François Mitterrand: Mais la Chine a déjà apporté énormément, et quand elle aura surmonté certaines formes de sous-développement, elle aura une grande puissance. Il faut regarder dans cette perspective.
Vous pouvez effectivement nous aider. La France compte 55 millions d'habitants, c'est peu, c'est même extrêmement peu si on regarde votre population. En plus, elle est prise dans la crise mondiale des pays capitalistes. Accepter de consentir des transferts de technologies, comme nous le faisons, est un acte de confiance. Il faut, dans les quelques domaines où nous sommes à la pointe du progrès technologique, que la Chine nous aide à passer des marchés.
C'est déjà fait en ce qui concerne les matériels nécessaires à la recherche pétrolière ; nous allons sans doute le faire pour le nucléaire ; nous pouvons le faire pour les avions, si vous le voulez ; nous pourrions le faire également pour les télécommunications, domaine où, je le reconnais, la France a eu un tort, celui de vous faire des propositions avec retard. Mais je suis quand même étonné de voir qu'à une technologie française déjà adoptée avec succès par trente-trois pays et qui comporte de substantiels transferts de technologies, vous semblez préférer des technologies américaines, fabriquées en Belgique, pas encore essayées et qui ne comportent pas de réels transferts de technologies!
Nous avons eu de très bonnes conversations sur ce sujet avec le Premier ministre, de même que les ministres qui m'accompagnent avec leurs homologues. Nous allons pouvoir avancer. Le champ de la coopération est très vaste entre la Chine et la France, et l'amitié entre nous doit être vivante.
Vous avez parlé de l'Europe, vous avez tout à fait raison. Le 1er janvier 1984, je présiderai la Communauté économique européenne à mon tour, et j'ai l'intention d'entamer des conversations politiques et économiques avec quelques très grands pays comme la Chine. Cette action, au nom de l'Europe, sera menée avec le Président suivant et avec le précédent Président. Elle devrait permettre de conduire à des accords entre la Chine et la Communauté économique européenne dans son ensemble.




Samedi 7 mai 1983


Le Monde évoque des articles sur le Sida parus dans la revue Science. On m'explique que la séropositivité protège du Sida ou, au pire, qu'un sur dix seulement des séropositifs risque de contracter la maladie...

Hilarité : le Président reçoit une note des Renseignements généraux établissant, « après enquête approfondie », la liste des personnalités citées le plus souvent dans les dîners en ville comme pouvant être « Caton ». Il y a là : « Jean Baudrillard, Alain de Benoist, Jean-Marie Benoit, Jean-François Bizot, Pierre Boutang, Claude Pierre-Brossolette, Yves Cannac, Jean-Claude Casanova, Jean Cau, Albin Chalandon (avec Catherine Nay), Jacques Chirac (entourage de), François Polge de Combret, Arthur Conte, Daniel Cohn-Bendit, Jean-François Deniau, Guy Debord, Claude Durand, Yann Gaillard, Marie-France Garaud, Françoise Giroud, Valéry Giscard d'Estaing, Henri Giscard d'Estaing, Dominique Jamet, Michel Jobert, Jacques Julliard, Pierre Thuillet, Serge July, Alain Juppé, Jean-François Kahn, Jean Lecanuet, Jean-Philippe Lecat, Jean-Maxime Lévêque, Bernard-Henri Lévy, Libération (un ou des membres de l'équipe), Edmond Maire (entourage de), Gabriel Matzneff, Catherine Nay (avec Albin Chalandon), Louis Pauwels, Alain Peyrefitte, Alain Richard, Michel Rocard (entourage de), Ambroise Roux, Philippe de Saint-Robert, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Situationnistes (un ou un groupe de), Bernard Stasi, Olivier Stirn, Lionel Stoleru, Georges Suffert, Raoul Vaneigem... »
Bravo ! Belle enquête ! La note continue : « D'après l'éditeur de Caton, la ou les vérités sur la personnalité de Caton figureraient noir sur blanc dans cette liste... »
Trois personnes rient beaucoup à cette lecture. Caton continue ses interviews et ses éditos : il est désormais chroniqueur hebdomadaire de VSD... Et François Hollande lui prête même sa voix pour deux interviews à la radio.

Tarek Aziz négocie la dette irakienne avec Jacques Delors.

A une semaine de la dernière réunion des sherpas, samedi prochain, à La Celle-Saint-Cloud, Wallis est à Paris. Il prévient qu'il mettra sur la table un projet de communiqué économique pour Williamsburg. Il doit donner « un signal d'optimisme réaliste et de confiance prudente dans l'avenir ». L'amélioration des conditions économiques générales permet de reprendre espoir. Des problèmes sérieux demeurent, qu'il faut traiter par « une approche cohérente et globale [comprehensive] résultant d'un ensemble de petites touches, même modestes. »
Il me dit être « sans illusions sur le jugement que la presse américaine portera sur les résultats du Sommet, quels qu'ils soient. Les commentateurs ont décidé a priori que les Sept ne décideraient pas grand-chose. A l'inverse, les médias crieront à l'irréalisme si des décisions importantes étaient prises. C'est pourquoi l'Administration américaine se félicite d'avoir volontairement adopté un profil bas dans l'annonce publique de ses intentions et de ses objectifs ».
Il est porteur d'une lettre de Ronald Reagan qui propose un agenda pour Williamsburg :
« Lors du premier jour des discussions, à notre session du matin, entre chefs de délégation seulement, nous pourrions discuter de notre attitude générale à propos de la reprise économique mondiale (...). Dans l'après-midi, nous serons rejoints par nos ministres, en vue d'explorer plus en détail des questions plus spécifiques, telles que les politiques nationales, les questions commerciales et financières internationales et un examen des relations économiques Est/Ouest...
Nous sommes tous d'accord pour penser qu'un Sommet réussi nécessite à la fois une préparation soigneuse et la souplesse nécessaire pour permettre à chacun d'entre nous, en tant que chefs d'État et de gouvernement démocratiquement élus, de discuter pleinement de nos points de vue respectifs et de décider personnellement de l'expression collective de notre message au monde à l'occasion de Williamsburg. »
A la lettre est joint un très long document ambigu, sorte de résumé des conclusions que Ronald Reagan souhaite voir adopter par le Sommet. Selon lui, ce n'est en aucune façon un projet de communiqué final rédigé à l'avance. Traits majeurs de ce texte : l'expression d'un optimisme raisonné et d'une approbation implicite de la politique économique américaine, une priorité absolue accordée à la lutte contre le protectionisme, et l'évacuation des questions Est/Ouest.

La préparation du discours du Président devant l'OCDE se termine. Le Président le relit. Il y propose la tenue d'une conférence internationale en vue d'instaurer un système de taux de change quasi fixe entre le dollar, le yen et l'écu. Le Président discute en détail de chaque idée : « Est-ce réaliste ? Faut-il proposer quelque chose qui ne se réalisera pas ? »


Lundi 9 mai 1983


De nouveau, des rumeurs d'une sortie du franc du système monétaire européen prennent une ampleur inquiétante et entraînent un brusque accès de faiblesse de notre monnaie. La Lettre de l'Expansion d'aujourd'hui indique « qu'une personnalité influente du groupe parlementaire socialiste déclare que la quatrième dévaluation pourrait intervenir au moment du Congrès du PS ». Voilà qui n'aide pas !

A l'Élysée, devant les ministres des Affaires étrangères et des Finances des pays membres de l'OCDE qui attendent debout depuis trois quarts d'heure, François Mitterrand, parlant pendant une bonne heure, propose notamment un nouvel accord monétaire dans la logique des communiqués de Versailles :
« Les trois principales zones monétaires — dollar, yen et monnaies européennespourront s'engager dans la voie du renforcement de leurs liens et servir de pôles à une stabilisation durable des taux de change des principales monnaies du monde. Le Fonds monétaire international verrait alors son rôle renforcé pour promouvoir l'usage des Droits de Tirages Spéciaux dans les réserves officielles, dans les opérations et les comptes des institutions internationales et les transactions privées. Il devrait être à ce moment doté de moyens d'intervenir en cas de difficultés graves et subites d'un pays...
Enfin, je propose que soit lancé un plan d'urgence pour l'Afrique, dont le PNB par tête stagne depuis dix ans et qui, compte tenu de ses dettes, menace de devenir le continent perdu du développement. Un effort exceptionnel de solidarité des pays occidentaux est donc nécessaire. La France fera bientôt des propositions détaillées à ce sujet. »
Après le discours, Don Regan et George Shultz félicitent chaleureusement le Président... pour l'expulsion des diplomates soviétiques !
François Mitterrand à Shultz : « Le Sommet de Versailles s'était conclu par un désaccord profond sur les questions économiques Est/Ouest, et si le Président des États-Unis veut que son Sommet soit un échec, il n'a qu'à reprendre ce sujet: face à l'URSS, rien n'est plus important que la cohésion euro-américaine sur la question du déploiement. Sinon, c'est l'institution même des Sommets qui perdra toute crédibilité. »



Mercredi 11 mai 1983


Lettre de François Mitterrand à Valéry Giscard d'Estaing :
«A l'approche du Sommet des pays industrialisés qui se tiendra, comme vous le savez, à Williamsburg, les 28, 29 et 30 mai 1983, je recevrai les principaux responsables de notre vie publique.
Dans cet esprit, je crois conforme à l'intérêt national de pouvoir m'entretenir avec vous des questions qui seront débattues lors de cette importante rencontre internationale.
Je demande dès maintenant à M. le Secrétaire général de la Présidence de la République de s'informer de vos convenances auprès de vos collaborateurs. »
François Mitterrand en Conseil des ministres, à propos des États-Unis : « Ils sont prêts à vous prendre tout..., quitte à vous en redonner un petit peu pour que vous puissiez leur payer à dîner. »

C'est décidé, le Président choisit l'Arche, c'est-à-dire le projet d'un architecte danois inconnu, Otto von Spreckelsen, pour la Tête Défense. Les photos-montages établissent qu'elle ne gênera pas la perspective depuis les Champs-Elysées.
Selon Claude Cheysson, diverses sources arabes indiquent que l'OLP cherche à obtenir le report de la Conférence sur la Palestine. Cheysson pense que, dans les jours qui viennent, nous ne « devons pas bouger » à ce sujet et éviter toute démarche et déclaration.


Le président de l'université de Dauphine m'annonce que les étudiants de son université se mettent en grève ce matin. Avant-hier, ils avaient demandé à être reçus par le cabinet du ministre de l'Éducation, qui leur a fait répondre qu'on ne recevait que les représentants des universités en grève ! Ils ont donc tout naturellement décidé de se mettre en grève pour être reçus...

Michel Tournier me reparle du régime fiscal et de la protection sociale des écrivains. Pour l'instant, deux améliorations seulement ont été apportées : la possibilité d'étalement sur cinq ans des revenus et l'exonération d'impôt du montant des prix littéraires. Il souhaite l'extension du droit à l'étalement sur les droits d'auteur eux-mêmes et la possibilité d'exonération fiscale des droits, du vivant de l'auteur, en échange d'un legs à l'État des droits posthumes.
Coup de théâtre : ce matin, lors d'une réunion des quatre directeurs politiques précédant la rencontre des directeurs politiques des Sept, à La Celle-Saint-Cloud, précédant elle-même la réunion des sherpas, le directeur politique américain, Richard Burt, propose qu'une déclaration commune soutenant la position des Américains dans la négociation de Genève soit faite par les Sept à Williamsburg : « Il faut saisir l'occasion de la rencontre des Sept pour témoigner publiquement de la solidarité fondamentale des gouvernements alliés ; la communauté de préoccupations entre les pays de l'Alliance atlantique et le Japon est croissante ; la déclaration pourrait rappeler que l'option zéro est la meilleure solution, souligner la nécessité d'imposer des limites globales à l'armement nucléaire soviétique, exprimer le refus de toute prise en compte des forces tierces, et faire droit aux préoccupations japonaises concernant le transfert des SS 20 vers l'Asie. »
Le représentant britannique approuve ; le directeur allemand aussi ; le directeur français, Jacques Andreani, exprime des réserves, sans doute pas d'une grande fermeté car, dans l'après-midi, devant les directeurs politiques des Sept, l'idée d'une déclaration sur les Forces nucléaires intermédiaires, présentée cette fois par le délégué canadien « à titre personnel » et appuyée aussitôt par l'Américain, est approuvée ! « Le texte soulignerait les points d'accord entre les Sept (exclusion des forces françaises et britanniques, démarche globale incluant l'Asie, option zéro, déploiement en cas d'échec de la négociation). »
Les représentants personnels rejoignent alors les directeurs politiques. Informé, je proteste : «Il était convenu qu'aucun texte ne serait rédigé à l'avance pour le Sommet. Et d'ailleurs, qu'avons-nous à dire en commun ? Chacun de nous est dans une position très différente sur ce sujet. Rien ne serait donc plus désastreux que d'essayer de rédiger un texte et de ne pas y arriver. De plus, il serait très difficile de conserver dans un tel texte une distance à l'égard de la position de négociations des États-Unis alors que nous ne négocions pas. En tout cas, aucun projet ne doit être diffusé avant que les chefs d'Etat et de gouvernement n'aient pris position sur le principe même d'une telle déclaration. » On convient, après trois heures de discussions, qu'il appartient aux chefs d'État et de gouvernement de dire d'ici mercredi prochain s'ils acceptent le principe même de la préparation d'un tel texte. Et, si un projet leur paraît satisfaisant, de l'examiner lors du Sommet.
Je téléphone au Président, qui me confirme : « Un texte commun sur la négociation de Genève où nous ne sommes pas partie prenante est impossible. »




Jeudi 12 mai 1983


La réunion de sherpas continue à La Celle-Saint-Cloud sur les questions économiques. A ma grande surprise, les trois Américains — le sherpa et ses deux adjoints — se montrent très modérés sur le commerce Est/Ouest et très critiques sur leurs propres taux d'intérêt. La déclaration finale du Sommet reprendra la proposition de Conférence monétaire internationale présentée lundi dernier par François Mitterrand. Une annexe énoncera un certain nombre de principes de politique économique, comme cela avait été le cas à Versailles.
Cette amabilité est révélatrice. L'objectif du Sommet a changé : il n'est plus économique, il est stratégique.
Vendredi 13 mai 1983

Dans son éditorial, ce matin sur RTL, Philippe Alexandre déclare : « Tous les hommes influents qui courent à Paris dans le domaine privé et public sont convaincus qu'une nouvelle opération monétaire est inévitable (...). Des socialistes brodent sur le thème suivant : une dévaluation sauvage n'est pas catastrophique, puisqu'elle permet de relancer la production et l'exportation. » La Lettre des Echos reprend un thème identique. Les éditorialistes les mieux informés situent l'origine de ces bruits au sein de la majorité et même du gouvernement. Le débat quasi public sur ce thème est très grave. Il met le franc à la merci de la spéculation et peut ruiner rapidement la marge d'autonomie péniblement reconquise. Il compromet de façon irréversible les chances de succès de la politique économique décidée le 25 mars. Comment mobiliser le pays si la majorité elle-même critique et doute publiquement du succès de ce plan ?


Lundi 16 mai 1983


Interrogé, Claude Cheysson pense lui aussi qu'il vaut mieux éviter toute préparation d'un texte politique avant Williamsburg. On pourrait décider sur place si un tel texte mérite d'être préparé.
François Mitterrand : « Même si nous sommes d'accord sur l'objectif, nous n'avons pas à adopter ni à voter des textes pour une négociation à laquelle nous n'avons pas de part. » Je communique aux Américains la position du Président : pas de texte.

Au Sommet franco-allemand, François Mitterrand et Helmut Kohl s'entendent pour rejeter le principe d'un projet de texte à Williamsburg. Ils ne sont pas hostiles à une discussion sur le contrôle des armements, y compris les Forces nucléaires intermédiaires, à condition qu'il s'agisse d'une libre discussion qui ne soit pas centrée autour d'un projet de texte.

La France reçoit un prêt communautaire de 4 milliards d'écus. Cela stabilise le franc.


François de Grossouvre demande à Michel Vauzelle d'annoncer qu'il se rend au Liban. François Mitterrand : « Non, surtout pas ! »


Mardi 17 mai 1983


Le Président souhaite qu'Édith Cresson vienne au Sommet. Or les ministres du Commerce extérieur des autres pays, y compris des États-Unis, n'y seront pas. Il renonce. Délégation réduite. Retour aux normes.

L'accord des Dix sur les prix agricoles met un terme aux manifestations paysannes. En échange, la Commission propose aux ministres de l'Économie de décider une compensation pour la Grande-Bretagne de 800 millions d'écus en 1983. Là, pas d'accord !
Tchad : remaniement du GUNT à Bardaï. Cheikh Ibn Oumar, président du CDR, y devient « ministre » de la Défense.

Accord israélo-libanais. Gemayel s'est entendu avec Shamir. L'événement passe inaperçu.


Mercredi 18 mai 1983


En Conseil, Claude Cheysson fait passer au Président une note à propos de la négociation sur les Forces nucléaires intermédiaires :
« Quatre principes sur lesquels est fondée l'attitude américaine à Genève ont l'aval de leurs alliés : la seule base d'un accord juste repose sur l'égalité des forces entre les États-Unis et l'Union soviétique ; par conséquent, les forces stratégiques anglaises et françaises ne peuvent être prises en compte dans ces négociations bilatérales ; en outre, les propositions soviétiques qui aboutissent en fait à dévier la menace d'Europe vers l'Asie ne peuvent être prises en considération ; enfin, dans tous les domaines de contrôle des armes, il est indispensable de définir des mesures efficaces pour vérifier l'état des armements. »
Je ne prête pas attention à cette note de bon sens, qui reprend très exactement la proposition de Burt et fournit la base de la négociation d'un texte sur les FNI à Williamsburg, incluant la France dans une négociation globale derrière les États-Unis. Le Président non plus n'y prête pas attention, occupé qu'il est à autre chose : « Une priorité "Famille et natalité" doit être définie », me dit-il en Conseil alors qu'on discute à nouveau du Plan.

Donald Regan présente les positions économiques que les États-Unis défendront à Williamsburg : « Les taux d'intérêt américains ont largement baissé depuis deux ans. Chez certains de nos partenaires, notamment Allemands, une évolution semblable a été enregistrée ; il n'en a pas été de même des taux français et italiens, qui demeurent "du côté élevé ". » Il reconnaît toutefois que les taux d'intérêt américains restent trop forts, mais affirme qu'ils ne sont pas la conséquence du déficit budgétaire américain. Les États-Unis peuvent d'ailleurs, dit-il, s'accommoder de leur déficit budgétaire grâce à la reprise économique et à l'épargne mondiale. Il exclut l'éventualité d'un « affrontement » avec la France à Williamsburg, sans écarter toutefois la possibilité de « discussions animées » avec les Français. La France « est le plus ancien allié des États-Unis », et, d'une manière générale, « les États-Unis ne se battront pas avec leurs invités ». Don Regan déclare être « en plein accord avec le Président de la République française en ce qui concerne la nécessité de préparer "très sérieusement" une éventuelle conférence internationale sur la réforme monétaire ». La situation de la dette du Tiers Monde reste « périlleuse, bien qu'elle ait perdu un peu de son "acuité". De nouveaux problèmes pourraient surgir dans les mois à venir ».


Jeudi 19 mai 1983


Les fûts contenant les restes de dioxine de Seveso, entrés en France en septembre 1982, sont retrouvés dans l'Aisne.
Le directeur général de la Concurrence et des Prix, Claude Jouven, me tient régulièrement informé de l'évolution des prix. L'hypothèse la plus vraisemblable pour cette année est de 8,5 %, au mieux 8,3 %. Cela dépend de la fermeté que les préfets manifesteront dans la lutte contre la fraude, surtout celle des commerçants. Pour l'année prochaine, on peut limiter la hausse à 5 %, moyennant 0 % d'augmentation des salaires, puisque les effets des seuls glissements catégoriels entraîneront une hausse de 5 % de la masse salariale. Les salariés accepteront-ils ?.


Vendredi 20 mai 1983


A Marseille, Georges Marchais estime que « le plan de rigueur est en contradiction avec les objectifs définis en 1981 ».

Indira Gandhi téléphone à François Mitterrand : elle lui demande de la faire inviter au Sommet de Williamsburg comme porte-parole du Sud. Mitterrand s'engage à poser la question à Reagan.

Bonne surprise : Richard Burt, directeur américain des Affaires politiques, fait savoir à Jacques Andreani que les États-Unis renoncent « à faire circuler un projet ou à rechercher plus avant la publication d'une déclaration sur les Forces nucléaires intermédiaires à Williamsburg ». Le danger est écarté. Les Américains ont essayé, puis ont renoncé quand ils ont vu notre résistance. Il n'y aura pas de bataille sur un communiqué.



Samedi 21 mai 1983


Mauvaise surprise : Reagan écrit aux sept participants pour demander que le Sommet de Williamsburg soit l'occasion de l'annonce publique « d'un accord sur les problèmes de sécurité dans la perspective des négociations de Genève » :
« Tout notre effort économique est lié à l'expression et à la préservation de nos valeurs démocratiques communes et de notre sécurité. Parmi les problèmes de sécurité dont nous parlerons, le plus important cette année est peut-être la question des FNI, sur lesquelles, je crois, nous bénéficions d'un accord général. C'est pourquoi j'espère que nous serons en mesure d'exprimer publiquement notre engagement commun persistant de déployer les forces nucléaires de portée intermédiaire à l'automne, tout en poursuivant en même temps et inlassablement la recherche d'accords concrets de contrôle des armements. »

La bataille est lancée à une semaine de Williamsburg ! Ce Sommet va dans le mur...


Avoir fait mentir Jacques Chirac en franchissant le cap des deux ans d'exercice du pouvoir ne suffit pas à Pierre Mauroy. L'inflation va trop vite, et le taux artificiellement élevé du dollar risque de ruiner le plan de rigueur du gouvernement, axé sur la réduction du déficit extérieur. La gauche cherche à acquérir cette « légitimité de gestion » chère à Pierre Mauroy, au-delà de sa légitimité institutionnelle. « Il faut que la présence de la gauche au pouvoir soit "banalisée", me dit-il. Et cette banalisation passe par la démonstration de nos capacités de gestion. »
Lundi 23 mai 1983


Laurent Fabius s'inquiète auprès du Président de l'avenir du Livret d'épargne industrielle. «Je devrais dire feu le Livret d'épargne industrielle, car si on retenait les orientations de Delors, cette innovation serait morte de complications et de détournements avant d'avoir vu le jour ! » Mauvaise foi. Laurent Fabius veut qu'il soit rémunéré au taux de 8 % et que l'épargnant puisse y retirer de l'argent à n'importe quel moment. C'est évidemment impossible, car cela détournerait toute l'épargne du reste du système bancaire. Le Premier ministre et Jacques Delors proposent que ce livret soit rémunéré à 11 % si l'argent y est bloqué pendant sept ans, et à beaucoup moins de 5 % s'il est retiré plus tôt. C'est raisonnable. Mais il faudra aussi éviter que les Finances reprennent à l'Industrie les 5 milliards qu'il va rapporter. On a connu la même manipulation avec le « Fonds grands travaux ».


