Vendredi 3 mai 1985


Petit déjeuner avec Helmut Kohl à la Chancellerie fédérale. Sur le GATT, le Chancelier a l'air tout près de basculer du côté des États-Unis s'il ne sent pas une détermination européenne suffisante.

La séance du matin débute entre chefs d'État et de gouvernement seuls. Pour la première fois, il y a deux Français : Jacques Delors est là pour la Commission. La Déclaration politique est approuvée. L'ambiance est tendue. Il y a déjà un camp Italie-France, contre les autres. François Mitterrand maintient son refus de toute « sécurité globale ».
George Shultz propose d'institutionnaliser les réunions de ministres des Affaires étrangères à Sept pour parler de l'Afrique et de la drogue. Nouveau refus.

L'après-midi, réunion avec les ministres des Affaires étrangères et des Finances. Les discussions économiques s'ouvrent par un rapport de Stoltenberg sur la séance de travail des ministres des Finances du matin. On parle du GATT. Reagan a le soutien de Nakasone et de Mulroney, qui reste discret. François Mitterrand est soutenu par Delors et Craxi. Il ne peut accepter qu'on écrive une date ni même « le plus tôt possible ».
Ronald Reagan : Notre économie est dans son meilleur état depuis trente ans. Notre déficit public existe depuis cinquante ans. Nous avons un train entre Miami et New York ; il est subventionné. Il coûterait moins cher de donner à chaque voyageur un billet d'avion gratuit que de le subventionner. Roosevelt a été protectionniste. Nous n'en sommes sortis que par la guerre.
Sur le commerce international, il faut absolument entamer les négociations commerciales avant 1986.
François Mitterrand : La France n'est pas plus protectionniste que les autres. Parlons donc des mesures hypocrites (règles, normes, etc.) prises par les antiprotectionnistes proclamés ! Nous devons négocier la dette avec le Tiers Monde et progresser d'un même pas sur le terrain monétaire. Sur le GATT, la France accepte le principe de cette négociation. Mais seul le dossier agricole est prêt. Toutefois, je m'opposerai au démantèlement de la Politique agricole commune. Certains d'entre vous se sont déjà entretenus avec les États-Unis pour leur donner des compensations sur le soja. Je n'ai pas pris part à ces accords.
Il faut prendre des décisions sur le Tiers Monde, rien n'est prêt. La CEE doit aussi s'élargir aux pays de l'Est, d'un point de vue commercial.
La France va mieux. Notre inflation se réduit à 5,5 % au lieu de 14 %. Nos comptes extérieurs s'améliorent, nos déficits internes sont maîtrisés. Les prélèvements obligatoires ont baissé pour la première fois depuis quinze ans. Nous modernisons le textile, les chantiers navals, la machine-outil. Les entreprises nationales ont 3 milliards d'excédent alors qu'en 1981 elles avaient 1,6 milliard de déficit. Elles sont toutes sauvées. Malgré la récession, notre croissance est restée la plus forte de la CEE et notre pouvoir d'achat a augmenté de 4 % en quatre ans. Notre démarche est fondée sur le gradualisme. Telle a été la politique de nos ministres des Finances, qui est aujourd'hui justifiée [hommage à Delors assis en face de lui].
Il y a trop de chômeurs en France, mais c'est le pays où ils ont le moins augmenté. Dans les deux ans, nous aurons résolu les problèmes qui nous ont été posés par l'Histoire quand nous avons pris en charge les problèmes de la France.
Sur le plan international, il faut avancer par degrés sans se jeter à la tête des anathèmes, en progressant sur la monnaie et le commerce d'un même pas, car les deux choses sont liées...
Une discussion très sévère se poursuit sur la fixation de la date du GATT.

En fin d'après-midi, François Mitterrand rencontre Mme Thatcher.
François Mitterrand : Dans la vie politique, il faut savoir trouver le bon moment. La stratégie spatiale n'est pas prête à succéder à la stratégie nucléaire. Si je laisse croire que l'une remplace l'autre, je ne pourrai plus avoir les crédits pour le nucléaire. Je n'appuie pas cette stratégie, mais je fais les recherches nécessaires. Ce sont les mêmes technologies pour le civil. Je pense, comme vous, qu'on ne peut être en Europe et dans l'IDS. Mais je choisis l'Europe, et pas vous. Je ne veux pas être sous-traitant...
Margaret Thatcher : Les États-Unis sont très en avance sur nous. Nos savants ont beaucoup à gagner à travailler avec eux. Sur le fond, je ne suis pas d'accord avec Reagan. La stratégie nucléaire ne sera jamais dépassée et l'arme nucléaire n'est pas immorale. Les Américains sont très forts. Le clonage, par exemple, est notre idée, mais les Japonais et les Américains l'ont utilisée avant nous...
François Mitterrand : Pour l'Europe, il faut travailler à un traité renforçant l'Union.
Margaret Thatcher : Je suis contre une conférence intergouvernementale. Et contre un traité nouveau. Il faut conclure à Milan en juin.
Elle parle de la liaison fixe TransManche : les groupes candidats doivent déposer leurs offres avant le 31 octobre. Les gouvernements se sont engagés à choisir entre les différents projets au début de 1986. Pour le moment, le choix reste très ouvert : la liaison peut être routière, ferroviaire ou les deux à la fois. Une seule règle a été posée : que le projet retenu puisse être financé sans contribution budgétaire des gouvernements. Actuellement, deux groupes sont en concurrence : Channel Tunnel Groupe (CTG), qui propose un tunnel ferroviaire auquel pourrait être adjoint un tunnel routier, et Euro-Route, qui est un projet de ponts devenant tunnel dans sa partie centrale. Chacun de ces groupes comprend des banques et des entreprises françaises et britanniques.

A la fin du dîner des Sept, les sherpas se réunissent pour préparer la déclaration économique. Une nuit pour rien, qui achoppe toujours sur la date du GATT. Nous obtenons la mention symétrique des deux projets de stations spatiales, américain et européen.


Samedi 4 mai 1985


Séance du matin : discussion du projet de Déclaration économique. On passe en revue les paragraphes. On en arrive à la date de début du GATT.
Helmut Kohl : Je suis désolé qu'il n'existe aucun accord sur le texte. Je pense qu'il faudrait dire "1986" ; d'autres sont contre. D'autres pensent qu'il conviendrait, avant d'arrêter une date, de déterminer le contenu, l'agenda et les modalités du nouveau round, sans mettre en cause les principes de la PAC.
Margaret Thatcher : Il faut fixer la date, sinon nous renforcerons les tendances protectionnistes au Congrès américain. Ce serait une grave responsabilité de ne pas écrire "1986", et même "début 1986".
François Mitterrand (sans élever la voix) : Nous ne pouvons nous associer à une telle date.
Margaret Thatcher : On pourrait écrire les conditions et dire que, "si elles sont réunies, on se réunira en 1986".
Jacques Delors : J'approuve la proposition de M. Kohl. [François Mitterrand sursaute].
Nakasone : Je suis d'accord avec Mme Thatcher.
Ronald Reagan : Moi aussi.
Bettino Craxi : Moi aussi, si nous pouvons tous l'approuver. [Même les Italiens nous lâchent !]
François Mitterrand : Pas moi. [Remous !]
Helmut Kohl : J'en prends acte. Mais il ne faut pas d'amertume. Il ne s'agit pas d'isoler un partenaire solide comme la France. François Mitterrand ne peut approuver la fixation d'une réunion en 1986 ; il n'y aura pas de diktat.
On aboutit à un texte vide de sens : « Un nouveau round au sein du GATT devrait commencer dès que possible. La plupart d'entre nous pensent que cela devrait être en 1986. »
François Mitterrand conclut, dans une ambiance très tendue, par un discours qui fixe sa doctrine sur le Sommet : Il n'est pas sain que des pays alliés dictent notre politique. Certains l'acceptent, pas moi. Ici, on signe des traités en trente-six heures. C'est inacceptable ! J'entends dire que personne n'a voulu isoler la France. Très bien. Mais elle l'est, en fait, dans cette salle. Ce n'est pas sain. Comme il n'est pas sain que les affaires de l'Europe soient jugées par des pays éloignés de l'Europe. Je suis prêt à ouvrir une polémique publique, si cela continue.
Les textes ici sont de plus en plus compliqués. Il faudra se débarrasser de toute cette paperasserie. Si ces Sommets ne retrouvent pas leur forme initiale, la France n'y viendra plus. Nous ne sommes pas froissés d'être minoritaires dans une institution. Mais, ici, ce n'est pas une institution, nous sommes là pour mieux nous connaître et harmoniser nos politiques. C'est tout.
Sur aucun sujet vital la France n'a jamais manqué de solidarité. C'est ici que la France a soutenu et continuera de soutenir l'Alliance. Je me sens donc bonne conscience. Je comprends les difficultés internes de tel ou tel — en particulier des États-Unis, dont nous sommes les plus anciens alliés et amis. Cela ne réduit en rien notre liberté de porter jugement.
Sur ces sujets, des accords bilatéraux ont été passés avant le Sommet entre certains d'entre vous, et le débat autour de la date de 1986 a pris une telle signification que je ne peux donner mon accord. Je n'accepte pas le fait accompli. De façon plus générale, nous ne sommes pas le directoire des affaires du monde. Il y a des institutions pour cela. Nous ne sommes pas non plus un tribunal qui aurait à juger amis et alliés. Si c'était cela, je prendrais garde à ne pas mettre mon pays dans une telle situation. Si la France était ainsi traitée, j'y mettrais fin. Je ne viendrais plus. Jacques Attali avait prévenu dès février que ce serait non sur l'IDS et le GATT. Alors, pourquoi en avoir reparlé ici ?
Silence glacial.
Brian Mulroney : François Mitterrand a raison sur ces points vitaux. Ce Sommet a une valeur symbolique extrême. Le vrai leadership exige de donner des signes d'harmonie et d'espoir à notre jeunesse. Oublions cet incident.
Scène très dure, à peine atténuée quand la voix entendue est celle de l'interprète...
Dans un coin, Brian Mulroney, sincèrement choqué, interpelle Ronald Reagan : « Mais enfin, arrêtez, qu'est-ce que c'est que ça ? Vous traitez François Mitterrand comme un adversaire ! C'est un allié, et même notre allié le plus sûr ! » Étonné, Reagan se retourne vers ses ministres renfrognés, hésite un long moment, puis son visage s'éclaire : « Mais oui, de fait, c'est vrai : c'est notre allié !... »


Dimanche 5 mai 1985


Ronald Reagan visite le cimetière de Bitburg. Pourquoi avoir tant insisté pour celui-là et aucun autre ? Le malaise se dissipera avec peine.

Vague d'agitation dans les prisons françaises.

La situation de l'UNESCO s'aggrave. Le directeur, très contesté, essaie d'être reconduit. Léopold S. Senghor écrit à François Mitterrand à ce propos :
« Comme vous le devinez, je suis de très près la vie politique française. Et je tâche, dans la mesure de mes faibles moyens, de vous apporter ma collaboration.
Vous voudrez donc me permettre d'attirer votre haute attention sur la gravité de la situation qui règne à l'UNESCO.
Je suis persuadé que vous pourriez faire beaucoup pour l'améliorer : si, par exemple, vous demandiez à son directeur général, M. Amadou Mactar M'Bow, de venir vous voir à l'Élysée. Je suis sûr qu'il accepterait avec empressement. [En marge, François Mitterrand écrit : « L'inviter. »]
Je profite de l'occasion pour vous adresser mes amicalesfélicitations pour le rôle que vous avez tenu pendant la dernière réunion au Sommet des sept plus grands pays industriels. Ce n'est pas par hasard si le journal de droite Le Figaro reconnaît que vous avez raison de prendre l'attitude solitaire qui a été la vôtre... »
Finalement, le Président ne recevra pas M'Bow, qui ne sera pas reconduit.
Les Européens s'entendent pour soutenir le même candidat au Haut Commissariat pour les Réfugiés, le Néerlandais Max van der Stoel. Jusque-là, la France avait fait connaître sa préférence pour le ministre égyptien, M. Boutros Boutros-Ghali.


Mardi 7 mai 1985


Pierre Bourdieu a bien travaillé. Les propositions du Collège de France sont remarquables : une chaîne culturelle, des baccalauréats professionnels, une évaluation des universités par un Conseil. Elles sont approuvées par le ministre de l'Éducation nationale. Jean-Pierre Chevènement :
« Il apparaît que ces principes rejoignent souvent les orientations de l'action gouvernementale, même s'ils anticipent largement sur l'actualité, comme il est normal dans un exercice de prospective. Ils peuvent alors servir de guide pour l'action...
Dans la perspective de l'ouverture de nouveaux canaux de télévision, il serait d'utilité publique de prévoir l'occupation d'un de ces canaux au moins par une chaîne éducative et culturelle (...). Or, force est de constater, sur ce terrain, la nullité de l'initiative privée. Il n'existe pas, sur le marché, de produits aussi simples qu'une vidéothèque du théâtre classique français, anglais ou allemand. Il n'existe pas davantage d'encyclopédie audiovisuelle, générale ou spécialisée. Point non plus de cours ou documentaires audiovisuels de géographie ou de sciences naturelles, pour citer deux disciplines où l'apport de l'image et de l'animation est évidemment précieux (...).
Les baccalauréats professionnels seraient des diplômes ouvrant directement sur la vie active ; ils recouvriraient de larges familles de métiers, à un niveau de qualification intermédiaire entre celui du brevet d'études professionnelles et du brevet de technicien supérieur. Ils seraient préparés dans les lycées d'enseignement professionnel.
Enfin, pour répondre à la suggestion d'une évaluation permanente des établissements scolaires, on pourrait envisager des comités d'évaluation à l'échelon régional, dont le domaine serait, dans un premier temps, limité aux lycées. Cette proposition devrait en tout cas être étudiée de près, étant bien entendu qu'ici l'intérêt général heurte le sentiment de nombreux professeurs et de leurs syndicats. »

La plupart de ces réformes seront réalisées. C'est le meilleur exemple de coopération de la communauté intellectuelle avec l'État.

Conseil d'administration tendu à Canal-Plus : faut-il passer en clair ? Faut-il fermer ? Faut-il vendre ? Chacun a choisi son camp. André Rousselet sent le terrain se dérober sous ses pieds. Avec les élections, il sait que Havas va lui échapper, et, avec lui, Canal-Plus. Il faut réduire la part d'Havas dans le capital de la chaîne cryptée. Il cherche des actionnaires.


Mercredi 8 mai 1985


A Bonn, la Chancellerie annonce qu'elle n'a pas donné son accord à l'IDS. On aurait aimé le savoir il y a une semaine...

François Mitterrand au Conseil des ministres, à propos du Sommet de Bonn : « Il y a au moins un avantage à être seul contre tous : vos propos, qui risquaient de passer inaperçus, passionnent dès lors tout le monde. »
Affrontements entre Caldoches et Canaques à Nouméa : 1 mort, 100 Messes.


Jeudi 9 mai 1985


Le secrétaire général du gouvernement luxembourgeois vient me voir aujourd'hui avec un message de son Premier ministre sur la présidence de la CLT : le gouvernement luxembourgeois présentera, le 21, la candidature de M. Wörner. Il souhaite que le gouvernement français ne s'y oppose pas ; et il fera tout pour que l'autre candidat, M. Thorn, se retire.

H. Teltschik me fait savoir que le Chancelier Kohl souhaiterait que François Mitterrand puisse recevoir quelques minutes, le 14 mai, M. Wörner, ministre de la Défense, pour parler de l'avion de combat futur. On peut s'attendre à une très forte pression des Anglais, des Italiens et des Allemands.


Vendredi 10 mai 1985


Sur l'avenir de l'Europe, un premier texte d'accord franco-allemand est prêt. Nous avons deux objectifs : garantir le bon fonctionnement de la Communauté à Douze ; déterminer la voie concrète qui mènera à l'Union européenne.
Nous sommes prêts à voir concrètement avec les Allemands ce que nous pouvons faire pour contrôler les dépenses européennes. Mais la France ne peut accepter que l'on dise que toute dépense nouvelle est par définition impossible, ni que la PAC soit remise en cause. Nous souhaitons créer un vrai marché unifié.
Il nous paraît nécessaire de rehausser la stature du Parlement européen. Ayant dit cela, se pose un premier problème : celui de ses pouvoirs budgétaires. Il n'est pas question pour nous de les accroître. Est-il possible de mieux les équilibrer ? Est-il opportun de modifier l'Article 203 du Traité, comme le souhaiteraient les Britanniques ? Est-il souhaitable de conférer au Parlement une compétence en matière de recettes ? Peut-on prévoir une plus grande association du Parlement tant aux grandes orientations de la politique extérieure qu'à certaines activités législatives importantes ? La RFA pourrait-elle accepter, par exemple, d'assouplir son attitude sur la question de l'Article 100 ?
En ce qui concerne la Commission, les questions de la désignation et du vote de confiance sont importantes : les trois derniers Présidents de la Commission ont en fait été désignés par le Conseil européen ; les deux derniers Présidents ont sollicité, lors de leur entrée en fonctions, un « vote de confiance » de l'Assemblée.
Reste enfin le Conseil. Nous avons deux questions à élucider : faut-il ou non abandonner déimitivement le compromis de Luxembourg ? Il faut mettre un terme à l'abus de son usage. Mais nous ne sommes pas pour autant persuadés qu'il soit opportun d'abandonner définitivement et sur toute question le droit de veto. Faut-il ou non modifier certaines dispositions du Traité prévoyant l'unanimité, pour y substituer la majorité qualifiée ? Nous sommes ouverts à une modification en ce sens de l'Article 100.
Le Président s'inquiète : «
1 Vous formalisez ici à l'excès la conversation que je dois avoir avec le Chancelier.
2 J'ignorais cette rencontre préparatoire qui ne me paraît pas nécessaire
3 Il y a trop de bureaucratie et je ne comprends rien à ces études de techniciens.
4 A la limite, ceci peut m'être utile, mais en restant strictement réservé à ma réflexion. »
Il est trop tard pour tout annuler. La réunion aura lieu sur la base de ces idées.

Le Président souhaite que l'on nomme Thierry de Beaucé au Quai d'Orsay comme directeur général des Relations culturelles, à la place de Jacques Boutet. Mais la hiérarchie du Quai n'en veut pas. François Mitterrand : « Imposer notre décision. Mais on ne peut pas bousculer Boutet. En attendant, le nommer immédiatement derrière, pour le préparer à la suite. »
Cela ne se fera pas : le Quai sait rejeter les corps étrangers.


Lundi 13 mai 1985


A Bonn commence la longue négociation qui conduira à l'Acte unique.
Teltschik exprime le souci des Allemands d'explorer en détail tous les aspects de la coopération européenne et leur volonté d'appliquer tout, ou presque, du rapport Doodge : restriction du vote à l'unanimité au Conseil, pouvoirs budgétaire et législatif plus grands du Parlement, renforcement du pouvoir du Conseil en politique étrangère et en défense, création d'une Union européenne. Le Chancelier souhaite que cela soit étudié par une conférence intergouvernementale, mais comprend qu'il est difficile de la convoquer si le risque d'échec est trop élevé. Il pense qu'on peut faire ensemble de grands pas en matière de technologie, et même réfléchir sur la monnaie et la libération du contrôle des changes.
Teltschik me confirme son accord sur Eurêka. Il cherche une façon de présenter à son opinion publique cette participation comme complémentaire de l'éventuelle participation de la RFA à l'IDS.
Il freine sur le TGV : les Allemands ont eux-mêmes à l'étude un train « électromagnétique suspendu ».
Il souhaite me revoir avant la rencontre du 28 à Constance, pour entrer dans les détails. Je lui propose de venir à Paris le 24.

Jacques Rigaud m'appelle, car Laurent Fabius vient de l'informer que la CLT n'aurait pas sa place sur le satellite, parce qu'elle n'a voulu prendre qu'une option, et non fermement en réalité, parce que le canal est en train d'être cédé par Fabius à Berlusconi. L'option n'est qu'un prétexte. Rigaud n'est pas dupe: « C'est scandaleux ! Voilà trois semaines que je négocie avec TDF et qu'on nous dit que l'option est possible. Si on nous avait dit que c'était impossible, on aurait pu envisager une solution de prise ferme. Et, pendant ce temps, on discute dans notre dos pour attribuer le canal en français à d'autres. Que le Président sache que nous trouvons ça scandaleux. Et si la décision n'est pas définitive, je peux essayer de convaincre mes actionnaires d'une prise ferme. »


Mardi 14 mai 1985


Edgard Pisani ne retournera pas à Nouméa. C'est ce qu'a décidé Laurent Fabius et ce qu'il fait avaliser par François Mitterrand. Ce matin, Pisani devrait devenir ministre, spécialement chargé de défendre la réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie devant le Parlement. Il sera remplacé à Nouméa par Fernand Wibaux.

Hubert Védrine reçoit Théo Klein, venu l'entretenir du sort des Juifs de Syrie, qui rappelle la promesse faite par le Président Assad de laisser sortir de ce pays quelques jeunes filles juives syriennes qui le désireraient. François Mitterrand : « Assad m'en a en effet parlé. Notre ambassadeur pourrait le lui rappeler. »

Le Président joue un rôle de moins en moins direct dans la politique gouvernementale. Pour équiper Toulouse, deux projets sont en compétition : le métro Val et le tramway. Question posée au Président : « Souhaitez-vous que le gouvernement fasse un geste financier ou symbolique en faveur du projet qui a la préférence du maire de Toulouse ? »
François Mitterrand : « C'est au Premier ministre de décider. »



Mercredi 15 mai 1985


Sur l'avion de combat européen, discussion entre François Mitterrand et Charles Hernu après le Conseil. Demain, la conférence de Rome des cinq ministres de la Défense doit étudier les spécifications techniques. Les Britanniques veulent faire accepter leur modèle, équipé de moteurs anglais. Nous voulons un avion plus léger, afin qu'il soit embarquable sur porte-avions, et utilisant des moteurs français ; avoir le siège du bureau d'études commun en France, et obtenir le commandement de ce bureau d'études. La RFA veut que ce bureau soit situé à Munich. Le Président veut un choix européen, pas un choix français.
Le marché est de 1 000 avions en Europe, dont 200 en France : 150 à l'exportation pour le modèle de 10,5 t. ; 400 à l'exportation pour le modèle de 9 t. Si nous faisons l'avion européen, nous aurons 25 % d'un marché très sûr de 1400 avions sur la base de notre modèle, ou de 1 150 selon le modèle anglais. Si nous le faisons seuls, nous aurons 100 % d'un marché très peu sûr de 600 appareils.
Le Président reçoit Manfred Wörner : « Il est essentiel que le bureau d'études soit en France. » Puis, s'adressant à moi : « Empêchez Hernu de faire cette bêtise. Il ne doit pas céder à Dassault. Il faut faire un avion européen. »



Jeudi 16 mai 1985


On prépare la réunion de demain des ministres européens qui doit lancer définitivement Eurêka. La Finlande souhaite être invitée. Son Président appelle François Mitterrand. Dumas et Curien y sont très hostiles, au moins pour cette première réunion, car on ne pourrait alors éviter la candidature de la Yougoslavie, ce qui entraînerait l'hostilité allemande et maints autres problèmes. François Mitterrand : « Je ne vois pas la relation entre la Finlande et la Yougoslavie (elle n'appartient à aucun bloc). Je suis favorable à l'admission de la Finlande, mais j'admets qu'il faille attendre que les membres du premier groupe délibèrent. »
Vendredi 17 mai 1985


Le Président reçoit les ministres de la Recherche de dix-sept pays pour lancer Eurêka : « A défaut de commandes militaires, Eurêka doit pouvoir assurer aux entreprises européennes un puissant marché intérieur pour les produits de haute technologie de demain. Ceci suppose une politique européenne des normes, des commandes publiques (ouverture réciproque et préférence communautaire) et de la protection commerciale des technologies naissantes. N'oublions pas que l'une des conditions de l'effort propre de recherche de nos entreprises et de coopération entre entreprises européennes réside dans la perspective de marchés suffisamment importants. » Une idée née il y a trois mois est devenue une quasi-institution européenne grâce à l'obstination des chefs d'État français et allemand.


