvelle réunion des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles, qui confirme une troisième fois l'accord sur un remboursement aux Britanniques de 850 millions d'écus. La France refuse maintenant ouvertement l'allégement allemand, qu'elle a accepté le 24 mai. Cheysson se trouve dans une position difficile.

Le Conseil d'État demande que la loi de décentralisation qui vient d'être votée s'applique aussi à Paris. « Inacceptable », dit François Mitterrand : le maire hériterait des pouvoirs du préfet de police, et le Président ne veut pas d'un maire de Paris aussi puissant. Pour lui, l'indépendance de la capitale est le principal danger qui puisse menacer le pouvoir central. Il demande qu'on étudie une loi spéciale réduisant les pouvoirs du maire de Paris, sans remettre en cause la décentralisation. Une seule solution : faire de Paris, comme Londres, une communauté urbaine composée de vingt villes indépendantes. Révolutionnaire, mais pas sans précédent. La mesure concernerait les trois métropoles : Paris, Lyon, Marseille. L'idée émane, entre autres, de Paul Quilès et des socialistes parisiens. Le maire de Marseille, Gaston Defferre, est contre. Il aura assez de mal à gagner ses élections, l'an prochain, pour se permettre ce genre de plaisanterie. La province n'est plus unie : Defferre, c'est la ville ; Mitterrand, la campagne. Le Président demande pourtant que ce projet soit préparé en grand secret, pour être présenté au Conseil, dès mercredi prochain.
Alexander Haig s'efface. Reagan ne lui a jamais pardonné d'avoir pris le pouvoir dans l'heure qui suivit l'attentat perpétré contre lui en mars 1981. George Shultz lui succède. Les Californiens sont au pouvoir. Cela n'arrange pas nos affaires.


Les Israéliens bombardent Beyrouth-Ouest. Au moins 200 morts et plusieurs centaines de blessés. Pour inciter la population à évacuer la ville, l'aviation israélienne lance des tracts :
« Aux habitants de Beyrouth-Ouest,
Toi qui te trouves à Beyrouth aujourd'hui, n'oublie pas que le temps presse. A chaque instant que tu perds, le danger augmente pour ton salut et celui de ceux qui te sont chers.
Sache que les axes de sortie Est et Sud de la ville sont garantis. Dépêche-toi et ne perds pas de temps. Sache que les forces de défense israéliennes réaffirment qu'elles ne se sentent pas concernées par les civils innocents ni par ceux qui ne s'opposent pas à elles par les armes. Dépêche-toi de sauver ta vie et celle de ceux qui te sont chers avant qu'il ne soit trop tard. »
Texte terrible. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que ceux qui ne partiront pas ne seront pas des « civils innocents » ? Tout habitant de Beyrouth est donc un ennemi en puissance ?... Le massacre s'annonce.

Shultz téléphone à Cheysson pour confirmer la demande de Haig que la France fournisse un bataillon « dans le cadre d'une force multinationale qu'il conviendrait de déployer conjointement avec l'armée libanaise, afin de permettre le départ des troupes de l'OLP. » Cheysson consulte François Mitterrand. Le Président accepte cette formule si le gouvernement libanais en fait formellement la demande et si toutes les parties concernées donnent leur accord. Mais où envoyer l'OLP et ses troupes ? Selon quelles modalités pratiques s'effectueraient et leur désarmement et leur départ ?
Cheysson tente d'organiser à ce propos avec le ministre égyptien, Boutros-Ghali, une initiative franco-égyptienne afin de ne pas laisser agir seuls les Américains.


Leonid Brejnev écrit à Ronald Reagan : « Les Israéliens doivent quitter le Liban, sinon la situation actuelle peut avoir des conséquences internationales imprévisibles. »
François Mitterrand est inquiet. Les Russes ont aussi des soldats aux portes de Beyrouth . « La guerre mondiale est inévitable. Aujourd'hui ou plus tard. Jamais les hommes n'ont construit d'armes sans s'en servir. Si la guerre Est/Ouest est évitée, les riches lanceront leur armement nucléaire contre le Sud. Or le Liban est au confluent des deux affrontements. »



Samedi 26 juin 1982

Dans la matinée, l'ambassadeur d'URSS remet à l'Élysée un message de Brejnev, presque identique à celui envoyé la veille à Reagan : « Nous espérons que la France élèvera sa voix contre les crimes que commet Israël au Liban, qu'elle fera pression — dans les formes qu'elle jugera les plus efficaces — pour que l'agresseur quitte le Liban et que l'effusion de sang cesse. »
Lundi 28 juin 1982

Le Président libanais adresse un appel pathétique aux grandes puissances :
« Sauver la vie de centaines de milliers de civils innocents, préserver Beyrouth, haut lieu de culture et de civilisation de l'homme, tel est l'objet de l'appel urgent que je vous adresse afin que vous joigniez vos efforts aux nôtres en vue d'épargner à cette ville un désastre aux conséquences incalculables. »
Le Président égyptien écrit lui aussi au Président français :
« Mettre un terme le plus rapidement possible à cette terrible tragédie, éviter les conséquences désastreuses qui peuvent en découler pour toute la région... La continuation de la situation qui prévaut actuellement n'aura d'autres effets qu'une escalade dangereuse des extrémistes de droite et de gauche, l'encouragement des aventurismes qui se nourrissent du désespoir, vivent de pessimisme et engendrent la violence. »