Jacques Delors est parvenu enfin à un accord avec l'Irak sur le remboursement de la dette. Elisabeth Guigou, qui a assisté à la réunion, informe le Président : « La livraison des Super-Etendard est subordonnée au paiement à bonne date du deuxième acompte sur le contrat BAZ 3, qui n'a toujours pas été réglé. » Jean-Louis Bianco ajoute : « Les Super-Étendard servent à porter les Exocet. Le Premier ministre semble s'être un peu engagé à ce sujet, ce qui me paraît très dangereux. » Le Président écrit en tête de la note : « Observations raisonnables. Je ne veux pas qu'on vende d'Exocet dans une "guerre chaude". »
Le malentendu avec Matignon semble total. Le Président ne veut pas que l'on livre les Super-Étendard, alors que l'assentiment est déjà donné aux Irakiens et que, comme prévu dans le cadre de l'accord de rééchelonnement de la dette, Cheysson et Hernu organisent leur envoi.


Mardi 24 mai 1983


Manifestations d'étudiants au pont Alexandre III, contre la réforme Savary dont la discussion débute à l'Assemblée. François Mitterrand à Defferre: « C'est inadmissible ! Nul ne doit manifester dans le triangle Place Beauvau/Palais-Bourbon/Élysée. »
Impolitesse : à Williamsburg, la mission préparatoire française se voit signifier que la maison « Lightfoot House », qui sera la résidence du Président Mitterrand, ne sera libre de « location » qu'à la veille du Sommet. Totalement aberrant si l'on se souvient des demandes émises par les Américains pour le Sommet de Versailles : ils avaient exigé de disposer de leur résidence au Trianon dix jours à l'avance !




Mercredi 25 mai 1983


Réponse significative du Président à Reagan. Il ne dit mot d'une éventuelle déclaration sur les forces nucléaires dont il n'admet pas qu'elles soient discutées à Williamsburg. Il parle uniquement des relations Nord/Sud :
«Je viens d'avoir une intéressante et surprenante confirmation de l'intérêt du Sommet de Williamsburg. Le Premier ministre de l'Inde m'a appelé au téléphone, comme elle le fait de temps à autre. Elle a parlé de notre Sommet. Elle a réaffirmé en termes nets, modérés, responsables, ce que son peuple et ce que tous les participants au Sommet qu'elle a récemment présidé à la Nouvelle Delhi en attendent. J'ai trouvé un encouragement dans l'appel que cette remarquable personnalité semblait ainsi lancer aux grandes démocraties industrielles au nom des plus pauvres, des plus gravement frappés par la crise. Aussi n'ai-je pas été surpris qu'à la fin de l'entretien, Mme Gandhi émette une proposition étonnante et en tout cas nouvelle : celle de venir à Williamsburg s'entretenir avec nous au terme de nos travaux.
Je lui ai dit bien entendu que je me tournerai vers vous qui serez notre hôte. Mais je n'ai pas dissimulé l'intérêt qu'avait à mes yeux cette suggestion. Que l'Inde, dont le non-alignement est si souvent invoqué, que ce très grand pays asiatique, voisin de l'Union soviétique, actuellement président d'un mouvement mondial qui rassemble plus d'un milliard d'habitants, souhaite s'entretenir avec les Sept de notre Sommet, me semble important sur le plan politique, utile sur le plan économique.
Je vous laisse juge, bien sûr, mais suis à votre disposition pour m'en entretenir avec vous, soit dans une conversation téléphonique, soit en recourant au télégraphe dans des conditions de secret comparables à celles qui entourent l'envoi du présent message.
Il est évident que toute indiscrétion à ce stade aurait des conséquences déplorables ; aussi n'ai-je informé que des collaborateurs très peu nombreux et très sûrs.
D'avance, je me réjouis de la reprise très prochaine d'un contact personnel avec vous, auquel j'ai toujours attaché la plus grande importance. »
Préparant Williamsburg, le Président s'étonne de la situation économique du Royaume-Uni : une hausse des prix de 4,6 %, le plus faible taux depuis 1968 ; grâce à ses exportations pétrolières, un excédent commercial de 2,2 milliards de livres. L'embellie risque cependant de n'être qu'assez brève, et Margaret Thatcher a raison d'appeler les Britanniques aux urnes dès le 9 juin prochain.


Jeudi 26 mai 1983


Deux documents sont signés par le ministre de la Défense : l'un décidant de prélever cinq Super-Étendard sur les réserves de la marine nationale pour une durée de deux ans ; l'autre approuvant le contrat « Milan » entre la société Dassault et les autorités irakiennes, avenant au contrat BAZ 3 de janvier 1982 et organisant le prêt des avions. Le Président, furieux, a laissé faire : trop tard pour revenir sur la parole du gouvernement.

Valéry Giscard d'Estaing a accepté l'invitation de François Mitterrand à venir parler de Williamsburg. Mais l'ancien Président fait ensuite une déclaration très polémique : « Pour que les propositions de la France puissent être prises au sérieux et ne se retournent pas contre elle, nous avons besoin d'une économie vigoureuse et d'une monnaie solide. Quant à moi, je me consacre à la préparation du projet de cette société juste et paisible qui sera seule capable de répondre à l'attente et à l'espoir des Français. »
François Mitterrand : « Il faut qu'on réponde brutalement. Notamment sur l'image de la France dans le monde. Rappeler Varsovie, le silence sur l'Afghanistan, l'annonce à Venise d'un retrait soviétique, la brouille avec l'Algérie, le silence sur l'Amérique centrale, etc. Jospin et/ou Mermaz pourraient le faire. Dans la soirée. Pour que cela soit dans la presse de lundi. Sinon, ce sera du réchauffé ! »

Claude Marti, le conseiller publicitaire de Michel Rocard, suggère à François de Closets de travailler à la préparation d'un « Enjeu » avec le Président pour le mois de juin. De Closets serait heureux de le faire, mais ne sait pas si Claude Marti est effectivement mandaté pour le proposer. Pour sa part, il préférerait d'ailleurs que cette émission ait lieu en septembre. Réponse du Président : « C'est une bonne idée ; faisons-la en septembre. »

Les prévisions annoncent un équilibre de la Sécurité sociale en 1983 ; mais en 1984, comme les dépenses-maladie croîtront à un rythme de 4 %, soit quatre fois plus que les recettes, le déficit serait de 20 à 30 milliards.



Vendredi 27 mai 1983


Ronald Reagan refuse d'inviter Indira Gandhi à Williamsburg. Motif : « un autre pays » aurait aussi demandé, en vain, à venir...
« A une date aussi tardive, il serait très difficile d'obtenir l'accord de nos collègues pour ajouter un autre invité à cette réunion du prochain week-end. Comme vous le savez, un autre pays a récemment demandé à être admis et, après une période de discussion, il a été rejeté par les autres. »

Un « autre pays » ? Première nouvelle ! Cela pourrait être l'Australie, qui aurait fait part d'un tel souhait aux Américains, lesquels ne nous ont jamais transmis cette demande. A moins qu'il ne s'agisse de la Grèce, qui aurait été présente au Sommet... s'il avait eu lieu en juillet !



Samedi 28 mai 1983


A la veille du Sommet, pavé dans la mare : Andropov menace d'installer des missiles nucléaires chez ses alliés d'Europe. Le déploiement occidental « obligera l'Union soviétique à revenir sur sa décision, prise l'année dernière, concernant un moratoire unilatéral sur le déploiement des armes à moyenne portée dans la zone européenne. Il deviendrait par ailleurs nécessaire d'appliquer, de concert avec les autres États membres du Pacte de Varsovie, d'autres mesures en vue du déploiement de moyens supplémentaires pour créer un contre-poids indispensable au groupement croissant de moyens nucléaires de stationnement avancé des États-Unis en Europe et des armements nucléaires des autres pays de l'OTAN. [Autrement dit, des fusées à courte portée SS 20 et 23 en RDA.] On serait également amené à appliquer, en réponse, les mesures requises visant le territoire des États-Unis mêmes. » La déclaration annonce le « déploiement de nouveaux systèmes stratégiques appropriés » pour faire pièce aux « importants programmes de moyens sophistiqués » lancés par Reagan. Le document confirme qu'aucun accord à propos des armements européens n'est possible à Genève sur la base des propositions occidentales actuelles, qui sont « par avance inacceptables ».
Récapitulons : à l'heure actuelle, il existe 351 SS 20, dont 234 dirigés contre l'Europe, (189 depuis l'est de l'Oural). Avec les 45 bombardiers Backfire soviétiques, ils ne font que compenser, disent les Russes, les bombardiers américains (F111, F4, A6, A7), les 94 missiles français et les 64 missiles britanniques.

Dans l'avion qui nous conduit à Williamsburg, François Mitterrand : « Il faudra éviter que Reagan veuille faire de ce Sommet un moyen de nous empêcher de vendre nos produits industriels à l'URSS, alors que lui y vend son blé. »

Avant le dîner, Helmut Kohl indique à François Mitterrand qu'il ne peut plus refuser à Reagan de rédiger une déclaration commune sur les Forces nucléaires intermédiaires, en raison de la déclaration d'Andropov de ce matin.

Burt me montre les notes qu'il a préparées pour Reagan. Il s'agit d'un projet de déclaration en cinq points, toujours le même : nécessité de l'équilibre des forces ; recherche d'une élimination complète des forces nucléaires (option zéro) ; démarche globale pour satisfaire le Japon ; exclusion des forces françaises et britanniques ; déploiement en cas d'échec de la négociation.

Au dîner à la plantation Carter's Grove, le Président échange quelques mots avec un cuisinier originaire de Louisiane. Celui-ci parle acadien — une langue proche du vieux français et qui n'a quasiment pas évolué depuis le XVIIe siècle — et américain tout à la fois. Il explique que son père ne parle pas l'américain. Un orchestre de jazz joue à l'intention des convives des airs des années 30.
Au cours du dîner, Margaret Thatcher propose une déclaration sur les Forces nucléaires intermédiaires. Elle reprend l'enchaînement exact des arguments et propositions de Burt... Reagan approuve et propose qu'au cours de leur réunion de demain matin, les ministres des Affaires étrangères préparent et discutent d'une telle déclaration. François Mitterrand est contre, mais Reagan passe outre et donne la parole au Président français... sur le Moyen-Orient !
On apprendra plus tard que Reagan, avant de se coucher, visionne une fois de plus La Mélodie du bonheur, son film préféré.



Dimanche 29 mai 1983


Pendant que, dans la bibliothèque de l'Université, conformément au programme établi, les chefs d'État et de gouvernement discutent seuls, avec les sherpas, des problèmes économiques généraux, les ministres des Affaires étrangères, accompagnés des directeurs politiques, discutent, sur la base d'un projet américain, d'un texte possible sur les Forces nucléaires de moyenne portée. Après avoir rappelé l'attachement des pays participants à la fois à la sécurité et à la réduction des armements, et avoir mentionné les propositions faites en matière de désarmement par l'« alliance occidentale », le projet américain s'étend de façon détaillée sur le déploiement des SS 20 et appelle l'Union soviétique à répondre favorablement aux propositions américaines à Genève, à savoir l'option zéro ou, à défaut, l'option intermédiaire. Il affirme que « les forces de dissuasion des pays tiers n'ont pas leur place dans les négociations de Genève ». Il rappelle que les pays participants au Sommet sont « unis dans ces négociations, qu'ils continuent à se consulter entre eux à ce sujet », et il affirme « que leur sécurité est indivisible ». Il précise enfin que si « un accord ne pouvait être obtenu d'ici la fin de 1983 sur l'élimination totale des SS 20, les armes américaines seraient déployées conformément à la décision de décembre 1979 ».
Texte catastrophique, qui nous implique dans la discussion entre les deux Grands et ne peut qu'aboutir à la prise en compte des forces françaises dans le désarmement. Si ce texte est agréé, c'en est fini de l'indépendance nucléaire de la France.
Cheysson accepte d'entrer dans la négociation : « Notre pays pourrait souscrire à une déclaration à caractère général sur la nécessité de l'équilibre des forces et sur l'attachement des pays occidentaux à la réduction des armements. Mais on ne saurait lui demander ni de se référer aux décisions prises par les pays membres de la structure intégrée de l'OTAN, ni d'appuyer les diverses options de négociation mises en avant à Genève. » Le ministre canadien élève quant à lui des objections contre le passage du projet excluant la prise en compte des forces de pays tiers.
Vers 11 heures, un projet commun est mis au point entre les ministres, faisant disparaître un certain nombre d'éléments (mention des propositions de désarmement faites par « l'Alliance atlantique », affirmation que les pays du Sommet ont été « unis dans les négociations »). Mais le projet de texte demeure pour nous absolument exécrable : il entérine l'inclusion du Japon au sein de l'Alliance et prend parti pour l'option zéro : « Ainsi, nous en appelons à l'Union soviétique pour qu'elle réponde sérieusement aux propositions constructives qui ont été mises en avant. Dans le domaine des FNI en particulier, des déploiements continus de missiles SS 20 jusqu'au niveau actuel de 351 ont porté la menace soviétique à un niveau supérieur à celui atteint en 1979, au moment où l'OTAN a adopté sa décision sur le contrôle des armements nucléaires à portée intermédiaire et leur modernisation. Nous en appelons à l'Union soviétique pour qu'elle réponde de façon constructive dans les négociations FNI aux deux propositions américaines actuellement sur la table : pour l'élimination d'une classe entière de missiles à moyenne portée ; ou, sinon, pour un accord intérimaire établissant des limites globales sur un nombre égal de têtes nucléaires américaines et soviétiques. »
Les ministres viennent nous rejoindre en séance restreinte avec ce texte. Dans la petite salle, seuls les chefs de délégation sont assis à la table ovale recouverte de cuir vert. A une extrémité Ronald Reagan, à l'autre François Mitterrand. Les sherpas se tiennent en retrait. On ajoute des chaises, derrière eux, pour les ministres. L'ambiance est très tendue. François Mitterrand est acculé à l'affrontement franco-américain que, depuis six mois, il cherche à éviter. Il me souffle : «Cheysson, avec sa passion du compromis, mène la France à l'abandon. Si je n'arrête pas ce texte, la France n'aura plus l'arme nucléaire dans dix ans. »
Je sors prévenir le conseiller pour la Sécurité, le juge Clark, que le texte comprend une série de choix inacceptables pour la France et que nous ne le signerons pas tel qu'il est. Il hausse les épaules et me tourne le dos : « Vous signerez. »
Une scène terrible commence alors. François Mitterrand parle le premier, calmement. Il décortique le texte et refuse catégoriquement «de s'associer à des formulations détaillées qui l'engageraient à appuyer de façon précise les propositions faites par les Etats-Unis à Genève ». Il refuse « toute référence directe dans ce document aux décisions prises par les pays de l'OTAN ». Il n'accepte d'en parler que sous une forme descriptive. D'autre part, il ne veut pas que l'on mentionne l'option zéro. Il propose d'ajouter la phrase : « Nous ne ferons jamais usage de nos armes si ce n'est en réponse à une agression. » Bref, pas question de reprendre quoi que ce soit du projet à notre compte.
La tension est grande. Jamais le texte ne sera prêt à midi, comme il a été annoncé. Reagan voit son Sommet lui échapper. Il tape du poing sur la table pendant que François Mitterrand intervient à plusieurs reprises, posément et fortement ; puis, emporté par la colère, Reagan jette ses propres papiers loin devant lui.


Reagan maintient sa proposition de commencer par une phrase disant : « L'Alliance occidentale a avancé des propositions pour parvenir à des résultats positifs dans les différentes négociations internationales. » François Mitterrand propose de la remplacer par : « Des propositions ont été avancées du côté occidental pour parvenir... » C'est accepté. C'est d'ailleurs le seul moyen de parvenir à un accord. Pour nous, l'essentiel est sauf : nous ne sommes pas impliqués par ce qui se négocie à Genève.
Le paragraphe concernant les perspectives d'aboutissement des négociations et la nécessité du déploiement donne lieu à des discussions extrêmement serrées, notamment entre Ronald Reagan et Margaret Thatcher d'un côté, les Allemands de l'autre. On bataille trois heures durant pour changer la phrase : « Nous en appelons à l'Union soviétique pour qu'elle réponde de façon constructive dans les négociations sur les Forces nucléaires intermédiaires pour l'élimination d'une classe entière de missiles à moyenne portée... ou, sinon, pour un accord intérimaire établissant des limites globales sur un nombre égal de têtes nucléaires américaines et soviétiques. » Trudeau met en cause la volonté des Américains de négocier sérieusement à Genève. Kohl, comme Mitterrand et Trudeau, n'estime pas nécessaire de rappeler que seul un aboutissement fondé sur l'option zéro pourrait éviter des déploiements. Il lui paraît suffisant de dire que les déploiements auraient lieu en l'absence d'un aboutissement satisfaisant des négociations. Le Président français refuse tout texte qui donnerait le sentiment que la France endosse la position américaine sur l'option zéro. Le texte devient : « Dans le domaine des Forces intermédiaires en particulier, nous appelons l'Union soviétique à contribuer de façon constructive au succès des négociations. » Là encore, la formulation nous convient.
On passe à la question des forces tierces. Le texte des ministres est : « Nous sommes d'accord sur l'idée que les forces de dissuasion stratégiques des pays tiers n'ont pas leur place dans ces négociations. L'effort des Soviétiques pour inclure les forces de pays tiers est un effort visant à diviser l'Occident, et il faut y résister. » Il devient : « Les tentatives pour diviser l'Occident en proposant l'inclusion des forces de pays tiers, y compris celles de la France et du Royaume-Uni, sont également vouées à l'échec. Ces forces n'ont pas leur place dans la négociation. » Compromis qui préserve notre indépendance.
Il est 14 h 30. Kohl, qui veut éviter la catastrophe, aide François Mitterrand du mieux qu'il peut. Le Président propose de remplacer partout le « nous » par « chacun de nous », afin de souligner l'indépendance de la décision nationale. Reagan, qui ne mesure pas l'enjeu, cède tout de suite. Derrière lui, Shultz s'agite. L'essentiel est gagné.

Après un bref déjeuner, la discussion reprend vers 16 heures, en séance plénière, dans la grande salle où nous ont rejoints les ministres des Finances. On continue pourtant de parler du communiqué politique. Reagan court au désastre : le texte devait être agréé avant le déjeuner et diffusé alors à la presse.
Helmut Kohl et Margaret Thatcher cherchent à présent à venir en aide à Reagan. Trudeau, lui, soutient le Président français, au grand dam des Américains. Sourd à tout appel au compromis, François Mitterrand continue de détruire le texte mot après mot. On passe au paragraphe relatif aux fusées installées en Asie. Pour les Japonais, le problème des SS 20 n'est pas résolu s'il ne l'est qu'en Europe, car elles peuvent se déplacer rapidement d'ouest en est. Les ministres ont proposé : « Nos nations sont unies dans ces négociations. » François Mitterrand : « L'Alliance atlantique n'est pas universelle. Je n'accepte cette phrase que si la solidarité entre l'Alliance et le Japon ne porte que sur les seuls SS 20. » Le texte final dit : « Nos nations sont unies dans leurs efforts pour la réduction des armements...» Voilà qui, à l'évidence, ne nous gêne en rien.
La suite dit : «... et elles continueront à procéder à des consultations détaillées et intenses. La sécurité de nos pays est indivisible et doit être envisagée sur une base globale. Les tentatives pour éviter de négocier sérieusement en cherchant à influencer les opinions publiques sont vouées à l'échec ».
François Mitterrand hésite : « Globale, indivisible... ça fait beaucoup ! »
Le texte est accepté malgré les réticences du Président français qui n'accepte que dans la mesure où il ne vise que les Forces nucléaires intermédiaires.
On passe enfin au dernier point délicat : la double décision. Le texte des ministres dit : « Si un accord ne peut être atteint cette année sur l'élimination complète des fusées intermédiaires, les armes américaines seront déployées en Europe, conformément à la décision de décembre 1979, en vue de répondre aux SS 20 déjà déployés. » Donc, s'il n'y a pas accord sur l'élimination complète — option zéro —, les armes américaines seront déployées. Encore moins acceptable ! François Mitterrand a toujours dit que l'option zéro n'était pas la seule base d'accord possible. Un tel paragraphe réduirait à néant le discours au Bundestag. Le Président est blême. Cheysson se tient coi : jamais ce texte n'aurait dû arriver sur la table. Nouvelle suspension de séance à 17 heures.


Le Chancelier Kohl et Margaret Thatcher voient l'un et l'autre séparément François Mitterrand et se disent prêts l'un et l'autre à n'importe quoi pour que la France signe la déclaration. Le Président de la République : « Tout ce qui donne l'impression que la France est associée à une décision de commandement intégré de l'OTAN est inacceptable. »
Clark vient me parler dans le brouhaha. (J'apprendrai plus tard que cette démarche a été préparée soigneusement par les Américains et que Shultz comme Reagan l'ont exigée.) Il me dit : « Nous allons à un clash. Vous ne signerez pas, nous allons rompre tous les ponts avec vous. Le Président Reagan interrompra immédiatement tous nos échanges militaires avec la France, en particulier dans le domaine nucléaire. »
J'hésite. Le dire au Président ? Sa réaction à ce chantage est assurée : rupture immédiate de la négociation, et la plus grave crise franco-américaine depuis la sortie du commandement intégré de l'OTAN. Je décide de ne pas le lui dire tout de suite, pour préserver les chances d'un compromis.


La séance reprend. François Mitterrand propose sur la double décision une phrase tirée de son discours devant le Bundestag : « Nos nations souhaitent ardemment qu'un accord FNI équilibré soit atteint d'ici peu. Dans ce cas, la négociation déterminera le niveau auquel se situeront les déploiements. On sait que, s'il en va autrement, les pays concernés procéderont aux déploiements prévus des systèmes américains en Europe à la fin de l'année 1983. Le « on sait» marque la distance entre les Sept, qui constatent le caractère inéluctable de la décision prévue, et ceux d'entre eux qui prendront cette décision. Et l'option zéro a disparu...
Margaret Thatcher demande qu'à la place de « on sait que », il soit écrit : « on doit prendre garde ». Dans un échange avec le Président des Etats-Unis qui évoque la bataille de Yorktown pour en appeler à la solidarité, elle dit : « Cher ami, nous avions à l'époque un très mauvais Premier ministre. Avec moi, cela ne se serait pas passé comme cela ! » Le « on sait que » est maintenu ; le texte devient descriptif ; c'est une constatation, pas un programme.
Le texte est rendu public à 18 heures. Mais, alors que le texte des ministres sur lequel nous avions discuté était intitulé « Déclaration sur les FNI», le texte final publié parle de « déclaration » tout court. Escroquerie : on ne nous en a même pas parlé. Or, cela donne un tout autre sens aux adjectifs « globale » et « indivisible ». Chacun est fatigué ; la discussion laissera des traces : entre Mitterrand et Reagan, entre Reagan et Trudeau.