Dimanche 19 mai 1985


Les immigrés votent à Mons-en-Barœul. François Mitterrand applaudit au courage du maire.



Lundi 20 mai 1985


Jean-Denis Bredin remet à Laurent Fabius son rapport sur les télévisions privées.



Mardi 21 mai 1985


L'administration des Douanes communique au directeur de cabinet de Laurent Fabius et au secrétaire d'État au Budget, Henri Emmanuelli, les résultats mensuels du commerce extérieur. Franchement mauvais : 4,215 milliards de francs de déficit pour avril. Deux heures plus tard, ces chiffres parviennent chez Édith Cresson, ministre du Commerce extérieur, qui doit les rendre publics immédiatement. Mais, l'après-midi même, François Mitterrand doit décorer à l'Élysée des patrons exportateurs. Le ministère du Commerce extérieur attend 20 h 38 — après les journaux télévisés — pour lâcher l'information.

Réunion du conseil de la CLT. Renversement d'alliance : Rousselet soutient Rigaud contre Fabius qui souhaite imposer Pomonti et Werner. Fabius demande à Havas de voter pour Werner. Rousselet réclame alors à Matignon un ordre écrit, qui ne viendra pas. Un compromis est trouvé entre Rousselet et Frère : Werner président pour six mois ; Thorn vice-président, puis président ; Pomonti au conseil, mais rien de plus. Rigaud reste le patron.
Mercredi 22 mai 1985


François Mitterrand s'inquiète de notre travail avec Teltschik sur l'Union européenne : « Avant la rencontre avec Kohl, le 28, mieux vaut adopter un profil bas et ne pas donner de faux espoirs quant aux résultats à attendre. »

Nomination de Saulnier comme futur chef d'état-major des armées, en remplacement de Lacaze. Effet au 1er août.


Laurent Fabius annonce la création de baccalauréats professionnels à la suite de la proposition du Collège de France.

Enlèvement à Beyrouth de Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat. Nous avons quatre otages français au Liban.


Vendredi 24 mai 1985


Horst Teltschik est à Paris : « L'ampleur de l'effort de recherche américain nous impose plus que jamais de rattraper par nous-mêmes notre retard dans les domaines vitaux. Avant tout : l'informatique et l'électronique. » Sur l'IDS, ses réserves augmentent : « Qu'exigeront les Américains en échange ? Aurons-nous le droit d'utiliser les résultats de nos entreprises pour notre défense ? » Il souhaite évoquer l'idée d'un « Eurêka militaire ». Il me parle aussi de la possibilité d'associer Matra et Messerschmitt pour élaborer un vrai bouclier nucléaire européen autonome.


Le Président Reagan a estimé à 26 milliards de dollars sur cinq ans le montant des crédits nécessaires à la seule recherche sur l'IDS. L'éventuel déploiement a été estimé, lui, à 1000 milliards de dollars (contre 10 milliards de dollars de l'époque pour le projet Manhattan de bombe A, et 100 pour le projet Apollo). Le Congrès a déjà limité les crédits de recherche à 1,4 milliard de dollars pour 1984-1985 et 2,7 pour 1985-1986. Compte tenu de l'impératif de résorption du déficit budgétaire, il est difficile de prévoir combien le Congrès accordera de crédits pendant les trois années fiscales où les décisions seront encore prises par le Président Reagan (1986-87, 1987-88, 1988-89). Peut-être au total 13 à 14 milliards sur cinq ans ?


Samedi 25 mai 1985


François Mitterrand assiste, à Brest, au premier départ en mission de L'Inflexible.


Dimanche 26 mai 1985


Pentecôte à Solutré. François Mitterrand : « Ce qui est agréable depuis que je suis à l'Élysée, c'est que je fais beaucoup moins de politique. »
Fabius est à La Lanterne avec Defferre, Bérégovoy, Badinter et Lang pour préparer la campagne des législatives.



Mardi 28 mai 1985


François Mitterrand et Helmut Kohl se retrouvent pour la première fois depuis le difficile Sommet de Bonn, à Bodensee, sur le lac de Constance, pour préparer Milan. On décide de la relance de l'Union européenne, et on finalise Eurêka. Cette conversation, au cours de laquelle les deux hommes d'État se réconcilient et définissent très fermement leurs relations avec les États-Unis, est essentielle :
Helmut Kohl : Un des buts décisifs de ma politique, le plus important, est de rattacher la RFA à l'Ouest de façon irréversible. Il y aura toujours une tentation vers l'Est. C'est normal : "ils" ont 17 millions d'otages et d'autres moyens, tel Berlin. Pour cela, il y a deux piliers, la CEE et l'OTAN. Dans la CEE, la France conduit tout. Nous avons besoin de ces relations avec vous plus que vous avec nous. Les nationalistes de droite ne constituent pas un danger revanchiste. Les anarchistes ne sont pas un danger. Les nationalistes de gauche en sont un. La seule solution pour nous est l'Europe. C'est vital pour nous. L'URSS ne se transformera pas avant trente ans et on ne fera rien de substantiel avec elle avant. Les Etats-Unis sont une inconnue. Depuis le Traité de Versailles, ils ne s'occupent plus de l'Europe, seulement de prohibition... Qui sera Président en 1993 ? Il nous faut donc avancer pendant notre commun mandat. Brandt avait avec Moscou une tout autre politique que la mienne. Ses déclarations sur la suprématie morale de l'Est sont inacceptables.
L'IDS se fera, quel que soit le Président aux États-Unis. Mais ils ne savent pas à quoi ils arriveront. Le Pentagone veut y associer les entreprises étrangères. Le State Department veut y associer les gouvernements étrangers. L'une et l'autre chose sont inacceptables. Ils veulent nous prendre nos idées. On ne peut être vidé comme des oies à Noël. Il faut un intérêt essentiel pour les deux parties. Je suis favorable à une vraie division du travail entre les États-Unis, le Japon et l'Europe sur l'IDS. Nakasone veut travailler avec le couple franco-allemand. J'ai vu Maggie à Londres et je ne suis pas rentré content : elle s'éloigne de l'Europe et veut que ses entreprises soient en contact avec les États-Unis à tout prix. Nous devons exiger des États-Unis qu'ils acceptent que nos entreprises utilisent le résultat des recherches. La CEE va faire une proposition. Il faut l'étudier par politesse, mais le cadre de la CEE est trop grand. Il faut faire ça à géométrie variable, avec la CEE et d'autres pays comme la Norvège. Le noyau dur sera franco-allemand. D'où l'idée d'Eurêka, qui n'est pas contre l'IDS, mais compatible avec elle. Et cela ne se limite pas aux projets d'IDS.
Il faut y réfléchir avant Milan. Le problème est d'avoir une action commune. Il y a des conflits d'intérêts, mais ce sont des discussions de famille, c'est normal. La majorité de nos concitoyens pensent comme moi : la France est ici et les États-Unis, de l'autre côté de l'Atlantique. Rien ne sortira de Milan si nous ne nous préparons pas ensemble.
François Mitterrand : L'axe de la politique française, c'est l'Europe, et l'axe de l'Europe, c'est l'amitié franco-allemande. Je ne suis pas sensible aux péripéties. Aucune entreprise ne se fait sans difficultés. L'objectif reste le même. Je veux faire l'Europe, même si ça gêne les intérêts américains. En observant la mesure qui convient, car la sécurité du monde dépend pour une très large part des États-Unis. Sur les deux sujets du Sommet, notre position n'était pas la même. Mais notre situation est différente. Sur l'IDS, la RFA ne peut se permettre de s'éloigner des États-Unis, pour des raisons de sécurité et en raison de l'interdit nucléaire. Les États-Unis et l'URSS vont tenter d'attirer la RFA par cet interdit. La RFA peut être tentée par la stratégie de militarisation de l'espace qui serait non-nucléaire.
Helmut Kohl : Oui, ce serait une politique.
François Mitterrand : Il faudrait trente ans. Et il se passerait bien des choses... Il faut éviter le découplage entre les États-Unis et l'Europe, mais l'Europe ne peut être un glacis pour les États-Unis. L'Europe ne peut être en situation d'obéir aux décisions américaines si elle n'intervient pas dans ces décisions. Pour l'IDS, on ne nous parle que de l'exécution sans nous fournir d'explications. Je pense que nous n'avons pas à nous presser. Ils ont besoin de nous. Reagan en parle depuis deux ans. Et maintenant il nous donne soixante jours ! Attendons. Dans trente ans, la stratégie sera partiellement spatiale. Cela assurera-t-il la sécurité de l'Europe ? Je ne sais. Il s'agira d'armes balistiques. Mais une guerre Etats-Unis/URSS suppose une série de contagions locales. On pense que cela va s'arrêter, et puis cela ne s'arrête pas, comme en 1914 et en 1939 avec François-Joseph et Hitler. François-Joseph ne voulait pas la guerre pour la Bosnie, il voulait seulement contrôler les Slaves du Sud. Il n'a pu retenir la contagion...
Helmut Kohl : N'est-ce pas différent aujourd'hui ?
François Mitterrand : Ce qui est dangereux, ce serait la pénétration soviétique à l'est de l'Allemagne, ou la révolte d'un pays de l'Est, ou l'impasse au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Or, l'IDS ne peut contrôler des missiles allant en une minute au ras du sol de Dresde à Berlin ou de Gdansk à Hambourg. Autrement dit, l'IDS répond aux besoins de sécurité des deux grandes puissances, pas à ceux de l'Europe. Les Soviétiques attaqueraient-ils Hambourg s'ils craignaient l'engagement américain ? De toute façon, celui-ci viendrait après la destruction de Hambourg. Et si, dans vingt ans, le Président américain est neutraliste ? Et il n'est pas question de participer à l'IDS sans participer à sa décision d'emploi. C'est pire que le commandement intégré ! On ne nous propose même pas de faire semblant d'en créer un ! De plus, en associant le Japon, on peut être pris dans une guerre aux Philippines ! Les Etats-Unis auraient dû nous dire comment ils comptent nous associer à la décision. Reagan ne parle que de recherche. Il y a des domaines où nous n'avons rien à apprendre d'eux, tels les miroirs pour lasers. Je veux bien leur en vendre ! C'est encore plus vrai pour la technologie allemande ou britannique. On verra. Il ne faut pas se presser, ni s'inquiéter. Les Américains doivent être demandeurs ; cela doit être dans leurs intérêts. S'ils ont besoin de nous, ils traiteront avec nous. L'imprécision des demandes de Reagan n'est pas digne des relations entre les États-Unis et l'Europe. Je comprends la position de la RFA. Vous ne pouvez agir comme moi. Et si j'avais été Chancelier d'Allemagne fédérale, j'aurais d'autres attitudes. Un Chancelier allemand ne peut dire aux États-Unis : "Ce que vous dites ne m'intéresse pas." Votre sécurité dépend à 90 % des États-Unis. Et quand des ministres critiquent la RFA, je leur dis tout de suite que c'est une erreur. Mais nous ne pouvons nous contenter de l'imprécision américaine.
Helmut Kohl : D'accord.
François Mitterrand : Si les entreprises, françaises veulent traiter avec les États-Unis, cela ne nous gêne pas. Mais les États-Unis ne doivent pas croire que l'Europe appartient au passé.
Helmut Kohl : Ce que vous dites me va très bien. Pour beaucoup d'Allemands, soutenir son propre intérêt est immoral. Cela vient de Hitler. Je suis le dernier Allemand qui nierait Hitler. C'est un fait. Quand il y a un problème, on est émotionnel. On se dit : "Avec notre histoire, on ne peut pas faire ça. " Adenauer m'a dit un jour : "Quand la France ou la RFA font la même chose, les conséquences en sont différentes. " S'il avait été là aujourd'hui, il aurait aimé ce que vous avez dit. La RFA est le pilier conventionnel de l'Alliance. Quoi qu'il arrive, dans les trente prochaines années, il y aura toujours besoin d'un tel pilier conventionnel, c'est notre chance. Par ailleurs, je suis très intéressé à ce que ni Paris ni Londres ne réduisent leurs forces nucléaires.
François Mitterrand : La sécurité de l'Europe, c'est l'armée conventionnelle allemande et les sous-marins nucléaires français.
[Serait-ce l'esquisse d'une défense européenne telle que la conçoit François Mitterrand ?]
Helmut Kohl : Les États-Unis ont aussi besoin de ce pilier conventionnel, car il n'y aura jamais d'arme contrôlant l'espace. Aussi, je suis intéressé à une réelle coopération technologique avec les États-Unis.
François Mitterrand : Quand vous en serez là, j'examinerai la question, mais ce n'est pas pour demain.
Helmut Kohl : Il me faut aussi répondre positivement à l'IDS pour éviter le retrait des troupes américaines d'Europe.
François Mitterrand : On verra quand on aura une offre concrète. En plus, l'IDS est quelque chose de très maladroit par rapport à Genève. Mais j'insiste : Eurêka n'est pas une réponse à l'IDS. Ce n'est pas un objectif militaire. La concurrence entre l'IDS et Eurêka porte sur les hommes. Eurêka vise à éviter le "brain-drain". Sans Eurêka, il y aurait un vide politique en Europe. La Commission ne doit pas s'en préoccuper, sinon certains pays le tueront ; le grand projet technologique de l'Europe ne doit pas dépendre du refus grec ou danois. Si la France et la RFA avancent, d'autres suivront. Et cela permettra aux pays d'Europe de l'Est d'échapper à l'Union soviétique. Ce n'est pas l'Europe de la Communauté. De même, pour Milan, il faut avancer sur les procédures.
Helmut Kohl : Je suis pour n'accepter la Conférence intergouvernementale que si un ordre du jour est décidé à Milan. Il faut d'autres sujets.
François Mitterrand : Le cancer (unifier nos efforts pour la recherche), la citoyenneté européenne, des avions européens...
Helmut Kohl : Il faut ajouter le TGV ; les avions intérieurs sont insuffisants. Un TGV Hambourg-Munich-Stuttgart-Metz-Paris.
François Mitterrand : Je vous envoie Curien.
Helmut Kohl : Je vous informerai de tous mes autres contacts. Sur l'avion, le projet anglais est stratégique. Il faut un avion utile dans la situation actuelle de l'Europe, et exploitable. Il faut les deux. Les États-Unis peuvent y travailler : un avion unique pour l'OTAN, ce serait mieux.
François Mitterrand : Les Européens peuvent faire seuls leur avion. J'ai demandé qu'on renonce à l'avion de combat européen si on peut faire l'avion européen. Je ne peux renoncer à notre avion si c'est pour laisser aux Anglais tout ce qu'ils veulent, sans faire l'avion de combat européen.
Par ailleurs, il faut modifier la PAC. Depuis vingt ans, elle est nocive. C'est une catastrophe. Les excédents coûtent un argent fou. Il faut changer. Il faut une réduction de la production, en particulier pour le vin de table.
Helmut Kohl : Il faut faire la même chose pour les céréales. Les producteurs sont très riches.
Craxi reparle de la Conférence intergouvernementale. Je pense que c'est quelque chose qu'on ne peut décider qu'à la fin de Milan. On verra, s'il n'y a pas de résultats à Milan, s'il ne faut pas se cacher derrière la Conférence intergouvernementale. Si Milan réussit, on peut en décider. Il faut demander tous les deux à Craxi de ne pas faire trop de "mousse " à l'avance.
François Mitterrand : La Conférence intergouvernementale est une échappatoire. On la substitue à Milan. Ce qu'on ne fera pas à Milan, on ne le fera pas au mois d'août. Concernant le Parlement, il ne faut pas affaiblir à l'heure actuelle le Conseil des ministres pour accroître les pouvoirs des parlementaires. Le Parlement doit avoir quelques pouvoirs financiers pour dépenser les fonds structurels, mais pas le droit de lever l'impôt.
Parlons de choses concrètes. Je conçois vos réticences sur l'harmonisation des normes. C'est une direction qui sera prise un jour ou l'autre. Pour ce qui est de l'Europe des citoyens, je vous en parlerai avant Milan.
Helmut Kohl : Je suis d'accord. Et pour la Commission ?
François Mitterrand : Sur le mode de décision, je serai favorable à l'idée d'en revenir au Traité de Rome et de supprimer le Compromis de Luxembourg. Je ne l'obtiendrai pas. Il faut donc rendre le veto exceptionnel. Seuls le ministre des Affaires étrangères ou le Conseil européen doivent pouvoir le décider.
Helmut Kohl : D'accord, et il faut dresser une liste limitative. Comment faire une politique européenne de sécurité ? Nous sommes dans une situation difficile et vous êtes, pour nous, une chance folle. Nous ne sommes pas clairs sur la sécurité. C'est pourquoi les Américains ne nous prennent pas au sérieux. Si nous étions une force, face à eux, ce serait différent. Eurêka est important. Sans les Pershing, nous aurions subi une invasion. Les Soviétiques ne respectent que la réalité. Ils vous respectent. Hitler a échoué parce qu'il était un aventurier. Les Soviétiques calculent.
Que pensez-vous du projet britannique de coopération politique ?
François Mitterrand : On ne l'a pas encore reçu.
Helmut Kohl : C'est un accord pour ne pas aller très loin. Je vous le ferai passer avant le 17. Est-il possible pour vous de signer un traité de sécurité avec moi ?
François Mitterrand : Je veux bien en parler avec vous.
Helmut Kohl : Chez nous, la propagande de l'Est est forte. On dit que la défense n'est plus nécessaire. Depuis le discours au Bundestag, j'ai allégé un peu le service, mais rien d'autre. Nous avons besoin d'une offensive européenne pour dire aux jeunes de ne pas aller à Princeton pour apprendre la Science. C'est l'inspiration qui manque à l'Europe. Il nous faut le contraire d'un Spengler. Si l'Europe le veut, je crois qu'on peut éviter la victoire du pacifisme.
Promenade en bateau sur le lac. Helmut Kohl m'explique qu'il y eut de nombreux Allemands antinazis et que la Suisse, qu'on voit de l'autre côté du lac, coopéra en fait très activement avec le régime nazi.

Sueurs froides : dans l'avion du retour, je me rends compte que j'ai égaré mes notes de cet entretien. Sueurs froides. Des journalistes s'en seraient-ils emparé ? A Villacoublay, un homme du GSPR me prévient qu'un de ses collègues les a retrouvées sur le bateau juste avant qu'un journaliste ne s'en saisisse. Je l'aurais embrassé. Depuis, toutes mes notes sont cryptées, inutilisables par tout autre que moi.




Mercredi 29 mai 1985


Le projet Fabius sur la Nouvelle-Calédonie est soumis à l'Assemblée.
Au stade du Heysel, à Bruxelles : 39 morts. Images d'horreur à la télévision, tandis que la partie se poursuit. Le spectacle est si puissant que la mort même n'est plus sacrée ; elle n'est plus qu'un élément du spectacle, un peu moins innocent que les autres.




Jeudi 30 mai 1985


Les États-Unis tiennent absolument à ce que l'IDS soit approuvée à la prochaine réunion des ministres de la Défense de l'Alliance atlantique, à Lisbonne, le 7 juin, comme il l'a été par les ministres des Affaires étrangères. Pour y parvenir, ils s'y prennent plus habilement qu'à Luxembourg ou à Bonn. Le secrétariat de l'OTAN propose un texte d'inspiration américaine présentant les recherches comme « prudentes et nécessaires ». Le Président refuse même cela.
François Mitterrand : « Maintenir ma position de Bonn. »

Déjeuner avec Renato Ruggiero, à Paris, pour préparer Milan. Grand diplomate italien qui associe culture, lucidité et enthousiasme. Je lui dis qu'on concocte une initiative franco-allemande. Il insiste : « N'en parle pas avant ; sinon, cela sera mal reçu en Sommet. » Bien sûr.


Samedi 1er juin 1985

Congrès extraordinaire du RPR à Versailles. Adoption de « dix priorités pour la France ». Parmi elles, l'abrogation de l'autorisation administrative de licenciement, la liberté des prix, la suppression des « seuils sociaux » dans l'entreprise et les privatisations



Lundi 3 juin 1985

A Lisbonne, les directeurs politiques allemand, britannique et américain travaillent au communiqué du Conseil de l'OTAN. Ils veulent discuter avec leur collègue français après-demain : « L'agence d'un texte concerté à quatre, me dit Roland Dumas, risque de rendre très délicate une éventuelle rédaction de compromis à seize ensuite. »
François Mitterrand me demande de transmettre : « Il ne peut être question, d'une manière ou d'une autre, à l'abri de quelque formule que ce soit, de s'engager dans l'IDS ou de l'approuver. Personne ne doit, du côté français, donner son aval à cette stratégie. »
J'appelle Bud McFarlane à Washington : « Nous ne pourrons pas donner à Lisbonne notre aval à l'IDS. Aucune rédaction qui y tendrait n'aura notre accord Il est préférable d'éviter un différend public (et pour lequel nous aurions vraisemblablement le soutien de certains autres membres de l'Alliance) ; nous serions prêts à discuter — sur cette base — entre les quatre directeurs politiques à Lisbonne d'un texte comprenant succinctement quelques formulations acceptables par nous (nous avons déjà préparé un texte de compromis en ce sens). Au-delà de cette question immédiate de communiqué, nous n'excluons pas d'engager le dialogue avec les États-Unis. » L'Américain accepte, avec son élégance coutumière : aucun aval à l'IDS ne sera donné à Lisbonne. On verra le 7 si ses instructions sont suivies.




Mardi 4 juin 1985

Réunion des ministres de la Recherche de la CEE. On progresse sur la mise en œuvre d'Eurêka, malgré la volonté de la Commission de mettre la main sur le projet.


Mercredi 5 juin 1985

Il faut donc progresser sur un texte franco-allemand avant Milan. Pour éviter l'impair et le diktat, il convient de rassurer les Italiens. On les associera en secret, comme convenu avec Ruggiero.

Selon la tradition, le ministre des Relations extérieures, Roland Dumas, doit donner son accord à tout voyage à l'étranger d'un de ses collègues. Dans certains cas, il en réfère au Président. Jamais au Premier ministre. Aujourd'hui, c'est Pierre Bérégovoy qui, écrit-il, « m'a demandé à plusieurs reprises mon avis sur la visite qu'il compte effectuer en URSS. Il insiste et souhaiterait que celle-ci ait lieu au début de l'été. Je pense lui faire, si vous en êtes d'accord, la réponse suivante : il ne faut pas altérer le caractère de la visite de M. Gorbatchev si celle-ci a lieu comme nous le souhaitons. »
Le Président approuve Roland Dumas : Bérégovoy n'ira pas à Moscou. Gorbatchev doit lui-même venir prochainement à Paris.

Affrontements violents entre CRS et membres de la CGT et du PCF devant l'usine SKF à Ivry-sur-Seine.
Le Président s'informe en détail sur la nature du conflit. Puis demande la fermeté : « Si on n'est pas fermes avec eux, tout peut s'enflammer. Mais, en réalité, ils n'ont plus les moyens de mobiliser, ils céderont. C'est le début de la fin du PC. »


Le Président est furieux des prévisions de réalisation du Budget 1985 : la baisse des prélèvements obligatoires ne sera que de 0,3 % au lieu de 1 %. Il demande que l'Élysée reprenne l'affaire en main. Difficile de faire mieux...


