« Les prix des céréales pratiqués dans la Communauté devraient être fixés dans les années à venir de manière à assurer une meilleure hiérarchie des prix agricoles et de telle sorte que les prix communautaires des céréales se rapprochent progressivement de ceux qui sont pratiqués dans les principaux pays concurrents. Cette politique permettra de réduire et, à long terme, d'éliminer les avantages dont bénéficient, sur le plan de la concurrence, les importations de produits de substitution des céréales. La Communauté devrait entamer des discussions avec les principaux pays tiers fournisseurs, là où c'est nécessaire, en vue de stabiliser le volume des importations de ces produits de substitution à court et à moyen terme. Une modulation des garanties pour les céréales devrait prendre la forme d'une réduction des prix d'intervention lorsque la production dépasse un niveau fixé à l'avance. »
Autrement dit, victoire pour la France sur le soja, de la RFA sur les prix des céréales.
Avant de partir dîner, François Mitterrand charge Édith Cresson, ministre de l'Agriculture, de « finaliser » les détails, dans la nuit, avec les autres experts, en particulier allemands.


Vendredi 27 novembre 1981


Au matin, il n'y a plus d'accord ! Sauf sur un paragraphe vide de sens : « Un consensus général s'est dégagé au Conseil européen pour que ce point soit adopté une fois qu'un accord aura été conclu sur le libellé à insérer au point suivant concernant la relation entre la modulation des garanties pour les céréales et les progrès accomplis en matière de stabilisation des importations de produits de substitution des céréales. » Edith Cresson a réussi à tout bloquer afin que les concessions des Français sur les prix des céréales n'interviennent qu'après celles des Américains sur les produits de substitution.
La leçon sera retenue : ne jamais emmener de ministres techniques à un Sommet européen.
Paris-Match prétend que François Mitterrand s'est rendu, le samedi 7 novembre, au Val-de-Grâce, hôpital militaire parisien, au petit matin et en secret : « Des témoins qui le reconnaissent diront qu'il a le teint "jaune citron ", marche avec difficulté, mais qu'il n'est pas nécessaire — à moins qu'il ne l'ait refusé — de le placer sur un brancard ou dans une chaise roulante. »

La Ligue arabe adresse à ses États membres une note leur demandant d'intervenir auprès de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Italie pour les dissuader de participer à la future Force multinationale de paix dans le Sinaï : « Une telle collaboration de l'Europe serait interprétée comme un ralliement aux accords de Camp David. »

A nouveau d'énormes sorties de capitaux cette semaine. François Mitterrand reçoit Jacques Delors qui lui explique qu'il faut ralentir le rythme des réformes. Le Président ne dit pas non. Delors est ravi.


Dimanche 29 novembre 1981

Sur RTL, Delors demande une «pause dans l'annonce des réformes ». Pierre Mauroy est furieux ; François Mitterrand aussi : « Quel jeu joue-t-il ? Pourquoi le dire ? »



Lundi 30 novembre 1981

A l'aube, en accompagnant à Roissy François Mitterrand partant pour Alger, Mauroy se plaint de Delors. Le Président : « Remettez-le à sa place. Vous êtes Premier ministre ! »
Plus tard dans la matinée, Pierre Mauroy part avec Delors pour Grenoble où il doit exposer la politique économique du gouvernement. Mauroy affirme que « sans accélération ni précipitation », les réformes continueront. Delors : « Il faut que tu me débarrasses de Nicole Questiaux. Elle va mettre le franc en l'air ! o

Le projet de loi sur les nationalisations revient en seconde lecture devant l'Assemblée. L'opposition multiplie les incidents, exploite à fond la procédure pour retarder l'inévitable.


A Alger, après le dîner dans l'ancien palais du gouverneur général, le Président souhaite conclure l'accord sur le gaz. Les deux Présidents discutent sur un coin de table, au milieu des invités, avec, au téléphone, les experts oubliés à Paris. L'accord se fait sur l'achat de 9 millions de mètres cubes de gaz par an, à un prix supérieur de 25 % au cours mondial. Le surcoût sera de 500 millions de francs pour 1982. Les contrats attendus en retour sont estimés à 12 milliards de francs.