Commence alors la discussion économique. Les Américains restent fidèles à leurs thèses, mais acceptent qu'on ajoute certains éléments nouveaux, notamment dans le domaine monétaire, à ce qui avait été prévu à Versailles. Sur les questions commerciales, ils demandent la réunion d'une nouvelle conférence ministérielle du GATT, le démantèlement de nos aides à la recherche et à la technologie de pointe, de la politique agricole commune et du protectionnisme de l'Europe à l'égard des produits du Sud, principale cause, selon eux, du sous-développement. Les Européens s'y refusent.
Les Américains reviennent aussi sur les relations économiques Est/Ouest : ils demandent le renforcement des moyens du COCOM, l'allongement de la liste des produits sous embargo, la limitation quantitative de nos importations d'énergie en provenance de l'Est.
Négociation du communiqué dans la nuit entre sherpas. Il parle de reprise et de convergence des politiques économiques. En général, quand on parle de « convergence des politiques », on comprend cette phrase comme « la France s'aligne sur les autres ». C'est pourquoi je tiens à ce qu'on explique dans le texte sur quoi cette convergence doit se faire : lutte contre l'inflation, lutte contre le chômage et croissance continue. Je n'obtiens rien en ce qui concerne les garanties des prix des matières premières des pays du Sud. Mais il est indiqué qu'un effort sera accompli en ce qui concerne le développement des ressources énergétiques des pays non pétroliers. La notion d'autosuffisance agricole est également mise en avant.
Enfin, dans le paragraphe monétaire, nous obtenons qu'on s'oriente vers un peu plus d'ordre sur le marché des changes. La discussion se cristallise sur la question de savoir si l'on parlera ou non d'une conférence monétaire internationale, qu'a demandée François Mitterrand à l'OCDE. Il y a une proposition américaine et une proposition française. La proposition américaine dit : « Nous avons aussi discuté de propositions relatives à l'amélioration du Système monétaire international; nous sommes convenus de poursuivre nos consultations sur ces propositions et nous avons demandé à nos ministres des Finances, en liaison avec le directeur du FMI, de les prendre en considération au fur et à mesure qu'ils avanceront dans la recherche d'une plus grande convergence des résultats économiques. » Le texte français dit : « Nous avons convié les ministres des Finances, en liaison avec le directeur général du FMI, à définir les conditions d'amélioration du système monétaire international et à prendre en considération le rôle que pourrait jouer, le moment venu, dans ce processus, une conférence monétaire internationale de haut niveau. »
Allemands, Italiens, Anglais et Canadiens se prononcent en faveur du texte français. Les Japonais sont plutôt partisans du texte américain, puis se rallient. En définitive, les Américains acceptent de mauvais gré notre texte. Depuis ce jour, le directeur général du FMI est convié aux réunions des ministres des Finances du « G7 ». Les institutions sont associées au directoire des Grands. Fin de la discussion des sherpas à 7 heures du matin. Il me reste encore à traduire le texte en français.


Lundi 30 mai 1983


La séance reprend à 9 heures. Les chefs d'Etat et de gouvernement relisent le communiqué. Pas de problèmes. Une fois la discussion du communiqué terminée, on parle en grand secret de la dette du Tiers Monde, devenue très inquiétante. Tour de table sans conclusion. La séance est levée.

Conférences de presse. Un flash explose devant Reagan qui a un réflexe drôle : « Ils m'ont manqué ! » Il ne cache pas sa satisfaction : « Nous avons tous une vision plus réaliste de l'URSS. » Il affirme aussi que dans la rencontre des Sept, il n'y a eu « ni vainqueurs, ni vaincus », mais que le cours élevé du dollar est avant tout « le résultat de notre lutte réussie contre l'inflation » ; il parle enfin de sa vision globale de l'Alliance. A l'inverse, le Président français souligne : « La déclaration de Williamsburg contient une phrase sur le caractère global et indivisible [de la sécurité de nos pays], mais ce texte ne concerne que les Forces nucléaires intermédiaires. »


François Mitterrand rencontre Margaret Thatcher. Elle est préoccupée par ses élections législatives anticipées du 9 juin prochain. Sur la question de la contribution britannique, elle tire du dernier Conseil européen à Bruxelles la conviction que ses partenaires ont déjà accepté le principe d'une « solution » pour 1983, alors que, pour nous, ce Conseil a seulement établi un lien étroit avec la question générale des ressources propres communautaires. Nous ne pouvons accepter une situation où, dès la fin de 1983, pour cause de restrictions budgétaires, le chèque à la Grande-Bretagne passerait avant le financement de la Politique agricole commune.

Dans l'avion du retour, cette nuit, François Mitterrand me demande de rédiger un texte comparant le premier projet américain de déclaration sur les FNI avec le texte final, afin de le communiquer à Mauroy, Jospin et Marchais. Il craint une rupture avec les communistes là-dessus. Il enrage de ce que les journalistes ne reconnaissent pas que le titre de la déclaration (« sur les FNI ») limite la portée des mots « indivisible et globale ». Jamais il n'aura de mots plus terribles sur un de ses ministres qu'au cours de cette nuit-ci.

Cela ne pouvait manquer : violente attaque de Moscou contre l'accord de Williamsburg. La Pravda oppose les trois anciens Présidents de la Ve République — qui refusaient de participer à des discussions sur la politique militaire de l'OTAN — au Président Mitterrand qui «non seulement a adhéré à cette problématique militaire, mais a signé une déclaration commune soutenant la position militariste » du gouvernement américain. La France s'est « plus étroitement liée » à la stratégie militaire de l'OTAN et a « biffé tous les prétextes » qu'elle invoque d'ordinaire pour refuser la prise en compte de ses forces à Genève. C'est, de la part de la France, un « grave mécompte » que d'avoir permis cette « facile victoire » des États-Unis, qui d'ailleurs n'en espéraient pas tant.
A Paris, l'opposition se déchaîne contre «l'alignement de la France sur les États-Unis ». Le Bureau politique du Parti communiste français publie un « appel solennel » : « Ouvrons la négociation de Genève à tous les gouvernements européens. »

Claude Cheysson écrit au chef de l'État :
« La priorité des priorités pour les Soviétiques et leurs amis est d'éviter l'installation des Pershing ; je commence même à ne plus comprendre pourquoi cela est si grave à leurs yeux ; ils montrent enfin que, contrairement à mon avis d'il y a huit jours, il était bon de faire une déclaration à Williamsburg, ce que je n'avais pas vu auparavant. »

Toujours à contretemps...


Mardi 31 mai 1983


Deux policiers en tenue, Émile Gondri et Claude Caiola, sont abattus avenue Trudaine par des inconnus qu'on identifiera plus tard comme membres d'Action Directe. Explosion de colère de la police contre Robert Badinter et Gaston Defferre.


Coïncidence fâcheuse : la loi « Sécurité et Liberté » est définitivement abrogée aujourd'hui.


Mercredi 1er juin 1983

En Conseil des ministres, François Mitterrand fait un exposé sur les Pershing et sur l'économie : « Il se trouve que la réalité nous trompe toujours et vient modifier ce que nous avions prévu. »


Jeudi 2 juin 1983

Élection de Léopold Sédar Senghor à l'Académie française. La manœuvre de Soustelle a échoué.


Déjeuner avec Ratsiraka, le Président malgache qui raconte comment il fut éliminé autrefois de l'École navale pour mauvaises notes. Autorisé par François Mitterrand à consulter son dossier, il découvre qu'elles étaient au contraire excellentes ! La fiche de notation avait été truquée...

François Mitterrand sur son enfance : « Mon premier vrai chagrin, je l'ai eu à quatorze ans lors de la vente de la propriété de mes grands-parents : Touvent, en Charente. Puis, peu après, ce fut le décès de ma grand-mère. Mon enfance basculait. Jusque-là, j'avais eu de la chance. Et pourtant, on n'était pas élevé dans du coton ! J'allais où je voulais. Il était seulement interdit d'aller dans la rivière sans savoir nager. J'ai découvert un gué avec mes frères, ce qui prouve que je n'étais pas obéissant. Personne ne venait nous surveiller. Nous avions une très grande liberté dans un environnement moral très strict. Tous les dimanches, il y avait la messe. Après la messe, un déjeuner où les notables étaient invités ; j'ai appris le latin avec le curé. Ces obligations prenaient peu de temps. J'aimais autant l'hiver que l'été. Chaque saison était belle. J'ai vécu surtout avec mes grands-parents. Les enfants se partageaient entre parents et grands-parents. »



Vendredi 3 juin 1983

Helmut Schmidt est à Latché. Il brosse un tableau particulièrement pessimiste de la situation mondiale : « A cause des taux d'intérêt élevés aux États-Unis, ce sont 2 milliards de dollars qui partent chaque mois, dont 0,5 à 1 milliard de dollars du Japon et de RFA, pour aller se placer aux États-Unis. Des quantités considérables de capitaux sont ainsi stérilisées à New York, alors que le Tiers Monde et les autres pays industrialisés en auraient besoin pour procéder aux investissements productifs nécessaires pour sortir de la crise. Au lieu de cela, des capitaux servent à des fins spéculatives ou financent le déficit budgétaire américain, et donc l'effort de réarmement de l'Administration Reagan. »

Après la fusillade de l'avenue Trudaine, deux mille policiers manifestent de la préfecture de police jusqu'à la place Vendôme en criant « Badinter en prison ! » et « Defferre, t'es foutu! ». Jean-Marie Le Pen est à leur tête. Cinq cents d'entre eux parviennent jusqu'à la Présidence de la République et la Place Beauvau. C'est sans précédent depuis le 13 mai 1958.
François Mitterrand a cette obsession depuis le premier jour : protéger le « triangle sacré ». Furieux, il demande à Pierre Mauroy, par téléphone, le renvoi du préfet de police, Périer, et celui du directeur général de la Police nationale, Cousseran. Il rentre à Paris dans la soirée, convoque Defferre qui lui remet sa démission, de même que Franceschi. Il les refuse, l'une et l'autre.

Le Dr Augoyard, qui avait été condamné le 13 mars dernier à Kaboul à huit ans de prison, est gracié et libéré.



Samedi 4 juin 1983

Jacques Chirac fait savoir au Président que l'Exposition universelle sera difficile à mettre sur pied à Paris. Jack Lang pense qu'il faut persister.



Dimanche 5 juin 1983

François Mitterrand me reparle du projet de programme gouvernemental sur lequel je travaille : « Une thèse doit être ébauchée pour donner un contenu au concept de "modernisation". En quoi la modernisation peut-elle être, doit-elle être un facteur de plus de liberté ? Ce qui lui donne le sens qui aujourd'hui lui manque. Avoir un texte court sur des objectifs qui réunissent tout le monde, un texte politique. »
C'est pour septembre, maintenant, me demande-t-il.
Lundi 6 juin 1983

Le Président étudie la situation au Tchad : « J'aimerais avoir une fiche brève et précise sur : la population du Tchad dans la zone tenue par la Libye. Peut-on qualifier cette zone de "désert du BET" ? Combien y a-t-il d'oasis dans cette zone ? La population du Tchad sous contrôle de la France et de Hissène Habré ? Quel est le pourcentage de la production du sol et du sous-sol entre les deux zones ? Une autre fiche sur : les accords de 1976 ; le contenu de l'accord qui liait la France au Tchad avant 1976. »


Le nouveau Premier ministre luxembourgeois, Jacques Santer, accepte de laisser tomber le projet de satellite américain Coronet de son prédécesseur s'il obtient deux canaux sur les satellites TDF. Pas mal.




Mardi 7 juin 1983

Doumeng me prévient qu'il va annoncer la création d'une usine offrant 500 emplois en Lorraine. «Ces emplois seront créés dans l'année », me jure-t-il.


Mercredi 8 juin 1983

Le Président fait le point en Conseil des ministres sur les questions stratégiques après Williamsburg : « La négociation ne réussira pas sur la base des propositions émises jusqu'alors par les autorités soviétiques, et pas davantage par l'option zéro proposée par Reagan, c'est-à-dire par la liquidation immédiate, intégrale et préalable de l'armement soviétique. Donc, cette négociation n'aboutira pas. Elle aurait pu aboutir. Des propositions ont été émises par les principaux négociateurs, Nitze, l'Américain, et Kvitsinski, le Russe, l'année dernière au mois de mai, sur une base assez raisonnable. Cela n'a été accepté par aucun des deux gouvernements. La négociation est à l'heure actuelle pratiquement arrêtée, et on avance vers le mois de décembre où les Américains ont dit qu'ils installeraient en Allemagne les fusées Pershing qui, elles, sont également terribles et menaçantes. »
Regardant Fiterman, il ajoute : « En tout cas, elles sont ressenties comme une menace par l'Union soviétique, et c'est en raison de cette perspective que les communistes français critiquent la position du gouvernement. Je ne sais pas exactement ce qu'ils critiquent. Ou plutôt, je ne sais pas s'ils critiquent la position que j'ai prise, ou qu'ils pensent que j'ai prise, à Williamsburg, car ils n'avaient pas élevé d'objections au discours que j'avais prononcé à Bonn sur ce même sujet devant le Bundestag. Mais je n'ai pas changé de politique ! Je dis simplement : il n'est pas possible que la France, il n'est pas possible que l'Europe de l'Ouest restent désarmées, restent à ce point au-dessous de l'armement soviétique, puisque, d'un côté, il y a un armement, de l'autre côté, il n'y en a pas — je veux parler des Forces nucléaires intermédiaires. »
Puis, sur le Sommet lui-même : « Williamsburg n'a pas répondu à l'attente de ces millions de travailleurs réunis dans les syndicats, notamment les syndicats européens, qui attendaient des propositions pour la défense de l'emploi, l'organisation et le partage du travail. Williamsburg n'a pas répondu à l'attente des pays du Tiers Monde qui escomptaient autre chose : permettre aux termes de l'échange de se redresser, ne pas être écrasés, notamment sous le poids du dollar, tant sont aujourd'hui endettés ces pays qui composent le Tiers Monde. Williamsburg n'a pas répondu à l'attente de tous les pays du monde qui souffrent du cours du dollar, qui souffrent des taux d'intérêt élevés de l'argent aux Etats-Unis d'Amérique et donc du déficit américain qu'ils paient d'une certaine façon. Williamsburg n'est pas allé bien loin dans la direction de la Conférence monétaire internationale que j'ai moi-même souhaitée. Alors, j'ai des doutes sur l'utilité de ces Sommets annuels, du moins sous leur forme actuelle. »

Pierre Verbrugghe est nommé directeur général de la Police nationale, et Guy Fougier, préfet de police.

Au déjeuner du mercredi, François Mitterrand à propos de la crise monétaire de mars : « Nous ne sommes pas Wilson ; l'économie nous a rattrapés. Ou alors, on fait ce qu'a fait Lénine ? Pas question, évidemment. Cette crise fut cataclysmique. Je ne veux plus me retrouver dans cette situation. »
Laurent Fabius : « Si le Parti socialiste est contre les choix de mars, il se marginalisera. On doit discuter entre nous, mais pas devant l'opinion. »


Jeudi 9 juin 1983

Confidence de François Mitterrand dans le parc de l'Élysée : «J'ai eu une enfance heureuse. Je n'avais pas d'amis de mon âge. Cela ne m'a pas laissé de nostalgie. Mon enfance a illuminé ma vie. Mes parents étaient attentifs et libres. Ils ne nous imposaient pas une pensée, mais une discipline de vie. Nous étions huit enfants, plus deux cousins germains, tous élevés ensemble. Un environnement toujours vivant où je pouvais, car j'en avais le goût, conquérir mes moments de solitude. Je n'étais pas dans une caravane bruyante. De plus, jusqu'à quatorze ans, j'ai vécu à la campagne, dans une maison située à trois kilomètres du premier village, sur un coteau dominant un vaste paysage. J'étais seul et je me grisais de sensations au contact du vent, de l'air, de l'eau, des chemins, des animaux. Cela m'a donné une sorte de philosophie. J'étais déjà capable de deviner que dans le silex du chemin, il y avait une énergie cachée. J'ai eu aussi une conscience profonde de la nature, et une relation avec la campagne, les fermiers. J'allais d'émerveillement en émerveillement. Je n'ai jamais été ni froissé ni brutalisé dans cette première saison de la vie. J'aurais pu devenir angélique. C'était un danger. Mais, à neuf ans, je suis entré au collège. Je ne revenais chez moi qu'une fois tous les trois mois. Je me levais à 6 heures et j'ai dû apprendre à vivre dans le froid. »

Début du Conseil de l'OTAN à Paris. Le Président y prononce un discours très modéré, souhaitant plein succès à l'Alliance et rappelant sa compétence géographique.

Victoire électorale — prévisible — de Margaret Thatcher.

Le Président s'inquiète à tort des réactions japonaises après le refus qu'il a émis à Williamsburg. Nakasone lui écrit :
« De retour à Tokyo, je m'empresse de vous adresser mes très sincères remerciements pour l'amitié et l'esprit de collaboration que vous avez bien voulu témoigner à mon égard lors du Sommet de Williamsburg. Je suis particulièrement satisfait des excellents résultats obtenus par nos échanges de vues à la fois francs et fructueux. Vous avez évoqué le projet de l'établissement d'une Maison de la Culture japonaise à Paris. Je pense que l'installation réciproque de Maisons de la Culture à Tokyo et à Paris contribuera considérablement à une meilleure compréhension mutuelle entre nos deux pays.
« Comme je vous l'ai dit, j'avais cité la fameuse phrase des Pensées de Pascal dans mon discours prononcé à l'université John Hopkins, avant de me rendre à Williamsburg. Je vous suis reconnaissant d'avoir bien voulu me citer la phrase entière : "L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. » Justement, comme a dit Pascal, l'homme est un roseau pensant, mais aussi il est le plus faible de la nature. C'est pour cela que je pense que nous devons accorder une plus grande attention à la fragilité de la vie humaine. En même temps, nous devons rechercher la dignité humaine, et c'est pour cela que j'ai lancé l'idée d'une étude internationale sur les manipulations génétiques, et je suis très heureux que vous m'ayez tout de suite donné votre appui. Au dîner du 28 mai, quand nous avons abordé les relations israélo-arabes, j'ai été très impressionné par votre profonde connaissance du problème du Moyen-Orient. Vous avez, je m'en souviens, expliqué, en remontant jusqu'à l'Ancien Testament, les causes profondes des problèmes actuels... »

L'homme est remarquable : il a compris que le refus d'une « Alliance globale » n'était pas dirigé contre le Japon. François Mitterrand décide de renforcer les liens bilatéraux avec le Japon. Il envoie Charles Hernu à Tokyo et invite Nakasone en France.


Adoption en première lecture de la loi Savary sur l'école privée à l'Assemblée nationale.