Jeudi 6 juin 1985

Réunion ce matin, avant de partir pour Bonn, des principaux collaborateurs de l'Élysée, de Matignon et des Finances, pour parler des prélèvements obligatoires : la baisse n'est bien que de 0,3, parce que les Finances ont tenu à surestimer les recettes pour réduire le déficit budgétaire (qui atteint aujourd'hui 3,6 %). Autrement dit, on préfère ne pas respecter l'engagement du Président sur la baisse des prélèvements obligatoires plutôt que de reconnaître l'erreur du gouvernement dans la gestion du déficit budgétaire !
En réalité, avec des hypothèses plus réalistes sur la croissance et les impôts, la baisse des prélèvements obligatoires sera de 0,7 ou 0,8 %, et le déficit de 3,3 %. Pour être sûr qu'en octobre ou novembre la réalité ne sera pas différente, il convient de demander au gouvernement d'étudier des mesures de contraction complémentaires. Pour faire tomber le déficit au-dessous de 3,3 %, il appartient au Premier ministre de proposer 20 milliards d'économies budgétaires.
La question à résoudre, d'ici demain soir, est l'affichage de la baisse des prélèvements obligatoires. J'informe le Président : on peut dire 0,8, sans courir le risque d'être accusé de trucage. Mais cela implique une grande rigueur dans la gestion du Budget.
François Mitterrand est encore plus exigeant : « 0,8 ? Ce serait inacceptable et ne serait pas accepté. Le dire. »

On entend parler d'un projet de texte britannique avant Milan. François Mitterrand : « Les Anglais veulent nous étouffer en nous embrassant. »
Fitzgerald, pour l'Irlande, veut bien de nouvelles compétences communautaires sur tout, mais pas sur l'avortement !

Je me rends à Rome pour une réunion avec Teltschik et Ruggiero sur un projet de texte d'Union européenne. Teltschik et moi faisons semblant de nous voir pour la première fois sur le projet. Ruggiero fait semblait d'être dupe. Les Italiens pensent que si un accord n'est pas trouvé à Dix sur un tel texte, il faut chercher un accord à Six.
Il faut encore trancher plusieurs questions : sommes-nous pour la création d'une Union européenne ? la création d'un secrétariat général de la Coopération politique ? l'obligation d'accord à Dix sur les sujets de politique étrangère d'intérêt vital pour les Dix ? l'intégration de l'UEO dans les instances de l'Union européenne, qui deviendrait ainsi compétente pour les questions de sécurité ?
Les principaux problèmes sont : la RFA aura-t-elle un siège au Conseil de sécurité de l'ONU ? faut-il créer un poste de secrétaire général du Conseil de l'Union européenne, indépendant de la Commission ?
Teltschik : « Il s'agit de créer un vrai pouvoir politique à côté de la Commission et, indépendamment d'elle, un véritable ministère des Affaires étrangères européen, ayant droit de contrôle sur les votes de la France et de la Grande-Bretagne à l'ONU. »
Nous parvenons à un accord à trois sur la « solennisation » de l'évocation du Compromis de Luxembourg et l'amélioration — limitée — des pouvoirs de gestion de la Commission. En revanche, sur le pouvoir du Parlement, les Allemands sont très inquiets de ce qu'on ne propose rien de sérieux, car ils craignent la colère de leurs propres parlementaires. Ils tiennent à réclamer une augmentation sensible du pouvoir de codécision du Parlement avec le Conseil, même s'ils ne l'obtiennent pas.
Les Allemands insistent beaucoup sur la chaîne de télévision européenne, l'Académie des Sciences et l'Office européen de la Jeunesse. Ils reconnaissent qu'il faut aller dans le sens du droit de vote à tous les Européens aux élections locales, où qu'ils se trouvent, tout en s'interrogeant sur les délais et la constitutionnalité d'une telle mesure.
Les Italiens sont très demandeurs de progrès dans la construction du SME et celle du marché intérieur.
Teltschik insiste beaucoup, « au nom du Chancelier », pour que des discussions bilatérales aient lieu là-dessus la semaine prochaine au niveau technique des directions des Affaires politiques.
Sur Eurêka, les choses avancent bien. Allemands et Italiens y sont très favorables, et désireux d'éviter que la Commission veuille y mettre un carcan juridique. Les deux m'ont demandé que nous le disions à Jacques Delors.
Le Chancelier souhaite arriver à une position commune avec la France avant le 20 pour qu'elle soit ensuite communiquée à l'Italie et que celle-ci en fasse le projet de la Présidence pour Milan.
Teltschik et moi décidons de nous revoir à Paris le 17 pour arriver, si possible, à des positions communes sur ces sujets, sur la base de ce que le Président français et le Chancelier se sont dit à Constance.
Pour Eurêka, j'insiste sur l'urgence d'un accord concret sur au moins un sujet. Sur l'Europe au quotidien (jeunes, recherche médicale), les Allemands ont bien accueilli les suggestions faites au Chancelier.
Sur la sécurité, les Allemands attendent visiblement un geste de la France. Teltschik me dit à plusieurs reprises : « Que pourrions-nous faire ensemble en matière de sécurité ? Nous, nous sommes prêts à tout : fusion de nos états-majors, armements conventionnels en commun, manœuvres communes, etc. » Ne peut-on étudier, par exemple, l'idée qu'un jeune Français puisse faire deux mois de service militaire dans une autre armée d'Europe, et réciproquement ?

Début du voyage de Rajiv Gandhi en France.

Mort de Vladimir Jankélévitch. On ne peut écouter Fauré sans penser à lui.

Le général Saulnier s'inquiète des progrès du bouclier soviétique :
« Même si le bouclier spatial s'avère réalisable, conformément aux espoirs de Reagan, cette protection sera incomplète, puisque des vecteurs se déplaçant dans l'atmosphère, lancés par exemple du fond des mers, ou même de territoires situés pas trop loin de ceux qu'il s'agit de dissuader (cas de l'Europe vis-à-vis de l'URSS), pourront rester menaçants. (...) L'actuelle vulnérabilité des vecteurs atmosphériques pourrait cependant être diminuée de façon drastique si les techniques d'abaissement des signatures radar (dites techniques "Stealth") débouchaient. Ellesfont l'objet de recherches intenses aux Etats-Unis, sans avoir donné jusqu'ici de résultats tangibles. Cette technique constitue une donnée très importante de la stratégie de demain ; elle me paraît trop négligée en France. (...)
Ce qui me gêne toujours dans ce débat, c'est que personne ne semble douter du fait que nous arriverons toujours à pénétrer les défenses de ceux que nous voulons dissuader. Je crains que ce postulat ne soit sévèrement et prochainement battu en brèche par l'apparition d'un réseau dense de défenses terminales non-nucléaires, autour de Moscou par exemple, à l'horizon de quinze ou vingt ans, en tout cas beaucoup plus tôt que la mise en œuvre d'un bouclier spatial complet. Sans doute un tel système restera-t-il ponctuel, sans doute son efficacité ne sera-t-elle jamais totalement prouvée. Il portera néanmoins un coup sévère à la crédibilité de notre armement offensif, et donc du dialogue dissuasif.
Cette perspective, il nous faut absolument l'affronter avant de fixer l'évolution de notre arsenal offensif au-delà des missiles M 4 de nos sous-marins. »

Il y a deux attitudes américaines différentes à l'égard des partenaires européens : celle des politiques qui veulent, sous couvert d'accords de participation à l'IDS en sous-traitance, sans aucun contenu technologique ou financier, obtenir l'approbation politique et publique de ce concept stratégique ; celle des militaires qui n'ont besoin ni d'accord ni de vraie coopération, mais seulement de faire appel directement à quelques spécialistes isolés et à quelques rares entreprises européennes.
Ainsi les choses se passent comme elles se sont toujours passées entre les États-Unis et les autres : les Américains gardent pour eux les technologies vraiment de pointe et ne laissent personne influencer la conception d'ensemble de l'éventuel nouveau système. A leur place, on en ferait autant. L'Europe n'a qu'à s'en prendre à elle-même de sa faiblesse.




Vendredi 7 juin 1985

McFarlane a tenu parole : la discussion a été très dure, cette nuit à Lisbonne, sur le projet de communiqué de l'OTAN. Faute d'accord, Roland Dumas propose qu'on dise que « chacun pour son compte, dans le respect des obligations de l'Alliance, prendra les décisions qu'il souhaite en matière de nouvelles technologies ». Plutôt que d'accepter un tel constat de divergence, et voyant que plusieurs autres pays européens s'apprêtent à nous suivre, les Américains préfèrent retirer toute mention de l'IDS dans le communiqué de Lisbonne. C'est exactement le même scénario que celui qui s'était déroulé lors de la dernière réunion de sherpas, la nuit, à Bonn, aboutissant à supprimer toute mention de l'IDS dans la déclaration politique.
En refusant, la France ne rate aucun « train », puisqu'il n'y a pas de « train », mais des recherches étanchement cloisonnées et à l'accès soigneusement contrôlé. La France ne se prive d'aucun pactole, puisqu'il n'y a pas de pactole pour l'Europe. Une attitude de docilité politique ne garantirait pas des contrats privilégiés.
Le développement des technologies spatiales s'impose quelle que soit la stratégie de demain. En revanche, l'utilité des éventuelles armes de l'espace est plus problématique pour une puissance qui ne voudrait pas attaquer, puisqu'elles ne fourniront jamais un système défensif complet. A moins que l'on ne songe à armer des satellites pour leur permettre de se défendre contre d'éventuels agresseurs, ce qui serait peut-être possible contre des satellites antisatellites, mais pas contre l'arme antisatellite américaine venue du sol.
Ces batailles de satellites sont moins improbables que la défense spatiale antimissiles. C'est faisable, cela peut être tentant (contre des antisatellites espions ou armés de bombes atomiques). Mais les armes antisatellites peuvent venir du sol comme de l'espace. Le problème peut se poser un jour pour la France sous la forme nouvelle d'une alternative connue : vaut-il mieux se défendre (protéger nos satellites) ou dissuader (menacer les satellites adverses) ?
Roland Dumas s'inquiète : « La crise de l'UNESCO se prolonge. Il est difficile d'y voir très clair. De mon voyage au Sénégal, je retire le sentiment que le Président Abdou Diouf prendrait mal la démission de M. M'Bow si celle-ci lui était imposée. Il devrait donc rester jusqu'à la fin de son mandat (1987). Entre-temps, il faut faire "quelque chose " pour arrêter l'hémorragie des départs ou des menaces de départ (Grande-Bretagne, Japon ?) et lancer les réformes prévues. Pourquoi ne pas confier une mission de réflexion à une personnalité de premier plan, et ceci pour le compte français uniquement ?
Que diriez-vous de Pierre Mauroy, d'Edgar Faure ou de Jean-Pierre Cot ? »
François Mitterrand refuse de s'en mêler.

Déjeuner avec Rajiv Gandhi. Il a hérité la mélancolie de sa mère. Il donne encore le sentiment de haïr la fonction qu'il occupe. Destinée...
André Rousselet, sans avoir averti personne, rencontre Silvio Berlusconi. Il tente de le convaincre de renoncer à créer en France une chaîne en clair.



Samedi 8 juin 1985

Réunion des ministres des Affaires étrangères des Douze à Stresa, pour préparer Milan. Les Britanniques, les Danois, les Néerlandais, les Grecs ne veulent pas d'un nouveau traité d'Union européenne. Les Français, les Italiens, les Allemands sont pour un nouveau traité politique. Aucun texte n'est mis sur la table, ni par les Allemands, ni par les Britanniques, ni par les Italiens, ni par nous. Et la Commission, qui craint comme la peste un texte qui lui échappe, est aux aguets !



Dimanche 9 juin 1985

Vingtième anniversaire des Clubs Perspectives et Réalités ; convention libérale au Palais des Congrès : Barre, Chirac, Giscard à la même tribune.


Lundi 10 juin 1985

Visite officielle de Laurent Fabius en RDA. C'est sa première visite officielle à l'étranger... Le lieu est peut-être mal choisi pour témoigner de son attachement aux droits de l'homme.

Visite officielle de Bourguiba en France. Il n'est pas en état de parler plus d'une minute.

Jacques Pomonti remet à François Mitterrand et à Laurent Fabius son rapport sur le satellite TDF 1.



Mardi 11 juin 1985

Au petit déjeuner, Fabius : « J'ai accéléré les procédures de dépistage du Sida. Ce sera une obligation pour les donneurs de sang.»

La France propose aux Européens de participer à la mise au point du Rafale, qui doit effectuer son premier vol dans un an. Le Rafale n'est pas un prototype de l'ACE, et la France ne le présente ni ne le propose comme tel. C'est un appareil de démonstration technologique destiné à valider en vraie grandeur les méthodes de calcul et les procédés technologiques les plus récemment développés en France : aérodynamique, commandes de vol, calcul des structures, matériaux nouveaux. Le Rafale n'a ni radar ni système d'armes ; ses moteurs F 404 sont des moteurs américains loués et ne correspondent pas à la technologie 1995 visée pour l'ACE.
Le Rafale ne constitue donc qu'une étape entre le Mirage 2000 et l'avion de combat futur. L'expérience acquise lors de la fabrication et des vols du Rafale permettra d'améliorer à coup sûr les méthodes de conception qui seront utilisées pour l'ACE ; les prototypes de l'ACE, décalés de plus de trois ans par rapport au Rafale, représenteront un progrès supplémentaire considérable.



Mercredi 12 juin 1985

François Mitterrand : « L'IDS, c'est la guerre réelle. »

Hernu, avec qui je devais dîner dans deux jours, au retour du Sommet franco-italien de Florence : « Pour vendredi soir, tu le sais, je vais à Florence avec le Président de la République et je crains qu'au lieu de rentrer à Paris et d'avoir le plaisir de dîner avec toi, je doive me précipiter à Villeurbanne où mon chien, Stan, compagnon de tant d'années, est en train de mourir. »



Jeudi 13 juin 1985

Michel Rocard annonce sur TF1 qu'il sera candidat aux présidentielles de 1988. François Mitterrand n'y attache pas la moindre importance.



Vendredi 14 juin 1985

Détournement vers Beyrouth du Boeing de la TWA Athènes-Rome. Les pirates exigent la libération de 735 prisonniers libanais en Israël contre les 39 Américains. Nabih Berri mène la négociation et fait savoir à la France que Kauffmann et Seurat seront élargis en même temps.

Laurent Fabius lance la campagne électorale à Marseille et s'en déclare le « chef ».




Samedi 15 juin 1985

Lionel Jospin est déchaîné. En tant que premier secrétaire du PS, il dit au Président : « Je suis le chef de la campagne. Laurent Fabius ne peut l'être. » Fabius ne s'attendait pas à cette réaction et le prend de haut.

Première fête musicale de « SOS Racisme » : 300 000 personnes à la Concorde.



Lundi 17 juin 1985

Renault annonce 12 000 suppressions d'emplois en 1985 et 9 000 en 1986. A l'exception de la CGT, les syndicats acceptent de discuter. Les temps changent...
Teltschik est à Paris. On reparle du texte de traité d'Union européenne. L'essentiel de la discussion porte sur l'indépendance du secrétariat politique vis-à-vis de la Commission. Il y tient.
Afin d'aller plus loin, on met au point un mémorandum. La première partie est consacrée entièrement à l'Europe de la technologie. Afin d'accompagner Eurêka, nous proposons d'encourager ou de créer l'Université de l'Europe et ses antennes, dans chacun des pays de la Communauté, où les jeunes seront formés, parmi d'autres disciplines, aux technologies du futur ; une Académie européenne des Sciences et de la Technologie où seront confrontés et consacrés les résultats scientifiques ; l'harmonisation des diplômes, pour favoriser les échanges d'universitaires et de chercheurs.


François Mitterrand : « La clé de l'Europe, c'est le couple franco-allemand. Et la clé de l'entente franco-allemande, c'est la sécurité de l'Allemagne. Tout le reste, en définitive, est secondaire par rapport à la lancinante question de la sécurité allemande. D'une part, l'angoisse allemande est "existentielle": même chez les dirigeants, elle exprime un "état d'âme" plutôt qu'elle ne se traduit en revendications concrètes. D'autre part, aucun chef d'État français ne peut s'engager à utiliser la dissuasion nucléaire pour l'Allemagne exactement comme il le ferait pour la France. Pour en sortir, je ne vois qu'une solution : donner un maximum de force symbolique et affective à l'annonce de toutes les décisions qui peuvent être prises sans remettre en cause la dissuasion. »
Il envisage une consultation permanente entre lui et le Chancelier fédéral en temps de crise (un « téléphone bleu » et un système de transmission de documents) ; la création d'un groupe permanent de sécurité franco-allemand entre états-majors ; un satellite d'observation franco-allemand (il n'est pas normal que, pour connaître le nombre de SS 20 qui nous menacent, nous dépendions uniquement, Allemands et Français, des informations que veulent bien nous donner les Américains) ; la mise en commun de nos moyens d'analyse en matière de renseignement.
En cas de crise, on pourrait placer des forces nucléaires en RFA. Faut-il une consultation stratégique à trois (RFA, Grande-Bretagne, France) ?

Patrick Baudry s'envole à bord d'une navette spatiale américaine.


Mardi 18 juin 1985

Petit déjeuner entre François Mitterrand, Laurent Fabius et Lionel Jospin, sur la question de savoir qui dirigera la campagne des élections législatives. Fabius assure Jospin qu'il n'entend pas chapeauter la campagne, qu'il se bornera à tenir « cinq ou six grands meetings », au plus. Jospin refuse : « C'est le PS qui dirige la campagne. » Le Président tranche en faveur de Jospin. Le Parti est en charge des élections.
Le Président me dit en remontant : « Ils sont incorrigibles. On n'arrivera à rien avec eux. C'était mieux avec la Convention des institutions républicaines. On était moins nombreux et moins susceptibles. »

Jean-Baptiste Doumeng m'informe que Zagladine vient à Paris le 19 et le 20. Ce diable d'homme est toujours le conseiller du secrétaire général du PCUS, quel qu'il soit, depuis Brejnev.
Discussion sur l'avenir de la dissuasion avec le Président.
Pour maintenir la crédibilité de la dissuasion française, il faut demeurer capable de traverser les éventuelles défenses adverses au sol ou dans l'espace : saturer en multipliant les têtes et les leurres, rendre les missiles plus résistants aux armes aritimissiles en durcissant leur revêtement et en les faisant tourner sur eux-mêmes. Les sous-marins doivent être rendus de plus en plus silencieux. Faut-il tenter aussi de protéger des sites ponctuels (Albion, des bases aériennes ou sous-marines, des centres de communications) ? Si la réponse est oui, notre capacité à réaliser les équipements nécessaires mériterait d'être examinée avec les Allemands, voire avec d'autres Européens. Sinon, dans quelques années, ce sont les industriels américains qui vendront aux Européens des systèmes de protection ponctuels made in USA. Faut-il aussi, pour réduire cette vulnérabilité, diversifier nos vecteurs avec le missile sol-sol mobile SX, ou plutôt avec un missile de croisière (mais il ne peut être guidé que par satellite) ? Il faudra certainement développer les auxiliaires spatiaux de la dissuasion : satellites d'observation, de communication, une éventuelle arme antisatellite, et pouvoir garder au sol, dans les DOM-TOM, les stations nécessaires à la gestion des activités spatiales. Tous nos programmes spatiaux augmenteront nos capacités en ce domaine.

Fabius annonce que le dépistage du Sida sera obligatoire pour les donneurs de sang à partir du 1er août. Il a mis toute son énergie pour accélérer la décision.

L'annonce du prochain voyage en France de Mikhaïl Gorbatchev sera faite à 13 heures. Pour éviter que Le Monde de ce soir ne titre sur la seule rencontre Gorbatchev-Reagan à Genève en novembre, j'appelle André Fontaine pour lui donner la primeur de l'information.


Mercredi 19 juin 1985

Au Conseil des ministres, l'ambiance est pire que sinistre. Les ministres ne songent qu'à la dispute entre Fabius et Jospin. Quand Yvette Roudy nous parle de la conférence sur les droits des femmes que les Nations-Unies organisent à Nairobi, cela semble parfaitement surréaliste et cela suscite quelques fous rires discrètement réprimés autour de la table. Pourtant, c'est infiniment plus important que les querelles entre ces deux messieurs...


Jeudi 20 juin 1985

Jean Riboud et Laurent Fabius préparent en secret la Cinq avec Silvio Berlusconi. Jack Lang y est très hostile, André Rousselet est résigné : Canal-Plus commence à se redresser et la Cinq, pense-t-il, ne peut plus le détruire.



Samedi 22 juin 1985

Réunion à Paris avec Ruggiero et Teltschik sur le traité d'Union européenne. Bettino Craxi a vu Helmut Kohl. Celui-ci lui a annoncé le dépôt d'un projet allemand de traité européen d'Union politique à Milan, même s'il n'y a pas accord avec les Italiens et les Français ! Teltschik en est paniqué. Concernant le Parlement, l'un et l'autre sont d'accord pour lui donner des pouvoirs de codécision, voire, dans certains cas, un droit de veto. Ce serait le rôle de la future Conférence intergouvernementale que de définir ces cas. Sur le vote à la majorité au Conseil, rien d'inattendu. Tous deux souhaitent que soit lancée à Milan cette Conférence intergouvernementale, tant pour modifier le Traité de Rome que pour rédiger un traité d'Union européenne.
Nous décidons de nous revoir encore mercredi à Bonn pour arrêter un projet commun de traité.
Kohl a beaucoup appuyé Eurêka devant Craxi, et l'un et l'autre ont critiqué la position de Dassault sur l'avion de combat européen. Il faut exiger des Allemands un réel engagement financier dans Eurêka. Sur Dassault, ils ont raison.

Le rapport sur l'idée d'une Conférence monétaire internationale — que François Mitterrand avait demandé au Sommet de Williamsburg il y a deux ans — est examiné par les Dix ministres des Finances à Tokyo. Enterrement...


Dimanche 23 juin 1985

Un Boeing d'Air India, sans doute victime d'un attentat sikh, disparaît en mer d'Irlande : 329 morts.




Lundi 24 juin 1985

Voyage de François Mitterrand en Languedoc-Roussillon.

Francesco Cossiga est élu Président de la République italienne.

Comité central du PCF : Georges Marchais déclare qu'il n'y a pas de différence entre le PS et la droite.




Mardi 25 juin 1985

A Carcassonne, François Mitterrand critique le comportement du PCF et appelle au rassemblement des Français.


Mercredi 26 juin 1985

Un différend oppose Joxe à Bérégovoy à propos de crédits pour la modernisation de la police. Joxe veut 1 milliard. «Ou bien, dit Bérégovoy, je débloque l'argent maintenant, mais alors il ne me restera plus grand-chose dans quelques mois lorsqu'il s'agira de mettre un peu d'huile pour la campagne électorale, ou bien je refuse et Joxe fait un scandale. » Joxe n'aura pas tout de suite son milliard. Il n'y aura pas de scandale.
Je suis de nouveau à Bonn avec Élisabeth Guigou pour rencontrer Teltschik et Ruggiero. On examine le traité. Allemands et Italiens proposent d'ultimes amendements dans le seul préambule du Traité, auxquels je souscris, car ils renforcent l'idée d'Union européenne. Les Allemands acceptent que le Secrétaire général soit nommé « secrétaire général de l'Union européenne ». Pour le reste, Italiens et Allemands insistent pour aller plus loin en ce qui concerne les pouvoirs du Parlement, sans être plus précis pour l'instant, réservant la discussion à Milan.
Les Italiens nous diront demain à midi s'ils acceptent de faire de ce texte un projet de la Présidence italienne déposé au Sommet ou s'ils préfèrent appuyer un texte franco-allemand, présenté alors avant Milan. Dans le second cas, Teltschik propose une publication conjointe de ce projet demain après-midi. Je suis pour : ce serait une formidable gifle pour ceux qui parlent de désaccord franco-allemand.
Le Président accepte : on publiera le texte dès demain si c'est ce que les Italiens préfèrent.