Le Président Moubarak écrit au Président :
« Je voudrais vous exprimer, à vous et à votre peuple ami, ma sincère gratitude pour la décision que vous avez prise de contribuer à la Force multinationale. Une telle décision, aussi courageuse, reflète une profonde compréhension de la situation au Moyen-Orient. »
A Genève, début des discussions américano-soviétiques sur le désarmement nucléaire, en particulier sur les euromissiles.


Mercredi 2 décembre 1981

François Mitterrand écrit à Leonid Brejnev pour lui demander de laisser sortir d'URSS la fille d'Andreï Sakharov qui fait la grève de la faim avec sa femme, Elena Bonner, pour obtenir son visa de départ.

Déjeuner rituel des dirigeants socialistes à l'Élysée. Tous se plaignent de Jacques Delors. François Mitterrand est inquiet : il craint que Delors ne retarde les réformes fiscales. Il en reparle à Mauroy : « Où en êtes-vous dans la mise en œuvre de ma lettre ? »



Jeudi 3 décembre 1981

L'Assemblée adopte en seconde lecture le projet de loi sur les nationalisations. Retour devant le Sénat.

Débat au sujet de l'impôt sur les grandes fortunes au Parlement. De nombreuses voix s'élèvent pour mettre en garde contre le risque de voir le patrimoine historique vendu à des étrangers, les dépenses d'entretien arrêtées, les objets d'art bradés pour payer l'impôt. Laurent Fabius ne souhaite pas faire de concessions. Jack Lang propose d'exonérer de l'impôt les 12 000 monuments classés ou inscrits à l'inventaire, comme le suggèrent M. Chastel et les associations concernées. Le Sénat vote un amendement en ce sens. Du coup, les vannes sont ouvertes. Le ministre de l'Environnement veut qu'on exclue les « espaces naturels sensibles », notamment les espaces littoraux. Le Président souhaite qu'on exclue aussi les forêts. Lang réclame l'exonération de tous les monuments, même non classés, mais se résigne à l'engagement verbal pris par Fabius, selon lequel les inspecteurs des Impôts tiendront compte, dans l'évaluation des monuments historiques privés, de la charge d'entretien qu'ils représentent pour leurs propriétaires.

La bataille pour les nominations fait rage. Un ministre recommande ainsi un ami :
« Il est très candidat à la présidence d'une banque tournée vers les échanges extérieurs, en raison de la connaissance des problèmes et des hommes qu'il a acquise dans ses fonctions antérieures. Cette banque le tente beaucoup. Je n'ai pas compétence pour apprécier l'opportunité d'une telle solution, ne connaissant pas suffisamment les exigences de cette banque. Mais, sur le plan de la qualification pour l'expansion vers l'extérieur, il est difficile a priori de présenter un meilleur profil que lui... »

Le « Centre Mondial » est en place. J.J.S.S. veut 100 millions de budget. Des pouvoirs très larges sont accordés au président, et très faibles au directeur, Yves Stourdzé, choisi pour contrôler les choses. Le Centre a l'ambition, prétend J.J.S.S., de mettre au point des « machines conceptuelles » et d'en expérimenter les usages. Il ne s'agit donc plus, comme au début, de « mettre au point l'ordinateur personnel ».
Il serait pour le moins souhaitable que les 7 millions prévus en 1982 pour l'acquisition de matériel aillent en priorité à du matériel français. Mais est-ce possible ? Et comment éviter que les industriels américains et japonais ne soient les seuls à tirer parti des prototypes élaborés ? De plus, il est important que les savants étrangers soient recrutés sur les mêmes bases que les français ; or, à travers des compléments qui n'auront pas un caractère de salaire, ils gagneront bien plus : on a même parlé de « prime de dépaysement » !

Jacques Delors est reçu par François Mitterrand. Il boude encore. Le Président : « Soyez l'homme des réformes ! Vous seul pouvez les rendre économiquement raisonnables et socialement audacieuses... »
Ravi, Delors se plaint de n'être pas soutenu par les autres ministres : « Ils font tout pour me démolir à vos yeux. »
Le Président : « J'en prends, j'en laisse... »

Shamir communique à Claude Cheysson la déclaration conjointe américano-israélienne publiée « à l'issue d'amples entretiens avec le secrétaire d'Etat américain Alexander Haig » et lui demande, comme à chaque pays, de lui confirmer que le rôle de la Force multinationale reste celui défini dans les accords israélo-égyptiens, et rien de plus.