Vendredi 10 juin 1983

Fin de la session ministérielle de printemps du Conseil atlantique. Après la réunion, François Mitterrand reçoit George Shultz à l'Élysée. La rencontre devrait être très froide après le désastre de Williamsburg. En fait, l'échange est à fleurets mouchetés, avec des reparties à double sens. Il s'achève par un remarquable tour d'horizon sur le Tiers Monde.
George Shultz : Je suis frappé par la qualité des discussions et la volonté de tous de partager les efforts. Cette session est surtout marquée par le remarquable discours que vous avez prononcé et par la courtoisie de votre accueil.
François Mitterrand : Ce sont des pays amis que nous recevons ici. Il est normal que nous discutions et qu'il y ait des contestations, mais l'unité doit prévaloir.
George Shultz : Chaque pays pris individuellement a des responsabilités et c'est très important que vous l'ayez dit hier soir dans votre discours. Une alliance n'a de force que si chaque élément qui la constitue est fort.
François Mitterrand : Bien sûr. Un pays qui se reposerait uniquement sur les autres ne serait même pas un allié utile. L'Europe a de grandes difficultés à parvenir à une certaine homogénéité, quoique j'aperçoive, ici et là, un certain redressement. Une Europe vraiment unie est un rêve. Mais une meilleure coordination serait possible. L'Allemagne n'a plus la mentalité de s'armer ; il faut la comprendre. La Grande-Bretagne demeure farouche dans son île. Il y a un certain réveil en Europe du Sud. En Espagne, c'est certain. Le Portugal est un pays culturellement remarquable, mais politiquement instable, sauf en période de dictature — ce qui n'est bien sûr pas souhaitable. Il est quand même navrant de voir tant de capacités humaines qui s'annulent les unes les autres. Mais quel grand projet pourrait aujourd'hui les faire se rassembler ? Tout est un peu négatif. Ce n'est que le danger d'en face qui nous cristallise. C'est déjà bien, mais c'est insuffisant.
George Shultz : Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit à propos de la Grande-Bretagne dans son île. Pensez-vous que le tunnel qui a été projeté changerait sa psychologie ?
François Mitterrand: D'une certaine façon. C'est Mme Thatcher qui le souhaite elle-même et qui m'a demandé il y a deux ans de relancer ce projet fondé sur le rail. C'est une femme de grande valeur et qui a des visions d'avenir. Obtenir une majorité comme elle vient de le faire, avec 45 % des suffrages et une opposition divisée, cela me suffirait...
George Shultz : Elle a bien réussi!
François Mitterrand: Avec le même système électoral, je ferais des élections demain matin et j'obtiendrais le même succès. Mais ne rêvons pas... L'opposition ici n'est pas trop divisée et le système électoral n'est pas le même ; donc je ne ferai pas d'élections demain matin!
George Shultz : Je voudrais aborder un sujet qui, je le sais, vous préoccupe: celui du Tiers Monde. A la CNUCED, qui se réunit en ce moment, nous avons adopté une attitude très positive. Je reprends ce que vous disiez hier soir sur la responsabilité de chaque nation. Tout pays doit assumer lui-même l'essentiel de ses responsabilités...
François Mitterrand: Parmi les pays très pauvres, on peut citer l'exemple du Niger, remarquablement géré. Le Nigeria est riche, mais mal géré. Au Zaïre, ce n'est pas excellent. La Côte d'Ivoire a beau avoir des richesses et être bien gérée, elle connaît une grave crise. Les pays dont une matière première ou deux constituent toute la richesse, comme l'uranium au Niger, le cacao et le café en Côte d'Ivoire, sont extrêmement vulnérables, même s'ils sont bien gérés. Si le prix de ces matières premières vient à baisser, ils peuvent connaître un effondrement qui facilite les coups d'État.
Peut-on dire que l'URSS a progressé dans ces pays ? Même des pays comme l'Angola ou l'Éthiopie peuvent évoluer. Au Mozambique, c'est plus grave. L'Algérie se recentre, mais c'est un pays instable qui pourrait connaître des crises. Le Président Chadli est très bien, mais son parti est divisé. Au total, en Afrique, je pense que l'URSS a plutôt reculé. Mais si on ne fait rien pour ce continent, il faut s'attendre à des coups d'État au profit d'extrémistes, comme cela a failli se produire en Haute-Volta.
Nous payons aussi les conséquences de la très mauvaise politique d'aide qui a été menée avant, politique qui a consisté à aider des budgets et non des projets. Je vois en tout cas que vous êtes très ouvert sur ces questions et vous avez raison d'avoir une attitude de ce type à la CNUCED.
Mais tout n'est pas que matériel. Il faut tenir compte aussi des pensées, des idéaux et des croyances. Le Tiers Monde a longtemps pensé que la Russie et la Chine représentaient l'espoir. Mais cette vision est aujourd'hui dépassée. Si c'est l'Occident qui est à nouveau susceptible de représenter l'espérance, nous retrouverons une force considérable.
George Shultz : Le Tiers Monde est un grand enjeu pour nous tous.
François Mitterrand: En Algérie, par exemple, il faut d'abord tenir compte de la très forte démographie de ce pays dont la population aura doublé avant l'an 2000. D'autre part, l'industrialisation a échoué et l'agriculture a été oubliée. Le Président Chadli essaie de revenir là-dessus, mais il ne dispose pas d'une administration capable. On peut estimer que, peu à peu, les rouages de ce pays sont en train de se bloquer. A cela s'ajoutent les progrès de l'intégrisme musulman. Ce qui explique, entre autres, la tension entre le Président Chadli et le Colonel Kadhafi, lequel est un facteur de déstabilisation.
Le Président Chadli voudrait régler le problème du Sahara, mais il ne le fait pas assez vite, car son parti ne le suit pas. Dans ce contexte, le débat entre intégristes et gestionnaires devient plus aigu, et comme il n'y a aucun progrès marquant, la population, de plus en plus indifférente, risque d'être absorbée par des mouvements régionalistes comme en Kabylie. Bien sûr, on n'en est pas là...
George Shultz : J'ai été très souvent en Algérie en tant qu'homme d'affaires et je suis d'accord avec ce que vous avez dit sur leurs difficultés de gestion. Pourtant, on peut remarquer qu'ils disposent de toutes les ressources nécessaires : l'énergie, la possibilité de gagner des devises, un potentiel agricole. La plaine côtière est très mal cultivée. Il suffit de comparer avec la Californie qui, à partir de conditions physiques à peu près semblables, est devenue une des régions agricoles les plus productives du monde. Lors d'un de mes séjours, le ministre du Plan me parlait de ses projets pour une meilleure croissance. Je lui ai dit : "Ne faites surtout plus d'usines ! Contentez-vous de faire tourner à 50 % celles qui existent déjà et qui ne tournent qu'à 25 %... ".
François Mitterrand: Je suis d'accord avec vous. La politique industrielle du Président Boumediene a été une grave erreur. Les Algériens en paient le prix. Comme ce sont des populations imaginatives chez lesquelles la passion l'emporte souvent sur la raison, toutes sortes d'évolutions sont possibles.
George Shultz : Que pensez-vous de leur rapprochement avec le Maroc et du problème du Polisario ?
François Mitterrand: Le Roi Hassan II a agi très intelligemment à la conférence de Nairobi. Mon prédécesseur, M. Giscard d'Estaing, puis moi-même avions demandé à dix chefs d'État africains amis d'intervenir auprès du Roi pour qu'il accepte le principe d'un référendum. Dès que le Roi a proposé cela (c'était le bon sens : lorsqu'il y a une contestation, on consulte les populations), le Polisario ne l'a plus voulu. La mise en œuvre est bien sûr difficile : comment recenser des nomades ? Ils étaient au départ 70 000. On parle maintenant d'un million ! Pourtant, l'idée du référendum est la seule possible. C'est un accord entre le Maroc et l'Algérie qui réglera le problème. Si l'Algérie cesse de fournir des armes et des bases au Polisario, peut-être pourrait-on envisager une forme de condominium sur un certain territoire ?
La première rencontre entre Chadli et Hassan II a été assez bonne. Il devait y en avoir une autre à Tunis. Elle n'a pas eu lieu, car le parti du Président Chadli n'était pas mûr. On assiste donc à une évolution mais, avec un pays comme l'Algérie, il peut y avoir à tout moment un arrêt complet.
Il y a aussi la Mauritanie, pays au fond artificiel. La plupart des dirigeants du Polisario sont d'anciens opposants mauritaniens. Comme l'opposition en Mauritanie est changeante... Il faut cependant préserver l'indépendance de la Mauritanie, car c'est un tampon très utile entre le Maghreb et le monde africain noir.
Si Hassan II et Chadli restent au pouvoir, le problème sera réglé. Je suis heureux en tout cas de voir que les États-Unis sont plus ouverts que je ne le pensais en ce qui concerne le Tiers Monde, car j'ai un reproche à vous faire : vous voyez trop exclusivement les pays du Tiers Monde comme un enjeu militaire, et pas assez comme une force humaine révolutionnaire que nous pourrions retourner dans le bon sens. Si vous allez dans ce sens-là, la France contribuera et obtiendra, je le pense, l'aide de la Communauté.
George Shultz : Une clé qui me paraît essentielle est le commerce. En 1980, les recettes d'exportation des pays en voie de développement ont représenté dix-sept fois plus que l'aide qu'ils ont reçue. Bien sûr, je ne veux pas dénigrer l'aide...
François Mitterrand: Naturellement, s'il n 'y a pas de redéveloppement des échanges, s'il n'y a pas accroissement de l'aide, ainsi qu'une action de stabilisation des prix des matières premières... Il manque encore des éléments de redémarrage pour l'économie mondiale.
George Shultz : Mais j'ai hâte de voir ce redémarrage ! Je ne veux pas attendre!
François Mitterrand: Cela m'intéresserait, moi aussi. Chaque fois que les États-Unis vont mieux, l'Europe, finalement, va mieux aussi. Le Japon constitue un cas particulier. Il faut vraiment sortir de la crise maintenant, ne plus se contenter de le dire!
George Shultz : Je pense que la reprise américaine va être cette fois-ci plus substantielle que ce que l'on a cru les dernières fois.
François Mitterrand: Je reste plus sceptique, mais je préférerais que vous ayez raison!
George Shultz : Vous et nous avons pris conscience que, sur le plan de nos échanges, le dollar a atteint un cours trop élevé. Nous voulons partager la reprise qui commence. Il faut que vous nous aidiez à faire baisser le cours du dollar. Ce serait bon pour les exportations américaines.
François Mitterrand: Le cours élevé du dollar est naturel, parce que c'est une grande monnaie, mais aussi parce que c'est une monnaie refuge qui offre une sécurité. Peut-être trop de sécurité ! Et il est vrai aussi que le déficit budgétaire entraîne des taux d'intérêt très élevés, ce qui accroît la fonction refuge du dollar. Des milliards quittent l'Europe pour les États-Unis, mais c'est un argent purement spéculatif qui ne contribue en rien à la production. Il est tout à fait vrai qu'un dollar trop élevé est également gênant pour vous. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai récemment atténué mes critiques. J'ai en effet constaté que nous avions, depuis trois mois, gagné des marchés non pas par notre propre mérite, mais du fait du taux élevé du dollar. Je me plains donc moins. Peut-être un jour vous dirai-je : "Montez à 10 francs ! !"...
George Shultz : Si vous vous plaignez moins, nos producteurs se plaignent plus !
François Mitterrand: Il y a une juste mesure à trouver. Jusqu'ici, elle ne l'a pas été, et cela ne sert personne. Nous avons calculé qu'une appréciation de 10 centimes du cours du dollar par rapport à celui du franc représentait pour nous un déficit supplémentaire annuel de 2 milliards de francs pour notre balance commerciale. Mais il ne peut pas y avoir de guerre économique avec les États-Unis. D'abord parce que vous êtes les plus forts. Ensuite parce que nous ne sommes pas des ennemis. Nous gagnerons davantage en recherchant un accord.
Avant que nous ne nous quittions, je voudrais vous parler d'un sujet préoccupant que nous ne nous étions pas préparés à évoquer avant Williamsburg : le Japon. Il ne faut naturellement pas rejeter ce pays du fait, par exemple, des événements de la dernière guerre, ou parce que nous craignons sa puissance commerciale, ou parce qu'il est trop loin. Il n'est donc pas question de l'oublier ni de le négliger. Je ne suis pas du tout fermé à des vues d'avenir en ce qui le concerne. Mais la notion d'"alliance globale", mise en avant, doit être précisée. En ce qui concerne les liens entre le Japon et nous, nous ne nous sommes engagés que sur les Forces nucléaires intermédiaires. Il n'y a pas de dix-septième membre de l'Alliance ! Je ne suis pas hostile à des discussions sur le Japon, mais il faut procéder à un examen très sérieux et ne pas agir comme si cette évolution était acquise. Cela entraînerait des complications supplémentaires dont nous n'avons nul besoin. On peut envisager que le Japon soit imbriqué dans le bloc occidental, mais la traduction militaire de cette conception exigerait la plus grande prudence.
George Shultz : Je comprends fort bien vos remarques. J'ai été très souvent au Japon. Il y a quelque chose de remarquablement nouveau avec Nakasone. Jusqu'à présent, dans les conférences internationales, les Japonais étaient présents, ils étaient d'accord sur tout, ils ne disaient rien et ne prenaient aucune part des responsabilités...
François Mitterrand : On pouvait en effet se demander comment les responsables d'un pays aussi actif pouvaient avoir toujours l'air de dormir !
George Shultz : Je suis d'accord sur les dangers d'une alliance formelle.
François Mitterrand : Je ne suis pas hostile à une évolution, mais nous n'avons pas assez réfléchi. Nous devons éviter les faux-pas.
George Shultz : Tout à fait d'accord avec vous.

La loi Savary sur l'enseignement supérieur est adoptée à l'Assemblée en première lecture.




Samedi 11 juin 1983

Le Dr Augoyard arrive à Paris.

Après la victoire de Margaret Thatcher aux élections, Nigel Lawson remplace au poste de Chancelier de l'Échiquier Geoffrey Howe, lequel remplace Pymm comme ministre des Affaires étrangères.



Lundi 13 juin 1983

Le Président est en voyage officiel en Corse. Il y reçoit un accueil chaleureux, qui le surprend beaucoup : Gaston Defferre lui avait brossé un tableau très noir de l'ambiance insulaire.




Mardi 14 juin 1983

Enjeu majeur : en l'état actuel du Budget 1984, il manquera 40 milliards. Le Premier ministre et Jacques Delors proposent de créer un nouvel impôt sur le revenu, dénommé « contribution sociale », au taux de 2 % applicable à tous les revenus, y compris les revenus de remplacement (allocations familiales, retraites, etc.). Pierre Bérégovoy y est hostile et propose de maintenir l'actuelle cotisation de 1 % sur les seuls revenus imposables, d'augmenter d'un point les cotisations vieillesse et de combler le reste par une hausse de l'impôt sur le revenu et de la TVA.
Le choix est doublement politique :
En termes de classes sociales, la solution de Pierre Bérégovoy fait peser l'intégralité de la charge nouvelle sur les catégories supérieures, mais aussi sur la classe moyenne jusqu'à 7 000 francs de revenu mensuel, c'est-à-dire sur la clientèle électorale du PS. La solution du Premier ministre répartit la charge encore un peu plus bas, jusqu'à environ 4 500 francs de revenu mensuel.
En termes d'impact sur l'opinion, est-il politiquement moins coûteux d'augmenter les impôts existants que de créer un impôt nouveau ? La solution du Premier ministre présente l'immense avantage de fournir, avec un impôt unique, d'énormes recettes. Elle a l'inconvénient de créer un impôt nouveau, plus juste que la cotisation sociale, mais moins juste que l'impôt sur le revenu. Pierre Bérégovoy y est surtout opposé pour une question de forme : il ne veut en aucun cas être le ministre qui aura augmenté les cotisations sociales. Pour autant, il me dit être prêt à accepter la contribution de 2 % si elle ne s'appelle pas « sociale », ce qui éclaire bien l'enjeu...

Rencontre entre André Rousselet et Jean-Luc Lagardère pour évoquer le projet de Canal-Plus. Lagardère refuse de se contenter de la part qui lui est offerte... Le tour de table de la chaîne cryptée est plus difficile à boucler que prévu.


Mercredi 15 juin 1983

Au déjeuner, il est question de la fermeture des mines de Lorraine, du CNPF (faut-il que les entreprises publiques en sortent ?), du monopole de la CGC, de Citroën où une grève sauvage a éclaté. Faut-il une session exceptionnelle du Parlement ? Faut-il de nouvelles ressources ?




Jeudi 16 juin 1983

Le IXe Plan est adopté par l'Assemblée nationale.

Le premier jet d'un projet gouvernemental pour les trois ans à venir est prêt. Il comporte une centaine de pages. Le Président le relit et l'annote.
Premier vol commercial réussi d'Ariane.


L'URSS propose un gel des armements stratégiques, de nouveau refusé par les Américains.


Voyage de Jean-Paul II en Pologne : il rencontre deux fois Jaruzelski et une seule fois Walesa.


Le Président du Burundi est reçu à déjeuner. L'homme paraît doux. Peut-on l'imaginer ordonnant tant de massacres ?

A la veille du Sommet européen de Stuttgart, Robert Armstrong vient m'exposer les vues de Margaret Thatcher. Pour elle, le Sommet de mars dernier a pris l'engagement de fixer en juin la compensation britannique pour 1983 et de l'inscrire en juillet au projet de budget pour 1984. Elle a d'ailleurs mené une partie de sa campagne électorale en se vantant d'avoir obtenu cet engagement, et si elle revient de Stuttgart sans cet accord, elle sera accusée de « parjure ». Je lui réponds que, pour la France comme pour les huit autres membres de la Communauté, rien n'a été promis à Bruxelles ; la compensation octroyée à la Grande-Bretagne ne peut être réglée que dans le contexte d'une analyse d'ensemble du financement de la Communauté. A Stuttgart, il ne doit être décidé que d'un programme de travail sur l'ensemble des problèmes à moyen terme de la Communauté, aboutissant, au Sommet de décembre à Athènes, à des conclusions opérationnelles, en particulier sur le financement et la contribution de chaque État du Marché commun. Si nous en venions plus tard à parler chiffres, il est peu vraisemblable que nous accepterions le versement d'une contribution quelconque à l'Angleterre pour 1983 : d'une part en raison de ce qu'elle a trop perçu l'année dernière (environ 1 milliard d'écus), d'autre part parce que l'opinion publique française accepterait mal qu'un pays ayant un excédent de balance commerciale, du fait de ses ressources pétrolières, exige une subvention d'un pays qui ne bénéficie pas des mêmes avantages naturels.
Pour Armstrong, « s'il en va ainsi, Stuttgart sera un échec. Elle [Margaret Thatcher] est absolument déterminée à ce qu'une décision spécifique et chiffrée soit inscrite au conseil budgétaire de juillet ».



Vendredi 17 juin 1983

Charles Hernu annonce la création de la FAR (Force d'action rapide).

Nouveaux calculs : afin de trouver les 52 milliards qui manquent maintenant pour 1984 (32 milliards au Budget, 20 milliards à la Sécurité sociale), tout le monde s'accorde pour financer 12 milliards par des recettes de poche (droits de succession et IRPP). Restent à trouver 40 milliards. Trois solutions possibles :
— d'abord la taxe de 2 % sur tous les revenus, proposée par Jacques Delors et qui financerait les 52 milliards ;
— une contribution sociale de 2 % sur l'ensemble des prestations familiales, des rentes d'accidents du travail et des retraites. C'est que ce que propose Pierre Mauroy à la demande du Président. Cela rapporterait 40 milliards ;
— ou le maintien de l'actuelle cotisation de 1 % sur les seuls revenus imposables (qui rapporte 10 milliards), l'augmentation d'un point des cotisations vieillesse (encore 10 milliards), le reste (20 milliards pour le Budget) étant comblé par la hausse des impôts sur le revenu et de la TVA. C'est ce que propose Pierre Bérégovoy.
A mon sens, le Président ne peut accepter le 2 %. Ce serait attacher son nom à la création d'un nouvel impôt sur le revenu non progressif. Ce serait une grave régression du droit fiscal. Sauf si cette contribution servait très explicitement à financer les régimes sociaux et si on pouvait la rendre progressive (de 1 à 3 %) : elle marquerait alors un progrès par rapport aux cotisations sociales.

Arrivée au Conseil européen de Stuttgart. On y parle d'abord de la contribution budgétaire britannique. Pour François Mitterrand, rien ne doit être versé à la Grande-Bretagne avant que des décisions n'aient été prises sur les autres questions. L'inscription au projet de budget d'une compensation forfaitaire de 600 à 700 millions d'écus doit donc être conditionnelle et réserver une possiblité de blocage après le Conseil européen d'Athènes.
Margaret Thatcher réclame 1,25 milliard d'écus pour 1983. François Mitterrand n'est prêt à en accorder que 600 millions, et seulement après le prochain Sommet à Athènes. On transige à 750. Après un bref calcul mental, le coût pour la France serait déjà de 1,3 milliard de francs avant qu'un accord n'ait abouti sur l'allégement de la charge de l'Allemagne. Cet allégement porterait notre dépense à 2 milliards, soit la moitié du résultat attendu des restrictions sur le tourisme à l'étranger ! Encore est-il impossible de chiffrer cela avec précision, faute de savoir si les autres petits pays ne demanderont pas, comme l'Allemagne, une réduction de leur charge. La France fait noter par la Présidence que le versement proprement dit dépendra des résultats d'Athènes. Position française à inscrire au procès-verbal : « Une somme nette de 750 millions d'écus sera inscrite au projet de budget pour 1984 au titre de la compensation britannique pour 1983. Elle pourra être inscrite au budget de 1984 après décision du Conseil, dès lors qu'en application de la procédure prévue dans la Déclaration relative à l'avenir de la Communauté, des conclusions précises auront été arrêtées sur le financement futur de la Communauté et sur la mise en œuvre des autres orientations de la Déclaration. La somme précitée est nette, forfaitaire et invariable. Elle ne se réfère pas aux compensations antérieures et ne fait pas précédent pour l'avenir. Elle ne comportera aucun ajustement a posteriori en fonction des soldes réels constatés. »
Tour d'horizon économique général. François Mitterrand : « Le désastre de l'industrie en Europe est prévisible si la coopération industrielle européenne ne change pas de rythme. La production de circuits intégrés en Europe n'est que le quinzième de ce qu'elle est aux USA, et le quart de ce qu'elle est au Japon. Le Japon possède 50 % des robots en service dans le monde, les États-Unis en ont 25 %, et la CEE n'en a que 17 %. La CEE importe 66 % des circuits intégrés qu'elle utilise et 55 % de ses robots. Le taux de dépendance vis-à-vis du savoir-faire américain ou japonais est de 70 % dans la chimie fine, de 50 % dans l'électronique ! »
Discussion d'un mandat de réforme de la CEE à préparer pour Athènes. On décide de « se mettre d'accord sur les mesures qui, prises dans leur ensemble, éviteront les problèmes réitérés entre États membres découlant des répercussions financières du budget de la Communauté et de son financement ». On prévoit une « réunion conjointe des ministres des Affaires étrangères et des Finances » pour préparer la réforme d'ensemble de la Communauté d'ici le Conseil européen d'Athènes. Il est décidé d'y procéder à des économies en matière agricole, dans le cadre d'une relance de la Politique agricole commune, impliquant l'augmentation des ressources propres de la Communauté. Au détour d'une phrase, l'existence du SME et la nécessité de le renforcer sont réaffirmées.
François Mitterrand réagit mal à cette dernière proposition allemande : il ne tient pas à être lié par un accord international qui interdirait le flottement du franc. Il veut changer ce texte, mais impossible. Son contenu est connu. On ne peut donc en parler en séance sans relancer la spéculation contre le franc. Cheysson négocie avec Genscher une lettre secrète déliant la France de cette obligation.

Margaret Thatcher explique en conférence de presse que les 500 millions d'écus qu'elle n'a pas obtenus viennent en déduction du « trop-perçu » qu'elle devrait rembourser pour les exercices antérieurs. François Mitterrand en est choqué : « Elle n'a encore rien obtenu, et le trop perçu reste à rembourser ! »

L'ex-Président camerounais Ahidjo mobilise l'opinion de son pays contre un remaniement ministériel à la veille de la visite officielle de François Mitterrand. Son successeur, le Président Biya, place les forces armées en état d'alerte. Étranges, les conditions de la démission d'Ahidjo : il n'a quitté le pouvoir que parce qu'un médecin français lui avait assuré qu'il ne lui restait que quelques semaines à vivre. Depuis lors, il se porte comme un charme.


Dimanche 19 juin 1983

Nous partons pour le Congo et le Cameroun. Pierre Mauroy restera seul pour la fin de la réunion de Stuttgart. A Brazzaville, nous rencontrons des ministres très compétents — et très riches. Au Cameroun, fort riches eux aussi, mais moins compétents.


Mercredi 22 juin 1983

Au Conseil des ministres, Jacques Delors présente les grandes lignes des dépenses du Budget 1984. Baisse autoritaire de 10 % de tous les investissements civils, sauf la recherche, la formation et les entreprises publiques. Le Président laisse faire, mais remarque : « Si nous nous alignons sur les États-Unis, nous pourrons obtenir certains résultats sur les indices, mais nous perdrons la majorité, qui ne résistera pas à une réaction populaire. »
A l'issue du Conseil, Delors vient me dire : « C'est encore pour moi. Cette fois, je m'en vais ! »

Claude Cheysson souhaite diriger la négociation préparatoire à Athènes alors que le communiqué de Stuttgart prévoit une « réunion conjointe des ministres des Affaires étrangères et des Finances ». Le Président décide de maintenir le tandem prévu : Jacques Delors se montrera beaucoup plus ferme que Cheysson sur les questions budgétaires.
La Commission devrait en principe envoyer aux États membres une lettre rectificative établissant le lien entre le remboursement à la Grande-Bretagne de 750 millions d'écus et l'accroissement des ressources propres.

Yasser Arafat est expulsé de Syrie à la suite de propos jugés « calomnieux » à l'égard du régime de Bagdad. Les Syriens restent opposés à la politique d'ouverture de l'OLP, préconisée par Arafat. Ils soutiennent les « durs » du mouvement.



Jeudi 23 juin 1983

André Rousselet souhaite maîtriser le projet Canal-Plus dans son ensemble : le tour de table, les rapports avec le cinéma, les décodeurs... Il a contre lui Jean Riboud, Jack Lang, Laurent Fabius, Georges Fillioud. Ce n'est pas rien !


Vendredi 24 juin 1983

La dévaluation semble réussir. Depuis la fin mars, la Banque de France a récupéré 2 milliards de dollars. Hier, 85 millions de dollars sont encore rentrés. Nos réserves sont donc aujourd'hui de 28 milliards de dollars en or et de 3 milliards en devises, soit le niveau qu'elles atteignaient le 19 avril 1982. C'est la réalisation de l'hypothèse la plus optimiste qu'on pouvait formuler au lendemain de la dévaluation.


Les forces libyennes, avec le GUNT de Goukouni, reprennent Faya Largeau. François Mitterrand : « Pas question d'intervenir au Tchad. C'est un guêpier. Laissez-les régler leurs affaires. »


Lundi 27 juin 1983

Marcel Rigout, le ministre communiste du Travail, est reçu par François Mitterrand. Il lui annonce son intention de lancer une attaque contre Georges Marchais.


Le Président n'est pas satisfait du rythme des réformes : « Bruxelles n'annule pas Figeac. » Où en est la mise en œuvre du discours ? Nulle part !

Gilbert Trigano vient me parler de l'Exposition universelle : « Elle ne peut se faire qu'à Paris ; mais la Mairie fera tout pour faire échouer ce projet. Son scénario est clair : critiquer sans s'opposer à son lancement, laisser se dérouler les études préalables, puis tout faire pour ralentir les travaux. Cela déclencherait un gigantesque désordre, avec quelques grèves bien choisies (celle du syndicat autonome du métro, la semaine dernière, manipulée par la Mairie, constitue une répétition générale). Le thème de l'incompétence, du gaspillage sera alors utilisé à fond, assorti en même temps de protestations de bonne foi. »
Pour éviter ce piège, il faut mettre la Mairie de Paris au pied du mur en lui demandant de s'engager à collaborer à une Exposition universelle. Si elle refuse, lui faire porter la responsabilité de l'abandon du projet. Si elle accepte, on devra faire en sorte que l'Établissement public puisse passer outre aux obstacles juridiques et administratifs que la Ville mettra sans cesse à l'avancement des travaux. Sinon, il vaut mieux renoncer et préparer pour 1989 une grande fête pour les Parisiens, accompagnée de grands travaux d'aménagement dans la ville.