Triste été, pluie sur nos rêves : dévaluation et chômage, guerre au Liban, accrochages avec les États-Unis, disputes en Europe pour quelques écus...
Nous partons pour le deuxième Conseil européen, sous présidence belge, à Bruxelles. On discute à nouveau des modifications des taux de crédit à l'Est. Pour en finir et éviter une guerre économique à laquelle nous ne sommes pas préparés, le Président approuve une légère augmentation des taux.
Au dîner, les Dix parlent du Moyen-Orient. La Présidence belge a préparé un communiqué condamnant Israël, liant les problèmes libanais et palestinien, assorti d'un appel à la négociation, notamment entre Israël et l'OLP :
« Les Dix maintiennent leur vigoureuse condamnation de l'invasion israélienne du Liban. Ils sont vivement préoccupés par la situation dans le pays, en particulier à Beyrouth. Ils croient que le cessez-le-feu actuel doit être maintenu à tout prix.
Ce cessez-le-feu devrait être accompagné d'une part d'un retrait immédiat des forces israéliennes de leurs positions autour de la capitale libanaise, d'autre part d'un retrait simultané des forces palestiniennes de Beyrouth-Ouest, selon des modalités à convenir entre les parties.
En vue de faciliter ce retrait, la séparation des forces serait contrôlée pendant cette courte période de transition par les forces libanaises et, en accord avec le gouvernement libanais, par des observateurs ou des forces des Nations-Unies. »
Au cours de la discussion, plusieurs proposent une référence explicite « à l'ensemble des principes contenus dans la Déclaration de Venise ». François Mitterrand refuse. La Grande-Bretagne insiste pour que le texte parle sinon de sanctions, du moins de « mesures à prendre concernant les relations avec Israël », en particulier dans le domaine des armements.
Martens évoque ensuite la question du chèque britannique. Margaret Thatcher rappelle qu'au Sommet de Londres, il a été décidé de lier cette question à la réforme de Politique agricole commune et du budget. Elle conteste l'accord réalisé en mai sur les prix agricoles, où « son ministre aurait dû pouvoir faire jouer le droit de veto. Chaque État doit seul pouvoir décider du caractère vital des intérêts en jeu dans une décision du Conseil. Ce qui a eu lieu le 18 mai ne devra plus jamais se reproduire ». Le Danois et le Grec la soutiennent. Au contraire, l'Italien et le Belge estiment que la pratique de l'unanimité et le compromis de Luxembourg doivent être progressivement abandonnés. Avec Helmut Schmidt, François Mitterrand soutient que l'on ne peut faire valoir à toute heure son intérêt vital ; certaines règles doivent être respectées.
Mardi 29 juin 1982

François Mitterrand obtient du Conseil la relance de l'investissement grâce à un « nouvel instrument communautaire », pour 3 milliards d'écus. Il demande en vain que le Conseil conjoint des ministres de l'Économie, du Travail et des Affaires sociales se tienne avant la fin de l'année.
En fin de Conseil, escarmouches à propos de l'élargissement de la Communauté. François Mitterrand : « Avant de poursuivre dans la négociation avec l'Espagne, chacun des États membres doit prendre ses responsabilités, notamment en ce qui concerne les conséquences financières de l'élargissement. Il faut également parler des productions agricoles, des matières grasses, des relations de la CEE avec les pays du Bassin méditerranéen, et du fonctionnement des institutions de la CEE à Douze. Tous nos partenaires, sauf l'Italie, escamotent les difficultés et pressent le pas de la négociation sur les mesures transitoires. »

A Genève, reprise des négociations américano-soviétiques sur les armements stratégiques. Il n'y a, pour l'instant, aucune proposition sur la table. Brejnev et Reagan ne sont pas allés plus loin que les généralités. On parle de conversations secrètes entre le Soviétique Kvitsinski et l'Américain Nitze, mais on n'en sait pas davantage.

La mission de Habib piétine. On envisage d'envoyer un contingent français à Beyrouth pour protéger l'évacuation des Palestiniens, même s'il n'y a pas accord avec les Américains sur le rôle d'une force internationale.
Mais par où atteindre Beyrouth ? Si l'on voulait y envoyer le contingent français de la FINUL, déjà installé au Sud-Liban, il se heurterait dès son premier mouvement à l'armée israélienne. Et s'il pouvait passer, il aurait ensuite 400 kilomètres aller-retour à parcourir dans des conditions extrêmement périlleuses. Si, au contraire, un contingent venait de France, il devrait atterrir à Tripoli, puis, pour atteindre Beyrouth, traverser la partie du pays tenue par les troupes phalangistes, qui s'y opposeraient. On décide donc, si nécessaire, de le faire atterrir à Chypre et d'aller en barges jusqu'aux plages de Beyrouth-Ouest.