Vendredi 4 décembre 1981


Les Soviétiques font savoir à Gaz de France qu'ils ne pourront signer le contrat la semaine prochaine. Que se prépare-t-il ?

Je reçois le futur directeur scientifique du « Centre Mondial », un Américain, narquois, qui ne me parle que des frais d'aménagement de son appartement de fonctions. J'enrage : il nous prend pour des bourgeois gentilshommes ! Il n'est ni le premier ni le dernier.


Lundi 7 décembre 1981


Paris et Vientiane rétablissent leurs relations diplomatiques interrompues en juin 1978.

Pour la première fois depuis son élection, au centenaire de HEC, le Président dit du bien du profit et des chefs d'entreprises.

Les réformes, cependant, n'avancent pas assez vite. François Mitterrand décide de prendre l'économie en main et de tenir des Conseils restreints toutes les semaines, sans ordre du jour ni décision préétablie. Matignon voit l'initiative d'un très mauvais œil.


Je prépare la prochaine réunion de sherpas, la première à laquelle j'assisterai et que je présiderai. Elle aura lieu ce week-end au château de La Celle-Saint-Cloud, propriété du ministère des Affaires étrangères. Je serai accompagné du directeur du Trésor, J.-Y. Haberer, et du directeur des Affaires économiques du Quai, Jean-Claude Paye. La haute administration, dans ce qu'elle a de meilleur, est au travail.




Mercredi 9 décembre 1981


Lisa Alexeïeva, la belle-fille de Sakharov, est autorisée à émigrer aux États-Unis, comme l'a demandé François Mitterrand. Andreï Sakharov et Elena Bonner cessent leur grève de la faim.

Au Conseil des ministres, Henri Emmanuelli, secrétaire d'État aux DOM-TOM, présente ses ordonnances sur la Nouvelle-Calédonie. Christian Nucci est nommé haut commissaire. Le Président : « La situation là-bas est épouvantable ; on n'a laissé aucun Kanak arriver jusqu'au bac ou posséder une terre. »

A Paris, un diplomate russe, I. Baranovski, prend en aparté le directeur général de Gaz de France, Pierre Delaporte, et lui dit : « C'est pour demain matin. »
Le contrat de gaz ? Signé demain ?


Jeudi 10 décembre 1981


Contrordre à Moscou, les Russes font savoir que les négociations sur le contrat de gaz leur paraissent inutiles et qu'en tout état de cause, il convient d'attendre les résultats des conversations françaises avec l'Algérie. Baranovski vient revoir Delaporte : « Il n'y a plus rien de fait. Nous sommes soumis à un pilonnage très dur des Algériens qui nous reprochent de signer avec la France un contrat capitaliste, alors qu'eux-mêmes veulent vendre du gaz à la France sur d'autres bases. Les Algériens redoutent que les négociations entre Soïbuzgazexport et Gaz de France ne nuisent à leurs propres transactions. »
Michel Jobert, informé par Pierre Bérégovoy, juge qu'il n'y a pas lieu de s'en faire : « Cette affaire se réglera. »


Vendredi 11 décembre 1981


L'agence Tass accuse Solidarité de préparer le « renversement du pouvoir » en Pologne. Le voyage que Pierre Mauroy devait faire à Varsovie est ajourné à la demande des Polonais.


Javier Perez de Cuellar est désigné par le Conseil de sécurité comme secrétaire général de l'ONU et succédera le la janvier 1982 à Kurt Waldheim, dont la Chine a refusé la réélection.


Jean-Baptiste Doumeng me dit : « Brejnev est mourant. Le prochain secrétaire général du PC sera Andropov, il est très efficace. Et après, ce sera Gorbatchev. Andropov installera Gorbatchev. Celui-là, vous verrez, c'est un ami. Je le connais bien, je l'ai reçu chez moi il y a vingt ans, et il est unique. Il fera triompher l'URSS économiquement et idéologiquement. »
Je l'interroge sur Souslov, que Schmidt donnait comme successeur de Brejnev. Il éclate de rire.