Le Président a visité l'abbaye de Bassac. Il demande qu'on la classe. C'est fait en quelques jours. Nous n'en revenons pas, lui et moi : il arrive donc d'être entendu et obéi sans avoir à batailler ?



Mardi 28 juin 1983

Paris envoie des armes et des experts au gouvernement du Tchad.

Le Président s'inquiète du malentendu de Stuttgart. Il demande à Cheysson de lui préparer un projet de lettre au Chancelier Kohl, avec copie aux autres membres du Conseil européen : « La question du trop-perçu ne saurait en aucune façon être réglée par la compensation conditionnelle pour 1983, puisque celle-ci est d'une nature différente des précédentes. » En conséquence, les « corrections à effectuer pour 1980 et 1981 sur la base des chiffres réels », dont le principe a été admis par tous en 1982, n'ont pas été prises en compte et devront être examinées. La lettre est envoyée, y compris à Margaret Thatcher.
Yvon Gattaz vient me dire : « Si le gouvernement impose aux entreprises un relèvement de leurs cotisations pour l'UNEDIC, même de 0,3 %, il y a un risque de réaction violente. Une gestion paritaire signifie que les deux parties contribuent à même hauteur. Or les entreprises paient 3,48 % et les salariés 1,32 %. »


Mercredi 29 juin 1983

Le ministre des Affaires sociales, Pierre Bérégovoy, me confirme qu'il accepterait la création du prélèvement de 2 % si on ne l'appelait pas « social ». Tout est là... Gouverner, pour beaucoup, c'est jouer les Ponce-Pilate...

Le Président évoque avec Jacques Delors le manque de dynamisme et d'imagination de son ministère. Rien n'y est fait pour remplacer les aides à l'industrie par des réductions d'impôt, ni pour aller vers une meilleure assiette pour les charges sociales. Aucune des idées avancées à Figeac n'a été approfondie, ni sur la déconnexion des taux d'intérêt internes et externes, ni sur l'organisation d'un moratoire partiel par les banques ou par une Caisse d'amortissement. Il était prévu de doter un Fonds de modernisation industrielle de 3 milliards en 1983 et de 5 milliards en 1984 ; or ce Fonds n'existe toujours pas ! François Mitterrand : « Des services obscurs des Finances multiplient les obstacles juridiques. Il faut que cela cesse ! Cela devient ridicule ! »


Jeudi 30 juin 1983

Le Président : « Surtout, ne rien payer à l'Angleterre avant un arrangement global, le "paquet" dont parlait Kohl à Stuttgart. On peut attendre Athènes pour cela. Quant au budget communautaire, qu'on s'arrange comme on voudra, mais, je le répète, ne rien payer à l'Angleterre ! »

Déjeuner avec Jean Riboud, chez lui : il est très amer. Il m'en voudra à jamais, je le sens, du refus par le Président de la politique qu'il avait préconisée, refus dont il me considère comme le principal responsable. « Un conseiller extérieur ne peut rien contre quelqu'un de moins compétent qui est là tous les jours. » J'aime la franchise de cet homme exceptionnel qui fit, à partir de rien, une carrière où se mêlent la tragédie et la grandeur, l'élégance et la vision, l'art et l'industrie, la rigueur et l'ambition. Il a un nouveau projet : une télévision privée hertzienne, à la place de Canal-Plus, chaîne cryptée.

Caton commence à publier des éditos hebdomadaires dans VSD : « Le Parti socialiste se prépare à faire une grande découverte, suite à une rumeur incongrue, insolite incroyable, qui court parmi les militants : il paraîtrait que le PS est au pouvoir depuis deux ans ! Actuellement, les responsables vérifient fiévreusement l'origine de ces bruits. Quant à Georges Marchais, il passera ses vacances dans un cirque, à perfectionner le numéro qui lui vaut déjà l'admiration attendrie des foules : il en est déjà à deux boas par repas. Henri Krasucki a vérifié : le Secrétaire général n'a pas pris un kilo supplémentaire.
... Quant à Lecanuet, Pinton, Poniatowski, Labbé, Pons et leurs compagnons de jeux, ils ont été mis en maison de repos, gardés par quelques solides infirmiers. Promis : on les relâchera en septembre.
Et les Français ? Ils se sont gentiment endormis avant de savoir à quelle sauce automnale ils vont être mangés. Bonnes vacances. La Renaissance, en fait, n'est pas si loin. Encore un paradoxe !... »
François Mitterrand n'aurait sans doute pas dit autre chose, quoiqu'avec d'autres mots...




Vendredi 1er juillet 1983

Incroyable : les Américains s'inquiètent du retour de Goukouni au nord du Tchad. Les Libyens, disent-ils, sont avec lui. Bill Clark me télégraphie que Washington est décidé à nous soutenir, puisque, naturellement, nous allons déclarer la guerre à Kadhafi... Provocante naïveté !
« Nous sommes gravement préoccupés par la situation au Tchad où les forces armées libyennes ont attaqué les forces du gouvernement tchadien en violation flagrante de la souveraineté du Tchad et de la loi internationale. Nous savons que d'autres attaques sont prévues d'ici le 31 juillet et sont probablement déjà en cours. La sécurité de la région dans son ensemble requiert une riposte courageuse et énergique. Nous sommes conscients de ce que le gouvernement français réfléchit à la manière de traiter cette crise et nous voulons que les plus hautes autorités françaises sachent qu'elles auront le soutien américain dans leur opposition au défi libyen. Si nécessaire, le soutien américain pourra inclure de l'assistance aux moyens aériens, des EG airlift et Awac. Les forces américaines concernées ont été prévenues d'un possible déploiement. Évidemment, il nous serait nécessaire d'avoir des informations détaillées sur le plan de déploiement de vos propres forces si les Américains devaient agir en soutien des forces françaises. »
François Mitterrand : « Pas question d'attaquer la Libye, et même si on le faisait, nous n'aurions pas besoin d'eux. Ne répondez même pas ! »

Déjeuner avec José Cordoba, mon ancien étudiant à l'École polytechnique, devenu secrétaire d'État au Mexique. Superbe destin personnel où l'intelligence pure a seule permis de forcer les portes du pouvoir dans un pays improbable... Pourquoi une telle carrière serait-elle impossible en France ?

Le Président s'impatiente : la rigueur a agi comme un coup de massue qui a assommé l'esprit de réforme. Il interpelle par écrit le Premier ministre et Jacques Delors :
« Vous aurez sans doute constaté comme moi que les orientations que j'ai tracées et la politique économique et sociale que votre gouvernement a arrêtée rencontrent parfois des obstacles dans leur mise en œuvre administrative, qui en ralentissent l'application.
Aussi vous serais-je reconnaissant de m'informer de l'état de réalisation de certaines mesures auxquelles je suis particulièrement attaché, telles que : la mise en œuvre du Fonds industriel de modernisation, décidée par le Conseil des ministres du 29 avril 1983 ; la réforme de l'assiette des charges sociales ; l'application des mesures d'allégement des charges financières des entreprises annoncées à Figeac le 27 septembre 1982 ; la mise à l'étude de procédures de contraction entre les dépenses et les recettes publiques (en particulier pour ce qui concerne les aides à l'industrie, au logement et à la famille) ; le versement à l'UNEDIC de la cotisation de solidarité demandée aux agents publics ; la réforme du financement des prestations familiales ; la conclusion de contrats de Plan entre l'État et les entreprises publiques afin que celles-ci précisent leurs projets d'investissement annoncés ; le lancement de la deuxième tranche du Fonds spécial grands travaux ; la définition des nouveaux moyens d'une politique de l'Emploi ; le programme de lutte contre les causes structurelles de l'inflation.
Je suis convaincu que la réalisation concrète de ces divers projets de votre gouvernement viendra renforcer l'efficacité de sa politique économique et sociale. »
Panique dans les cabinets : on n'aurait donc plus le droit d'enterrer les projets du Président ?


Margaret Thatcher explose en recevant copie de la lettre de François Mitterrand à Helmut Kohl liant le versement de 750 millions d'écus à la réforme budgétaire et au remboursement par la Grande-Bretagne de son trop-perçu. Elle répond à Kohl :
« La lettre de François Mitterrand expose des interprétations unilatérales de la part de la délégation française du texte relatif à la compensation à accorder au Royaume-Uni pour 1983 qui figure dans les conclusions du Conseil européen de Stuttgart.
Ces interprétations unilatérales et ces déclarations d'intentions n'affectent en aucune façon, bien entendu, la validité du texte qui a été conjointement approuvé et ultérieurement publié par la Présidence allemande, ni la nécessité de le mettre en application.
Pour ce qui est de la question du "trop-perçu " en 1980 et 1981, vous vous rappellerez qu'en acceptant la somme de 750 millions d'écus nets pour 1983, j'ai estimé que cet arrangement réglait pleinement le problème du "trop-perçu", et l'ai fait savoir. »

Le Président, lisant copie de cette lettre, note : « L'interprétation de Margaret Thatcher sur le trop perçu est inacceptable. Le faire savoir à Mauroy, Cheysson, Chandernagor, Delors. »
Elle n'est pas près d'avoir son argent...


Samedi 2 juillet 1983

Chirac déclare que «l'Exposition universelle sera difficile ». Gilbert Trigano avait vu juste.



Lundi 4 juillet 1983

François Mitterrand comprend que maintenir le projet d'Exposition universelle serait tomber dans un piège : il veut l'annuler. Jack Lang souhaite le maintenir.

Crise à TF1. Le président-directeur général, Michel May, décide de remplacer Jean-Pierre Guérin par Jean Lanzi à la direction de l'information. La présidente de la Haute Autorité, Michèle Cotta, veut la tête de Michel May. Elle contacte Hervé Bourges, alors en Mauritanie, pour lui proposer la présidence de la chaîne.

Impasse : les 756 projets présentés au concours de l'Opéra sont désastreux. Un seul sort du lot, qu'on pense réalisé par Richard Meier. Au total, les grands travaux coûteront 18 milliards de francs, soit 0,33 % du Budget de l'État.
Mardi 5 juillet 1983

Le semestre qui commence marquera à bien des égards un tournant majeur dans l'évolution mondiale : la conjonction de la négociation sur les Pershing, de l'approfondissement de la crise européenne et de celle du Liban peut conduire à d'étranges rendez-vous, d'une dureté à laquelle l'opinion française n'est absolument pas préparée. La négociation de Genève doit reprendre. Lorsqu'elle sera considérée comme enlisée, le débat aura lieu au sein des parlements nationaux sur l'installation même des missiles — en RFA pour les Pershing, en Grande-Bretagne pour les Cruise. Le 15 décembre commencera leur installation proprement dite. Certains s'attendent alors à l'implantation, en guise de représailles, de SS 20 en Amérique centrale, et donc à une crise de l'ampleur de celle de Cuba en 1962.
Par ailleurs, la crise des institutions européennes peut se cristalliser au Sommet d'Athènes, les 5 et 6 décembre, ou encore au Parlement européen lors du vote du Budget, le 9 décembre.

Le Président renonce au projet d'Exposition universelle à Paris pour 1989. « Il vaut mieux prendre les devants plutôt que de se faire imposer une décision. »


Jeudi 7 juillet 1983

Cheysson vient parler au Président de la Conférence sur la Palestine. C'est décidé, elle se tiendra à Genève. Mais François Mitterrand ne veut même pas que la France y assiste. Cheysson : « Je persiste à penser qu'il serait bon qu'un de nos fonctionnaires de Genève, de rang modeste, soit parfois présent à la réunion préparatoire derrière la pancarte "France " placée dans les rangs des observateurs (et non des participants). Au sein de la Communauté, Irlande et Italie agissent de même (alors que la Grèce "participe "). On y trouve même le Saint-Siège, et je sais que l'Espagne sera présente. Cet observateur français, à présence intermittente, ne prendrait pas la parole, pas plus que ses collègues non Grecs de la Communauté. »
François Mitterrand : « Oui. Pas au-delà. »


Vendredi 8 juillet 1983

A Nainville-les-Roches, Tjibaou et Lafleur entament un formidable travail, avec Georges Lemoine, pour abolir le fait colonial en Nouvelle-Calédonie. Deux hommes de grande valeur ; deux Justes, peut-être.

François Mitterrand : «L'impopularité ne peut durer. Le gouvernement doit prendre de nouvelles mesures sociales. Il faut expliquer qu'il n'y a pas de tournant ni de renoncement. On n'est quand même revenu sur aucune réforme ! »

Pour financer le Budget de 1984, le choix reste entier entre la contribution de solidarité de 2 %, telle que la souhaite Delors, et l'augmentation de l'impôt sur le revenu et d'impôts divers, souhaitée par Mauroy, Bérégovoy, le groupe et le Parti socialiste.
La décision sur le chèque britannique est renvoyée par les ministres à Athènes. « Elle » enrage. Cela promet !



Samedi 9 juillet 1983

Un jeune d'origine algérienne de dix ans, Toufik Ouannès, est tué à La Courneuve. Emotion. Les banlieues cristallisent toutes les contradictions de la société française.



Lundi 11 juillet 1983

Coup de poignard dans le dos : à Moscou, Georges Marchais critique la position de la France sur les euromissiles et demande la prise en compte des forces nucléaires françaises dans les négociations soviéto-américaines de Genève.



Mercredi 13 juillet 1983

Au Conseil des ministres. François Mitterrand répond : « Tout ce qui touche à l'indépendance nationale et à l'intégrité du territoire ne se décide ni à Moscou, ni à Washington, ni à Genève, mais se décide à Paris et par moi-même. »
Une discussion s'engage ensuite sur la violence dans les banlieues. Le Président : « Le gouvernement s'est engagé à réhabiliter vingt-deux quartiers dégradés sur l'ensemble du territoire. Mais il faudra du temps et des efforts pour que la vie quotidienne devienne plus facile dans nos grands ensembles. » Il annonce que la rénovation architecturale des quartiers difficiles, comme celui de La Courneuve où a été assassiné Toufik Ouannès, constituera un des grands travaux du septennat. Il ajoute : « Les étrangers en situation régulière ont les mêmes droits que les Français. » Ces étrangers sont 3,7 millions. 100 000 sans-papiers ont vu leur situation régularisée.

La Haute Autorité nomme Hervé Bourges à la présidence de TF1.



Vendredi 15 juillet 1983

Attentat de l'ASALA à Orly contre Turkish Airlines, pour venger l'arrestation en novembre 1981 de Monte Melkonian, condamné puis expulsé en décembre 1982 : 8 morts, 54 blessés.

Accord entre Athènes et Washington pour l'évacuation des bases militaires américaines du territoire grec à partir de 1989.
Samedi 16 juillet 1983

Ronald Reagan écrit à François Mitterrand la même lettre que Bill Clark m'a déjà envoyée sur le Tchad : la France va faire la guerre à la Libye et l'Amérique sera à ses côtés... Le Président ne peut plus l'ignorer !

Réuni à Cancún, le groupe de Contadora propose un plan de paix pour l'Amérique centrale.


Lundi 18 juillet 1983

Laurent Fabius écrit à François Mitterrand sur l'audiovisuel :
« En discutant récemment avec Georges Fillioud, Jack Lang et Louis Mexandeau des aspects industriels de l'audiovisuel, je me suis aperçu que — au moins dans mon esprit — beaucoup d'incertitudes subsistent :
1 Il est prévu de lancer un satellite, une quatrième chaîne, un réseau de câbles, un développement du magnétoscope. Y a-t-il un public pour toutes ces initiatives dont plusieurs seront payantes ? Comment, en tout cas, les hiérarchiser dans le temps ?
2 Le satellite TDF 1 semble décidé et financé. Il ne pourra cependant fonctionner sans TDF 2 qui, lui, n'est pas financé (un milliard de francs). A quel usage seront-ils réservés ? Si on lance un et même deux satellites pour améliorer marginalement la réception des émissions et offrir un canal à la CLT, cela peut sembler un peu court.
3 Il apparaît de plus en plus que les câbles, présentés comme offrant un service supplémentaire au public, serviront surtout aux entreprises. Si c'est exact, ne faut-il pas alors ajuster le discours ? Si, néanmoins, les particuliers sont ultérieurement les destinataires, comment évitera-t-on à terme une mainmise politique des féodalités locales ?
4 La question des programmes est centrale. Elle offre un champ de culture et d'industrie considérable. Or, l'impulsion apparaît pour le moment très éparpillée.
5 Il a été proposé qu'on puisse se servir de la télévision pour apprendre massivement aux Français l'informatique. Cela n'est pour le moment pris en compte par personne.
Au-delà du détail de ces questions, pourtant à mon avis essentielles, le sentiment que je retire est celui d'un certain manque de cohérence. Si ce sentiment est fondé, je pense qu'une réunion restreinte autour de vous permettrait de clarifier utilement quelques grands choix. »
Derrière cette lettre, il y a manifestement l'idée de relancer les télévisions privées hertziennes, dont Jean Riboud m'a justement parlé la semaine dernière. Les « visiteurs du soir » auraient-ils trouvé un nouveau terrain de bataille ?



Mardi 19 juillet 1983

Gabriel de Broglie, membre de la Haute Autorité, critique les conditions de la nomination de Bourges à la présidence de TF1.

Le Président refuse de signer le décret supprimant le classement de sortie à l'École polytechnique. Toujours la volonté d'exiger l'excellence.
Le Nicaragua apporte son soutien au plan de paix du groupe de Contadora.
Mercredi 20 juillet 1983

Le « Centre Mondial » de J.J.S.S. propose d'équiper les Centres de formation des formateurs de Caen, Rouen et Bordeaux avec du matériel français C II, tandis que les centres de Paris-Orsay et de Nancy seraient équipés avec du matériel américain Wacs 750. Les ministres, eux, souhaitent équiper les cinq centres en matériel français. Il n'y a pas d'argument technique fondamental en faveur de la proposition du « Centre Mondial ». Le Premier ministre se range à l'avis des ministres : du matériel français.
Le Président s'y oppose : « Je ne suis pas sûr que le matériel C II soit compétitif. L'objectif premier est de réussir notre opération "formateurs". A suivre de très près, et agir vite. »



Jeudi 21 juillet 1983

Encore une fois, Jacques Delors menace de démissionner à propos de la préparation du Budget. Matignon lui a dit que son projet de taxe de 2 % était rejeté, et il souhaite que le Président le lui dise en personne.

Avec la baisse de l'inflation, l'heure de vérité sonne pour l'industrie : plus question de projets fictifs. La restructuration s'accélère. Peugeot annonce le plus grand licenciement collectif de l'Histoire de France : 7 371 emplois, sans plan social. Pourquoi maintenant ? Ralite s'y oppose. Une négociation commence. Bérégovoy en prend la direction. Décision reportée à octobre. Maintenant que les grandes entreprises ont été nationalisées, au moins ont-elles un actionnaire à la hauteur de l'enjeu : l'État.


Vendredi 22 juillet 1983

Quelques réflexions sur le compromis Nitze-Kvitsinski de l'an dernier, tel que nous commençons à le connaître. Il comporte pour nous un avantage tactique considérable, car il montre qu'un compromis est envisageable à un niveau intermédiaire, sans que soient prises en compte les forces françaises et britanniques. Néanmoins, l'équilibre des forces ne se mesure plus aujourd'hui seulement par la comparaison des forces de frappe, mais aussi par la comparaison des vitesses de frappe. De ce point de vue, ce compromis est à mon avis inacceptable pour les États-Unis, car il reconnaît à l'URSS un avantage décisif en termes de vitesse de frappe : elle gardera en effet 190 SS 20 au-delà de l'Oural, sans qu'aucun Pershing ne soit installé en Europe. Or, seul le Pershing II est en mesure d'offrir une menace comparable à celle des SS 20 en termes de temps : le SS 20 est, comme le Pershing, une arme balistique de riposte immédiate, alors que les missiles de croisière, qui seraient selon ce compromis seuls installés en Europe, sont subsoniques et mettraient plusieurs heures avant d'atteindre le territoire soviétique. Plus encore, ce compromis est à mon sens inacceptable aussi pour nous ; seule l'installation de quelques fusées Pershing en Europe continentale nous garantirait contre le risque de découplage : ne peut-on pas craindre que, sans Pershing en Europe, les Américains ne soient « hors course », en termes de vitesse de frappe, même s'ils sont « dans la course » en termes de nombre de têtes et donc de force de frappe ? Le compromis Nitze-Kvitzinski risque donc d'institutionaliser le découplage.
On peut ajouter deux autres risques secondaires :
— si ce compromis est accepté, les 18 missiles du plateau d'Albion seraient les seules forces en Europe continentale ayant une capacité comparable à celles des Soviétiques, et ceux-ci deviendraient encore plus insistants pour prendre en compte ces missiles dans la suite de la négociation sur les Forces nucléaires intermédiaires ;
— la solution Nitze-Kvitsinski épargne les Allemands et va donc les tenter, mais elle peut conduire d'autres pays européens à reconsidérer leur acceptation initiale en constatant que l'Allemagne est épargnée par l'installation de missiles américains. Y avons-nous intérêt ?
Il faut donc insister, à mon sens, sur le fait que l'existence de ce compromis prouve qu'un accord est possible, mais sans approuver le détail de son contenu.



Mardi 26 juillet 1983

Le Président va à la « Cité des 4000 », à La Courneuve, rendre visite à la famille de Toufik Ouannès. Terribles servitudes de la fonction.




Mercredi 27 juillet 1983

Au Conseil des ministres, Claude Cheysson fait état des progrès de l'offensive iranienne. Il ne parle pas des Super-Étendard promis à l'Irak.
Pour la Tête Défense, le Président confirme définitivement le projet de Spreckelsen, cet architecte danois qui n'a encore rien construit. Il a longuement hésité : l'idée que l'Arche serait vue des Champs-Élysées le gênait. Il a examiné beaucoup de maquettes, de photos-montages, et s'est rendu à maintes reprises sur les lieux.




Jeudi 28 juillet 1983

Hubert Védrine demande au général Saulnier le calendrier exact du transfert à l'Irak des avions Super-Étendard, afin que le Président puisse en être prévenu avant.