Le secrétaire général de la Ligue Arabe, Klibi, conseille au gouvernement français « d'entreprendre un certain nombre d'actions montrant qu'on ne laisse pas les États-Unis agir seuls au Proche-Orient ». Il souhaite une intervention personnelle et directe du Président de la République auprès de Ronald Reagan pour attirer l'attention de celui-ci sur l'aspect dramatique de la situation à Beyrouth. Le Président Sarkis insiste pour que la France œuvre au succès des négociations que mène Habib, en agissant à la fois sur les Israéliens et sur l'OLP. François de Grossouvre reçoit une demande identique de Béchir Gemayel. Tout converge vers un compromis entre les Israéliens et les Américains d'un côté, les Français et les Palestiniens de l'autre.


Pendant le vol de retour de Bruxelles, François Mitterrand ne me parle que du Liban et de l'Europe. Dans la voiture qui roule sur les quais de la Seine : « Il faut trouver une façon de sortir de ces petits débats sur la composition de la Force. On doit agir. C'est dans l'intérêt même d'Israël. On doit être généreux avec le vaincu, dans ces moments-là. L'humilier, c'est aggraver sa violence ultime. En Europe aussi, il faut trouver une façon de sortir de ces petits débats sur les prix et le budget. Coincés entre une épicière anglaise et un Allemand blasé, nous n'irons pas loin. »
En rentrant, il trouve un message de Mauroy : « Nicole Questiaux doit partir. C'est urgent maintenant. »
L'affaire du remboursement de l'IVG a laissé des traces entre les deux hommes. Le départ de Nicole Questiaux a des allures de réconciliation expiatoire.
Le Président appelle Pierre Bérégovoy, qui traverse mon bureau. En sortant, dix minutes plus tard, il me dit sans enthousiasme : «Je suis ministre des Affaires sociales. » Pierre Dreyfus quitte lui aussi le gouvernement. Jean-Pierre Chevènement étendra son territoire. Le Président, sur le téléphone intérieur, me dit : « Ne partez pas ce soir sans m'avoir vu. » Une heure plus tard, il m'explique ne pas avoir de candidat au poste de secrétaire général et me demande de remplacer Bérégovoy, en tout cas pour demain, au Conseil, et comme porte-parole.
Je dis au Président que le secrétariat général ne m'intéresse pas, sauf s'il exige que je l'assume. J'espère en tout cas qu'il écoutera mon conseil dans le choix du remplaçant de Bérégovoy. Il sourit. Sans doute ai-je devancé ses désirs...



Mercredi 30 juin 1982

Ce matin, beaucoup d'intrigues. Les candidats se bousculent pour remplacer Bérégovoy. J'en compte dix-sept. Un ministre explique que n'importe qui serait mieux que moi. D'aucuns, même, sur le point de quitter les lieux, proposent de renoncer à leur nouvelle fonction pour ne pas laisser le Président seul avec moi !...

Je pense à Jean-Louis Bianco. Depuis le départ de Fournier à Matignon, il espérait obtenir le poste de secrétaire général adjoint, pas davantage. Il n'a d'ailleurs jamais rencontré le Président bien qu'il travaille ici depuis mai 1981.

Avant le Conseil des ministres, Lionel Jospin est reçu par François Mitterrand pour reparler du projet concernant Paris.

J'assiste pour la première fois à la réunion préparatoire au Conseil qui réunit chaque mercredi matin François Mitterrand, Mauroy et Fournier dans sa nouvelle fonction de secrétaire général du gouvernement. On y vérifie en quelques instants l'ordre du jour, puis J. Fournier et moi laissons le Président et le Premier ministre en tête à tête.
Je descends pour mon premier Conseil des ministres, assis à la petite table près de la fenêtre d'angle, avec Jacques Fournier, face au Président. Pendant que le secrétaire général du gouvernement établit le procès-verbal officiel du Conseil, mon principal travail consiste à passer au Président, avant chaque point de l'ordre du jour, les notes préparées par ses collaborateurs (et des commentaires que je rédige à la hâte, si le sujet l'exige), de transmettre à l'extérieur ses instructions et de modifier les projets de communiqués du Conseil selon le cours de la discussion.