A Dun-les-Places (Morvan), au cours d'une conversation avec des journalistes, François Mitterrand tranche la querelle Fabius-Jospin en faveur de Jospin, mais il ajoute : « Il ne peut y avoir prise d'un parti politique sur le gouvernement. »

L'Assemblée adopte définitivement le scrutin proportionnel pour les législatives.



Jeudi 27 juin 1985

Le beau scénario mis au point hier à Bonn s'effondre: vers 11 heures, avant même que les Italiens ne nous aient répondu, Helmut Kohl se fait chahuter au Bundestag et, pour prouver à son opposition qu'il est un fervent Européen, annonce l'existence d'un projet franco-allemand d'Union européenne ! Au même moment, à Paris, Michel Vauzelle, porte-parole de l'Elysée, reçoit les journalistes : il ne leur parle pas du Traité, pour la bonne raison qu'il n'est au courant de rien. Les Italiens, furieux d'être placés devant le fait accompli, ne couvrent plus l'opération. Nous sommes obligés de confirmer l'existence de ce texte pour ne pas mettre le Chancelier en porte-à-faux. Lorsque je passe par la Nièvre prendre le Président pour gagner Milan, il prend très mal cette annonce désordonnée qui risque de tout compromettre.



Vendredi 28 juin 1985

Début du Conseil européen à Milan. Le Palais Sforza est magnifique, malgré la présence de hordes de fonctionnaires et de journalistes qui le défigurent. Toutes les délégations sont dans un ravissement goguenard devant l'enterrement par les Italiens du projet franco-allemand. Obsédés par le souci d'éviter un échec, les Italiens veulent maintenant obtenir que toute négociation sérieuse soit renvoyée à une conférence intergouvemementale réunissant au cours de l'été les ministres des Affaires étrangères en vue d'élaborer un traité d'Union européenne.
Le Président demande qu'on souscrive au moins à Milan à certains principes sur ces différents sujets, en distinguant les points d'accord et ceux à explorer ultérieurement dans la conférence intergouvernementale. On renonce à l'intitulé de « Traité d'Union européenne » pour parler d'« Acte unique » regroupant tous les accords économiques.
Le Conseil approuve Eurêka, mais François Mitterrand et Helmut Kohl insistent pour que le secrétariat soit installé à Strasbourg. Martens y est hostile. Ajournement à demain.




Samedi 29 juin 1985

Comme d'habitude, petit déjeuner entre Helmut Kohl et François Mitterrand.
Helmut Kohl: Il faut arriver à dire qu'on signera l'accord sur le résultat de la Conférence intergouvernementale à Luxembourg en décembre. Nous avons bien fait d'annoncer notre initiative. Il fallait lancer quelque chose, sinon les autres n'avancent pas.
François Mitterrand : Je ne comprends pas le reflux d'hier. Les Italiens renvoient tout à la Conférence intergouvernementale pour éviter un échec ici. Ils n'ont pas tort. Mais on parlera quand même de l'échec de Milan.
Helmut Kohl: Mme Thatcher nous suivra plus tard si nous avançons. Le lobby du Bénélux est maximaliste ; c'est dangereux. Martens s'opposera au texte Eurêka qui prévoit que le secrétariat sera installé à Strasbourg. On peut arriver à une décision sur le principe de l'Union européenne, à signer le 2 décembre à Luxembourg, si ça ne marche pas aujourd'hui.
François Mitterrand : Pour ce qui est de la déclaration politique, Craxi a cru que ce serait un échec et n'a pas voulu que ce soit le sien. C'est pour cela qu'il n'a pas présenté notre texte.
Helmut Kohl: Cela n'aurait pas été un échec ! On a traité les Italiens avec courtoisie en les invitant à nos réunions préparatoires. Le temps presse. Si ce n'est pas nous, personne ne le fera. Et, chez moi, la vie politique est de plus en plus provinciale, le problème des retraites est plus important que celui de l'Europe.
François Mitterrand : Il faut arriver aujourd'hui à un texte politique dans le même temps que progresse l'union économique. Sinon, on fera une déclaration franco-allemande.
Finalement, l'accord se fait sur l'unification du marché européen, la normalisation des standards industriels et technologiques, l'Université de l'Europe et ses antennes dans chacun des pays de la Communauté, une Académie européenne des Sciences et de la Technologie, l'harmonisation des diplômes pour favoriser les échanges universitaires et de chercheurs. Sera créée une carte de « jeune Européen » donnant droit à des facilités diverses (transport, hébergement...). Enfin, des séjours à l'étranger devront être intégrés dans les formations supérieures.
François Mitterrand propose que, conformément au vœu du Parlement européen, on prévoie le vote aux élections locales des citoyens des divers pays européens lorsqu'ils résident depuis un certain temps dans un autre État membre. Cela supposera, dans de nombreux pays, des étapes transitoires et des réformes institutionnelles. Tous acceptent.
Margaret Thatcher ne veut pas d'une Conférence intergouvernementale sur le traité d'Union politique. En fin d'après-midi, Bettino Craxi, pressé par François Mitterrand, passe au vote sur le lancement de cette Conférence intergouvernementale : sept oui ; trois non (Grande-Bretagne, Danemark et Grèce). La conférence est convoquée à la majorité, ce que le Traité de Rome permet. Le Président français est convaincu que tous la rejoindront.
On quitte Milan sur le sentiment étrange d'un accord acquis au forcing.



Dimanche 30 juin 1985

Déception : l'échange des passagers détournés de l'avion de la TWA et des prisonniers en Israël a lieu, mais, contrairement à ce que promettait Nabih Berri, Kauffmann et Seurat ne sont pas libérés avec eux.



Lundi 1er juillet 1985

Vu Karl Otto Pöhl, président de la Bundesbank, qui vient essayer de comprendre ce que nous voulons comme réforme du système monétaire mondial. Je lui explique : des zones-cibles entre écu, dollar et yen, allant vers des parités fixes. « Vingt ans trop tôt », dit-il. Décidément, Kohl est un magnifique Chancelier. Sans lui, la dérive allemande, dont Pöhl incarne la version modérée, s'accélérerait


François Mitterrand donne son accord au renforcement de l'équipement militaire français au Tchad.



Mercredi 3 juillet 1985

Pour punir la France de son refus de fixer la date du GATT à Bonn, les États-Unis décident de consacrer 2 milliards de dollars sur trois ans à des subventions aux exportations agricoles américaines, vers des pays où elles seront particulièrement préjudiciables aux intérêts français — d'abord en Algérie, puis en Égypte.



Jeudi 4 juillet 1985

A Beyrouth, nos 80 observateurs sont en situation très dangereuse, au service d'une mission totalement dépassée. Le Président décide leur retrait progressif (sauf à Beyrouth), assorti d'une proposition au Liban de formation des officiers des Forces de sécurité intérieure.


La préparation du Budget 1986 se révèle très difficile : il manque de 3 à 4 milliards pour la Défense ; 4 milliards à la Sécurité sociale ; 3 milliards de dotation aux entreprises publiques ; 3 milliards pour l'Emploi. La Culture et l'aide publique au Développement ne semblent pas trop mal traitées. C'est la première fois que Jacques Delors n'est pas là pour démissionner comme il le fit, chaque mois de juillet, depuis 1981.
Samedi 6 juillet 1985

La CLT demande formellement à Matignon un canal hertzien en France, en concurrence avec le projet Riboud-Berlusconi.



Lundi 8 juillet 1985

Visite officielle en France du roi Juan Carlos. L'homme a l'élégance de sa fonction. Étrange comme cet élève de Franco est attentif aux idéaux de Felipe Gonzalez. Conversion ? Dissimulation ? Une sorte de marrane moderne, peut-être...

Nouvelle rencontre entre Rousselet et Berlusconi. Échec. Berlusconi fera la Cinq avec Jean Riboud, qui veut, lui, barrer la route à la CLT pour se venger d'Albert Frère !

De son bureau à l'Élysée, le général Saulnier signe, comme il le fait chaque fois, les autorisations de crédits de la DGSE. Cette fois, c'est pour l'opération de «surveillance» de Greenpeace (1,5 million) — trente agents y participeront — et pour une opération de libération des otages au Liban (4,5 millions). « Surveiller », rien d'autre.





Mercredi 10 juillet 1985

Le Rainbow Warrior est coulé dans le port d'Auckland. Un photographe, membre de Greenpeace, Fernando Pereira, est tué. Quand la dépêche tombe, le Président vient dans mon bureau et me dit : « Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Renseignez-vous. » Charles Hernu me dit ne rien savoir. Le général Saulnier se renseigne et revient, visiblement rassuré : « Pas de raison de s'inquiéter. Nous n'y sommes pour rien. »

Laurent Fabius reçoit André Rousselet. Rencontre orageuse. Rousselet lui reproche la création de la Cinq, qui menace la fragile consolidation de Canal-Plus.



Vendredi 12 juillet 1985

Arrestation par la police néo-zélandaise de deux Français, qui se disent époux Turenge. Pierre Joxe prévient le Président de l'affaire : « Les Néo-Zélandais pensent que la France y est pour quelque chose»; après leur arrestation, autorisés à téléphoner, les Turenge ont appelé des numéros du ministère de la Défense à Paris. Joxe fait dénuméroter ces numéros, mais trop tard : les Néo-Zélandais ont compris.

Le Président convoque Charles Hernu et le reçoit durant près de deux heures.
— C'est quoi, cette histoire de bateau ? Vous étiez au courant ?
— Oui. Il devait surveiller, c'est tout. Je ne sais pas qui a fait sauter le bateau.
— C'est fou !
— Ils ont peut-être mal interprété un ordre, anticipé... Vous aurez un rapport.
— Si c'est vous, vous aurez à démissionner.
Hernu traverse mon bureau en silence, avec le sourire. Il répète à Laurent Fabius, qui s'inquiète, qu'il ne sait rien. Les médias ne soufflent mot de l'affaire. Pour l'instant...






Samedi 13 juillet 1985

Ronald Reagan est opéré d'un cancer du côlon.

Nakasone est en France pour assister au défilé du 14 Juillet et revoir son ancien professeur de français. Lors du déjeuner à l'Élysée, le plus francophile des Japonais interroge François Mitterrand sur Blum :
François Mitterrand : Je me suis inspiré de son action. J'ai d'ailleurs été au gouvernement avec lui, en 1948.
Nakasone : Et Gorbatchev, qu'en pensez-vous ?
François Mitterrand : Gorbatchev est le produit d'une société archaïque, mais il a une personnalité moderne. Il peut être une grande force. La France et la Russie ont toujours travaillé ensemble, sauf sous les deux Napoléon. En 1945, de Gaulle a été à Moscou avant d'aller à Washington. Moi, j'ai attendu trois ans pour aller à Moscou. J'ai expulsé 47 de leurs diplomates. La France doit être respectée. Ce n'était pas le cas. Maintenant, l'URSS veut parler avec nous. Pas avec les autres : la Grande-Bretagne, quelles que soient les qualités de Mme Thatcher, est trop liée aux États-Unis. Autant, pour les Soviétiques, parler avec M. Reagan. La RFA n'a pas de politique autonome de défense. La France est une alliée loyale des Américains, mais sa politique n'est pas celle des États-Unis. Aussi l'URSS commence-t-elle à regarder du côté de l'Europe.
La conversation reprend sur le projet américain de « guerre des étoiles»:
François Mitterrand : Je suis très réservé sur l'IDS. On nous propose de participer à son exécution, pas à l'élaboration de la stratégie. L'IDS ne peut remplacer le nucléaire. La France aura bientôt près de 500 têtes nucléaires [c'est la première fois que François Mitterrand l'annonce à un étranger; jusque-là, on s'en tenait à 96]. Il n'y a pas encore de stratégie de substitution au nucléaire. L'IDS ne peut en être une.
Les Sept ne sont pas le directoire mondial. Si on ne veut pas se disputer, il faut dire oui aux Américains. Autant ne pas y aller ! Je ne sais d'ailleurs pas encore si j'irai au Sommet de Tokyo. Cela dépend de la préparation. Je suis content que ce soit vous qui le présidiez.
Nakasone (paniqué) : Je suis d'accord avec vous, il faut mieux préparer les Sommets, avec moins de textes et de communiqués ! Mais il faudra aussi, au Sommet de Tokyo, un texte sur la coopération entre le Pacifique et l'Atlantique. Pour nous, l'IDS est conçue pour contrer l'URSS. Mais il est stupide de la part de Reagan de nous donner une date limite de réponse. Gorbatchev est plus léniniste que marxiste. Il a vingt-cinq ans devant lui. Si j'étais à sa place, j'essaierais d'instaurer le communisme mondial et j'aurais besoin de la paix pour cela...
François Mitterrand approuve. Nul, en Occident, ne pense que Gorbatchev fera autre chose que moderniser l'Empire communiste. Pour la paix ou pour une capacité guerrière plus efficace ? Mystère...



Dimanche 14 juillet 1985

Après le défilé et le déjeuner à l'Élysée, François Mitterrand reçoit Charles Hernu, qui ressort très pâle du bureau.



Lundi 15 juillet 1985

Le Président reçoit ensemble Charles Hernu et Laurent Fabius. Hernu répète que la Défense n'est pour rien dans l'affaire du Rainbow Warrior. Fabius n'est pas convaincu.



Mardi 16 juillet 1985

Fabius réunit à Matignon Joxe, Hernu, Bianco et Schweitzer, son directeur de cabinet. Fabius répète, furieux : « J'espère que ce n'est pas nous qui avons fait cette connerie. Si c'est le cas, je ne couvrirai pas. » Hernu répète que les Turenge sont de la DGSE, mais qu'ils n'ont pas posé de bombe. Ils étaient là pour «surveiller », rien d'autre.

François Mitterrand sur les secrets d'État : « Il y a quelques éléments factuels dans des affaires en cours qui peuvent me contraindre à tenir le secret, le temps que cette affaire se déroule. Au-delà, non. »



Mercredi 17 juillet 1985

A la fin du Conseil des ministres, discussion très tendue, pendant une heure, entre Laurent Fabius, Michel Delebarre et Jean Le Garrec, à propos de la fermeture de l'usine Unimétal de Trith-Saint-Léger. Pour convaincre le Premier ministre d'ajourner toute décision, il faut que Delebarre et Le Garrec menacent de démissionner. La bataille entre le Nord et la Lorraine n'est toujours pas terminée.

Accord à Paris sur le rééchelonnement de la dette polonaise.

A Paris, les Assises de l'Europe de la Technologie, avec la conférence des ministres de la Recherche, marquent la vraie naissance d'Eurêka. La France y annonce ses premiers engagements financiers — un milliard de francs — permettant d'assurer la crédibilité du programme. Le Président insiste sur la responsabilité historique assumée par les représentants des gouvernements invités :
« Les industriels, les chefs d'entreprise vous attendent, l'opinion européenne, et au-delà, a les yeux fixés sur vous. Si j'en juge par les encouragements et par les marques d'intérêt venus d'autres continents, le monde regarde l'Europe. Il avait un peu cessé de la regarder depuis quelque temps... »
Accord de principe sur les finalités d'Eurêka, mais divergences sur les modalités pratiques. Le représentant néerlandais refuse tout engagement de soutien gouvernemental à des projets proposés par les industriels (« Nous ne voulons pas nous laisser guider par nos industriels»). Roland Dumas a préféré refaire en séance un communiqué « minimal » sur lequel se réalise un accord général.

A La Lanterne, grand dîner auquel sont conviés tous les ministres et tous les directeurs de cabinet du gouvernement Fabius. J'interroge Hernu sur les Turenge. Il me dit avec un large sourire :
Ne t'inquiète pas. Si l'affaire s'envenime, je connais le colonel qui acceptera de faire quinze ans de prison pour cela.
— Un colonel ? Il est au courant ? Il est volontaire ?
— Oui, il a accepté : raison d'État.


Jeudi 18 juillet 1985

François Mitterrand reçoit André Rousselet pour évoquer l'avenir de Canal-Plus. Le Président : « Vous êtes en train d'échouer ? » Rousselet : « Ne faites pas passer Canal-Plus en clair. On est en train de réussir. On est à 6 000 abonnements par semaine.» Le Président le soutiendra contre Fabius et Lang.


Vendredi 19 juillet 1985

Plus de 300 morts à Tesero, en Italie, après la rupture d'une digue.

Hersant signe le bail pour la location d'un ancien garage, boulevard Péreire, afin d'y installer des studios de télévision au cas où il obtiendrait la Cinq.


Samedi 20 juillet 1985

Réajustement des parités monétaires au sein du SME. Seule la lire est dévaluée. Le franc va bien, durablement bien. Jamais, en mars 1983, on n'aurait imaginé que la dévaluation tiendrait si longtemps.

Je suggère à Laurent Fabius de proposer au Président sa démission en assumant la responsabilité de l'affaire du Rainbow Warrior au nom du gouvernement ; le Président refuserait sa démission et tout serait réglé. Il hausse les épaules : « Mais pourquoi ? Je n'y suis pour rien ! Tu sais, toi, si un ministre y est pour quelque chose ? » Non, évidemment.

Les otages français sont toujours détenus à Beyrouth. Tout passe par la Syrie. Le Président envoie Hubert Védrine avec un conseiller de Roland Dumas, Jean-Claude Cousseran, voir Assad.
Dimanche 21 juillet 1985

État d'urgence proclamé dans plusieurs districts d'Afrique du Sud. Fabius s'intéresse activement à ces événements.




Lundi 22 juillet 1985

L'amiral Lacoste ne dit mot à personne. Ceux qui sont censés savoir savent sûrement. En ce genre d'affaires, ceux qui parlent sont toujours ceux qui ne savent rien.
Les journaux français et britanniques commencent à être sur la piste des services français.

Le Président Assad reçoit Védrine deux heures durant à Zabadani, à 50 km de Damas. Il parle des performances du Mystère 20 et du Mystère 50. Il demande si le Président aime voyager, s'il se déplace souvent en France. Il s'inquiète de l'état d'avancement du tunnel sous la Manche, de son mode de construction et de financement, de la démographie en France et en Europe de l'Ouest, la comparant avec celle des pays du Tiers Monde (en Syrie, le taux de natalité est de 3,8, un des plus élevés au monde). Puis il évoque le problème des femmes dans la société (depuis quand ont-elles le droit de vote en France ? dans quel sens votent-elles ? sont-elles plus sensibles aux idées politiques des candidats ou à leur physique ? la baisse démographique en Europe n'est-elle pas la conséquence de leur libération ?). Ensuite, il demande s'il y a une limite d'âge inférieure ou supérieure pour être Président de la République en France. S'informe de l'âge de Laurent Fabius et de Claude Cheysson, qu'il croyait plus jeune et dont il parle avec sympathie. Il dit : « Je le connaissais bien. Je ne connais pas son successeur. » Il interroge son visiteur sur le climat en France, à Paris et sur la Côte d'Azur où, dit-il, séjournent de nombreux Syriens. Sans les laisser souffler, il le questionne sur le général de Gaulle (à quel moment François Mitterrand a-t-il travaillé avec lui ? à quel moment ont-ils été en opposition ? comment réagit la population quand le général de Gaulle fit encercler Paris en 1968 ? Hubert Védrine en est à lui résumer les événements de mai 1968... Quand Assad s'exclame : « Le général de Gaulle ne peut être allé voir le général Massu uniquement pour passer un bon moment ! »)... Enfin, il en vient aux otages : « Vous pouvez dire de ma part, personnellement, au Président Mitterrand, que je suis quand même optimiste. Nous allons traiter cette affaire comme s'il s'agissait de citoyens d'un pays ami, très proche. Nous allons prendre de nombreux contacts, nous allons parler avec ceux qui peuvent être en relation avec les ravisseurs supposés. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir, et je crois que nous parviendrons à un résultat. J'ai bon espoir.» En prenant congé, Hubert Védrine demande : « C'est un message encourageant ? » Assad répond : « C'est exact.» Védrine en conclut qu'Assad espère reprendre le contrôle de la situation et qu'il a une solution en vue à assez court terme (« deux, trois semaines », note-t-il).
Peut-être une visite de Roland Dumas à Damas serait-elle opportune ?
François Mitterrand note en lisant le compte rendu de la rencontre : «1) Ne devrais-je pas lui téléphoner pour le remercier ? 2) Dumas devrait y aller sans trop tarder. »
Mercredi 24 juillet 1985

En Nouvelle-Zélande, inculpation des faux époux Turenge. Les médias sont maintenant sur l'affaire.


Laurent Fabius annonce le rappel de l'ambassadeur de France en Afrique du Sud et la suspension des investissements français.

Violents affrontements entre indépendantistes et forces de l'ordre en Guadeloupe.

Les Japonais s'angoissent depuis que le Président a évoqué son éventuelle absence au Sommet de Tokyo. Cela serait ennuyeux pour eux si le Président français n'y venait pas. Mais pour nous aussi : le Président laissera-t-il le Premier ministre de mai 1986 y représenter seul la France ?

L'ambassadeur Vorontsov m'annonce que les Soviétiques souhaitent que la visite de Gorbatchev à Paris, en octobre prochain, se conclue par une déclaration commune sur la paix dans l'espace. François Mitterrand : « On ne fait plus de communiqué. Une déclaration très brève, peut-être. Oui... »
L'URSS envisage, m'apprend l'ambassadeur, une reprise des relations diplomatiques avec Israël. Un problème de droits de l'homme : je lui demande à nouveau de laisser enfin partir ce jardinier de l'ambassade de France à Moscou dont M. Gromyko nous avait expressément promis la sortie en juin 1984. Cette promesse n'a toujours pas été tenue : petit symbole d'une grande tragédie.


Jeudi 25 juillet 1985

Adoption définitive de la loi sur la modernisation de la police que Pierre Joxe considère comme son grand-œuvre.



Vendredi 26 juillet 1985

Le projet de loi sur la Nouvelle-Calédonie est adopté en dernière lecture par l'Assemblée. Le découpage des régions sera déclaré non conforme par le Conseil constitutionnel. Le projet de référendum sur l'indépendance est définitivement adopté.

A l'ONU, adoption d'une résolution française sur les sanctions économiques contre l'Afrique du Sud.

Jean Riboud téléphone, réjoui, à André Rousselet pour lui annoncer que François Mitterrand a décidé de laisser Berlusconi hors de Canal-Plus et de lui attribuer la cinquième chaîne, afin d'éviter d'avoir à la donner à la CLT. Rousselet n'apprécie pas. Vérification faite, Jean Riboud n'a pas reçu mandat de François Mitterrand pour ce faire. Jean Riboud prend également contact avec Jacques Pomonti pour organiser une nouvelle rencontre avec Berlusconi. Rousselet est mortifié : « Des amateurs. » Apprenant la chose, François Mitterrand s'indigne : « Quelle manie ils ont tous de parler en mon nom ! »



Lundi 29 juillet 1985

François Mitterrand téléphone à Assad pour le remercier d'avoir reçu Védrine. A propos des otages, rien de nouveau.

Berlusconi rencontre Riboud à Paris. Pomonti, qui n'a pas obtenu la présidence de la CLT, fait tout, lui aussi, pour éliminer les Luxembourgeois du paysage. Basse vengeance... Mais Fabius tient à équilibrer les choix : il y aura une chaîne pour Berlusconi et une autre pour la CLT.



Mardi 30 juillet 1985

Au petit déjeuner, Laurent Fabius confirme l'accord sur le tour de table de la cinquième chaîne, et évacue l'opposition de Lang. François Mitterrand est séduit par Berlusconi. On parle de Canal-Plus, puis de la Guadeloupe. Le Président : «C'est une affaire de justice. Un problème colonial ne doit pas être réglé à la mitraillette. Sur le cumul des mandats : « Il faut moins discuter du cumul des mandats et plus de la moralité en politique. » Sage remarque. Silence à table...