Samedi 12 décembre 1981


La réunion des sherpas commence à La Celle-Saint-Cloud. Pour le Canada, c'est Gotlieb, responsable de l'organisation du Sommet d'Ottawa. Pour la RFA, c'est Horst Schulmann, le secrétaire d'État aux Finances. Robert Armstrong, secrétaire général du Cabinet Office, représente Londres. Enrico Berlinguer, conseiller diplomatique du président du Conseil, est là pour l'Italie. Pour le Japon, c'est Kikuchi, vice-ministre des Affaires étrangères, accompagné de Nobuo Matsunaga qui lui succédera à partir de janvier. Sont également présents Jean Durieux, directeur du cabinet de Gaston Thorn, et Myer Rashish, secrétaire d'État adjoint pour les Affaires économiques au Département d'État. La présence de Rashish nous fait plaisir. Il nous comprend et sera peut-être à même de faire passer le message des Européens à Washington.

Le Sommet aura lieu les 5 et 6 juin à Versailles. Deux thèmes domineront : les conséquences de l'instabilité des cours des marchés et le chômage. On parle aussi de la Pologne.


Dimanche 13 décembre 1981


Coup de tonnerre à Varsovie : l'état de guerre est proclamé. Un Conseil militaire de salut national est constitué. Plusieurs milliers de personnes sont arrêtées, parmi lesquelles de nombreux cadres syndicaux et intellectuels, et d'anciens responsables, dont Gierek, ancien Premier secrétaire. Walesa, mis en résidence surveillée, refuse de négocier avec les autorités. Mgr Glemp lance un « appel à la raison ».
Les sherpas en discutent.
La démarche initialement « nationaliste » et « centriste » du général Jaruzelski a duré le temps d'un discours. La volonté de poursuivre le renouveau sans Solidarité débouche sur une impasse. Les responsables du syndicat, vrais médiateurs de la société polonaise, sont éliminés. L'armée se coupe de la nation et s'use sans prestige dans une tâche d'auxiliaire de la milice. Le Parti peut-il espérer se refaire une crédibilité autour du clan des « durs » ? Sa quasi-disparition actuelle est un redoutable aveu, et les tentatives ultérieures de restauration se feront plus encore que dans le passé « dans les fourgons de l'étranger ».
Les hésitations du pouvoir militaire polonais rendent plus visible l'engagement de l'URSS, qui a orchestré l'opération et veut effacer le renouveau, quoi qu'il en coûte. On retrouve l'URSS partout, dans la préparation technique (communications) et diplomatique (ouvertures politiques multiples vers l'Ouest), mais surtout dans l'exécution, même si elle n'y apparaît pas directement. L'expérience tirée de l'invasion de la Tchécoslovaquie, puis de l'Afghanistan, a conduit le Kremlin à choisir un nouveau mode d'intervention, par procuration, qui, par son respect des formes, se révèle politiquement d'une efficacité remarquable. Très soigneusement conduite, la manipulation de l'information occupe une place centrale tant vis-à-vis des Polonais que du monde occidental.
C'est la première fois que l'Acte final de la CSCE, signé par tous les États européens, est aussi gravement atteint. Il est donc essentiel d'invoquer avec force le sixième principe (non-intervention dans les affaires intérieures), le septième (respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales) et le huitième (égalité des droits des peuples et droit des peuples à disposer d'eux-mêmes).
La situation en Pologne doit être le point unique de l'ordre du jour à Madrid tant que durera l'état de guerre.

Conférence à Quatre par téléphone (entre Cheysson, Haig, Carrington et Genscher) : accord pour ne rien faire.
Claude Cheysson est interviewé à la radio : « Le gouvernement a-t-il l'intention de faire quelque chose en Pologne ? - Absolument pas. Bien entendu, nous n'allons rien faire. »
François Mitterrand explose, comme tout le monde, en entendant cette scandaleuse naïveté, cette honteuse franchise...