En séance, Claude Cheysson fait passer au Président un télégramme relatant une conversation de la nuit dernière entre notre ambassadeur à Washington et Lawrence Eagleburger, numéro deux du State Department, à propos du Liban. La proposition d'une force d'interposition au Liban gagne du terrain avec l'arrivée de Shultz au Département d'État :
« Trois points, écrit notre ambassadeur, me frappent à l'issue de mon entretien de ce matin avec M. Eagleburger :
1/ L'attitude à notre égard et vis-à-vis du rôle que nous jouons dans l'affaire de Beyrouth a changé du tout au tout.
Après avoir reçu le feu vert du secrétaire d'État, les dernières propositions américaines nous ont été communiquées avant même que M. Habib en ait eu connaissance. M. Eagleburger m'a quitté pour lui téléphoner. L'ensemble de l'équipe Liban du Département d'État participait à l'entretien (MM. Velioles et Hill, et Mme Jones, directeur géographique compétent). L'atmosphère était détendue et ouverte.
Au cours de l'entretien, je suis revenu sur l'idée que notre initiative au Conseil de sécurité avait finalement été utile aux États-Unis dans la négociation en cours. Paradoxalement, le veto américain avait renforcé la main de Washington vis-à-vis de Tel Aviv pour exiger une prolongation du cessez-le-feu. Mon interlocuteur en est convenu en souriant.
Je relève enfin que de nombreuses fuites de presse, visiblement inspirées par le Département d'État, prêtent aujourd'hui à la France un rôle actif dans la partie en cours.
Comme, me fondant sur l'entretien de M. Boidevaix avec M. Kaddoumi à Tunis, j'insistais sur la nécessité de laisser aux combattants palestiniens leurs armes personnelles : (a) pour des motifs de sécurité, afin de ne pas les laisser sans défense face à certaines factions libanaises et aux Israéliens; (b) parce que cela leur permettrait de sauver la face, ce qui reste toujours très important au Moyen-Orient, mon interlocuteur s'est laissé convaincre sans trop de mal. Il m'a précisé qu'il comprenait mieux maintenant cette exigence.
A ma demande, M. Eagleburger s'est dit entièrement d'accord avec l'idée qu'il convenait de préserver l'OLP en tant qu'interlocuteur politique. La disparition de la centrale palestinienne ne pourrait que contribuer à un dangereux regain du terrorisme au Moyen-Orient et dans le reste du monde, sous l'influence de groupuscules extrémistes qui ne manqueraient pas de saisir l'occasion pour prendre la relève.
Les dernières propositions américaines et le point de vue de l'OLP me paraissent maintenant différer sur trois points seulement :
a l'ampleur du retrait israélien. Les propositions transmises à M. Habib sont particulièrement vagues à ce sujet. M. Eagleburger, en revanche, m'a nettement dit qu'un retrait de 5 miles serait inacceptable ; sans doute entendait-il par là que les Etats-Unis ne pourraient le faire accepter aux Israéliens.
b l'exigence du désarmement immédiat (à l'exception des armes légères) de l'ensemble des forces de l'OLP présentes à Beyrouth, ainsi que de leur départ du Liban. Il n'est toujours pas question d'un processus en deux étapes, tel que celui souhaité par l'OLP.
c à un moindre degré, enfin, la question de la présence politique de l'OLP au Liban. Les Américains, et sans doute les Israéliens, qui acceptent une présence politique de l'OLP au Liban (ambassade et/ou bureau d'information), ne veulent pas entendre parler de maintien du quartier général de l'organisation à Beyrouth. Ils laissent le soin au gouvernement libanais d'en négocier le détail. »
La négociation progresse : les Israéliens acceptent, semble-t-il, deux des conditions posées par l'OLP à sa reddition : garder leurs armes de poing et laisser une représentation politique au Liban.

Le Conseil des ministres rappelle que la France avait « tenté de provoquer une trêve qui desserre l'étau autour de la capitale libanaise » et que « le vote d'un des membres permanents du Conseil de sécurité a fait échouer cette tentative ». Il affirme : « L'espoir n'est cependant pas perdu de franchir une première étape vers un apaisement plus général par la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité et dans le respect des principes élémentaires de justice et de droit. »
Après le message qu'a transmis Cheysson, le communiqué ne contient pas la moindre critique à l'égard de personne. Mais le Président tient à marquer le coup : la force d'interposition proposée par la France aurait pu organiser le départ de toutes les forces étrangères du Liban, et pas seulement celui des Palestiniens.

En fin de Conseil, une communication bâclée par Gaston Defferre sur la loi électorale municipale est l'occasion d'annoncer la division de Paris en vingt communes. Stupeur des ministres. Mauroy propose que Paris soit une communauté urbaine et, soutenu par Lang et Labarrère, de supprimer le titre de maire de Paris. François Mitterrand refuse, mais, pour ne pas singulariser Paris, décide d'inclure Marseille et Lyon dans le même texte.
Le Conseil est levé dans le brouhaha. Gaston Defferre me glisse un projet de communiqué manuscrit, fait de remarques fébriles et contradictoires. Bérégovoy m'aide à le remettre en forme.
Pour mon premier compte rendu du Conseil, j'ai notamment à lire ce texte :
« Le Conseil des ministres a entendu une communication sur le statut de Paris et sur la loi électorale municipale. La loi électorale sera la même dans toute la France. Le nombre d'habitants de Paris, l'existence depuis de très nombreuses années de mairies d'arrondissement, la nécessité de rapprocher les élus des administrés ont orienté le gouvernement vers la création d'une municipalité de plein exercice par arrondissement. Conformément à l'ensemble des dispositions sur la décentralisation, les municipalités d'arrondissement désigneront leurs représentants à une communauté urbaine de Paris, qui élira elle-même le Maire de Paris. Les compétences du Maire de Paris, en raison de l'importance de la ville, excéderont les pouvoirs déjà accordés par la loi aux présidents de communautés existantes. »
Apprenant cela, Jacques Chirac commence par ne pas y croire, puis réagit avec violence.