Réunion des ministres des Affaires étrangères de la CSCE pour son dixième anniversaire en Finlande.


Fabius appelle Sautter : « Nous allons créer deux chaînes privées. Il y en a une pour RTL, si vous voulez. »



Mercredi 31 juillet 1985

Afin d'éviter tout malentendu sur l'après-mars 1986, le Président décide de faire savoir qu'il se rendra au Sommet de Tokyo en mai 1986. Je transmets son accord aux Japonais et suggère même au Président de le faire annoncer à la fin du Conseil d'aujourd'hui, pour bien établir qu'il sera encore là en mai 1986. François Mitterrand : « Non. Ne pas l'annoncer aujourd'hui, surtout pas ! Y veiller. Le dire à Georgina Dufoix. »
Georges Fillioud présente au Conseil le projet de création, à côté des trois chaînes publiques nationales existantes et de Canal-Plus, de deux chaînes « multivilles » privées, une chaîne culturelle publique diffusée par satellite et de télévisions locales dans une quarantaine de villes. Fillioud indique que les règles seront les mêmes pour le public et le privé et que les écrans publicitaires pourront interrompre les émissions de variétés, mais ni les films ni les dramatiques. Un débat s'ouvre sur ce point :
Pierre Bérégovoy : Ne pas couper les films par de la publicité, cela va se traduire par un manque à gagner de 700 millions de francs par an pour le Budget.
Pierre Joxe : Je ne suis pas d'accord Autoriser la publicité dans les émissions conduit à un décervelage du téléspectateur et serait une atteinte au principe même de la création.
Michel Crépeau: Je sais bien qu'on n'arrête pas le progrès, mais je constate que, dans le domaine de la télévision, on est en train de multiplier les tuyaux sans savoir ce qu'on va mettre dedans. Plus on multiplie les télévisions, plus on divise entre elles les ressources disponibles, et plus on risque d'avoir une dégradation du système.
Jean-Pierre Chevènement : Aujourd'hui, on façonne une humanité en régression par rapport à un certain idéal du citoyen. Les enfants passent plus de temps devant la télévision que devant leur maître. La chaîne culturelle sera un moyen de faire pièce au mouvement actuel d'américanisation de la société française.
Laurent Fabius: Les Français pourront avoir au début de l'an prochain six ou sept chaînes nationales et une cinquantaine de télévisions locales.
François Mitterrand: J'ai voulu personnellement, et contre l'avis de beaucoup d'entre vous, casser le monopole de la télévision et de la radio. Je l'ai fait pour une raison de principe et pour deux raisons pratiques. Le principe, c'est qu'il n'est pas heureux que l'expression audiovisuelle soit réservée aux chaînes publiques. L'idéologie dont je m'inspire rejoint celles des journalistes et des intérêts capitalistes. Mais ce n'est pas parce qu'il y a cette jonction, sans qu'on s'inspire de mes principes, qu'il faut renoncer à la liberté. Le pouvoir de la presse qui s'affirme aujourd'hui est sans règles, sans déontologie. Il n'a aucune institution, sinon de s'abriter derrière la bannière de la liberté de la presse, qui cache souvent le pouvoir de l'argent. Sommes-nous contre cette liberté ? Non. Il s'agit par conséquent de trouver des solutions.
Sur le plan pratique, pendant que nous parlons se posent des câbles, se préparent des satellites. La France, demain, recevra des images, des dizaines, des centaines d'émissions en provenance de l'étranger (...). Voilà la réalité, on n'y échappera pas. Pour sauver le service public, il faut le faire cohabiter avec la télévision privée. Il n'y a pas de regrets à avoir devant cette évolution, pas plus qu'il n'y a de regrets à avoir devant la vie et devant la mort. Ainsi vont les choses, personne n'arrêtera cette marée (...). Le gouvernement actuel n'est pas éternel. Si vous ne le faites pas maintenant, d'autres le feront. Le feront-ils avec les mêmes précautions et les mêmes garanties ? Les choses se feront de toute façon, la technique l'impose et la politique nous y conduit. Je sais qu'en prenant cette décision, j'ai froissé des convictions et des intérêts très proches. Nous sommes obligés de tenir compte du pouvoir de l'argent. Il y a une petite chance qu'il laisse place à l'idéologie que vous représentez. Le pouvoir de l'argent est déjà en place, il ne ratera pas l'occasion de faire échouer ce qui ne lui plaît pas. Armons-nous.


Jeudi 1er août 1985


Le général Saulnier remplace le général Lacaze comme chef d'état-major des Armées. Le général Forray arrive à l'Élysée comme chef d'état-major particulier.

Le Président donne son accord pour renforcer l'équipement militaire du Tchad.

Laurent Fabius reçoit Mme Thatcher. Elle est furieuse de la façon dont s'est conclu le Sommet de Milan et dont Craxi l'a présidé : « La Grande-Bretagne a préparé un texte et s'est fait accuser de ne pas être bonne européenne, alors qu'elle avait discuté son texte avec les Allemands et les Français. Le texte franco-allemand était en fait moins communautaire que le sien et ne différait que par son titre : "Union européenne". Les paroles et les actes des uns et des autres se contredisent. Les Allemands recourent ainsi au Compromis de Luxembourg sur les prix agricoles, au mépris de la discipline budgétaire et de leur engagement de ne jamais y recourir. Et, malgré leurs déclarations, ils refusent toujours le marché intérieur lorsqu'il s'agit des compagnies d'assurances. Quant aux Français, ils prennent des mesures unilatérales contre l'Afrique du Sud, en contradiction avec la coopération politique. Or les Français, comme les Britanniques, ne peuvent se passer du Compromis de Luxembourg. Décidément, il n'y a pas, en Europe, de visions larges, il n'y a que des manœuvres. Les seuls vrais Européens, dans tout cela, ce sont les Britanniques. D'ailleurs, l'Europe ne se conçoit pas sans l'Alliance atlantique. Les États-Unis sont l'Europe de l'autre côté de l'Atlantique. Le monde est toujours aussi divisé entre l'Est et l'Ouest. Certes, M. Gorbatchev est un communiste charmant, mais le rapport de forces n'en sera que plus difficile. S'il y a un axe exclusivement franco-allemand, je m'y opposerai : je veux travailler à trois. Ceux qui veulent aller trop loin dans la coopération politique sont, en général, ceux qui ont des gouvernements nationaux faibles, à savoir l'Italie et les petits pays. »
Sur l'Afrique du Sud: « C'est l'industrie qui a permis de contourner les rigidités de l'apartheid. Le dialogue permet d'avancer beaucoup mieux que l'exclusion. En particulier, suite à mes propres entretiens avec le Président Botha, les déplacements de population ont été interrompus. Le vrai problème en Afrique du Sud est celui des dissensions entre Noirs. Nous ne prévoyons pas de mesures économiques vis-à-vis d'autres pays comme l'Ouganda, l'Irlande, l'Inde, qui connaissent aussi des problèmes de conflits entre communautés... Les pays noirs voisins et leurs travailleurs seraient les premiers à souffrir de ces mesures... »
Sur les Malouines: « Vous avez été merveilleux pendant la guerre. Mais je m'inquiète d'une vente d'hélicoptères français Puma, actuellement en cours d'examen, à l'intention de l'Argentine.»
Comme si Alfonsín menaçait Londres ou de réattaquer les Malouines...


Vendredi 2 août 1985


François Mitterrand me parle des camps .
«J'ai assisté à la libération de Dachau et de Lansberg. J'avais été envoyé par de Gaulle pour accompagner le général Lewis. On a trouvé des morts brûlés au lance-flammes. Tous les déportés avaient été assassinés ainsi. J'ai pris en pleine figure la réalité d'une histoire que j'avais vécue comme acteur... Je savais qu'il y avait des camps. Mais je ne savais pas qu'il s'agissait d'extermination systématique. Je ne me représentais pas la réalité d'Auschwitz. Cette dimension-là m'était inconnue...»




Lundi 5 août 1985


Catastrophique corporatisme des armées. Charles Hernu s'oppose à ce que l'avion de combat soit réalisé dans le cadre d'une coopération européenne. Or François Mitterrand ne veut pas du projet Dassault. Hernu : « Il y a aujourd'hui deux projets d'avion de combat futur, un britannique et un français, chacun à vocation européenne. L'avion britannique est plus lourd et plus cher que le français, car il a une mission air-air qui exige un moteur et une structure plus lourds. Le problème vient du décalage dans le temps entre les dates de renouvellement des flottes air-air et air-sol des différents pays d'Europe. Chacun remplace tous les vingt-cinq ans ses avions d'assaut et ses avions d'appui, mais à des dates qui ne sont pas synchrones. Il s'agit pour nous de disposer, à partir de 1995, d'un nouvel avion de combat air-sol, successeur du Jaguar, alors que les autres Européens auront besoin, à cette date, d'un avion d'assaut air-air, concurrent de notre Mirage 2000 DA qui sera alors encore en service en France pour quinze ans. Accepter d'utiliser en France l'avion britannique pour les missions air-sol serait une folie financière, industrielle et commerciale. »
Les Allemands préfèrent pour l'heure participer à un projet sur la base d'un avion britannique air-air, au lieu de le faire sur la base d'un avion français air-air (Mirage 2000) ou air-sol (Rafale), parce que tels sont leurs besoins stratégiques actuels. Les Britanniques, pour obtenir l'accord allemand, leur concèdent la présence des sièges sociaux de l'ACE à Munich. Entrer dans ce consortium serait une erreur : militaire (on n'a pas besoin de cet avion-là), financière (on ne pourrait pas le payer), commerciale (on ne pourrait pas l'exporter), technologique (on donnerait notre savoir-faire en échange de rien).
François Mitterrand : « La grave erreur commise en France jusqu'ici est de ne pas avoir essayé de faire du Rafale un avion européen en proposant à nos partenaires d'y prendre une part réelle. Et même de ne pas leur avoir proposé de prendre une part dans la construction du Mirage 2000 DA, seul rival réel de l'ACE britannique. Il faut donc disposer d'urgence d'un contre-plan qui "européaniserait " le Rafale, où nous garderions la maîtrise de la cellule et de l'intégration (du moteur et de l'armement à la cellule) en abandonnant la construction du moteur à nos partenaires. Ce contre-plan ne sera peut-être pas accepté, mais nous aurons montré notre volonté européenne. »



Mardi 6 août 1985


Tlass, ministre syrien de la Défense, est reçu à Latché. On parle des otages. Rien de concret.


Sachant que les articles à paraître après-demain dans la presse sur l'affaire Greenpeace mettent en cause les services secrets français, le Président élabore avec Laurent Fabius un échange de lettres demandant une « enquête rigoureuse... de telle sorte que, si une responsabilité est démontrée, les coupables, à quelque niveau qu'ils se trouvent, soient sévèrement sanctionnés ». Fabius choisit pour la diriger Bernard Tricot, qui fut son mentor au Conseil d'État et lui reste très proche.
Maxwell et Pomonti sont reçus par François Mitterrand. Maxwell vient compléter, après Berlusconi, le rêve d'une Europe des médias...


Mercredi 7 août 1985


Avant le Conseil des ministres, discussion sur le projet relatif aux langues « régionales ». Ce projet ne spécifie pas ce que signifie le mot "régional". Il couvre, sans le dire explicitement, l'arménien, le kurde, l'arabe, l'hébreu et autres langues d'émigration qui ne sont pas régionales, mais beaucoup parlées en France. Faut-il les couvrir par la protection de la loi ?
François Mitterrand : «Je pense que le problème ne se pose pas vraiment et que ces langues étrangères ont d'autres moyens de se défendre. Vous n'imaginez pas le panneau annonçant Paris en hébreu ! »

Nouvel accrochage entre François Mitterrand et Laurent Fabius : Georges Fillioud annonce à Jacques Pomonti que Fabius a accepté d'accorder un canal à la CLT, contre l'avis de Riboud et de Pomonti lui-même. Il part demain l'annoncer officiellement aux Luxembourgeois. Pomonti téléphone à François Mitterrand qui lui dit ne pas être au courant. Le Président appelle Fillioud pour lui interdire de traiter avec la CLT. Il est néanmoins convenu de ne pas annuler son voyage de demain. Mais il lui faudra rester évasif.



Jeudi 8 août 1985

Premières révélations dans L'Événement du Jeudi sur le rôle des services français dans l'affaire Greenpeace. Charles Hernu est entendu par Bernard Tricot. Il en sort hilare et vient parler au Président... de la coopération franco-allemande pour la réalisation d'un système d'observation par satellite.

Georges Fillioud est à Luxembourg. Il négocie avec la CLT à propos de TDF 1. La CLT veut aussi un canal hertzien, comme l'a promis Fabius. Sinon, visiblement, ce sera l'incident diplomatique. Fillioud en rend compte à Fabius. Manifestement, tous deux ont fait alliance contre le Président et Riboud.


Samedi 10 août 1985


Jacques Rigaud rend visite à Jean Riboud : il veut le convaincre de laisser la CLT sur le satellite et sur le réseau hertzien. Riboud, en véritable maître des réseaux, refuse.



Lundi 12 août 1985


Début de la session extraordinaire du Parlement consacrée au projet Fabius révisé sur la Nouvelle-Calédonie : référendum non plus sur l'indépendance, mais sur le partage du territoire.

Helmut Kohl est reçu au fort de Brégançon. Rien de significatif.

Roland Dumas s'énerve devant l'insistance de Bérégovoy à vouloir se rendre à Moscou. Une nouvelle fois, il en saisit le Président par écrit :
« Pierre Bérégovoy souhaite encore se rendre en UFSS. Il aurait été invité à faire ce déplacement par les autorités soviétiques. Il m'a demandé mon avis. Je lui ai indiqué pour quelles raisons cette visite me semble inopportune. Une telle visite, inattendue, risquerait de donner à penser que la gravité des problèmes économiques et financiers entre les deux pays exige soudain, moins de quatre mois après la réunion de la Commission mixte franco-soviétique et un mois avant la visite de M. Gorbatchev, le déplacement d'un ministre aussi important que M. Bérégovoy. Les entretiens de Pierre Bérégovoy à Moscou risqueraient de vider de sa substance le volet économique du Sommet, gui,, tout en étant important, ne justifie pas un déplacement préalable du ministre de l'Economie et des Finances. »
Le Président lui donne raison une nouvelle fois.


Fabius téléphone à Rémy Sautter (directeur général de RTL) pour lui confirmer que la candidature de la CLT à un canal hertzien sera étudiée avec bienveillance.


Mardi 13 août 1985


Désordre total : au nom du Président, Georges Fillioud reçoit Maurice Lévy, de Publicis, qui souhaite lui aussi créer une chaîne sur le deuxième réseau hertzien. Ce canal est donc ainsi promis par Fillioud à Publicis et par Fabius à la CLT...


Vendredi 16 août 1985


Charles Hernu suggère au Président d'écrire un texte ordonnant aux forces armées d'interdire au besoin par la force toute entrée à Mururoa, afin de justifier a posteriori l'action contre Greenpeace. Laurent Fabius est contre ce projet. Il accepterait néanmoins un texte moins dur.

Le président de la Banque de réserve fédérale, M. Volker, se déclare contre des interventions à la baisse sur le dollar en raison du risque de chute incontrôlable, pour lui, facteur d'inflation.


Dimanche 18 août 1985


Le Président signe une directive très proche du projet de Charles Hernu, « réitérant » l'ordre donné « aux forces armées» de s'opposer à d'éventuelles intrusions étrangères à Mururoa.
Fabius sursaute au mot « réitérant ». Un tel ordre aurait-il été déjà donné plus tôt ? Par qui ? Quand ? Lequel ?

Serge July suppose que le gouvernement et le Président ont été informés de l'intention de détruire le Rainbow Warrior, ou bien, s'ils ne l'ont pas été, conclut qu'ils sont des incapables. François Mitterrand : «A-t-on tenu un tel raisonnement dans l'affaire Ben Barka pour ce qui concerne Messmer, Pompidou et de Gaulle ? Il y a là un amalgame propre à tous les dénis de justice. »

François Mitterrand: « J'ai connu un de mes amis qui s'appelait Antoine Mauduy, qui a été déporté, un homme admirable. Il est resté au camp de Bergen-Belsen après la libération de ce camp, quelques jours de plus pour soigner les autres, les aider. Il n'a pas choisi de partir par le premier train qu'on lui proposait, alors qu'avec sa femme je l'attendais sur le quai de la gare de l'Est. Non, il a choisi de ne pas partir. Il a attrapé le choléra et il est mort. Il n'est donc jamais revenu. Cela est la liberté portée à son stade supérieur, la liberté du sacrifice. C'était un catholique extrêmement croyant, et il avait le sens de la sainteté. Il ne pouvait vivre que dans l'absolu. Je ne sais d'où il venait du point de vue religieux, mais il avait d'abord été incroyant, et puis, avant la guerre, il a eu une révélation, une illumination ; il était d'une famille très aisée, il s'est engagé comme ouvrier agricole et il a fait les saisons ici et là ; ensuite, il s'est engagé dans la Légion étrangère pour rompre avec tout. Il a fait la guerre à ce titre, jusqu'au moment où il a été prisonnier de guerre, puis il est revenu, je ne sais plus dans quelles conditions, et il a organisé une sorte de phalanstère, comme une communauté d'esprit religieux ; il y avait des gens de toute sorte, là-dedans, qui étaient là parce qu'ils trouvaient cela utile, dans un massif montagneux des Alpes, un peu au sud du Vercors. Jusqu'au jour où il a été arrêté et déporté... »


Lundi 19 août 1985

H.-D. Genscher dîner avec Roland Dumas à son domicile.
Dans le Traité d'Union européenne, il souhaite un retour au vote majoritaire et veut éviter que le Compromis de Luxembourg n'acquière un statut légal. Sur Eurêka, la France, l'Allemagne, la Présidence de la Communauté et la Commission doivent travailler ensemble et constituer un petit groupe directeur afin de garder l'initiative.
Au sujet de l'avion de combat européen, Genscher se dit surpris par l'indépendance des entreprises françaises qui peuvent s'opposer aux désirs du Président.
Pour ce qui concerne l'IDS, la République fédérale n'est pas convaincue, les Japonais sont réticents, les Italiens ne veulent pas passer devant leur Parlement.
Quant à Gorbatchev, Genscher pense qu'il o dispose d'une carte européenne et d'une carte américaine, et qu'il se réserve de jouer l'une ou l'autre le moment venu ».






Vendredi 23 août 1985


Promulgation de la loi sur la Nouvelle-Calédonie.

Deux jours en plongée à bord de L'Inflexible. Expérience extraordinaire. Je suis frappé par la concentration, dans ces quelques mètres cubes, de tant de qualités et de compétences. Que ce soit sur le plan humain ou technique, les SNLE offrent ce que la France produit de plus élaboré. Ces sous-marins font la force politique de la France. Son influence. Dans chaque réunion internationale, j'ai senti combien le poids de la parole de la France était transformé dans sa nature même, son essence, par l'existence de ces trois fois 96 têtes nucléaires en alerte permanente au fond des mers. Les hommes qui les servent sont à la hauteur de l'enjeu.


Lundi 26 août 1985


Publication du rapport Tricot sur l'affaire Greenpeace, dégageant totalement la responsabilité des services spéciaux français. Tout de même...
La hiérarchie de la DGSE ment froidement à tout le monde : elle sait que les deux équipes se sont rencontrées, à la différence de ce qu'a dit Lacoste à Tricot.
Le Président à Hernu : « Cette action de vos agents est stupide et immorale. Ils sont nuls, vraiment. Mais cela n'aura aucune conséquence électorale. L'opinion s'en moque. Et, à la limite, s'il n'y avait pas eu un mort, elle trouverait même ça plutôt bien. »

Mardi 27 août 1985


Laurent Fabius n'est pas convaincu par le rapport Tricot. L'homme en qui il avait confiance s'est, pense-t-il, laissé manœuvrer. Il demande à Charles Hernu un nouveau rapport. Lequel disculpe encore la DGSE. Robert Badinter pousse Fabius à exiger plus encore de Hemu. Fabius à la télévision : «J'ai des doutes. Je demande la vérité. »
François Mitterrand reçoit longuement l'amiral Lacoste.
Le Président : « Deux agents pris qui téléphonent au ministère de la Défense. Des espions qui signent un livre d'or. D'autres qui achètent un bateau dans un grand magasin à Londres. Quels crasseux ! »

Vendredi 30 août 1985


Pour l'anniversaire de sa fille, un des otages français au Liban, Michel Seurat, est autorisé à voir sa femme pendant une heure. Le Dr Raad prétend que c'est grâce à lui.

Samedi 31 août 1985


Nouvel accident ferroviaire. Au total, les accidents des 8 juillet, 3 et 31 août ont fait 84 morts. Fabius fait demander à Chadeau, président de la SNCF, de démissionner. Chadeau refuse.



Dimanche 1er septembre 1985

Gorbatchev propose à nouveau l'interdiction des recherches sur les armes spatiales.


Lundi 2 septembre 1985

Déjeuner avec Michel Rocard qui m'explique qu'il est très ami avec le Premier ministre de Nouvelle-Zélande — une amitié nouée lors des négociations agricoles — et qu'il est prêt à servir d'intermédiaire.


Mardi 3 septembre 1985

Raad confirme les revendications des preneurs d'otages : équilibrer les ventes d'armes entre l'Iran et l'Irak et libérer les auteurs de l'attentat contre l'ancien Premier ministre iranien, appelés les « Bakhtiaricides ». Le Président admet le principe d'une remise de peine, mais sans fixer de date.

Passant outre à l'avis du Premier ministre, François Mitterrand fait remettre à l'étude le vote des immigrés aux élections locales : c'est d'autant plus nécessaire que le Traité de l'Union européenne prévoira ce droit pour les ressortissants de la Communauté.




Mercredi 4 septembre 1985

Afin de donner suite à la proposition française — adoptée au Sommet de Milan — sur le cancer, le professeur Tubiana est chargé d'animer un groupe de travail qui étudiera des propositions d'actions.

Dix morts à Santiago du Chili lors de manifestations contre l'état de siège.


Jeudi 5 septembre 1985

Les prévisions émises sur les comptes de la Sécurité sociale sont obscures. Les deux ministres, Finances et Affaires sociales, se lancent à la tête des chiffres contradictoires, absolument invérifiables. Voici d'ailleurs deux ans qu'on annonce des chiffres catastrophiques et qu'en fin de compte, des excédents substantiels se dégagent à chaque fois (11 milliards en 1983, 16 milliards en 1984). Pour cette année, on annonçait également un déficit de 2 milliards ; on aura un excédent réel de 3 à 5 milliards, et un excédent de trésorerie de 20 milliards ! Comment les supposés « experts » peuvent-ils se tromper aussi régulièrement ?

Les candidatures se multiplient pour la sixième chaîne : Publicis, CBS, NRJ, Trigano, RTL...


Lundi 9 septembre 1985

Reagan annonce des sanctions illimitées contre l'Afrique du Sud.

François Mitterrand doit déjeuner seul avec Jospin et Fabius, lesquels ne s'adressent plus la parole. Il hésite, mais n'annule pas le déjeuner. Cela fut « le plus déplaisant repas de mon septennat ».

Mme Fontaine, l'épouse de Marcel Fontaine, et Mme El Khoury, la fille de Marcel Carton, demandent à être reçues par le Président, qui accepte.
Le Dr Raad demande à son tour à être reçu par le Président, qui refuse.