Delaporte interroge G. Renon sur l'attitude à adopter dans la négociation sur le gaz. « Trois hypothèses sont possibles : refuser purement et simplement la reprise des négociations, prévues pour le mois de janvier 1982, en alléguant les volte-face successives des Soviétiques depuis plus d'un an ; ou demander que cette négociation ait lieu à Moscou, ce qui lui donnera un caractère plus discret ; ou encorece qui, à la limite, serait plus normal - poursuivre les négociations comme si de rien n'était. »

Il faut évidemment reporter la signature et envisager l'abandon du contrat. Le Président : « C'est le moment ou jamais de démontrer que nous ne sommes pas dépendants et que nous pouvons l'ajourner, voire y renoncer. Inversement, la signature de ce contrat dans les circonstances actuelles viendrait, malgré toutes les déclarations qui pourraient être faites, confirmer de façon spectaculaire la réalité de notre dépendance. »

Entre sherpas, épineuse et dérisoire discussion : qui représentera la Communauté à Versailles ? Cette délégation ne doit avoir qu'un seul chef, comme les autres. Or, les Belges président la Communauté à partir de juillet. Le Japon et la RFA sont hostiles à leur présence. Discussion surréaliste : si le président de la Commission est désigné par le Conseil européen comme chef de délégation, il n'y aura que 22 places à la table de travail. Si c'est le président du Conseil qui est désigné, il y aura 23 places (une pour Martens, une pour Thorn) en séance, mais une seule place pour la Communauté aux dîners...
Incroyable, le temps que tout cela peut prendre !
Malgré l'objection de l'Allemand (qui a souligné qu'il y avait plus de germanophones que de francophones en Europe), il est décidé que les textes seront simultanément produits en français et en anglais.



Lundi 14 décembre 1981


Au téléphone, Mgr Glemp dit à Pierre Mauroy que Jaruzelski est un patriote. François Mitterrand : « Après tout, c'est peut-être la seule façon d'éviter l'entrée des Russes. Je n'exclus pas que Jaruzelski soit un patriote. »
Le PC et la CGT refusent de s'associer aux manifestations de solidarité avec les Polonais.

Le Matin publie une interview de l'ambassadeur américain, Evan Galbraith, dénonçant la présence dans notre pays « d'agents d'une force extérieure à la France » : les communistes.


Un Sommet syndical doit précéder le Sommet des chefs d'État. Pour nous, aucun syndicat français ne saurait être exclu d'une telle consultation. A Ottawa, l'AFL-CIO a pour la première fois accepté de venir en même temps que la CGIL. Je ferai inviter la CGT. Jacques Chérèque, qui conduit la délégation de la CFDT, aimerait bien me faire plaisir, mais il est sceptique : « Les Américains n'accepteront pas. » Encore eux !...

L'annexion du Golan est votée par le Parlement israélien à l'initiative de Begin. Elle est violemment critiquée tant par les pays arabes (sauf l'Egypte) que par les États-Unis et la Communauté. Itzhak Shamir écrit à Claude Cheysson :
« L'annexion du Golan, loin de remettre en cause les accords de Camp David, est une preuve de la volonté d'Israël de les appliquer fidèlement. Israël a, comme vous le savez, fait d'énormes sacrifices pour arriver à une paix durable avec l'Égypte. Nous avons accepté de nous retirer des territoires qui nous donnaient une profondeur stratégique. Les risques que nous avons courus dans le Sud, pour arriver à la paix, nous rendent encore plus déterminés à sauvegarder notre sécurité dans le Nord, face à l'implacable hostilité que les Syriens manifestent à notre encontre. »


Mardi 15 décembre 1981


Laurent Fabius rédige une réflexion d'ensemble à l'intention du Président sur les économies à réaliser en 1982 et 1983. Il s'inquiète des conséquences pour la monnaie du différentiel d'inflation avec l'Allemagne, des dangers d'une hausse excessive des prélèvements obligatoires et de la difficulté de tenir les promesses sociales. Enfin, il trace les premières lignes d'une réforme fiscale. Il souhaite une hausse de l'impôt indirect, o indolore politiquement », et de très hautes tranches d'impôts directs, « nécessaires symboliquement ». Il suggère d'organiser un séminaire gouvernemental pour «prendre les grandes décisions en matière fiscale et pour l'emploi, qui devraient s'inscrire dans le Budget 1983 ».
Vote définitif de l'abrogation de la loi « anticasseurs ».