Dans l'après-midi, nouvelle discussion avec François Mitterrand sur l'organisation et le rôle de l'Elysée. Le Président : « Le gouvernement doit gouverner et l'Élysée doit rester en retrait. Bérégovoy s'ennuyait parce que, de plus en plus, je laisse à Mauroy les mains libres. Les ministres ont maintenant un peu plus d'expérience. Ils doivent être les vrais patrons de leur administration. Vous pouvez prendre son poste si cela vous intéresse, mais, à votre place, je ne le prendrais pas. Cela consiste de plus en plus à recevoir évêques et préfets, et moi je m'y ennuierais. » Tel est aussi mon avis. Je lui propose Jean-Louis Bianco. « Pourquoi pas ? » Il le reçoit dix minutes. Puis il me dit : « On le prend. Choisissez son adjoint. » Ce sera Christian Sautter.
Je mets au point avec le Président les nouvelles règles de fonctionnement. Il me les écrit : « Tous, dans la maison, dépendent du secrétaire général, sauf vous qui ne dépendez que de moi et devez avoir accès à tout. Vous assisterez, seul, au Conseil des ministres et au déjeuner du mercredi avec les dirigeants socialistes où restera, dans ses nouvelles fonctions, Pierre Bérégovoy. Bianco et vous assisterez désormais au petit déjeuner du mardi avec le Premier ministre et le premier secrétaire du PS. » Je propose de laisser le secrétaire général assister aussi au Conseil des ministres, comme c'est la tradition républicaine. François Mitterrand accepte. Il me demande d'être le porte-parole du Conseil. Il insiste : « Seulement pour quelques mois en attendant que je trouve un ministre pour le faire. »
Le Président supprime en outre le petit déjeuner du jeudi avec les dirigeants socialistes : ils parlent trop. Première rupture du lien entre le Président et le Parti.
Devant la Knesset, Menahem Begin s'engage à « faire déguerpir l'OLP de Beyrouth dans quelques jours... »



Jeudi 1er juillet 1982

Jacques Chirac tient une conférence de presse au canon sur la réforme du statut de Paris.


Ronald Reagan répond à Leonid Brejnev sur le Liban. Le ton monte : « Les États-Unis usent de toute leur influence pour mettre fin au conflit. Je regrette que l'URSS ait fourni des armes à ceux qui ont déstabilisé le Liban et provoqué la réaction d'Israël. » La situation menace de devenir le théâtre d'un affrontement masqué Est-Ouest.

Voyage de Béchir Gemayel à Taëf. Il sera candidat aux élections présidentielles lors du départ de Sarkis, dans trois mois.

François Mitterrand répond au Roi de Jordanie : « La France est prête, dans le cadre du Conseil de sécurité, à apporter tout son concours aux efforts que déciderait le gouvernement légitime du Liban », et ajoute : « Conscient de la gravité de la situation au Proche-Orient, comprenant vos inquiétudes, je veux, Sire, vous donner l'assurance que mon pays saisira toutes les chances de peser en faveur de la paix. »



Vendredi 2 juillet 1982

Harcelé par plusieurs ambassades, Cheysson s'inquiète auprès de Hernu : « La France vend-elle encore des armes à Israël ? »


L'initiative franco-égyptienne à l'ONU, qui fixe le cadre d'une solution globale au problème du Liban, est enfin au point :
« Affirmant certains principes de base : intégrité territoriale et souveraineté du Liban, retrait total du pays des forces non libanaises, droit de tous les États de la région de vivre en paix dans la sécurité, confirmation des droits nationaux du peuple palestinien, y compris le droit à l'autodétermination avec tout ce que cela implique, association de l'OLP aux négociations, reconnaissance mutuelle et simultanée des parties concernées :
1 exige que toutes les parties aux hostilités qui ont éclaté au Liban observent un cessez-le-feu immédiat et durable sur l'ensemble du territoire de ce pays;
2 exige le retrait immédiat, à une distance convenue, des forces israéliennes engagées autour de Beyrouth, en tant que première étape de leur retrait complet du Liban, et le retrait simultané de Beyrouth-Ouest des forces armées palestiniennes qui se replieraient avec leurs armements légers, dans un premier temps dans des camps à préciser, de préférence hors de Beyrouth, selon des modalités à convenir entre les parties, mettant ainsi un terme à leurs activités militaires ;
3 demande la conclusion d'un accord entre les forces armées palestiniennes et le gouvernement du Liban sur la destination et le sort de leurs armements autres que ceux dont il s'agit ci-dessus ;
4 demande le départ de toutes les forces non libanaises, sauf celles qui seraient autorisées par les autorités légitimes et représentatives du Liban ;
5 appuie le gouvernement du Liban dans ses efforts pour reprendre le contrôle exclusif de sa capitale et, à cette fin, pour y installer ses forces armées qui prendraient position dans Beyrouth et s'interposeraient à sa périphérie ;
6 appuie en outre tous les efforts du gouvernement libanais pour assurer sa souveraineté sur l'ensemble du territoire ainsi que l'intégrité et l'indépendance du Liban dans ses frontières internationales reconnues. »
Les Américains n'aiment pas : « Il ne faut pas lier le cas du Liban à la reconnaissance de l'OLP ; avec cela, on n'obtiendra rien des Israéliens. »

Appel de Pierre Mendès France, Nahum Goldmann et Philippe Klutznick pour que l'assaut ne soit pas donné contre Beyrouth-Ouest et pour la reconnaissance mutuelle d'Israël et des Palestiniens.