Mardi 10 septembre 1985

Avec beaucoup de retard sur la France, et malgré l'opposition des Britanniques, les Dix pays de la Communauté décident de rappeler leurs attachés militaires en République sud-africaine et refusent d'accréditer des attachés militaires. Un embargo est institué sur les exportations et importations d'armes et de matériel paramilitaire, sur les exportations de pétrole et de matériel sensible. Des mots... Qui le fera vraiment ?

Laurent Fabius obtient de François Mitterrand l'autorisation de forcer le président de la SNCF, André Chadeau, à démissionner à la suite des récents accidents.

Vu le Luxembourgeois Dodelinger, secrétaire général du gouvernement : les Luxembourgeois tiennent à leur canal hertzien.


Mercredi 11 septembre 1985

Jean Riboud démissionne de son poste de P-DG de Schlumberger pour raison de santé. Lorsqu'il est à Paris, François Mitterrand va le voir tous les jours.


Jeudi 12 septembre 1985

Incident anglo-soviétique : expulsion de 31 diplomates soviétiques par Londres, et de 31 diplomates britanniques par Moscou en guise de représailles.

François Mitterrand part pour la Guyane et le Centre d'expérimentation de Mururoa. L'idée d'Hubert Védrine est qu'il peut rebondir, après l'affaire Greenpeace, par un tour du monde technologique.


Vendredi 13 septembre 1985

Vu Teshima, le nouveau sherpa japonais. Il parle parfaitement le français, comme son prédécesseur.

François Mitterrand, Hubert Curien et Charles Hernu sont à Kourou. Trois Concorde sont garés sur la piste de Cayenne (soit la moitié de la flotte d'Air France) : celui dans lequel le Président est effectivement arrivé ; celui dans lequel il aurait dû arriver, mais qui n'avait pas réussi à décoller et l'a rejoint ensuite ; celui qui a acheminé les invités d'Arianespace. L'ascenseur par lequel le Président doit atteindre la salle de contrôle tombe en panne. Puis l'hélicoptère qui doit l'amener à l'aéroport. La fusée décolle, mais le satellite ne pourra être mis en place ; il est détruit au bout de huit minutes. Le Président n'apprécie guère cette série noire. Vendredi 13 ?


Le général Saulnier est mis en cause dans Le Monde: les journalistes affirment qu'il est l'auteur de l'instruction donnée aux agents de « détruire » le Rainbow Warrior. Les auteurs de l'article ont pu lire un rapport détaillé adressé au ministre de l'Intérieur à ce sujet. Certains cherchent évidemment à sauver la mise aux Turenge en faisant remonter plus haut les responsabilités. Aucune sanction ne sera prise, bien entendu...
Samedi 14 septembre 1985

Le Président se rend de Cayenne à Mururoa. Personne n'aborde l'affaire Greenpeace. Charles Hernu est euphorique : « Les Néo-Zélandais n'ont aucune preuve de la responsabilité de qui que ce soit dans l'attentat », affirme-t-il.



Mardi 17 septembre 1985

Vernon Walters est à Damas. Il est optimiste sur la question des otages et le dit à notre ambassadeur.


De retour à Paris, Charles Hernu reçoit quelques journalistes au petit déjeuner. Il apprend que Le Monde va confirmer cet après-midi la participation à l'attentat d'une troisième équipe de « nageurs de combat ». Le ministre est de très mauvaise humeur.


A la même heure, au petit déjeuner de l'Élysée avec Laurent Fabius, François Mitterrand, à propos de Greenpeace, est déchaîné : « On nous a assez menti ! Il faut faire la lumière sur cette affaire absurde ! » Puis on parle du Budget.

Le Monde publie dans l'après-midi l'article, attendu depuis deux jours, expliquant que le Rainbow Warrior a été coulé par une « troisième équipe » composée de « deux nageurs de combat ». Joxe suggère à Hernu de limoger Lacoste. Hernu refuse et dément l'article du Monde par un communiqué, vers 17 heures.
Fabius écrit à 19 heures à Hernu : « Je vous demande d'inviter les généraux Lacaze et Saulnier et l'amiral Lacoste à vous indiquer par écrit s'ils ont donné des instructions ou reçu une information relative à la préparation de l'attentat contre le Rainbow Warrior. »
A 19 h 30, François Mitterrand téléphone à Hernu : « Battez-vous. »
Peu après 20 heures, Hernu publie un communiqué dans lequel il dénonce « rumeurs » et « insinuations ». Il affirme qu'«aucun service, aucune organisation dépendant de son ministère n'a reçu l'ordre de commettre un attentat ». Il ajoute qu'à sa connaissance, la DGSE n'avait pas de troisième équipe à Auckland, et il termine par : « S'il était établi qu'on m'a menti... »


Mercredi 18 septembre 1985

Le Conseil des ministres adopte le projet de budget pour 1986.
Sur Greenpeace, François Mitterrand prononce un véritable réquisitoire et exige d'Hernu qu'il ne se contente plus des déclarations verbales de ses officiers : ils devront témoigner par écrit. «On nous a assez menti... Je veux savoir. Cela suffit! »
Après le Conseil, une algarade oppose Hernu et Joxe. Le Président retient Hernu dans son bureau. Ils écrivent ce que celui-ci va dire. De retour rue Saint-Dominique, le ministre de la Défense confie : « C'est la curée ! »
A 16 h 30, devant une centaine de journalistes, Hernu fait une déclaration qui reprend les termes du communiqué paru la veille. Pas de « troisième équipe... » «A ma connaissance... » « Je n'ai pas donné d'ordre... » « Si on m'a menti... »
Le général Deiber part pour Ajaccio interroger les nageurs de combat d'où viendrait la troisième équipe. Le soir, Hernu perd pied. « Mitterrand me lâche », confie-t-il à un de ses conseillers.
Dans la soirée, Jean-Louis Bianco va voir Hernu au ministère de la Défense. Ce dernier lui fait lire les dépositions écrites des généraux Lacaze et Sauhaier. Rien de nouveau : l'un comme l'autre assurent par écrit qu'ils n'ont ni donné l'instruction, ni reçu d'ordre. L'amiral Lacoste a refusé de répondre par écrit : «Je m'en tiens à ce que j'ai déclaré à M. Bernard Tricot. »

David McTaggart, président de Greenpeace, a écrit à Jean-Louis Bianco que « l'organisation Greenpeace n'entend pas franchir la limite des 12 miles des eaux territoriales autour de l'atoll de Mururoa, ni entreprendre d'action agressive contre les bâtiments de la Marine nationale chargés de la surveillance de cette zone ». « L'engagement pris par votre organisation, répond Bianco, s'il est effectivement respecté, permettra d'éviter tout incident, puisque les instructions données aux autorités responsables ont pour but de faire respecter la souveraineté française dans la zone des 12 miles qui, conformément au droit international, est seule frappée d'interdiction. »

Dîner à l'Élysée en l'honneur du Président argentin Alfonsin. Mme Thatcher est très contrariée par ce voyage et nous l'a fait savoir.


Jeudi 19 septembre 1985

Par deux fois, aujourd'hui, Laurent Fabius somme Lacoste de se montrer plus précis. L'amiral refuse : «Je mesure pleinement les risques et les conséquences de mon attitude. Je l'assumerai, s'il le faut, en toute conscience. » Je trouve qu'il y a là quelque grandeur : ne rien dire plutôt que mentir.

Fabius vient voir le Président. Discussion très violente entre eux. Après son départ, François Mitterrand, blême, me dit : « Hernu doit partir. Il n'y est pour rien, mais c'est ainsi. »

Le soir, après avoir longuement reçu Hernu à trois reprises, le Président écrit à Laurent Fabius : « Le moment est venu de procéder sans délais aux changements de personnes et, le cas échéant, de structures qu'appellent ces carences. » Hemu démissionne (« Les responsables de mon ministère m'ont caché la vérité. ») L'amiral Lacoste est limogé. Le général Imbot lui succède.
Mitterrand écrit à Hernu : « Je tiens à vous exprimer une peine, des regrets et ma gratitude pour avoir dirigé avec honneur et compétence le ministère de la Défense. Vous gardez toute mon estime, vous gardez celle des Français qui savent reconnaître les bons serviteurs de la France. A l'heure de l'épreuve, je suis, comme toujours, votre ami. »

Charles Hernu revient à l'Élysée pour quelques instants. Après son départ, le Président est très ému, presque autant que lors du départ de Pierre Mauroy. Je lui demande s'il voit un obstacle à ce que j'invite Hernu à déjeuner. « Aucun obstacle, et montrez-vous. La DGSE n'a rien fait, mais elle a tout su. »

Un tremblement de terre fait environ trois mille victimes à Mexico.
Vendredi 20 septembre 1985

Paul Quilès apprend en fin de matinée qu'il sera nommé ministre de la Défense cet après-midi. Jean Auroux lui succède à l'Urbanisme.

Je déjeune avec Charles Hernu Chez Edgard. Nul ne peut l'ignorer.

Silvio Berlusconi dîne chez Jérôme Seydoux. La Cinq avance. Je m'inquiète de ce que j'entends dire des futurs programmes.



Samedi 21 septembre 1985

Paul Quilès reprend l'enquête sur l'affaire Greenpeace. Il pense que Hernu et Lacoste savaient tout depuis le jour où la DGSE a commis ce crime sans ordre. Il exige d'Hernu des explications.


Dimanche 22 septembre 1985

Dimanche matin, au domicile de Fabius, celui-ci et Quilès sont réunis autour de François Mitterrand. Ils se retrouvent à nouveau vers 18 heures. Fabius est convaincu, comme le Président, que la DGSE savait tout depuis le début. La décision est prise : Fabius parlera le soir même à la télévision pour le dire.
Le porte-parole du gouvernement, Georgina Dufoix, se trouve alors au « Club de la presse » d'Europe 1. Elle annonce que le Premier ministre s'expliquera « dans les jours qui viennent. » Au milieu de l'émission, Fabius lui fait passer une note pour l'informer qu'il parlera à la télévision dans dix minutes. Elle a bonne mine...


Fabius : « La vérité est cruelle, c'est bien la DGSE qui a fait le coup, et elle a agi sur ordre. »
Ordre de qui ? Il ne le dit pas. Et personne ne le demandera vraiment...

Roland Dumas écrit à David Lange pour lui dire que la France est prête à « assumer la réparation des préjudices ». Simultanément, on décide de boycotter les produits néo-zélandais.

A la demande des États-Unis, les ministres des Finances du groupe des Cinq (c'est-à-dire les Sept, moins l'Italie et le Canada) se réunissent à New York pour examiner la possibilité de faire baisser le dollar, et préparer l'assemblée générale du Fonds monétaire international et de la Banque Mondiale, qui doit avoir lieu à Séoul le 6 octobre.
Un communiqué est publié à l'issue de cette réunion : « Les ministres et les gouverneurs sont convenus que les taux de change devraient jouer un rôle dans l'ajustement des déséquilibres externes. Pour ce faire, les taux de change devraient mieux refléter les données économiques fondamentales qu'auparavant. Par ailleurs, ils considèrent que les actions politiques convenues doivent être mises en œuvre et renforcées et qu'une appréciation ordonnée et plus ample des principales devises est souhaitable. Enfin, ils se déclarent prêts à une coopération plus étroite. »
Ce communiqué marque une véritable révolution. Il contredit l'axiome selon lequel le dollar est fort parce que l'Administration est forte. Il renonce au dogme de l'infaillibilité du marché des changes pour déterminer les taux, et à l'affirmation que toute tentative d'intervention sur les marchés des changes est vouée à l'échec.
L'arrivée de David Mulford a tout changé. L'analyse que nous avions formulée à Versailles, si longtemps brocardée, se trouve entérinée. Le système des taux de change flottants est pris en défaut ; la convergence des politiques économiques, bien que nécessaire, n'apparaît plus comme suffisante. Des interventions concertées sur les marchés des changes sont reconnues comme indispensables. Pour la première fois depuis 1971, elles ont effectivement lieu.
Une autre décision, secrète celle-là, est prise par les ministres : la baisse du dollar devrait être de l'ordre de 10 à 12 %, c'est-à-dire que le dollar vaudrait environ 8 francs et 2,65 deutschemarks (les États-Unis auraient souhaité une baisse beaucoup plus forte). Les Banques centrales s'engagent à intervenir pour aboutir à ce résultat. Le partage de la charge des interventions est fixé à 30 % pour les États-Unis, 30 % pour le Japon, 25 % pour l'Allemagne, 10 % pour la France, 5 % pour l'Angleterre. Le risque de dérapage du dollar au-delà de l'objectif fixé ne peut être totalement exclu. Dans ce cas, les tensions dans le Système monétaire européen pourraient être fortes. Il faut donc que les Banques centrales soient prêtes à intervenir dans l'autre sens si le dollar venait à baisser trop ou trop vite.
Cette décision du groupe des Cinq demeure un acte circonstanciel, sans incidence sur la nature du système international lui-même. C'est pourquoi la France propose l'introduction de « zones de référence » pour les principaux taux de change, avec intervention quand on en décide. Les travaux lancés à Versailles en ce domaine se poursuivront lors des prochaines réunions du Comité intérimaire. Les ministres feront rapport aux chefs d'État et de gouvernement au Sommet de Tokyo. Ce n'est pas le Sommet monétaire espéré, mais c'est mieux que rien.



Le Roi du Maroc invite Roland Dumas à dîner en compagnie du Président Bongo. Ils évoquent la perspective du référendum sur le Sahara occidental, dont le Roi annoncera lui-même, dans quelques jours, à la tribune des Nations-Unies, la date (première quinzaine de janvier 1986). Il souhaite qu'Abdou Diouf, président de l'OUA, transmette le dossier à l'ONU et soutienne la tenue de ce référendum. Or, Diouf demande que la consultation soit précédée de pourparlers directs avec le Polisario. Hassan II, qui ne veut pas en entendre parler, compte donc sur Bongo pour convaincre Diouf.
Il a consulté Raymond Barre sur l'idée de lancer un grand emprunt pour le développement du Sahara occidental. Barre lui a suggéré de lancer cet emprunt en écus : « Vous voulez vous rapprocher de l'Europe ? C'est une bonne occasion de manifester vos sentiments européens. »
Hassan II se fait fort d'obtenir du Colonel Kadhafi des précisions sur ses intentions au nord du Tchad.
Lundi 23 septembre 1985

Les interventions sur le marché des changes fonctionnent : le dollar est passé de 8,73 F vendredi à 8,30 F ce matin. Le cours du deutschemark à Paris reste stable (3,051 F), sans intervention de la Banque de France.

A New York, Roland Dumas rencontre Geoffrey Palmer, vice-premier ministre néo-zélandais.

François Mitterrand reçoit Charles Hernu. Dans l'après-midi, Laurent Fabius harcèle encore celui-ci. Le soir, Paul Quilès remet son rapport au Président et à Fabius : Hernu, dit le rapport, a donné des ordres si «flous » que la DGSE s'est cru autorisée à faire sauter le Rainbow Warrior. Fabius, Joxe et Badinter semblent prêts à tout pour que le gouvernement auquel ils appartiennent ne porte pas la responsabilité de l'affaire.

Je reçois une jolie lettre de Jacques Rigaud, manifestement rédigée pour être connue :
« Si j'en crois certaines rumeurs, les arbitrages seraient sur le point d'être rendus en ce qui concerne l'avenir de la télévision (hertzienne et par satellite). Une solution Berlusconi serait, dit-on, le substitut à l'hypothèse CLT.
Si tel est le cas, l'administrateur-délégué de la CLT ne peut que s'incliner devant la décision du gouvernement. Mais je me reprocherais de ne pas t'avoir écrit certaines choses en temps utile.
Les décisions dont il s'agit pèseront lourd sur les relations franco-luxembourgeoises. Ce n'est pas mon domaine, même si je suis, par mes fonctions, un témoin privilégié de ces relations. Le Luxembourg a périodiquement le sentiment d'être traité par la France comme le département des Forêts qu'il était sous Napoléon. Ce fut le cas sous le septennat précédent. Avec François Mitterrand, les Luxembourgeois avaient eu quelque espoir d'être traités au moins avec la même considération qu'un pays du Tiers Monde. Ils ont été irrités par des attitudes qu'ils jugeaient désinvoltes ou condescendantes. Mais ils avaient repris espoir, notamment quand Laurent Fabius a pris la peine de téléphoner à Jacques Santer. Ils ont cru, en d'autres mots, à la parole de la France. Attendez-vous à quelques retombées, y compris au niveau des rapports entre partis socialistes, s'ils ont le sentiment que la déclaration du 26 octobre dernier est traitée par le gouvernement français comme un chiffon de papier.
Le Premier ministre a eu l'occasion de me dire il y a quelques mois qu'il attendait de moi le maintien et la consolidation des intérêts français au sein de la CLT. Je m'y suis employé avant comme après cette rencontre. Ma tâche sera assurément beaucoup plus difficile s'il apparaît que, pour l'avenir de la CLT, rien de bon ne peut venir de la France. Le Luxembourg, la CLT et ses actionnaires seront tentés de choisir, sinon le grand large, du moins d'autres voies de développement européen, ou, pire encore, d'attendre mars, alors que tout le monde était prêt, sans arrière-pensée électorale, à jouer le jeu d'une offre française sérieuse.
Je sais toutes les préventions nourries dans les milieux officiels contre les Belges, et nommément contre Albert Frère, et la part qu 'y a prise mon ami Jean Riboud, pour des raisons que je comprends, mais où je dois dire que la passion avait sa part. Frère est puissant et peut être redoutable. Il y a sûrement lieu de le contenir. Mais les décisions envisagées auront pour effet de renforcer sa position, y compris par rapport à Havas, qui sortira discrédité de l'opération. Mais je demande si Berlusconi, qu'on est allé chercher, est un personnage plus fréquentable, plus recommandable.
Sur ce point, je dois vous mettre en garde. Je ne sais si l'on s'est bien renseigné sur Berlusconi et sur ce qu'il a fait en matière de télévision en Italie. S'il procède comme il l'a fait avec la RAI, il proposera aux vedettes des chaînes de service public une rémunération triple, avec compte en Suisse, et, en renfort de potage, villa sur la Côte. Quant à ses pratiques en matière de publicité, qu'on interroge Rousselet ; il va complètement déstabiliser le marché, pour ne même pas parler de l'aspect moral des choses. Le choix de Berlusconi porte en germe un ou des scandales (...).
Au sein même de l'État, je sais que certains ont du mal à croire que ce que je redoute puisse se produire. Et plusieurs m 'ont exhorté à user de mon influence — qu'ils exagèrent — pour empêcher l'irréparable. Dans l'audiovisuel comme ailleurs, le réalisme économique n'oblige pas à renoncer à toute ambition culturelle. Berlusoni ne sera pas avare de promesses sur ce terrain. Je crois même comprendre qu'il a séduit Jack Lang. Alternance ou pas en 1986, vous aurez ou bien fourni à la droite un formidable alibi de cynisme mercantile, ou bien créé les conditions, pour vous-mêmes, d'un désastre culturel.
Pardonne-moi de m'être exprimé aussi librement que je l'ai fait, à peu près dans les mêmes termes, à l'intention de Laurent Fabius. Mais j'estimais devoir le faire. »
Je ne peux mieux faire que transmettre ce réquisitoire convaincant au Président.


Mardi 24 septembre 1985

De sa mairie de Villeurbanne, Hernu répète à qui veut l'entendre : «Je n'ai jamais donné l'ordre stupide de neutraliser le Rainbow Warrior dans un port étranger.»



Mercredi 25 septembre 1985

Laurent Fabius convoque à nouveau Hernu et Lacoste. A la télévision, il se dira personnellement convaincu que c'est Hernu qui a donné l'ordre. François Mitterrand m'assure du contraire : « Il a couvert après coup. »

François Mitterrand reçoit un envoyé d'Assad. Il lui propose d'échanger les otages contre une remise de peine des « Bakhtiaricides », et sa parole que Naccache sera libéré avant la fin de son mandat.


Malgré l'accord des Européens pour soutenir une candidature commune néerlandaise, la France continue de soutenir celle de Boutros-Ghali au Haut Commissariat pour les Réfugiés.

Dîner avec deux de mes amis qui ne se connaissent pas : Fernand Braudel et Michel Colucci. Étonnante rencontre. Merveilleux moment passé avec deux hommes intelligents, généreux, modestes, qui savent écouter l'autre. Rare.


Jeudi 26 septembre 1985

La Tunisie rompt ses relations diplomatiques avec la Libye.
Sur Greenpeace, François Mitterrand me confie : « Pourquoi est-on si dur avec moi sur cette affaire ? On a mis deux mois à trouver la vérité là où de Gaulle avait mis sept mois à ne pas la trouver dans l'affaire Ben Barka. Et la seule chose que ce Président exemplaire trouvera à dire alors, ce sera : "Mauvaise expérience !" »

L'Arabie Saoudite décide de rompre avec sa politique de plafonds de production et de prix officiels, pour pratiquer les prix du marché, et entraîne ses partenaires. De 1980 à 1985, la part de l'OPEP est tombée de 27,6 à 17,1 millions de barils/jour. La demande, qui s'élevait pour le monde occidental à 49,7 en 1980, n'est plus que de 45,6 en 1985. Ceci explique cela.


Vendredi 27 septembre 1985

Édouard Chevarnadze est reçu à la Maison Blanche où il esquisse les nouvelles propositions de désarmement que les Soviétiques feront à Genève lors de la rencontre Reagan-Gorbatchev, dans un mois.

Je suis à Bonn pour préparer avec Teltschik la prochaine Conférence intergouvernementale.

Paul Quilès envoie le nouveau patron de la DGSE à la télé. En grand uniforme, la mine terrible, celui-ci lâche, sibyllin : «J'ai verrouillé. Les branches mortes seront coupées. » L'affaire est donc terminée. Mais il y a fort à parier qu'on ne verra pas Imbot à l'Élysée chaque semaine comme on y voyait Lacoste. Chat échaudé...