Michel Rocard me demande de présider la Commission « méthodologie » du Plan après que Pierre Mendès France lui a refusé ce gadget. Je refuse à mon tour. Mendès ? Pourquoi Michel Rocard lui a-t-il infligé une telle humiliation ?
A la demande de François Mitterrand, Pierre Bérégovoy reçoit Charles Fiterman à l'Élysée pour parler de la Pologne. Fiterman est sincèrement scandalisé par le coup d'État, mais refuse d'assister aux manifestations : « Si ces manifestations mêlent des socialistes à des gens peu fréquentables, le PC n'en fera pas une crise. »
Rocard a fait il y a quelque temps une imprudente déclaration, malicieusement reprise aujourd'hui par la presse, prônant l'envoi de la Marine sur les plages polonaises...
François Mitterrand : «J'en ai assez de voir les ministres se contredire. C'est un péché de jeunesse, mais cela dure depuis trop longtemps ! »


Mercredi 16 décembre 1981


Débat sur la Pologne en Conseil des ministres. Discussion très longue de politique étrangère.
Michel Rocard attaque violemment Claude Cheysson : Il y a devoir d'assistance à personne en danger. Il faut agir.
Robert Badinter intervient dans le même sens : Il faut réagir et ne pas s'aligner sur la prudence des autres. Il faut interrompre les crédits à la Pologne.
C'est aussi le point de vue d'Yvette Roudy, de Jean Auroux, d'André Henry.
Gaston Defferre est d'un avis contraire : Il faut garder l'esprit froid et attendre.
C'est aussi la position de Delors, de Chevènement et de Hernu. Pierre Mauroy propose de n'interrompre aucun crédit, mais de protester politiquement.
Charles Fiterman : Un communiste est toujours réservé quand un général fait arrêter des syndicalistes.
François Mitterrand : Jamais l'URSS n'acceptera que la Pologne sorte de son orbite. Le monde occidental ne bougera pas. Nous n'abandonnerons pas les Polonais, mais il n'est pas dans notre pouvoir de les sauver. Peut-être dira-t-on un jour que Jaruzelski a agi de façon intelligente, au prix de la perte provisoire des libertés ? Je pense que tout le monde est d'accord pour qu'on n'envoie pas de divisions en Pologne ?
Chacun lorgne vers Michel Rocard qui trépigne.
Les ministres ne sont pas autorisés à aller à la manifestation de solidarité avec la Pologne.

François Mitterrand me dit après le Conseil : « Le plus grave, avec cette affaire, c'est que cela peut inciter un maréchal soviétique à tenter la même chose à Moscou. Il ne faut surtout pas refaire la même erreur qu'en 1956 en Hongrie, où l'OTAN avait laissé entendre aux Hongrois qu'elle interviendrait et avait ainsi causé le massacre des résistants. »


Washington suspend son aide à la Pologne. Pas les Européens.

La décision israélienne provoque au Golan une grève générale de trois jours. En Cisjordanie, les incidents se multiplient.
Le Conseil des Dix déclare la décision israélienne « nulle et non avenue ». Le gouvernement français dénonce cette initiative contraire au droit international et aux résolutions des Nations-Unies. Dans une lettre qu'il adresse à Claude Cheysson, Kamal Hassan Ali, ministre égyptien des Affaires étrangères, stigmatise « la grave atteinte aux efforts de paix au Moyen-Orient (...) le défi lancé en premier lieu contre l'ensemble de la communauté internationale (...). Nous espérons que votre pays, ainsi que la Communauté européenne, s'uniront à l'effort mené pour annuler les conséquences de la décision israélienne et qu'ils participeront à l'accélération du processus de paix au Moyen-Orient - cela, dans l'intérêt de la Communauté internationale ».
Jeudi 17 décembre 1981

Les Brigades rouges enlèvent le général américain James Dozier, commandant en chef adjoint des forces de l'OTAN en Europe du Sud.

Le « Centre Mondial » entrera dans ses murs en février à Paris - naturellement, dans les beaux quartiers. Le programme de travail se dessine. J.-J. Servan-Schreiber veut s'arroger des pouvoirs exorbitants et décider seul du programme scientifique et de l'usage des crédits. Robert Lion présidera le Conseil scientifique du Centre et assurera la liaison avec les scientifiques français. Les crédits sont dégagés.