Confirmation du revirement américain sur le commerce Est/Ouest. Un mois après Versailles, George Shultz, conscient de l'inquiétude des industriels américains, qui perdent ainsi de gros marchés, et des réactions plus que réservées de la presse et du Congrès, fait savoir à Paris qu'il veut trouver une façon de se débarrasser de l'embargo. Mais pas tout de suite : il ne juge pas « opportun de se battre, dès sa prise de fonctions, en faveur des Européens dans une telle affaire ». A Washington, le Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, Percy, souhaite lui aussi « trouver un prétexte qui permette au Président Reagan de revenir sur la décision prise ».
Cheysson est très heureux de la négociation qui s'annonce : n'est-ce pas le rôle des diplomates que de permettre à un partenaire en difficulté de sauver la face ?


Samedi 3 juillet 1982

Les forces israéliennes encerclent maintenant totalement Beyrouth-Ouest. A Tel Aviv, plus de 100 000 personnes manifestent contre cette guerre.
Les Américains essaient d'organiser l'accueil des Palestiniens de Beyrouth dans divers pays de la région. L'ambassadeur américain au Caire, Atherton, remet au Président Moubarak une lettre du Président Reagan lui demandant d'accueillir les combattants palestiniens lorsqu'ils seront évacués du Liban. La même lettre est remise dans plusieurs pays arabes. Selon le diplomate américain, « sans attendre d'en avoir achevé la lecture, M. Moubarak a déclaré sur le ton le plus ferme qu'"il n'en était pas question" ; l'idée d'avoir un gouvernement palestinien en exil est très mal reçue en Égypte, a fortiori les troupes de l'OLP... Les raisons invoquées par M. Moubarak touchent essentiellement à la sécurité et à l'équilibre internes du pays ».
La Syrie, l'Irak, la Jordanie, le Yémen acceptent plus aisément.


Dimanche 4 juillet 1982

George Shultz, qui n'est pas encore officiellement confirmé par le Sénat, apparaît peu. Les diplomates américains souhaitent maintenant envoyer le gros des forces palestiniennes de Beyrouth en Libye. L'idée semble «détestable» à Cheysson. « C'est une idée incroyable : ou bien la proposition est irréfléchieje suis tenté de la penser —, ou bien elle relève d'un comportement machiavélique, mais je n'ai pas le sentiment que l'heure appartienne aux Machiavel, à Washington, pendant cet interrègne. »
Le Conseil de sécurité vote à l'unanimité une résolution demandant à Israël de desserrer l'étau autour de Beyrouth-Ouest, par « respect du droit des populations civiles ». On est loin de l'initiative franco-égyptienne que les Américains font tout pour enterrer.

A Alger, Chadli et Kadhafi conviennent de soumettre au Président Mitterrand « des propositions susceptibles, si la France voulait bien les avancer en son nom, de sortir de l'impasse actuelle ».

Toutes ces négociations constituent un étrange jeu d'ombres et d'esquives. Tout le monde parle du départ des Palestiniens et de l'intervention d'une force internationale ou multinationale. Mais nul — ou presque — n'accepte d'étudier concrètement les modalités de ces opérations.

Arafat, assiégé dans Beyrouth, proclame qu'il « vit dans l'Histoire ». S'il accepte de quitter le Liban, « il cherche, dit un télégramme de l'ambassadeur de France à Beyrouth, à gagner du temps pour ne pas perdre la face, y compris vis-à-vis de ses militants, pour tenter de transformer sa défaite militaire en semivictoire politique, et aussi sans doute parce qu'un délai est nécessaire au redéploiement de l'OLP hors du Liban ».

Succession sans heurts dans un pays-charnière : Miguel de la Madrid est élu officiellement Président du Mexique. Il prendra ses fonctions en décembre. Tout était réglé depuis octobre dernier, quand le Président sortant l'avait choisi, très tôt, comme successeur potentiel et candidat officiel du Parti révolutionnaire institutionnel. José Cordoba devient secrétaire d'État à l'Économie, derrière Carlos Salinas de Gortari qui prend le poste de ministre qu'occupait Miguel de la Madrid.
Lopez Portillo a eu raison de faire ce choix : la crise financière s'annonce très grave, au Mexique plus qu'ailleurs. Il fallait un technicien de l'économie au pouvoir. Chaque jour davantage, les capitaux sortent du pays. Si le Mexique vient à faire défaut, la réaction en chaîne sur le système financier international sera terrible. J'irai voir. Sans doute y a-t-il à imaginer une action du G 7 ?



Lundi 5 juillet 1982

Laurent Fabius transmet au Président un nouveau diagnostic économique, plus pessimiste encore que le précédent : cette année, la croissance sera inférieure à 2 % ; le chômage atteindra 2,1 millions de personnes ; le déficit du commerce extérieur sera de 75 milliards de francs, la hausse du dollar compensant l'effet de la dévaluation ; l'inflation sera de l'ordre de 10 %. « Cet appauvrissement et cette dépendance sont inacceptables, car ils aboutissent inéluctablement à une sortie du SME », écrit-il en préconisant un plan de guerre et la création de nouveaux instruments d'épargne pour stimuler l'investissement productif. « Au-delà de l'économique, c'est notre capacité politique à mobiliser les Français qui sera déterminante pour les prochaines échéances. » Certes !
Reçu à Paris, le Président de la République italienne, Alessandro Pertini, nous charme tous. Intelligence, impertinence, aristocratie de l'âge.