Samedi 28 septembre 1985

McFarlane vient à Paris raconter au Président la rencontre de la veille, à Washington, avec Chevarnadze, à quatre jours de l'arrivée à Paris de Gorbatchev. Il redit sa crainte que les peuples d'Occident n'aient plus le courage politique de financer la course aux armements :
B. McFarlane : Chevarnadze nous a dit vouloir discuter à Genève de la réduction de moitié des lanceurs et des ogives stratégiques, de l'interdiction des armes nouvelles (le Trident, mais pas les SS 24 et 25) et de l'arrêt du déploiement des forces nucléaires intermédiaires. Les opinions publiques recevront cela très bien.
Le Président Reagan veut arriver à un accord où il resterait 5 000 ogives balistiques et 3 000 missiles de chaque côté, avec l'élimination des FNI et la liberté de recherche et de développement sur l'IDS, que nous nous engagerions à ne pas déployer pendant cinq ou dix ans. Les États-Unis n'ont pas l'intention de tenter de modifier le système politique soviétique, mais ils veulent une compétition pacifique. La décision de se lancer dans l'IDS a été provoquée par notre prise de conscience de la croissance du nombre de têtes mobiles en URSS et par le progrès des Soviétiques dans les lasers et les faisceaux de particules. Il faut discuter de la non-prolifération.
François Mitterrand: Je comprends que l'IDS soit l'obsession de Gorbatchev : il n'a nul besoin de se lancer dans une nouvelle course aux armements, car il ne peut réussir que s'il apporte aux Russes le bien-être économique. Les Soviétiques n'attendent pas de lui qu'il gagne la guerre, mais qu'il augmente le pouvoir d'achat. Il cherchera donc un modus vivendi. Mais, s'il doit s'armer pour équilibrer une nouvelle menace dans l'espace, il le fera.
B. McFarlane: Le Président Reagan voudrait que la solidarité des Alliés soit totale sur l'IDS.
François Mitterrand : Je suis hostile à l'IDS, mais je ne ferai pas de mon hostilité une arme pour les Soviétiques. C'est pourquoi je ne veux pas, là-dessus, qu'on me demande de signer de communiqué commun, ni au G7 ni avec les Soviétiques.
B. McFarlane Le Président Reagan voudrait avoir vos conseils avant toute nouvelle réunion avec les Soviétiques sur les propositions de Chevarnadze.
François Mitterrand : Je veux réfléchir. Je vois ce que les propositions soviétiques ont de fallacieux. Mais toute réduction sera bonne. Il faut s'en tenir à des principes simples : équilibre stratégique et local, solidarité Europe/États-Unis, dynamique de désarmement, réduction des conflits locaux.
B. McFarlane: Pour les systèmes offensifs, il devient de plus en plus difficile d'obtenir le soutien du Congrès.
François Mitterrand : C'est au moins un aspect positif de l'IDS : cela pousse les Russes à discuter. L'IDS est une arme politique, mais elle reste un danger militaire.
B. McFarlane: Ce que vous dites est très profond. Comment voyez-vous les sociétés occidentales maintenir à long terme leur effort nucléaire ?
François Mitterrand : Il faut juste viser la suffisance. Pour cela, il faut que les Européens arrivent à une politique commune. Cela prendra du temps en raison de la position de la RFA. La guerre dans l'espace n'est pas dans les moyens des Européens pris isolément. Nous le ferons avec les autres Européens, avec qui je suis prêt à discuter de l'arme nucléaire et de l'arme à neutrons. En Europe, les distances sont courtes, et l'IDS ne nous protège pas. Nous devons avoir une stratégie adaptée aux courtes distances.
Avant de repartir, McFarlane nous donne une bonne nouvelle: o Il y a trois mois, Rajiv Gandhi nous a dit qu'un retrait de l'URSS d'Afghanistan se dessine. »



Dimanche 29 septembre 1985

Élections aux assemblées régionales en Nouvelle-Calédonie. Les anti-indépendantistes obtiennent 60,84 % des voix, les indépendantistes 35,18 %. Le FLNKS contrôle trois régions sur quatre.



Lundi 30 septembre 1985

Enlèvement de quatre Soviétiques à Beyrouth. Comment vont-ils, eux, gérer ce cauchemar ?


Michel Colucci vient me dire qu'il a l'idée d'ouvrir des restaurants à l'intention des gens sans ressources.
Naturellement, je l'aiderai. On lui trouvera une banque : le Crédit Agricole. Son conseiller autodidacte Jean-Michel Vaguelsy fait des merveilles, il se montre plus imaginatif que bien des inspecteurs des finances.
Où va l'État qui laisse un saltimbanque, peut-être un des derniers véritables hommes de gauche de ce pays, avoir le monopole de l'indignation ?

A la cantonade, Ronald Reagan propose aux sept chefs d'État et de gouvernement de se réunir le 24 octobre à New York, à l'occasion du quarantième anniversaire de l'ONU, « pour examiner la position de l'Occident un mois avant sa rencontre avec Gorbatchev à Genève ». Drôles de méthodes : samedi dernier, McFarlane était là et n'en a pas parlé ; comme Clark, en 1982, ne nous avait pas parlé du gazoduc, deux jours avant l'embargo !
François Mitterrand refuse net : « Les réunions des Sept, une fois par an, cela suffit. Et annoncer ça publiquement, deux jours avant l'arrivée de Gorbatchev à Paris, c'est fou ! »

Frère, Murdoch et RTL font tout pour empêcher l'attribution de la cinquième chaîne à Berlusconi et Maxwell. La droite souhaite donner Antenne 2 à Hersant et Hachette et vendre FR3 aux journaux régionaux après mars 1986. Jean Riboud a moins de force...


El Baz, conseiller personnel du président Moubarak, me décrit le schéma de conférence internationale sur le Moyen-Orient convenu entre les Jordaniens, l'Egypte et l'OLP. Première étape : rencontre entre l'Administration américaine et une délégation jordano-palestinienne. Deuxième étape : déclaration de Yasser Arafat reconnaissant les résolutions 242 et 338, ainsi que le droit d'Israël à l'existence. Troisième étape : conversations entre les États-Unis et l'OLP. Quatrième étape : réunion d'une conférence internationale avec les membres permanents du Conseil de sécurité et les parties en conflit, c'est-à-dire Israël, Jordanie, Egypte, OLP, Syrie (si elle veut ou quand elle voudra).
Avant d'accepter, les États-Unis souhaitent qu'un lien soit établi entre ce processus et des conversations directes entre Israël et l'OLP. D'autre part, ils veulent que l'ensemble des quatre étapes se déroule en quelques semaines, redoutant de prendre un risque considérable en acceptant la première sans garantie sur la suite, en particulier sur la seconde étape.

A Genève, en séance plénière, l'URSS présente à la délégation des États-Unis les propositions que Bud McFarlane a annoncées la veille à François Mitterrand : « Réduction de part et d'autre de 50 % des vecteurs nucléaires capables d'atteindre le territoire des États-Unis et de l'URSS. Un total maximum de 6 000 charges nucléaires sur les vecteurs autorisés. Pas plus de 60 % des charges autorisées sur un seul composant, ICBM, SLBM ou avion. Interdiction de tous les missiles de croisière, notamment des ALCM (missiles de croisière lancés par avion en vol). Interdiction ou limitation sévère des nouveaux systèmes de lancement. Limitation la plus importante possible des systèmes à moyenne portée, conformément au principe de l'égalité et de la sécurité égales. Suspendre tout travail sur les forces de frappe spatiales. S'engager à ne pas installer d'armes nucléaires dans des pays où elles ne se trouvent pas à présent. Cesser d'ajouter ou de remplacer des armes nucléaires dans les pays qui possèdent de ces armes nucléaires jusqu'à ce que l'attitude des autres puissances nucléaires soit clarifiée. »
Mardi 1er octobre 1985


Ronald Reagan commente par écrit à l'intention de François Mitterrand le détail des propositions formulées à Genève par les Soviétiques : « La proposition générale faite par l'URSS est celle que Bud McFarlane vous a exposée samedi dernier. Ils ont précisé quelques chiffres sur les START, les charges nucléaires, et proposé quelques limitations supplémentaires sur certains armements. » Suit un long exposé technique sur les systèmes en discussion. Puis Reagan exprime sa déception « très vive » face à la modestie des propositions soviétiques, et insiste sur le fait que la menace qui pèse sur ses « amis et alliés » reste inchangée, l'URSS excluant des négociations la plupart des armes visant l'Europe. « En outre, poursuit-il, les Soviétiques, en proposant l'arrêt de la modernisation de certains armements, visent expressément à empêcher le déploiement du Trident D5, du Midgetman et du bombardier furtif, alors que leurs SS 24 et 25 seraient autorisés. »
Le Président américain aborde enfin la question de la force française de dissuasion : « Par exemple, ils ont dit que leur moratoire sur les essais nucléaires dépendrait de la clarification de l'attitude d'autres États, ce qui est manifestement une allusion à des essais tels que ceux qu'effectue votre pays. De même, bien que la présentation soviétique des FNI (Forces nucléaires à portée intermédiaire) soit restée jusqu'à présent assez vague, le chef de la délégation soviétique a fait lundi une déclaration publique faisant référence aux forces française et britannique. Il est possible que M. Gorbatchev vous fasse quelque déclaration ou vous présente certaines initiatives à cet égard. Je reconnais l'importance de consultations particulièrement étroites et j'espère donc que ces informations seront bienvenues et de quelque utilité. »

François Mitterrand est le seul à décliner l'invitation de Ronald Reagan à venir à New York. Encore une fois, nous faisons bande à part.

L'aviation israélienne bombarde le QG de l'OLP à Tunis (60 morts). L'attaque est menée par six chasseurs F16 équipés chacun d'une bombe Mark 2 d'une tonne à guidage laser. Pendant l'attaque, les deux radars tunisiens n'ont rien vu. Un avion Awacs américain se trouvait au-dessus de la zone au moment du raid : impossible qu'il n'ait pas repéré les F16 israéliens.


Mercredi 2 octobre 1985


Pour 1986, la prévision est de 2,5 à 3 % de croissance du PNB ; 2 % de hausse des prix ; plus de 90 milliards d'excédent de la balance des paiements ; une réduction sensible du chômage.

Le Conseil des ministres adopte le projet de loi mettant un terme au monopole public sur la télévision.

La RFA, la Grande-Bretagne et l'Italie entendent constituer un groupement industriel pour construire l'avion de combat sans la France, et invitent les autres Européens à y participer. Pour y faire pièce, François Mitterrand convie les mêmes à un groupe de travail autour du projet français qu'il est prêt à « européaniser ».
Gorbatchev est à Paris pour quatre jours. C'est sa première visite en Occident depuis qu'il est devenu Secrétaire général du PCUS, et la première visite d'un dirigeant suprême de l'URSS à l'Ouest depuis la visite de Leonid Brejnev en RFA en novembre 1979 ; c'est aussi la première en France depuis juin 1977.
Premier entretien en tête à tête, qui porte sur le désarmement. Gorbatchev pousse le Président à participer aux négociations stratégiques. François Mitterrand esquive.
François Mitterrand : Votre accession au pouvoir a suscité un immense intérêt. Vous êtes un des responsables les plus importants du monde. Votre personne suscite une curiosité que je crois constructive.
La France est un pays fier de son indépendance. Bien sûr, nous connaissons l'évolution du monde et du rapport des forces, et le poids prééminent des États-Unis et de l'URSS. Mais nous avons préservé notre autonomie de décision. Nous faisons partie d'une Alliance, même si nous ne sommes pas favorables aux blocs.
J'ai plaisir à parler avec vous. J'aurai une grande liberté de ton. Vous savez, et vous me l'avez dit vous-même en voiture, que l'amitié franco-soviétique est une réalité populaire et même intellectuelle. Nous n'oublions pas vos 20 millions de morts, à qui nous devons une large part de notre liberté, ni les défenseurs de Volgograd auxquels j'avais tenu à rendre hommage durant mon voyage.
Mikhaïl Gorbatchev: Cela avait été un acte très significatif et très apprécié.
François Mitterrand:: Oui, la victoire de 1945 a été une victoire commune, et il existe de forts symboles de cette période : Volgograd, Normandie-Niemen...
Dans nos entretiens, je vous dirai franchement ce que je pense. Vous avez environ quatorze ans de moins que moi. En ce qui me concerne, j'ai vécu la guerre, je n'avais qu'une vingtaine d'années, mais je garde l'esprit complètement ouvert à tout ce qui peut intéresser la génération actuelle.
Mikhaïl Gorbatchev : Je me rappelle très bien nos deux premières rencontres. L'une, brièvement, au cours d'un dîner en juin 1984 au Kremlin, et l'autre en mars de cette année, dans des circonstances tristes. J'ai toujours été convaincu de la nécessité d'accroître l'attention portée aux relations soviéto-françaises et au rôle de la France. Je suis venu avec un seul objectif : donner une nouvelle impulsion à la coopération soviéto-française, élargir cette coopération dans les domaines de l'économie, du commerce, de la culture.
Nous pensons que nous pourrions mener une action pour assainir, avec la France, la situation dans le monde sans pour autant porter préjudice aux relations entre la France et les États-Unis, entre la France et les autres pays d'Europe. C'est notre intérêt commun. On dit que je serais venu en France pour y semer la brouille avec les États-Unis. Ce n'est pas le cas. Nous pouvons nous référer à nos expériences communes et à notre passé.
François Mitterrand : J'ai l'esprit ouvert sur chaque question. Je suis l'allié des Etats-Unis et, compte tenu de l'équilibre des forces actuelles dans le monde, je pense que les choses doivent demeurer ainsi. Mais nous n'acceptons pas toutes les initiatives de nos partenaires. J'ai critiqué la politique américaine en Amérique centrale devant le Congrès des États-Unis. J'ai, dans le passé, critiqué l'intervention américaine au Vietnam. Je désapprouve ce qui se passe en Afrique australe. Je n'éprouve aucun enthousiasme pour l'armement dans l'espace. Et tout cela, je le dis parce que je le pense. Je ne recherche évidemment pas la tension avec les États-Unis, mais j'ai une opinion franche sur chaque problème dès lors qu'il est en rapport avec la paix ou la guerre.
Je suis dans les mêmes dispositions d'esprit en ce qui vous concerne. Vous êtes le leader du bloc d'en face, mais vous n'êtes pas mon ennemi. Nous sommes deux pays souverains.
En ce qui concerne le désarmement, je vous dirai les raisons de mon hostilité aux SS 20, qui n'était pas une hostilité à l'Union soviétique en elle-même. Je me suis déterminé en fonction de l'intérêt de la France. Je vous en parlerai à fond.
Tout découle d'un principe central: l'équilibre des forces dans le monde comme en Europe. Tout ce qui aggrave le déséquilibre est mauvais. Évidemment, il est difficile de juger de l'état exact des armements respectifs. Lorsque je recevais votre ancien ambassadeur à Paris, M. Tchervonenko, il me disait : vous vous trompez, les SS 20 ne sont pas à l'origine du déséquilibre ; avec leurs systèmes avancés, les Américains avaient un avantage, etc. C'est difficile à juger. Comment contrôler ?
J'aimerais vous parler de tous les problèmes litigieux.
Par exemple, à propos de l'Afghanistan. Pourquoi n'accepteriez-vous pas un statut de neutralité ? Il me semble que la situation actuelle vous est préjudiciable. Il y avait eu des propositions de la part de M. Perez de Cuellar qui étaient intéressantes. Comme je ne comprends pas, je souhaiterais que vous m'expliquiez. Ce n'est qu'un exemple.
En ce qui concerne le Vietnam, il y a peut-être une approche à trouver pour aborder le problème du Cambodge.
Quant au Proche-Orient, toutes sortes de gens nous disent : il ne faut pas que l'URSS participe à quoi que ce soit ; ce serait très grave, etc. Que l'URSS soit partie prenante à une conférence dans des conditions à préciser, je trouve cela normal. Votre rôle pourrait être utile.
Bref, il y a des désaccords. Il y a aussi beaucoup de malentendus.
Revenons au problème de l'armement. Votre puissance, et celle des États-Unis, sont très loin au-dessus de la nôtre. Je vois bien que vous n'avez pas envie de consacrer tous vos efforts à la course aux armements. Mais j'ai dit au Président Reagan : si vous obligez les Russes à faire la course, ils la feront ; il faut tenir compte de leur patriotisme et de leurs capacités technologiques. Je lui ai dit aussi : ils ne veulent pas plus la guerre que vous. Il est donc peut-être possible de trouver le chemin du bon sens. J'essaierai de l'expliquer aux autres Européens.
Je suis l'allié des États-Unis, mais c'est une réalité politique actuelle plutôt qu'une perspective. Je veux renforcer l'Europe de l'Ouest, et cela, c'est une perspective. Mais elle ne doit pas être perçue comme fâcheuse par l'URSS. Je ne veux pas d'une Europe qui soit l'auxiliaire d'Etats-Unis offensifs, je ne serais pas d'accord. Si des possibilités nouvelles de modus vivendi avec l'URSS s'ouvrent, ce serait une bonne chose.
Naturellement, au centre de tout cela, il y a le problème allemand qui est très difficile à saisir. Nous sommes partagés là-dessus, en France. Mon esprit même est partagé. D'un côté, je ne souhaite rien d'autre que de m'entendre fraternellement avec les Allemands. Par ailleurs, je ne peux pas souhaiter la reconstitution d'un pôle dominant au centre de l'Europe. Sur tout cela, vous verrez que je ne parlerai pas en partisan.
J'ai été élevé dans l'Histoire et j'ai appris que depuis le XVIe siècle, ces deux pays, la France et la Russie, aux deux extrémités de l'Europe, avaient été presque continuellement alliés et amis. L'histoire et la géographie nous dictent des constantes...

Mikhaïl Gorbatchev : Pour nous, et je voudrais que vous m'indiquiez si vous pensez ainsi, nous voyons dans la France un partenaire essentiel pour élargir le dialogue politique et développer une coopération sur les problèmes bilatéraux et globaux. Peut-être pourrions-nous constater, à l'issue de nos conversations, notre compréhension commune sur les points suivants :
— l'URSS et la France estiment que la situation actuelle est grave et complexe. Elles vont donc rechercher ensemble les voies de l'assainissement et de la coopération.
— Il faut rétablir la détente.
— Il faut réduire les confrontations et les tensions.
Je ne vous demande pas d'inscrire cela dans un mémorandum ou de signer un texte. Je voudrais simplement arriver à un sentiment précis. Sur cette base, chacun pourrait s'exprimer.
François Mitterrand : En ce qui concerne le rôle de la France dans la diminution des tensions, la réponse est oui.
Peut-on proclamer notre désir de détente et naturellement indiquer certains moyens d'y parvenir ? La réponse est oui.
Nous aurons chacun notre façon de dire.
Si, dans cette même conférence, le mot de détente est prononcé par vous et par moi, c'est important. Il en va de même sur l'espace. Vous direz de votre manière ce qui vous oppose à la Guerre des étoiles et, à la mienne, je dirai ce qui m'oppose à l'IDS. Il faut donc bien cerner les points essentiels : la détente, l'espace, le bilatéral.
Bien sûr, je ne veux pas forcer la dose à l'égard de mes alliés américains qui, déjà, n'ont pas une très bonne opinion de moi. Ce sont mes alliés, mais je pense que c'est en restant ce que nous sommes que nous pouvons être utiles pour améliorer la situation.
Mikhaïl Gorbatchev : Si vous le voulez bien, je voudrais vous parler de la course aux armements.

François Mitterrand : C'est vrai, on parle de désarmement et on ne fait que du surarmement. Le seul acquis véritable en matière de contrôle des armements remonte au Traité ABM de 1972.
Mikhaïl Gorbatchev : Le 27 septembre, j'ai écrit au Président Reagan pour lui proposer de réduire la course aux armements, surtout nucléaires. Je lui suggérais que l'URSS et les États-Unis signent un accord pour interdire les armes cosmiques d'attaque et pour réduire de 50 % toutes les armes nucléaires capables d'atteindre le territoire de l'autre partie.
En ce qui concerne les armes nucléaires à moyenne portée, je suis d'avis que nous pourrions les considérer séparément des armes cosmiques et stratégiques, mais nous sommes en faveur d'un moratoire sur le déploiement de ces missiles à moyenne portée.
En plus de ce moratoire, je puis vous informer que l'URSS a, sur des zones de tir capables d'atteindre l'Europe (c'est-à-dire au-delà de l'Oural), 243 missiles SS 20, soit le même nombre qu'en juin 1984, au début des mesures de réponse au déploiement des missiles américains. Nous avons déjà enlevé un certain nombre de ces missiles et les installations fixes qui les supportent seront démontées dans les deux mois qui viennent. En revanche, les contre-mesures que nous avons édictées contre le territoire américain après le déploiement en Europe resteront en vigueur.
Ce que nous souhaitons, c'est une participation active de la France à ce processus. Les États-Unis, pour leur part, ne veulent que développer de nouveaux programmes d'armements.
Pour la France, une situation nouvelle serait créée si les propositions que je fais se réalisent. Je connais vos positions, vous me les avez expliquées à Moscou et je sais que vous n'accepterez de participer à des négociations qu'à une certaine étape.
J'ai une proposition à vous faire. D'abord, jamais nous n'avons envisagé de mettre les forces nucléaires françaises dans un inventaire soviéto-américain. Peut-être, dans une situation nouvelle, des possibilités apparaîtraient pour des conversations directes entre l'URSS d'une part, la France et la Grande-Bretagne d'autre part, afin d'arriver à un arrangement séparé mutuellement acceptable. Nous ne fixerions pas de plafond pour vos programmes de développement. Il y aurait en quelque sorte des équivalents mobiles. Le problème de l'équilibre en Europe serait traité entre la France et la Grande-Bretagne d'une part, l'URSS d'autre part. En tout cas, ma direction m'a chargé de vous déclarer que l'URSS n'avait pas l'intention de porter atteinte à la sécurité de la France, mais que nous souhaitions que la France contribue à la recherche d'un équilibre au niveau le plus bas.
François Mitterrand: Sur le fond de votre proposition, je vais réfléchir. Mais je voudrais vous redire les principes sur lesquels est fondée notre politique. La France a une force défensive — qui ne peut être que défensive — d'environ 140 ogives nucléaires, ce qui est très loin de l'URSS. Quand vous discutez avec les États-Unis, vous introduisez des distinctions entre les forces stratégiques, intermédiaires ou tactiques. Mais, pour nous qui ne sommes pas séparés de vous par un océan, ce sont là des distinctions d'état-civil ! Toutes ces forces sont capables de nous atteindre. Elles auraient le même effet. Pour nous, tout est stratégique. En plus, la force française est aux 9/10e sur sous-marins, et elle échappe donc à la définition de force intermédiaire.
A propos de votre discussion avec les États-Unis, je voudrais vous dire que nous ne sommes pas concernés par les négociations de Genève et que nous ne tiendrons pas compte de ses résultats si on prétendait nous l'imposer. Je ne demanderai pas la permission aux États-Unis de construire un nouveau sous-marin ; sinon, cela signifierait que la France a été réintégrée dans l'OTAN. Evidemment, les Américains seraient contents...
Mais si vous me parlez de la recherche d'un accord bilatéral direct, c'est différent. Des conversations directes avec nous ? Oui, pourquoi pas ? Mais vous avez plus de SS 20 qu'il ne vous en faut. Pour moi, c'est de la surproduction ! Or cela ne change plus rien à rien, d'autant que l'Europe occidentale ne vous menace pas. Vous avez tout ce qu'il vous faut pour l'écraser en un quart d'heure. Cela dit, je ne vous crois pas du tout désireux d'attaquer. Je parle de vos possibilités de vous défendre. J'ai la conviction que l'URSS n'est pas belliciste, tout simplement parce qu'elle n'en a pas besoin. C'est vous dire que je ne vis pas dans la peur par rapport à vous. Notre armement n'est pas très nombreux, mais il est puissant.
Si vous arrivez à un accord avec les États-Unis à Genève, tant mieux ! Si vous voulez qu'il y ait des conversations entre la France et l'URSS sur les problèmes d'armement sans passer par les États-Unis, je suis à votre disposition. L'essentiel est que soit maintenu le Traité ABM qui interdit les missiles antimissiles.
Vous avez proposé une réduction de 50 % des armements stratégiques. Je souhaite que vous y arriviez. Mais le problème central, c'est bien sûr l'espace, et je suppose que, pour vous, c'est une condition à tout le reste...
Mikhaïl Gorbatchev: Oui, sinon nous ne ferons rien.
François Mitterrand: Je pense que le compromis est possible. La conception que le Président Reagan a de l'IDS relève soit de la rêverie humanitaire, soit de la propagande. D'ailleurs, il parle de l'IDS, mais regardez la progression des armes nucléaires. Si c'est une rêverie, l'État-Major américain s'en apercevra. Mais je pense qu'un compromis reste possible, soit sur la recherche sous différentes formes : pacifique, militaire..., soit sur ce que l'on pourrait être autorisé à mettre dans l'espace.
Il est vrai que l'on peut avoir aussi l'impression inverse et penser que les États-Unis recherchent une position dominante. Dans ce cas, aucun argument n'est admis par eux...
Mikhaïl Gorbatchev : Je pense que les États-Unis ont la certitude qu'il pourront, dans l'espace, grâce aux technologies avancées, en particulier à l'électronique et à l'informatique, devancer et dominer l'URSS. Nous avons déjà vu cela dans le passé. Cela a été à chaque fois un échec. Mais la vraie question est : où tout cela conduit-il ? Si cela continue, il n'y aura plus de négociations productives possibles et, par rapport à l'espace, plus aucun garde-fou. Celui qui est en avance aura la tentation de frapper.
François Mitterrand: Il y a en effet deux risques. Celui qui prend de l'avance peut être tenté d'en profiter, et celui qui redoute l'avance de son adversaire peut être tenté d'essayer de le stopper.
Mikhaïl Gorbatchev : Dans un sens comme dans l'autre, c'est une déstabilisation.
François Mitterrand : Dans mon esprit, cette affaire de l'espace est simple : je ne dénonce pas, mais je suis hostile, et la France ne s'y associera pas.
Mikhaïl Gorbatchev : Ce que vous dites est très important, surtout en l'étape actuelle. A mon avis, s'il n'y a pas de compréhension commune entre l'URSS et l'Europe occidentale, si nous n'agissons pas ensemble, l'Administration Reagan ne bougera pas.
François Mitterrand : Je ne sais pas ce qui la fera bouger ; elle n'est pas très malléable...
Mikhaïl Gorbatchev : Nous ne voulons pas discréditer l'Administration américaine, mais nous voudrions trouver un moyen pour la faire bouger : des forces populaires, des mouvements d'opinion publique, des alliés des États-Unis capables de se faire entendre d'eux... Je dirai d'ailleurs à Ronald Reagan à Genève : on vous impose des conceptions à courte vue, dangereuses.
François Mitterrand : En Europe, il y a un petit mouvement d'opinion. A Bonn, je me suis retrouvé seul publiquement, mais je n'avais pas été seul en séance. Les États-Unis connaissent mal l'Europe. Ils pensent que vous ne voulez rien. Vous aurez besoin de beaucoup de force de conviction, mais je vois que vous en avez beaucoup. En tout cas, c'est la méfiance qui prévaut.
Mikhaïl Gorbatchev : Étant donné la forme directe de nos conversations, je voudrais aborder le sujet de l'Allemagne. Si la France et la RFA coopèrent pour la paix, parfait. Mais nous avons noté avec une certaine préoccupation le développement de la coopération militaire entre la France et la RFA, ces dernières années.
François Mitterrand : C'est tout à fait exact, sauf en ce qui concerne le nucléaire.
Mikhaïl Gorbatchev : Justement, c'est la question à laquedle je voulais venir. Nous avons toujours pensé qu'il y avait entre l'URSS et la France une certaine compréhension commune à ce sujet. Nous voudrions être sûrs que la RFA n'aura jamais accès à l'arme nucléaire.
François Mitterrand : Bien entendu ! Mais s'il n'y avait pas l'obstacle du nucléaire, nous aurions un accord militaire complet avec la RFA. Mais le nucléaire, ça, non!
Il y a une campagne en France, que je comprends par certains côtés. J'ai reçu des propositions précises du Chancelier Schmidt. Le Parti socialiste français a même pris des positions qui vont au-delà de mon opinion personnelle. Mais je ne veux pas vous tromper. Pour tout ce qui concerne le conventionnel, nous resserrerons nos liens. En ce qui concerne les équipements et les armes, nous essaierons constamment de constituer des équipements ou des armements en commun.
Il y a le problème de l'arme à neutrons qui équiperait les Hadès. Je n'ai pas encore donné l'ordre de la mettre en fabrication. Si aucun progrès en matière de désarmement n'intervient dans aucun domaine, je le ferai.
L'arme nucléaire, la France ne peut pas la partager avec la RFA parce que cela mettrait en péril tout l'équilibre européen. D'abord par rapport à vous, mais surtout parce que nous n'y avons pas intérêt. Mais, je vous le redis, parce que je ne veux pas vous tromper : sauf dans ce domaine, nous resserrerons nos accords avec la RFA.
Mikhaïl Gorbatchev : Pour nous, ce point est aussi important que celui de l'inviolabilité des frontières.
François Mitterrand : Remarquez, je n'approuve pas ce qui s'est fait à Téhéran. Staline s'y est montré bien plus habile que Roosevelt et Churchill. Ils n'auraient pas dû accepter tout cela. Mais nous sommes en 1985. L'équilibre du monde est fragile, les frontières sont les frontières. Il ne faut pas y toucher.
Voilà, Monsieur le secrétaire général. Si je vous redis que nous sommes les alliés loyaux des États-Unis et en même temps un pays indépendant, et que nous voulons resserrer nos liens et renforcer notre coopération avec l'URSS, je vous aurai en quelque sorte tout dit. Nous pourrions en rester là.
Mikhaïl Gorbatchev : Je suis très content du climat dans lequel se déroulent nos entretiens. J'ajouterai à vos trois points que la France et l'URSS ont des responsabilités communes par rapport à la paix dans le monde, et que les deux pays peuvent apporter une contribution commune pour améliorer la situation.
M. Gorbatchev signe le Livre d'or.
François Mitterrand : Le Président Moubarak qui, comme vous le voyez, a été le dernier à signer avant vous, m'a demandé de vous faire part de son salut amical et de vous dire que les Arabes modérés veulent resserrer leurs liens avec l'URSS.
Mikhaïl Gorbatchev: Cela nous intéresse aussi.
François Mitterrand : Le peuple d'Egypte est un peuple intelligent. C'est le plus grand pays arabe. J'en tiens le plus grand compte. Evidemment, ils s'entendent mal avec vos amis syriens !
Mikhaïl Gorbatchev : Je voudrais savoir qui s'entend avec qui, au Proche-Orient!