François Mitterrand s'étonne : « Pourquoi ne fabrique-t-on pas des magnétoscopes français ? »


Vendredi 18 décembre 1981

L'Assemblée vote définitivement le projet de loi sur les nationalisations. L'opposition saisit le Conseil constitutionnel.

Aux Nations-Unies, la France vote une résolution condamnant Israël et lui donnant huit jours pour revenir sur sa décision d'annexer le Golan.

François Mitterrand répond par écrit à Laurent Fabius : « Les documents que vous m'avez communiqués en annexe à votre lettre du 15 décembre 1981 ont retenu toute mon attention. J'ai noté, en particulier, l'importance des problèmes posés par le projet de réforme fiscale auquel vous savez que je suis particulièrement attaché. »



Samedi 19 décembre 1981

Malgré les récentes augmentations de recettes, le déficit de la Sécurité sociale et de l'UNEDIC sera de 40 à 50 milliards en 1982. Il n'y a pas de réforme miracle, pas de recette indolore pour des dépenses en forte croissance, à la fois en raison de l'évolution de la société et de notre programme social.

François Mitterrand : « Les événements de Pologne marquent le début de la fin du Parti Communiste français. Parce qu'il ne peut ni soutenir Moscou, ni prendre position contre lui. »
Pierre Morel : « Aujourd'hui, le 75e anniversaire d'un Brejnev moribond n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le jubilé de la Reine Victoria : l'URSS vit à Kaboul sa guerre des Boers, et à Varsovie sa révolte irlandaise. »
Quelle jolie métaphore !

Adoption en seconde lecture à l'Assemblée du projet de loi sur la décentralisation.
Dimanche 20 décembre 1981

La réussite du quatrième et dernier tir d'essai d'Ariane assure l'avenir commercial du lanceur européen.

Abolition des discriminations à l'égard des homosexuels.


Lundi 21 décembre 1981

Nouvelles vagues de propositions de nominations pour les banques nationalisées résultant de discussions entre Delors, Mauroy et les collaborateurs de l'Elysée. Quelques points d'accrochage : Mauroy hésite à accepter Michel Camdessus au Trésor, il tient beaucoup à Michel Albert à l'UAP et à Jean Saint-Geours à la Caisse des Dépôts.
Chaque ministre, pour placer ses hommes, écrit directement au Président, toujours avec les mêmes arguments : « Il partage nos idées. Il a toujours refusé de faire partie des cabinets ministériels de 1958 à 1981. Son expérience nationale et internationale en ferait un excellent responsable de banque nationalisée. » Ou encore : « Il est un de nos camarades. Jeune et compétent, il possède déjà une importante expérience bancaire. Je le connais personnellement. » Ou bien : « Elle partage nos idées. C'est une excellente négociatrice. » Ou enfin : « Il est un de nos camarades. Sa compétence est reconnue. Il ferait un bon directeur ou responsable de banque nationalisée. »
On finit de boucler toutes les nominations dans les banques déjà nationalisées. Pierre-Brossolette, Calvet, Lévêque s'en vont. Arrivent Deflassieux, Thomas, Dromer. Pas encore Jean Saint-Geours.


Pierre Mauroy déjeune avec les quatre ministres communistes. Il me confie peu après : « Le mot "solidarité" [gouvernementale) est revenu au moins cinquante fois dans la conversation. Je leur ai dit que j'avais plus confiance en eux qu'en plusieurs ministres socialistes. Ce que je pense vraiment. »

François Mitterrand déjeune avec Willy Brandt, très modéré sur les événements de Pologne.
Pierre Mauroy, de son côté, reçoit Mgr Vilnet qui s'interroge sur ce que le Pape peut tenter pour la Pologne.

Le Président décide de maintenir son voyage en Israël, du 8 au 11 février prochain. François Mitterrand : « La date ne dépend nullement d'une appréciation du Conseil de sécurité, mais du seul Président de la République. Après l'affaire du Golan, Israël ne pouvait s'attendre à ce que nous lui donnions raison, mais il était erroné que nous parlions de sanctions... La visite doit pouvoir contribuer à la paix, et c'est cela qui importe. »


Mardi 22 décembre 1981

Les ministres sont informés par Jacques Delors que la «régulation» peut conduire, en 1982, à l'annulation des crédits mis en réserve. Hurlements. Mais nous sommes le 22 décembre, et il y a beaucoup d'absents : bonne date pour les décisions impopulaires !