L'ambassadeur d'Irak apporte à Pierre Mauroy une lettre de Tarek Aziz demandant à acquérir 69 Mirage 2000 équipés de missiles air-sol, des Exocet.

La quatrième chaîne coûtera, si elle émet en clair, un milliard et demi de francs. Et si on la faisait à péage ? Georges Fillioud est chargé d'étudier la question. Rousselet travaille lui aussi dans son coin. « Elle doit être prête, dit le Président, pour Noël 1983. »



Mardi 6 juillet 1982

Ronald Reagan souhaite convaincre François Mitterrand de ne pas exiger un vote favorable du Conseil de sécurité comme condition préalable pour participer à la Force internationale. Alors que, jusqu'ici, cette force n'avait à ses yeux qu'un but : protéger le départ des Palestiniens, il en ajoute un second, plus proche des thèses françaises : consolider le gouvernement libanais à Beyrouth.
« La décision française de principe de participer à une force destinée à observer et superviser l'accord en cours d'élaboration par le gouvernement du Liban pour le départ de l'OLP et des autres éléments armés de Beyrouth, est un événement important (...). Je suis satisfait de ce que la France ait envisagé de se joindre aux États-Unis dans une force internationale destinée à aider le gouvernement du Liban à établir son autorité dans sa capitale. [Je suis sceptique quant] aux possibilités d'obtenir l'approbation des Nations Unies au sujet de l'envoi d'une force d'interposition à Beyrouth composée notamment de Français et d'Américains, en raison de l'opposition vraisemblable de l'Union soviétique.
La position française serait d'exiger l' "assentiment" ou l'approbation de la participation française par les Nations-Unies ou le secrétaire général. De notre point de vue, cela conduirait inévitablement à des consultations avec le Conseil de sécurité et provoquerait une réponse négative des Soviétiques qui rendrait impossible une réponse positive du secrétaire général. Une telle procédure mettrait en outre la décision de déployer ou non la force entre les mains de tierces parties au moment même où les Libanais nous sollicitent pour un engagement et un déploiement de forces rapides. Je comprends, François, le désir de la France de recueillir sous une forme ou sous une autre l'opprobation des Nations-Unies. Moi aussi, je le voudrais, si je pensais qu'il y eût un moyen de s'assurer qu'elle puisse être obtenue rapidement, sans amendements ni conditions qui la dénaturent. Malheureusement, je ne vois aucun moyen d'éviter l'intransigeance soviétique.
Il est regrettable que, si près d'un accord comme nous le sommes, cette divergence de vues risque de couper court au projet de force franco-américaine que nous avions envisagé. Dans la mesure où la situation s'aggrave rapidement, je suis certain que vous comprendrez que les États-Unis doivent dès aujourd'hui commencer à rechercher d'autres partenaires. »
Claude Cheysson note en marge de la traduction : « La lettre montre que les États-Unis tiennent à nous ! ! ! »
Ce n'est pas du tout mon interprétation du dernier paragraphe : pour moi, c'est plutôt comme la menace — ou le désir — de se libérer de la France et d'avoir, dans cette aventure, des partenaires moins encombrants !
Pour relancer l'emploi, quels grands travaux ? A la liste que prépare le gouvernement, après les monuments et le patrimoine, François Mitterrand ajoute les réseaux câblés et les aéroports de Paris.

Conseil de Défense à l'Élysée. Le Président décide une diminution des effectifs de l'armée de terre, sans bouleverser l'appareil militaire, pour éviter d'avoir une armée à la fois trop nombreuse et mal équipée.

François Mitterrand : « Si l'Alliance ne parvenait pas à contenir une agression conventionnelle, au moment choisi par nous interviendrait la menace d'utilisation de l'armement nucléaire tactique, car nous dirions : "Nous y sommes acculés. "On nous répondrait : "Vous n'oseriez pas." Nous répliquerions : "Nous oserons. Nous frapperons vos combattants avec nos armes, nous recevrons une volée de bois vert en échange, mais nous montrerons que nous ne reculerons pas devant l'usage de notre force de dissuasion. " Il nous faut en effet décourager les tentatives de contournement de notre force de dissuasion par une attaque purement conventionnelle (...). Aussi ne pouvons-nous que refuser l'engagement du "No first use" qui conduirait à nous faire promettre de ne pas nous servir les premiers des armes atomiques. Ce serait renoncer à nous défendre. Nous n'avons qu'une fronde de David en face de Goliath et, en plus, on nous demande comment nous prévoyons de nous en servir ! Nous ne marchons pas ! »

François Mitterrand doit partir demain en voyage officiel en Hongrie — son premier voyage à l'Est. Première querelle de protocole, première susceptibilité ridicule : un député socialiste, président du groupe d'amitié avec la Hongrie, est, comme il est normal, l'invité personnel du Président. En conséquence, il est protocolairement placé hors de la délégation officielle qui assiste aux entretiens. Découvrant cela dans le livret de voyage qu'il reçoit, comme chaque participant, il exige d'être inscrit dans la délégation officielle, au rang des ministres. « Sinon, dit-il, je ne viens pas ! » Tout en admettant que c'est impossible — un parlementaire ne fait pas partie de l'exécutif et ne peut figurer dans la délégation —, le Président accède néanmoins à sa requête : « Le Parlement a toujours raison... » Par la suite, le même homme fera sans cesse preuve d'une mégalomanie et d'une paranoïa qu'il saura rendre d'autant plus redoutables qu'elles ne s'exerceront jamais qu'aux dépens de ses subordonnés.