Vendredi 29 juillet 1983

Michel Rocard proteste auprès de Pierre Mauroy : alors que le Sommet de Stuttgart a confié la négociation européenne à Cheysson et Delors, il entend garder la maîtrise de la partie agricole de cette négociation. Il en informe aussi le Président :
« Excusez-moi de vous importuner. Il me paraît tout à fait important que vous ayez connaissance de cette lettre que j'envoie à Pierre Mauroy. Alors que la négociation en matière de prix agricoles pour la campagne 1983-1984 vient à peine de se terminer depuis quelques semaines, je considérerais comme aberrant que la France prenne l'initiative de propositions remettant en cause l'équilibre de l'accord obtenu à cette occasion et qui lui était globalement très favorable. Il est bien évident que toute suggestion de notre part d'économies concernant des procédures qui ont fait l'objet de débats ardus et parfois fort longs sera interprétée par nos partenaires comme une invite à une renégociation globale.
Une telle renégociation ne manquera pas de se répercuter très négativement dans les discussions en cours en matière de produits méditerranéens, à un moment où le Midi est gravement perturbé par l'agitation des producteurs de vin et de fruits et légumes. Cela risque de conduire à admettre des concessions multiples en matière agricole, telles que l'ensemble sera interprété sur le plan politique comme un recours majeur pour la France. J'entends donc que le mandat de négociation au Comité budgétaire soit, pour nos représentants, dénué de toute ambiguïté sur ces points essentiels. »
Michel Rocard ajoute à la main à sa lettre à Mauroy :
« Mon cher Pierre, cette affaire est tout à fait importante ; si, par un biais ou un autre, nous remettons en cause le résultat des négociations de 1983, il y aura des demandes reconventionnelles partout et je perds mes chances d'obtenir le règlement fruits et légumes et les 700 000 litres de distillation. Le Midi saute ! Je ne comprends pas à quoi jouent "certains ". »
François Mitterrand lui donne raison et note sur la lettre : « Tout cela est insupportable. A Stuttgart, il a été décidé de procéder à des économies, mais, contrairement aux vœux des Anglais et, initialement, des Allemands, ces économies ne peuvent être examinées que dans le cadre d'une relance de la politique agricole supposant l'augmentation des ressources propres. Il y aurait autrement détournement des accords. De même, rien ne doit être versé à l'Angleterre avant qu'on ne sache quelles décisions seront prises sur les autres questions. Laissons donc les ministres de l'Agriculture discuter d'abord entre eux. Ralentissons l'allure. N'acceptons pas que soient d'abord traitées les questions défavorables à la France. Au besoin, se refuser à tout et ne pas craindre la crise. J'attends des idées claires et une attitude raide, et je veux que nos négociateurs s'en tiennent à cette directive. »
Cette annotation vaudra mandat global de négociation à tous les ministres.



Samedi 30 juillet 1983

Appel d'Arafat aux chefs d'États arabes pour qu'ils l'aident à vaincre l'intransigeance syrienne.



Dimanche 31 juillet 1983

Reagan décide d'envoyer l'adjoint de Bill Clark, Bud McFarlane, en tournée au Moyen-Orient.
Le Président américain demande à François Mitterrand de recevoir Vernon Walters pour parler du Tchad.


Lundi 1er août 1983


Michel Camdessus devient sous-gouverneur de la Banque de France. Daniel Lebègue le remplace à la direction du Trésor. La Genière laissera bientôt la place à Camdessus. Pour la première fois depuis longtemps, aucun des deux postes importants de la Haute Finance ne sera occupé par un inspecteur des finances.

Le franc est au sommet du SME, mais on perçoit quelques signes spéculatifs. Il n'y aura pas de quatrième dévaluation.

Envoi par la France d'armes anti-aériennes aux forces armées du Tchad pour résister aux rebelles du Nord.




Mardi 2 août 1983


J.J.S.S. écrit à François Mitterrand :
«L'urgence dont je me suis permis de vous entretenir concerne l'équipement du réseau des dix Centres régionaux de formation des volontaires (Grandes Écoles) pour le programme des jeunes chômeurs. Les matériels étrangers sont en France et disponibles. »
Le Président à Laurent Fabius : «J.J.S.S. a tout à fait raison. Ne pas prendre de retard est la priorité. Surtout si l'on ne dépense pas de dollars. Il nous faut le meilleur matériel. J'insiste sur l'urgence.»


Mercredi 3 août 1983


Au déjeuner, discussion approfondie avec François Mitterrand sur la réforme de l'école : il faut réduire le nombre des matières, combattre l'illettrisme par la télévision et le développement des bibliothèques, améliorer la formation des maîtres, réformer le primaire, obtenir une vraie pédagogie de soutien, différenciée.

Jean-Luc Lagardère doit une réponse à André Rousselet sur l'éventuelle participation d'Hachette à la quatrième chaîne. Il vient me dire que celle-ci ne lui semble rentable qu'à condition de n'avoir pas à supporter un service d'informations, à moins que le financement du Journal ne soit assuré hors du budget de la chaîne. André Rousselet, m'affirme-t-il, lui aurait dit que lui non plus n'était pas du tout partisan d'émissions d'informations sur Canal-Plus, mais que « les autorités de tutelle y attachaient une importance fondamentale ». Lagardère souhaiterait donc savoir si cela constitue vraiment une question d'importance pour le Président.
Celui-ci refuse de répondre et renvoie Jean-Luc Lagardère sur André Rousselet.

Bettino Craxi devient président du Conseil des ministres de la République italienne. Un socialiste de plus autour de la table du Conseil européen.
Les Américains portent de 10 à 25 millions de dollars leur aide militaire d'urgence à Hissène Habré. Les bombardements libyens s'intensifient à Faya Largeau.


Jeudi 4 août 1983


Les Libyens bombardent Oum-Chalouba et Kalait. Les Américains continuent de nous presser de leur faire la guerre. Le Président : « Il n'en est pas question. »


Vendredi 5 août 1983


Comme l'avait demandé Ronald Reagan, Vernon Walters est reçu à Latché. Il encourage François Mitterrand à repousser la Libye hors du nord du Tchad. Le Président lui explique que les avions français ne peuvent y parvenir seuls et qu'il n'est pas question d'envoyer des troupes terrestres se battre au Tchad. Walters propose de prêter des ravitailleurs américains pour allonger le rayon d'action des appareils français. Le Président refuse : pas de conflit Est/Ouest en Afrique. « D'ailleurs, le vrai Tchad, le Tchad utile ne commence qu'au sud du 15e parallèle. Au nord, c'est le désert. Au sud, c'est l'Afrique noire, le Cameroun et le Niger qu'il faut protéger. »


Samedi 6 août 1983


Hissène Habré accuse « les lobbies pro-libyens en France » de s'opposer à l'envoi de l'aide militaire qu'il réclame ! Il s'excusera très vite...


Lundi 8 août 1983


Un gendarme français est assassiné par le groupe basque Iparretarak. Gilles Ménage, qui suit à l'Elysée les problèmes de sécurité, souligne qu'« en dépit de l'évolution politique interne du régime espagnol, la position de la France à l'égard du terrorisme basque espagnol n'a pas été véritablement précisée ». Il préconise une démarche plus ferme : poursuites judiciaires contre les nationalistes basques français, dissolution d'Iparretarak, expulsion des principaux responsables de l'ETA militaire.


Bien tard, le Quai se pose une question juridique : le prêt d'un avion de guerre — comme les Super-Étendard prêtés à l'Irak — est-il un acte de « co-belligérance»? « Le droit coutumier de la neutralité a été largement codifié dans les Conventions de La Haye de 1907. Toutefois, aucune convention n'a été signée en ce qui concerne la guerre aérienne, et la doctrine transpose à ce type d'hostilités les règles posées surtout pour la guerre maritime. Une commission de justice nommée par la conférence de Washington de 1922 sur la limitation des armements a établi à La Haye un projet de règles en février 1923, mais ce projet, à défaut d'adoption formelle, reflète seulement les tendances du droit coutumier. On ne saurait non plus nier que ce droit coutumier ait lui-même tendance à s'émousser à l'époque contemporaine. La participation d'appareils aux couleurs françaises dans un conflit serait contraire au droit de la neutralité ; la radiation de l'immatriculation française peut poser des problèmes au regard de notre propre droit : il n'est pas certain qu'un éventuel transfert d'immatriculation serait regardé comme régulier par les Etats tiers, à défaut de transfert concomitant de propriété. Il ne serait possible de pallier entièrement ces inconvénients qu'en effectuant un montage juridique qui nous ferait perdre la propriété des appareils, propriété qui devrait bien entendu être recouvrée par la suite. »

Déjeuner à Latché avec Jean-Baptiste Doumeng. Sa franchise nous surprend toujours. Sur le Parti communiste : « Ils ne savent pas où ils vont. Ils ne savent pas ce qu'ils font. Ils n'ont ni ligne ni consigne. Ils ne cherchent qu'à se distinguer. » Sur la COFACE : « Dans six mois, j'aurai mis de l'ordre. » Sur le Tchad : « Ce que Goukouni cherche, c'est à partager le Tchad comme l'est le Liban : une moitié au nord pour lui, une autre pour Hissène Habré au sud. La France ne devrait pas s'engager sur ce terrain. La région la plus menacée en Afrique, c'est l'ensemble Mali - Côte-d'Ivoire - Haute-Volta - Mauritanie, qu'il faudrait aider économiquement. » Sur l'Union soviétique: « Andropov, c'est Staline. Il faut créer un contact économique, et non plus seulement politique. Pour cela, un émissaire français devrait rencontrer en secret un émissaire dAndropov. » Sur l'Est/Ouest : « Les Russes veulent la détente. Il y aura un accord à Genève avec un retrait massif des SS 20 implantés en Europe. On assistera à un formidable développement des échanges Est/Ouest. Si nous ne nous y préparons pas dès maintenant, la France n'en sera pas. »



Mardi 9 août 1983


Au petit déjeuner, François Mitterrand : « On arrêtera la Libye au 15e parallèle ; sinon, après le Tchad, elle menacerait le Soudan et la République Centrafricaine. Mais c'est difficile à expliquer. La France est vue comme le grand frère qui hésite à venir. Les gens sont simples. Ils ne connaissent pas le contenu des accords. Ils veulent que l'on soit là, c'est tout. » Des soldats français sont déjà sur place comme « instructeurs ».

Mauroy est très hostile à l'idée de plafonner l'impôt sur le revenu à la moitié du revenu, idée dont le Président a parlé à Delors. « Elle aboutirait, pour les ménages imposés en moyenne à plus de 50 %, à un allégement d'impôt d'autant plus important que les revenus du ménage sont élevés (réduction de 870 000 francs d'impôt pour deux parts pour un revenu imposable de cinq millions de francs), ce qui ne manquerait pas de susciter de vives critiques dans la majorité. Cet effet politique négatif serait accentué par la contradiction qui apparaît immédiatement entre le renforcement de la progressivité de l'impôt sur le revenu, destiné à dégager des recettes supplémentaires pour 1984, et l'écrêtement des effets de celle-ci pour les très hauts revenus. »

Je reçois Boutros Boutros-Ghali lors de son passage à Paris après une tournée en Afrique et un arrêt à N'Djamena. « La France est trop subtile pour certains de vos amis africains. Ils ont besoin d'un père et se moquent du texte précis des accords de coopération et de défense. » Il a raison.
Un communiqué du Département d'État à Washington somme la France de réagir au Tchad à l'agression libyenne. Comme toujours, le débat est passé dans la presse.

Chaque année, depuis dix-sept ans, le Japon choisit de lancer un grand projet de haute technologie que l'État finance en priorité pendant dix ans. En général, ce projet est très bien choisi, et donne au Japon dix ans d'avance dans un domaine stratégique. Cette année, le Japon choisit « les robots travaillant en milieu extrême », c'est-à-dire dans des conditions climatiques très difficiles (hautes températures, sous vide, en milieu radioactif, etc.).


Mercredi 10 août 1983


Le Président se rend aux Minguettes. Le thème de l'insécurité devient central dans la vie publique.

Malgré le refus opposé à Walters il y a deux jours, Ronald Reagan écrit de nouveau à François Mitterrand à propos du Tchad pour pousser à une intervention française :
« Je suis très soucieux à la suite des nouvelles que j'ai reçues concernant les attaques aériennes contre le Tchad. Une fois encore, Kadhafi a montré son mépris des règles du comportement international. Sa conduite est une menace pour la paix dans l'ensemble de la région et inquiète évidemment beaucoup de nos amis africains. Je crois qu'une vigoureuse réaction est nécessaire et j'ai donné des ordres pour la préparation d'éléments de nos forces armées afin de vous aider si vous donniez des instructions du genre de celles que vous avez indiquées pouvoir constituer la réaction française à une intervention ultérieure de la Libye au Tchad. Précisément, nous sommes prêts à fournir du transport aérien airlift et Awacs s'il devait aider à l'efficacité du déploiement des forces aériennes françaises. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir autoriser les autorités françaises compétentes à informer notre ambassade ou le Département d'Etat à Washington de la manière dont nous pourrions apporter une assistance dans cette crise. »
A la même heure, Bill Clark m'écrit exactement la même lettre. Le Président en est exaspéré : « Mais nous ne leur avons rien demandé ! »


Vendredi 12 août 1983


Je réponds donc à Clark par une lettre rédigée avec François Mitterrand et qui met les choses au clair : il n'y aura pas d'alliance franco-américaine au Tchad. Le Président répondra de son côté exactement la même chose à Reagan.
« Cher Ami,
J'ai bien reçu votre message du 10 août, dont je vous remercie. Comme vous l'imaginez, la situation au Tchad est fort préoccupante et il est normal qu'elle suscite entre les responsables de nos deux pays réflexions, interrogations et conversations, dont l'utilité ne fait pas de doute. Mais, en revanche, je n'ai pas entendu parler de demandes françaises concernant le déploiement des Awacs, des F 15 et d'autres moyens d'assistance aérienne au Soudan, et je ne pense pas que des exercices entre Awacs et Breguet Atlantic soient nécessaires. Telle est du moins l'opinion que j'ai recueillie et qui exprime les vues du Président de la République. Il n'est pas bon que soit donnée l'impression d'une alliance offensive franco-américaine qui ne correspond pas à la réalité et qui donnera une fausse idée de la nature de nos relations.
Les informations dont je dispose ne permettent pas aujourd'hui de prévoir avec suffisamment de certitude le comportement des différentes parties en présence pour vous annoncer avec précision les actions que les autorités françaises seraient amenées à entreprendre, sinon qu'est mis en place un frein à la progression libyenne qui doit garantir le Tchad "utile ". L'effort qui convient sera fait pour que l'armée française soit dotée des moyens importants que cette mission exigera.
Il va de soi que nous vous informerons en temps utile de nos dispositions et vous pouvez être assuré de notre vigilance et de notre fermeté dans le respect des engagements de la France.
Je me réjouis de nos échanges mutuels d'informations et souhaite qu'ils continuent à fonctionner de manière efficace. »



Dimanche 14 août 1983


Dans une longue lettre adressée au Président, Jacques Delors fait le point sur les prévisions économiques établies par son ministère. Il prévoit une reprise mondiale, mais les experts doutent de la capacité de la France d'en bénéficier :
« Sur la base des comportements observés ces dix dernières années, l'économie française ne serait pas en mesure de profiter à plein de cette reprise pourtant modérée. Notre taux de croissance serait inférieur d'un point à un point et demi à celui de nos partenaires industrialisés. Notre commerce extérieur demeurerait déficitaire en 1984, et très légèrement en 1985. Le besoin de financement du secteur public serait très élevé, ce qui nous conduirait à un taux de prélèvements obligatoires de 45 à 46 %. L'investissement des entreprises ne reprendrait que légèrement (croissance annuelle autour de 1 %), ce qui s'expliquerait notamment par un rétablissement insuffisant de leur taux de marge et par des progrès de productivité dans la tendance de ces dernières années, certes, mais insuffisants...
Il arrive un moment où l'impôt décourage l'initiative et le travail, la création d'un climat favorable au travail, donc à la productivité, et, quoi qu'on en dise, à l'emploi. Qu'il s'agisse de la politique active de l'emploi, de la gestion du marché du travail, de la réalisation des restructurations et conversions indispensables, tout frein mis à l'évolution et tout retard dans l'action seraient autant de signes négatifs et de facteurs de découragement. Les Français, s'ils sont stimulés, sont encore capables de travailler beaucoup et mieux. Il y faudrait quelques gestes mûrement pesés à l'égard des entreprises qui, ilfaut le souligner, bénéficient déjà de possibilités de financement externe sans équivalent depuis vingt ans. Mais les charges demeurent relativement — non dans l'absolu — trop lourdes, et les profits insuffisants pour stimuler l'investissement. »
Dans une discrète annexe, il propose des économies sur le Budget 1984 en revenant sur les arbitrages déjà rendus : « SNCF, Routes, Agriculture, Charbonnages de France, Crédits de politique industrielle, Recherche, Culture [pour 2 milliards], dont resserrage des CP sur les grands projets (sans modifier les AP) et report de l'Opéra-Bastille [pour 0,45 milliard, dont 0,15 pour l'Opéra] », et 4,5 milliards pour la réduction du coût de la dette publique. On n'aurait pu ne pas le voir : c'était bien caché !
Naturellement, pas question de revenir sur les grands travaux.

François Mitterrand rencontre Jean-Paul II à Lourdes.
Lundi 15 août 1983


A Rabat, je vois le conseiller spécial du Roi du Maroc, Reda Guedira, fin connaisseur de la France : « Le Roi est disposé à servir d'intermédiaire entre la France et la Libye. Il considère qu'en l'état actuel des choses, il est le chef de l'État qui, en Afrique, a le plus la confiance de Kadhafi. »
Réunis à Brazzaville, neuf chefs d'État africains chargent le Président de l'OUA d'obtenir un cessez-le-feu et le retrait des troupes étrangères du Tchad.


Mercredi 17 août 1983


Gaston Defferre écrit à François Mitterrand une de ces lettres-programmes qu'il affectionne :
« A mon avis, cette fois, contrairement à l'esprit de la Constitution, l'échéance déterminante n'est pas celle de 1988, mais celle de 1986. Il nous faut donc absolument gagner les élections législatives de 1986. Or vous pouvez les gagner, et, deux ans après, être réélu à la Présidence de la République, ce qui assurerait la pérennité de votre œuvre. Les nouvelles de ce matin sont bonnes en ce qui concerne le commerce extérieur. Même si le plan Delors réussit en grande partie (il est rare qu'une réussite soit complète dans ce domaine), même si la baisse du dollar n'entraîne pas de perturbation trop grave des monnaies européennes et donc du franc, même si la crise mondiale prend fin et si la reprise atteint assez vite la France, cela risque de ne pas suffire pour que notre pays soit en bonne position en 1986. La concurrence que nous feront les pays déjà en avance sur nous dans les industries de pointe sera, c'est évident, très forte.
Une préparation électorale au sens classique du terme permettra difficilement de l'emporter en 1986. Les électeurs ne croient plus aux mesures dites conjoncturelles, du type réduction de la TVA ou des charges sociales, et même des augmentations de salaires. Et si cela réussissait pour 1986, cela risquerait de compromettre la situation en 1988. La question qui se pose est, selon moi, la suivante : quels éléments nouveaux faut-il mettre en œuvre pour qu'ils portent leurs fruits dans les deux prochaines années et pour qu'une nouvelle dynamique industrielle puisse être engagée avant les élections et être poursuivie après ? Ce qui se passe dans les pays avancés et dans les pays en voie de développement qui sont des clients importants pour la France (clients qui, hélas, sont de moins en moins capables de payer ce qu'ils achètent) démontre que tout change beaucoup plus vite que prévu. Je crois profondément, je vous l'ai dit souvent, que les techniques de pointe offrent, spécialement à la France, des possibilités immenses et irremplaçables, que nous pourrons exploiter avec des résultats tangibles à court terme. Ce qui se passe à l'étranger démontre d'ailleurs, à l'évidence, que tout retard pris dans ce domaine peut être fatal. Tous les pays sont amenés à moderniser radicalement leurs instruments de production. La formation des hommes est la base de tout: de la maîtrise des techniques nouvelles, de leur perfectionnement, des inventions, des brevets, de la création d'entreprises, de la nouvelle croissance, de la lutte contre le chômage, d'un progrès social durable (...). Vous pouvez être l'homme d'État qui aura donné à la France, à un moment décisif, l'impulsion nécessaire pour l'avenir d'un grand pays moderne, avec une croissance assez forte pour faire reculer de façon non artificielle le chômage, et avec une monnaie stable. Quel contraste avec vos prédécesseurs qui ont laissé péricliter notre industrie sans penser à regarder ce qui se passait à l'étranger ! Un document bien fait, clair, aisément compréhensible par tous, devrait d'ailleurs être établi dès maintenant pour montrer à la fois l'écrasante responsabilité de vos prédécesseurs en ce domaine et l'essentiel de vos projets pour les prochaines années. Vous mobiliseriez ainsi la jeunesse, qui est le moteur de l'opinion. Vous réuniriez alors toutes les chances de gagner les élections de 1986 en commençant dès maintenant. Je parle de tout cela de façon désintéressée : sur le plan personnel, j'ai en effet décidé de ne plus me présenter aux élections. Je resterai bien entendu à la disposition du Parti pour soutenir nos candidats, si je peux être utile... »

François Mitterrand : « Très intéressante, cette lettre. S'en servir pour le projet pour le futur gouvernement. On pourrait intégrer dans notre exposé de larges extraits de cette lettre, bien dans le ton que je souhaite. »
Le projet avance. Mais pour quel gouvernement ?

L'Opéra-Bastille étant maintenu, il faut maintenant choisir entre les projets. Robert Lion s'inquiète : « Les projets n'étant pas d'une qualité très convaincante, je vous suggère d'ouvrir les enveloppes des deux projets préférés (ou éventuellement de six), puis d'inviter les auteurs de ces deux projets. On pourrait soit choisir l'un d'eux, estimant que le talent et la renommée de l'architecte garantissent un très bon travail d'adaptation, soit faire faire par les deux architectes deux maquettes et choisir au vu de ces maquettes, présentées par leurs auteurs. M. Bloch-Lainé estime qu'il n'y aurait aucune réaction défavorable du jury. »

Andropov annonce que l'URSS ne sera pas la première à mettre des armes antisatellites en orbite. Spectaculaire, mais pas nouveau.


Samedi 20 août 1983

Le transfert à l'Irak des Super-Étendard est maintenant prévu pour le 10 septembre. Ils seront convoyés par des pilotes de l'Aéronavale mis à disposition de Dassault. Les autorisations de survol seront demandées par l'Irak.

Les États-Unis lèvent l'embargo sur les fournitures au gazoduc sibérien. L'affaire est close après cinq ans de bataille...


Dimanche 21 août 1983

Benigno Aquino, rentrant à Manille après treize ans d'exil aux USA, est assassiné.


Six Jaguar et quatre Mirage F 1 sont envoyés à N'Djamena ; 2 500 soldats français s'y trouvent déjà.


Lundi 22 août 1983


Note de François Mitterrand: « Je veux un rapport sur l'enseignement de l'Histoire. Fait par quelqu'un de confiance désigné par nous et dont le rapport me serait destiné. URGENT. »
Rousselet choisit Philips, contre Thomson, pour la fabrication des décodeurs de la chaîne cryptée. Fureur de Fabius.
Il réclame un monopole de diffusion à la télévision des films pour deux ans. Et un film récent par jour. Fureur de Lang.


Mardi 23 août 1983


Le Président : « L'hégémonie du conservatisme dans les idées ne peut être combattue que par son refus dans la gestion. » Profonde remarque; on a l'habitude de dire l'inverse...


Entre Fernand Braudel, André Miquel, Jacques Le Goff, François Mitterrand choisit Miquel pour rédiger le rapport sur l'enseignement de l'Histoire.

Après l'intervention de Michel Tournier, le Budget de l'an prochain prévoit pour les écrivains un certain nombre d'améliorations fiscales. Les prix littéraires d'un moment inférieur à 15 000 francs seront exonérés. L'étalement des revenus est mieux organisé.