Le gouvernement israélien poursuit sa politique d'implantation dans les Territoires. L'Université de Naplouse est fermée pour huit jours. Décidément, toujours la politique du fait accompli...


Mercredi 23 décembre 1981


En Conseil des ministres, Rocard propose d'envoyer une mission d'enquête du Parti socialiste à Varsovie. Fiterman souhaite au contraire que « le gouvernement soit silencieux sur la situation polonaise ». François Mitterrand, en colère, lance à Rocard : « Pas de diplomatie parallèle ! », et à Fiterman : « Ne posez pas des problèmes qui aboutiraient à la rupture de la coalition gouvernementale. »
Gaston Defferre propose un statut spécial pour la Corse, en dépit de l'opposition du Conseil d'État. François Mitterrand s'y oppose, pour maintenir l'égalité entre citoyens et éviter une annulation du texte par le Conseil constitutionnel. Defferre est furieux : il prédit des attentats en Corse et demande l'annonce de principe d'un futur statut spécial. Le Président refuse. Je me demande si Defferre n'a pas négocié avec le FLNC plus qu'il n'en dit.
Adoption définitive du projet de loi autorisant le gouvernement à procéder par ordonnances dans le domaine social.
Je fais retenir mille chambres d'hôtel pour le Sommet de Versailles et accélérer les travaux de réhabilitation du château. Accélérer, c'est aussi réduire les coûts, m'explique le conservateur.


Samedi 26 décembre 1981


Les FAN de Hissène Habré contrôlent l'est du Tchad et progressent vers le centre du pays. La Force interafricaine mise en place par l'OUA, chargée uniquement du « maintien de la paix », n'intervient pas.



Mardi 29 décembre 1981


Reagan annonce diverses mesures de « représailles économiques contre l'URSS : réduction des importations ; hausse des taux de crédit à l'URSS de 8,60 % à 11,50 %, voire peut-être même 12,30 % ; obligation de délivrance de licences pour l'exportation des matériels électroniques et informatiques ainsi que des équipements de haute technologie ; interdiction d'exporter des équipements destinés à l'exploitation et au transport des hydrocarbures.
Nombre de firmes européennes sont indirectement concernées. Parmi elles, des entreprises qui préparent les équipements destinés au gazoduc : françaises (Creusot-Loire, responsable avec Mannesmann de l'ingénierie de 22 stations de compression ; Alsthom-Atlantique, fournisseur de 40 rotors de turbines et de l'ingénierie de 19 stations de compression), allemandes (AEG pour les turbines, Mannesmann) et britanniques (John Brown pour les turbines). Elles peuvent encore fournir l'URSS, mais en demandant des licences pour fabriquer en Europe. Dans ce cas, il n'y a pas d'embargo.


Mercredi 30 décembre 1981

Création des Forces armées nationales tchadiennes (FANT) par fusion des FAN et des FAT ralliées.



Jeudi 31 décembre 1981

Dans son allocution de fin d'année, le Président parle de la Pologne. Il explique que le meilleur moyen de « refuser le système qui l'opprime », tout en sachant « mesurer les lenteurs de l'Histoire », c'est de défendre le droit, les libertés et l'aspiration à l'indépendance de la Pologne à partir de la seule « réalité » sur « laquelle nous pouvons nous appuyer, à savoir l'Acte final d'Helsinki, qui consacre d'une certaine façon le partage dit de Yalta, bien que celui-ci ne soit évidemment nulle part mentionné en tant que tel. Mais il permet également d'en sortir, car il est aussi et surtout, à mes yeux, l'ébauche d'un ordre politique et juridique pour l'ensemble du continent européen, qui reconnaît l'égale souveraineté des États et pose en principe que le respect des droits de l'homme dans chaque pays fait partie du contexte des relations internationales ».

Le Président me glisse une note manuscrite : « 1981 : 1) — Combien a-t-on dépensé ? 2) — Pour qui ? »
Bonnes questions !