Mercredi 7 juillet 1982

Le Conseil des ministres décide la création d'un Fonds spécial de grands travaux, notamment pour relancer le logement et les économies d'énergie. François Mitterrand : « Ils constituent en effet un des instruments essentiels d'une politique visant à une plus forte croissance, à la diminution du chômage et à la réduction du déficit extérieur. » Le communiqué qui annonce cette décision rappelle en outre la nécessité d'une politique ferme de reconquête du marché intérieur. Quand je lui soumets le texte, le Président ajoute : « Le gouvernement, dans son action quotidienne comme dans ses objectifs, doit être à l'image de cette volonté. » Beaucoup d'espoirs sont mis dans ce Fonds spécial.

Dans les Nouvelles Littéraires, Philippe Alexandre accuse André Rousselet d'avoir demandé sa tête à Jacques Rigaud. Quand ? Où ? Qui s'intéresse ici à Philippe Alexandre ? J'apprends qu'André Rousselet en a parlé à Rigaud, qui en a fait part à Alexandre, sans insister. Alexandre a réagi.
Découverte à Marseille d'une affaire de fausses factures au détriment de la ville.


Ronald Reagan a changé d'avis, comme le voulait la France : il tente d'obtenir l'accord de Brejnev à la création de la Force multinationale au Liban et lui demande de ne pas faire jouer le veto soviétique au Conseil de sécurité. Leonid Brejnev lui répond par une lettre — identique à celle qu'il envoie à François Mitterrand — d'une étonnante violence, rare entre chefs d'État, dans laquelle il formule de vagues menaces en cas d'envoi au Liban d'une force multinationale autre que la FINUL déjà en place :
« Ceux qui doivent partir, ce sont les Israéliens. Pas les Palestiniens ! (...) Les troupes israéliennes anéantissent partout les Libanais et les Palestiniens, femmes, enfants, vieillards. Israël commet à Beyrouth des actes de véritable vandalisme à l'égard de la population pacifique et détruit l'activité vitale de cette ville. Quels que soient les critères politiques appliqués aux événements du Liban, il est impossible de nier ce fait absolument évident: Israël, qui est un allié de fait des États-Unis, y extermine d'une manière barbare des êtres humains. Par toutes ses actions, surtout ces derniers jours et ces dernières heures, l'agresseur manifeste son empressement à faire aboutir ses crimes, sans réfléchir du tout au fait qu'il crée de nouvelles montagnes de haine autour de l'État d'Israël et de la population juive. Et pourtant, ces montagnes-là peuvent dans l'avenir s'écrouler sur eux de tout leur poids. Aujourd'hui, il n'y a peut-être pas un seul homme d'État responsable, pas un seul honnête homme sur la Terre qui puisse rester insensible aux appels de ceux qui périssent à Beyrouth et au Liban de la main des envahisseurs israéliens. Sans doute vous aussi vous rendez-vous compte clairement de ce que la politique des États-Unis, protecteurs d'Israël, est actuellement dominée par des calculs conjoncturels qui, à ce jour, n'ont pas cédé devant les considérations de l'ordre fondamental et du bon sens, et que la mission de l'émissaire américain au Proche-Orient ne sert que de paravent à l'agression perpétrée par Israël.
Si on voit surgir maintenant différents plans de participation de certaines forces internationales en vue du désengagement des forces qui défendent Beyrouth-Ouest, d'un côté, et des forces israéliennes, de l'autre, pourquoi ne pas utiliser les contingents militaires des Nations-Unies qui se trouvent déjà sur le sol du Liban par décision du Conseil de sécurité ? Nous connaissons la déclaration du Président des États-Unis selon laquelle il serait prêt à envoyer un contingent de troupes américaines au Liban. Je dois le dire clairement : si cela doit vraiment avoir lieu, l'Union soviétique ajustera sa politique en conséquence. En ce moment critique, alors que l'agresseur israélien multiplie, jour après jour et d'heure en heure, ses crimes au Liban et à Beyrouth, une ferme déclaration de votre part en faveur d'un cessez-le-feu immédiat, pour ne pas permettre une nouvelle effusion de sang et la mort de milliers et de milliers de Libanais et de Palestiniens, revêtirait une grande importance et serait appréciée par tous ceux qui chérissent la cause de la justice et de la paix au Proche-Orient. »

Étrangement, François Mitterrand est le seul à prendre ces menaces au sérieux. Les Américains n'y attachent pas la moindre importance. Comme s'ils savaient déjà que les Soviétiques ont décidé de ne rien faire.