Robert Armstrong m'indique que Margaret Thatcher propose de réunir le prochain Sommet des Sept, qu'elle présidera, à Londres, du vendredi 8 au dimanche 10 juin 1984 (soit le dimanche de la Pentecôte). Il y a là une arrière-pensée électorale : les élections européennes auront lieu en Angleterre le jeudi 14 juin. Ronald Reagan lui-même, alors en pleine campagne électorale, ne fera rien, à Londres, pour coopérer sérieusement avec l'Europe et cherchera, plus encore qu'à Williamsburg, un succès de politique intérieure avec l'assentiment résigné de la plupart de nos partenaires. La France risque d'être isolée et n'a rien à gagner à ce qu'un tel sommet se tienne quelques jours avant les élections européennes.
François Mitterrand : « Refusez la date et proposez de reporter le Sommet après les élections européennes ; proposez aussi que le Sommet ne réunisse que les chefs d'État et de gouvernement, sans ministres, sans communiqué ni conférences de presse. »


Mercredi 24 août 1983


Discussion à déjeuner sur La Chapelle Darblay, l'imprimerie Montsouris, Peugeot, et sur la nécessité d'une loi sur le imancement des partis moralisant l'anarchie actuelle.




Jeudi 25 août 1983


Aux États-Unis, l'Administration s'inquiète des conséquences possibles du prêt des Super-Étendard sur la navigation dans le Golfe.
Accord céréalier pour cinq ans entre les États-Unis et l'URSS.
Le Président algérien Chadli Bendjedid propose de se rendre en France dans la seconde quinzaine d'octobre, ce qui est impossible pour l'Élysée. Chadli propose alors le 7 novembre. La proximité avec la période de la Toussaint réveillera-t-elle de mauvais souvenirs en France ? Le Président : « Ne pas chipoter. »

Par la voix de Jean de Lipkowski, le RPR accuse le gouvernement « d'accepter une partition du Tchad ».


Vendredi 26 août 1983


Dans une interview au Monde, le Président précise le sens et les modalités de l'intervention militaire au Tchad: « La France n'a pas à arbitrer les conflits internes entre Tchadiens.»


L'adjoint de Clark, McFarlane, est à Paris pour parler du Moyen-Orient et y négocier avec Joumblatt. L'homme est différent : ouvert, cultivé, soucieux de comprendre la pensée de ses partenaires.


Samedi 27 août 1983


Lettre de Iouri Andropov à François Mitterrand sur le désarmement en Europe, avant la nouvelle négociation à Genève. L'URSS menace de réagir en cas de déploiement des Pershing :
« Comme nous l'avons déjà déclaré plus d'une fois, l'URSS et ses alliés seront obligés de prendre les mesures nécessaires en réponse à la tentative des USA de rompre l'équilibre global et régional en leur faveur. Personne ne gagnera rien à cette tournure des événements, mais tout le monde y perdra.
L'Union soviétique, soucieuse de ne pas le permettre, a fait encore un pas important, appelé à faciliter l'obtention d'un accord. Nous avons déclaré que nous étions prêts à liquider nos fusées de moyenne portée situées dans la partie européenne de l'URSS. Ceci comprendrait également une partie importante des fusées SS 20, notamment celle qui constituerait un excédent par rapport au nombre réduit de fusées de moyenne portée dont disposent l'Angleterre et la France.
Il va de soi que ceci ne saurait être réalisé que dans le cas où on serait parvenu à un accord mutuellement acceptable sur l'ensemble du problème de limitation des moyens nucléaires de moyenne portée en Europe, y compris la renonciation des Etats-Unis à y installer les nouveaux missiles américains.
De cette façon, aucune fusée de moyenne portée étant tombée sous le coup de la réduction dans la partie européenne de l'URSS ne serait transférée dans la partie asiatique de notre pays. Par conséquent, les affirmations selon lesquelles nous aurions l'intention de créer à l'Est une quelconque "réserve " constituée de fusées qui y seraient transférées, ceci en vue de leur réinstallation en Europe, se trouveraient dans ce cas totalement privées de sens...
La France ne participe pas aux pourparlers de Genève. Mais, en vertu de l'état de choses existant, la conclusion ou l'absence d'accord à ces pourparlers dépend aussi de la France. Car, parmi les prétextes principaux qu'elle invoque pour éluder l'accord, la partie américaine avance que la France et l'Angleterre ne souscrivent pas à la position soviétique.
Cependant, la solution proposée par l'Union soviétiquela prise en compte des moyens nucléaires correspondants français sans aucun engagement pour la France elle-même — ne peut porter aucun préjudice à ses intérêts. Pour nous, les armements nucléaires français et britanniques ne sont pas abstraits. Nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte sur le plan du maintien de l'équilibre des forces nucléaires. Aussi bien, si les États-Unis font échouer l'accord à Genève en procédant à l'installation de leurs missiles en Europe, et si l'URSS est par conséquent obligée de prendre des contre-mesures, l'élévation du niveau du face-à-face nucléaire en Europe, inévitable en ce cas, ne correspondra pas aux intérêts de la France.
Tant que les missiles américains ne sont pas apparus sur le sol européen, il existe une possibilité de se mettre d'accord, de s'entendre au nom de la paix européenne et internationale, au nom du renforcement de la sécurité universelle. Je pense que vous serez d'accord avec moi, Monsieur le Président, que notre devoir commun vis-à-vis des générations actuelles et futures est de ne pas laisser passer cette occasion. »




Dimanche 28 août 1983


Menhahem Begin annonce son intention de démissionner pour raison de santé. Itzhak Shamir lui succédera.



Mardi 29 août 1983

Ouverture à Genève de la Conférence internationale sur la Palestine. La France y a un observateur.

Peut-on encore annuler la livraison des Super-Étendard ? Trop de paroles données...



Mardi 30 août 1983


Jacques Delors veut faire encore davantage d'économies en 1984. Selon lui, si on continue ainsi, le commerce extérieur demeurera largement déficitaire ; le taux de prélèvements obligatoires passera de 45 à 46 % et l'investissement n'augmenterait que de 1 %. « Le scénario volontariste, avec une politique économique entièrement monétariste (économies sur le Budget, la Sécurité sociale, l'UNEDIC, baisse des taux d'intérêt à 10 % et développement des Fonds communs de placement à risque) conduirait à une situation nettement améliorée. »


Mercredi 31 août 1983


Le Conseil des ministres adopte un plan de lutte contre l'immigration clandestine et des mesures en faveur de l'intégration des immigrés réguliers. Georgina Dufoix et Gaston Defferre s'opposent. Defferre met l'accent sur l'expulsion des clandestins ; le Président lui donne raison.
On discute d'un programme concernant la famille, difficile à mettre au point. Bérégovoy et Dufoix proposent la création d'une allocation au jeune enfant, versée dès les premiers mois de la grossesse jusqu'à l'âge de trois ans. Un congé parental rémunérera les mères de famille qui s'arrêteront de travailler à l'occasion d'un troisième enfant.


La guerre dans le Chouf : près de mille morts. Gemayel demande aux États-Unis et à la France l'autorisation d'y envoyer la Force multilaterale ; les Américains refusent.


Au déjeuner, François Mitterrand : « Il faut faire baisser l'impôt sur le revenu.» Cela devient une obsession.


Tragédie : cette nuit, un Boeing 747 sud-coréen de la KAL est abattu au-dessus de la Sibérie parce qu'il n'aurait pas répondu aux signaux de la chasse soviétique. 269 morts. Était-ce vraiment un avion-espion, comme le prétend Moscou ? S'agit-il d'une erreur locale ? D'une décision délibérée prise au plus haut niveau au Kremlin ?
Reagan réagit vite et très violemment. Cela sert sa campagne électorale ! François Mitterrand se montre plus réservé sur cette affaire : « Les Russes n'ont pu faire ça volontairement. Pas de réaction avant qu'on ne sache vraiment ce qui s'est passé ! Je vois Gromyko dans huit jours. On verra ça. Demander à Cheysson de se montrer prudent. » Nos militaires se perdent en conjectures. Il peut fort bien s'agir d'une erreur du pilote de la KAL au cours du survol d'une région ultra-sensible.




Jeudi 1er septembre 1983

Hubert Védrine analyse les conséquences et risques éventuels de la livraison de Super-Étendard. Il suggère des arguments tendant à montrer que la France a tout tenté pour empêcher une nouvelle escalade. Il examine la possibilité d'une remise en cause du prêt et les nouveaux risques liés à celle-ci. La livraison de Super-Étendard pourrait être au moins suspendue et utilisée pour peser dans le conflit.


Vendredi 2 septembre 1983

Les combats reprennent au Tchad du côté d'Oum-Chalouba.

L'armée libanaise rétablit son contrôle sur Beyrouth. Le gouvernement libanais demande à la Ligue arabe d'exiger le départ des troupes syriennes. En vain.

En Israël, les partis de la coalition gouvernementale accordent leur soutien à Itzhak Shamir, qui remplace Begin.


Dimanche 4 septembre 1983

Premier tour de l'élection partielle à Dreux. RPR et Front national sont bien placés.
L'armée israélienne a amorcé cette nuit son retrait du Chouf. L'opération devrait être achevée ce soir. La limite de la zone occupée passera alors par le fleuve Aouali et les crêtes nord du djebel Barouk. Dès le début de ce repli israélien, les Druzes et les milices chrétiennes ont commencé à s'affronter pour le contrôle des positions abandonnées. De petites garnisons de l'armée libanaise ont été attaqués par les combattants du PSP. La décision israélienne, annoncée depuis longtemps mais plusieurs fois repoussée à la demande de Washington, intervient au pire moment pour le Président Gemayel. Elle traduit la lassitude des Israéliens devant un problème qui leur paraît insoluble et face à l'impossibilité de mettre en oeuvre l'accord du 17 mai.




Lundi 5 septembre 1983

A Dreux, fusion des listes RPR et FN. Simone Veil proteste. Gaudin, Pons, Chirac et Barre approuvent.

Après la destruction du Boeing sud-coréen, Ronald Reagan annonce des sanctions limitées contre l'URSS. Pas la France — pour l'instant.



Mardi 6 septembre 1983

Moscou réaffirme que le Boeing sud-coréen abattu était en mission d'espionnage.

Les idées françaises pour le Sommet d'Athènes se précisent : on dépose un mémorandum sur «un espace commun de l'industrie et de la recherche ». On propose l'unification du marché européen avant 1992 et le doublement de l'effort de recherche. C'est dans ce texte qu'apparaît pour la première fois l'échéance de 1992.




Mercredi 7 septembre 1983

McFarlane est à Damas. La FINUL sera renforcée par des éléments de la Force multinationale.
L'afflux de réfugiés dans le village chrétien de Dhar El Khamar amène le Président Gemayel à nous demander un secours urgent en médicaments et en vivres.

Claude Cheysson :
« S'il n'est pas possible dans l'immédiat pour nous de nous retirer du Liban de quelque façon que ce soit, il faut réintroduire les Nations Unies dans le jeu. Un débat au Conseil de sécurité, seul moyen de faire prendre leurs responsabilités à toutes les grandes puissances, doit avoir lieu d'urgence et aboutir notamment:
— en toute priorité, à l'envoi dans le Chouf des observateurs des Nations-Unies de la FINUL qui doivent encore se trouver au Liban ; les risques de massacres tiennent largement à la divulgation de fausses nouvelles de part et d'autre;
— à la définition d'un second mandat pour la FINUL, qui lui permette d'agir légalement dans le Chouf (sans pour autant se retirer du Sud-Liban). Si les Nations-Unies ne pouvaient aboutir, par exemple par suite d'un veto soviétique, alors — mais alors seulement — nous pourrions éventuellement envisager et légitimer l'extension des missions actuelles de notre contingent de la Force multinationale ; quant aux raisons qui faisaient qu'autrefois Washington s'opposait à l'intervention des Nations-Unies, elles sont moins fortes qu'auparavant.
D'autre part, dans les jours qui viennent, si nos troupes ou nos implantations venaient à être encore bombardées, il faudra envisager des ripostes autres que de simples survols, mais des ripostes immédiates, limitées dans le temps et leur point d'impact. En sens inverse, nous devons tout faire pour que l'aide humanitaire soit le fait de la Croix-Rouge et éviter que, sous couvert d'une telle aide, nous ne soyons davantage impliqués militairement au Liban. »
Au déjeuner, François Mitterrand: « Les Français en ont assez des deux blocs. C'est la fin de l'opposition droite/gauche, avec, devant nous, quinze ans de centrisme. Le renouveau industriel est le thème qui doit permettre le rassemblement. En 1986, il ne faut pas qu'une majorité de droite soit possible. Il faut pour cela faire un froid calcul. De ce point de vue, une crise avec le PC, trois mois avant les élections de 1986, peut être profitable. Gagner 1986, c'est gagner 1988. La loi électorale ? Rien de sacré. Cela dépendra du moment. » Et toujours l'obsession: « Faire baisser l'impôt sur le revenu ! »



Jeudi 8 septembre 1983

François Mitterrand : « La formation des hommes est le moteur de la croissance. Le socialisme, ce n'est pas la gabegie. Il faut développer la création d'entreprises. Il faut faire coller la France à son temps ! »

La flotte américaine ouvre le feu sur les batteries druzes pour aider Gemayel.

Les rencontres internationales apprennent beaucoup. Au lieu de dire « Je suis contre », un Japonais dit: « Je ne mets pas beaucoup d'espoir en cela », ou « Je crains que cela ne nous mène pas très loin ».


Vendredi 9 septembre 1983

Gromyko est à Paris. C'est la première rencontre franco-soviétique de très haut niveau depuis 1981. Elle tombe mal, après la destruction du Boeing sud-coréen.
Conversation passionnante, d'où François Mitterrand déduit qu'aucun accord de désarmement ne sera conclu à Genève entre Américains et Soviétiques avant le déploiement des Pershing. Il faut s'attendre au pire.
Le Président : Lorsque j'ai su que vous veniez, j'ai jugé très important de vous rencontrer. Mais cette rencontre nécessaire a lieu à un mauvais moment. Cependant, si on devait chercher, ces dernières années, de bons moments pour les rencontres, ils se révéleraient être assez rares. Aussi devons-nous aborder directement les problèmes importants dont votre pays et le mien sont comptables. J'ai beaucoup de considération et de respect pour votre peuple et votre gouvernement. L'évolution heureuse ou malheureuse des relations diplomatiques s'inscrit à l'intérieur d'une amitié réelle entre les peuples. J'ai souvent imaginé que l'équilibre pourrait s'instaurer en Europe si, entre la France et l'URSS, pouvaient s'établir des rapports constructifs.
Nous devons distinguer deux sortes de discussions. Il y a ce qui relève de l'actualité, de l'immédiat, de l'imprévisible. Il y a, par ailleurs, les perspectives. L'actualité récente est bien sûr dominée, elle, par le drame du Boeing sud-coréen. L'actualité à court terme est dominée par le problème de l'équilibre des forces, et donc par celui des négociations de Genève. Les perspectives générales concernent l'ensemble de l'évolution du monde et le rôle que l'URSS et la France peuvent y jouer. Au cœur de nos relations permanentes se trouvent les questions de notre sécurité, de l'armement, du désarmement. Mais, en toutes circonstances, nous devons chercher à rapprocher nos points de vue. Nous devons enfin évoquer nos relations bilatérales, commerciales, économiques, culturelles et agir dans le sens de leur amélioration.

En ce qui concerne le drame du Boeing, dès la première heure, la France a indiqué qu'elle était stupéfaite par cet événement. Bien sûr, elle ne s'est pas livrée à des accusations qui ne soient pas appuyées sur des démonstrations précises. Mais elle a regretté profondément que l'on puisse en venir à de telles extrémités. Par ailleurs, elle ne s'est pas associée à une campagne de sanctions qui ne lui paraissent pas répondre exactement à la question posée. Elle a opté pour une attitude positive, cherchant à agir de façon à ce que de tels drames ne se renouvellent pas. M. Cheysson a fait, à Madrid, des propositions concernant l'amélioration de la sécurité de la navigation aérienne civile internationale. C'est la meilleure réponse à apporter à ce drame ; nous devons mettre au point un nouvel accord international, et j'espère que vous appuierez nos efforts dans ce sens.
La deuxième question importante est celle des négociations qui se déroulent à Genève sur ce que l'on appelle les euromissiles. Où se situe l'équilibre entre les blocs ? Sur le plan stratégique, on peut dire qu'il règne un certain équilibre, chacun des deux Grands étant en mesure d'empêcher l'autre de l'agresser. Mais, en Europe, il en va autrement, et moi, je ne me situe pas de l'autre côté de l'océan Atlantique, ou quelque part au fond de l'océan Pacifique, ou dans une île perdue de l'océan Indien. Je suis en Europe ; et en Europe... il y a également l'Union soviétique!
Andreï Gromyko (avec un sourire) : Jusqu'à présent, tel a en effet été le cas.
Le Président : Nous sommes donc des pays voisins. Amis, souvent, mais pas toujours. Mais pas non plus ennemis. Et nous savons que l'URSS s'est dotée d'un considérable armement en euromissiles. Bien sûr, vous n'avez pas l'intention de vous en servir. Je ne vous prête pas d'intentions agressives et nous sommes tranquilles sur ce plan. Mais il est impossible d'accepter que l'Union soviétique soit la seule à disposer, en Europe, d'un arsenal aussi puissant.
Les discussions qui ont lieu entre les deux grandes puissances n'engagent donc pas la responsabilité de la France ; mais elles m'intéressent en ce qu'elles touchent à l'équilibre en Europe.
Parlons maintenant de la force nucléaire française. Nous faisons partie de l'Alliance atlantique et de l'OTAN, mais pas du Commandement intégré. Nous sommes les seuls dans cette situation. Je l'ai répété depuis mon élection : notre force est et restera autonome. C'est ainsi. Nous ne risquerons pas l'existence même de la France pour obéir à des stratégies qui nous seraient étrangères. Nous savons que notre force est puissante. Nous savons que la vôtre l'est beaucoup plus. Je ne veux pas que la France soit entraînée dans un conflit du fait d'ambitions, d'intrigues, d'idéologies qui ne seraient pas les siennes.
L'URSS n'a donc, bien entendu, pas à craindre de la France la moindre provocation. Une bonne entente est même possible. Je le rappellerai en toutes circonstances, et j'espère avoir l'occasion de le dire au premier responsable de votre politique.
Votre pays insiste pour que nous acceptions de laisser compter nos forces à Genève. Mais, à Genève, dans les discussions sur les euromissiles, il n'y a de discussions ni sur les sous-marins soviétiques, ni sur les sous-marins américains. Or, presque toute notre force nucléaire, à part les dix-huit fusées sol/sol, est composée de sous-marins qui ont les caractéristiques de forces stratégiques. Nous ne comprenons donc pas pourquoi nos armes de ce type seraient les seules dont on parlerait dans cette discussion sur les forces intermédiaires. Nous ne comprenons pas le sort particulier fait à la France. Nous considérons même cette insistance comme inadmissible, ou comme une façon de détourner les problèmes.
S'il s'agissait de négociations stratégiques, il pourrait être envisageable de se poser la question de la France, et nous aurions encore bien des choses à dire. Mais, ici, ce n'est pas raisonnable. Je vous le dis sans mauvaise humeur ; de toute façon, nous ne tiendrons pas compte, sur ce point, de Genève.
Supposez un instant que les forces françaises soient finalement prises en considération, ce qui me paraît peu probable. Alors je devrais demander des autorisations aux USA ou il faudrait rentrer dans le Commandement intégré de l'OTAN ?
En ce qui concerne nos relations bilatérales, elles ne sont ni très actives, ni très vivantes. Je crois pourtant qu'il y a une bonne volonté de part et d'autre, et qu'elles pourraient se développer. Dans le domaine économique, j'observe que nous faisons plus confiance à l'Union soviétique qu'elle ne nous fait confiance, à nous. Pourtant, nous avons su prendre des décisions, comme en ce qui concerne le gaz, ce qui a entraîné, vous le savez, de notre côté, bien des disccussions. Le déséquilibre commercial est dangereux, il faut continuer à agir afin de le corriger. En revanche, les affinités culturelles demeurent vivantes et c'est bien ainsi ; elles doivent se développer.
Il reste d'autres problèmes importants qui ne peuvent pas être masqués : Afghanistan, Pologne. Je crois que le moment est venu pour l'URSS et la France de parler de leurs propres affaires. Je souhaite que, d'Helsinki à Madrid, nous réussissions à avancer réellement en ce qui concerne les droits de l'homme. Mais si nous posons tous les problèmes à la fois, nous n'obtiendrons rien.
En tout cas, nous devons nous parler carrément, et je vous demande de faire connaître à Iouri Andropov les sentiments que j'exprime ; j'attends de lui — comme il peut attendre de moiune volonté d'améliorer le climat présent.
Andreï Gromyko : Pendant des années, la France et l'URSS ont eu en Europe une position très importante et très positive en faveur de la détente. Aujourd'hui, la direction soviétique, et Iouri Andropov en personne, ont une attitude extrêmement attentive à l'égard de la France et de sa politique. Après la victoire de la gauche et votre élection, nous avons observé dans vos déclarations publiques, comme dans vos propos tenus à huis clos, une volonté réelle de développer nos relations. Mais il y a eu aussi des éléments de recul, de même qu'il y a également des signes d'amélioration entre l'URSS et la France. Nos relations ne sont donc pas stables. Mais, depuis un certain temps, récemment, il nous semble que les éléments de recul ont dominé. Or, cela est contre nature, car l'intérêt de la France et de l'URSS est de faire plus. Je tiens à vous dire que nous n'avons pas d'intentions ni de plans perfides en ce qui concerne les relations de votre pays avec la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Et il y a bien des domaines concrets de coopération à cet égard. Ainsi, nous apprécions votre action en ce qui concerne nos relations économiques avec vous, car nous connaissons les pressions qui ont été exercées sur vous. Vous avez discerné lucidement vos intérêts. Vous avez résisté à bien des tentatives de pression : c'est important, car la position de la France compte beaucoup. Nous, nous faisons tout pour que s'améliorent les relations soviéto-françaises.
Toutes les promesses qui vous sont faites par ailleurs n'ont pas de base réelle. Il n'y a ainsi rien de crédible dans les promesses américaines. Nous n'avons rien contre Reagan. Il y a eu plusieurs Présidents américains, et nous avons toujours réussi à nous arranger avec eux. Mais, à l'heure actuelle, il est impossible de se rapprocher d'un seul pouce des États-Unis. Il faut que vous sachiez que derrière toutes les promesses séduisantes des États-Unis, il n'y a pas de bonnes intentions. Alors que vous trouverez dans l'URSS un partenaire sûr et crédible.
Je voudrais vous parler maintenant des armes nucléaires. Nous devons être conscients des nuées qui planent sur l'humanité. Jaurès, l'un des premiers, avait mis en garde ; il parlait des "nuées de plomb ", il estimait devoir mettre en garde l'humanité. Ces avertissements ont cent fois plus de fondement aujourd'hui.
A Madrid, j'ai rencontré M. Shultz. Voulait-il parler armement nucléaire avec moi ? Non ! Non ! c'est frappant. Il voulait parler uniquement de l'incident de l'avion. Il n'a dit que des généralités et avait pour instructions d'attendre de l'URSS, en ce qui concerne Genève, de nouvelles concessions. En fait, l'Administration américaine ne souhaite pas un accord à Genève. Elle n'est là que pour tuer le temps. En revanche, nous, nous avons fait plusieurs propositions qui démontrent notre grande flexibilité. Nous sommes même allés contre nos intérêts. Ainsi, la récente proposition de Iouri Andropov sur les missiles soviétiques à moyenne portée ne consiste plus seulement à les déplacer au-delà de l'Oural, mais à les démanteler. Et maintenant que nous proposons de démanteler, on nous dit: "Ce n'est pas suffisant"!
Nous disons qu'il existe en effet une parité approximative, mais l'OTAN a quand même des supériorités. Aucun missile soviétique à moyenne portée ne peut en effet atteindre les États-Unis, alors que les Etats-Unis projettent d'implanter des missiles à moyenne portée qui pourront atteindre l'URSS. En fait, les États-Unis ont déjà, en Europe, des armements nucléaires ; ce sont des armes stratégiques. Les Etats-Unis refusent, à Genève, que l'on compte leurs porte-avions. Or, ceux-ci permettent de transporter environ 240 appareils. Il y en a en Méditerranée, et d'autres dans l'Atlantique qui peuvent se rapprocher très facilement de nos côtes, et nous devons en tenir compte. Nous sommes allés jusqu'à émettre des propositions contre les intérêts de notre propre pays. Mais les Etats-Unis ne veulent pas l'accord. Au contraire, l'URSS voudrait un accord dans l'intérêt de l'Europe et du monde.
Je voudrais maintenant parler des forces françaises et britanniques. Nous ne proposons pas de les réduire. Tout ce que nous proposons, c'est de les prendre en considération afin de réduire en proportion les forces américaines. Nous ne soupçonnons pas la France et la Grande-Bretagne d'intentions agressives. Mais la France et la Grande-Bretagne peuvent se trouver impliquées dans une confrontation.
Il faut bien comprendre que, s'il n'y a pas d'accord, il n'y aura pas d'éclaircie. Notre façon de voir est juste.
En ce qui concerne l'Afghanistan, notre position est que ce problème est du ressort des Afghans. Sur le plan extérieur, le problème de la présence du contingent soviétique pourrait être réglé à condition que cessent les ingérences. Si elles cessent, en effet, s'il y a un accord avec le gouvernement afghan, si le Pakistan et l'Iran appliquent une politique de paix, le contingent russe pourrait être retiré.
En ce qui concerne la Pologne, nous reconnaissons que l'histoire des relations franco-polonaises fait qu'il y a en France un intérêt particulier pour ce pays. Mais les problèmes polonais sont du ressort des Polonais. Je ne vous rappellerai pas que la Pologne est également notre voisine.
A l'heure actuelle, au Proche-Orient, on morcelle le Liban et l'on prétend qu'aucune unité américaine ne participe aux combats!
En Amérique centrale, les droits de l'homme sont bafoués et c'est un cas typique d'impérialisme et d'oppression. Cela fait d'ailleurs plusieurs années que Washington exploite cette thèse des droits de l'homme. En réalité, ils ne sont nulle part ailleurs aussi bafoués qu'aux États-Unis mêmes.
Je voudrais revenir au problème de la force nucléaire française. Il y a quatre ans, j'ai eu une conversation avec le Président Carter et je lui ai demandé : "Jusqu'à quand la France et la Grande-Bretagne se tiendront-elles à l'écart des pourparlers ?" Le Président Carter m'a répondu : "L'URSS a raison quand elle considère que les armes françaises et britanniques sont orientées contre l'URSS. Il y a un certain bien fondé dans votre propos. " Sous quelles formes cela se serait-il concrétisé s'il était resté Président, je ne sais. Il y a eu après la nouvelle Administration américaine, qui a tiré un trait sur tout cela.
Voilà, Monsieur le Président, ce que je voulais dire et je vous remercie de votre patience.
Le Président: Monsieur le Ministre, nous aurons l'occasion de poursuivre cette conversation à ce niveau et à d'autres niveaux, et j'aurai moi-même l'occasion de réaborder tous ces points. Mais, tout de suite, sur vos derniers mots : les États-Unis sont des amis et alliés, mais jamais aucun Président américain, y compris M. Carter, n'a été chargé de s'exprimer au nom de la France ! Je redis qu'en l'état de la négociation présente, les conversations de Genève portent sur des types d'armes qui ne concernent pas la France. Le jour où il s'agira de forces stratégiques, nous examinerons le problème. Mais nous ne reconnaissons pas à l'URSS le monopole des armes tactiques en Europe. En effet, des armes tactiques américaines peuvent être en mesure d'atteindre l'URSS. Je vous ferai cependant remarquer que, pour la France, que vos armes soient tactiques ou stratégiques, cela revient au même. Toutes vos armes atteignent notre sol ; elles sont toutes aussi meurtrières — naturellement, en se plaçant dans l'hypothèse d'un conflit qui, j'en suis convaincu, n'aura pas lieu.
En fait, la chaleur de nos relations recule dans la mesure où les SS 20 avancent...