Gorbatchev me laisse une impression de force, de présence, d'intelligence et de gentillesse. En direct à la télévision, ce soir, il envoie dans les cordes Dan Rather et Ivan Levaï. Au dîner à l'Elysée, une chose me frappe : pas un militaire dans sa suite ; en tout cas, pas en uniforme. L'URSS n'est plus l'URSS.

Pour compenser l'affront fait à Reagan en refusant sa réunion à Sept, Roland Dumas téléphone à George Shultz pour proposer des dates et des lieux en vue d'un rendez-vous avec le Président Reagan. Shultz, très froid, ne permet que de répondre rapidement.

Rock Hudson meurt du sida.
Jeudi 3 octobre 1985

Avant la reprise des entretiens élargis en début d'après-midi au Palais de l'Élysée, François Mitterrand et Mikhaïl Gorbatchev ont un bref tête-à-tête :
Il me semble que vous seriez d'accord pour des conversations entre la France et l'URSS sur le désarmement ? interroge le secrétaire général du PCUS.
Je vais réfléchir. Nous conclurons demain matin, répond le Président.


Vendredi 4 octobre 1985


Dernier tête-à-tête entre François Mitterrand et Mikhaïl Gorbatchev :
François Mitterrand : Ce qui caractérise nos relations, c'est que nous n'avons rien à négocier, mais nous pouvons chercher à créer un climat.
Mikhaïl Gorbatchev: A propos des missiles à moyenne portée, je n'ai pas l'intention de porter atteinte à la sécurité de la France, ni de vous demander d'accepter un plafond. J'invite seulement la France à un échange de vues sur ce sujet afin d'améliorer la compréhension mutuelle.
François Mitterrand : Des conversations, oui, sur tous les sujets. Des négociations, non, car l'ordre de grandeur entre nos arsenaux est trop différent. Un échange de vues, oui, parfaitement.
Mikhaïl Gorbatchev : Je voudrais être encore plus explicite. Je n'ai pas proposé de réduction concernant la France. Vous avez le droit de développer vos armes, c'est un droit souverain, et cela n'a pas à figurer dans la négociation américano-soviétique. Je ne vous propose qu'un simple échange de vues là-dessus. Arriverons-nous un jour à envisager une négociation ? On verra bien... Je ferai la même suggestion à la Grande-Bretagne.
François Mitterrand : Je vous remercie beaucoup de votre clarté. Je vous ai dit ma pensée. Vous avez trop d'expérience pour ne pas connaître le poids de ce qui ne s'écrit pas.
Le Conseil de sécurité de l'ONU condamne à l'unanimité le raid israélien sur Tunis.

Le Premier ministre japonais, par l'intermédiaire de son nouveau sherpa, revient à la charge à propos du Sommet de Tokyo. Il propose maintenant les dates des 4 et 5 mai. Tous les autres pays ont donné leur accord. François Mitterrand : « Oui, en lui disant que notre conversation de juillet m'a apporté des assurances... »

Le Président écrit à Ronald Reagan, Margaret Thatcher et Helmut Kohl une longue lettre d'explication après la visite de Gorbatchev : «Je ne tombe pas sous le charme d'un personnage, mais ce sont les réalités qui parlent. »

François Mitterrand, à propos de la promotion d'un haut fonctionnaire, qu'il vient de signer : «Ce serait dommage que tant de trahisons ne soient pas récompensées. »

Jean Drucker envoie à Georges Fillioud, au nom de la CLT, un mémorandum exposant leur candidature à la cinquième chaîne ou à la sixième.
Dimanche 6 octobre 1985


A Séoul, le Comité intérimaire regroupant 22 pays, dont la moitié de pays en développement, examine le rapport du Groupe des Dix. C'est la première réunion de pays riches et de pays en développement sur l'amélioration du Système monétaire international. Ce sera aussi la dernière : rien n'en sort.



Lundi 7 octobre 1985


En Méditerranée, détournement de l'Achille Lauro.

Les Syriens confirment : pas de libération des otages français au Liban sans libération immédiate de Naccache. Le Président refuse.

La date du Sommet de Tokyo est annoncée, avec la participation de François Mitterrand.



Mardi 8 octobre 1985


Petit déjeuner avec Michel Rocard, qui me dit être « tout surpris» du soutien dont bénéficie son courant avant le prochain Congrès du PS, et m'assure de « sa volonté d'éviter toute agression d'aucune nature contre le Président et contre le gouvernement ».

Début de l'occupation de l'usine Renault du Mans à l'appel de la CGT.

R. Lubbers écrit à François Mitterrand pour protester contre le refus de la France de soutenir le candidat néerlandais au secrétariat général du Haut Commissariat aux Réfugiés :
« Je voudrais vous faire part de la profonde déception du gouvernement néerlandais devant la position adoptée tout récemment par votre pays quant à la candidature de M. Max van der Stoel au poste de Haut-Commissaire des Nations- Unies pour les Réfugiés. Après une concertation large et approfondie, les Dix — à l'exception du Danemark qui n'avait pas encore pris position, dans l'attente de l'évolution de la situation en ce qui concerne les candidatures des pays nordiques —, avaient convenu à la fin du mois de mai dernier qu'ils soutiendraient la candidature présentée par les Pays-Bas. Dans le cadre de la campagne en faveur de M. van der Stoel, les Pays-Bas ont donc toujours fait état du soutien des Dix (moins le Danemark) en vue d'accroître les chances du candidat européen.
Dans ces conditions, l'annonce du soutien par la France de la candidature de M. Boutros-Ghali au poste de Haut-Commissaire des Nations-Unies pour les Réfugiés — annonce qui a été faite récemment, apparemment sur ordre de l'Élysée, par le représentant permanent de la France, au secrétaire général des Nations-Unies — ne nous est guère compréhensible.
En effet, non seulement cette démarche marque une rupture de l'unanimité des neuf partenaires européens, mais elle sème aussi le doute quant au crédit à accorder aux communications faites jusqu'ici par le gouvernement néerlandais, aussi bien au secrétaire général des Nations-Unies qu'à d'autres pays, en ce qui concerne le soutien dont bénéficie la candidature de M. van der Stoel.
Dans l'hypothèse où votre choix en faveur du candidat égyptien serait définitif, j'espère que vous voudriez communiquer au secrétaire général des Nations-Unies que, si celui-ci ne souhaite pas soumettre la candidature de M. Boutros-Ghali, des autres candidatures, c'est celle de M. van der Stoel qui a expressément la préférence de la France. »

François Mitterrand prend à part Roland Dumas : «J'attire votre attention sur cette candidature... et sur notre revirement, qui choque légitimement les Pays-Bas. Nous n'avons pas besoin de cela. »
Dumas répond : « Pendant plusieurs mois, nous avons maintenu l'équivoque jusqu'au moment où il a fallu se prononcer, et donc maintenir le choix de M. Boutros-Ghali. Il apparaît aujourd'hui que ce dernier n'a pas de chances d'être désigné. Trois candidats sérieux restent en piste, dont M. Max van der Stoel, face à un Suisse notamment. Nous pouvons donc maintenant le soutenir sans inconvénient. »




Mercredi 9 octobre 1985


François Mitterrand rend compte au Conseil des ministres de la visite de Mikhaïl Gorbatchev à Paris :
« Visiblement, M. Gorbatchev recherchait, par l'intermédiaire de la France, le moyen de se rapprocher de l'Europe. Cela correspond à ce que nous souhaitons. C'est un moyen pour lui de tenir la dragée haute à l'Amérique. Il est pressé de réussir économiquement, d'où son souci de ne pas se laisser entraîner dans la course aux armements.

Il est là pour longtemps. Il y a une large part de sincérité dans ses prises de position.
Le problème des armes nucléaires françaises et britanniques embarrasse les Russes et les Américains. C'est sur ce petit obstacle que grippe leur négociation. Il faut se méfier aussi de la position des Américains, car, en définitive, ils pensent sur ce problème la même chose que les Soviétiques. On peut croire que les négociations de Genève dureront longtemps.
Les Américains ont bien l'intention de militariser l'espace. M. Gorbatchev pourrait être conduit à céder sur ce point. Ce qui peut inciter les uns et les autres à la sagesse, c'est qu'ils risquent de se ruiner dans cette course aux armements. Il n'est pas possible qu'ils arrivent à s'entendre. M. Gorbatchev est conciliant, mais il n'est pas mou.
L'URSS, s'il s'y développait une revendication anti-Yalta, pourrait bien s'ouvrir à une révolution qui pourrait la soulager. Certes, les Russes exploitent les pays de l'Europe de d'Est, mais il faut dire aussi que ces pays leur coûtent cher...»

François Mitterrand et Helmut Kohl doivent se rencontrer demain à Berlin-Ouest. Délicat problème de cérémonial à l'arrivée : à Berlin, le Chancelier Kohl ne peut pas recevoir les honneurs militaires. Comme le Président pensait amener Kohl dans son avion, il faudra que le Chancelier descende par une autre porte que le Président, ou qu'il attende, dans l'avion, que les honneurs militaires rendus par les troupes françaises soient terminés. Dans les deux cas, c'est le mettre dans une situation embarrassante. Il peut aussi passer outre, comme l'a déjà fait Genscher avec Cheysson. On suggère au Chancelier Kohl de prendre son avion, Roland Dumas l'accompagnant. Il accepte.
Jeudi 10 octobre 1985


Décès de Yul Brynner et d'Orson Welles.

Cela se gâte au nord du Tchad : le colonel Al Rifi, proche de Kadhafi, qui avait commandé les forces libyennes au Tchad en 1983-84, en reprend le commandement. Il ordonne aussitôt une remise en condition des matériels, demande une accélération des livraisons de pièces de rechange et de carburant, et l'envoi sur la piste, achevée, de Ouaddi Doum, de 4 hélicoptères Chinook et de 2 Antonov 26. Il demande également que soient acheminés sur Faya et Fada tous les combattants tchadiens en garnison dans le Sud libyen, « afin de les préparer au combat ». Il donne enfin instruction de placer les unités des « coalisés » sous les ordres d'officiers et de sous-officiers libyens. Pour la première fois depuis 1983, des avions libyens (Antonov 26, Tupolev 22, Mig) entreprennent des reconnaissances aériennes au sud du 16e parallèle, survolant notamment les garnisons tchadiennes, N'Djamena et les provinces méridionales jusqu'à la frontière de la République Centrafricaine. Ces vols se poursuivent. On ne saurait exclure que Kadhafi soit tenté par un nouvel engagement, plus profond, au Tchad.

En visite à Moscou, Kadhafi propose «d'envoyer ses troupes au Tchad, avec l'accord préalable de toutes les formations politiques tchadiennes, pour que l'armée libyenne y joue un rôle analogue à celui joué par l'armée syrienne au Liban ».




Vendredi 11 octobre 1985


A Toulouse, au Congrès du Parti socialiste, la salle fait un égal triomphe à Fabius et à Hernu.
Fabius y défie, pour un combat télévisé, à la fois Jacques Chirac et Raymond Barre. Ce dernier décline. Chirac, lui, accepte aussitôt.

McFarlane me confie au téléphone être très hostile au projet de Sommet des Sept qu'a voulu imposer Reagan à New York, et souhaite visiblement réparer ce qu'il estime être un impair.

Nommé par la Haute Autorité, Jean Drucker quitte la CLT et succède à Jean-Claude Héberlé à la tête d'Antenne 2. Il n'est plus là pour défendre le projet de cinquième chaîne de la CLT. Jacqueline Langlois-Gandier succède à André Holleaux (FR 3) ; Bourges (TF 1) et Labrusse (SFP) restent en place.


Lundi 14 octobre 1985


Voyage officiel de François Mitterrand au Brésil et en Colombie. Parmi ses invités, modeste et lumineux, Claude Lévi-Strauss qui n'était pas retourné là-bas depuis Tristes Tropiques.
Mercredi 16 octobre 1985

Quilès me fait part de sa stupeur : « Hernu a menti pendant deux mois et n'a pas hésité à mettre le Président en danger pour sauver l'institution militaire ! »

Fin de l'occupation de l'usine Renault du Mans : aucune revendication n'est satisfaite.


Le gouvernement du Nicaragua suspend les libertés fondamentales.


Vendredi 18 octobre 1985


Accord RPR-UDF pour les législatives : listes communes dans 45 départements seulement.


Comme le Président l'a souhaité, le CNES est maître d'oeuvre pour l'ensemble du programme Hermès : avion spatial et moyens au sol. La maîtrise d'oeuvre de l'avion spatial proprement dit sera confiée à L'Aérospatiale, Dassault ayant la responsabilité de maître d'oeuvre délégué pour le reste.

Hissène Habré s'inquiète des mesures récentes prises par les Libyens. Il nous demande la reprise, avec nos appareils basés à Bangui, des vols de reconnaissance, momentanément interrompus, au nord du Tchad, dans la zone revendiquée par la Libye.


Dimanche 20 octobre 1985

Décès de Jean Riboud. L'ami laisse un vide immense ; l'industriel, une trace considérable ; le politique, une énigme.

Berlusconi écrit à Fabius pour faire officiellement acte de candidature à la cinquième chaîne. Copie à François Mitterrand. La CLT n'a plus Jean Drucker pour la défendre.



Mardi 22 octobre 1985


Au petit déjeuner, on parle du voyage au Brésil et en Colombie. François Mitterrand s'insurge contre le fait que les bourses aux étrangers décroissent, alors que les salaires des professeurs français à l'étranger augmentent. Les étrangers se plaignent de ne plus pouvoir envoyer leurs enfants dans les écoles militaires françaises.
On critique la presse. François Mitterrand : « Il faut faire ressortir le thème central de la prochaine campagne électorale : contre le Front national. »

Le débat télévisé entre Fabius et Chirac aura lieu dimanche prochain sur TF 1. Fabius s'en réjouit d'avance, sûr de ne faire qu'une bouchée de son adversaire.
Le Président Diouf propose une conférence sur la dette en Afrique. Nous avons des idées : étalement, moratoire... Il ne va être question que de cela à l'ONU, à l'OUA, puis à la Conférence franco-africaine à Paris, en novembre.
Je m'organise pour rencontrer le directeur général du FMI, Jacques de Larosière, le président de la Banque mondiale, Tom Clausen, et le Président de Cuba, Fidel Castro.




Mercredi 23 octobre 1985


Avant son débat de dimanche avec Chirac, Fabius affecte une décontraction parfaite : « Les arguments sont connus et déjà échangés. » Il part pour Mururoa assister aux essais nucléaires.
François Mitterrand : « Il a tort, le décalage horaire va l'assommer. »

Pierre Bérégovoy est de plus en plus entre les mains de ses services. Ses lettres au Président sont elles-mêmes de plus en plus technocratiques. La dernière est un sommet du genre :
« Par lettre en date du 23 septembre 1985, l'ensemble des chefs des États membres de la BEAC vous ont saisi d'une demande de distribution de l'intégralité du produit de la garantie de change aux États de la zone monétaire. »
Le Président annote : « Qu'est-ce que ce charabia ? »

Paul Quilès est d'avis de répondre aux survols libyens au sud du 16e parallèle par le stationnement à N'Djamena, pour quelques jours, de quelques Jaguar français qui survoleraient la ligne du 16e parallèle en débordant légèrement au nord.
Habré n'est pas d'accord. Il craint que l'installation, même provisoire, de quelques intercepteurs français à N'Djamena ait des inconvénients politiques au moment où se noue une tentative de dialogue avec Tripoli. Il demande la livraison d'une batterie de Crotale à installer à Biltine ou à Arada. Pour Quilès, « cela ne saurait répondre au problème posé : la ligne du 16e parallèle est longue de près de 1000 km. Les Crotale ne sont efficaces que face à des avions volant à basse altitude ».



Jeudi 24 octobre 1985


A l'occasion du quarantième anniversaire de l'ONU, les six ministres des Affaires étrangères des Sept (moins celui de la France) se réunissent. Reagan est furieux contre François Mitterrand. Dumas rencontre Genscher à New York après la réunion : « C'est vous qui avez raison ; vous avez pris la bonne décision en ne venant pas. » Genscher s'inquiète du dérapage de l'IDS. Weinberger lui a dit : « Dès que les phases d'expérimentation auront été atteintes, nous passerons au déploiement. » Il s'interroge aussi sur la définition américaine des missiles « stratégiques », à savoir « ceux qui peuvent atteindre le territoire de l'autre Super-Grand ». Il y voit — et il l'a dit aux Américains — un risque d'abandon de l'Europe : « Il ne peut y avoir une petite sécurité pour les petits pays et une grande sécurité pour les grands pays. » Il attend beaucoup de la réunion de Hanovre sur Eurêka, que Kohl ouvrira en annonçant une modeste participation financière sur fonds publics.
Margaret Thatcher réclame un complément de remboursement de 260 millions d'écus pour 1984 ! Genscher et Dumas décident de refuser : le forfait de Fontainebleau valait pour solde de tout compte.

Journée nationale d'action de la CGT, la première depuis 1981. Le défilé à Paris connaît une certaine affluence, mais les mots d'ordre de grève n'ont pas été suivis. Une enquête de l'UIMM montre que le taux de syndicalisation en France est tombé de 20 % en 1975 à 15 % en 1984. La CGT a perdu le tiers de ses effectifs, la CFDT le quart. Inquiétant.



Vendredi 25 octobre 1985


L'INSEE annonce que les prix ont augmenté de 0,1 % en septembre. L'inflation est vaincue.


Déjeuner à l'Élysée avec le Premier ministre israélien Shimon Pérès, qui presse le Président d'exclure l'OLP des négociations. Affaiblie militairement par ses retraites de Beyrouth et de Tripoli, l'OLP a de plus perdu, du fait de Larnaka et de l'assassinat d'un passager de l'Achille Lauro, le terrain politique conquis ces derniers temps. La solution ne doit être recherchée, dit-il, qu'« à travers un contact direct Israël-Jordanie ». Il demande au Président d'en convaincre Hussein. Pour François Mitterrand, «la Jordanie ne peut avancer dans un processus de paix qu'avec des Palestiniens qui soient d'une façon ou d'une autre acceptés par l'OLP ». L'offre de Shimon Pérès a donc très peu de chances d'être prise en considération. De plus, Hussein et la Syrie commencent à se rapprocher, et Moubarak refuse de venir en Israël. François Mitterrand : « Hussein m'a dit : "En 1970, mes amis m'ont donné vingt-quatre heures pour quitter le pays. Mes bons amis m'ont donné trente-six heures". »