En outre, il n'est pas question que nous nous laissions assujettir par un accord passé par les deux grandes puissances. Nous saurons faire comprendre notre patriotisme farouche. Nous avons un problème de sécurité évident dès que l'on compare la force des armes. Nous devons pousser plus loin cette conversation dans les mois à venir.
J'ai trouvé votre description de la situation en Afghanistan un peu... innocente. La réalité est plus sévère. Bien sûr, il est souhaitable que les armées étrangères quittent partout et au plus tôt les territoires indépendants. D'ailleurs, la France fera ce raisonnement pour elle-même au Tchad.
De même que vous me l'avez transmis, je voudrais, par votre intermédiaire, adresser à Iouri Andropov un message l'assurant de la bonne volonté française pour approfondir nos relations, nos conversations au cours des semaines et des mois à venir, au niveau des principaux ministres, au niveau aussi des chefs d'État. Nous devrons discuter à fond. J'ai été très sensible à votre visite et à ce dialogue. Bien que vous soyez le responsable de la diplomatie soviétique, vous parlez très clairement. Je préfère cela, et moi aussi, par égards pour vous, je me suis exprimé très clairement. Les conversations doivent être poursuivies, y compris dans les moments difficiles qui vont durer. Cherchons à tous les échelons à maintenir et à trouver les contacts afin de sortir de ce terrible climat.
Andreï Gromyko : Si je n'ai pas jugé nécessaire de vous parler de l'incident de l'avion, c'est que j'ai longuement expliqué ce matin à M. Cheysson notre position.
Le Livre d'or est apporté à Andreï Gromyko afin qu'il le signe.
François Mitterrand : Vous pouvez signer en confiance, il n'y a pas de traité caché dessous... Mais si vous voulez indiquer sur la page de gauche que vous renoncez aux SS 20, naturellement, je ne serai pas contre!

Au fil de cette conversation une réflexion d'Andreï Gromyko nous a intéressés : « Deux ministres des Affaires étrangères seulement sont restés plus longtemps que moi en poste, Metternich et Bismarck. Ils sont tous deux devenus Chanceliers. »
Est-ce la marque d'une ambition?


Samedi 10 septembre 1993

La situation sociale et politique devient très difficile. Le pouvoir d'achat baisse cette année de 0,7 % après avoir augmenté de 2,5 % par an pendant deux ans ; 52 % des Français jugent négativement l'action du Président.

Au Liban, dans le village de Dhar el Khamar, il ne reste qu'une semaine de farine. Une centaine de blessés ne peuvent être évacués, le convoi est bloqué par des villageois druzes non contrôlés à trois ou quatre kilomètres de là. Peut-on y aller ? François Mitterrand : « La FINUL, oui. Pas notre force particulière. Nous ne devons pas sortir de notre zone. »

L'Arabie Saoudite encouragerait, selon Cheysson, la fourniture des Super-Étendard à l'Irak. Mais Jean-Louis Bianco note : « Scheer, le directeur de cabinet de Cheysson, m'a dit le contraire. »


Dimanche 11 septembre 1983

L'opposition parlementaire, alliée à l'extrême droite, conquiert la mairie de Dreux. François Mitterrand : « Vous voyez bien, l'extrême droite n'est pas qu'au Front national. »




Lundi 12 septembre 1983

Les États-Unis dépêchent 2 000 marines supplémentaires au large des côtes libanaises. François Mitterrand : « La guerre civile, qui s'étend chaque jour au Liban, comme chacun peut le constater, rend caduc le mandat de la Force multinationale. C'est le rôle de la communauté internationale tout entière, et donc de l'ONU — et non pas de la Force multinationale —, de tenter d'arrêter les combats. Dans une première étape, il faut essayer d'obtenir que des observateurs de l'ONU viennent dans le Chouf, puis qu'une FINUL-2 s'y déploie. C'est ce qui est tenté en ce moment même au Conseil de sécurité, selon les instructions données à Claude Cheysson. Il est vraisemblable que dans un délai très bref, les Anglais et les Italiens vont demander le départ de Beyrouth de la Force multinationale. A ce moment, la France pourrait utiliser cette demande pour proposer un remplacement par une force de l'ONU (FINUL-3) à laquelle nous serions naturellement prêts à apporter notre concours. Cette démarche serait nécessaire même si les Anglais et les Italiens ne bougent pas, mais elle nous mettrait alors davantage en première ligne. »

Claude Cheysson est embarrassé d'avoir promis les Super-Étendard. Il propose l'envoi d'un émissaire auprès de Tarek Aziz avec la proposition suivante : un oléoduc syrien pourrait être rouvert, facilitant les exportations de pétrole irakien et enlevant à l'Iran son atout dans le Golfe. En échange, on ajournerait la livraison des Super-Étendard.


Mardi 13 septembre 1983

François Mitterrand : « La foi, chez la plupart des hommes — mais peut-être pas pour certains grands esprits —, doit être entretenue, et l'assurance d'une durée de la foi a, pour le commun des mortels, besoin d'être structurée autour de quelques idées clés, et autour d'une pratique. Cela donne les Églises, et les Églises produisent leurs dogmes. Cela exige aussi une aventure individuelle d'une très grande difficulté, un héroïsme de l'esprit. C'est l'explication du "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais trouvé" de Pascal. Oui, sûrement, on a continué de la chercher alors qu'on l'avait déjà trouvée. On voit cela à travers beaucoup de récits sur les deux Thérèse (Thérèse d'Avila, grande mystique, et Thérèse de Lisieux, petite religieuse sans culture, mais d'une grande force morale), où l'on trouve le même écho. Au fond, les grands saints auront passé la moitié de leur vie à douter. Mais ils ont une foi intériorisée, de telle sorte que cela leur permet d'avoir constamment la référence. "Je doute, je suis dans le désert, c'est l'aridité absolue, Dieu est absent, eh bien, justement, je continue d'y croire, je continue de Le servir. " Ne parlons pas de ceux qui ont la foi simplement parce qu'ils l'ont reçue et qu'ensuite ils l'entretiennent à petit feu, comme une sorte d'habitude commode. Le doute accompagne fatalement la foi, c'est un défi. Il n'y a jamais eu de réponse ; ceux qui n'ont pas eu de révélation n'ont jamais eu de réponse. Le plus grand intellectuel, qui exige de sa pensée la clarté des catégories, est capable soudain de plonger dans la foi parce que, par rapport à son destin personnel, il n'a pas de réponse. S'il a la foi, elle lui apporte le refuge dont il a besoin. »


Assassinat, près de Bastia, du secrétaire général du Conseil de Haute-Corse, Pierre- Jean Massimi. (Dans huit jours, le FLNC présentera cet assassinat comme un acte de représailles après la disparition de Guy Orsoni. Les séparatistes prétendent que Massimi aurait fait exécuter Orsoni sur ordre du ministre ! Joseph Franceschi exprimera des doutes sur l'authenticité de cette revendication.)

Jean-Louis Bianco expose au Président l'intérêt pour l'Irak de l'ouverture de l'oléoduc. Comme Cheysson, il propose l'envoi d'un émissaire à Bagdad. Pour permettre au Président de ne pas autoriser la livraison des Super-Étendard, Bianco propose d'avancer une explication juridique : la France ne peut être un cobelligérant. Hubert Védrine, au contraire, est favorable à la livraison : « Il faut assumer » ; sinon, dit-il, ce serait l'effondrement de la crédibilité de la France dans le monde arabe. Il n'y a, en effet, pas de prétexte valable. Le Président décide l'envoi d'un émissaire à Bagdad.



Mercredi 14 septembre 1983

Déjeuner avec le Président. On parle des élections européennes. « La gauche et la droite, ce n'est pas fini. » Et toujours le leitmotiv : « Il faut diminuer les impôts. »



Jeudi 15 septembre 1983

Déjeuner avec Craxi qui, à l'évidence, aimerait bien pouvoir se rallier à la prise en compte des forces françaises dans la négociation URSS/USA, mais n'ose le faire devant la violence des réactions de François Mitterrand.

Edgar Faure suggère au Président de proposer à l'Assemblée générale de l'ONU de consacrer au développement les sommes libérées par le désarmement ou prélevées à proportion de l'effort d'armement. François Mitterrand est enthousiaste.
Hubert Védrine note, sceptique : « C'est une idée ancienne, déjà présentée par les Soviétiques et par Edgar Faure au milieu des années 50. Aucun accord n'a jamais pu être trouvé sur l'assiette, la clé de répartition ou les modalités de paiement. Les pays de l'Est, ou de l'Ouest, ou en développement, ont trouvé tour à tour des raisons de s'opposer à ces propositions. »
François Mitterrand, irrité: « Ou bien c'est ridicule, et arrêtons d'en parler. Ou bien la synthèse n'est pas ridicule et sera au contraire bien jugée, et il faut la tenter. Il y a beaucoup d'autres sujets à traiter dans ce discours : New York, Genève, nos actions au Liban et au Tchad, etc. »


François Mitterrand est interviewé ce soir par François de Closets sur TF1. Il pourra y annoncer un excédent du commerce extérieur de 600 millions, le premier depuis 1981. A la surprise générale, il annonce aussi la baisse d'un point, l'année prochaine, du taux des prélèvements obligatoires ! Tout le monde croira que cette mesure a été soigneusement préparée en secret à l'Élysée. Il n'en est rien : elle est improvisée en direct. Maintenant, le gouvernement sera bien obligé de la mettre en œuvre : 1 % de baisse, cela signifie en fait 2 %, en raison de la croissance naturelle d'un point par an, soit 80 milliards à trouver. Le Président voit dans cet effet de surprise le seul moyen d'aboutir : le fait accompli sans lequel rien d'important n'est jamais décidé.

L'Égypte approuve « du fond du cœur» la livraison des Super-Étendard à l'Irak.
Vendredi 16 septembre 1983

Dans une interview au Monde, Édouard Balladur se prononce pour la « cohabitation ». François Mitterrand entre dans mon bureau : « Article intéressant, n'est-ce pas ? »

Delors, Mauroy, Fabius, Emmanuelli, Bérégovoy, chacun à son tour, viennent m'expliquer que la baisse des prélèvements obligatoires est impossible.

Sur le communisme, François Mitterrand: «Les pays catholiques du sud de l'Europe sont les pays où le communisme connaît le plus grand nombre d'adhésions, où il s'est le plus développé. Le passage d'une partie de notre société du catholicisme pratiquant au communisme militant a sans doute exigé beaucoup de déchirements, mais pas un changement de nature. Marx, fidèle à ses analyses économiques, pensait que c'est là où il y avait le plus d'ouvriers que la lutte des classes avait le plus de chances d'être menée à bien, parce que cette lutte suppose des armées de prolétaires. Et pourtant, c'est surtout dans les pays où une révolution agraire était nécessaire, dans les sociétés rurales, qu'il y a eu beaucoup de communistes. C'est l'Armée rouge qui a gagné une partie de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est au communisme, et qui a trouvé là des pays en état de révolte ambiante par besoin d'une réforme agraire. Armée rouge + révolution agraire = communistes. En Union soviétique, les ouvriers et les marins ont été le fer de lance du communisme. Mais Marx pensait que l'Allemagne et la Grande-Bretagne fourniraient les futurs bataillons, puisque c'était là que le prolétariat était le plus organisé...»

Je reçois Nicholas Kaldor, Prix Nobel d'économie, qui me reparle des quotas d'importations. Je ne suis pas convaincu. Il compte aller en reparler à Michel Rocard.




Dimanche 18 septembre 1983

Retour au Liban de Yasser Arafat. Que va-t-il faire dans ce piège ? La ville sera bientôt assiégée par ses ennemis et il ne pourra plus en ressortir.


Lundi 19 septembre 1983

Tarek Aziz écrit à Claude Cheysson. Il refuse l'arrangement proposé. La réouverture de l'oléoduc syrien ne peut tenir lieu de contrepartie à l'accord sur les Super-Étendard. Il les veut, comme promis. Il faut plonger !
Dans une interview à Antenne 2, Claude Cheysson reconnaît la signature d'un contrat de livraison de Super-Étendard et justifie ce prêt par le déséquilibre entre l'Irak et l'Iran, et par le fait que Bagdad se dit prêt à négocier avec Téhéran. Mais le service juridique du Quai s'inquiète encore : le contrat entre Dassault et l'armée est un prêt déguisé en vente. « Faute d'un transfert de propriété des appareils, la France pourrait, au regard des règles du droit international, être accusée de cobelligérance dans le cas où les aéronefs mis à la disposition des Irakiens seraient utilisées dans des opérations de guerre (...). Il ne serait possible de pallier entièrement ces inconvénients qu'en effectuant un montage juridique qui nous ferait perdre la propriété des appareils. Le montage effectué devra viser donc bien à nous mettre en règle avec le droit international. La vente est faite par l'armée à Dassault. Il paraît douteux aujourd'hui de mettre en avant une faille juridique pour arrêter l'opération, sauf à se référer à une éventuelle clause résolutoire inscrite dans le contrat de vente passé par Dassault. Mais le ministère des Relations extérieures ignore tout sur la teneur de ce contrat. Il reste que l'on pourrait toujours invoquer à notre encontre l'abus de droit que constitue de fait ce prêt déguisé en vente. Pour éviter que ce moyen ne soit employé contre nous, le gouvernement devrait donc s'opposer à l'exécution du contrat de vente en reconnaissant sa propre turpitude. »

Indira Gandhi invite François Mitterrand à assister, à l'occasion de son passage à l'Assemblée générale de l'ONU, à une sorte de Sommet Nord/Sud auquel participeront tous les chefs d'État présents à New York. Tous les dirigeants du G7 se défilent, à l'exception de François Mitterrand.

Cheysson écrit à Shultz :
« Il n'y a rien à gagner à isoler la Syrie sur le plan international. La présence de la Force multinationale signifie un soutien au gouvernement libanais dans ses efforts pour parvenir à la réconciliation qui est attendue par la grande majorité du peuple. Le Président Gemayel doit pouvoir aborder de façon confiante la négociation afin d'être en position de faire des concessions dans l'intérêt de toutes les parties libanaises. France, Italie et Royaume-Uni ont l'intention de poursuivre leur rôle dans la Force multinationale sur la base du mandat existant. Nous croyons qu'un cessez-le-feu et un début de négociations devraient être suivis par un désengagement visible. »

Il écrit à Shamir :
« Israël devrait se retirer complètement afin de créer les conditions pour un retrait syrien et une réconciliation nationale libanaise. Israël doit presser ses amis phalangistes et druzes d'accepter un compromis politique et devrait couper toute assistance et tout soutien militaire à ces parties. »



Mardi 20 septembre 1983

Le Président demande des renseignements précis sur les ventes d'armes à l'Irak et convoque une réunion dans son bureau (Bianco, Mauroy, Cheysson, Hernu, Saulnier).
L'Irak doit posséder encore dix Exocet, ce qui suffit pour exercer une dissuasion sur l'île de Kharg. Cheysson : « Invoquer un argument juridique quel qu'il soit entraînerait de très graves inconvénients. Il faut avoir le courage d'assumer notre position. »



Mercredi 21 septembre 1983

Claude Cheysson, qui doit rencontrer Tarek Aziz à l'ONU, demande à être reçu auparavant par le Président. Une action est en cours au Conseil de sécurité afin de faire approuver une résolution interdisant l'usage des armes dans le Golfe et d'envisager la possibilité d'un embargo sur les Exocet. D'ailleurs, la menace des quelques missiles restant à l'Irak suffit à interdire aux pétroliers l'accès à Kharg, ce qui est l'objectif irakien.

Déjeuner hebdomadaire du Président avec les dirigeants socialistes. On parle de la rentrée universitaire, des listes européennes, des sénatoriales. « Pourquoi cette chute de popularité gouvernementale ? Il y a deux cents journalistes hostiles. Tout va se jouer sur les prélèvements obligatoires. »

Au Liban, la situation actuelle s'analyse comme un étroit mélange de luttes interclaniques, de luttes au sein même des clans, et d'utilisation des clans par les puissances voisines. Le Président Gemayel est aujourd'hui un homme seul. Nul ne veut négocier un nouveau pacte avec lui. Ni Joumblatt, ni Frangié, ni Karamé.


Jeudi 22 septembre 1983

Jean-Baptiste Doumeng : « Le PC est désorienté et ne sait quelle ligne prendre. J'ai obtenu l'accord des Soviétiques au plus haut niveau pour un achat de 15 milliards de francs de matériel industriel français en un an, à condition que leur soit consenti un prêt en francs au taux de 10 %. »

A Beyrouth, des Super-Étendard de la marine française détruisent des batteries d'artillerie qui pilonnaient le contingent français de la Force multinationale.
L'Irak réclame encore plus les siens !


Vendredi 23 septembre 1983

Il faut passer aux actes pour ce qui est des prélèvements obligatoires. Le Président écrit au Premier ministre : « Il appartient au gouvernement de proposer les voies conduisant à une réduction d'au moins un point de prélèvements obligatoires en 1985. Cette tâche doit être engagée sans délais. Elle exige un travail préparatoire que je vous demande de bien vouloir mener à bien d'ici la fin octobre. »

A Beyrouth, la situation empire : la Force multinationale de sécurité déplorait au 1er juin 1983 un tué et 20 blessés. Depuis le 1er juin, les attentats, les bombardements et l'effondrement d'un immeuble ont provoqué 15 morts et 34 blessés supplémentaires. Où va-t-on ?

Pour le discours de François Mitterrand à New York, Claude Cheysson propose que les « cinq membres permanents du Conseil de sécurité fassent adopter avant la fin de l'année une résolution prévoyant une contribution de 1 à 2 millions de dollars par lanceur nucléaire. Les chiffres sont connus, publiés. Aucune discussion préalable, aucune conférence n'est nécessaire. La responsabilité principale des Cinq est affirmée. La disproportion USA/URSS vis-à-vis des trois autres apparaît ». Le Président aime bien l'idée, qui va dans le même sens que celle émise par Edgar Faure...

Yves Mourousi écrit au Président pour lui dispenser des conseils sur son attitude à la télévision :
« Être branché, sans être démagogue. Faire que le discours tenu ne soit pas décalé par rapport à son instrument de transmission. Permettre que celui-ci soit ouverture vers l'avenir, le rêve et l'imagination, sans pour autant éliminer les préoccupations quotidiennes. Autant d'inspirations qui ne vous sont pas étrangères... »



Lundi 26 septembre 1983

François Mitterrand : « Sur le système électoral, je n'ai pas de théorie absolue. Il n'y a pas de vérité révélée. Je n'aime pas trop le scrutin proportionnel, mais il faudra sans doute s'y résigner. »

A l'Assemblée générale de l'ONU commence la noria des discours. Ronald Reagan appelle l'Union soviétique à « réduire les tensions qu'elle a imposées au monde au cours des dernières semaines ». La puissance de destruction des fusées américaines et soviétiques est de 6 500 mégatonnes, soit 1,5 tonne d'explosif par habitant de la planète, ou 350 000 fois Hiroshima !